Sans Au Quotes

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La première fois que je vous ai vue, je me suis fait une piètre opinion de vous. Je vous croyais sans jugeote et sans caractère, incapable de tenir jusqu'au mariage. Ça restera à jamais la plus grosse erreur de ma vie.
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Christelle Dabos (Les Disparus du Clairdelune (La Passe-Miroir, #2))
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J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres.
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Jean-Paul Sartre (The Words: The Autobiography of Jean-Paul Sartre)
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La jeunesse vraie, la seule, c'est d'aimer tout le monde sans distinction, cela seulement est vrai, cela seulement est jeune et nouveau.
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Louis-Ferdinand CĂ©line (Voyage Au Bout De La Nuit)
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Un bon livre, au contraire, ne cherche pas à vous captiver, il vous fait regarder vers le haut (le ciel sans nuage d'été) tout en plongeant au fond de vous-même.
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Dany Laferrière (L'art presque perdu de ne rien faire)
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L'essentiel est de lire beaucoup. N'importe quoi. Ce qu'on a envie de lire. Le tri se fait après. Et même la mauvaise littérature est nourricière. La seule littérature stérilisante, la littérature prétentieuse, philosophisante, cuistre, est sans danger pour les enfants parce qu'ils ne peuvent pas pénétrer dedans. Ils la rejettent, comme ils tournent le bouton de la T.V. au moment des discours politiques. Ce sont des sages.
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René Barjavel
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Je reste des heures entières debout au même endroit, presque sans bouger (j’ai même vu le vent s’arrêter dans ma main)
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Richard Brautigan (In Watermelon Sugar)
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J'ai souvent pensé alors que si l'on m'avait fait vivre dans un tronc d'arbre sec, sans autre occupaion que de regarder la fleur du ciel au-dessus de ma tête, je m'y serais peu à peu habitué. J'aurais attendu des passages d'oiseaux ou de rencontres de nuages comme j'attendais ici les curieuses cravates de mon avocat et comme, dans un autre monde, je patientais jusqu'au samedi pour étreindre le corps de Marie.
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Albert Camus (The Stranger)
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Au fond des prisons, le rêve est sans limites, la réalité ne freine rien.
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Albert Camus (The Rebel)
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J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère? J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être. Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute. O balances sentimentales.
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Robert Desnos (The Voice of Robert Desnos: Selected Poems)
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Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
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Victor Hugo (Les Contemplations)
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On aime sa mère presque sans le savoir, et on ne prend conscience de toute la profondeur des racines de cet amour qu au moment de la séparation dernière.
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Guy de Maupassant
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Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
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Alfred de Musset (On ne badine pas avec l'amour)
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Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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Albert Camus (The Myth of Sisyphus and Other Essays)
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On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute. Si donc, je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute. Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est surement beaucoup dire, il n'est pas étonnant que l'un ait fini en même temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute. Il suit de là, que depuis quelque temps je t'ai trompée: mais aussi ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute. Aujourd'hui, une femme que j'aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute. Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure: mais si la Nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute. Crois-moi, choisis un autre amant, comme j'ai fait une maîtresse. Ce conseil est bon, très bon; si tu le trouve mauvais, ce n'est pas ma faute. Adieu, mon ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regrets: je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses)
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• Chaque fois, tu monteras au front, la peur au ventre, le cœur serré, sans meilleure arme que ton envie de vivre encore. Chaque fois, tu te diras que, quoi qu’il puisse t’arriver à présent, tous ces moments arrachés à la fatalité valaient la peine d’être vécus. Et que personne ne pourra jamais te les enlever.
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Guillaume Musso (Central Park)
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Je ne vais jamais au lit sans réfléchir que le lendemain peut-être (si jeune que je sois) je ne serai plus là...; et pourtant personne, de tous ceux qui me connaissent, ne peut dire que je sois chagrin ou triste dans ma conversation...
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Wolfgang Amadeus Mozart
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Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour n'avoir plus l'impression de naviguer au hasard. Alors, on tisse des liens, on essaye de rendre plus stables des rencontres hasardeuses.
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Patrick Modiano (Dans le café de la jeunesse perdue)
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Tout s'effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s'éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d'une table de fête on ne sera qu'un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu'à disparaître dans la masse anonyme d'une lointaine génération
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Annie Ernaux (Les Années)
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ENIVREZ-VOUS Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise. (in Le Spleen de Paris)
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Charles Baudelaire (Paris Spleen)
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Les liens se font et se défont, c'est la vie. Un matin, l'un reste et l'autre part, sans que l'on sache toujours pourquoi. Je ne peux pas tout donner à l'autre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Je ne veux pas bâtir ma vie sur les sentiments parce que les sentiments changent. Ils sont fragiles et incertains. Tu les crois profonds et ils sont soumis à une jupe qui passe, à un sourire enjôleur. Je fais de la musique parce que la musique ne partira jamais de ma vie. J'aime les livres, parce que les livres seront toujours là. Et puis... des gens qui s'aiment pour la vie, moi, je n'en connais pas.
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Guillaume Musso (La fille de papier)
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Il faudrait réactiver cette chose délicieuse qui consiste à réfléchir sans se croire obligé d'accrocher au bout de sa pensée une opinion... on est devenu un lecteur mou en réflexion, mais dur en opinion.
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Dany Laferrière (Journal d'un écrivain en pyjama)
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Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres, Nos silences, nos paroles, La lumière qui s’en va, la lumière qui revient, Un seul sourire pour nous deux, Par besoin de savoir, j’ai vu la nuit créer le jour sans que nous changions d’apparence, Ô bien-aimé de tous et bien-aimé d’un seul, En silence ta bouche a promis d’être heureuse, De loin en loin, ni la haine, De proche en proche, ni l’amour, Par la caresse nous sortons de notre enfance, Je vois de mieux en mieux la forme humaine, Comme un dialogue amoureux, le cœur ne fait qu’une seule bouche Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser, Les sentiments à la dérive, les hommes tournent dans la ville, Le regard, la parole et le fait que je t’aime, Tout est en mouvement, il suffit d’avancer pour vivre, D’aller droit devant soi vers tout ce que l’on aime, J’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière, Si tu souris, c’est pour mieux m’envahir, Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard.
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Paul Éluard
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Il disparut à jamais, cet être sans défense à qui personne n'avait jamais témoigné d'affection, ni porté le moindre intérêt, non, personne, pas même l'un de ces naturalistes toujours prêts à épingler la plus banale des mouches pour l'examiner au microscope.
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Nikolai Gogol (The Overcoat)
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Dans la vie morale, aussi bien que dans la vie physique, il existe une aspiration et une respiration; l’âme a besoin d’absorber les sentiments d’une autre âme, de se les assimiler pour les lui restituer plus riches. Sans ce beau phénomène humain, point de vie au cœur; l’air lui manque alors, il souffre et dépérit.
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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L'amour, tu vois, c'est comme l'oxygène, si on en manque trop longtemps on finit par en mourir. Tu m'as tellement aimée en quelques mois que j'ai eu des réserves d'amour pendant des années. Grâce à elles, j'ai pu affronter beaucoup de choses, mais j'arrive au bout de mes réserves, Martin.
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Guillaume Musso (Que serais-je sans toi?)
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Il y a des journées illuminées de petites choses, des riens du tout qui vous rendent incroyablement heureux ; un après-midi à chiner, un jouet qui surgit de l’enfance sur l’étal d’un brocanteur, une main qui s’attache à la votre, un appel que l’on attendait pas, une parole douce, vote enfant qui vous prend dans ses bras sans rien vous demander d’autre qu’un moment d’amour. Il y a des journées illuminées de petits moments de grâce, une odeur qui vous met l’âme en joie, un rayon de soleil qui entre par la fenêtre, le bruit de l’averse alors qu’on est encore au lit, les trottoirs enneigés ou l’arrivée du printemps et ses premiers bourgeons.
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Marc Levy (Le premier jour)
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Déjeuner du matin Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il s’est levé Il a mis Son chapeau sur sa tête Il a mis Son manteau de pluie Parce qu’il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j’ai pris Ma tête dans ma main Et j’ai pleuré
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Jacques Prévert (Paroles)
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A quatre heures du matin, on ne fait rien en général et l’on dort, même si la nuit a été une nuit de trahison. Oui, on dort à cette heure-là, et cela est rassurant puisque le grand désir d’un coeur inquiet est de posséder interminablement l’être qu’il aime ou de pouvoir plonger cet être, quand le temps de l’absence est venu, dans un sommeil sans rêves qui ne puisse prendre fin qu’au jour de la réunion.
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Albert Camus (The Plague)
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L’imagination, l’illumination, la création, sans lesquelles le progrès des sciences n’aurait pas été possible, n’entraient dans la science qu’en catimini : elles n’étaient pas logiquement repérables, et toujours épistémologiquement condamnables. On en parlait dans les biographies des grands savants, jamais dans les manuels et les traités, dont pourtant la sombre compilation, comme les couches souterraines de charbon, était constituée par la fossilisation de la compression de ce qui, au premier chef, avait été fantaisies, hypothèses, prolifération d’idée, invention, découvertes.
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Edgar Morin (Introduction à la pensée complexe)
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Au grand jeu de la vie, les plus malheureux sont ceux qui n’ont pas pris le risque d’être heureux.
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Guillaume Musso (Que serais-je sans toi?)
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Tout ce temps, tous ces visages, tous ces cris de jouissance, ces étreintes sans âme au petit matin, quand la nuit n'est plus, le jour n'est pas encore, ton orgasme prend fin, et tes yeux se dessillent, ta chambre n'est qu'un bordel, Baudelaire est mort et, dans tes bras, il n'y a qu'une putain...
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Lolita Pille (Hell)
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Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.
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Émile Zola (Germinal)
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Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Étrange Pays dans mon pays lui-même)
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Au début, je l'ai lu par curiosité, avec le sentiment de commettre une simple indiscrétion. Sans le savoir, j'étais comme la femme de Barbe-Bleue: j'ignorais quel monstrueux placard je venais d'ouvrir. Ce récit, je l'ai lu et relu. Je m'en suis remplie jusqu'a la nausée, sans faiblir. Pour comprendre... Pour comprendre quoi?
