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Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants de soleils; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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Adieu, soleil ! s'écria-t-il. Disparais, astre radieux ! Couche-toi sous cette mer libre, et laisse une nuit de six mois étendre ses ombres sur mon nouveau domaine !
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Jules Verne (20,000 Leagues Under the Sea)
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The water shines only by the sun. And it is you who are my sun. (L'eau ne brille que par le soleil. - Et câest toi qui es mon soleil.)
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Charles de Leusse
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J'ai connu et je connais encore, dans ma vie, des bonheurs inouĂŻs. Depuis mon enfance, par exemple, j'ai toujours aimĂ© les concombres salĂ©s, pas les cornichons, mais les concombres, les vrais, les seuls et uniques, ceux qu'on appelle concombres Ă la russe. J'en ai toujours trouvĂ© partout. Souvent, je m'en achĂšte une livre, je m'installe quelque part au soleil, au bord de la mer, ou n'importe oĂč, sur un trottoir ou sur un banc, je mords dans mon concombre et me voilĂ complĂštement heureux. Je reste lĂ , au soleil, le cĆur apaisĂ©, en regardant les choses et les hommes d'un Ćil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'ĂȘtre vĂ©cue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner Ă ce qu'on aime avec un abandon total de soi.
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Le coucher de soleil, le printemps, le bleu de la mer, les Ă©toiles de la nuit, toutes ces choses que nous disons captivantes nâont de magie que lorsquâelles gravitent autour dâune femme, mon garçon⊠Car la BeautĂ©, la vraie, lâ unique, la beautĂ© phare, la beautĂ© absolue, c âest la femme. Le reste, tout le reste n âest qu âaccessoires de charme.
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Yasmina Khadra
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J'ai tout donné au soleil.
Tout sauf mon ombre
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Guillaume Apollinaire (Alcools)
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chaque jour Ă mon Ăąme
tu ajoutes une flamme
des fleurs Ă ma corbeille
un rai Ă mon soleil
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Jean-Robert Léonidas
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Et je riais et criais
Ă faire fondre le soleil
Mais je pleurais Ă faire rire
De mon chagrin la terre entiĂšre
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Paul Ăluard (L'enfant qui ne voulait pas grandir)
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Ne savez-vous point que vous ĂȘtes mon soleil pendant le jour et mon Ă©toile pendant la nuit ? En vĂ©ritĂ© je me croyais dans lâobscuritĂ© la plus profonde, lorsque vous avez paru tout Ă lâheure et avez soudain tout Ă©clairĂ©.
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Alexandre Dumas (La Reine Margot, Tome I)
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Oh! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux oĂč nous Ă©tions amis
En ce temps-là la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi.
Et le vent du Nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi,
Mais mon amour silencieux et fidĂšle
Sourit toujours et remercie la vie.
Je t'aimais tant, tu étais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie?
En ce temps-là la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Tu étais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets.
Et la chanson que tu chantais,
Toujours, toujours je l'entendrai.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais, moi je t'aimais
Et nous vivions, tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
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Jacques Prévert
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Elle Ă©tait mon soleil, mon assurance, mon intelligence. Moi, je nâĂ©tais que sa lune. Un soleil peut vivre seul, sans planĂšte. Mais une lune a besoin de tourner autour de quelque chose, sinon elle se dĂ©saxe et se perd dans lâespace⊠âTao
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Victor Dixen (Origines (Phobos #0.5))
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L'écriture, c'est la mémoire. Nous écrivons autour d'une mutilation et du soleil. Il fallait me pendre à mon landau.
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Alain Prique
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Je cherchais une Ăąme qui et me ressemblĂąt, et je ne pouvais pas la trouver. Je fouillais tous les recoins de la terre; ma persĂ©vĂ©rance Ă©tait inutile. Cependant, je ne pouvais pas rester seul. Il fallait quelquâun qui approuvĂąt mon caractĂšre; il fallait quelquâun qui eĂ»t les mĂȘmes idĂ©es que moi. CâĂ©tait le matin; le soleil se leva Ă lâhorizon, dans toute sa magnificence, et voilĂ quâĂ mes yeux se lĂšve aussi un jeune homme, dont la prĂ©sence engendrait les fleurs sur son passage. Il sâapprocha de moi, et, me tendant la main: "Je suis venu vers toi, toi, qui me cherches. BĂ©nissons ce jour heureux." Mais, moi: "Va-tâen; je ne tâai pas appelĂ©: je nâai pas besoin de ton amitiĂ©."
CâĂ©tait le soir; la nuit commençait Ă Ă©tendre la noirceur de son voile sur la nature. Une belle femme, que je ne faisais que distinguer, Ă©tendait aussi sur moi son influence enchanteresse, et me regardait avec compassion; cependant, elle nâosait me parler. Je dis: "Approche-toi de moi, afin que je distingue nettement les traits de ton visage; car, la lumiĂšre des Ă©toiles nâest pas assez forte, pour les Ă©clairer Ă cette distance." Alors, avec une dĂ©marche modeste, et les yeux baissĂ©s, elle foula lâherbe du gazon, en se dirigeant de mon cĂŽtĂ©. DĂšs que je la vis: "Je vois que la bontĂ© et la justice ont fait rĂ©sidence dans ton coeur: nous ne pourrions pas vivre ensemble. Maintenant, tu admires ma beautĂ©, qui a bouleversĂ© plus dâune; mais, tĂŽt ou tard, tu te repentirais de mâavoir consacrĂ© ton amour; car, tu ne connais pas mon Ăąme. Non que je te sois jamais infidĂšle: celle qui se livre Ă moi avec tant dâabandon et de confiance, avec autant de confiance et dâabandon, je me livre Ă elle; mais, mets-le dans ta tĂȘte, pour ne jamais lâoublier: les loups et les agneaux ne se regardent pas avec des yeux doux."
Que me fallait-il donc, Ă moi, qui rejetais, avec tant de dĂ©goĂ»t, ce quâil y avait de plus beau dans lâhumanitĂ©!
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Câest alors que tout a vacillĂ©. La mer a charriĂ©
un souffle Ă©pais et ardent. Il mâa semblĂ© que le ciel sâouvrait sur
toute son Ă©tendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon ĂȘtre
sâest tendu et jâai crispĂ© ma main sur le revolver. La gĂąchette a
cĂ©dĂ©, jâai touchĂ© le ventre poli de la crosse et câest lĂ , dans le
bruit Ă la fois sec et assourdissant, que tout a commencĂ©. Jâai
secouĂ© la sueur et le soleil. Jâai compris que jâavais dĂ©truit
lâĂ©quilibre du jour, le silence exceptionnel dâune plage oĂč jâavais
Ă©tĂ© heureux. Alors, jâai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles sâenfonçaient sans quâil y parĂ»t. Et câĂ©tait comme
quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur
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Albert Camus (The Stranger)
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Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe
Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j'étouffe
Je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop ;
Ton nom est dans mon cĆur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne !
De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé :
Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai,
Pour sortir le matin tu changeas de coiffure !
J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil,
On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Surtout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes,
Mon regard ébloui pose des taches blondes !
â
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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L'Amour qui n'est pas un mot
Mon Dieu jusqu'au dernier moment
Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme
Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme
Comment se pourrait-il comment
Comment se pourrait-il qu'on aime
Ou comment nommer ce tourment
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenĂȘtres
Tu me rends la caresse d'ĂȘtre
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaĂźtre
Notre histoire jusqu'Ă la fin
C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble
Que la lumiĂšre sur ta joue
Qu'autour de toi le vent se joue
Toujours si je te vois je tremble
Comme Ă son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble
M'habituer m'habituer
Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué
Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme
S'ils s'habituaient aux nuées
Pour la premiĂšre fois ta bouche
Pour la premiĂšre fois ta voix
D'une aile Ă la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche
C'est toujours la premiĂšre fois
Quand ta robe en passant me touche
Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la tends
Ma vie en vérité commence
Le jour que je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'as montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fiĂšvres
Et j'ai flambé comme un geniÚvre
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lÚvre
Ma vie est Ă partir de toi
â
â
Louis Aragon
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Si je n'Ă©tais pas amant, j'Ă©tais plus qu'un ami, plus qu'un frĂšre; j'Ă©tais l'arbre auquel, pauvre lierre, elle s'abritait, j'Ă©tais le fleuve qui emportait sa barque Ă mon courant, j'Ă©tais le soleil d'oĂč lui venait la lumiĂšre; tout ce qui existait d'elle existait par moi, et probablement le jour n'Ă©tait pas loin oĂč ce qui existait par moi existerait aussi pour moi.
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Alexandre Dumas (Pauline)
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Le MétÚque
Avec ma gueule de métÚque, de juif errant, de pùtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents
Avec mes yeux tout dĂ©lavĂ©s, qui me donnent l'air de rĂȘver
Moi qui ne rĂȘve plus souvent.
Avec mes mains de maraudeur, de musicien et de rĂŽdeur
Qui ont pillé tant de jardins
Avec ma bouche qui a bu, qui a embrassé et mordu
Sans jamais assouvir sa faim
Avec ma gueule de métÚque, de juif errant, de pùtre grec
De voleur et de vagabond
Avec ma peau qui s'est frottée au soleil de tous les étés
Et tout ce qui portait jupon
Avec mon coeur qui a su faire souffrir autant qu'il a souffert
Sans pour cela faire d'histoire
Avec mon Ăąme qui n'a plus la moindre chance de salut
Pour éviter le purgatoire.
Avec ma gueule de métÚque, de juif errant, de pùtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents
Je viendrai ma douce captive, mon Ăąme soeur, ma source vive
Je viendrai boire tes vingt ans
Et je serai prince de sang, rĂȘveur, ou bien adolescent
Comme il te plaira de choisir
Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour
Que nous vivrons Ă en mourir.
Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour
Que nous vivrons Ă en mourir.
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â
Georges Moustaki
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Moi qui jadis dansais parmi vous, ĂŽ mes sĆurs,
Vive comme le faon, le plus vif des danseurs.
Mais, ĂŽ belles, quây puis-je ? HĂ©las lâombre Ă©toilĂ©e
Et le jour qui la suit ou bien qui la précÚde
Nous traĂźnent Ă la mort. Ă la mort chacun cĂšde.
Mais je désire encor⊠Mon ùme désolée
Goûte encor le soleil et les fleurs printaniÚres.
Les bĂȘtes vont mourir au fond de leurs taniĂšres,
Mais je veux jusquâau bout savourer la clartĂ©
Et vous aimer.
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Marguerite Yourcenar (La Couronne et la Lyre: Anthologie de la poésie grecque ancienne)
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Mais encore, malgrĂ© ma vie au soleil et mon corps vivant, je reste attirĂ© par les ĂȘtres qu'on appelle tĂ©nĂ©breux, ceux en qui quelque chose me rĂ©vĂšle la nuit, ceux qui sont enveloppĂ©s de nuit, fĂ»t-ce cette nuit qu'est encore l'Ă©clat dont ils rayonnent, ceux qui sont bruns ou blonds avec des yeux noirs, ou avec un visage crispĂ©, un sourire mauvais, des dents mĂ©chantes, un sexe important, une toison Ă©paisse. Je leur crois une Ăąme dangereuse.
â
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Jean Genet (Funeral Rites)
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Ma surprise fut Ă son comble, pourtant, quand je dĂ©couvris quâil ignorait la thĂ©orie de Copernic et la composition du systĂšme solaire. Quâun ĂȘtre humain civilisĂ©, au dix-neuviĂšme siĂšcle, ne sĂ»t pas que la terre tournĂąt autour du soleil me parut ĂȘtre une chose si extraordinaire que je pouvais Ă peine le croire. â Vous paraissez Ă©tonnĂ©, me dit-il, en soupirant de ma stupĂ©faction. Mais, maintenant que je le sais, je ferai de mon mieux pour lâoublier. â Pour lâoublier !
â
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Arthur Conan Doyle (Sherlock Holmes : L'Edition Complete)
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Les sujets m'obsĂšdent. Quand je ferme les yeux, je vois une armĂ©e, un monde de crĂ©ation se peindre et s'agiter dans mon cerveau. Quand je rouvre les yeux, tout cela disparaĂźt. [...] Et quand je m'approche de cette table maudite, la lave se fige et l'inspiration se refroidit. Pendant le temps d'apprĂȘter une feuille de papier et de tailler ma plume, l'ennui me gagne ; l'odeur de l'encre me donne des nausĂ©es. Et puis cette horrible nĂ©cessitĂ© de traduire par des mots et d'aligner en pĂątes de mouches des pensĂ©es ardentes, vives, mobiles comme les rayons du soleil teignant les nuages de l'air.
