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Une poussiĂšre de petits souvenirs insignifiants qui traçaient malgrĂ© tout, en s'enchevĂȘtrant les uns aux autres, la trame d'une vie. Celle de Dimeglio, inspecteur principal Ă la Brigade criminelle, indice 320. Une vie sans histoires.
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Thierry Jonquet (Moloch)
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La mĂ©moire est aussi paresseuse quâhypocrite, elle ne retient que les meilleurs et les pires souvenirs, les temps forts, jamais la mesure du quotidien, quâelle efface.
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Marc Levy (Le premier jour)
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Les souvenirs, c'est quelque chose qui vous rĂ©chauffe de l'intĂ©rieur. Et qui vous dĂ©chire violemment le cĆur en mĂȘme temps.
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Haruki Murakami (Kafka on the Shore)
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Ă lâendroit oĂč les fleuves se jettent dans la mer, il se forme une barre difficile ĂĄ franchir, et de grands remous Ă©cumeux oĂč dansent les Ă©paves. Entre la nuit du dehors et la lumiĂšre de la lampe, les souvenirs refluaient de lâobscuritĂ©, se heurtaient a la clartĂ© et, tantĂŽt immergĂ©s, tantĂŽt apparents, montraient leurs ventres blancs et leurs dos argentĂ©s.
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Boris Vian (L'écume des jours)
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Je me suis rendu compte que les lieux aussi avaient des ombres. Les souvenirs rĂŽdent et vous rendent nostalgique dĂšs que vous vous en approchez trop prĂšs.
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Marc Levy (Le Voleur d'ombres)
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Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont fait.
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Philippe Claudel (Brodeck)
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Il y a bien des souvenirs, mais quelqu'un les a électrifiés et connectés à nos cils, dÚs qu'on y pense on a les yeux qui brûlent.
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Mathias Malzieu
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Bien sĂ»r demeuraient nouĂ©es ces Ă©charpes multiples, les souvenirs, mais c'Ă©tait comme s'il fallait dĂ©sormais que le passĂ© puisse luire aussi chamarrĂ©, aussi intense que ce prĂ©sent oĂč ils n'Ă©taient plus lĂ .
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Alain Damasio (La Horde du Contrevent)
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Crois-moi, il n'y a pas de grande douleur, pas de grands repentirs, de grands souvenirs. Tout s'oublie mĂȘme les grandes amours. C'est ce qu'il y a de triste et d'exaltant Ă la fois dans la vie. Il y a seulement une certaine façon de voir les choses et elle surgit de temps en temps. C'est pour ça qu'il est bon quand mĂȘme d'avoir eu un grand amour, une passion malheureuse dans sa vie. Ăa fait du moins un alibi pour les dĂ©sespoirs sans raison dont nous sommes accablĂ©s.
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Albert Camus (A Happy Death)
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Et puis il y a lâĂ©tĂ©. LâĂ©tĂ© appartient Ă tous les souvenirs. Il est intemporel. Câest son odeur qui est la plus tenace. Qui sâaccroche aux vĂȘtements. Que lâon cherche toute sa vie. [âŠ] LâĂ©tĂ© appartient Ă tous les Ăąges. Il nâa ni enfance ni adolescence. LâĂ©tĂ© est un ange.
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Valérie Perrin (Trois)
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Les souvenirs sont parfois comme ces photographies blanchies par le temps, dont les détails ressurgissent à la faveur d'un certain éclairage.
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Marc Levy
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C'est bizarre les souvenirs. Suivant le moment oĂč on les Ă©voque, ou avec qui on les a vĂ©cus, ils peuvent ĂȘtre tristes ou joyeux, faire sourire ou souffrir.
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Joris Chamblain (Le Livre d'Hector (Les Carnets de Cerise, #2))
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âą On peut ĂȘtre avec quelquâun pour fuir sa solitude, on peut partager son quotidien pour digĂ©rer une rupture en continuant dâentretenir le souvenir dâun autre. On peut parler Ă quelquâun en Ă©coutant la voix dâun autre, regarder quelquâun dans les yeux en voyant ceux dâun autre.
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Marc Levy (Un sentiment plus fort que la peur)
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« La grande faiblesse de la mort, câest quâelle ne peut venir Ă bout que de la matiĂšre. Elle ne peut rien contre les souvenirs et les sentiments. Au contraire, elle les ravive et les ancre en nous pour toujours, comme pour se faire pardonner en nous disant : Câest vrai, je vous enlĂšve beaucoup, mais regardez tout ce que je vous laisse. »
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Joël Dicker (L'Affaire Alaska Sanders)
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Adieu, dit-ilâŠ
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est trĂšs simple : on ne voit bien quâavec le coeur. Lâessentiel est invisible pour les yeux.
- Lâessentiel est invisible pour les yeux, rĂ©pĂ©ta le petit prince, afin de se souvenir.
- Câest le temps que tu a perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
- Câest le temps que jâai perdu pour ma rose⊠fit le petit prince, afin de se souvenir.
- Les hommes ont oubliĂ© cette vĂ©ritĂ©, dit le renard. Mais tu ne dois pas lâoublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisĂ©. Tu es responsable de ta roseâŠ
- Je suis responsable de ma rose⊠répéta le petit prince, afin de se souvenir.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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Tous les chagrins sont mĂ©prisants, imprenables, perchĂ©s Ă des hauteurs que personne ne peux rejoindre. Peut-ĂȘtre a-t-on trop peur qu'une consolation efface ce qu'il reste des souvenirs.
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Timothée de Fombelle (Un prince sans royaume (Vango, #2))
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Mais parfois il y a quelque chose de fĂ©brile, de morbide, dans lâallure du flĂąneur. Il erre dans la ville, semble ĂȘtre Ă la recherche dâune chimĂšre. Sa destination est confuse ou impossible Ă atteindre. Son pas se fait nerveux, exaspĂ©rĂ© : on dirait un homme en fuite. Le flĂąneur fuit la banalitĂ© de la vie ordinaire. Il fuit les souvenirs et les spectres de son intĂ©rioritĂ©.
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Federico Castigliano (FlĂąneur: L'art de vagabonder dans Paris (French Edition))
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PrĂ©fĂšres-tu, rose, ĂȘtre l'ardente compagne
de nos transports présents?
Est-ce les souvenir qui davantage te gagne
lorsqu'un bonheur se reprend?
Tant de fois je t'ai vue, heureuse et sĂšche,
- chaque pétale un linceul -
dans un coffret odorant, à cÎté d'une mÚche,
ou dans un livre aimé qu'on relira seul.
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Rainer Maria Rilke (The Complete French Poems of Rainer Maria Rilke)
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Les roses de Saadi
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.
Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
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Marceline Desbordes-Valmore
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Rien ne vaut les souvenirs et les illusions de l'adolescence.
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Gustave Flaubert (Sentimental Education)
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... les rĂȘves vĂ©cus Ă deux forment les souvenirs les plus beaux. La solitude est un jardin oĂč l'Ăąme se dessĂšche, les fleurs qui y poussent n'ont pas de parfum.
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Marc Levy (If Only It Were True)
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Mais vous venez de dire : « La douleur diminue, les souvenirs sâestompent. »
Lâinsomniaque lĂšve les yeux sur Lucas :
â Diminuer, sâestomper, je lâai dit, oui, mais non pas disparaĂźtre.
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Ăgota KristĂłf (La preuve)
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L'amitiĂ© tendre, la douce confiance et la seule qui soit sans rĂ©serve, les peines adoucies, les plaisirs augmentĂ©s, l'espoir enchanteur, les souvenirs dĂ©licieux, oĂč les trouver ailleurs que dans l'Amour ?
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Pierre Choderlos de Laclos
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Insomnie. Singulier Ă©tat oĂč l'acuitĂ© des sens s'accroĂźt, oĂč les souvenirs s'accumulent jusqu'Ă devenir parfois intolĂ©rables, oĂč le temps qui s'Ă©coule pourtant au ralenti permet Ă la pensĂ©e de galoper follement.
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Yvette Naubert
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Oh! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux oĂč nous Ă©tions amis
En ce temps-là la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi.
Et le vent du Nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi,
Mais mon amour silencieux et fidĂšle
Sourit toujours et remercie la vie.
Je t'aimais tant, tu étais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie?
En ce temps-là la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Tu étais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets.
Et la chanson que tu chantais,
Toujours, toujours je l'entendrai.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais, moi je t'aimais
Et nous vivions, tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
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Jacques Prévert
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Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaßtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là -bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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N'es-tu pas l'oasis oĂč je rĂȘve, et la gourde
OĂč je hume Ă long traits le vin du souvenir ?
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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C'est bon d'avoir eu un copain. [...] On a toujours l'espoir qu'on restera copains, et que les moments passés ensemble ne seront pas effacés par de nouveaux souvenirs avec un autre.
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Didier van Cauwelaert (Un aller simple)
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Il Ă©tait encore trop jeune pour savoir que la mĂ©moire du cĆur efface les mauvais souvenirs et embellit les bons, et que c'est grĂące Ă cet artifice que l'on parvient Ă accepter le passĂ©.
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Gabriel GarcĂa MĂĄrquez (Love in the Time of Cholera)
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Les gens ne regardent plus le ciel. Ils gardent les yeux baissĂ©s sur leurs petits soucis, ils oublient que le monde peut ĂȘtre plus vaste, qu'il y a des couleurs, des arcs-en-ciel, des nuages et des oiseaux fantastiques qui pourraient changer leurs vies.
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Carina Rozenfeld (Le Brasier des souvenirs (PhĂŠnix, #2))
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Oh ! Les vieilleries ! Vieilles lettres, vieux vĂȘtements, vieux objets dont on ne veut pas se dĂ©barrasser. Comme la Nature a bien compris que, tous les ans, elle doit changer de feuilles, de fleurs, de fruits et de lĂ©gumes, et faire du fumier avec les souvenirs de son annĂ©e ! (19 octobre 1906)
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Jules Renard (The Journal of Jules Renard)
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Les hommes y tiennent Ă leurs sales souvenirs, Ă tous leurs malheurs et on ne peut pas les en faire sortir. Ca leur occupe l'Ăąme. Ils se vengent de l'injustice de leur prĂ©sent en besognant l'avenir au fond d'eux-mĂȘmes avec de la merde. Justes et lĂąches qu'ils sont tout au fond. C'est leur nature.