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Jean Molla (Sobibor (Spanish Edition))
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– C’est ce receveur, expliqua le conducteur. – Ah ! dit Amadis. – Il aime pas les voyageurs. Alors, il s’arrange pour qu’on parte sans voyageur et il ne sonne jamais. Je le sais bien. – C’est vrai, dit Amadis. – Il est fou, vous comprenez, dit le machiniste. – C’est ça… murmura Amadis. Je le trouvais bizarre. – Ils sont tous fous à la Compagnie. – Ça ne m’étonne pas ! – Moi, dit le conducteur, je les possède. Au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Vous avez un couteau ? – J’ai un canif. – Prêtez.
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Boris Vian (Autumn in Peking)
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Parfois, quand la symphonie de la ville frappe à ma porte au petit matin, je descends dans la rue et me mets en chemin, enveloppé dans mon manteau noir, le long des avenues bondées de la rive droite. Ce sont ces sombres jours d’hiver où le spleen de Paris tourmente les âmes et incite les esprits libres à une longue dérive sans but ni destination.
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Federico Castigliano
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Et comme j’essayais de lui expliquer ce que c’était que ces mariages, je sentis quelque chose de frais et de fin peser légèrement sur mon épaule. C’était sa tête alourdie de sommeil qui s’appuyait contre moi avec un joli froissement de rubans, de dentelles et de cheveux ondés. Elle resta ainsi sans bouger jusqu’au moment où les astres du ciel pâlirent, effacés par le jour qui montait. Moi, je la regardais dormir, un peu troublé au fond de mon être, mais saintement protégé par cette claire nuit qui ne m’a jamais donné que de belles pensées. Autour de nous, les étoiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau ; et par moments je me figurais qu’une de ces étoiles, la plus fine, la plus brillante ayant perdu sa route, était venue se poser sur mon épaule pour dormir..
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Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin)
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Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime, Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime ; L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ; La rime est une esclave et ne doit qu’obéir. Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue, L’esprit à la trouver aisément s’habitue ; Au joug de la raison sans peine elle fléchit Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit. Mais, lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle, Et, pour la rattraper, le sens court après elle. Aimez donc la raison : que toujours vos écrits Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
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Nicolas Boileau (L'Art Poétique)
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Les pas que je fis après avoir laissé Oroshi aux rapaces, ma déambulation hagarde, écrasée de tristesse, au bord du plateau vide, et saturé de chrones, vide et saturé sans cesse, vide, sur plus de trois mille kilomètres de marche, jusqu'à l'étendue de glace crevassée, cisaillée de crivetz, qui marque de manière si caractéristique la limite de la bande de Contre, ces pas, je ne les ai dus qu'à moi.
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Alain Damasio (La Horde du Contrevent)
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Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire. Car la haine de l'Étranger arme toujours quelques Intrépides prêts à mourir pour une Idée.
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Guy de Maupassant (Boule de Suif (21 contes))
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Le parti national-socialiste avait fait un fameux cadeau à ces SS-là : ils pouvaient marcher au combat sans aucun risque physique, décrocher les honneurs sans avoir à entendre siffler les balles. L'impunité psychologique était plus difficile à atteindre. Tous les officiers SS avaient des camarades qui s'étaient suicidés. Le haut commandment avait pondu des circulaires pour dénoncer ces pertes futiles : il fallait être simple d'esprit pour croire que les juifs, parce qu'ils n'avaient pas de fusils, ne possédaient pas d'armes d'un autre calibre : des armes sociales, économiques et politiques. En fait, le juif était armé jusqu'aux dents. Trempez votre caractère dans l'acier, soulignaient les circulaires, car l'enfant juif est une bombe à retardement culturelle, la femme juive, un tissu biologique de toutes les trahisons, le mâle juif, un ennemi plus implacable encore qu'aucun Russe ne saurait l'être. (ch. 20)
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Thomas Keneally (Schindler’s List)
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Je ne ressens pas la moindre honte de ne pas être une super bonne meuf. En revanche, je suis verte de rage qu'en tant qu fille qui intéresse peu les hommes, on cherche sans cesse à me faire savoir que je ne devrais même pas être là. On a toujours existé. Même s'il n'est pas question de nous dans les romans d'hommes, qui n'imaginent que des femmes avec qui ils voudraient coucher. On a toujours existé, on n'a jamais parlé. Même aujourd'hui que les femmes publient beaucoup de romans, on rencontre rarement de personnage féminins aux physiques ingrats ou médiocres, inaptes à aimer les hommes ou à s'en faire aimer. Au contraire les héroines contemporaines aiment les hommes, les rencontrent facilement couchent avec eux en deux chapitres, elles jouissent en quatre lignes et elles aiment toutes le sexe. La figure de la looseuse de la féminité m'est plus que sympathique, elle m'est essentielle.
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Virginie Despentes (King Kong théorie)
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Il se servait de son esprit comme d'un coin pour élargir de son mieux les interstices du mur qui de toute part nous confine. Les failles grandissaient, ou plutôt le mur, semblait-il, perdait de lui-même sa solidité sans pour autant cesser d'être opaque, comme s'il s'agissait d'une muraille de fumée au lieu d'une muraille de pierre. (L'abîme)
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Marguerite Yourcenar (L'Ĺ’uvre au noir)
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C'est un immense privilège que d'avoir un objectif précis. Nombreux sont ceux qui traversent la vie sans ne serait-ce qu'en apercevoir brièvement le sens. Ils avancent tant bien que mal, transportés d'un hasard jusqu'au suivant, un baiser ici, une larme là, quelques caresses, la solitude, les déceptions. Ils n'ont jamais la moindre idée d'un pourquoi, d'un but, d'une destination. Celui qui vit ainsi son existence peut certes connaitre quelques heures de bonheur, mais elles sont le fruit du hasard, elles adviennent d'aventure, relèvent de la chance et non de la récolte. (p. 308-309)
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Jón Kalman Stefánsson (Harmur englanna)
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Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.
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Jacques Prévert (Paroles)
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J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était de les faire épousseter sauf une fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait...
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Jean-Paul Sartre
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Oui, j'aime Hémon. J'aime un Hémon dur et jeune; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure, si Hémon ne doit plus pâlir quand je pâlis, s'il ne doit plus me croire morte quand je suis en retard de cinq minutes, s'il ne doit plus se sentir seul au monde et me détester quand je ris sans qu'il sache pourquoi, s'il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s'il doit appendre à dire «oui», lui aussi, alors je n'aime plus Hémon.
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Jean Anouilh (Antigone)
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J'éprouve un déchirement qui s'aggrave sans cesse, à la fois dan l'intelligence et au centre du coeur, par l'incapacité où je suis de penser ensemble dans la vérité le malheur des hommes, la perfection de Dieu et le lien entre les deux. 'I feel ceaselessly and increasingly torn, both in my intelligence and in the depth of my heart, by my inability to conceive simultaneously and in truth of the affliction of humans, the perfection of God, and the relation between the two.' Simone Weil, Lettre à Maurice Schumann, n.d. (prb Dec. 1942)
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Simone Weil (Seventy Letters: Personal and Intellectual Windows on a Thinker (Simone Weil: Selected Works))
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Oui, moi aussi, je m'étais souvent demandé: comment font les gents? Et à vrai dire, si ces questions étaient modifiées, elles n'avaient jamais cessé: comment font les gents, pour écrire, aimer, dormir d'une seule traite, varier les menus de leurs enfants, les laisser grandir, les laisser partir sans s'accrocher à eux, aller une fois par an chez le dentiste, faire du sport, rester fidèle, ne pas recommencer à fumer, lire des livres + des bandes dessinées + des magazines + un quotidien, ne pas être totalement dépassé en matière de musique, apprendre à respirer, ne pas s'exposer au soleil sans protection, faire leurs courses une seule fois par semaine sans rien oublier?
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Delphine de Vigan (D'après une histoire vraie)
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Si vous voulez vraiment le savoir, j'aurais préféré ne jamais être né. La vie, je trouve ca bien fatigant. Bien sur, à présent la chose est faite, et je ne peux rien y changer. Mais il y a toujours au fond de moi ce regret, que je n'ariverai pas à chasser complètement, et qui gâchera tout. Maintenant, il s'agit de vieillir vite, d'avaler les années le plus vite possible, sans regarder à gauche ni à droit
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J.M.G. Le Clézio (Fever)
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Elle aura donc menti jusqu'au bout! Où est-elle! Pas là... pas au ciel... pas anéantie...où? Oh! tu disais que tu n'avais pas souci de mes souffrances. Et moi, je fais une prière... je la répète jusqu'à ce que ma langue s'engourdisse : Catherine Earnshaw, puisses-tu ne pas trouver le repos tant que je vivrais! Tu dis que je t'ai tuée, hante-moi alors! Les victimes hantent leurs meurtrier, je crois. Je sais que des fantômes ont erré sur la terre. Sois toujours avec moi... prends n'importe quelle forme... rends-moi fou! mais ne me laisse pas dans cet abîme où je ne puis te trouver. Oh! Dieu! c'est indicible! je ne peux pas vivre sans ma vie! je ne peux pas vivre sans mon âme!
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Emily Brontë (Wuthering Heights)
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Supprime donc en toi toute aversion pour ce qui ne dépend pas de nous et, cette aversion, reporte-la sur ce qui dépend de nous et n’est pas en accord avec la nature. Quant au désir, pour le moment, supprime-le complètement. Car si tu désires une chose qui ne dépend pas de nous, tu ne pourras qu’échouer, sans compter que tu te mettras dans l’impossibilité d’atteindre ce qui est à notre portée et qu’il est plus sage de désirer. Borne-toi à suivre tes impulsions, tes répulsions, mais fais-le avec légèreté, de façon non systématique et sans effort excessif.