â
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George Sand (Horace)
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Qui me reflĂšte sinon toi-mĂȘme
Je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien
Quâune Ă©tendue dĂ©serte
Entre autrefois et aujourdâhui
Il y a eu toutes ces morts
Que jâai franchies
Sur de la paille
Je nâai pas pu percer
Le mur de mon miroir
Il mâa fallu apprendre
Mot par mot la vie
Comme on oublie
Je tâaime pour ta sagesse
Qui nâest pas la mienne
Pour la santĂ© je tâaime
Contre tout ce qui nâest quâillusion
Pour ce cĆur immortel
Que je ne détiens pas
Que tu crois ĂȘtre le doute
Et tu nâes que raison
Tu es le grand soleil
Qui me monte Ă la tĂȘte
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
Tu es le grand soleil
Qui me monte Ă la tĂȘte
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
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Paul Ăluard
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Soudain, il me sembla que le ciel descendait. De la terre, surgit comme une fontaine dâĂ©nergie dorĂ©e. Cette chaude Ă©nergie mâencercla, et mon corps et mon esprit devinrent trĂšs lĂ©gers et trĂšs clairs. Je pouvais mĂȘme comprendre le chant des petits oiseaux autour de moi. A cet instant, je pouvais comprendre que le travail de toute ma vie dans le Budo Ă©tait rĂ©ellement fondĂ© sur lâamour divin et sur les lois de la crĂ©ation. Je ne pus retenir mes larmes, et pleurai sans retenue. Depuis ce jour, jâai su que cette grande Terre elle-mĂȘme Ă©tait ma maison et mon foyer. Le soleil, la lune et les Ă©toiles mâappartiennent. Depuis ce jour, je nâai plus jamais ressenti aucun attachement envers la propriĂ©tĂ© et les possessions.
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Morihei Ueshiba
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Rien ne peut tâĂ©mouvoir, ĂŽ jeunesse ! Tu sembles possĂ©der tous les trĂ©sors de la terre ; la tristesse elle-mĂȘme te fait sourire, la douleur te pare. Tu es sĂ»re de toi-mĂȘme et, dans ta tĂ©mĂ©ritĂ©, tu clames : « Voyez, je suis seule Ă vivre !... » Mais les jours sâĂ©coulent, innombrables et sans laisser de trace ; la matiĂšre dont tu es tissĂ©e fond comme cire au soleil, comme de la neige... Et â qui sait ? â il se peut que ton bonheur ne rĂ©side pas dans ta toute-puissance, mais dans ta foi. Ta fĂ©licitĂ© serait de dĂ©penser des Ă©nergies qui ne se trouvent point dâautre issue. Chacun de nous se croit trĂšs sĂ©rieusement prodigue et prĂ©tend avoir le droit de dire : « Oh ! que nâaurais-je fait si je nâavais gaspillĂ© mon temps ! »
â
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Ivan Turgenev (First Love)
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Câest de lĂ que je vous Ă©cris, ma porte grande ouverte, au bon soleil.
Un joli bois de pins tout Ă©tincelant de lumiĂšre dĂ©gringole devant moi jusquâau bas de la cĂŽte. Ă lâhorizon, les Alpilles dĂ©coupent leurs crĂȘtes fines⊠Pas de bruit⊠à peine, de loin en loin, un son de fifre, un courlis dans les lavandes, un grelot de mules sur la route⊠Tout ce beau paysage provençal ne vit que par la lumiĂšre.
Et maintenant, comment voulez-vous que je le regrette, votre Paris bruyant et noir ? Je suis si bien dans mon moulin ! Câest si bien le coin que je cherchais, un petit coin parfumĂ© et chaud, Ă mille lieues des journaux, des fiacres, du brouillard !⊠Et que de jolies choses autour de moi ! Il y a Ă peine huit jours que je suis installĂ©, jâai dĂ©jĂ la tĂȘte bourrĂ©e dâimpressions et de souvenirsâŠ
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Alphonse Daudet
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L'isolement
Souvent sur la montagne, Ă l'ombre du vieux chĂȘne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promĂšne au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
OĂč l'Ă©toile du soir se lĂšve dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flÚche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrĂȘte, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mĂȘle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon ùme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud Ă l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumiĂšres,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forĂȘts, solitudes si chĂšres,
Un seul ĂȘtre vous manque, et tout est dĂ©peuplĂ© !
Que le tour du soleil ou commence ou s'achĂšve,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lĂšve,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriĂšre,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien Ă l'immense univers.
Mais peut-ĂȘtre au-delĂ des bornes de sa sphĂšre,
Lieux oĂč le vrai soleil Ă©claire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rĂȘvĂ© paraĂźtrait Ă mes yeux !
LĂ , je m'enivrerais Ă la source oĂč j'aspire ;
LĂ , je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute ùme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne pußs-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand lĂ feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élÚve et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesniĆĄtva)
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Quand je vis avec mes semblables, ma pensĂ©e s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider Ă vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nĂ©cessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon Ă rien, j'Ă©prouve le besoin de vivre avec ce moi intĂ©rieur qui s'identifie Ă la nature et au rĂȘve de la vie dans l'Ă©ternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent dĂ©lirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mĂȘmes sont tourmentĂ©s d'un besoin d'existence qui nous empĂȘche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. DĂšs qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire Ă tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit cĂ©der Ă cette sauvage logique de la faim et de l'amour. OĂč donc trouver, oĂč donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? HĂ©las, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassĂ©rĂ©nement inexplicable. LĂ , nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une rĂ©gion d'idĂ©es oĂč il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mĂȘmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'ĂȘtre.
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George Sand (Le dernier amour)
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Cette finesse-lĂ a Ă©tĂ© trouvĂ©e dĂšs le paradis terrestre. Mes amis, lâinvention est vieille, mais elle est toute neuve. Profitez-en. Soyez Daphnis et ChloĂ© en attendant que vous soyiez PhilĂ©mon et Baucis. Faites en sorte que, quand vous ĂȘtes lâun avec lâautre, rien ne vous manque, et que Cosette soit le soleil pour Marius, et que Marius soit lâunivers pour Cosette. Cosette, que le beau temps, ce soit le sourire de votre mari ; Marius, que la pluie, ce soit les larmes de ta femme. Et quâil ne pleuve jamais dans votre mĂ©nage. Vous avez chipĂ© Ă la loterie le bon numĂ©ro, lâamour dans le sacrement ; vous avez le gros lot, gardez-le bien, mettez-le sous clef, ne le gaspillez pas, adorez-vous, et fichez-vous du reste. Croyez ce que je dis lĂ . Câest du bon sens. Bon sens ne peut mentir. Soyez-vous lâun pour lâautre une religion. Chacun a sa façon dâadorer Dieu. Saperlotte ! la meilleure maniĂšre dâadorer Dieu, câest dâaimer sa femme. Je tâaime ! voilĂ mon catĂ©chisme. Quiconque aime est orthodoxe.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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Mon esprit Ă©tait tout entier habitĂ© par le souvenir de ma femme. Je lâimaginais avec une prĂ©cision incroyable. Je la voyais. Elle me rĂ©pondait, me souriait, me regardait tendrement; son regard Ă©tait lumineux, aussi lumineux que le soleil qui se levait. Jâavais enfin dĂ©couvert la vĂ©ritĂ©, la vĂ©ritĂ© telle quâelle est proclamĂ©e dans les chants des poĂštes et dans les sages paroles des philosophes: lâamour est le plus grand bien auquel lâĂȘtre humain peut aspirer. Je comprenais enfin le sens de ce grand secret de la poĂ©sie et de la pensĂ©e humaine: lâĂȘtre humain trouve son salut Ă travers et dans lâamour. Je me rendais compte quâun homme Ă qui il ne reste rien peut trouver le bonheur, mĂȘme pour de brefs instants, dans la contemplation de sa bien-aimĂ©e. Lorsquâun homme est extrĂȘmement affligĂ©, lorsquâil ne peut plus agir de maniĂšre positive, lorsque son seul mĂ©rite consiste peut-ĂȘtre Ă endurer ses souffrances avec dignitĂ©, il peut Ă©prouver des sentiments de plĂ©nitude en contemplant lâimage de sa bien-aimĂ©e. Pour la premiĂšre fois de ma vie, je comprenais le sens de cette parole: «Les anges sont perdus dans lâĂ©ternelle contemplation dâune gloire infinie.»
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Viktor E. Frankl
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Wilhelm, que serait pour notre cĆur le monde sans lâamour ? Ce quâune lanterne magique est sans lumiĂšre. A peine la petite lampe est-elle introduite, que les images les plus variĂ©es apparaissent sur la muraille blanche. Et ne fussent-elles que des fantĂŽmes passagers, cela fait pourtant notre bonheur, lorsque nous nous arrĂȘtons devant, comme des enfants joyeux, nous extasiant sur ces apparitions merveilleuses. Aujourdâhui je nâai pu aller voir Charlotte : une sociĂ©tĂ© inĂ©vitable mâa retenu. Que faire ? Jâai envoyĂ© chez elle mon domestique, uniquement pour avoir quelquâun prĂšs de moi qui eĂ»t approchĂ© dâelle aujourdâhui. Avec quelle impatience je lâattendais ! avec quelle joie je lâai revu ! Je lâaurais embrassĂ©, si jâavais osĂ© mâen croire.
On conte que la pierre de Bologne, si on lâexpose au soleil, en absorbe les rayons, et quâelle Ă©claire quelque temps pendant la nuit. Il en Ă©tait de mĂȘme pour moi de ce garçon. LâidĂ©e que les yeux de Charlotte sâĂ©taient arrĂȘtĂ©s sur son visage, sur ses joues, sur les boutons de son habit et le collet de son surtout, me rendait tout cela prĂ©cieux et sacrĂ©. Dans ce moment, je nâaurais pas donnĂ© mon valet pour mille Ă©cus. Sa prĂ©sence nie faisait du bienâŠ. Dieu te garde dâen rire ! Wilhelm, sont-ce lĂ des fantĂŽmes, si nous sommes heureux ?
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Papa-bobo prĂ©cipitĂ© avec inquiĂ©tude sur mon genou saignant, qui va chercher les mĂ©dicaments et s'installera des heures au chevet de mes varicelle, rougeole et coqueluche pour me lire Les Quatre Filles du docteur March ou jouer au pendu. Papa-enfant, "tu es plus bĂȘte qu'elle", dit-elle. Toujours prĂȘt Ă m'emmener Ă la foire, aux films de Fernandel, Ă me fabriquer une paire d'Ă©chasses et Ă m'initier Ă l'argot d'avant la guerre, pĂ©pĂ©dĂ©ristal et autres cezigue pĂąteux qui me ravissent. Papa indispensable pour me conduire Ă l'Ă©cole et m'attendre midi et soir, le vĂ©lo Ă la main, un peu Ă l'Ă©cart de la cohue des mĂšres, les jambes de son pantalon resserrĂ©es en bas par des pinces en fer. AffolĂ© par le moindre retard. AprĂšs, quand je serai assez grande pour aller seule dans les rues, il guettera mon retour. Un pĂšre dĂ©jĂ vieux Ă©merveillĂ© d'avoir une fille. LumiĂšre jaune fixe des souvenirs, il traverse la cour, tĂȘte baissĂ©e Ă cause du soleil, une corbeille sous le bras. J'ai quatre ans, il m'apprend Ă enfiler mon manteau en retenant les manches de mon pull-over entre mes poings pour qu'elles ne boulichonnent pas en haut des bras. Rien que des images de douceur et de sollicitude. Chefs de famille sans rĂ©plique, grandes gueules domestiques, hĂ©ros de la guerre ou du travail, je vous ignore, j'ai Ă©tĂ© la fille de cet homme-lĂ .
