â
Passing through the early fog, the fruitsellerâs boat nudged the edge of the canal beside the Palazzo Malipiero. All around was stillness. Casanova whispered to me, âThis is the type of pause that occurs just in the instant before la petite mort. The breath held before the gasp followed by the exquisite release.
â
â
Harry F. MacDonald (Casanova and the Devil's Doorbell)
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La mort Ă©tait le
meilleur remĂšde contre tous les petits maux de l'existence.
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Bernard Werber (Les Thanatonautes)
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La vie de l'homme, avec tous ses projets, s'Ă©lĂšve comme une petite tour dont la mort est le couronnement.
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Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (Paul et Virginie)
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- [...] On ne doit pas douter de la beautĂ© des choses, mĂȘme sous un ciel tortionnaire. Si tu n'es pas Ă©tonnĂ© par le chant du coq ou par la lumiĂšre au-dessus des crĂȘtes, si tu ne crois pas en la bontĂ© de ton Ăąme, alors tu ne te bats plus, et c'est comme si tu Ă©tais dĂ©jĂ mort.
- Demain, le soleil se lÚvera et on essaiera encore, a dit Prothé pour conclure.
â
â
Gaël Faye (Petit pays)
â
Have you heard of la petite mort?â
âThe little death?â
âItâs what the French call it. A metaphor, I assure you. I have always thought it more an affirmation of life. Or perhaps a reason for living.â
And then, with all the wicked promise he felt in his soul, he looked up at her through his lashes and murmured, âShall I show you?
â
â
Julia Quinn (The Girl with the Make-Believe Husband (Rokesbys, #2))
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Je ne connaĂźtrai pas la peur car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit Ă l'oblitĂ©ration totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passĂ©e, je tournerai mon Ćil intĂ©rieur sur son chemin. Et lĂ oĂč elle sera passĂ©e, il n'y aura plus rien. Rien que moi.
â
â
Frank Herbert
â
Tout ce temps, tous ces visages, tous ces cris de jouissance, ces Ă©treintes sans Ăąme au petit matin, quand la nuit n'est plus, le jour n'est pas encore, ton orgasme prend fin, et tes yeux se dessillent, ta chambre n'est qu'un bordel, Baudelaire est mort et, dans tes bras, il n'y a qu'une putain...
â
â
Lolita Pille (Hell)
â
Au cĆur de la ForĂȘt Maison des Petits s'Ă©lĂšve un long cri de dĂ©tresse.
Deux petits découvrent la réalité de la mort.
Impuissance.
Douleur.
DĂ©sespoir.
- Ipiu !
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â
Pierre Bottero (Ellana, la Prophétie (Le Pacte des MarchOmbres, #3))
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The French call it la petite mort, the small death. But I don't think it's like that. It's more like life, before I screwed it up so bad.
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Marshall Thornton (From the Ashes (Boystown #6))
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La petite mort' and 'la grande mort' within ten seconds of each otherâcoming and going in the space of three short breaths.
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Paul Auster (4â3â2â1)
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La vie est toujours au bord de la mort ; les ruelles donnent sur la mĂȘme place que les boulevards, et une petite bougie sâĂ©teint tout comme un flambeau. Je choisis ma propre façon de brĂ»ler.
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Sophie Scholl
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A kiss that went on for half a moment, endlessly, and lasted infinitesimally, for years. It was trauma and mortality, legend and mythology, and then, out of oblivion, a little whisper of, "Does he taste like me?
â
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Les feuilles tombent, la figue sĂšche, remplace la figue fraĂźche, le raisin sec la grappe mĂ»re, voilĂ selon toi des paroles de mauvaise augure ! Mais il nây a lĂ que la transformation dâĂ©tats antĂ©rieurs en dâautres ; il nây a pas de destruction, mais un amĂ©nagement et une disposition bien rĂ©glĂ©e. LâĂ©migration nâest quâun petit changement. La mort en est un plus grand, mais il ne va pas de lâĂȘtre actuel au non-ĂȘtre, mais au non-ĂȘtre de lâĂȘtre actuel. Alors ne serais-je plus ? Tu ne seras pas ce que tu es mais autre chose dont le monde aura alors besoin.