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Epictetus (The Discourses)
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Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul. C'est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre, rien, un regard pendant une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la rue, une envie d'honneur un beau matin, au réveil, comme de quelque chose qui se mange, une question de trop qu'on se pose un soir… C'est tout. Après, on n'a plus qu'à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C'est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages, et les silences, tous les silences : le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l'un en face de l'autre pour la première fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris de la foule éclatent autour du vainqueur - et on dirait un film dont le son s'est enrayé, toutes ces bouches ouvertes dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n'est qu'une image, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence…
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Jean Anouilh
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...Hiver bouclé comme un bison, Hiver crispé comme la mousse de crin blanc, Hiver aux puits d'arsenic rouge, aux poches d'huile et de bitume, Hiver au goût de skunk et de carabe fumée de bois de hickory, Hiver aux prismes et aux critaux dans les carrefours de diamant noir, Hiver sans thyrses ni flambeaux, Hiver sans roses ni piscines, Hiver ! Hiver! tes pommes de cèdre de vieux fer! tes fruits de pierre! tes insectes de cuivre !
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Saint-John Perse (Vents suivi de Chronique)
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Si on bouge sans cesse, on impose un sens, une direction au temps. Mais si on s'arrête en se butant comme un âne au milieu du sentier, si on se laisse emporter par la rêverie, alors même le temps s'arrête et n'est plus ce fardeau qui pèse sur nos épaules. Si on ne le porte pas il verse, il se répand tout autour comme la tache d'encre que ma plume faisait toute seule, droite en équilibre sur le buvard, pour retomber ensuite, vide.
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Erri De Luca (Pas ici, pas maintenant)
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- Dégage je t'ai dit ! - Je te fais une contre-proposition, lança Ellana que le poing brandi du barbu ne paraissait pas impressionner le moins du monde. Tu quittes l'auberge maintenant, sans bruit, avec la promesse de ne plus jamais y remettre les pieds, et je ne te casse pas en mille morceaux. Le colosse ouvrit la bouche pour un cri ou peut-être un rire, mais la voix de Jilano le lui vola. - C'est un marché de dupe ! s'écria-t-il sur un ton plein de verve. - Et pourquoi donc ? fit mine de se fâcher Ellana. - Parce que même si tu tapes fort, tu lui casseras au maximum une douzaine d'os. Allez, vingt parce que c'est toi. On est loin des mille morceaux que tu revendiques. Ellana soupira. - C'est une expression, il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. - Sans doute, mais ce monsieur pourrait s'estimer grugé. - Très bien. Voilà ma contre-proposition réactualisée. Tu quittes l'auberge maintenant, sans bruit, avec la promesse de ne plus jamais y remettre les pieds et je ne te casse pas en douze morceaux. Peut-être vingt parce que c'est moi.
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Pierre Bottero (Ellana, l'Envol (Le Pacte des MarchOmbres, #2))
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Mes amis, j'écris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fierté de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir été choisi et apprécié par vous, et que notre amitié fut sans doute la plus belle œuvre de ma vie. C'est étrange, l'amitié. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitié. L'amitié, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit être beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en déclarations, en poèmes, en lettres. Elle doit être beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les démangeaisons de peau. En mourant, c'est à ce grand mystère silencieux que je songe et je lui rends hommage. Mes amis, je vous ai vus mal rasés, crottés, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de péter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessé de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu à une femme de m'imposer toutes ses misères, je l'aurais quittée, insultée, répudiée. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnérables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la séduction. Ils jouent un rôle. Pire, ils cherchent chacun le beau rôle. Théâtre. Comédie. Mensonge. Il n'y a pas de sécurité en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut être aimé tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge réussi et constamment renouvelé. Une amitié, c'est une vérité qui s'impose. L'amitié est nue, l'amour fardé. Mes amis, je vous aime donc tels que vous êtes.
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Éric-Emmanuel Schmitt (La Part de l'autre)
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Elle n'en revient pas, que l'on puisse avoir de tels échanges laconiques - "Ça va ? - Ça va !" - avec des êtres qu'on a mis au monde et vus grandir vingt ans durant, à qui on a appris à parler, à qui on a lu mille histoires à l'heure du coucher, pour qui on a fait des repas sans nombre, qu'on a aidés à faire leurs devoirs et soignés pendant leurs maladies, dont on a écouté les problèmes et logé les copains. C'est incroyable de s'entendre échanger des "Ça va ? Ça va !" avec ces êtres-là.
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Nancy Huston (Infrarouge)
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- Offre ton identité au Conseil, jeune apprentie. La voix était douce, l’ordre sans appel. - Je m’appelle Ellana Caldin. - Ton âge. Ellana hésita une fraction de seconde. Elle ignorait son âge exact, se demandait si elle n’avait pas intérêt à se vieillir. Les apprentis qu’elle avait discernés dans l’assemblée étaient tous plus âgés qu’elle, le Conseil ne risquait-il pas de la considérer comme une enfant ? Les yeux noirs d’Ehrlime fixés sur elle la dissuadèrent de chercher à la tromper. - J’ai quinze ans. Des murmures étonnés s’élevèrent dans son dos. Imperturbable, Ehrlime poursuivit son interrogatoire. - Offre-nous le nom de ton maître. - Jilano Alhuïn. Les murmures, qui s’étaient tus, reprirent. Plus marqués, Ehrlime leva une main pour exiger un silence qu’elle obtint immédiatement. - Jeune Ellana, je vais te poser une série de questions. A ces questions, tu devras répondre dans l’instant, sans réfléchir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours d’eau, la source est ton âme. C’est en remontant tes mots jusqu’à ton âme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prête ? - Oui. Une esquisse de sourire traversa le visage ridé d’Ehrlime. - Qu’y a-t-il au sommet de la montagne ? - Le ciel. - Que dit le loup quand il hurle ? - Joie, force et solitude. - À qui s’adresse-t-il ? - À la lune. - Où va la rivière ? L’anxiété d’Ellana s’était dissipée. Les questions d’Ehrlime étaient trop imprévues, se succédaient trop rapidement pour qu’elle ait d’autre solution qu’y répondre ainsi qu’on le lui avait demandé. Impossible de tricher. Cette évidence se transforma en une onde paisible dans laquelle elle s’immergea, laissant Ehrlime remonter le cours de ses mots jusqu’à son âme, puisque c’était ce qu’elle désirait. - Remplir la mer. - À qui la nuit fait-elle peur ? - À ceux qui attendent le jour pour voir. - Combien d’hommes as-tu déjà tués ? - Deux. - Es-tu vent ou nuage ? - Je suis moi. - Es-tu vent ou nuage ? - Vent. - Méritaient-ils la mort ? - Je l’ignore. - Es-tu ombre ou lumière ? - Je suis moi. - Es-tu ombre ou lumière ? - Les deux. - Où se trouve la voie du marchombre ? - En moi. Ellana s’exprimait avec aisance, chaque réponse jaillissant d’elle naturellement, comme une expiration après une inspiration. Fluidité. Le sourire sur le visage d’Ehrlime était revenu, plus marqué, et une pointe de jubilation perçait dans sa voix ferme. - Que devient une larme qui se brise ? - Une poussière d’étoiles. - Que fais-tu devant une rivière que tu ne peux pas traverser ? - Je la traverse. - Que devient une étoile qui meurt ? - Un rêve qui vit. - Offre-moi un mot. - Silence. - Un autre. - Harmonie. - Un dernier. - Fluidité. - L’ours et l’homme se disputent un territoire. Qui a raison ? - Le chat qui les observe. - Marie tes trois mots. - Marchombre.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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Je condamne l'ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J'ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l'éducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des études de base, très simples, où l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu'il dépend de l'air, de l'eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu'il se sente relié aux hommes qui l'ont précédé, pour qu'il les admire là où ils méritent de l'être, sans s'en faire des idoles, non plus que du présent ou d'un hypothétique avenir. On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d'avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu'on ne le fait. (p. 255)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Le petit prince était maintenant tout pâle de colère. «Il y a des millions d'années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d'années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien? Ce n'est pas important la guerre des moutons et des fleurs? Ce n'est pas sérieux et plus important que les additions d'un gros Monsieur rouge? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n'existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu'un petit mouton peut anéantir d'un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait, ce n'est pas important ça?» Il rougit, puis reprit: «Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: "Ma fleur est là quelque part..." Mais si le mouton mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s'éteignaient! Et ce n'est pas important ça!»
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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L’harmonie, me disait-il, n’est qu’un accessoire éloigné dans la musique imitative; il n’y a dans l’harmonie proprement dite aucun principe d’imitation. Elle assure, il est vrai, les intonations; elle porte témoignage de leur justesse; et, rendant les modulations plus sensibles, elle ajoute de l’énergie à l’expresson, et de la grâce au chant. Mais c’est de la seule mélodie que sort cette puissance invincible des accents passionés; c’est d’elle que dérive tout le pouvoir de la musique sur l’âme. Formez les plus savantes successions d’accords sans mélange de mélodie, vous serez ennuyés au bout d’un quart d’heure. De beaux chants sans aucune harmonie sont longtemps à l’épreuve de l’ennui. Que l’accent du sentiment anime les chants les plus simples, ils seront intéressants. Au contraire, une mélodie qui ne parle point chante toujours mal, et la seule harmonie n’a jamais rien su dire au coeur.
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Jean-Jacques Rousseau (Julie, ou La nouvelle Heloise. Lettres de deux amans, habitans d'une petite ville au pied des Alpes. Recueillies et publiées Volume 2 (French Edition))
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Je disais que le monde est absurde et j'allais trop vite. ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on en peut dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. L'absurde dépend autant de l'homme que du monde. Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme la haine seule peut river les êtres. C'est tout ce que je puis discerner clairement dans cet univers sans mesure où mon aventure se poursuit.
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Albert Camus (The Myth of Sisyphus)
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La tournée terminée, Tom et Roger pensèrent qu'après le succès de I Shot The Sheriff, ce serait bien de descendre dans les Caraïbes pour continuer sur le thème du reggae. Ils organisèrent un voyage en Jamaïque, où ils jugeaient qu'on pourrait fouiner un peu et puiser dans l'influence roots avant d'enregistrer. Tom croyait fermement au bienfait d'exploiter cette source, et je n'avais rien contre puisque ça voulait dire que Pattie et moi aurions une sorte de lune de miel. Kingston était une ville où il était fantastique de travailler. On entendant de la musique partout où on allait. Tout le monde chantait tout le temps, même les femmes de ménage à l'hotel. Ce rythme me rentrait vraiment dans le sang, mais enregistrer avec les Jamaïcains était une autre paire de manches. Je ne pouvais vraiment pas tenir le rythme de leur consommation de ganja, qui était énorme. Si j'avais essayé de fumer autant ou aussi souvent, je serais tombé dans les pommes ou j'aurais eu des hallucinations. On travaillait aux Dynamic Sound Studios à Kingston. Des gens y entraient et sortaient sans arrêt, tirant sur d'énormes joints en forme de trompette, au point qu'il y avait tant de fumée dans la salle que je ne voyais pas qui était là ou pas. On composait deux chansons avec Peter Tosh qui, affalé sur une chaise, avait l'air inconscient la plupart du temps. Puis, soudain, il se levait et interprétait brillamment son rythme reggae à la pédale wah-wah, le temps d'une piste, puis retombait dans sa transe à la seconde où on s'arrêtait.