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Louis-Ferdinand Céline (Journey to the End of the Night)
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Je sais pourtant que si on s'Ă©tait embrassĂ©s, je serais reparti le cĆur content, me foutant de la pluie ou du beau temps, puisque je comptais un peu pour toi. Je sais que ce baiser m'aurait accompagnĂ© partout et pendant longtemps, comme un souvenir radieux auquel me raccrocher dans les moments de solitude. Mais aprĂšs tout, certains disent que les plus belles histoires d'amour sont celles qu'on n'a pas eu le temps de vivre. Peut-ĂȘtre alors que les baisers qu'on ne reçoit pas sont aussi les plus intenses.
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Guillaume Musso (Que serais-je sans toi?)
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Approcher Lucile, avec toutes les prĂ©cautions du monde ou Ă bras raccourcis, câest aussi approcher les autres, les vivants, au risque dâailleurs de mâen Ă©carter. Ă ma sĆur, jâai demandĂ© comme aux autres de me parler de Lucile, de me prĂȘter ses souvenirs.
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Delphine de Vigan (Rien ne s'oppose Ă la nuit)
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A qui écris-tu?
-A toi. En fait, je ne t'écris pas vraiment, j'écris ce que j'ai envie de faire avec toi...
Il y avait des feuilles partout. Autour d'elle, Ă ses pieds, sur le lit. J'en ai pris une au hasard:
"...Pique-niquer, faire la sieste au bord d'une riviĂšre, manger des pĂȘches, des crevettes, des croissants, du riz gluant, nager, danser, m'acheter des chaussures, de la lingerie, du parfum, lire le journal, lĂ©cher les vitrines, prendre le mĂ©tro, surveiller l'heure, te pousser quand tu prends toute la place, Ă©tendre le linge, aller Ă l'OpĂ©ra, faire des barbecues, rĂąler parce que tu as oubliĂ© le charbon, me laver les dents en mĂȘme temps que toi, t'acheter des caleçons, tondre la pelouse, lire le journal par-dessus ton Ă©paule, t'empĂȘcher de manger trop de cacahuĂštes, visiter les caves de la Loire, et celles de la Hunter Valley, faire l'idiote, jacasser, cueillir des mĂ»res, cuisiner, jardiner, te rĂ©veiller encore parce que tu ronfles, aller au zoo, aux puces, Ă Paris, Ă Londres, te chanter des chansons, arrĂȘter de fumer, te demander de me couper les ongles, acheter de la vaisselle, des bĂȘtises, des choses qui ne servent Ă rien, manger des glaces, regarder les gens, te battre aux Ă©checs, Ă©couter du jazz, du reggae, danser le mambo et le cha-cha-cha, m'ennuyer, faire des caprices, bouder, rire, t'entortiller autour de mon petit doigt, chercher une maison avec vue sur les vaches, remplir d'indĂ©cents Caddie, repeindre un plafond, coudre des rideaux, rester des heures Ă table Ă discuter avec des gens intĂ©ressants, te tenir par la barbichette, te couper les cheveux, enlever les mauvaises herbes, laver la voiture, voir la mer, t'appeler encore, te dire des mots crus, apprendre Ă tricoter, te tricoter une Ă©charpe, dĂ©faire cette horreur, recueillir des chats, des chiens, des perroquets, des Ă©lĂ©phants, louer des bicyclettes, ne pas s'en servir, rester dans un hamac, boire des margaritas Ă l'ombre, tricher, apprendre Ă me servir d'un fer Ă repasser, jeter le fer Ă repasser par la fenĂȘtre, chanter sous la pluie, fuire les touristes, m'enivrer, te dire toute la vĂ©ritĂ©, me souvenir que toute vĂ©ritĂ© n'est pas bonne Ă dire, t'Ă©couter, te donner la main, rĂ©cupĂ©rer mon fer Ă repasser, Ă©couter les paroles des chansons, mettre le rĂ©veil, oublier nos valises, m'arrĂȘter de courir, descendre les poubelles, te demander si tu m'aimes toujours, discuter avec la voisine, te raconter mon enfance, faire des mouillettes, des Ă©tiquettes pour les pots de confiture..."
Et ça continuais comme ça pendant des pages et des pages...
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Anna Gavalda (Someone I Loved (Je l'aimais))
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Peu de vestiges Ă©voquent Ă prĂ©sent en nous la lumiĂšre. Nous sommes nettement plus proches des tĂ©nĂšbres, nous ne sommes pour ainsi dire que tĂ©nĂšbres, tout ce qui nous reste, ce sont les souvenirs et aussi lâespoir qui s'est pourtant affadi, qui continue de pĂąlir et ressemblera bientĂŽt Ă une Ă©toile Ă©teinte, Ă un bloc de roche lugubre. Pourtant, nous savons quelques petits riens Ă propos de la vie et quelques petits riens Ă propos de la mort : nous avons parcouru tout ce chemin pour te ravir et remuer le destin. (p.13)
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JĂłn Kalman StefĂĄnsson (HimnarĂki og helvĂti)
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Quand tu es sorti de ma vie, je me suis demandé ce qui de toi était resté à l'intérieur de moi, quels souvenirs, quels mots, quels trésors, quels trophées?
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Martine Delvaux (Les cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage)
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Mes souvenirs continuent Ă briller comme les Ă©toiles mortes. Le passĂ© me semble parfait, le futur pas trĂšs sĂ»r. Je prĂ©fĂšre conjuguer lâirrĂ©el du present.
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Jean-Louis Fournier (Veuf (La Bleue) (French Edition))
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Le souvenir est une impulsion électrique comme une autre.
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Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
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Un roi doit avoir les mĂȘmes souvenirs que ses sujets.
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Jean-Paul Sartre (Huis clos: suivi de Les Mouches)
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Je n'écris plus les souvenirs charmants, je me suis aperçu que cela les gùtait.
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Stendhal
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Est-ce la pluie qui frappe Ă mes fenĂȘtres ? Ou sont-ce mes larmes qui recouvrent le plancher ? Jâai peur de me noyer dans les souvenirs que nous nâaurons jamais.
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Laura Nsafou (La Mer chantera ton nom)
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Les souvenirs sont des échardes dans ton coeur quand ils ne sont faits que de souffrance.
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Karim Berrouka (Les ballons dirigeables rĂȘvent-ils de poupĂ©es gonflables ?)
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La mémoire garde trace de chaque étape d'un voyage au long cours. Comme si le mouvement avait le rÎle d'un fixateur de souvenirs ou que le temps, lorsqu'il était mesuré par le défilement de l'espace, ne se dissolvait plus dans l'oubli. La route intensifie les événements de la vie.
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Sylvain Tesson (Ăloge de l'Ă©nergie vagabonde)
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Il y a donc de "bons" et de "mauvais" romans.
Le plus souvent, ce sont les seconds que nous trouvons d'abord sur notre route.
Et ma foi, quand ce fut mon tour d'y passer, j'ai le souvenir d'avoir trouvé ça "vachement bien". J'ai eu beaucoup de chance : on ne s'est pas moqué de moi, on n'a pas levé les yeux au ciel, on ne m'a pas traité de crétin. On a juste laissé traßner sur mon passage quelques "bons" romans en se gardant bien de m'interdire les autres.
C'était la sagesse. (p. 182)
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Daniel Pennac (Comme un roman)
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Il existe dans tous les sentiments humains une fleur primitive, engendrĂ©e par un noble enthousiasme qui va toujours faiblissant jusquâĂ ce que le bonheur ne soit plus quâun souvenir et la gloire un mensonge
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Honoré de Balzac
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C'est un grand acte de sagesse à la fois et de pitié de la part du créateur, que de nous avoir interdit la connaissance de l'avenir, alors qu'il nous à octroyé les délices du souvenir et les prestiges de l'espérance.
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Maurice Druon (Les Rois maudits)
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Stop. J'en suis sorti. Des souvenirs. Du passĂ©. Mais tĂŽt ou tard les choses que tu as laissĂ© derriĂšre toi te rattrapent. Et les choses les plus simples, quand tu es amoureux, te semblent les plus belles. Parce que leur simplicitĂ© n'a pas d'Ă©gal. Et j'ai envie de crier. Dans ce silence qui fait mal. Stop. Laisse tomber. Reprends-toi. VoilĂ . FermĂ©. A double tour. Au fond du cĆur, bien au fond. Dans ce jardin. Quelques fleurs, un peu d'ombre et puis la douleur. Mets-les lĂ , cache les bien surtout, lĂ oĂč personne ne peut les voir. LĂ oĂč toi tu ne peux pas les voir.
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Federico Moccia (Ho voglia di te)
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Mais maintenant, brutalement sortie de ce tumulte, je voulais encore une fois revivre, pour en jouir rĂ©trospectivement, bribe par bribe, ces Ă©motions fugitives, grĂące Ă cette façon magique de se tromper soi-mĂȘme que nous appelons le souvenir...Ă vrai dire, ce sont lĂ des choses que l'on comprend ou que l'on ne comprend pas. Peut-ĂȘtre faut-il avoir un cĆur brĂ»lant, pour les concevoir.
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Stefan Zweig (Vingt-quatre heures de la vie d'une femme)
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Voir s'achever le temps de l'angoisse et de la crainte ! Voir se lever puis se dissoudre les nuĂ©es lugubres suspendues au-dessus de nous â ces sombres nuages qui attristent le cĆur et rĂ©duisent le bonheur Ă un vague souvenir ! Rares sont les ĂȘtres qui n'ont jamais Ă©prouvĂ© cette joie-lĂ .
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Richard Adams (Watership Down (Watership Down, #1))
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Le merveilleux d'une maison n'est point qu'elle vous abrite ou vous rĂ©chauffe, ni qu'on en possĂšde les murs. Mais bien qu'elle ait lentement dĂ©posĂ© en nous ces provisions de douceur. Qu'elle forme dans le fond du cĆur, ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes...
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Antoine de Saint-Exupéry (Terre des hommes)
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But, you will say, what a dreadful person you are, with your impossible religious notions and idiotic scruples. If my ideas are impossible or idiotic then I would like nothing better than to be rid of them. But this is roughly the way I actually see things. In Le philosophe sous les toits by Souvestre you can read what a man of the people, a simple craftsman, pitiful if you will, thinks of his country: âTu nâas peut-ĂȘtre jamais pensĂ© ĂĄ ce que câest la patrie, reprit-il, en me posant une main sur lâĂ©paule; câest tout ce qui tâentoure, tout ce qui tâa Ă©levĂ© et nourri, tout ce que tu as aimĂ©. Cette campagne que tu vois, ces maisons, ces arbres, ces jeunes filles qui passent lĂĄ en riant, câest la patrie! Les lois qui te protĂ©gent, le pain qui paye ton travail, les paroles que tu Ă©changes, la joie et la tristesse qui te viennent des hommes et des choses parmi lesquels tu vis, câest la patrie! La petite chambre oĂș tu as autrefois vu ta mere, les souvenirs quâelle tâa laisses, la terre oĂș elle repose, câest la patrie! Tu la vois, tu la respires partout! Figure toi, tes droits et tes devoirs, tes affections et tes besoins, tes souvenirs et ta reconnaissance, rĂ©unis tout ça sous un seul nom et ce nom sera la patrie.