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â
Epictetus
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Et la jeune fille sâĂ©tait dressĂ©e comme pour aller Ă son tour se tuer, se jeter Ă son tour dans la mer et aprĂšs elle avait pleurĂ© parce quâelle avait pensĂ© Ă cet homme de Cholen et elle nâavait pas Ă©tĂ© sĂ»re tout Ă coup de ne pas lâavoir aimĂ© dâun amour quâelle nâavait pas vu parce quâil sâĂ©tait perdu dans lâhistoire comme lâeau dans le sable et quâelle le retrouvait seulement maintenant Ă cet instant de la musique jetĂ©e Ă travers la mer.
Comme plus tard lâĂ©ternitĂ© du petit frĂšre Ă travers la mort
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Marguerite Duras (The Lover)
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Et tout dâun coup le souvenir mâest apparu. Ce goĂ»t, câĂ©tait celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin Ă Combray (parce que ce jour-lĂ je ne sortais pas avant lâheure de la messe), quand jâallais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante LĂ©onie mâoffrait aprĂšs lâavoir trempĂ© dans son infusion de thĂ© ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne mâavait rien rappelĂ© avant que je nây eusse goĂ»tĂ© ; peut-ĂȘtre parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pĂątissiers, leur image avait quittĂ© ces jours de Combray pour se lier Ă dâautres plus rĂ©cents ; peut-ĂȘtre parce que, de ces souvenirs abandonnĂ©s si longtemps hors de la mĂ©moire, rien ne survivait, tout sâĂ©tait dĂ©sagrĂ©gĂ© ; les formes â et celle aussi du petit coquillage de pĂątisserie, si grassement sensuel sous son plissage sĂ©vĂšre et dĂ©vot â sâĂ©taient abolies, ou, ensommeillĂ©es, avaient perdu la force dâexpansion qui leur eĂ»t permis de rejoindre la conscience. Mais, quand dâun passĂ© ancien rien ne subsiste, aprĂšs la mort des ĂȘtres, aprĂšs la destruction des choses, seules, plus frĂȘles mais plus vivaces, plus immatĂ©rielles, plus persistantes, plus fidĂšles, lâodeur et la saveur restent encore longtemps, comme des Ăąmes, Ă se rappeler, Ă attendre, Ă espĂ©rer, sur la ruine de tout le reste, Ă porter sans flĂ©chir, sur leur gouttelette presque impalpable, lâĂ©difice immense du souvenir.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu, #1))
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Et voilĂ . Maintenant le ressort est bandĂ©. Cela n'a plus qu'Ă se dĂ©rouler tout seul. C'est cela qui est commode dans la tragĂ©die. On donne le petit coup de pouce pour que cela dĂ©marre, rien, un regard pendant une seconde Ă une fille qui passe et lĂšve les bras dans la rue, une envie d'honneur un beau matin, au rĂ©veil, comme de quelque chose qui se mange, une question de trop qu'on se pose un soir⊠C'est tout. AprĂšs, on n'a plus qu'Ă laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C'est minutieux, bien huilĂ© depuis toujours. La mort, la trahison, le dĂ©sespoir sont lĂ , tout prĂȘts, et les Ă©clats, et les orages, et les silences, tous les silences : le silence quand le bras du bourreau se lĂšve Ă la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l'un en face de l'autre pour la premiĂšre fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris de la foule Ă©clatent autour du vainqueur - et on dirait un film dont le son s'est enrayĂ©, toutes ces bouches ouvertes dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n'est qu'une image, et le vainqueur, dĂ©jĂ vaincu, seul au milieu de son silenceâŠ
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Jean Anouilh
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La petite mort - that's what the French called orgasm. They believed that semen is sort of concentrated blood so that each time a man came he shortened his life a little by spilling blood that couldn't be replenished."
"And women?"
"Then, as now, men didn't much concern themselves with how women felt.