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Vous avez Ă©tĂ© enfant, lecteur, et vous ĂȘtes peut-ĂȘtre assez heureux pour l'ĂȘtre encore. Il n'est pas que vous n'ayez plus d'une fois (et pour mon compte j'y ai passĂ© des journĂ©es entiĂšres, les mieux employĂ©es de ma vie) suivi de broussaille en broussaille, au bord d'une eau vive, par un jour de soleil, quelque belle demoiselle verte ou bleue, brisant son vol Ă angles brusques et baisant le bout de toutes les branches. Vous vous rappelez avec quelle curiositĂ© amoureuse votre pensĂ©e et votre regard s'attachaient Ă ce petit tourbillon sifflant et bourdonnant, d'ailes de pourpre et d'azur, au milieu duquel flottait une forme insaisissable voilĂ©e par la rapiditĂ© mĂȘme de son mouvement. L'ĂȘtre aĂ©rien qui se dessinait confusĂ©ment Ă travers ce frĂ©missement d'ailes vous paraissait chimĂ©rique, imaginaire, impossible Ă toucher, impossible Ă voir. Mais lorsque enfin la demoiselle se reposait Ă la pointe d'un roseau et que vous pouviez examiner, en retenant votre souffle, les longues ailes de gaze, la longue robe d'Ă©mail, les deux globes de cristal, quel Ă©tonnement n'Ă©prouviez-vous pas et quelle peur de voir de nouveau la forme s'en aller en ombre et l'ĂȘtre en chimĂšre ! Rappelez-vous ces impressions, et vous vous rendrez aisĂ©ment compte de ce que ressentait Gringoire en contemplant sous sa forme visible et palpable cette Esmeralda qu'il n'avait entrevue jusque-lĂ qu'Ă travers un tourbillon de danse, de chant et de tumulte.
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Victor Hugo (Notre-Dame de ParĂs)
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Elle est Ă toi cette chanson
Toi l'Auvergnat qui, sans façon,
M'a donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid.
Toi qui m'a donné du feu quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
M'avaient fermés la porte au nez.
Ce n'était rien qu'un feu de bois
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon ùme, il brûle encore
Ă la maniĂšre d'un feu de joie...
Toi, l'Auvergnat quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Elle est Ă toi cette chanson
Toi l'hÎtesse qui, sans façon,
M'a donné quatre bouts de pain
Quand dans ma vie il faisait faim.
Toi qui m'ouvrit ta huche quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
S'amusaient Ă me voir jeuner.
Ce n'était rien qu'un peu de pain
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon ùme, il brûle encore
Ă la maniĂšre d'un grand festin...
Toi, l'hĂŽtesse quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Elle est Ă toi cette chanson
Toi l'étranger qui, sans façon,
D'un air malheureux m'a sourit
Lorsque les gendarmes m'ont pris.
Toi qui n'a pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir rammené.
Ce n'était rien qu'un peu de miel
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon ùme, il brûle encore
Ă la maniĂšre d'un grand soleil...
Toi, l'étranger quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Toi, l'étranger quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Au
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Georges Brassens
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Quâun galop rapide, coursiers aux pieds brĂ»lants, vous emporte vers le palais du Soleil: de son fouet, un conducteur tel que PhaĂ©ton vous aurait prĂ©cipitĂ©s vers le couchant et aurait ramenĂ© la sombre Nuit. Ătends ton Ă©pais rideau. Nuit qui couronne lâamour; ferme les yeux errants, et que RomĂ©o puisse voler dans mes bras sans quâon le dise et sans quâon le voie. La lumiĂšre de leurs mutuelles beautĂ©s suffit aux amants pour accomplir leurs amoureux mystĂšres; ou si lâAmour est aveugle, il ne sâen accorde que mieux avec la Nuit. Viens, Nuit obligeante, matrone aux vĂȘtements modestes, tout en noir, apprends-moi Ă perdre au jeu de qui perd gagne, oĂč lâenjeu est deux virginitĂ©s sans tache; couvre de ton obscur manteau mes joues oĂč se rĂ©volte mon sang effarouchĂ©, jusquâĂ ce que mon craintif amour, devenu plus hardi dans lâĂ©preuve dâun amour fidĂšle, nây voie plus quâun chaste devoir.âViens, ĂŽ Nuit; viens, RomĂ©o; viens, toi qui es le jour au milieu de la nuit; car sur les ailes de la nuit tu arriveras plus Ă©clatant que nâest sur les plumes du corbeau la neige nouvellement tombĂ©e. Viens, douce nuit; viens, nuit amoureuse, le front couvert de tĂ©nĂšbres: donne-moi mon RomĂ©o; et quand il aura cessĂ© de vivre, reprends-le, et, partage-le en petites Ă©toiles, il rendra la face des cieux si belle, que le monde deviendra amoureux de la nuit et renoncera au culte du soleil indiscret. Oh! jâai achetĂ© une demeure dâamour, mais je nâen suis pas encore en possession, et celui qui mâa acquise nâest pas encore en jouissance. Ce jour est aussi ennuyeux que la veille dâune fĂȘte pour lâenfant qui a une robe neuve et qui ne peut encore la mettre.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre dâune pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu dâune foule Ă©trangĂšre, tout Ă fait Ă©trangĂšre Ă mes sentiments, je nâai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cĆur inâait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e mâa saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, câest le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cĆur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce nâest pas une illusion dâoptique. Je mâen amuse, ou plutĂŽt on sâamuse de moi comme dâune ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet dâaller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je mâoublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne lâai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes sâest Ă©vanoui ; lâenchantement qui, le matin, mâarrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je nâai trouvĂ© ici quâune femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si lâon peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ qui fait de jolis compliments ! » Cela nâest pas tout Ă fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; jâai beaucoup dâesprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finementâŠ. «Ni mentir, ajouterez-vous, car lâun ne va pas sans lâautre, entendez-vous ?⊠» Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup dâĂąme, on le voit dâabord Ă la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă charge ; il ne satisfait aucun des vĆux de son cĆur. Elle aspire Ă sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă vous, Charlotte ! Que de fois nâest-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !⊠Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si jâĂ©tais assis Ă vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; lâorage est passĂ© ; et moiâŠ. il faut que je rentre dans ma cageâŠ. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?⊠Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Le dément
- N'avez-vous pas entendu parler de ce dément qui, dans la clarté de midi alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! »
âĂtant donnĂ© qu'il y avait justement lĂ beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, il dĂ©chaĂźna un Ă©norme Ă©clat de rire. S'est-il donc perdu ? disait l'un. S'est-il Ă©garĂ© comme un enfant ? disait l'autre. Ou bien s'est-il cachĂ© ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarquĂ© ? A-t-il Ă©migrĂ© ?âainsi criaient-ils en riant dans une grande pagaille. Le dĂ©ment se prĂ©cipita au milieu d'eux et les transperça du regard.
« OĂč est passĂ© Dieu ? lança-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tuĂ©,âvous et moi ! Nous sommes tous ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment pĂ»mes-nous boire la mer jusqu'Ă la derniĂšre goutte ? Qui nous donna l'Ă©ponge pour faire disparaĂźtre tout l'horizon ? Que fĂźmes-nous en dĂ©tachant cette terre de son soleil ? OĂč l'emporte sa course dĂ©sormais ? OĂč nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abĂźmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arriĂšre, de cĂŽtĂ©, en avant, de tous les cĂŽtĂ©s ? Est-il encore un haut et un bas ? N'errons-nous pas comme Ă travers un nĂ©ant infini ? L'espace vide ne rĂ©pand-il pas son souffle sur nous ? Ne s'est-il pas mis Ă faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes Ă midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la dĂ©composition divine ?âles dieux aussi se dĂ©composent ! Dieu est mort ! Dieu demeure mort ! Et nous l'avons tuĂ© ! Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins ? Ce que le monde possĂ©dait jusqu'alors de plus saint et de plus puissant, nos couteaux l'ont vidĂ© de son sang,âqui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles cĂ©rĂ©monies expiatoires, quels jeux sacrĂ©s nous faudra-t-il inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne nous faut-il pas devenir nous-mĂȘmes des dieux pour apparaĂźtre seulement dignes de lui ? Jamais il n'y eut acte plus grand,âet quiconque naĂźt aprĂšs nous appartient du fait de cet acte Ă une histoire supĂ©rieure Ă ce que fut jusqu'alors toute histoire ! »
Le dément se tut alors et considéra de nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient déconcertés. Il jeta enfin sa lanterne à terre : elle se brisa et s'éteignit.
« Je viens trop tĂŽt, dit-il alors, ce n'est pas encore mon heure. Cet Ă©vĂ©nement formidable est encore en route et voyage,âil n'est pas encore arrivĂ© jusqu'aux oreilles des hommes. La foudre et le tonnerre ont besoin de temps, la lumiĂšre des astres a besoin de temps, les actes ont besoin de temps, mĂȘme aprĂšs qu'ils ont Ă©tĂ© accomplis, pour ĂȘtre vus et entendus. Cet acte est encore plus Ă©loignĂ© d'eux que les plus Ă©loignĂ©s des astres,âet pourtant ce sont eux qui l'ont accompli. »
On raconte encore que ce mĂȘme jour, le dĂ©ment aurait fait irruption dans diffĂ©rentes Ă©glises et y aurait entonnĂ© son Requiem aeternam deo. ExpulsĂ© et interrogĂ©, il se serait contentĂ© de rĂ©torquer constamment ceci :
« Que sont donc encore ces églises si ce ne sont pas les caveaux et les tombeaux de Dieu ? »
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Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
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Au moment oĂč ma conscience revient, il y a toujours quelques secondes pendant lesquelles je ne fais que respirer et apprĂ©cier lâinstant, au chaud dans mon lit. En plus, sâil y a un rayon de soleil, je suis presque en extase, Ă la puissance 10. Pendant ce bref laps de temps, je nâai pas de nom, pas de passĂ©, pas dâavenir.
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Jean-Philippe Touzeau (La femme sans peur 1)
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Mon climat intĂ©rieur est tropical aujourd'hui : il y a de la pluie, du soleil, des odeurs fortes, et un sentiment de pourriture vĂ©gĂ©tale flotte dans lâair dĂ©bilitant.
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Simone Schwarz-Bart (Adieu Bogota)
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Dans la mĂȘme collection en numĂ©rique Les MisĂ©rables Le messager dâAthĂšnes Candide LâEtranger RhinocĂ©ros Antigone Le pĂšre Goriot La Peste Balzac et la petite tailleuse chinoise Le Roi Arthur LâAvare Pierre et Jean LâHomme qui a sĂ©duit le soleil Alcools LâAffaire CaĂŻus La gloire de mon pĂšre LâOrdinatueur Le mĂ©decin malgrĂ© lui La riviĂšre Ă lâenvers - Tomek Le Journal dâAnne Frank Le monde perdu Le royaume de KensukĂ© Un Sac De Billes Baby-sitter blues Le fantĂŽme de maĂźtre Guillemin Trois contes Kamo, lâagence Babel Le Garçon en pyjama rayĂ© Les Contemplations Escadrille 80 Inconnu Ă cette adresse La controverse de Valladolid Les Vilains petits canards Une partie de campagne Cahier dâun retour au pays natal Dora Bruder LâEnfant et la riviĂšre Moderato Cantabile Alice au pays des merveilles Le faucon dĂ©nichĂ© Une vie Chronique des Indiens Guayaki Je voudrais que quelquâun mâattende quelque part La nuit de Valognes Ćdipe Disparition ProgrammĂ©e Education europĂ©enne Lâauberge rouge LâIlliade Le voyage de Monsieur Perrichon LucrĂšce Borgia Paul et Virginie Ursule MirouĂ«t Discours sur les fondements de lâinĂ©galitĂ© Lâadversaire La petite Fadette La prochaine fois Le blĂ© en herbe Le MystĂšre de la Chambre Jaune Les Hauts des Hurlevent Les perses Mondo et autres histoires Vingt mille lieues sous les mers 99 francs Arria Marcella Chante Luna Emile, ou de lâĂ©ducation Histoires extraordinaires Lâhomme invisible La bibliothĂ©caire La cicatrice La croix des pauvres La fille du capitaine Le Crime de lâOrient-Express Le Faucon maltĂ© Le hussard sur le toit Le Livre dont vous ĂȘtes la victime Les cinq Ă©cus de Bretagne No pasarĂĄn, le jeu Quand jâavais cinq ans je mâai tuĂ© Si tu veux ĂȘtre mon amie Tristan et Iseult Une bouteille dans la mer de Gaza Cent ans de solitude Contes Ă lâenvers Contes et nouvelles en vers Dalva Jean de Florette Lâhomme qui voulait ĂȘtre heureux LâĂźle mystĂ©rieuse La Dame aux camĂ©lias La petite sirĂšne La planĂšte des singes La Religieuse 35 kilos dâespoir
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Amandine Lilois (Le petit Nicolas: Analyse complĂšte de l'oeuvre (French Edition))
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Liberté
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J'écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genĂȘts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffées d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom
Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur mes raisons réunies
J'écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lĂšvres attendries
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaßtre
Pour te nommer
Liberté
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Paul Ăluard
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CâĂ©tait lâivresse de trancher, dâun seul coup, tous les liens : rupture brutale et volontaire avec la discipline quâon vous impose, le pensionnat, vos maĂźtres, vos camarades de classe. DĂ©sormais, vous nâaurez plus rien Ă faire avec ces gens-lĂ Â ; rupture avec vos parents qui nâont pas su vous aimer et dont vous vous dites quâil nây a aucun recours Ă espĂ©rer dâeux ; sentiment de rĂ©volte et de solitude portĂ© Ă son incandescence et qui vous coupe le souffle et vous met en Ă©tat dâapesanteur. Sans doute lâune des rares occasions de ma vie oĂč jâai Ă©tĂ© vraiment moi-mĂȘme et oĂč jâai marchĂ© Ă mon pas.