â
â
Vincent van Gogh
â
Préface
J'aime l'idée d'un savoir transmis de maßtre à élÚve.
J'aime l'idĂ©e qu'en marge des "maĂźtres institutionnels" que sont parents et enseignants, d'autres maĂźtres soient lĂ pour dĂ©fricher les chemins de la vie et aider Ă y avancer. Un professeur d'aĂŻkido cĂŽtoyĂ© sur un tatami, un philosophe rencontrĂ© dans un essai ou sur les bancs d'un amphi-théùtre, un menuisier aux mains d'or prĂȘt Ă offrir son expĂ©rience...
J'aime l'idée d'un maßtre considérant comme une chance et un honneur d'avoir un élÚve à faire grandir. Une chance et un honneur d'assister aux progrÚs de cet élÚve. Une chance et un honneur de participer à son envol en lui offrant des ailes. Des ailes qui porteront l'élÚve bien plus haut que le maßtre n'ira jamais.
J'aime cette idée, j'y vois une des clefs d'un équilibre fondé sur la transmission, le respect et l'évolution.
Je l'aime et j'en ai fait un des axes du "Pacte des MarchOmbres".
Jilano, qui a Ă©tĂ© guidĂ© par EsĂźl, guide Ellana qui, elle-mĂȘme, guidera Salim...
Transmission.
Ellana, personnage Î combien essentiel pour moi (et pour beaucoup de mes lecteurs), dans sa complexité, sa richesse, sa volonté, ne serait pas ce qu elle est si son chemin n avait pas croisé celui de Jilano. Jilano qui a su développer les qualités qu'il décelait en elle. Jilano qui l'a poussée, ciselée, enrichie, libérée, sans chercher une seule fois à la modeler, la transformer, la contraindre. Respect. q Jilano, maßtre marchombre accompli. Maßtre accompli et marchombre accompli. Il sait ce qu'il doit à Esßl qui l'a formé. Il sait que sans elle, il ne serait jamais devenu l'homme qu'il est. L'homme accompli. Elle l'a poussé, ciselé, enrichi, libéré, sans chercher une seule fois à le modeler, le transformer, le contraindre. Respect.
Ăvolution.
Esßl, uniquement présente dans les souvenirs de Jilano, ne fait qu'effleurer la trame du Pacte des Marchombres. Nul doute pourtant qu'elle soit parvenue à faire découvrir la voie à Jilano et à lui offrir un élan nécessaire pour qu'il y progresse plus loin qu'elle.
Jilano agit de mĂȘme avec Ellana. Il sait, dĂšs le dĂ©part, qu'elle le distancera et attend ce moment avec joie et sĂ©rĂ©nitĂ©.
Ellana est en train de libérer les ailes de Salim.
Jusqu'oĂč s envolera-t-il grĂące Ă elle ?
J'aime cette idĂ©e, dans les romans et dans la vie, dâun maĂźtre transmettant son savoir Ă un Ă©lĂšve afin qu a terme il le dĂ©passe. J'aime la gĂ©nĂ©rositĂ© qu'elle induit, la confiance qu'elle implique en la capacitĂ© des hommes Ă s'amĂ©liorer.
J'aime cette idĂ©e, mĂȘme si croiser un maĂźtre est une chance rare et mĂȘme s'il existe bien d'autres maniĂšres de prendre son envol.
Lire.
Ăcrire.
S'envoler.
Pierre Bottero
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Pierre Bottero (Ellana, l'Envol (Le Pacte des MarchOmbres, #2))
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Les souvenirs nâappartiennent quâĂ ceux qui ont su vivre les instants de leur vie. Ils prennent leur place dans un album de photos et racontent une histoire. Quand lâexistence nâa Ă©tĂ© quâune attente, on ne possĂšde que les cartes postales adressĂ©es par nos regrets de lieux oĂč nous ne sommes pas allĂ©s de personnes que nous nâavons pas connues.
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Thierry Cohen (Si tu existes ailleurs)
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L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait Ă©laborĂ©. Ses propriĂ©tĂ©s sont bien connues. Il fait rĂȘver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagĂšre leurs rĂ©flexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au dĂ©lire des grandeurs ou Ă celui de la persĂ©cution, et rend les nations amĂšres, superbes, insupportables et vaines.
L'histoire justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout.
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Paul Valéry (Regards sur le monde actuel et autres essais)
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le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas! comme les années.
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Marcel Proust (Swannâs Way (In Search of Lost Time, #1))
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Pourquoi les enfants sont si cruels ? On parle toujours de leur "innocence", alors que, d'aprĂšs mes souvenirs de cours de rĂ©crĂ©, ils se comportent plutĂŽt comme des petits cons. Il suffit d'ĂȘtre un pu trop gros, un peu trop grand, un peu trop roux, de sentir un peu trop fort... Il n'y a rien d'innocent dans les horreurs qu'on m'a balancĂ©es quand j'Ă©tais petite.
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Holly Bourne (How Hard Can Love Be? (The Spinster Club, #2))
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Câest ça aussi, la vie. La vie, câest quâun jour je quitterai Pablo, ou Pablo me quittera. Je lui prĂ©fĂ©rai quelquâun ou il en aura marre de moi, et ce sera triste mais ce ne sera pas tragique. Et puis la tristesse passera, elle aussi, comme le bonheur, comme la vie, comme les souvenirs quâon oublie pour moins souffrir ou quâon mĂ©lange avec ceux des autres ou avec ses mensonges.
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Justine Lévy (Nothing Serious)
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Accepter que tel ou tel ĂȘtre, que nous aimions, soit mort. Accepter que tel et tel, vivants, aient eu leurs faiblesses, leurs bassesses, leurs erreurs, que nous essayons vainement de recourvrir de pieux mensonges, un peu par respect et par pitiĂ© pour eux, beaucoup par pitiĂ© pour nous-mĂȘmes, et pour la vaine gloire dâavoir aimĂ© seulement la perfection, lâintelligence ou la beautĂ©. Accepter quâils soient morts avant leur temps, parce quâil nây a pas de temps. Accepter de les oublier, puisque lâoubli fait partie de lâordre des choses. Accepter de sâen souvenir, puisquâen secret la mĂ©moire se cĂąche au fond de lâoubli. Accepter mĂȘme, mais en se promettant de faire mieux la prochaine fois, et Ă la prochaine rencontre, de les avoir maladroitement ou mĂ©diocrement aimĂ©s.
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Marguerite Yourcenar (Pellegrina e straniera)
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PlacĂ©e plus prĂšs du plafond que ne le sont d'habitude les simples mortels, Tonia sombrait dans la brume des souffrances qu'elle avait traversĂ©es, elle paraissait nimbĂ©e d'Ă©puisement. Elle s'Ă©levait au milieu de la salle comme, au milieu d'une baie, un navire qui viendrait de jeter l'ancre et se serait vidĂ© de son chargement d'Ăąmes nouvelles, amenĂ©es on ne sait d'oĂč sur le continent de la vie Ă travers l'ocĂ©an de la mort. Elle venait seulement de dĂ©barquer l'une de ces Ăąmes, et maintenant elle Ă©tait en rade et se reposait, de toute la vacuitĂ© de ses flancs allĂ©gĂ©s. Ses agrĂšs et sa carĂšne abĂźmĂ©s et surmenĂ©s se reposaient en mĂȘme temps qu'elle, ainsi que son oubli, le souvenir effacĂ© de l'endroit d'oĂč elle venait, de sa traversĂ©e et de son arrivĂ©e Ă bon port.
Et comme personne ne connaissait la géographie du pays sous le pavillon duquel elle était amarrée, on ne savait dans quelle langue lui adresser la parole.
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Boris Pasternak (Doctor Zhivago)
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MĂȘme les pires souvenirs finissent par s'oublier, si on en empile d'autres par-dessus, beaucoup d'autres. MĂȘme ceux qui vous ont cisaillĂ© le coeur, ceux qui vous ont rayĂ© le cerveau, mĂȘme les plus intimes. Surtout les plus intimes.
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Michel Bussi (Le temps est assassin)
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les hommes auraient des peines bien moins vives si⊠(Dieu sait pourquoi ils sont ainsi faitsâŠ), sâils nâappliquaient pas toutes les forces de leur imagination Ă renouveler sans cesse le souvenir de leurs maux, au lieu de se rendre le prĂ©sent supportable.
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sufferings of Young Werther)
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Et tout dâun coup le souvenir mâest apparu. Ce goĂ»t, câĂ©tait celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin Ă Combray (parce que ce jour-lĂ je ne sortais pas avant lâheure de la messe), quand jâallais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante LĂ©onie mâoffrait aprĂšs lâavoir trempĂ© dans son infusion de thĂ© ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne mâavait rien rappelĂ© avant que je nây eusse goĂ»tĂ© ; peut-ĂȘtre parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pĂątissiers, leur image avait quittĂ© ces jours de Combray pour se lier Ă dâautres plus rĂ©cents ; peut-ĂȘtre parce que, de ces souvenirs abandonnĂ©s si longtemps hors de la mĂ©moire, rien ne survivait, tout sâĂ©tait dĂ©sagrĂ©gĂ© ; les formes â et celle aussi du petit coquillage de pĂątisserie, si grassement sensuel sous son plissage sĂ©vĂšre et dĂ©vot â sâĂ©taient abolies, ou, ensommeillĂ©es, avaient perdu la force dâexpansion qui leur eĂ»t permis de rejoindre la conscience. Mais, quand dâun passĂ© ancien rien ne subsiste, aprĂšs la mort des ĂȘtres, aprĂšs la destruction des choses, seules, plus frĂȘles mais plus vivaces, plus immatĂ©rielles, plus persistantes, plus fidĂšles, lâodeur et la saveur restent encore longtemps, comme des Ăąmes, Ă se rappeler, Ă attendre, Ă espĂ©rer, sur la ruine de tout le reste, Ă porter sans flĂ©chir, sur leur gouttelette presque impalpable, lâĂ©difice immense du souvenir.