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Michael Nava (The Little Death (Henry Rios Mystery, #1))
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Peu de vestiges Ă©voquent Ă prĂ©sent en nous la lumiĂšre. Nous sommes nettement plus proches des tĂ©nĂšbres, nous ne sommes pour ainsi dire que tĂ©nĂšbres, tout ce qui nous reste, ce sont les souvenirs et aussi lâespoir qui s'est pourtant affadi, qui continue de pĂąlir et ressemblera bientĂŽt Ă une Ă©toile Ă©teinte, Ă un bloc de roche lugubre. Pourtant, nous savons quelques petits riens Ă propos de la vie et quelques petits riens Ă propos de la mort : nous avons parcouru tout ce chemin pour te ravir et remuer le destin. (p.13)
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JĂłn Kalman StefĂĄnsson (HimnarĂki og helvĂti)
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O horårio é um triturador de lembranças
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Hervé Bazin (La Mort du petit cheval)
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Bad' was knowing how sweetly he could kiss her, while seeing just how bitterly the whole thing was a lie.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Love simply lives and dies, like anything else.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Give me a chance to show you that this, whatever exists between us, it's not an accident.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Don't pretend you've earned the right to believe I'm heartless, when you're the one who can't make up your mind.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Death was only another word for annihilation.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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It brought him back to another moment long ago; to another bed, another time... another pillow talk confession.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Fighting for her life was an old feeling; a dead one, but it resurrected easily.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Lives are meant to be taken back, not saved.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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How strange it was, being so close to death; looking it in the face, grasping the finery of all its features.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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A kiss that went on for half a moment, endlessly, and lasted infinitesimally, for years. It was trauma and mortality, legend and mythology.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Should anything harm your body, your thoughts will cease. Such is the manner of the living for a mortal.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Tous les hommes honnĂȘtes sont dangereux. Seules, les canailles sont inoffensives... Parce que les canailles nâagissent que par intĂ©rĂȘt, câest-Ă -dire petitement.
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Robert Merle (La mort est mon métier)
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Si tu nâes pas Ă©tonnĂ© par le chant du coq ou par la lumiĂšre au-dessus des crĂȘtes, si tu ne crois pas en la bontĂ© de ton Ăąme, alors tu ne te bats plus, et câest comme si tu Ă©tais dĂ©jĂ mort.
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Gaël Faye (Petit pays)
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Vivons-nous donc, nous autres, pour nous débarrasser de la mort? Non, nous vivons pour la crandre et aussi pour l'aimer, et c'est grùce à elle que ce petit bout de vie, quelquegois, l'espace d'une heure, brûle d'une flamme si belle.
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Hermann Hesse (Steppenwolf)
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S'ensuivait une séance de masturbation collective censée nous remonter le moral : tout le monde racontait ses batailles, ses victoires, ses psys et ses scanners. On pouvait aussi parler de la mort, ce qui est à mettre au crédit de Patrick. Mais la plupart des participants n'allaient pas mourir. Ils deviendraient des adultes, comme Patrick. (Ce qui signifiait que la compétition était rude, chacun voulant non seulement vaincre le cancer, mais ses petits camarades aussi.)
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John Green (The Fault in Our Stars)
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La mort de mon enfant, je ne l'ai pas encore comprise, Ce sont les petites choses qui sont dures, ses vĂȘtements que je retrouve, et, si je me rĂ©veille la nuit, cette tendresse qui me monte quand mĂȘme au cĆur, dĂ©sormais inutile, comme mon lait... (p149)
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Antoine de Saint-Exupéry (Night Flight)
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Huh,â I sighed into his mouth, âLa petite mort.â He tore his lips from mine, frowning at me. âSay what, now?â âLa petite mort,â I repeated. âA brief unconsciousness. A little death, in French. Thatâs what they call that beat after an orgasm, sometimes.â My French governess had told me that. Samâs eyes twinkled with so much delight, my chest flared with pride. His smiles were like human handprints. Each one was just different enough to be completely unique. âYou, Aisling Fitzpatrick, are a lovely torture.
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L.J. Shen (The Monster (Boston Belles, #3))
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- Tu reviendras quand ?
- Il y a deux réponses à ta question. Comme à toutes les questions, tu le sais bien. Je commence par laquelle ?
à l'extérieur, un bruit terrifiant s'éleva. Le bruit des armes qui s'entrechoquent, fendent la chair, donnent la mort. La fillette tressaillit mais sa mÚre, en lui caressant la joue, réussit à l'enfermer dans l'univers de son regard.