Cette extase ne peut durer longtemps. Elle nâa aucun avenir. Vous ĂȘtes trĂšs vite brisĂ© net dans votre Ă©lan.
La fugue â paraĂźt-il â est un appel au secours et quelquefois une forme de suicide. Vous Ă©prouvez quand mĂȘme un bref sentiment dâĂ©ternitĂ©. Vous nâavez pas seulement tranchĂ© les liens avec le monde, mais aussi avec le temps. Et il arrive quâĂ la fin dâune matinĂ©e, le ciel soit dâun bleu lĂ©ger et que rien ne pĂšse plus sur vous. Les aiguilles de lâhorloge du jardin des Tuileries sont immobiles pour toujours. Une fourmi nâen finit pas de traverser la tache de soleil.Â
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Patrick Modiano (Dora Bruder)
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La maladie
Docteur, je sens un mal mortel
Ici, dans la rĂ©gion de mon ĂȘtre.
Tous mes organes me font mal :
Le jour, câest le soleil,
La nuit, ce sont la lune et les étoiles.
Jâai mal Ă ce nuage dans le ciel,
Que je nâai mĂȘme pas remarquĂ©,
Et je mâĂ©veille tous les matins
Avec un goĂ»t dâhiver.
Câest en vain que jâai pris ces remĂšdes :
Jâai haĂŻ, aimĂ©, appris Ă lire
Lu quelques livres,
Causé aux gens, pensé,
ĂtĂ© bon, Ă©tĂ© beau.
Tout cela est resté sans effet, docteur,
Et jâai dĂ©pensĂ© en vain beaucoup dâannĂ©es.
Je crois ĂȘtre tombĂ© malade de la mort
Le jour
OĂč je suis nĂ©.
(Traduction dâAlain Bosquet)
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Marin Sorescu
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-J'ai trĂšs envie de te dire un truc, DĂ©bo, mais j'ai peur que tu ne t'en remette pas. Que tu me tabasses Ă coup de brosse Ă cheveux ou que tu te mettes Ă chanter Les Moulins de mon cĆur...
- Aucun risque.
Il se penche vers moi, chuchote comme un honteux secret :
- Je crois que Victor est vraiment amoureux de toi.
- Comme une pierre que l'on jette - Dans l'eau vive d'un ruisseauuuu! -Et qui laisse derriĂšre elle - Des milliers de ronds dans l'eauu!
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Marie Pavlenko (Je suis ton soleil)
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â Je suis un demi-dieu, une divinitĂ© mineure, un archange⊠Choisis le terme que tu prĂ©fĂšres. Tu peux tâadresser Ă moi en mâappelant « maĂźtre », car tu nâas pas le droit de connaĂźtre mon nom. (Il se laissa tomber en position assise.) Jâai choisi cette forme parce quâelle mâamuse et ne tâeffraie pas. Wallie ne fut pas impressionnĂ©. â Pourquoi jouer avec moi ? Jâaurais pu croire en toi beaucoup plus tĂŽt si tu tâĂ©tais prĂ©sentĂ© sous un aspect plus divin â ou mĂȘme avec un simple halo⊠Il avait dĂ©passĂ© les bornes. Les joues de lâenfant se gonflĂšrent sous le coup de la colĂšre. â TrĂšs bien, puisque câest ton souhait. Voici un petit aperçu. Wallie cria et se couvrit les yeux, mais trop tard. La caverne Ă©tait dĂ©jĂ brillante, mais elle sâenflamma soudain dâun Ă©clat magnificent aussi aveuglant que celui dâun soleil. Lâenfant Ă©tait demeurĂ© un enfant, mais une infime partie de sa divinitĂ© flamboya un bref instant â et ce fut assez pour plonger un simple mortel dans une terreur sans nom. Dans ce fragment de majestĂ©, Wallie vit que lâĂąge de cet ĂȘtre dĂ©passait lâimagination â il existait bien avant la formation des galaxies et perdurerait bien aprĂšs la disparition de feux dâartifice aussi Ă©phĂ©mĂšres ; son quotient intellectuel se mesurait en trillions et il Ă©tait capable de connaĂźtre chaque pensĂ©e de chaque crĂ©ature dans lâunivers ; sa puissance aurait pu dĂ©truire une planĂšte aussi facilement quâon se cure les ongles ; comparĂ©s Ă sa noblesse et Ă sa puretĂ©, les ĂȘtres humains ressemblaient Ă des bĂȘtes infĂąmes et inutiles ; rien nâĂ©tait capable de rĂ©sister Ă ses objectifs froids et inĂ©branlables ; sa compassion dĂ©passait lâentendement humain et connaissait la souffrance des mortels ainsi que leurs raisons dâĂȘtre, mais il ne pouvait pas la supprimer sans supprimer lâessence mortelle Ă la base de cette douleur. Wallie sentit aussi quelque chose de plus profond et de plus terrible encore, une prĂ©sence que nul mot ne pouvait dĂ©crire, mais quâun mortel aurait apparentĂ©e Ă lâennui ou Ă la rĂ©signation. Il y avait des cĂŽtĂ©s nĂ©gatifs Ă lâimmortalité : le fardeau de lâomniscience et lâabsence de futur limitĂ©, plus la moindre surprise, plus de fin mĂȘme aprĂšs la fin des temps, Ă jamais et Ă jamais⊠Wallie rĂ©alisa quâil Ă©tait Ă plat
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Dave Duncan (Le Guerrier de la déesse (La septiÚme épée, #1))
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Il Ă©tait devenu tout mon monde. Ma raison dâĂȘtre. Le soleil autour duquel je gravitais. Sans lui,(...) je nâĂ©tais plus rien.
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Eva Delambre
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Alors je lui ai souri, et la réponse de son regard fut un rayon de soleil pour mon coeur fatigué.
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Lea Wiazemski
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En revanche, je crois bien qu'à mon agonie, quand tous mes autres " moi " seront morts, s'il vient à briller un rayon de soleil tandis que je pousserai mes derniers soupirs, le petit personnage barométrique se sentira bien aise, et Îtera son capuchon pour chanter: "ah! Enfin, il fait beau.
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Marcel Proust
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De l'éternel azure la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs.
Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l'intensite d'un remords atterrant,
Mon Ăąme vide, OĂč fuir? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant?
Brouillards, montez! Versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Qui noiera le marais livide des automnes
Et batissez un grand plafond silencieux!
Et toi, sors de étangs léthéens et ramasse
En t'en venant la vase et les pĂąles roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleux que font méchamment les oiseaux.
Encor! que sans répit les tristes cheminées
Fument, et que de suie une errante prison
Ăteigne dans l'horreur de ses noires traĂźnĂ©es
Le soleil se mourant jaunatre a l'horizon!
-Le Ciel est mort. -Vers toi, j'accours! donne, ĂŽ matiĂšre,
L'oubli de l'Idéal cruel et du Péché
A ce martyr qui vient partager la litiĂšre
Ou le bétail heureux des hommes est couché,
Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
Comme le pot de fard gisant au pied du mur,
N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée,
Lugubrement bùiller vers un trépas obscur. . .
En vain! l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante
Dans les cloches. Mon Ăąme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire méchante,
Et du métal vivant sort en bleus angélus!
Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta notive agonie ainsi qu'un glaive sur;
Ou fuir dans la révolte inutle et perverse?
Je suis hanté. L'Azur! l'Azur! l'Azur! l'Azur.
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Stéphane Mallarmé
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Mon bonheur est d'avoir trouvĂ© le sens de ma prĂ©sence sur terre, et auprĂšs des autres et il a commencĂ© le jour oĂč j'ai ouvert les yeux et le cĆur sur la grandeur et la beautĂ© de la crĂ©ation. Ătre seulement Ă©mue devant un coucher de soleil, ranger ses angoisses et son Ă©go dans sa poche, contempler ce que la main de l'homme ne peut ni imiter ni gĂącher : les Ă©toiles, la lune, les vents... Se laisser Ă©blouir et envahir par la splendeur d'un paysage. Se sentir petit, modeste devant tant de grandeur mais surtout heureux de pouvoir accueillir ces sentiments dans son cĆur. Heureux d'ĂȘtre encore capable de s'Ă©merveiller. La terre est vaste mais pas plus vaste que nos cĆurs.
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Mélanie Georgiades (Diam's: autobiographie)
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Soldats de plombâŠ
Soldats de plomb, ĂŽ, toute mon enfance, quand
Hetmans aux cheveux blonds, nous déployions une cohue
De héros immortels, oubliés dans quelque bahut,
De preux sans crainte en immobiles rangs.
Et, nous les enfants, avec nos sabres en bois, partions nous quereller
En portant comme étendard des serviettes au soleil flottant.
Quel corps à corps, quelle raclée sous les mûriers du verger !
Et aprĂšs la bataille, combien de morts fuyaient en riantâŠ
Ă ! oĂč donc es-tu, guerre, Ă©poque innocente !
Maintenant la lutte hurle et la blessure déchirée se lamente,
Et les morts meurent vraiment de leur amour de la patrie.
Quel dieu-enfant se penche sur les hommes-jouets,
Et le soir, les renversant dans les noirs coffrets,
Dans les tranchées les poupées de cire ensevelit ?
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Ion Pillat (Monostiches et autres poĂšmes (Litterature Roumaine Traduite) (French Edition))
â
Le plus mĂ©chant des gangsters, le plus influent des politiques, le plus fort des hommes Ă©tait aprĂšs tout mon semblable, pourvu d'un dĂ©but et d'une fin, Ă©voluant sous le mĂȘme ciel que moi, sous la mĂȘme lune que moi, avec un cĆur comme le mien. Incapable tout comme moi d'Ă©teindre le soleil ou de crĂ©er ne serait-ce qu'un moucheron. Aussi mĂ©chant soit-il, il mourrait tĂŽt ou tard, comme moi.
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Mélanie Georgiades (Diam's: autobiographie)
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La vie et encore assez douce pour nous⊠mĂȘme si nous savons que cela ne tardera pas. Et cela aussi sera un bien. MĂȘme la mort sera un bien, je pense, non parce quâelle mettra fin aux anciennes amertumes, mais parce quâĂ mon avis elle sera la derniĂšre des aigres saveurs qui mâont signalĂ© que jâĂ©tais en vie.
Par-dessous toutes choses je continue dâentendre le cri de la terre, mais il nâaffecte plus ce que je vois et ce que je fais. Au contraire, il rehausse mes plaisirs, car le lever du soleil est plus Ă©clatant Ă couse des sombres gouffres au fond de moi, et la sourire de Saranna est plus chaleureux Ă cause de la cruautĂ© que jâai connue, et les soins que je prodigue aux gens et aux animaux ont plus de valeur Ă cause des tueries que jâai commises.
â
â
Orson Scott Card (A Planet Called Treason)
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« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais.
Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais.
Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.
Je dormirais peu, je rĂȘverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, Ă chaque minute nous perdons 60 secondes de lumiĂšre.
Je marcherais quand les autres s'arrĂȘteraient, je me rĂ©veillerais quand les autres dormiraient.
Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais à plat ventre au soleil, laissant à découvert pas seulement mon corps, mais aussi mon ùme.
Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'ĂȘtre amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'ĂȘtre amoureux ! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre Ă voler tout seul.
Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli.
J'ai appris tant de choses de vous les hommes⊠J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la maniÚre d'y arriver.
J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre pour la premiÚre fois, le doigt de son pÚre, avec son petit poing, il le tient pour toujours.
J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables Ă se relever.
J'ai appris tant de choses de vous, mais à la vérité cela ne me servira pas à grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir.
Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses.
Si je savais que c'est peut ĂȘtre aujourd'hui la derniĂšre fois que je te vois dormir, je t'embrasserais trĂšs fort et je prierais pour pouvoir ĂȘtre le gardien de ton Ăąme.