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Marcel Proust (Swannâs Way (In Search of Lost Time, #1))
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Il fallait cueillir sur ses lĂšvres les mots quâelle sâarrachait dans un souffle et que leur mystĂšre rendait troublants comme des oracles. Ses souvenirs, ses idĂ©es, ses soucis flottaient hors du temps, transformĂ©s en rĂȘves irrĂ©els et poignants par sa voix puĂ©rile et lâimminence de sa mort.
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Simone de Beauvoir (A Very Easy Death)
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L'exode relĂšve de la condition humaine.
Pourtant, ceux qui ,e fuient pas refusent cette rĂ©alitĂ©. Provisoirement Ă l'abri, campĂ©s sur leur terrain ainsi qu'un chĂȘne dans le sol, prenant leurs pieds pour des racines, ils estiment que l'espace leur appartient et considĂšrent le migrant comme un ĂȘtre infĂ©rieur doublĂ© d'une nuisance. Quelle bĂȘtise aveugle ! J'aimerais tant que l'esprit de leurs aĂŻeux circule en eux pour leur rappeler les kilomĂštres parcourus, les transhumances sans fin, la peur au ventre, l'incertitude, la faim. Pourquoi, au fond de leur chair, ne subsistent pas les souvenirs de leurs anciens qui survĂ©curent au danger, Ă l'hostilitĂ©, Ă la misĂšre, aux guerres ? La mĂ©moire de ces courages ou des ces sacrifices auxquels ils doivent leur vie les rendraient moins sots. S'ils connaissaient et reconnaissaient leur histoire, leur fragilitĂ© constitutive, la volatilitĂ© de leur identitĂ©, ils perdraient l'illusion de leur supĂ©rioritĂ©. Il n'existe pas d'humain plus lĂ©gitime Ă habiter ici que lĂ . Le migrant, ce n'est pas l'autre ; le migrant, c'est moi hier ou moi demain. Par ses ancĂȘtres ou par ses descendants, chacun de nous porte mille migrants en lui.
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Ăric-Emmanuel Schmitt (Paradis perdus (La traversĂ©e des temps, #1))
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Un peu comme lorsque je rentre d'un voyage quelque part et que tout le monde me demande comment c'Ă©tait : peu Ă peu mes diffĂ©rentes rĂ©ponses n'en font plus qu'une, mes impressions se resserrent sur elles-mĂȘmes, ouais, c'est cool, lĂ -bas, et tiens, une anecdote marrante... puis ce discours unique se substitue Ă la rĂ©alitĂ© du souvenir.
Du coup, j'ai franchement eu peur. J'ai ressenti cette crainte familiÚre, soudainement intense et sincÚre, qu'une fois toute sensation échappée de ma vie, il ne reste plus de celle-ci qu'un cliché. Et le jour de ma mort, saint Pierre me demanderait :
- C'était comment ?
- Vraiment super, en bas. J'aimais bien la bouffe. m'enfin, avec la tourista... Bon, les gens sont tous trĂšs sympas quand mĂȘme.
Et ça serait tout. (...)
Et j'ai décidé de raconter quelque chose de nouveau sur mon séjour à chaque personne qui voudrait que je lui en parle, sans me répéter une seule fois.
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Benjamin Kunkel (Indecision)
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Il paraĂźt qu'Ă soixante-dix ans, c'est le meilleur souvenir qu'il vous reste. Le sexe. C'est ma grand-mĂšre qui m'a dit ça. Elle m'a dit, tu sais quand on a mon Ăąge, les plus beaux souvenirs qu'il vous reste ce sont les nuits d'amour. C'est ses mots Ă elle, mais je sais bien ce que ça veut dire. Ăa veut dire qu'il n'y a rien de tel, aprĂšs avoir bien pris son pied, que de se coller contre un homme en lui tenant la bite encore toute chaude comme un petit Ă©cureuil endormi. Tricote-toi des souvenirs, elle me dit, ma grand-mĂšre, alors moi, je fais comme elle me dit et je me tricote des souvenirs pour me faire des pulls et des pulls pour quand je serai vieille et que j'aurai toujours froid. Parce que les vieux, ils ont toujours froid. Ils ont froid de ne plus pouvoir vivre les choses. C'est ça, qui donne froid, c'est de plus pouvoir s'assouvir, de plus pouvoir se donner Ă fond Ă ce qu'on a envie de vivre.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Que se serait-il passĂ© ? Lol ne va pas loin dans l'inconnu sur lequel s'ouvre cet instant. Elle ne dispose d'aucun souvenir mĂȘme imaginaire, elle n'a aucune idĂ©e sur cet inconnu. Mais ce qu'elle croit, c'est qu'elle devait y pĂ©nĂ©trer, que c'Ă©tait ce qu'il lui fallait faire, que ç'aurait Ă©tĂ© pour toujours, pour sa tĂȘte et pour son corps, leur plus grande douleur et leur plus grande joie confondues jusque dans leur dĂ©finition devenue unique mais innommable faute d'un mot. J'aime Ă croire, comme je l'aime, que si Lol est silencieuse dans la vie c'est qu'elle a cru, l'espace d'un Ă©clair, que ce mot pouvait exister. Faute de son existence, elle se tait. Ă'aurait Ă©tĂ© un mot-absence, un mot-trou, creusĂ© en son centre d'un trou, de ce trou oĂč tous les autres mots auraient Ă©tĂ© enterrĂ©s. On n'aurait pas pu le dire mais on aurait pu le faire rĂ©sonner. Immense, sans fin, un gong vide, il aurait retenu ceux qui voulaient partir, il les aurait convaincus de l'impossible, il les aurait assourdis Ă tout autre vocable que lui-mĂȘme, en une fois il les aurait nommĂ©s, eux, l'avenir et l'instant. Manquant, ce mot, il gĂąche tous les autres, les contamine, c'est aussi le chien mort de la plage en plein midi, ce trou de chair.
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Marguerite Duras (The Ravishing of Lol Stein)
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Ceux qui sâaiment ne se sentent ni ne se voient vieillir ; les vifs plaisirs qui Ă©taient les leurs autrefois sont devenus des souvenirs dont ils sont heureux et fiers ; lâentente avec un ĂȘtre de lâautre sexe, sans la moindre rĂ©ticence, sans une seule querelle en deux dĂ©cennies, est Ă tout Ăąge une fĂ©licitĂ©.
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Paul Veyne (Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas. Souvenirs)
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La grandeur d'un mĂ©tier est peut-ĂȘtre, avant tout, d'unir des hommes : il n'est qu'un luxe vĂ©ritable, et c'est celui des relations humaines.
En travaillant pour les seuls biens matĂ©riels, nous bĂątissons nous-mĂȘmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre.
Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. On n'achÚte pas l'amitié d'un Mermoz, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours. (p. 35-36)
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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- Alors, ce que je dis, c'est que le cancer, c'est rien, Rakel. Tu vas mourir de honte aussi, et je te promets que ce sera pire que tout. Je veillerai personnellement à ce que toutes les saloperies que t'as faites soient étalées au grand jour, et que ce soit là tout le souvenir que tu laisseras. Tu vas crever dans ta propre merde.
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David Lagercrantz (The Girl Who Takes an Eye for an Eye (Millennium, #5))
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Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. On n'achÚte pas l'amitié d'un Mermoz, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours.
Cette nuit de vol et ses cent mille étoiles, cette sérénité, cette souveraineté de quelques heures, l'argent ne les achÚte pas.
Cet aspect neuf du monde aprĂšs l'Ă©tape difficile, ces arbres, ces fleurs, ces femmes, ces sourires fraĂźchement colorĂ©s par la vie qui vient de nous ĂȘtre rendue Ă l'aube, ce concert de petites choses qui nous rĂ©compensent, l'argent ne les achĂšte pas.
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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Il me semble que chaque fois que je raconte un souvenir, il devient un peu plus rĂ©cit et un peu moins mĂ©moire, et que tout ce qui ne se raconte pas, les sons, les sensations, tout cela disparaĂźt progressivement au profit des mots, jusquâĂ ce que tout ce que je finisse par me rappeler soit le rĂ©cit du souvenir, et non le souvenir lui-mĂȘme.
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Maude Nepveu-Villeneuve (AprÚs Céleste (French Edition))
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C'est sous la pression de l'Histoire et de la tradition, que s'Ă©tablissent les Ă©critures possibles d'un Ă©crivain donnĂ©: il y a une Histoire de l'Ă©criture; mais cette Histoire est double: au moment mĂȘme oĂč l'Histoire gĂ©nĂ©rale propose -- ou impose -- une nouvelle problĂ©matique du langage littĂ©raire, l'Ă©criture reste encore pleine du souvenir de ses usages antĂ©rieurs, car le langage n'est jamais innocent: les mots ont une mĂ©moire seconde qui se prolonge mystĂ©rieusement au milieu des significations nouvelles. L'Ă©criture est prĂ©cisĂ©ment ce compromis entre une libertĂ© et une souvenir, elle est cette libertĂ© souvenante qui n'est libertĂ© que dans le geste du choix, mais dĂ©ja plus dans sa durĂ©e.
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Roland Barthes
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Quand je considÚre ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flÚche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes...
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ăa et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă s'exprimer et Ă se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Si, comme il arrivait quelquefois, elle avait les traits dâune femme que jâavais connue dans la vie, jâallais me donner tout entier Ă ce but : la retrouver, comme ceux qui partent en voyage pour voir de leurs yeux une citĂ© dĂ©sirĂ©e et sâimaginent quâon peut goĂ»ter dans une rĂ©alitĂ© le charme du songe. Peu Ă peu son souvenir sâĂ©vanouissait, jâavais oubliĂ© la fille de mon rĂȘve.
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Gustave Flaubert (A la recherche du temps perdu)
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Jâaime beaucoup les cimetiĂšres, moi, ça me repose et me mĂ©lancolise jâen ai besoin. Et puis, il y a aussi de bons amis lĂ dedans, de ceux quâon ne va plus voir ; et jây vais encore, moi, de temps en temps.
Justement, dans ce cimetiĂšre Montmartre, jâai une histoire de cĆur, une maĂźtresse qui mâavait beaucoup pincĂ©, trĂšs Ă©mu, une charmante petite femme dont le souvenir, en mĂȘme temps quâil me peine Ă©normĂ©ment, me donne des regrets⊠des regrets de toute nature. Et je vais rĂȘver sur sa tombe⊠Câest fini pour elle.