- Laquelle ?
- Celle du savant.
- Je ne reviendrais peut ĂȘtre jamais, ma princesse.
- Elle est nulle cette réponse. Donne moi celle du poÚte.
Isaya se pencha pour lui murmurer Ă l'oreille.
- Je serai toujours avec toi. OĂč que tu te trouves, quoi que tu fasses, je serai lĂ . Toujours.
Elle avait placé la main sur sa poitrine. La petite la regarda avec attention.
- Dans mon cĆur ?
- Oui.
- D'accord...
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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Il y a ceux que le malheur effondre. Il y a ceux qui en deviennent tout rĂȘveurs. Il y a ceux qui parlent de tout et de rien au bord de la tombe, et ça continue dans la voiture, de tout et de rien, pas mĂȘme du mort, de petits propos domestiques, il y a ceux qui se suicideront aprĂšs et ça ne se voit pas sur leur visage, il y a ceux qui pleurent beaucoup et cicatrisent vite, ceux qui se noyent dans les larmes qu'ils versent, il y a ceux qui sont contents, dĂ©barrassĂ©s de quelqu'un, il y a ceux qui ne peuvent plus voir le mort, ils essayent mais ils ne peuvent plus, le mort a emportĂ© son image, il y a ceux qui voient le mort partout, ils voudraient l'effacer, ils vendent ses nippes, brĂ»lent ses photos, dĂ©mĂ©nagent, changent de continent, rebelotent avec un vivant, mais rien Ă faire, le mort est toujours lĂ , dans le rĂ©troviseur, il y a ceux qui pique-niquent au cimetiĂšre et ceux qui le contournent parce qu'ils ont une tombe creusĂ©e dans la tĂȘte, il y a ceux qui ne mangent plus, il y a ceux qui boivent, il y a ceux qui se demandent si leur chagrin est authentique ou fabriquĂ©, il y a ceux qui se tuent au travail et ceux qui prennent enfin des vacances, il y a ceux qui trouvent la mort scandaleuse et ceux qui la trouvent naturelle avec un Ăąge pour, des circonstances qui font que, c'est la guerre, c'est la maladie, c'est la moto, la bagnole, l'Ă©poque, la vie, il y a ceux qui trouvent que la mort c'est la vie.
Et il y a ceux qui font n'importe quoi. Qui se mettent Ă courrir, par exemple. Ă courir comme s'ils ne devaient jamais plus s'arrĂȘter. C'est mon cas.
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Daniel Pennac (La fata carabina)
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How does one defeat a monter?
Imbue it with humanity, with vice an virtue both. With greed and charity. With patience and warth, with envy and kindness. With blood, with sacrifice.
With everything it took to make a human, and then with everything it took to end one, too.
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Olivie Blake (La Petite Mort)
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Dans les jours d'aprÚs nous distribuerons tes soixante-dix-sept peluches, une par une ou deux par deux, à des fossés dans les campagnes, à des clairiÚres, à des rochers. C'est joli, ces ours, ces lapins, ces petits chats abandonnés sur les tapis de mousse, prenant la pluie sous les marguerites.
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Sophie Daull (Camille, mon envolée)
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Un homme vraiment profond s'enfonce, il ne monte pas. Longtemps aprĂšs sa mort, on dĂ©couvre sa colonne enfouie, d'un seul bloc ou, peu Ă peu, par morceaux. Tandis que ces grandes intelligences mĂ©diocres, faites de coup d'Ćil et d'ironie, montent sans encombres jusqu'Ă la petite corniche du pouvoir.
â
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Jean Cocteau (Thomas l'imposteur)
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Quand on sâattend au pire, le moins pire a une saveur toute particuliĂšre, que vous dĂ©gusterez avec plaisir, mĂȘme si ce nâest pas le meilleur.
***
Ce n'est pas la vie qui est belle, c'est nous qui la voyons belle ou moins belle. Ne cherchez pas Ă atteindre un bonheur parfait, mais contentez vous des petites choses de la vie, qui, mises bout Ă bout, permettent de tenir la distance⊠Les tout petit riens du quotidien, dont on ne se rend mĂȘme plus compte mais qui font que, selon la façon dont on les vit, le moment peut ĂȘtre plaisant et donne envie de sourire. Nous avons tous nos petits riens Ă nous. Il faut juste en prendre conscience.