Si je savais que ce sont les derniers moments oĂč je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais dĂ©jĂ .
Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilitĂ© pour faire les choses bien, mais au cas oĂč elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais.
Le lendemain n'est sûr pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux.
C'est peut ĂȘtre aujourd'hui que tu vois pour la derniĂšre fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut ĂȘtre demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu Ă©tais trop occupĂ© pour accĂ©der Ă un de leur dernier dĂ©sir.
Garde ceux que tu aimes prĂšs de toi, dis-leur Ă l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais.
Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrÚtes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer.
Dis Ă tes amis et Ă ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi.
Monsieur Mårquez a terminé, disant : Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passé.
Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »
â
â
Gabriel GarcĂa MĂĄrquez
â
Le premier bonheur du jour
C'est un ruban de soleil
Qui s'enroule sur ta main
Et caresse mon épaule
C'est le souffle de la mer
Et la plage qui attend
C'est l'oiseau qui a chanté
Sur la branche du figuier
Le premier chagrin du jour
C'est la porte qui se ferme
La voiture qui s'en va
Le silence qui s'installe
Mais bien vite tu reviens
Et ma vie reprend son cours
Le dernier bonheur du jour
C'est la lampe qui s'éteint.
â
â
Jean Gaston Renard et Frank Gerald
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Je crois que je suis divisé en trois parties. PremiÚrement je suis fait de mon individualité ; deuxiÚmement je suis le produit de mes parents, de mon éducation, de ma famille et de ma société ; troisiÚmement je suis un représentant du principe de vie en général, c'est-à -dire de cette force, justement, qui fait que les électrons tournent autour du noyau de l'atome, que les fourmis fourmillent et que le soleil se lÚve. Une partie de moi est aussi électron et fourmi et soleil et cela, l'éducation la plus bourgeois ne peut l'abßmer en rien. (p. 295-296)
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Fritz Zorn (Mars)
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Ă une soie
Je te revois tendue et sans vent dans les ombres
Propice et large soie étalée sans un pli
Tendre comme un discours de musique profonde
Et suave de trois cruautés agrandies.
Le morceau appelant mon cĆur Ă©tait le rouge
Non pas rouge mais rose en pétales séchés
Non pas de fleurs mais par angoisse un peu lilas
Des tons exquis du sang longtemps assassiné
De Marat. Et le blanc portait comment un soleil
Le reflet jaunissant des plus calmes peintures
La douceur de la mort
Et le travail de lui lâhuile Ă des couchants vermeils.
Le bleu seul était dur comme les yeux des airs
Lâopaque ciel qui tient la majestĂ© divine
PrisonniĂšre en lui ainsi quâau premier jour
Le ciel terrible et pur Ă la hampe guerriĂšre.
Mais surtout la Parole en sortait la criante
La violente importante et parole dâeffroi
Ou parole dâamour lue la premiĂšre fois
Ă haĂŻr, adorer, Ă laisser ou Ă prendre.
La parole adorée dans des lettres dorées
Qui font relief en trébuchante maladresse
Qui hésitent comme en souffrant
Ă retourner dâun soc le monde labourĂ©.
Paroles feu riant ! Perspectives humaines
Ouvertes par les mots Ă©tranges dâun enfant
Et lâhistoire achevĂ©e les pierres calcinĂ©es
à remettre en poussiÚre et jeter sur les chaßnes !
La parole pour plaire Ă Dieu disait Justice
Sur les bois engluĂ©s dâun holocauste fort
Lâhonneur avait rempli le sacrifice
Et le drapeau disait : Liberté ou la Mort.
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Pierre Jean Jouve
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En haut, au cĆur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein dâune crevasse humide, elle regardait la mer.
Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser...
Au fond dâune gorge noyĂ©e dâobscuritĂ© et dâembruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la merâŠ
Tout en écume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colÚre, se jetait dans les flots.
Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es...
Dans un cri bref, il sâĂ©tait Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine lâĂąpretĂ© de la pierre...
D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que lâoiseau blessĂ© nâavait plus longtemps Ă vivreâŠ
Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla :
- Quoi, voilĂ donc que tu meurs ?
- Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit lâoiseau dans un profond soupir. Je meurs mais jâai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !⊠Jâai combattu vaillamment !⊠J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras tâen approcher !... Pauvre crĂ©ature !
- Le ciel !?⊠Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide !
Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond dâelle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes.
Ainsi pensait lâophidien : "Quâon vole ou bien quâon rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..."
Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour.
Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, lâair Ă©tait suffocant et puait la charogne.
Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa échapper un cri de douleur et de chagrin :
- Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois mâenvoler et rejoindre le ciel ! LĂ , jâĂ©treindrais mon ennemi⊠contre ma poitrine et... il sâĂ©toufferait de mon sang ! Ă, Ivresse de la bataille !...
Lâentendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !"
Elle proposa Ă lâoiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien."
Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de lâabĂźme, sâagrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante.
Arrivé au bord du précipice, il déploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignÚrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide.
Il tomba plus vite quâune pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumesâŠ
Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et lâinondant dâĂ©cume lâemporta vers la mer.
Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de lâoiseau Ă tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©an⊠»
â
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Maxime Gorki (Le bourg d'Okourov)
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En haut, au cĆur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein dâune crevasse humide, elle regardait la mer.
Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser...
Au fond dâune gorge noyĂ©e dâobscuritĂ© et dâembruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la merâŠ
Tout en écume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colÚre, se jetait dans les flots.
Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es...
Dans un cri bref, il sâĂ©tait Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine lâĂąpretĂ© de la pierre...
D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que lâoiseau blessĂ© nâavait plus longtemps Ă vivreâŠ
Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla :
- Quoi, voilĂ donc que tu meurs ?
- Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit lâoiseau dans un profond soupir. Je meurs mais jâai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !⊠Jâai combattu vaillamment !⊠J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras tâen approcher !... Pauvre crĂ©ature !
- Le ciel !?⊠Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide !
Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond dâelle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes.
Ainsi pensait lâophidien : "Quâon vole ou bien quâon rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..."
Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour.
Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, lâair Ă©tait suffocant et puait la charogne.
Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa échapper un cri de douleur et de chagrin :
- Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois mâenvoler et rejoindre le ciel ! LĂ , jâĂ©treindrais mon ennemi⊠contre ma poitrine et... il sâĂ©toufferait de mon sang ! Ă, Ivresse de la bataille !...
Lâentendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !"
Elle proposa Ă lâoiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien."
Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de lâabĂźme, sâagrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante.
Arrivé au bord du précipice, il déploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignÚrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide.
Il tomba plus vite quâune pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumesâŠ
Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et lâinondant dâĂ©cume lâemporta vers la mer.
Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de lâoiseau Ă tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©anâŠ
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Maxime Gorki
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un ciel de bain moussant
s'approche Ă pas de loup blanc
tu y plonge un moment
tu en ressort plus étincelant
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Nadine Descheneaux (Mon soleil, la lune et moi)
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Le coucher de soleil, le printemps, le bleu de la mer, les étoiles de la nuit, toutes ces choses que nous disons captivantes n'ont de magie que lorsqu'elles gravitent autour d'une femme, mon garçon... Car la Beauté, la vrai, l'unique, la beauté phare, la beauté absolue, c'est la femme. Le reste, tout le reste n'est qu'accessoires de charme.
â
â
Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă la nuit)
â
Mais la plus vieille civilisation du monde, avec sa compréhension souriante de la nature humaine et de ses faillibilités, avec son sens du compromis et des arrangements, vint à mon secours.
La Méditerranée vivait depuis trop longtemps avec le soleil pour le traiter en ennemi et elle pencha sur moi son visage aux mille pardons.
â
â
Romain Gary (La promesse de l'aube)
â
Il était mon soleil, et je gravitais autour de lui comme une planÚte délaissée. Une planÚte qui, enténébrée par son passé, courait résolument à sa perte.
â
â
Tiphaine Bleuvenn (Sylphide)
â
jâai passĂ© des jours au lit minĂ©e par la perte
jâai tentĂ© de te faire revenir Ă force de larmes
mais lâeau sâest tarie
et tu nâes quand mĂȘme pas revenu
je me pince le ventre jusquâau sang
jâai perdu le fil des jours
le soleil se fait lune
et la lune se fait soleil
et je me fais fantĂŽme
une dizaine de pensées différentes
me traversent chaque seconde
tu reviens sûrement vers moi
mieux vaut peut-ĂȘtre que tu restes oĂč tu es
je vais bien
non
je suis en colĂšre
oui
je te déteste
peut-ĂȘtre
je ne peux pas passer Ă autre chose
je vais passer Ă autre chose
je te pardonne
jâai envie de mâarracher les cheveux
et de recommencer encore et encore et encore
jusquâĂ ce que mon esprit Ă©puisĂ© sombre dans le silence
â
â
Rupi Kaur (The Sun and Her Flowers)
â
My Quincey, mon soleil.
â
â
Kayleigh King (Bloody Kingdom (The Crimson Crown, #1))
â
Nous mourons pour ne plus mourir
nous mourons pour ne plus mourir
et nous brĂ»lerons tout entiers sur le bĂ»cher de lâensoiffement
devenus corps immolés de mystÚre
nous consumant-en-esprit
pour ĂȘtre vivants toujours
nous mourons vers la vie
ou nous mourons vers la mort
se flétrissent et meurent, je ne chanterai pas
je ne chanterai jamais les feuilles dâautomne
elles qui se flétrissent et meurent
automne des choses
ni le jour
oĂč les Ă©toiles sâeffondreront dans un temps Ă elles
au-dessus de lâabĂźme
ces choses-lĂ ne sont pas celles que jâaimerai
et désirerai pour mon ùme
lâĂ©clat des pierres, ni la louange
ni les vagues
qui sont mortes, demeures des morts
lorsquâune Ăgypte de pierre Ă©lĂšve
dâimmenses sarcophages sans rien de plus prĂ©cieux
que les pas sur les sables
câest une douleur assurĂ©ment
de lâĂ©chec
Comme si le corps qui souffre et pleure
sâil Ă©tait immense, de granite
devenait éternel
comment pourrions-nous nous abuser
quand mĂȘme ceux qui travaillaient dans le dĂ©sert
ne croyaient plus et savaient
savaient quâils bĂątissaient une ruine
dans la volupté de la mort
Ăgypte de la peur
II
mais voilĂ
la Parole qui ne sâest jamais couchĂ©e se montre
aux dĂ©butants sous la figure dâun esclave et dâun pĂšre
Ă ceux qui peuvent la suivre
sur la montagne haute de sa
transfiguration
en vérité et en vie
Quand la parole se montre en nous
tellement illuminante, tellement claire
et Son visage éclate comme le soleil
alors ses vĂȘtements deviennent blancs
et les vĂȘtements sont la parole
de lâĂvangile de la victoire
absolue
sur la mort.
(p. 85 et 87)
â
â
Daniel Turcea (L'Ăpiphanie)
â
Ma vie s'illumine
Tes cheveux au soleil sont encore plus décolorés,
ma reine de pique et de sel.
Le rivage s'est détaché de la mer et t'a suivie
comme une ombre, comme un serpent désarmé.
Passent les fantÎmes de l'été en déclin,
les navires de mon cĆur marin.
Et ma vie s'illumine,
sous ton Ćil vert Ă midi,
gris comme la terre au crépuscule.
Oh-ho, je cours et bondis et m'écoule.
Laisse-moi encore une minute.
Laisse-moi encore une seconde.
Laisse-moi encore le temps d'une feuille, d'un grain de sable.
Laisse-moi encore une brise, une onde.
Laisse-moi encore une saison, un un an, un temps.
â
â
Nichita StÄnescu (Le grand passage : Une vision des sentiments)
â
Sur les bords du Danube
Venu du Gange oĂč mon rĂȘve module
Midi, mirage au soleil qui rutile,
Mon cĆur s'entrouvre en grande campanule,
Ma force tient en des frissons subtils.
Puits Ă bascule, auberges et gourdins
Pusztas, vacarme, ivrognes qui titubent ;
Baisers grossiers, tueurs de rĂȘves vains,
Que fais-je ici sur les bords du Danube ?
(p. 79, adaptation d'Anne-Marie de Backer)
â
â
Endre Ady (PoÚtes d'aujourd'hui, n°160 : ENDRE ADY)
â
Comme le ciel est beau ce soir !
On dirait une mer violette,
sur une mer rouge
sur une mer bleue.