Et puis, jâaime aussi les cimetiĂšres, parce que ce sont des villes monstrueuses, prodigieusement habitĂ©es. Songez donc Ă ce quâil y a de morts dans ce petit espace, Ă toutes les gĂ©nĂ©rations de Parisiens qui sont logĂ©s lĂ , pour toujours, troglodytes dĂ©finitifs enfermĂ©s dans leurs petits caveaux, dans leurs petits trous couverts dâune pierre ou marquĂ©s dâune croix, tandis que les vivants occupent tant de place et font tant de bruit, ces imbĂ©ciles.
Me voici donc entrant dans le cimetiĂšre Montmartre, et tout Ă coup imprĂ©gnĂ© de tristesse, dâune tristesse qui ne faisait pas trop, de mal, dâailleurs, une de ces tristesses qui vous font penser, quand on se porte bien : « Ăa nâest pas drĂŽle, cet endroit-lĂ , mais le moment nâen est pas encore venu pour moi⊠»
Lâimpression de lâautomne, de cette humiditĂ© tiĂšde qui sent la mort des feuilles et le soleil affaibli, fatiguĂ©, anĂ©mique, aggravait en la poĂ©tisant la sensation de solitude et de fin dĂ©finitive flottant sur ce lieu, qui sent la mort des hommes.
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Guy de Maupassant (La Maison Tellier)
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Un jour viendra, ai-je dit, oĂč nous serons tous morts. Tous. Un jour viendra oĂč il ne restera plus aucun ĂȘtre humain pour se rappeler l'existence des hommes. Un jour viendra oĂč il ne restera plus personne pour se souvenir d'Aristote ou de ClĂ©opĂątre, encore moins de toi. Tout ce qui a Ă©tĂ© fait, construit, Ă©crit, pensĂ© ou dĂ©couvert sera oubliĂ©, et tout ça, ai-je ajoutĂ© avec un geste large, n'aura servi Ă rien. Ce jour viendra bientĂŽt ou dans des millions d'annĂ©es. Quoi qu'il arrive, mĂȘme si nous survivons Ă la fin du soleil, nous ne survivrons pas toujours. Du temps s'est Ă©coulĂ© avant que les organismes acquiĂšrent une conscience et il s'en Ă©coulera aprĂšs. Alors si l'oubli inĂ©luctable de l'humanitĂ© t'inquiĂšte, je te conseille de ne pas y penser. C'est ce que tout le monde fait.
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John Green (The Fault in Our Stars)
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Elle s'astreignit Ă se souvenir du froid glacial et du silence qui rĂ©gnait, de cette sensation sans prix d'ĂȘtre les maĂźtres de la Terre, d'avoir vingt ans et toute la vie devant soit, de s'aimer en paix, grisĂ©s par l'odeur des bois et de l'amour, sans passĂ©, sans avenir Ă sonder, avec pour seule et extraordinaire richesse celle de l'instant prĂ©sent oĂč ils se contemplaient, se humaient, s'embrassaient, se dĂ©couvraient l'un l'autre dans le murmure du vent parmi les branches et la proche rumeur des vagues dĂ©ferlant contre les rochers au pied des falaises puis explosant dans un tonnerre d'Ă©cume odorante, elle et lui enlacĂ©s sous un mĂȘme poncho comme deux siamois dans la mĂȘme peau, riant et se jurant que ce serait pour toujours, convaincus d'ĂȘtre les seuls dans tout l'univers Ă avoir dĂ©couvert l'amour.
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Isabel Allende (The House of the Spirits)
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Jâai arpentĂ© les galeries sans fin des grandes bibliothĂšque, les rues de cette ville qui fĂ»t la nĂŽtre, celle oĂč nous partagions presque tous nos souvenirs depuis lâenfance. Hier, jâai marchĂ© le long des quais, sur les pavĂ©s du marchĂ© Ă ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrĂȘtĂ© par-ci par-lĂ , il me semblait que tu mâaccompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar prĂšs du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ?
Je ne sais pas oĂč tu es. Je ne sais pas si tout ce que nous avons vĂ©cu avait un sens, si la vĂ©ritĂ© existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que jâai tenu ma promesse, celle que je tâai faite.
A mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens dâĂ©crire, en amitiĂ© on ne doit rien. Mais voici nĂ©anmoins ma requĂȘte : Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, jâai arpentĂ© les mĂȘmes rues, ri avec toi autour des mĂȘmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles oĂč nous avons posĂ© nos mais et nos regards contient Ă jamais une part de notre histoire. Dis-lui, que jâĂ©tais ton ami, que tu Ă©tais mon frĂšre, peut-ĂȘtre mieux encore puisque nous nous Ă©tions choisis, dis-lui que rien nâa jamais pu nous sĂ©parer, mĂȘme votre dĂ©part si soudain.
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Marc Levy (La prochaine fois)
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- Alors ?
- J'ai du plaisir Ă sentir mon corps se remettre Ă fonctionner, Salim. Je me dĂ©lecte de mes enjambĂ©es qui se fluidifient, du frottement de mes bras contre mon torse, de l'oxygĂšne qui entre dans mes poumons, j'apprĂ©cie mĂȘme la douleur dans mes muscles et mon souffle court... Comprends-tu ?
- Je crois, oui, répondit Salim soudain attentif.
- Alors Ă©coute la suite. Je dĂ©sire marcher pour redevenir moi-mĂȘme mais, par-dessus tout, je dĂ©sire dĂ©couvrir un trajet que j'ai effectuĂ© dans tes bras et dont je ne garde pas le moindre souvenir. Si j'en Ă©tais capable, je l'accomplirais en te portant sur mon dos pour comprendre la force qui t'a soutenu, sans boire et sans manger, sans certitude pour motiver tes pas. Je veux marcher parce que je te suis redevable, Salim, c'est le seul moyen dont je dispose pour rembourser une infime partie de ma dette. Un pas sur le cĂŽtĂ© amoindrirait ton geste et je t'aime trop pour te diminuer.
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Pierre Bottero (La ForĂȘt des captifs (Les Mondes d'Ewilan, #1))
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Les passantes :
Je veux dédier ce poÚme
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connait Ă peine
Qu'un destin différent entraine
Et qu'on ne retrouve jamais
......
A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font apparaitre court le chemin
Qu'on est seul, peut-ĂȘtre Ă comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main.
....
ChÚres images aperçues
Espérances d'un jour deçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin.
Mais si lon a manqué sa vie
On songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus.
Alors aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantĂŽmes du souvenir
On pleure les lĂšvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir.
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Antoine Polin
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Moi qui ai eu la chance, malgrĂ© quelques grosses sĂ©quelles, de me relever et de retrouver une autonomie totale, je pense souvent Ă cette incroyable pĂ©riode de ma vie et surtout Ă tous mes compagnons dâinfortune. Ă part Samia, peut-ĂȘtre, je sais pertinemment que les autres sont toujours dans leurfauteuil, quâils sont contraints Ă une assistance permanente, quâils ont toujours droit aux sondages urinaires, aux transferts, aux fauteuils-douches, aux sĂ©ances de verticalisation⊠Ils sont pour toujours confrontĂ©s Ă ces mots qui ont Ă©tĂ© mon quotidien, cette annĂ©e-lĂ
Jâai fait trois autres centres de rééducation par la suite, mais jamais je nâai autant ressenti la violence de cette immersion dans le monde du handicap que lors de ces quelques mois. Jamais je nâai retrouvĂ© autant de malheur et autant dâenvie de vivre rĂ©unis en un mĂȘme lieu, jamais je nâai croisĂ© autant de souffrance et dâĂ©nergie, autant dâhorreur et dâhumour. Et jamais plus je nâai ressenti autant dâintensitĂ© dans le rapport des ĂȘtres humains Ă lâincertitude de leur avenir ..
Je ne connaissais rien de ce monde-lĂ avant mon accident. Je me demande mĂȘme si jây avais dĂ©jĂ vraiment pensĂ©. Bien sĂ»r, cette expĂ©rience aussi difficile pour moi que pour mon entourage proche mâa beaucoup appris sur moi-mĂȘme, sur la fragilitĂ© de lâexistence (et celle des vertĂšbres cervicales). Personne dâautre ne sait mieux que moi aujourdâhui quâune catastrophe nâarrive pas quâaux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mĂ©rite le plus .
Mais, au-delĂ de ces lourds enseignements et de ces grandes considĂ©rations, ce qui me reste surtout de cette pĂ©riode, ce sont les visages et les regards que jâai croisĂ©s dans ce centre. Ce sont les souvenirs de ces ĂȘtres qui, Ă lâheure oĂč jâĂ©cris ces lignes, continuent chaque jour de mener un combat quâils nâont jamais lâimpression de gagner.Si cette Ă©preuve mâa fait grandir et progresser, câest surtout grĂące aux rencontres quâelle mâaura offertes.
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Grand corps malade (Patients)
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Nous allons te parler de gens qui vivaient en notre temps, soit il y a plus de cent ans, et ne sont guĂšre plus pour toi que des noms inscrits sur des croix inclinĂ©es ou des pierres tombales fissurĂ©es. D'une vie et de souvenirs qui ont disparu en vertu de l'implacable loi du temps. En cela, nous allons le changer. Nos paroles sont telles des brigades de sauveteurs qui jamais ne renoncent Ă leur quĂȘte, leur but est d'arracher des Ă©vĂ©nements passĂ©s et des vies Ă©teintes au trou noir de l'oubli et cela n'a rien d'une petite entreprise, mais il se peut aussi qu'elles glanent en chemin quelques rĂ©ponses et qu'elles nous dĂ©livrent de l'endroit oĂč nous nous tenons avant qu'il ne soit trop tard. Contentons-nous de cela pour l'instant, nous t'envoyons ces mots, ces brigades de sauveteurs dĂ©semparĂ©es et Ă©parses. Elles sont incertaines de leur rĂŽle, toutes les boussoles sont hors d'usage, les cartes de gĂ©ographie dĂ©chirĂ©es ou obsolĂštes, mais rĂ©serve-leur tout de mĂȘme bon accueil. Ensuite, nous verrons bien. (p. 4)
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JĂłn Kalman StefĂĄnsson (HimnarĂki og helvĂti)
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Je voudrais bien ĂȘtre mystique ; il doit y avoir de belles voluptĂ©s Ă croire au paradis, Ă se noyer dans des flots d'encens, Ă s'anĂ©antir au pied de la Croix, . . . c'est une belle chose que l'autel couvert de fleurs qui embaument â c'est une belle vie que celle des saints, j'aurais voulu mourir martyr, . . . je comprends bien que les gens qui jeĂ»nent se rĂ©galent de leur faim et jouissent de privations, c'est un sensualisme bien plus fin que l'autre, ce sont les voluptĂ©s, les tressaillements, les bĂ©atitudes du coeur.