***
Le silence a cette vertu de laisser parler le regard, miroir de lâĂąme. On entend mieux les profondeurs quand on se tait.
***
Au temps des sorciĂšres, les larmes dâhomme devaient ĂȘtre trĂšs recherchĂ©es. Câest rare comme la bave de crapaud. Ce quâelles pouvaient en faire, ça, je ne sais pas. Une potion pour rendre plus gentil ? Plus humain ? Moins avare en Ă©motion ? Ou moins poilu ?
***
Quand un silence sâinstalle, on dit quâun ange passeâŠ
***
Vide. Je me sens vide et Ă©teinte. Jâai lâimpression dâĂȘtre un peu morte, moi aussi. DâĂȘtre un champ de bataille. Tout a brĂ»lĂ©, le sol est irrĂ©gulier, avec des trous bĂ©ants, des ruines Ă perte de vue. Le silence aprĂšs lâhorreur. Mais pas le calme aprĂšs la tempĂȘte, quand on se sent apaisĂ©. Moi, jâai lâimpression dâavoir sautĂ© sur une mine, dâavoir explosĂ© en mille morceaux, et de ne mĂȘme pas savoir comment je vais faire pour les rassembler, tous ses morceaux, ni si je les retrouverai tous.
***
Accordez-vous le droit de vivre votre chagrin. Il y a un temps pour tout.
***
Ce nâest pas dâintuition dont est dotĂ© Romain, mais dâattention.
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ÒȘa fait toujours plaisir un cadeau, surtout de la part des gens quâon aime.
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AgnĂšs Ledig (Juste avant le bonheur)
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Mais Ă cette heure, oĂč suis-je ? Et comment sĂ©parer ce cafĂ© dĂ©sert de cette chambre du passĂ©. Je ne sais plus si je vis ou si je me souviens. Les lumiĂšres des phares sont lĂ . Et lâArabe qui se dresse devant moi me dit quâil va fermer. Il faut sortir. Je ne veux plus descendre cette pente si dangereuse. Il est vrai que je regarde une derniĂšre fois la baie et ses lumiĂšres, que ce qui monte alors vers moi nâest pas lâespoir de jours meilleurs, mais une indiffĂ©rence sereine et primitive Ă tout et Ă moi-mĂȘme. Mais il faut briser cette courbe trop molle et trop facile. Et jâai besoin de ma luciditĂ©. Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui compliquent les choses. Quâon ne nous raconte pas dâhistoires. Quâon ne nous dise pas du condamnĂ© Ă mort : « Il va payer sa dette Ă la sociĂ©tĂ© », mais : « On va lui couper le cou. » Ăa nâa lâair de rien. Mais ça fait une petite diffĂ©rence. Et puis, il y a des gens qui prĂ©fĂšrent regarder leur destin dans les yeux.
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Albert Camus (L'envers et l'endroit)
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Petite Ăąme, Ăąme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hĂŽte, tu vas descendre dans ces lieux pĂąles, durs et nus, oĂč tu devras renoncer aux jeux dâautrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familiĂšres, les objets que sans doute nous ne reverrons plus⊠TĂąchons dâentrer dans la mort les yeux ouverts...
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Nathanaël, je te parlerai des instants. As-tu compris de quelle force est leur présence? Une pas assez constante pensée de la mort n'a donné pas assez de prix au plus petit instant de ta vie. Et ne comprends-tu pas que chaque instant ne prendrait pas cet éclat admirable, sinon détaché pour ainsi dire sur le fonds trÚs obscur de la mort?