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Eric Clapton (The Autobiography)
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Elle me lança le gant au visage. "Gibier de potence !" dit elle. "Petit malfrat !" Elle fit demi-tour et m'abandonna à mon sort. Je me séchai, enfilai un caleçon et entrai dans la cuisine. Elle était devant la cuisinière, le dos tourné, en train de préparer mon petit-déjeuner. L'expert des appendices charnus que je suis détecta aussitôt la contraction de ses fessiers - signe indubitable de fureur chez une femme. L'expérience m'a appris à me montrer extrêmement prudent en présence d'une métamorphose aussi spectaculaire des fessiers féminins, si bien que je m'assis sans moufter. J'avais l'impression d'affronter un serpent lové sur lui-même.
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John Fante (Dreams from Bunker Hill (The Saga of Arturo Bandini, #4))
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Lorsque j’ai commencé à voyager en Gwendalavir aux côtés d'Ewìlan et de Salim, je savais que, au fil de mon écriture, ma route croiserait celle d'une multitude de personnages. Personnages attachants ou irritants, discrets ou hauts en couleurs, pertinents ou impertinents, sympathiques ou maléfiques... Je savais cela et je m'en réjouissais. Rien, en revanche, ne m'avait préparé à une rencontre qui allait bouleverser ma vie. Rien ne m'avait préparé à Ellana. Elle est arrivée dans la Quête à sa manière, tout en finesse tonitruante, en délicatesse remarquable, en discrétion étincelante. Elle est arrivée à un moment clef, elle qui se moque des serrures, à un moment charnière, elle qui se rit des portes, au sein d’un groupe constitué, elle pourtant pétrie d’indépendance, son caractère forgé au feu de la solitude. Elle est arrivée, s'est glissée dans la confiance d'Ewilan avec l'aisance d'un songe, a capté le regard d’Edwin et son respect, a séduit Salim, conquis maître Duom... Je l’ai regardée agir, admiratif ; sans me douter un instant de la toile que sa présence, son charisme, sa beauté tissaient autour de moi. Aucun calcul de sa part. Ellana vit, elle ne calcule pas. Elle s'est contentée d'être et, ce faisant, elle a tranquillement troqué son statut de personnage secondaire pour celui de figure emblématique d'une double trilogie qui ne portait pourtant pas son nom. Convaincue du pouvoir de l'ombre, elle n'a pas cherché la lumière, a épaulé Ewilan dans sa quête d'identité puis dans sa recherche d'une parade au danger qui menaçait l'Empire. Sans elle, Ewilan n'aurait pas retrouvé ses parents, sans elle, l'Empire aurait succombé à la soif de pouvoir des Valinguites, mais elle n’en a tiré aucune gloire, trop équilibrée pour ignorer que la victoire s'appuyait sur les épaules d'un groupe de compagnons soudés par une indéfectible amitié. Lorsque j'ai posé le dernier mot du dernier tome de la saga d'Ewilan, je pensais que chacun de ses compagnons avait mérité le repos. Que chacun d'eux allait suivre son chemin, chercher son bonheur, vivre sa vie de personnage libéré par l'auteur après une éprouvante aventure littéraire. Chacun ? Pas Ellana. Impossible de la quitter. Elle hante mes rêves, se promène dans mon quotidien, fluide et insaisissable, transforme ma vision des choses et ma perception des autres, crochète mes pensées intimes, escalade mes désirs secrets... Un auteur peut-il tomber amoureux de l'un de ses personnages ? Est-ce moi qui ai créé Ellana ou n'ai-je vraiment commencé à exister que le jour où elle est apparue ? Nos routes sont-elles liées à jamais ? — Il y a deux réponses à ces questions, souffle le vent à mon oreille. Comme à toutes les questions. Celle du savant et celle du poète. — Celle du savant ? Celle du poète ? Qu'est-ce que... — Chut... Écris.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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Je me suis dit, pour la énième fois, que le corps s'éteignait quand la douleur devenait insoutenable, que la conscience était un état fugitif, que ça allait passer. Mais, comme chaque fois, je n'ai pas baissé le rideau. Je suis restée sur la grève à me faire lessiver par les vagues, sans me noyer. (…) Crier ne faisait qu'empirer les choses. Toutes les stimulations, en fait. La seule solution était de défaire le monde, de le rendre noir et silencieux, inhabité, de revenir au moment qui avait précédé le big bang, au commencement où était le Verbe, et de vivre dans cet espace vide et non existant avec le Verbe. On parle souvent du courage des malades du cancer, et je ne nie pas ce courage. Ça faisait des années que, malgré les coups et le poison dans mes veines, j'étais toujours sur pied. Mais vous pouvez me croire, à cet instant, j'aurais été ravie de mourir. 
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John Green (The Fault in Our Stars)
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Et que faudrait-il faire ? Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce, Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ? Non, merci ! Dédier, comme tous ils le font, Des vers aux financiers ? se changer en bouffon Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre, Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? Non, merci ! Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ? Avoir un ventre usé par la marche ? une peau Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ? Exécuter des tours de souplesse dorsale ?... Non, merci ! D'une main flatter la chèvre au cou Cependant que, de l'autre, on arrose le chou, Et donneur de séné par désir de rhubarbe, Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci ! Se pousser de giron en giron, Devenir un petit grand homme dans un rond, Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci ! S'aller faire nommer pape par les conciles Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ? Non, merci ! Travailler à se construire un nom Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non, Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ? Être terrorisé par de vagues gazettes, Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je sois Dans les petits papiers du Mercure François" ?... Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême, Préférer faire une visite qu'un poème, Rédiger des placets, se faire présenter ? Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter, Rêver, rire, passer, être seul, être libre, Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers, Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers ! Travailler sans souci de gloire ou de fortune, À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît, Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit, Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, Ne pas être obligé d'en rien rendre à César, Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite, Bref, dédaignant d'être le lierre parasite, Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul, Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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Chaque fois que je pense a lui, je me souviens d'une anecdote qu'on m'a racontée : un jour, les Gardes rouges fouillèrent sa maison, et trouvèrent un livre caché sous son oreiller, écrit dans une langue étrangère, que personne ne connaissait. La scène n'était pas sans ressemblance avec celle de la bande du boiteux autour du Cousin Pons. Il fallut envoyer ce butin à l'Université de Pékin pour savoir enfin qu'il s'agissait d'une Bible en latin. Elle coûta cher au pasteur car, depuis, il était forcé de nettoyer la rue, toujours la même, du matin au soir, huit heures par jour, quel que fût le temps. Il finit ainsi par devenir une décoration mobile du paysage.
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Honoré de Balzac
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À l'âge de quinze ans Annabelle faisait partie de ces très rares jeunes filles sur lesquelles tous les hommes s'arrêtent, sans distinction d'âge ni d'état; de ces jeunes filles dont le simple passage, le long de la rue commerçante d'une ville d'importance moyenne, accélère le rythme cardiaque des jeunes gens et des hommes d'âge mûr, fait pousser des grognements de regret aux vieillards. Elle prit rapidement conscience de ce silence qui accompagnait chacune de ses apparitions, dans un café ou dans une salle de cours, mais il lui fallut des années pour en comprendre pleinement la raison. Au CEG de Crécy-en-Brie, il était communément admis qu'elle «était avec» Michel; mais même sans cela, à vrai dire, aucun garçon n'aurait osé tenter quoi que ce soit avec elle. Tel est l'un des principaux inconvénients de l'extrême beauté chez les jeunes filles: seuls les dragueurs expérimentés, cyniques et sans scrupule se sentent à la hauteur; ce sont donc en général les êtres les plus vils qui obtiennent le trésor de leur virginité, et ceci constitue pour elles le premier stade d'une irrémédiable déchéance.
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Michel Houellebecq (The Elementary Particles)
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Il y a, à Venise, trois lieux magiques et secrets : l'un dans la "rue de l'amour des amis", le deuxième près du "pont des merveilles" et le troisième dans le "sentier des marranes", près de San Geremia, dans le vieux ghetto. Quand les Vénitiens - parfois ce sont les Maltais - sont fatigués des autorités, ils vont dans ces lieux secrets et, ouvrant les portes au fond de ces cours, ils s'en vont pour toujours vers des pays merveilleux et vers d'autres histoires...
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Hugo Pratt (Fable de Venise)
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Il reste que, face aux femmes volontairement sans descendance, on brandit toujours cette menace : « Un jour, tu le regretteras ! » Cela traduit un raisonnement très étrange. Peut-on se forcer à faire quelque chose qu'on n'a aucune envie de faire uniquement pour prévenir un hypothétique regret situé dans un avenir lointain ? Cet argument ramène les personnes concernées précisément à la logique que nombre d'entre elles cherchent à fuir, cette logique de prévoyance à laquelle incite la présence d'un enfant et qui peut dévorer le présent dans l'espoir d'assurer l'avenir : prendre un crédit, se tuer au travail, se soucier du patrimoine qu'on lui léguera, de la façon dont on paiera ses études… (p. 120-121)
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Mona Chollet (Sorcières : La puissance invaincue des femmes)
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Poétise, poétise, fais-toi le grand cinéma de la liberté passée. Vrai que j'aimais ma vie, que je voyais l'avenir sans désespoir. Et je ne m'ennuyais pas. J'en ai réellement prononcé des propos désabusés sur le mariage, le soir dans ma chambre, avec les copines étudiantes, une connerie, la mort, rien qu'à voir la trombine des couples mariés au restau, ils bouffent l'un en face de l'autre sans parler, momifiés. Quand Hélène, licence de philo, concluait que c'était tout de même un mal nécessaire, pour avoir des enfants, je pensais qu'elle avait de drôles d'idées, des arguments saugrenus. Moi je n'imaginais jamais la maternité avec ou sans mariage. Je m'irritais aussi quand presque toutes se vantaient de savoir bien coudre, repasser sans faux plis, heureuses de ne pas être seulement intellectuelles, ma fierté devant une mousse au chocolat réussie avait disparu en même temps que Brigitte, la leur m'horripilait. Oui, je vivais de la même manière qu'un garçon de mon âge, étudiant qui se débrouille avec l'argent de l'État, l'aide modeste des parents, le baby-sitting et les enquêtes, va au cinéma, lit, danse, et bosse pour avoir ses examens, juge le mariage une idée bouffonne.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Mais le narrateur est plutôt tenté de croire qu’en donnant trop d’importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. Car on laisse supposer alors que ces belles actions n’ont tant de prix que parce qu’elles sont rares et que la méchanceté et l’indifférence sont des moteurs bien plus fréquents dans les actions des hommes. C’est là une idée que le narrateur ne partage pas. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité ce n’est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c’est ce qu’on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l’ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors a tuer. L'âme du meurtrier est aveugle et il n’y a pas de vraie bonté ni de belle amour sans toute la clairvoyance possible.