Et les maisons : des barques
qui s'endorment au fond du port.
Mais le soleil est déjà couché.
Il commence Ă faire froid.
Il faut que je rentre chez moi.
â
â
Chihiro Iwasaki (Mon anniversaire dans la neige)
â
La mort de la prophétesse
Je vous ai laissés avec le soleil et les eaux
aux rames,
et je vous retrouve tués avec les faux
et les lames.
Câest Ă vous et Ă vous que jâai laissĂ©
ce jardin plein de grenades et de rosée,
pour en faucher lâherbe, pour en cueillir les fruits,
et vivre unis !
Mais à peine ai-je fermé la porte,
et mes cendres balayées, le vent les emporte.
Ă peine jâai franchi le seuil, au dĂ©part,
et vous avez déchiré mon livre et mon étendard.
La cour, je ne lâavais pas encore quittĂ©e,
et quelquâun est sorti pour sâassurer
que je nâĂ©tais pas de retour.
Un autre regardait le ciel par la bouche du four,
dans lâespace apercevant
ma cheville, sur des ponts dâargent.
Suivie par les cyclones qui me mettent en chasse,
je reviendrais par la voie des navires,
mais elle pĂšse sur moi, la Mer des Sargasses,
muraille que lâOcĂ©an seul peut bĂątir.
(traduit du roumain par Elisabeta Isanos)
â
â
Magda Isanos (Cantarea muntilor)
â
Si on avait justement partagé
Dans les défilés des montagnes,
je gémis, la tempe sur la pierre.
Et j'aurais voulu, ta lumiĂšre
la chanter encore, sommet des montagnes !
Si on avait justement partagé
toutes les peines du monde,
autant sur mon cĆur que sur le tien,
je ne serais pas morte aussi jeune.
Jâaurais pu me rĂ©jouir encore longtemps,
en riant, sous les verts rameaux,
j'aurais pu encore longtemps chanter,
la tempe collĂ©e Ă lâorgue des forets.
Il y avait encore tant de jardins Ă cueillirâŠ
Jâaurais ornĂ© jusquâau fond
ce plateau rond,
avec des écharpes et des pommes.
Si on avait justement partagé
toutes les peines du monde,
beaucoup dâannĂ©es encore, jâaurais moissonnĂ©
le soleil de ces terres.
Mon ami, apporte-moi des épis de blé,
lĂ -haut, sur le sommet des montagnes,
prés des cieux et des vents,
prĂšs du feu silencieux des bergers.
Vie, pour les uns tu as été
un éternel festin,
pour moi â une pluie dĂ©serte,
toi et tes balances truquĂ©esâŠ
Et pourtant, je te salue et je pars Ă regret.
(traduit du roumain par Elisabeta Isanos)
â
â
Magda Isanos (Cantarea muntilor)
â
Jâattends lâan premier
Jâattends lâan premier dâune autre Ăšre,
lâan de la paix sur la terre.
On aura démoli les grands abattoirs
de lâHistoire.
Mon cĆur murmure dĂ©jĂ : « FrĂšre,
pardonne-moi cet héritage de haine,
et au nom de la souffrance humaine,
prends ma main, frĂšre.
Moi aussi j'ai mordu la poussiĂšre
et j'ai pleuré.
Tous les miens morts, éteint le feu du foyer,
dans mon incendiĂ©e patrieâŠ
Aurore étrange, le sang avait lui,
Les uns aprĂšs les autres,
les horizons tombĂšrent
devant moi et derriĂšre.
Je franchissais les confins,
des riviĂšres et des monts.
Et personne nâĂ©tait plus grand que les grands
soldats sans noms.
Nous nous frayions une voie
Ă travers les foules grises
qui se retiraient, effrayĂ©es, comme lâeau.
Les obus tuaient et creusaient
du mĂȘme coup le tombeau de la mĂšre et de lâenfant.
Et la mort, comme un revenant,
traversait les champs désertés.
Et cependant, le yacht aux ponts dorés
par le soleil du Midi,
comme un oiseau sans tache, flottait.
Le milliardaire fumait sa havane:
« à monde merveilleusement réglé ! »
(Un ver qui grossit dans la plaie quâil profane,
de lâhumanitĂ© toujours dans le sangâŠ)
FrĂšre, nâayons plus de ressentiments
ni de rĂȘves chauvins.
Comme moi, tu travailles de tes mains.
Tu laboures la terre. Peut-ĂȘtre, tu Ă©cris.
Il y a des foyers pauvres en dâautres lieux aussi.
Sur ton visage, je comprends sans mots
que tu te réveilles chaque jour trÚs tÎt,
et couches tard chaque soir.
Donne-moi ta main, sors de ton cercueil,
démolissons les historiques abattoirs,
regarde : le soleil sur le seuilâŠ
(traduit du roumain par Elisabeta Isanos)
â
â
Magda Isanos (Cantarea muntilor)
â
Mon peuple fantĂŽme (poĂšme d'Ilarie Voronca)
Entre mer et terre. Entre pierres et ciel.
Avec le pain jaune de la route. Avec le vin rouillĂ© de la forĂȘt
VoilĂ mon ouvrage accompli. Et les outils de travail
Sont devenus des instruments de musique.
Câest ainsi
QuâĂ travers la flamme de la mĂ©moire les objets se changent en paroles.
Sur le promontoire, ici, dernier vestige de lâhomme. Rencontre.
Le vent jette dans lâĂ©cume ses Ă©pĂ©es dâeaux.
Solitude coupée géométriquement par les oiseaux
Quâici donc les visages de la vie se montrent.
Le soleil tombĂ© dans mon Ćil salĂ©. Face
Aux algues chevelues et aux cortĂšges de poissons
Mon visage fĂȘlĂ© par le vent comme le bord dâune tasse,
Sur mes lÚvres serrées : aube ou crépuscule comme un son.
Sans filets, sans armes
De chasse. Collé aux rochers. Vers le Sud
Les aigles dâĂ©cumes. Seul avec mon travail accompli entre terre et larmes.
Les cannes Ă pĂȘche sont devenues des harpes. Les fusils des flĂ»tes.
Mais le cĆur est la barque Ă©ternelle dâUlysse
Qui touche dans son rĂȘve tant dâĂźles,
Dans les veines, de nouveaux archipels surgissent,
Une parole, un rire, font naĂźtre une ville.
LĂ sur le promontoire jâattendais ces passages
DâĂźles : oiseaux Ă©tranges jaillis dâentre les cordes
Je te reconnaĂźtrai fantĂŽme entre ces bĂąches
Des terres nomades. Là prÚs du Peuple étranger dont la patrie est morte
Est ma place. LĂ sur lâIle fantĂŽme
Je viendrai avec mes instruments de musique. Avec ma journée accomplie.
Temps dâexil ? Non. Fuite Ă travers les glaciers du sommeil ? Non.
Le ver de la souffrance tordu dans la pomme de cette blessure.
Mais jusquâalors : sans armes, sans outils, sur cette
Pierre : extrĂȘme limite du continent
Entre rochers et flots qui rejettent
Le lait blanc de lâĂ©cume jusquâĂ ma faim, jusquâau vent,
Ici. Loin de lâhomme implacable. Loin
Des distributeurs de terre. Sans retour. Sans fuite.
La voix oubliée en moi comme une lettre dans un livre
Jâattends mon peuple fantĂŽme, mon Ăźle-fantĂŽme.
â
â
Ilarie Voronca
â
LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI)
La disette a tué toute brise de vent.
Le soleil sâest fondu et coulĂ© de partout.
Le ciel est resté vide et brûlant
Les seaux ne tirent des fontaines que de boue.
Sur les bois fréquemment feux, toujours feux
Dansent sauvages, sataniques jeux.
Je poursuis papa en route vers les buttes,
Les chardons, les sapins mâĂ©corchent sĂ©chĂ©s.
Tous les deux commençons la poursuite des chÚvres,
La chasse dâla famine en montagnes de tout prĂšs.
La soif mâaccable. Bouillit sur la pierre
Le fil dâeau filtrĂ© des ruisseaux.
La tempe pĂšse lâĂ©paule, comme si jâerre
Une autre planÚte, immense, étrange, ennuyeux.
Nous restons dans lâendroit oĂč encore retentissent
Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux.
Quand la lune sâĂ©lĂšve et le soleil se couche
Ici viendront Ă la fil sâabreuver
Une par une, les biches.
Je dis Ă papa que jâai soif. Il me fait signe de mâ taire.
Enivrante eau. Comme tu tâagites limpide !
Je suis liĂ© par soif de cette ĂȘtre qui meurt
Ă lâheure fixĂ© par loi et habitude.
La vallée raisonne en bruissements flétris.
Quel affreux crĂ©puscule flotte dans lâunivers !
Le sang Ă lâhorizon. Ma poitrine rouge comme si
Jâai essuyĂ© mes mains sur mon poitrail.
Comme sur autel fougÚres brûlent en flammes violùtres
Et les étoiles frappées parmi celles-ci miroitent.
Hélas ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas
Superbe offrande de mon noble bois !
Elle se monta sautant et sâarrĂȘta
Scrutant les alentours avec de crainte
Ses minces narines faisaient frĂ©mir lâeau
Avec les cercles en cuivre errantes.
Dans ses yeux moites brillait un certain indécis
Je savais quâelle aura mal, quâelle va mourir.
Il me semblait revivre un récit
Avec la biche, jadis une trĂšs belle fille.
Dâen haut, la pĂąle lumiĂšre, lunaire,
Bruinait sur sa fourrure douces fleurs dâcerisier.
Hélas ! comme je voudrais que pour la premiÚre fois
Le coup dâfusil dâpapa va Ă©chouer.
Mais les vallées résonnent. Elle tombe à genoux.
Elle lĂšve sa tĂȘte, la tourne vers les Ă©toiles
La dévala alors, en déclenchant sur eaux
Fuyards tourbillons de perles noires.
Un oiseau bleu bonda dans les rameaux
La vie dâla biche vers lâespace attardĂ©
Vola trĂšs lentement, en cris, comme en automne oiseaux
Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagés.
En chancelant je suis allé pour lui fermer
Ses yeux ombreux comme en engoisse veillés de cornes
Silencieux et blanc jâai tressailli quand lâpĂšre
Me dit de tout son cĆur: âVoilĂ de la viande !â
âJâai soifâ, je dis. Papa mâincite Ă mâabreuver.
Enivrante eau, enveloppé en brume !
Je suis lié par soif de cette biche gaspillée
A lâheure fixĂ©e par loi et par coutumeâŠ
Mais la loi nous est déserte, étrangÚre
Quand la vie en nous trĂšs difficile sâanime
Coutumes, compassions sont toutes désertes
Quand mĂȘme ma sĆur malade est une des victimes.
La carabine dâ papa nâ Ă©mane que de fumĂ©e
HĂ©las ! Sans vent sâempressent les feuillages en foule
Papa prépare un feu tout effrayé
HĂ©las ! comme la forĂȘt se dĂ©nature !
De lâherbe, sans adresse, je prends en mains
Une mince clochette dâun cliquetis argentin .
Papa tire de la broche avec sa main
Le cĆur de la chevreuil et ses chauds reins.
Câest quoi le cĆur ?⊠Jâai faim. Je veux vivre, jâ voudraisâŠ
Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimĂ©eâŠ
Jâai sommeil⊠Comme il est haut le feu ! Et la forĂȘt sauvage !
Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mangeâŠ
1954
(cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
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Nicolae LabiĆ (Poezii (Biblioteca Eminescu) (Romanian Edition))
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la pluie comme le soleil, les temps oĂč lâon peine sur les devoirs comme les temps de rĂ©crĂ©ation... Lâun ne va pas sans lâautre. Bref, depuis cette maladie, je me plains beaucoup moins... mais cela mâarrive encore, et mĂȘme peut-ĂȘtre trop souvent, me dit maman ! Pourtant quelque chose a changé : dans ces moments-lĂ , je repense Ă tout ce que jâai appris, couchĂ©e sur mon lit Ă onze ans... et je me remets alors Ă sourire Ă la vie !
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Marc Thil (Histoires Ă lire le soir 2 (French Edition))
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Pour tromper le monde, je mâhabille avec Ă©lĂ©gance chaque fois que je sors. Jâallume mon sourire. Je maquille un peu ma tristesse puis je mets mes lunettes de soleil pour que personne ne remarque ton absence au fond de mes yeux.