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Gustave Flaubert (Souvenirs / Notes et Pensees Intimes)
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Un aveu. Je fais autre chose encore, autre chose que visualiser la scÚne, autre chose que convoquer un souvenir, je me dis  : à quoi Thomas a-t-il pensé, quand ça a été le dernier moment  ? aprÚs avoir passé la corde autour de son cou  ? avant de renverser la chaise  ? et d'abord, combien de temps cela a-t-il duré  ? une poignée de secondes  ? puisqu'il ne servait à rien de perdre du temps, la décision avait été prise, il fallait la mettre à exécution, une minute  ? mais c'est interminable, une minute, dans ces circonstances, et alors comment l'a-t-il remplie  ? avec quelles pensées  ? et j'en reviens à ma question. A-t-il fermé les yeux et revu des épisodes de son passé, de la tendre enfance, par exemple son corps étendu en croix dans l'herbe fraßche, tourné vers le bleu du ciel, la sensation de chaleur sur sa joue et sur ses bras  ? de son adolescence  ? une chevauchée à moto, la résistance de l'air contre son torse  ? a-t-il été rattrapé par des détails auxquels il ne s'attendait pas  ? des choses qu'il croyait avoir oubliées  ? ou bien a-t-il fait défiler des visages ou des lieux, comme s'il s'agissait de les emporter avec lui  ? (à la fin, je suis convaincu qu'en tout cas, il n'a pas envisagé de renoncer, que sa détermination n'a pas fléchi, qu'aucun regret, s'il y en a eu, n'est venu contrarier sa volonté.) Je traque cette ultime image formée dans son esprit, surgie de sa mémoire, non pas pour escompter y avoir figuré mais pour croire qu'en la découvrant, je renouerais avec notre intimité, je serais à nouveau ce que nul autre n'a été pour lui.
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Philippe Besson (« ArrĂȘte avec tes mensonges »)
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Jâai reçu avant-hier votre PrĂ©face de la Terreur et je vous en remercie du fond de lâĂąme. Ce nâest pas du souvenir que je vous remercie, car je suis accoutumĂ© Ă vos bienveillances â mais de la chose en elle-mĂȘme. Je hais comme vous la prĂȘtraille jacobine, Robespierre et ses fils que je connais pour les avoir lus et frĂ©quentĂ©s. Le livre que je finis maintenant mâa forcĂ© Ă Ă©tudier un peu le socialisme. Je crois quâune partie de nos maux viennent du nĂ©o-catholicisme rĂ©publicain. Jâai relevĂ© dans les prĂ©tendus hommes du progrĂšs, Ă commencer par Saint-Simon et Ă finir par Proudhon, les plus Ă©tranges citations. Tous partent de la rĂ©vĂ©lation religieuse.
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Gustave Flaubert (GUSTAVE FLAUBERT Correspondance: Tome 4 -1869-1875 (French Edition))
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Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, lâodeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altĂ©rĂ© dans lâeau dâune source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans lâair.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que jâentends dans tes cheveux ! Mon Ăąme voyage sur le parfum comme lâĂąme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rĂȘve, plein de voilures et de mĂątures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, oĂč lâespace est plus bleu et plus profond, oĂč lâatmosphĂšre est parfumĂ©e par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
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Charles Baudelaire
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J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la thĂ©orie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inĂ©branlable." Il me disait cela plein de passion et sur le ton d'un pĂšre disant : "Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches Ă l'Ă©glise !" Quelque peu Ă©tonnĂ©, je lui demandai : "Un bastion -- contre quoi ?" Il me rĂ©pondit : "Contre le flot de vase noire deâŠ" Ici il hĂ©sita un moment pour ajouter : "⊠de l'occultisme !" Ce qui m'alarma d'abord, c'Ă©tait le "bastion" et le "dogme" ; un dogme c'est-Ă -dire une profession de foi indiscutable, on ne l'impose que lĂ oĂč l'on veut une fois pour toutes Ă©craser un doute. Cela n'a plus rien d'un jugement scientifique, mais relĂšve uniquement d'une volontĂ© personnelle de puissance.
Ce choc frappa au cĆur notre amitiĂ©. Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position. Freud semblait entendre par "occultisme" Ă peu prĂšs tout ce que la philosophie et la religion -- ainsi que la parapsychologie qui naissait vers cette Ă©poque -- pouvaient dire de l'Ăąme. Pour moi, la thĂ©orie sexuelle Ă©tait tout aussi "occulte" -- c'est-Ă -dire non dĂ©montrĂ©e, simple hypothĂšse possible, comme bien d'autres conceptions spĂ©culatives. Une vĂ©ritĂ© scientifique Ă©tait pour moi une hypothĂšse momentanĂ©ment satisfaisante, mais non un article de foi Ă©ternellement valable. (p. 244)
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C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
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LâĂ©criture est un moyen de saisir lâinstant. Pas comme dans lâexpression carpe diem, parce que lâĂ©criture en simultanĂ©, tout comme la prise frĂ©nĂ©tique de photos, masque le rĂ©el au moment oĂč il se produit, empĂȘche de vivre le voyage. LâĂ©criture nâest pas une photo qui figerait Ă jamais une seconde dâintense singularitĂ© â quitte Ă la provoquer, comme le font parfois les photographes. Elle est un clichĂ© Ă postĂ©riori, qui essaie dâembrasser tout le souvenir de lâinstant. Dans le petit ou grand Ă©cart entre le temps racontant et le temps racontĂ© se situe tout le jeu et tout lâenjeu des rĂ©cits â ceux du rĂ©el ou ceux de la fiction. La poĂ©sie, elle qui ne nĂ©cessite pas la narration, permet de condenser les temps en une seule Ă©nonciation qui les contient tous.
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Sylvie Bérard (Oubliez)
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Et puis, le manque est arrivĂ©, dans le moment oĂč je mây attendais le moins, il est arrivĂ© alors que jâavais presque fini par croire Ă mon amnĂ©sie.
Câest terrible, la morsure du manque. Ăa frappe sans prĂ©venir, lâattaque est sournoise tout dâabord, on ressent juste une vive douleur qui disparaĂźt presque dans la foulĂ©e, câest bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitĂŽt, on considĂšre que lâattaque est passĂ©e, on nâest mĂȘme pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on nâa pas eu le temps de sâinquiĂ©ter, câest parti si vite, on se sent dĂ©jĂ beaucoup mieux, on se sent mĂȘme parfaitement bien, tout de mĂȘme on garde un souvenir dĂ©sagrĂ©able de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y rĂ©ussit, la vie continue, le monde nous appelle, lâurgence commande.
Et puis, ça revient, le jour dâaprĂšs, lâattaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un mĂ©chant rictus, on se dit : quelque chose est Ă l'Ćuvre Ă lâintĂ©rieur, on pense Ă ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers gĂ©nĂ©ralisĂ©s jusque-lĂ insoupçonnables, on Ă©prouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment.
Et puis, le mal devient lancinant, il sâinstalle comme un intrus quâon nâest pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend quâon ne sâen dĂ©barrassera pas, quâon est foutu.
Oui, un jour, le manque est arrivé. Le manque de lui.
Au dĂ©but, jâai fait comme si je ne mâen rendais pas compte, le traitant par lâindiffĂ©rence, par le mĂ©pris, je me savais plus fort que lui, jâĂ©tais en mesure de le dominer, de lâĂ©liminer, câĂ©tait juste une question de volontĂ© ou de temps, je nâĂ©tais pas le genre Ă me laisser abattre par quelque chose dâaussi tĂ©nu, dâaussi risible.
Et puis, il mâa fallu me rendre Ă lâĂ©vidence : ce match, je nâĂ©tais pas en train de le gagner, jâallais peut-ĂȘtre mĂȘme le perdre, et je ne possĂ©dais pas le moyen dâĂ©chapper Ă cette dĂ©route et plus je luttais, plus je cĂ©dais du terrain ; plus je niais la rĂ©alitĂ©, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaĂźtre : jâĂ©tais dĂ©vorĂ© par ça, le manque de lui.
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Philippe Besson (Un homme accidentel)
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Or quâest-ce que lâintĂ©ressant ? Câest un de nos principaux mobiles, il explique une bonne part des conduites humaines, culturelles et autres, bien quâil soit souvent oubliĂ© dans les Ă©numĂ©rations. Dâaccord, le sexe, lâargent, le pouvoir... LâintĂ©ressant, lui, ne sâexplique par rien, il nâest pas utile, ni Ă©goĂŻste, ni altruiste, il nâest pas nĂ©cessairement rare, plaisant, Ă©levĂ©, prĂ©cieux ou beau : lâintĂ©ressant est dĂ©sintĂ©ressĂ©, nous avons avec lui la relation purement objective dont parle un des grands philosophes allemands du siĂšcle passĂ© â non, ce nâest pas Heidegger, cet ex-chrĂ©tien qui, comme saint Augustin, condamne la vaine curiositĂ©, mais bien Georg Simmel. Lâhumaniste PĂ©trarque la condamne aussi ; fier dâavoir fait (comme moi) lâascension du mont Ventoux, il ne sâen blĂąme pas moins de cette vaine entreprise, dĂ©pourvue de piĂ©tĂ©. Un chercheur, un historien est mĂ» par la valeur de lâobjet "vĂ©ritĂ©", sans que s'y mĂȘle l'idĂ©e d'un quelconque profit pour qui que ce soit. Ce qui peut dĂ©plaire Ă des croyants ou Ă un gouvernement. Il demeure que cet intĂ©rĂȘt dĂ©sintĂ©ressĂ© est peut-ĂȘtre le point le plus Ă©levĂ© que puissent atteindre les animaux supĂ©rieurs. Tous ont l'Ă©trange facultĂ© de s'intĂ©resser Ă ce qui ne leur sert Ă rien.