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Albert Camus (The Plague)
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Notre plus grande peur est la peur d'aimer. Toute souffrance a commencé par l'amour ; l'amour bafoué, renié, ignoré. L'abandon ou les cris dans une chambre d'enfant. Si c'est cette peur qui nous fait souhaiter construire un univers où nous n'aurons plus peur - où régnera une atmosphère de sécurité- , alors l'impulsion créatrice n'est pas la bonne. Si c'est la peur qui nous fait rêver d'un monde sans violence, nous y programmons aussitôt la violence. "Qui préfère la sécurité à la liberté aura vite fait de perdre les deux." Il faut sortir de l'illusion sécurisante. L'amour, par nature, met en danger. L'amour nous emporte au large, loin des estuaires et des ports de plaisance. Il décoiffe les anxieux, les craintifs, les inquiets. (p. 79-80)
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Christiane Singer (N'oublie pas les chevaux écumants du passé)
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Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ; Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler; Je sentis tout mon corps et transir et brûler : Je reconnus Vénus et ses feux redoutables, D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables ! Par des vœux assidus je crus les détourner : Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ; De victimes moi-même à toute heure entourée, Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée : D’un incurable amour remèdes impuissants ! En vain sur les autels ma main brûlait l’encens ! Quand ma bouche implorait le nom de la déesse, J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse, Même au pied des autels que je faisais fumer, J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer. Je l’évitais partout. Ô comble de misère ! Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père. Contre moi-même enfin j’osai me révolter : J’excitai mon courage à le persécuter. Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre, J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ; Je pressai son exil ; et mes cris éternels L’arrachèrent du sein et des bras paternels. Je respirais, ŒNONE ; et, depuis son absence, Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence : Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis, De son fatal hymen je cultivais les fruits. Vaines précautions ! Cruelle destinée ! Par mon époux lui-même à Trézène amenée, J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné : Ma blessure trop vive aussitôt a saigné. Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée : C’est Vénus tout entière à sa proie attachée. J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ; J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ; Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire, Et dérober au jour une flamme si noire : Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats : Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas. Pourvu que, de ma mort respectant les approches, Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches, Et que tes vains secours cessent de rappeler Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.
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Jean Racine (Phèdre)
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Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu'il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te dis : dirige tes talons en arrière et non en avant.
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Un piège. Dressé non pour Ellana mais pour lui. Jilano bondit vers la porte. Verrouillée, elle l'aurait à peine ralenti. Elle s'ouvrit sans difficulté. Sur un mur de pierre. Il leva les yeux. La même substance huileuse qui l'avait fait glisser recouvrait tous les murs. La gouttière gisait au sol. Inutile de l'observer pour savoir qu'elle avait été sabotée. Du joli travail. Jilano inspira profondément, ralentissant son rythme cardiaque jusqu'à ce que son corps élimine l'injonction de survie induite par le danger. Ce n'était plus la peine. Il s'assit en tailleur contre un mur et attendit que la silhouette apparaisse au-dessus de lui. Elle ne tarda pas. Un sourire pâle erra sur les lèvres du maître marchombre lorsqu’il reconnut l'assassin. La guilde était donc tombée si bas ? Il faillit parler, non pas pour tenter de convaincre, encore moins pour supplier, mais pour chercher à comprendre. Il préféra détourner les yeux afin de se concentrer sur l'essentiel. Alors que l'assassin bandait son arc, les pensées de Jilano s'envolèrent vers Ellana. Bonheur. Gratitude. Amour. - Garde-toi, murmura-t-il, et que ta route soit belle. - Madame ! Que vous arrive-t-il ? Ellana était brusquement devenue livide. Elle poussa un cri rauque, leva la main à son cœur et, avant qu'Aoro ait pu intervenir, elle s'effondra.
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Pierre Bottero (Ellana, l'Envol (Le Pacte des MarchOmbres, #2))
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Un mot exprime à lui seul ce double caractère, solitaire et inconnaissable, de toute chose au monde : le mot idiotie. Idiôtès, idiot, signifie simple, particulier, unique ; puis, par une extension sémantique dont la signification philosophique est de grande portée, personne dénuée d’intelligence, être dépourvu de raison. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles sont et telles qu’elles sont : incapables donc, et en premier lieu, de se refléter, d’apparaître dans le double du miroir. Or, c'est le sort finalement de toute réalité que de ne pouvoir se dupliquer sans devenir aussitot autre: l'image offerte par le miroir n'est pas superposable à la réalité qu'elle suggère.
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Clément Rosset
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[...] la foi, l'acte de croire à des mythes, des idéologies ou des légendes surnaturels, est la conséquence de la biologie. [...] Il est dans notre nature de survivre. La foi est une réponse instinctive à des aspects de l'existence que nous ne pouvons expliquer autrement, que ce soit le vide moral que nous percevons dans l'univers, la certitude de la mort, le mystère des origines, le sens de notre propre vie ou son absence de sens. Ce sont des aspects élémentaires et d'une extraordinaire simplicité, mais nos propres limitations nous empêchent de donner des réponses sans équivoque à ces questions et, pour cette raison, nous générons pour nous défendre une réponse émotionnelle. C'est de la pure et simple biologie. [...] Toute interprétation ou observation de la réalité l'est par nécessité. En l’occurrence, le problème réside dans le fait que l'homme est un animal moral abandonné dans un monde amoral, condamné à une existence finie et sans autre signification que de perpétuer le cycle naturel de l'espèce. Il est impossible de survivre dans un état prolongé de réalité, au moins pour un être humain.
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Carlos Ruiz ZafĂłn (The Angel's Game (The Cemetery of Forgotten Books, #2))
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Je la pris près de la rivière Car je la croyais sans mari Tandis qu'elle était adultère Ce fut la Saint Jacques la nuit Par rendez vous et compromis Quand s'éteignirent les lumiéres Et s'allumèrent les cri-cri Au coin des dernières enceintes Je touchai ses seins endormis Sa poitrine pour moi s'ouvrit Comme des branches de jacinthes Et dans mes oreilles l'empois De ses jupes amidonnées Crissait comme soie arrachée Par dix couteaux à la fois Les cimes d'arbres sans lumière Grandissaient au bord du chemin Et tout un horizon de chiens Aboyaient loin de la rivière Quand nous avons franchi les ronces Les épines et les ajoncs Sous elle son chignon s'enfonce Et fait untrou dans le limon Quand ma cravate fut otée Elle retira son jupon Puis quand j'otai mon ceinturon Quatre corsages d'affilée Ni le nard ni les escargots N'eurent jamais la peau si fine Ni sous la lune les cristaux N'ont de lueur plus cristalline Ses cuisses s'enfuyaient sous moi Comme des truites effrayées L'une moitié toute embrasée L'autre moitié pleine de froid Cette nuit me vit galoper De ma plus belle chevauchée Sur une pouliche nacrée Sans bride et sans étriers ......
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Federico GarcĂ­a Lorca
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Le chien est un animal si difforme, d’un caractère si désordonné, que de tout temps il a été considéré comme un monstre, né et formé en dépit de toutes les lois. En effet, lorsque le repos est l’état naturel, comment expliquer qu’un animal soit toujours remuant, affairé, et cela sans but ni besoin, lors même qu’il est repu et n’a point peur ? Lorsque la beauté consiste universellement dans la souplesse, la grâce et la prudence, comment admettre qu’un animal soit toujours brutal, hurlant, fou, se jetant au nez des gens, courant après les coups de pied et les rebuffades ? Lorsque le favori et le chef-d’oeuvre de la création est le chat, comment comprendre qu’un animal le haïsse, coure sur lui sans en avoir reçu une seule égratignure, et lui casse les reins sans avoir envie de manger sa chair ? Ces contrariétés prouvent que les chien sont des damnés ; très certainement les âmes coupables et punies passent dans leurs corps. Elles y souffrent : c’est pourquoi ils se tracassent et s’agitent sans cesse. Elles ont perdu la raison : c’est pourquoi ils gâtent tout, se font battre, et sont enchaînés les trois quarts du jour. Elles haïssent le beau et le bien : c’est pourquoi ils tâchent de nous étrangler.
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Hippolyte Taine
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Si il y avait bien une chose que l'Occupation nous avait apprise, c'était à nous taire. A ne jamais montrer ce que nous pensions du IIIème Reich et de cette guerre. Nous n'étions que des détenus dans nos propres maisons, dans notre pays. Plus libres d'avoir une opinion. Parce que même nos pensées pouvaient nous enchaîner. Ce soir, je l'avais oublié. Pourtant il ne m'arrêta pas. Il ne me demanda pas de le suivre pour un petit interrogatoire. Après tout, il n'y avait que les résistants pour tenir un discours si tranché, non? Il n'y avait qu'eux pour oser dire de telles choses devant un caporal de la Wehrmacht. Alors pourquoi me tendit-il simplement sa fourche? Puisque la mienne était inutilisable... J'hésitai à la prendre. Quand je le fis, il refusa de la lâcher. Nous restâmes là, une seconde. Nos mains se frôlant sur le manche en bois et nos regards accrochés. - Je ne suis pas innocent c'est vrai, m'avoua-t-il. Je ne le serai jamais plus et je devrai vivre avec toutes mes fautes. J'ai tué, je tuerai sans doute encore. J'ai blessé et je blesserai encore. J'ai menti et je mentirai encore. Non, c'est vrai, il n'y a plus rien d'innocent en moi. Mais je l'ai été. Au début. Avant la guerre. Je l'étais vraiment, vous savez. Innocent. Sa voix n'était qu'un murmure. - Pourquoi me dites-vous ça? - Pour que vous le sachiez. - Mais pourquoi? demandai-je encore. Il recula d'un pas. - Bonne soirée, monsieur Lambert, dit-il sans me répondre. Il quitta les écuries sans un bruit. Aussi discrètement qu'il était arrivé.