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JĂłn Kalman StefĂĄnsson
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Ătre une femme, je dĂ©cide que c'est beau. Je me sens fraĂźche et fragile, mais j'ose tout. Je pars Ă l'autre bout du monde pour Ă©corcher mon confort de jeune fille, je veux ĂȘtre une femme libre, je veux griller au soleil, manger des noix de coco, aller seule dans les herbes, prendre l'avion puis la pirogue, passer ma timiditĂ© Ă tabac, devenir qui je sens, qui je suis dessous, lĂ , sous les Ă©paisseurs de l'apprentissage qui ont fait de moi une fille sage. DĂ©sapprentissage, devenir sauvage, devenir soi, femme, soif de ça, ĂȘtre femme soi soif et soie qui vole folle, ĂȘtre enfin soi, assoiffĂ©e, se sauver, je me dĂ©bats. Ătre femme c'est rabattre les voiles qui emballent mon ĂȘtre depuis toute petite. C'est rabattre les voiles qui me ficellent. C'est chercher tout au fond Ă nu, oĂč suis-je nue, oĂč suis-je moi, oĂč suis-je femme ?
â
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Douna Loup (L'affaire clitoris (Bande-dessinée))
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semnele de pe trandafirul japonez
la fiecare rÄsÄrit
sorb din cafea Èi mÄ restartez
citesc pe frunzele trandafirului japonez
buletinul meteorologic
Ăźmi strig amintirile de pe strÄduÈele Ăźnguste
o lume pestriÈÄ forfoteÈte Ăźmprejur
fiecare vorbeÈte cu glasul meu
zĂźmbeÈte folosind codul meu
pentru bunÄ dispoziÈie
dar sunÄ sirena la spitalul din colÈ
o alarmÄ falsÄ sau poate o naÈtere
de mult nu s-a mai ĂźntĂąmplat ceva deosebit
pe strada mea
cercetez ceasul
s-a fÄcut tĂąrziu Èi o sÄ ĂźntĂąrzii la slujbÄ
prin geamul pÄtat de muÈte
doi sticleÈi se holbeazÄ
cocoÈaÈi pe gardul din sĂąrmÄ ghimpatÄ
este locul Ăźn care timpul
Ăźmi lasÄ mereu o gustare
*
les signes sur lâhibiscus
Ă chaque lever de soleil
je sirote mon café et je me réinitialise
je lis sur les feuilles de lâhibiscus
le bulletin météo
je hÚle mes souvenirs égarés dans les étroites ruelles
un monde bigarré fourmille tout autour
chacun parle avec ma propre voix
chacun sourit en utilisant mon propre code
de bonne humeur
mais la sirĂšne sonne Ă lâhĂŽpital du coin
une fausse alerte ou bien une naissance
depuis longtemps rien de spĂ©cial nâest advenu
dans ma rue
jâinterroge ma montre
il est déjà tard et je vais me mettre en retard à mon travail
à travers la vitre tùchée par les mouches
deux chardonnerets observent fixement
juchés sur la clÎture en barbelé
câest lâendroit oĂč le temps
me dépose toujours un goûter
(traduit en français par Gabrielle Danoux)
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Ioan Barb
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J'avais surpris mon cher surhomme en flagrant délit d'humanité : je sentis que je l'en aimais davantage. Alors, je chantai la farandole, et je me mis à danser au soleil.
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Marcel Pagnol (La Gloire de mon pĂšre)
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Ici mĂȘme, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. Il me faut ĂȘtre nu
et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là , et nouer sur ma peau l'étreinte
pour laquelle soupirent lÚvres à lÚvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu
froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amĂšre - la nage, les bras vernis
d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles; la course de l'eau sur mon corps,
cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes - et l'absence d'horizon. Sur le rivage, c'est la chute dans le sable, abandonné au
monde, rentrĂ© dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras oĂč les flaques de peau
sÚche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet blond et la poussiÚre de sel.
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Albert Camus (Noces suivi de L'été)
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Je ne te laisserai plus jamais tomber. Je veux ĂȘtre prĂ©sente pour toi chaque seconde et je veux que chaque seconde passĂ©e ensemble compte. Je veux me gorger de tes rires et essuyer tes larmes. [...] Je ne pourrais plus vivre sans toi : tu es mon soleil et mon espoir, ma principale raison de me battre. Un fait ne changera jamais... L'amour absolu que j'Ă©prouve pour toi. Je t'aime, Aube. C'est la seule chose immortelle chez moi. Personne ne me l'enlĂšvera, pas mĂȘme la Mort.
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Anna Triss (La Guerre céleste, Partie 1 (La Guilde des ombres #3A))
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Je suis le tĂ©nĂ©breux, â le veuf, â l'inconsolĂ©,
Le prince d'Aquitaine Ă la tour abolie :
Ma seule Ă©toile est morte, â et mon luth constellĂ©
Porte le Soleil noir de la Mélancolie."
"I am the Dark One, â the Widower, â the Unconsoled
The Aquitaine Prince whose Tower is destroyed:
My only star is dead,- and my constellated lute
Bears the black Sun of Melancholia.
â
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Gérard de Nerval
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les jours passent vite alors quâon aurait pu croire le contraire lorsquâon est lĂ , assis, Ă attendre je ne sais quoi, Ă boire et Ă boire encore jusquâĂ devenir le prisonnier des vertiges, Ă voir la Terre tourner autour dâelle mĂȘme et du Soleil mĂȘme si je nâai jamais cru Ă ces thĂ©ories de merde que je rĂ©pĂ©tais Ă mes Ă©lĂšves lorsque jâĂ©tais encore un homme pareil aux autres, faut vraiment ĂȘtre un illuminĂ© pour dĂ©biter des Ă©normitĂ©s de ce genre parce que moi, Ă vrai dire, quand je bois mon pot,quand je suis assis peinard Ă lâentrĂ©e du CrĂ©dit a voyagĂ©, je ne rĂ©alise pas que la Terre que je vois lĂ puisse ĂȘtre ronde, quâelle puisse sâamuser Ă tourner au tour dâelle-mĂȘme et autour du Soleil comme si elle nâavait rien dâautre Ă foutre que de se causer des vertiges dâavion Ă papier, quâon me dĂ©montre donc Ă quel moment elle tourne autour dâelle-mĂȘme, Ă quel moment elle arrive Ă tourner autour du Soleil, faut ĂȘtre rĂ©aliste, voyons, ne mous laissons pas embobiner par ces penseurs qui devaient se raser Ă lâaide dâun vulgaire silex ou dâune pierre maladroitement taillĂ©e pendant que les plus modernes dâentre eux utilisaient de la pierre polie, en fait, grosso modo, si je devais analyser tout ça de trĂšs prĂšs, je dirais quâon distinguait jadis deux grandes catĂ©gories de penseurs, dâun cĂŽtĂ© y avait ceux qui pĂ©taient dans les baignoires pour crier Ă plusieurs reprises « jâai trouvĂ© , jâai trouvĂ© », mais quâest-ce quâon en a foutre quâils aient trouvĂ©, ils nâavaient quâĂ garder leur dĂ©couverte pour eux, moi jâai eu Ă mâimmerger quelques fois dans la riviĂšre Tchinouka qui a emportĂ© ma pauvre mĂšre, je nâai rien trouvĂ© de spectaculaire dans ces eaux grises oĂč tout corps quâon y plonge ne subit mĂȘme pas la fameuse poussĂ©e verticale de bas en haut, câest dâailleurs pour cela que toute la merde de notre quartier Trois â cents est tapie au fond des eaux, quâon me dise alors comment cette merde arrive Ă Ă©chapper Ă la poussĂ©e dâArchimerde, et puis y avait la deuxiĂšme grande catĂ©gorie dâilluminĂ©s qui nâĂ©taient que des oisifs, des vrais fainĂ©ants, ils Ă©taient toujours assis sous un pommier du coin et attendaient de recevoir des pommes sur la tĂȘte pour une histoire dâattraction ou de pesanteur, moi je suis contre ces idĂ©es reçues, et je dis que la Terre est plate comme lâavenue de lâindĂ©pendance qui passe devant Le CrĂ©dit a voyagĂ©, y a rien a rajouter, je proclame que la Terre est tristement immobile, que câest le Soleil qui sâexcite autour de nous parce que je le vois moi-mĂȘme parader au dessus de la toiture de mon bar prĂ©fĂ©rĂ©, quâon ne me raconte pas dâhistoire Ă dormir debout, et le premier qui vient encore mâexpliquer que la Terre est ronde, quâelle tourne autour dâelle âmĂȘme et autour du Soleil, celui lĂ je le dĂ©capite sur le champ, mĂȘme sâil sâĂ©crie « et pourtant elle tourne »
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Alain Mabanckou (Broken Glass)
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On m'a soufflé mon dernier coin de soleil : C'est de la farce.
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Ămile Zola (La Faute de l'abbĂ© Mouret (Les Rougon-Macquart, #5))
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Dans les commentaires dĂ©lirants auxquels l'article de l'avocat donna lieu, devait revenir sous les formes les plus insolites la comparaison avec le sourire de la Joconde. MaĂźtre Homaire avait, entre autres, Ă©crit : « Dans le voile bleutĂ© du petit matin, confondu avec les voiles des noces, il Ă©manait de la mort d'Hadriana SiloĂ© une espĂšce d'envoĂ»tement sublunaire considĂ©rablement renforcĂ© par l'allĂ©gresse Ă©nigmatique des lĂšvres. Comme chez Mona Lisa, le charme du visage semblait pivoter sur lui-mĂȘme, complĂštement purifiĂ© des contingences consternantes du dĂ©cĂšs et portĂ© Ă merveille Ă l'incandescence intĂ©rieure qui sied Ă l'Ă©ternelle beautĂ© fĂ©minine. » A la fin de 1946, Ă mon arrivĂ©e Ă Paris, je me prĂ©cipitai, haletant, au musĂ©e du Louvre, vers la cĂ©lĂšbre toile de Leonardo, comme au premier rendez-vous pris loin de Jacmel avec Nana SiloĂ©. J'en fus profondĂ©ment déçu. La Joconde Ă©tait bien le chef-d'Ćuvre d'un peintre gĂ©nial, mais, comparĂ©e Ă la jeune fille de mon souvenir, elle semblait plutĂŽt ricaner, sans aucun feu intĂ©rieur. Dans la trame de ma nostalgie inguĂ©rissable, Hadriana avait son maquillage de mariĂ©e intact ; la peau de son cou et de ses mains Ă©tait aussi lisse et fraĂźche qu'une mangue cueillie juste avant le lever du soleil. La mort avait donnĂ© Ă sa beautĂ© un air de joyeuse profondeur comme si elle Ă©tait intĂ©rieurement absorbĂ©e par un rĂȘve plus prodigieux que la vie et la mort Ă la fois. Sa bouche n'Ă©voquait pas un sourire lĂ©gendaire, mais un fruit Ă©clatant de fraĂźcheur auquel toute bouche assoiffĂ©e aurait voulu mordre jusqu'Ă l'extase.
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RenĂ© Depestre (Hadriana dans tous mes rĂȘves (French Edition))
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Tu es mon soleil dans ce monde de ténÚbres. Merci de m'avoir offert des moments de vie réelle.
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Brenda Drake (Assassin of Truths (Library Jumpers, #3))
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Jâavais commandĂ© un Figeac 71, mon saint-Ă©milion prĂ©fĂ©rĂ©. Introuvable. Sublime. Rouge et dorĂ© comme peu de couchers de soleil. Profond comme un la mineur de contrebasse. Ăclatant en orgasme au soleil. Plus long en bouche quâun final de Verdi. Un vin si grand que Dieu existe Ă sa seule vue. Elle a mis de lâeau dedans. Je ne lâai plus jamais aimĂ©e.
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Christel Petitcollin (Je pense mieux : Vivre heureux avec un cerveau bouillonnant, c'est possible !)
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Parole aprĂšs parole, le visage de Reine Sans Nom s'amenuisait et je ne savais comment lui dire de se taire, et elle chuchotait Ă mon oreille, me dĂ©signant d'un doigt la bruine qui tombait doucement du ciel... ce ne sont pas des pleurs, mais une lĂ©gĂšre buĂ©e, car une Ăąme humaine doit regretter la vie... et une douceur extrĂȘme passa dans sa voix tandis qu'elle murmurait encore... Ă©coute, les gens t'Ă©pient, ils comptent toujours sur quelqu'un pour savoir comment vivre... si tu es heureuse, tout le monde peut ĂȘtre heureux et si tu sais souffrir, les autres sauront aussi... chaque jour tu dois te lever et dire Ă ton cĆur : j'ai assez souffert et il faut maintenant que je vive, car la lumiĂšre du soleil ne doit pas se gaspiller, se perdre sans aucun Ćil pour l'apprĂ©cier... et si tu n'agis pas ainsi tu n'auras pas le droit de dire : c'est pas ma faute, lorsque quelqu'un cherchera une falaise pour se jeter Ă la mer...