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Paul Veyne (Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas. Souvenirs)
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AssurĂ©ment, si mon mal pouvait se guĂ©rir, ces gens le guĂ©riraient. Câest aujourdâhui mon jour de naissance ; et, de grand matin, je reçois dâAlbert un petit paquet. En lâouvrant, ce qui frappe dâabord mes yeux, câest un des nĆuds de rubans rosĂ©s que Charlotte portait, le premier jour oĂč je la vis, et que depuis lors je lâavais quelquefois priĂ©e de me donner ; puis deux petits volumes in-douze, le petit HomĂšre de Wetstein, Ă©dition que jâavais souvent dĂ©sirĂ©e, pour.ne pas traĂźner Ă la promenade celle dâErnesti. VoilĂ comme ils prĂ©viennent mes dĂ©sirs, comme ils cherchent Ă me tĂ©moigner toutes les petites complaisances de lâamitiĂ©, mille fois plus prĂ©cieuses que ces prĂ©sents magnifiques, par lesquels la vanitĂ© du donateur nous humilie. Je baise ce nĆud mille fois le jour, et, Ă chaque aspiration, je savoure le souvenir des fĂ©licitĂ©s dont me comblĂšrent ce peu de jours heureux, passĂ©s pour jamais. Wilhelm, câest comme cela, et je ne murmure point : les fleurs de la terre ne sont que des apparitions. Combien se flĂ©trissent sans laisser aucune trace. Combien peu fructifient, et combien peu de ces fruits mĂ»rissent ! Et pourtant il en est assez encore ; et pourtantâŠ. ĂŽ mon frĂšreâŠ. pouvons-nous nĂ©gliger les fruits mĂ»rs, les mĂ©priser, et, sans en jouir, les abandonner Ă la pourriture ?
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Je me trouvais en quelque lieu vague et trouble... Je dis « lieu » par habitude, car maintenant toute conception de distance et de durĂ©e Ă©tait abolie pour moi, et je ne puis dĂ©terminer combien de temps je restai en cet Ă©tat. Je nâentendais rien, ne voyais rien, je pensais seulement et avec force et persistance.
Le grand problĂšme qui mâavait tourmentĂ© toute ma vie Ă©tait rĂ©solu : la mort nâexiste pas, la vie est infinie. Jâen Ă©tais convaincu bien avant ; mais jadis je ne pouvais formuler clairement ma conviction : elle se basait sur cette seule considĂ©ration que, astreinte Ă des limites, la vie nâest quâune formidable absurditĂ©. Lâhomme pense ; il perçoit ce qui lâentoure, il souffre, jouit et disparaĂźt ; son corps se dĂ©compose et fournit ses Ă©lĂ©ments Ă des corps en formation : cela, chacun le peut constater journellement, mais que devient cette force apte Ă se connaĂźtre soi-mĂȘme et Ă connaĂźtre le monde qui lâentoure ? Si la matiĂšre est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipĂąt sans traces, et, si elle disparaĂźt, dâoĂč venait-elle et quel est le but de cette apparition Ă©phĂ©mĂšre ? Il y avait lĂ des contradictions que je ne pouvais admettre.
Maintenant je sais, par ma propre expĂ©rience, que la conscience persiste, que je nâai pas cessĂ© et probablement ne cesserai jamais de vivre. Voici que derechef mâobsĂšdent ces terribles questions : si je ne meurs pas, si je reviens toujours sur la terre, quel est le but de ces existences successives, Ă quelles lois obĂ©issent-elles et quelle fin leur est assignĂ©e ? Il est probable que je pourrais discerner cette loi et la comprendre si je me rappelais mes existences passĂ©es, toutes, ou du moins quelques-unes ; mais pourquoi lâhomme est-il justement privĂ© de ce souvenir ? pourquoi est-il condamnĂ© Ă une ignorance Ă©ternelle, si bien que la conception de lâimmortalitĂ© ne se prĂ©sente Ă lui que comme une hypothĂšse, et si cette loi inconnue exige lâoubli et les tĂ©nĂšbres, pourquoi dans ces tĂ©nĂšbres, dâĂ©tranges lumiĂšres apparaissent-elles parfois, comme il mâest arrivĂ© quand je suis entrĂ© au chĂąteau de La Roche-Maudin ?
De toute ma volontĂ©, je me cramponnais Ă ce souvenir comme le noyĂ© Ă une Ă©pave ; il me semblait que si je me rappelais clairement et exactement ma vie dans ce chĂąteau je comprendrais tout le reste. Maintenant quâaucune sensation du dehors ne me distrayait, je mâabandonnais aux houles du souvenir, inerte et sans pensĂ©e pour ne pas gĂȘner leur mouvement, et tout Ă coup, du fond de mon Ăąme comme des brumes dâun fleuve, commençaient Ă sâĂ©lever de fugaces figures humaines ; des mots au sens effacĂ© rĂ©sonnaient, et dans tous ces souvenirs Ă©taient des lacunes... Les visages Ă©taient vaporeux, les paroles Ă©taient sans lien, tout Ă©tait dĂ©cousu......
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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MĂȘme quand il ne pensait pas Ă la petite phrase, elle existait latente dans son esprit au mĂȘme titre que certaines autres notions sans Ă©quivalent, comme les notions de la lumiĂšre, du son, du relief, de la voluptĂ© physique, qui sont les riches possessions dont se diversifie et se pare notre domaine intĂ©rieur. Peut-ĂȘtre les perdrons-nous, peut-ĂȘtre s'effaceront-elles, si nous retournons au nĂ©ant. Mais tant que nous vivons, nous ne pouvons pas plus faire que nous ne les ayons connues que nous ne le pouvons pour quelque objet rĂ©el, que nous ne pouvons par exemple douter de la lumiĂšre de la lampe qu'on allume devant les objets mĂ©tamorphosĂ©s de notre chambre d'oĂč s'est Ă©chappĂ© jusqu'au souvenir de l'obscuritĂ©. Par lĂ , la phrase de Vinteuil avait [...] Ă©pousĂ© notre condition mortelle, pris quelque chose d'humain qui Ă©tait assez touchant. Son sort Ă©tait liĂ© Ă l'avenir, Ă la rĂ©alitĂ© de notre Ăąme dont elle Ă©tait un des ornements les plus particuliers, les mieux diffĂ©renciĂ©s. Peut-ĂȘtre est-ce le nĂ©ant qui est le vrai et tout notre rĂȘve est-il inexistant, mais alors nous sentons qu'il faudra que ces phrases musicales, ces notions qui existent par rapport Ă lui, ne soient rien non plus. Nous pĂ©rirons, mais nous avons pour otages ces captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles a quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-ĂȘtre de moins probable.
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Marcel Proust (Swannâs Way (In Search of Lost Time, #1))
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Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous dĂ©cidez un beau jour Ă en parler de moins en moins, avec effort quand il faut sây mettre. On en a bien marre de sâĂ©couter toujours cau-ser⊠On abrĂšge⊠On renonce⊠Ăa dure depuis trente ans quâon cause⊠On ne tient plus Ă avoir raison. Lâenvie vous lĂąche de garder mĂȘme la petite place quâon sâĂ©tait rĂ©servĂ©e parmi les plaisirs⊠On se dĂ©goĂ»te⊠Il suffit dĂ©sormais de bouffer un peu, de se faire un peu de chaleur et de dormir le plus quâon peut sur
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le chemin de rien du tout. Il faudrait pour reprendre de lâintĂ©rĂȘt trouver de nouvelles grimaces Ă exĂ©cuter devant les autres⊠Mais on nâa plus la force de changer son rĂ©pertoire. On bre-douille. On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester lĂ avec eux les copains, mais la mort est lĂ aussi elle, puante, Ă cĂŽtĂ© de vous, tout le temps Ă prĂ©sent et moins mystĂ©-rieuse quâune belote. Vous demeurent seulement prĂ©cieux les menus chagrins, celui de nâavoir pas trouvĂ© le temps pendant quâil vivait encore dâaller voir le vieil oncle Ă Bois-Colombes, dont la petite chanson sâest Ă©teinte Ă jamais un soir de fĂ©vrier. Câest tout ce quâon a conservĂ© de la vie. Ce petit regret bien atroce, le reste on lâa plus ou moins bien vomi au cours de la route, avec bien des efforts et de la peine. On nâest plus quâun vieux rĂ©verbĂšre Ă souvenirs au coin dâune rue oĂč il ne passe dĂ©jĂ presque plus personne.
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Louis-Ferdinand Céline (Journey to the End of the Night)
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26 octobre.