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Lily Haime (Ă€ l'ombre de nos secrets)
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Parfois, le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l'aube. Pourquoi ? parce que la tempête n'est pas un phénomène venu d'ailleurs sans aucun lien avec toi. Elle est toi même et rien d'autre. elle vient de l'intérieur de toi. Alors la seule chose que tu puisses faire, c'est pénétrer délibérément dedans, fermer les yeux et te boucher les oreilles afin d'empêcher le sable d'y entrer, et la traverser pas à pas. Au coeur de cette tempête, il n'y a pas de soleil, il n'y a pas de lune, pas de repère dans l'espace ; par moments, même, le temps n'existe plus. Il n'y a que du sable blanc et fin comme des os broyés qui tourbillonne haut dans le ciel. Voilà la tempête de sable que tu dois imaginer.
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Haruki Murakami (Kafka on the Shore)
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Ma liberté Longtemps je t'ai gardée Comme une perle rare Ma liberté c'est toi qui m'as aidé A larguer les amarres Pour aller n'importe où Pour aller jusqu'au bout Des chemins de fortune Pour cueillir en rêvant Une rose des vents Sur un rayon de lune Ma liberté Devant tes volontés Mon âme était soumise Ma liberté je t'avais tout donné Ma dernière chemise Et combien j'ai souffert Pour pouvoir satisfaire Tes moindres exigences J'ai changé de pays J'ai perdu mes amis Pour gagner ta confiance Ma liberté Tu as su désarmer Toutes mes habitudes Ma liberté toi qui m'as fait aimer Même la solitude Toi qui m'as fait sourire Quand je voyais finir Une belle aventure Toi qui m'as protégé Quand j'allais me cacher Pour soigner mes blessures Ma liberté Pourtant je t'ai quittée Une nuit de décembre J'ai déserté les chemins écartés Que nous suivions ensemble Lorsque sans me méfier Les pieds et poings liés Je me suis laissé faire Et je t'ai trahie pour Une prison d'amour Et sa belle geôlière Et je t'ai trahie pour Une prison d'amour Et sa belle geôlière
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Georges Moustaki
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Tu peux être grave et fou, qui empêche ? Tu peux être tout ce que tu veux et fou en surplus, mais il faut être fou, mon enfant. Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux. Outre qu'ils se donnent un ridicule irrémédiable devant les esprits semblables au mien, ils se font une vie dangereusement constipée. Ils sont exactement comme si, à la fois, ils se bourraient de tripes qui relâchent et de nèfles du Japon qui resserrent. Ils gonflent, gonflent, puis ils éclatent et ça sent mauvais pour tout le monde. Je n'ai pas trouvé d'image meilleure que celle-là. D'ailleurs, elle me plaît beaucoup. Il faudrait même y employer trois ou quatre mots de dialecte de façon à la rendre plus ordurière que ce qu'elle est en piémontais. Toi qui connais mon éloignement naturel pour tout ce qui est grossier, cette recherche te montre bien tout le danger que courent les gens qui se prennent au sérieux devant le jugement des esprits originaux. Ne sois jamais une mauvaise odeur pour tout un royaume, mon enfant. Promène-toi comme un jasmin au milieu de tous.
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Jean Giono (The Horseman on the Roof)
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Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flèche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes... Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Ça et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout, les éboulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'écoulement d'une rivière souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un présage, une suite définie d'événements, je crois reconnaître une fatalité, mais trop de routes ne mènent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversité, dans ce désordre, la présence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracée par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflétée sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mémoire des hommes, ou même dans la mienne propre ; puisque c'est peut-être l'impossibilité de continuer à s'exprimer et à se modifier par l'action que constitue la différence entre l'état de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indéfinissable. Et la preuve, c'est que j'éprouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte à moi-même. Certains travaux qui durèrent peu sont assurément négligeables, mais des occupations qui s'étendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble à peine essentiel, au moment où j'écris ceci, d'avoir été empereur..." (p.214)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Qui veut être assassin, de nos jours, doit être un homme de science. Non, non, je n'étais ni l'un ni l'autre. Mesdames et messieurs les jurés, la majorité des pervers sexuels qui brûlent d'avoir avec une gamine quelque relation physique palpitante capable de les faire gémir de plaisir, sans aller nécessairement jusqu'au coït, sont des êtres insignifiants, inadéquats, passifs, timorés, qui demandent seulement à la société de leur permettre de poursuivre leur activités pratiquement inoffensives, prétendument aberrantes, de se livrer en toute intimité à leurs petites perversions sexuelles brûlantes et moites sans que la police et la société ne leur tombent dessus. Nous ne sommes pas des monstres sexuels! Nous ne violons pas comme le font ces braves soldats. Nous sommes des hommes infortunés et doux, aux yeux de chien battu, suffisamment intégrés socialement pour maîtriser nos pulsions en présence des adultes, mais prêts à sacrifier des années et des années de notre vie pour pouvoir toucher une nymphette ne serait-ce qu'une seule fois. Nous ne sommes pas des tueurs, assurément. Les poètes ne tuent point.
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Vladimir Nabokov (Lolita)
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La solitude est une chose bien étrange. Elle vous envahit, tout doucement et sans faire de bruit, s’assoit à vos côtés dans le noir, vous caresse les cheveux pendant votre sommeil. Elle s’enroule autour de vous, vous serre si fort que vous pouvez à peine respirer, que vous n’entendez presque plus la pulsation du sang dans vos veines, tandis qu’elle file sur votre peau et effleure de ses lèvres le fin duvet de votre nuque. Elle s’installe dans votre cœur, s’allonge près de vous la nuit, dévore comme une sangsue la lumière dans le moindre recoin. C’est une compagne de chaque instant, qui vous serre la main pour mieux vous tirer vers le bas quand vous luttez pour vous redresser. Vous vous réveillez le matin et vous vous demandez qui vous êtes. Vous n’arrivez pas à vous endormir le soir et tremblez comme une feuille. Vous doutez vous doutez vous doutez. je dois je ne dois pas je devrais pourquoi je ne vais pas Et même quand vous êtes prêt à lâcher prise. Quand vous êtes prêt à vous libérer. Quand vous êtes prêt à devenir quelqu’un de nouveau. La solitude est une vieille amie debout à votre côté dans le miroir ; elle vous regarde droit dans les yeux, vous met au défi de mener votre vie sans elle. Vous ne pouvez pas trouver les mots pour lutter contre vous-même, lutter contre les mots qui hurlent que vous n’êtes pas à la hauteur, que vous ne le serez jamais vraiment, jamais vraiment. La solitude est une compagne cruelle, maudite. Parfois, elle ne veut simplement pas vous abandonner
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Tahereh Mafi (Unravel Me (Shatter Me, #2))
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Le Métèque Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec Et mes cheveux aux quatre vents Avec mes yeux tout délavés, qui me donnent l'air de rêver Moi qui ne rêve plus souvent. Avec mes mains de maraudeur, de musicien et de rôdeur Qui ont pillé tant de jardins Avec ma bouche qui a bu, qui a embrassé et mordu Sans jamais assouvir sa faim Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec De voleur et de vagabond Avec ma peau qui s'est frottée au soleil de tous les étés Et tout ce qui portait jupon Avec mon coeur qui a su faire souffrir autant qu'il a souffert Sans pour cela faire d'histoire Avec mon âme qui n'a plus la moindre chance de salut Pour éviter le purgatoire. Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec Et mes cheveux aux quatre vents Je viendrai ma douce captive, mon âme soeur, ma source vive Je viendrai boire tes vingt ans Et je serai prince de sang, rêveur, ou bien adolescent Comme il te plaira de choisir Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour Que nous vivrons à en mourir. Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour Que nous vivrons à en mourir.
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Georges Moustaki
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In the window I smelled all the food of San Francisco. There were seafood places out there where the buns were hot, and the baskets were good enough to eat too; where the menus themselves were soft with foody esculence as though dipped in hot broths and roasted dry and good enough to eat too. Just show me the bluefish spangle on a seafood menu and I’d eat it; let me smell the drawn butter and lobster claws. There were places where they specialized in thick and red roast beef au jus, or roast chicken basted in wine. There were places where hamburgs sizzled on grills and the coffee was only a nickel. And oh, that pan-fried chow mein flavored air that blew into my room from Chinatown, vying with the spaghetti sauces of North Beach, the soft-shell crab of Fisherman’s Wharf — nay, the ribs of Fillmore turning on spits! Throw in the Market Street chili beans, redhot, and french-fried potatoes of the Embarcadero wino night, and steamed clams from Sausalito across the bay, and that’s my ah-dream of San Francisco…
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Jack Kerouac (On the Road)
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Il est un côté de la « culture bourgeoise » qui en dévoile toute la petitesse, c'est son aspect de « roulement » conventionnel, de manque d'imagination, bref d'inconscience et de vanité : on ne se demande pas un instant « à quoi bon tout cela » ; aucun auteur ne se demande s'il vaut la peine d'écrire une nouvelle histoire après tant d'autres histoires ; on semble en écrire simplement parce que d'autres en ont écrit, et parce qu'on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas et pourquoi on ne gagnerait pas une gloire que d'autres ont gagnée. C'est un perpetuum mobile que rien ne peut arrêter, sauf une catastrophe ou, moins tragiquement, la disparition progressive des lecteurs ; sans public point de célébrité, nous l'avons dit plus haut. Et ceci est arrivé dans une certaine mesure : on ne lit plus d'anciens auteurs dont le prestige paraissait assuré ; le grand public a d'autres besoins, d'autres ressources et d'autres distractions, fussent-elle des plus basses. La culture c'est, de plus en plus, l'absence de culture : la manie de se couper de ses racines et d'oublier d'où l'on vient. Une des raisons subjectives de ce que nous pouvons appeler le « roulement culturel » est que l'homme n'aime pas se perdre tout seul, qu'il aime par conséquent trouver des complices pour une perdition commune ; c'est ce que fait la culture profane, inconsciemment ou consciemment, mais non innocemment car l'homme porte au fond de lui-même l'instinct de sa raison d'être et de sa vocation. On a souvent reproché aux civilisations orientales leur stérilité culturelle, c'est-à-dire le fait qu'elles ne comportent pas un fleuve habituel de production littéraire, artistique et philosophique ; nous croyons pouvoir nous dispenser à présent de la peine d'en expliquer les raisons.