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Schwarz-Bart Simone
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Le jour passait ainsi, tant bien que mal, Ă manger beaucoup et boire de mĂȘme ; grand soleil fort ; bagnole pour nous trimbaler ; cigare de temps Ă autre ; petit somme sur la plage ; revue de dĂ©tail des connasses qui passaient ; bavardages en tous genres ; un peu de rigolade ; quelques chansons aussi â une journĂ©e comme tant et tant dâautres passĂ©es en compagnie de MacGregor. En de pareils jours, jâavais lâimpression que la roue cessait de tourner. En surface ce nâĂ©tait que gaietĂ© et bon temps ; les heures passaient comme un rĂȘve gluant. Mais sous la surface câĂ©tait la fatalitĂ©, le domaine des prĂ©monitions qui me laissaient le lendemain dans un Ă©tat dâinquiĂ©tude morbide. Je savais parfaitement quâil me faudrait rompre un jour, parfaitement que je passais le temps comme on passe une envie de pisser. Mais je savais aussi que je nây pouvais absolument rien â pour le moment. Jâattendais un Ă©vĂ©nement, Ă©norme, qui me ferait perdre lâĂ©quilibre. Tout ce dont jâavais besoin, câĂ©tait dâĂȘtre bousculé ; mais il nây avait quâune force extĂ©rieure au monde oĂč je vivais qui pĂ»t me donner le choc nĂ©cessaire. De cela jâĂ©tais sĂ»r. Je ne pouvais me ronger le cĆur : câeĂ»t Ă©tĂ© aller contre ma nature. Ma vie durant, tout avait toujours tournĂ© au mieux â Ă la fin. Il nâĂ©tait pas Ă©crit dans les cartes que je dusse mâĂ©puiser en effort. Il fallait faire la part de la Providence â part entiĂšre, dans mon cas. Jâavais contre moi toutes les apparences : jâĂ©tais guignard, eĂ»t-on dit, je ne savais pas mener ma barque ; mais rien ne pouvait mâĂŽter de la tĂȘte que jâĂ©tais nĂ© coiffĂ©. Doublement coiffĂ© mĂȘme. Vue de lâextĂ©rieur, la situation nâĂ©tait pas brillante, dâaccord â mais ce qui mâinquiĂ©tait plus encore, câĂ©tait la situation intĂ©rieure. Tout en moi mâeffrayait : mes appĂ©tits, ma curiositĂ©, ma souplesse, ma permĂ©abilitĂ©, ma mallĂ©abilitĂ©, mon naturel, mon pouvoir dâadaptation. En soi, aucune situation ne me faisait peur : je ne pouvais me voir autrement que prenant toutes mes aises, comme une fleur, ou mieux comme lâabeille sur la fleur, en train de butiner. MĂȘme si je mâĂ©tais retrouvĂ© en taule un beau matin, je suis sĂ»r que jây aurais pris un certain plaisir. La raison, jâimagine, en Ă©tait que je savais opposer la force dâinertie. Dâautres sâusaient Ă tirer sur la corde, Ă se dĂ©mener, Ă se tendre Ă craquer ; ma stratĂ©gie Ă©tait de flotter au grĂ© de la marĂ©e. Je me souciais beaucoup moins de ce quâon pouvait me faire que du mal que se faisaient les autres Ă eux-mĂȘmes ou entre eux. Je me sentais si bien, en dedans de moi, que je ne pouvais faire autrement que de prendre Ă charge et Ă cĆur le monde entier et ses problĂšmes. C'est pourquoi jâĂ©tais tout le temps dans la mouise. Il nây avait entre ma destinĂ©e et moi aucun synchronisme, pour ainsi dire.
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Henry Miller (Tropique du Capricorne / Tropique du Cancer)
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Je n'ai plus mĂȘme pitiĂ© de moi
Et ne puis exprimer mon tourment de silence
Tous les mots que j'avais à dire se sont changés en étoiles
Un Icare tente de s'élever jusqu'à chacun de mes yeux
Et porteur de soleils je brûle au centre de deux nébuleuses
Qu'ai-je fait aux bĂȘtes thĂ©ologales de l'intelligence
Jadis les morts sont revenus pour m'adorer
Et j'espérais la fin du monde
Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan
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Guillaume Apollinaire (Alcools)
â
Mon efficacitĂ© dans le combat concret et le corps Ă corps brutal apparaĂźt ridicule en comparaison de celle d'Edo. Certes. Mais moi, je sais creuser des gouffres de peines chez l'ĂȘtre le plus insensible. Je parviens Ă faire naĂźtre le dĂ©sir cruel, l'envie aliĂ©nante, la frustration implacable. J'obsĂšde, j'Ă©nerve, je tends et j'agace. Je fascine, j'excite, je dĂ©truis et rends dĂ©ment. Je suis le roi de l'artifice. Je fais exploser dans le ciel de ma victime des comĂštes hallucinatoires, des soleils dĂ©lirants et des Ă©clairs de folie avant de laisser tomber sur ses jours une nuit noire Ă©paisse et dense, qui ne prĂ©cĂšde aucune aurore prometteuse. Et si je suis vraiment d'humeur fouillis-souillonne comme maintenant, je peux en tirer un plaisir indĂ©cent quasi onaniste. Que l'on se rassure : je ne vais pas casser le jouet de mes petits camarades. Juste m'amuser un peu avec...
â
â
Eli Esseriam (Oméga (Apocalypsis, #5))
â
Quand tout change pour toi
la Nature est la mĂȘme
Et le mĂȘme soleil se lĂšve sur tes jours.
Ami
Vous ĂȘtes mort pour mon amour
Et je meurs, ami, de tendresse
Car je nâai pu venir Ă temps
Ni nâai pu forcer le destin
Pour vous guérir de votre mal.
Si je fusse Ă temps venue
La vie je vous eusse rendue
Et parlez doucement Ă vous,
De lâamour qui fut entre nous.
â
â
Benoßte Groult (La Touche étoile)
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« Bonsoir madame, entrez vite, je me présente : Albert Camus".
âŠâŠ
M. Albert demande un jour Ă parcourir le cahier Ă la couverture tachĂ©e. Il trouve les listes dâingrĂ©dients imagĂ©es, les notes ajoutĂ©es en coin de page et les noms enchanteurs de certains plats, emplis de poĂ©sie : la rĂŽtie de grives de la paillette, le gratin de courge soleil, la caillette aux herbes, le boudin Richelieu, le relief dâortolan et autres escargots MargotâŠ
« Vous aussi, vous savez écrire », dit-il à Andrée rougissante.
âŠ.
Un courrier lui apprend une triste nouvelle, il vient sâasseoir Ă la table de la cuisine oĂč AndrĂ©e dispose les tranches fines de pommes sur la pĂąte :
« Mon ami George Orwell est mort. Il faisait partie du petit nombre dâhommes avec qui je partageais quelque chose. »
AndrĂ©e essuie ses mains pleines de farine sur son tablier, prend deux verres dans le vaisselier, la bouteille de cĂŽtes-du-rhĂŽne. Elle ne connaĂźt pas ce Monsieur mais se souvient combien la perte dâun ami est douloureuseâŠ
â
â
Valérie Paturaud (La cuisiniÚre des Kennedy (French Edition))
â
L'ultime élégie
Il fut un temps oĂč je donnais
Mon humble avis sur la rosée
Et j'inscrivais souvent au vestiaire
Mon humble avis sur les lépidoptÚres.
Il vous inquiétait, c'est vrai, jadis
Mon humble avis sur l'élégance des lys.
Et flotte sur le bourg de temps en temps
Mon humble avis sur le soleil couchant.
(poĂšme traduit du roumain par Virgil Tanase)
â
â
Emil Brumaru
â
Crise. Paroxysme de la crise. Les symptĂŽmes ne permettent plus le doute : un coup de poing au cĆur quand elle apparaĂźt ; la paralysie du cerveau quand, par mĂ©garde, elle me touche ; la sensation de sa chaleur physique Ă distance ; le besoin impĂ©rieux, qui dĂ©rĂšgle ma respiration, de sentir la pulsation de sa vie ; le culte fĂ©tichiste des objets qui lui appartiennent et de tout ce qui la concerne : sa mantille, accrochĂ©e Ă la patĂšre dans lâentrĂ©e, me donne des frissons ; sa calligraphie prĂȘte Ă chaque lettre une fĂ©minitĂ© troublante, et surtout Ă celles qui montent au-dessus ou descendent sous la ligne ; lâĂ©motion profonde que me fait ressentir le nom de sa propriĂ©tĂ© terrienne ; le sentiment que tout ce qui nâest pas elle, ou Ă elle, ou Ă son cadre de vie, est fade ; la conviction que seule une femme grande, blonde, avec une lĂ©gĂšre asymĂ©trie de la bouche quand elle sourit peut rendre heureux ; le frisson que me donne le mot « AdĂšle » (en trouvant dans un catalogue ce prĂ©nom, je me suis arrĂȘtĂ© comme devant un Ă©vĂ©nement rare) ; la sensation de voluptĂ©, provoquĂ©e par le mot « Elle » quand je la nomme ainsi, oralement ou mentalement, peut-ĂȘtre parce que câest le contraire de « Il » et parce que le mot a une allure tellement fĂ©minine (la flexion grammaticale met fortement en Ă©vidence la charge sexuelle, et fixe lâattention sur la femme jusquâĂ lâhallucination) ; la persistance de son image dans ma conscience, illuminĂ©e par le bleu de ses yeux â quand je lis, quand je parle avec quelquâun, quand je pense Ă autre chose â une sorte de forme a priori de la rĂ©flexion, qui jette un voile dâazur sur les pages des livres, sur le paysage, de mĂȘme quâon projette partout, oĂč quâon tourne le regard, le globe du soleil couchant restĂ© sur la rĂ©tine ; la perte de ma confiance dâantan, de mon amitiĂ© affectueuse pour elle ; le dĂ©sir brĂ»lant de tout lui sacrifier, et surtout ma libertĂ© ; la terreur que mâinspire la force qui seule peut donner ou ĂŽter la vie ; la disparition totale du passĂ©, annihilĂ© par lâexistence dâAdĂšle, et comme je ne peux placer dans lâavenir aucun projet dont le sujet soit « Elle » â seul objet de mes pensĂ©es â la disparition du futur aussi et lâhypertrophie exclusive du prĂ©sent, mais qui, composĂ© dâactions sans but et sans corrĂ©lation dans le temps, nâa que la consistance dâun fantĂŽme aperçu en rĂȘve ; et par-dessus tout, lâĂ©tonnement toujours recommencĂ© devant cet Ă©vĂ©nement extraordinaire et incroyable : elle existe !
â
â
G. Ibraileanu (AdĂšle - fragments du journal d'Ămile Codrescu (juillet-aout 189...))
â
Le reste ne nous intĂ©resse plus. L'amour se sert des pires piĂšges. Des moins nobles. Des plus rares. Il exploite les coĂŻncidences. N'a-t-il pas fallu qu'un gosse mĂźt ses deux doigts dans la bouche pour en tirer un sifflement dĂ©chirant, juste Ă l'heure oĂč mon Ăąme Ă©tait tendue Ă l'extrĂȘme, n'attendant plus que cette strideur pour se dĂ©chirer de bas en haut? Mais l'instant s'est-il rencontrĂ© qui fit s'aimer deux ĂȘtres jusqu'au sang? "Tu es un soleil apportĂ© dans ma nuit. Ma nuit est un soleil apportĂ© dans la tienne!" On se cogne du front. Debout et de loin, mon corps passe au travers du tien et le tien, de loin, au travers du mien. Nous crĂ©ons le monde. Tout change... et le savoir!
â
â
Jean Genet (Notre Dame Des Fleurs.)
â
Un mari, un mariage réussi, c'est pour moi toute la terre. Pour moi, Charles est terre, univers, vie. Saint-Ex, lui, n'était pas terre, mais soleil, lune ou étoiles pour éclairer la terre et embellir le monde entier et l'existence. Et voilà que la terre n'est plus allumée et qu'elle a perdu sa beauté. J'y poursuis mon chemin, trébuchante et sans joie.
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â
Anne Morrow Lindbergh (Wartime Writings 1939-1944)