Oui, mon cher Wilhelm, je me persuade chaque jour davantage que lâexistence dâune crĂ©ature est peu de chose, bien peu de chose. Une amie de Charlotte Ă©tait venue la voir, et je passai dans la chambre voisine pour prendre un livre, et je ne pouvais lire : alors je pris une plume pour essayer dâĂ©crire. Je les entendais causer doucement : elles se racontaient lâune Ă lâautre des choses indiffĂ©rentes, des nouvelles de la ville ; que lâune se mariait, que lâautre Ă©tait malade, trĂšs-malade ; elle avait une toux sĂšche, la figure dĂ©charnĂ©e ; il lui prenait des faiblesses. « Je ne donnerais pas un sou de sa vie, » disait lâune. « N. N. est aussi fort mal, » dit Charlotte. « II est enflĂ©, » reprit lâamie Et mon imagination me transportait vivement au chevet de ces malheureux ; je voyais avec quelle rĂ©pugnance ils tournaient le dos Ă la vie ; avec quelâŠ. Wilhelm, et mes deux petites dames parlaient de cela prĂ©cisĂ©ment comme on parle dâun Ă©tranger qui meurtâŠ. Et quand je porte les yeux autour de moi, quand je regarde cette chambre et, tout alentour, les habits de.Charlotte et les papiers dâAlbert, et ces meubles auxquels je suis maintenant si accoutumĂ©, mĂȘme cet encrier, je me dis : « Vois ce que tu esâpour cette maison ! Tout pour tous. Tes amis te considĂšrent ; tu fais souvent leur joie, et il semble Ă ton cĆur, quâil ne pourrait vivre sans eux ; et pourtantâŠ, si tu venais Ă mourir, si tu disparaissais de ce cercle, sentiraient-ils, combien de temps sentiraient-ils, le vide que ta perte ferait dans leur existence ? combien de temps ?⊠» Ah ! lâhomme est si Ă©phĂ©mĂšre, quâaux lieux mĂȘmes oĂč il a lâentiĂšre certitude de son ĂȘtre, oĂč il grave la seule vĂ©ritable impression de sa prĂ©sence dans le souvenir, dans lâĂąme de ses amis, lĂ mĂȘme, il doit sâeffacer, disparaĂźtre, disparaĂźtre promptement !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Cherchez en vous-mĂȘmes. Explorez la raison qui vous commande d'Ă©crire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre cour; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous Ă©tait interdit d'Ă©crire. Ceci surtout : demandez-vous Ă l'heure la plus silencieuse de votre nuit; me faut-il Ă©crire ? Creusez en vous-mĂȘmes Ă la recherche d'une rĂ©ponse profonde. Et si celle-ci devait ĂȘtre affirmative, s'il vous Ă©tait donnĂ© d'aller Ă la rencontre de cette grave question avec un fort et simple "il le faut", alors bĂątissez votre vie selon cette nĂ©cessitĂ©; votre vie, jusqu'en son heure la plus indiffĂ©rente et la plus infime, doit ĂȘtre le signe et le tĂ©moignage de cette impulsion. Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez, aimez et perdez. N'Ă©crivez pas de poĂšmes d'amour; Ă©vitez d'abord les formes qui sont trop courantes et trop habituelles : ce sont les plus difficiles, car il faut la force de la maturitĂ© pour donner, lĂ oĂč de bonnes et parfois brillantes traditions se prĂ©sentent en foule, ce qui vous est propre. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; dĂ©crivez vos tristesses et vos dĂ©sirs, les pensĂ©es fugaces et la foi en quelque beautĂ©. DĂ©crivez tout cela avec une sincĂ©ritĂ© profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rĂȘves et les objets de votre souvenir. Si votre quotidien vous paraĂźt pauvre, ne l'accusez pas; accusez-vous vous-mĂȘme, dites-vous que vous n'ĂȘtes pas assez poĂšte pour appeler Ă vous ses richesses; car pour celui qui crĂ©e il n'y a pas de pauvretĂ©, pas de lieu pauvre et indiffĂ©rent. Et fussiez-vous mĂȘme dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir Ă vos sens aucune des rumeurs du monde, n'auriez-vous pas alors toujours votre enfance, cette dĂ©licieuse et royale richesse, ce trĂ©sor des souvenirs ? Tournez vers elle votre attention. Cherchez Ă faire resurgir les sensations englouties de ce vaste passĂ©; votre personnalitĂ© s'affirmera, votre solitude s'Ă©tendra pour devenir une demeure de douce lumiĂšre, loin de laquelle passera le bruit des autres." (Lettres Ă un jeune poĂšte)
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Rainer Maria Rilke (Letters to a Young Poet)
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Wilhelm, on deviendrait furieux de voir quâil y ait des hommes incapables de goĂ»ter et de sentir le peu de biens qui ont encore quelque valeur sur la terre. Tu connais les noyers sous lesquels je me .suis assis avec Charlotte, Ă StâŠ, chez le bon pasteur, ces magnifiques noyers, qui, Dieu le sait, me remplissaient toujours dâune joie calme et profonde. Quelle paix, quelle fraĂźcheur ils rĂ©pandaient sur le presbytĂšre ! Que les rameaux Ă©taient majestueux ! Et le souvenir enfin des vĂ©nĂ©rables pasteurs qui les avaient plantĂ©s, tant dâannĂ©es auparavant !⊠Le maĂźtre dâĂ©cole nous a dit souvent le nom de lâun dâeux, quâil avait appris de son grand-pĂšre. Ce fut sans doute un homme vertueux, et, sous ces arbres, sa mĂ©moire me fut toujours sacrĂ©e. Eh bien, le maĂźtre dâĂ©cole avait hier les larmes aux yeux, comme nous parlions ensemble de ce quâon les avait abattus. Abattus ! jâen suis furieux, je pourrais tuer le chien qui a portĂ© le premier coup de hache. Moi, qui serais capable de prendre le deuil, si, dâune couple dâarbres tels que ceux-lĂ , qui auraient existĂ© dans ma cour, lâun venait Ă mourir de vieillesse, il faut que je voie une chose pareille !⊠Cher Wilhelm, il y a cependant une compensation. Chose admirable que lâhumanitĂ© ! Tout le village murmure, et jâespĂšre que la femme du pasteur sâapercevra au beurre, aux Ćufs et autres marques dâamitiĂ©, de la blessure quâelle a faite Ă sa paroisse. Car câest elle, la femme du nouveau pasteur (notre vieux est mort), une personne sĂšche, maladive, qui fait bien de ne prendre au monde aucun intĂ©rĂȘt, attendu que personne nâen prend Ă elle. Une folle, qui se pique dâĂȘtre savante ; qui se mĂȘle de lâĂ©tude du canon ; qui travaille Ă©normĂ©ment Ă la nouvelle rĂ©formation morale et critique du christianisme ; Ă qui les rĂȘveries de Lavater font lever les Ă©paules ; dont la santĂ© est tout Ă fait dĂ©labrĂ©e, et qui ne goĂ»te, par consĂ©quent, aucune joie sur la terre de Dieu ! Une pareille crĂ©ature Ă©tait seule capable de faire abattre mes noyers. Vois-tu, je nâen reviens pas. Figure-toi que les feuilles tombĂ©es lui rendent la cour humide et malpropre ; les arbres interceptent le jour Ă madame, et, quand les noix sont mĂ»res, les enfants y jettent des pierres, et cela lui donne sur les nerfs, la trouble dans ses profondes mĂ©ditations, lorsquâelle pĂšse et met en parallĂšle Kennikot, Semler et MichaĂ«lis. Quand jâai vu les gens du village, surtout les vieux, si mĂ©contents, je leur ai dit : « Pourquoi lâavez-vous souffert ?â A la campagne, mâontils rĂ©pondu, quand le maire veut quelque chose, que peut-on /aire ? * Mais voici une bonne aventure. : le- pasteur espĂ©rait aussi tirer quelque avantage des caprices de sa femme, qui dâordinaire ne rendent pas sa soupe plus grasse, et il croyait partager le produit avec le maire ; la chambre des domaines en fut avertie et dit : « A moi, sâil vous plaĂźt ! » car elle avait dâanciennes prĂ©tentions sur la partie du presbytĂšre oĂč les arbres Ă©taient plantĂ©s, et elle les a vendus aux enchĂšres. Ils sont Ă bas ! Oh ! si jâĂ©tais prince, la femme du pasteur, le maire, la chambre des domaines, apprendraientâŠ. Prince !⊠Eh ! si jâĂ©tais prince, que mâimporteraient les arbres de mon pays ?
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Jâai fait ma visite au lieu natal avec toute la piĂ©tĂ© dâun pĂšlerin, et bien des sentiments inattendus mâont saisi. Je fis arrĂȘter prĂšs du grand tilleul qui se trouve Ă un quart de lieue de la ville du cĂŽtĂ© de S⊠; je quittai la voiture, et je lâenvoyai en avant, afin de cheminer Ă pied et de savourer Ă mon grĂ© chaque souvenir, dans toute sa vie et sa nouveautĂ©. Je mâarrĂȘtai sous le tilleul, qui avait Ă©tĂ©, dans mon enfance, le but et le terme de mes promenades. Quelle diffĂ©rence ! Alors, dans une heureuse ignorance, je mâĂ©lançais avec ardeur vers ce monde inconnu, oĂč jâespĂ©rais pour mon cĆur tant de nourriture, tant de jouissances, qui devaient combler et satisfaire lâardeur de mes dĂ©sirs. Maintenant, jâen reviens de ce vaste mondeâŠ. O mon ami, avec combien dâespĂ©rances déçues, avec combien de plans renversĂ©s !⊠Les voilĂ devant moi les montagnes qui mille fois avaient Ă©tĂ© lâobjet de mes vĆux. Je pouvais rester des heures assis Ă cette place, aspirant Ă franchir ces hauteurs, Ă©garant ma pensĂ©e au sein des bois et des vallons, qui sâoffraient Ă mes yeux dans un gracieux crĂ©puscule, et, lorsquâau moment fixĂ© il me fallait revenir, avec quel regret ne quittais-je pas cette place chĂ©rie !⊠Jâapprochai de la ville : je saluai tous les anciens pavillons de jardin ; les nouveaux me dĂ©plurent, comme tous les changements quâon avait faits. Je franchis la porte de la ville, et dâabord je me retrouvai tout Ă fait. Mon ami, je ne veux pas mâarrĂȘter au dĂ©tail : autant il eut de charme pour moi, autant il serait monotone dans le rĂ©cit. Jâavais rĂ©solu de me loger sur la place, tout Ă cĂŽtĂ© de notre ancienne maison. Je remarquai, sur mon passage, que la chambre dâĂ©cole, oĂč une bonne vieille femme avait parquĂ© notre enfance, sâĂ©tait transformĂ©e en une boutique de dĂ©tail. Je me rappelai lâinquiĂ©tude, les chagrins, lâĂ©tourdissement, lâangoisse que jâavais endurĂ©s dans ce trouâŠ. Je ne pouvais faire un pas qui ne mâoffrĂźt quelque chose de remarquable. Un pĂšlerin ne trouve pas en terre sainte autant de places consacrĂ©es par de religieux souvenirs, et je doute que son ame soit aussi remplie de saintes Ă©motionsâŠ. Encore un exemple sur mille : je descendis le long de la riviĂšre, jusquâĂ une certaine mĂ©tairie. CâĂ©tait aussi mon chemin autrefois, et la petite place oĂč les enfants sâexerçaient Ă qui ferait le plus souvent rebondir les pierres plates Ă la surface de lâeau. Je me rappelai vivement comme je mâarrĂȘtais quelquefois Ă suivre des yeux le cours de la riviĂšre ; avec quelles merveilleuses conjectures je lâaccompagnais ; quelles Ă©tranges peintures je me faisais des contrĂ©es oĂč elle allait courir ; comme je trouvais bientĂŽt les bornes de mon imagination, et pourtant me sentais entraĂźnĂ© plus loin, toujours plus loin, et finissais par me perdre dans la contemplation dâun vague lointainâŠ. Mon ami, aussi bornĂ©s, aussi heureux, Ă©taient les vĂ©nĂ©rables pĂšres du genre humain ; aussi enfantines, leurs impressions, leur poĂ©sie. Quand Ulysse parle de la mer immense et de la terre infinie, cela est vrai, humain, intime, saisissant et mystĂ©rieux. Que me sert maintenant de pouvoir rĂ©pĂ©ter, avec tous les Ă©coliers, quâelle est ronde ? Il nâen faut Ă lâhomme que quelques mottes pour vivre heureux dessus, et moins encore pour dormir dessousâŠ
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)