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Frithjof Schuon (To Have a Center (Library of Traditional Wisdom))
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Patrice a vingt-quatre ans et, la première fois que je l’ai vu, il était dans son fauteuil incliné très en arrière. Il a eu un accident vasculaire cérébral. Physiquement, il est incapable du moindre mouvement, des pieds jusqu’à la racine des cheveux. Comme on le dit souvent d’une manière très laide, il a l’aspect d’un légume : bouche de travers, regard fixe. Tu peux lui parler, le toucher, il reste immobile, sans réaction, comme s’il était complètement coupé du monde. On appelle ça le locked in syndrome.Quand tu le vois comme ça, tu ne peux qu’imaginer que l’ensemble de son cerveau est dans le même état. Pourtant il entend, voit et comprend parfaitement tout ce qui se passe autour de lui. On le sait, car il est capable de communiquer à l’aide du seul muscle qui fonctionne encore chez lui : le muscle de la paupière. Il peut cligner de l’œil. Pour l’aider à s’exprimer, son interlocuteur lui propose oralement des lettres de l’alphabet et, quand la bonne lettre est prononcée, Patrice cligne de l’œil.  Lorsque j’étais en réanimation, que j’étais complètement paralysé et que j’avais des tuyaux plein la bouche, je procédais de la même manière avec mes proches pour pouvoir communiquer. Nous n’étions pas très au point et il nous fallait parfois un bon quart d’heure pour dicter trois pauvres mots. Au fil des mois, Patrice et son entourage ont perfectionné la technique. Une fois, il m’est arrivé d’assister à une discussion entre Patrice et sa mère. C’est très impressionnant.La mère demande d’abord : « Consonne ? » Patrice acquiesce d’un clignement de paupière. Elle lui propose différentes consonnes, pas forcément dans l’ordre alphabétique, mais dans l’ordre des consonnes les plus utilisées. Dès qu’elle cite la lettre que veut Patrice, il cligne de l’œil. La mère poursuit avec une voyelle et ainsi de suite. Souvent, au bout de deux ou trois lettres trouvées, elle anticipe le mot pour gagner du temps. Elle se trompe rarement. Cinq ou six mots sont ainsi trouvés chaque minute.  C’est avec cette technique que Patrice a écrit un texte, une sorte de longue lettre à tous ceux qui sont amenés à le croiser. J’ai eu la chance de lire ce texte où il raconte ce qui lui est arrivé et comment il se sent. À cette lecture, j’ai pris une énorme gifle. C’est un texte brillant, écrit dans un français subtil, léger malgré la tragédie du sujet, rempli d’humour et d’autodérision par rapport à l’état de son auteur. Il explique qu’il y a de la vie autour de lui, mais qu’il y en a aussi en lui. C’est juste la jonction entre les deux mondes qui est un peu compliquée.Jamais je n’aurais imaginé que ce texte si puissant ait été écrit par ce garçon immobile, au regard entièrement vide.  Avec l’expérience acquise ces derniers mois, je pensais être capable de diagnostiquer l’état des uns et des autres seulement en les croisant ; j’ai reçu une belle leçon grâce à Patrice.Une leçon de courage d’abord, étant donné la vitalité des propos que j’ai lus dans sa lettre, et, aussi, une leçon sur mes a priori. Plus jamais dorénavant je ne jugerai une personne handicapée à la vue seule de son physique. C’est jamais inintéressant de prendre une bonne claque sur ses propres idées reçues .
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Grand corps malade (Patients)
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J’allais ouvrir la bouche et aborder cette fille , quand quelqu’un me toucha l’épaule. Je me retournai, surpris, et j’aperçus un homme d’aspect ordinaire, ni jeune ni vieux, qui me regardait d’un air triste. — Je voudrais vous parler, dit-il. Je fis une grimace qu’il vit sans doute, car il ajouta : — « C’est important. » Je me levai et le suivis à l’autre bout du bateau : — « Monsieur, reprit-il, quand l’hiver approche avec les froids, la pluie et la neige, votre médecin vous dit chaque jour : « Tenez-vous les pieds bien chauds, gardez-vous des refroidissements, des rhumes, des bronchites, des pleurésies. » Alors vous prenez mille précautions, vous portez de la flanelle, des pardessus épais, des gros souliers, ce qui ne vous empêche pas toujours de passer deux mois au lit. Mais quand revient le printemps avec ses feuilles et ses fleurs, ses brises chaudes et amollissantes, ses exhalaisons des champs qui vous apportent des troubles vagues, des attendrissements sans cause, il n’est personne qui vienne vous dire : « Monsieur, prenez garde à l’amour ! Il est embusqué partout ; il vous guette à tous les coins ; toutes ses ruses sont tendues, toutes ses armes aiguisées, toutes ses perfidies préparées ! Prenez garde à l’amour !… Prenez garde à l’amour ! Il est plus dangereux que le rhume, la bronchite et la pleurésie ! Il ne pardonne pas, et fait commettre à tout le monde des bêtises irréparables. » Oui, monsieur, je dis que, chaque année, le gouvernement devrait faire mettre sur les murs de grandes affiches avec ces mots : « Retour du printemps. Citoyens français, prenez garde à l’amour ; » de même qu’on écrit sur la porte des maisons : « Prenez garde à la peinture ! » — Eh bien, puisque le gouvernement ne le fait pas, moi je le remplace, et je vous dis : « Prenez garde à l’amour ; il est en train de vous pincer, et j’ai le devoir de vous prévenir comme on prévient, en Russie, un passant dont le nez gèle. » Je demeurai stupéfait devant cet étrange particulier, et, prenant un air digne : — « Enfin, monsieur, vous me paraissez vous mêler de ce qui ne vous regarde guère. » Il fit un mouvement brusque, et répondit : — « Oh ! monsieur ! monsieur ! si je m’aperçois qu’un homme va se noyer dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser périr ?
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Guy de Maupassant
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Les Poets de Sept ans Et la Mère, fermant le livre du devoir, S'en allait satisfaite et très fière sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences, L'âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour, il suait d'obéissance ; très Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies. Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté A se renfermer dans la fraîcheur des latrines: Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s'illunait , Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne Et pour des visions écrasant son oeil darne, Il écoutait grouiller les galeux espaliers. Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue, Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots, Conversaient avec la douceur des idiots ! Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes, Sa mère s'effrayait, les tendresses profondes, De l'enfant se jetaient sur cet étonnement. C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment! A sept ans, il faisait des romans, sur la vie Du grand désert où luit la Liberté ravie, Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait De journaux illustrés où, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l'Oeil brun, folle, en robes d'indiennes, -Huit ans -la fille des ouvriers d'à côté, La petite brutale, et qu'elle avait sauté, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses, Car elle ne portait jamais de pantalons; - Et, par elle meurtri des poings et des talons, Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre, Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou, Il lisait une Bible à la tranche vert-chou; Des rêves l'oppressaient, chaque nuit, dans l'alcôve. Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes qu'au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour, Font autour des édits rire et gronder les foules. - Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or, Font leur remuement calme et prennent leur essor ! Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, Haute et bleue, âcrement prise d'humidité, Il lisait son roman sans cesse médité, Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, Vertige, écroulement, déroutes et pitié ! - Tandis que se faisait la rumeur du quartier, En bas, - seul et couché sur des pièces de toile Écrue et pressentant violemment la voile!
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Arthur Rimbaud
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[...] Pierre de la Coste : Comme par exemple Stephen Hawking dans l'un de ces derniers livres dit "j'ai pas besoin de dieu pour expliquer l'univers, il me suffit des lois de la gravitation" Etienne Klein : Ne me faites pas rire... [...] Il a écrit un livre il y a quelques années qui s'appelle une brève histoire du temps, et c'est toujours le même truc, il fait 180 pages sur la théorie des cordes, puis dernière page, Dieu arrive, on sait pas pourquoi, il arrive comme ça. Dans le premier livre, c'était "bientôt grâce à la théorie des cordes, nous connaîtrons la pensée de Dieu" - On apprend là que Dieu pense... ce qui est en soit une information théologique de première importance..., et puis il y a une espèce de naïveté comme ça à parler de Dieu sans dire que quel Dieu on parle... Et puis là dans le dernier livre que vous citez, effectivement, pareil, 180 pages sur la théorie des cordes... puis dernière page, "finalement, on a pas besoin de Dieu pour créer l'univers, les lois de la gravitation ont suffit pour le faire" - mais vous voyez la naïveté du truc...? Et après ça fait la Une du Times, ça fait la Une de la presse française... Et prenons le au sérieux, imaginons qu'effectivement, au début entre guillemets, il n'y avait pas d'espace, pas de temps, pas de matière, pas d’énergie, pas de rayonnement, mais il y avait les lois de la gravitation...- Alors les lois de la gravitation sont là, transcendantes, et "pof" elle créent l'univers. ça veut dire que, si vous définissez Dieu comme étant celui qui a créé l'univers, vous devez admettre que les lois de la gravitation c'est Dieu... et à ce moment là, quand vous tombez dans les escaliers, sous l'effet de la gravitation, sans le savoir vous accomplissez une action de grâce... et donc, vous voyez cette naïveté là est quand même coupable [...] "Les Rendez-vous du futur Étienne Klein [20m45]"
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Étienne Klein
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C’était une femme originale et solitaire. Elle entretenait un commerce étroit avec les esprits, épousait leurs querelles et refusait de voir certaines personnes de sa famille mal considérées dans le monde où elle se réfugiait. Un petit héritage lui échut qui venait de sa soeur. Ces cinq mille francs, arrivés à la fin d’une vie, se révélèrent assez encombrants. Il fallait les placer. Si presque tous les hommes sont capables de se servir d’une grosse fortune, la difficulté commence quand la somme est petite. Cette femme resta fidèle à elle-même. Près de la mort, elle voulut abriter ses vieux os. Une véritable occasion s’offrait à elle. Au cimetière de sa ville, une concession venait d’expirer et, sur ce terrain, les propriétaires avaient érigé un somptueux caveau, sobre de lignes, en marbre noir, un vrai trésor à tout dire, qu’on lui laissait pourla somme de quatre mille francs. Elle acheta ce caveau. C’était là une valeur sûre, à l’abri des fluctuations boursières et des événements politiques. Elle fit aménager la fosse intérieure, la tint prête à recevoir son propre corps. Et, tout achevé, elle fit graver son nom en capitales d’or. Cette affaire la contenta si profondément qu’elle fut prise d’un véritable amour pour son tombeau. Elle venait voir au début les progrès des travaux Elle finit par se rendre visite tous les dimanches après-midi. Ce fut son unique sortie et sa seule distraction. Vers deux heures de l’après-midi, elle faisait le long trajet qui l’amenait aux portes de la ville où se trouvait le cimetière. Elle entrait dans le petit caveau, refermait soigneusement la porte, et s’agenouillait sur le prie-Dieu. C’est ainsi que, mise en présence d’elle-même, confrontant ce qu’elle était et ce qu’elle devait être, retrouvant l’anneau d’une chaîne toujours rompue, elle perça sans effort les desseins secrets de la Providence. Par un singulier symbole, elle comprit même un jour qu’elle était morte aux yeux du monde. À la Toussaint, arrivée plus tard que d’habitude, elle trouva le pas de la porte pieusement jonché de violettes. Par une délicate attention, des inconnus compatissants devant cette tombe laissée sans fleurs, avaient partagé les leurs et honoré la mémoire de ce mort abandonné à lui-même.
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Albert Camus (L'envers et l'endroit)
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« Écoute, Egor Pétrovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton désespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accès de tristesse, tu dis que tu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as raconté ta vie d’autrefois. À cette époque aussi le désespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette époque aussi, ton premier maître, cet homme étrange, dont tu m’as tant parlé, a éveillé en toi, pour la première fois, l’amour de l’art et a deviné ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriétaire, et tu ne savais toi-même ce que tu désirais. Ton maître est mort trop tôt. Il t’a laissé seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliqué toimême. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinés, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haï tout ce qui t’entourait alors. Tes six années de misère ne sont pas perdues. Tu as travaillé, pensé, tu as reconnu et toi-même et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus envié que le mien t’est réservé. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne même la dixième partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriétaire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvreté, la misère ? Mais la pauvreté et la misère forment l’artiste. Elles sont inséparables des débuts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaître. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignité, et surtout la bêtise t’opprimeront plus fortement que la misère. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tâcheront de regarder avec mépris ce qui s’est élaboré en toi au prix d’un pénible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relèveront chacune de tes fautes. Ils te montreront précisément ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et méprisant ils fêteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent à tort. Il t’arrivera d’offenser une nullité qui a de l’amour-propre, et alors malheur à toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront à coups d’épingles. Moi même, je commence à éprouver tout cela. Prends donc des forces dès maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne néglige pas les besognes grossières, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicité ; tu ruses trop, tu réfléchis trop, tu fais trop travailler ta tête. Tu es audacieux en paroles et lâche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-être arriveras-tu au but. Sinon, va quand même au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Esther n'était certainement pas bien éduquée au sens habituel du terme, jamais l'idée ne lui serait venue de vider un cendrier ou de débarrasser le relief de ses repas, et c'est sans la moindre gêne qu'elle laissait la lumière allumée derrière elle dans les pièces qu'elle venait de quitter (il m'est arrivé, suivant pas à pas son parcours dans ma résidence de San Jose, d'avoir à actionner dix-sept commutateurs); il n'était pas davantage question de lui demander de penser à faire un achat, de ramener d'un magasin où elle se rendait une course non destinée à son propre usage, ou plus généralement de rendre un service quelconque. Comme toutes les très jolies jeunes filles elle n'était au fond bonne qu'à baiser, et il aurait été stupide de l'employer à autre chose, de la voir autrement que comme un animal de luxe, en tout choyé et gåté, protégé de tout souci comme de toute tâche ennuyeuse ou pénible afin de mieux pouvoir se consacrer à son service exclusivement sexuel. Elle n'en était pas moins très loin d'être ce monstre d'arrogance, d'égoïsme absolu et froid, au, pour parler en termes plus baudelairiens, cette infernale petite salope que sont la plupart des très jolies jeunes filles; il y avait en elle la conscience de la maladie, de la faiblesse et de la mort. Quoique belle, très belle, infiniment érotique et désirable, Esther n'en était pas moins sensible aux infirmités animales, parce qu'elle les connaissait ; c'est ce soir-là que j'en pris conscience, et que je me mis véritablement à l'aimer. Le désir physique, si violent soit-il, n'avait jamais suffi chez moi à conduire à l'amour, il n'avait pu atteindre ce stade ultime que lorsqu'il s'accompagnait, par une juxtaposition étrange, d'une compassion pour l'être désiré ; tout être vivant, évidemment, mérite la compassion du simple fait qu'il est en vie et se trouve par là-même exposé à des souffrances sans nombre, mais face à un être jeune et en pleine santé c'est une considération qui paraît bien théorique. Par sa maladie de reins, par sa faiblesse physique insoupçonnable mais réelle, Esther pouvait susciter en moi une compassion non feinte, chaque fois que l'envie me prendrait d'éprouver ce sentiment à son égard. Étant elle-même compatissante, ayant même des aspirations occasionnelles à la bonté, elle pouvait également susciter en moi l'estime, ce qui parachevait l'édifice, car je n'étais pas un être de passion, pas essentiellement, et si je pouvais désirer quelqu'un de parfaitement méprisable, s'il m'était arrivé à plusieurs reprises de baiser des filles dans l'unique but d'assurer mon emprise sur elles et au fond de les dominer, si j'étais même allé jusqu'à utiliser ce peu louable sentiment dans des sketches, jusqu'à manifester une compréhension troublante pour ces violeurs qui sacrifient leur victime immédiatement après avoir disposé de son corps, j'avais par contre toujours eu besoin d'estimer pour aimer, jamais au fond je ne m'étais senti parfaitement à l'aise dans une relation sexuelle basée sur la pure attirance érotique et l'indifférence à l'autre, j'avais toujours eu besoin, pour me sentir sexuellement heureux, d'un minimum - à défaut d'amour - de sympathie, d'estime, de compréhension mutuelle; l'humanité non, je n'y avais pas renoncé. (La possibilité d'une île, Daniel 1,15)
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Michel Houellebecq
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Augmentez la dose de sports pour chacun, développez l'esprit d'équipe, de compétition, et le besoin de penser est éliminé, non ? Organiser, organisez, super-organisez des super-super-sports. Multipliez les bandes dessinées, les films; l'esprit a de moins en moins d'appétits. L'impatience, les autos-trades sillonnées de foules qui sont ici, là, partout, nulle part. Les réfugiés du volant. Les villes se transforment en auberges routières; les hommes se déplacent comme des nomades suivant les phases de la lune, couchant ce soir dans la chambre où tu dormais à midi et moi la veille. (1re partie) On vit dans l'immédiat. Seul compte le boulot et après le travail l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit sinon à presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des écrous ? Nous n'avons pas besoin qu'on nous laisse tranquilles. Nous avons besoin d'être sérieusement tracassés de temps à autre. Il y a combien de temps que tu n'as pas été tracassée sérieusement ? Pour une raison importante je veux dire, une raison valable ? - Tu dois bien comprendre que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d'inquiéter ou de déranger nos minorités. Pose-toi la question toi-même. Que recherchons-nous, par-dessus tout, dans ce pays ? Les gens veulent être heureux, d'accord ? Ne l'as-tu pas entendu répéter toute la vie ? Je veux être heureux, déclare chacun. Eh bien, sont-ils heureux ? Ne veillons-nous pas à ce qu'ils soient toujours en mouvement, toujours distraits ? Nous ne vivons que pour ça, c'est bien ton avis ? Pour le plaisir, pour l'excitation. Et tu dois admettre que notre civilisation fournit l'un et l'autre à satiété. Si le gouvernement est inefficace, tyrannique, vous écrase d'impôts, peu importe tant que les gens n'en savent rien. La paix, Montag. Instituer des concours dont les prix supposent la mémoire des paroles de chansons à la mode, des noms de capitales d'État ou du nombre de quintaux de maïs récoltés dans l'Iowa l'année précédente. Gavez les hommes de données inoffensives, incombustibles, qu'ils se sentent bourrés de "faits" à éclater, renseignés sur tout. Ensuite, ils s'imagineront qu'ils pensent, ils auront le sentiment du mouvement, tout en piétinant. Et ils seront heureux, parce que les connaissances de ce genre sont immuables. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie à quoi confronter leur expérience. C'est la source de tous les tourments. Tout homme capable de démonter un écran mural de télévision et de le remonter et, de nos jours ils le sont à peu près tous, est bien plus heureux que celui qui essais de mesurer, d'étalonner, de mettre en équations l'univers ce qui ne peut se faire sans que l'homme prenne conscience de son infériorité et de sa solitude. Nous sommes les joyeux drilles, les boute-en-train, toi, moi et les autres. Nous faisons front contre la marée de ceux qui veulent plonger le monde dans la désolation en suscitant le conflit entre la théorie et la pensée. Nous avons les doigts accrochés au parapet. Tenons bon. Ne laissons pas le torrent de la mélancolie et de la triste philosophie noyer notre monde. Nous comptons sur toi. Je ne crois pas que tu te rendes compte de ton importance, de notre importance pour protéger l'optimisme de notre monde actuel.
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Ray Bradbury (Fahrenheit 451)