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André Gide (Les Nourritures terrestres: Suivi de Les Nouvelles Nourritures)
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« Ăcoutez, ma petite amie, je ne sais pas exactement ce que vous cherchez, mais si vous voulez attirer lâattention sur votre personne, permettez-moi de prĂ©juger vos chances de succĂšs. Non mais franchement, qui croyez-vous Ă©tonner ? Tout est dĂ©jĂ vu et revu. Il faut vous y faire ma chĂšre, le monde est vieux, lâoriginalitĂ©, câest du passĂ©. »
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Antoine Buéno (Le triptyque de l'asphyxie : Ou chronique de la mort des macchabées)
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Jâaime beaucoup les cimetiĂšres, moi, ça me repose et me mĂ©lancolise jâen ai besoin. Et puis, il y a aussi de bons amis lĂ dedans, de ceux quâon ne va plus voir ; et jây vais encore, moi, de temps en temps.
Justement, dans ce cimetiĂšre Montmartre, jâai une histoire de cĆur, une maĂźtresse qui mâavait beaucoup pincĂ©, trĂšs Ă©mu, une charmante petite femme dont le souvenir, en mĂȘme temps quâil me peine Ă©normĂ©ment, me donne des regrets⊠des regrets de toute nature. Et je vais rĂȘver sur sa tombe⊠Câest fini pour elle.
Et puis, jâaime aussi les cimetiĂšres, parce que ce sont des villes monstrueuses, prodigieusement habitĂ©es. Songez donc Ă ce quâil y a de morts dans ce petit espace, Ă toutes les gĂ©nĂ©rations de Parisiens qui sont logĂ©s lĂ , pour toujours, troglodytes dĂ©finitifs enfermĂ©s dans leurs petits caveaux, dans leurs petits trous couverts dâune pierre ou marquĂ©s dâune croix, tandis que les vivants occupent tant de place et font tant de bruit, ces imbĂ©ciles.
Me voici donc entrant dans le cimetiĂšre Montmartre, et tout Ă coup imprĂ©gnĂ© de tristesse, dâune tristesse qui ne faisait pas trop, de mal, dâailleurs, une de ces tristesses qui vous font penser, quand on se porte bien : « Ăa nâest pas drĂŽle, cet endroit-lĂ , mais le moment nâen est pas encore venu pour moi⊠»
Lâimpression de lâautomne, de cette humiditĂ© tiĂšde qui sent la mort des feuilles et le soleil affaibli, fatiguĂ©, anĂ©mique, aggravait en la poĂ©tisant la sensation de solitude et de fin dĂ©finitive flottant sur ce lieu, qui sent la mort des hommes.
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Guy de Maupassant (La Maison Tellier)
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contredisez sans cesse cet esprit de nouveautĂ© et de changement, jusque dans les petites choses; laissez pendre sur vos murs les tapisseries enfumĂ©es de vos aĂŻeux; chargez vos tables de leur pesante argenterie. Vous dites: âMon pĂšre est mort dans cette maison, il faut que je la vende !â AnathĂšme sur ce sophisme de lâinsensibilitĂ© ! dites au contraire : âIl y est mort, je ne puis plus la vendreâ.
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Joseph de Maistre
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Y esto es lo que representa el fantasma en cantidad de pelĂculas o en la cultura popular; esa forma blanca y movediza es un muerto envuelto en su mortaja flotante. Es un difunto vestido con una prenda funeraria mal cosida o sin coser.
Como le falta un pequeño retoque, el fantasma no puede abandonar este mundo. Se queda aquà retenido y se aparece mientras aguarda el arreglo que le permitirå por fin marcharse.
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Delphine Horvilleur (Vivre avec nos morts : Petit traité de consolation)
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Il travaillait en silence, enfermĂ© chez lui, invisible et plein de mĂ©pris pour les petits Ă©crivains dont le talent n'Ă©tait qu'une parure de sociĂ©tĂ© et qui, riches ou pauvres, circulaient, sauvages et dĂ©braillĂ©s, ou bien exhibaient des cravates recherchĂ©es, croyaient ĂȘtre heureux, charmants et artistiques au plus haut point, et ignoraient que les Ćuvres bonnes ne naissent que sous la pression d'une vie mauvaise, que celui qui vit ne travaille pas, et qu'il faut ĂȘtre mort pour ĂȘtre tout Ă fait crĂ©ateur.
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Thomas Mann (Tonio Kröger)
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ChĂšres Petites Poucettes, chers Petits Poucets, ne le dites pas Ă vos vieux dont je suis, câest tellement mieux aujourdâhui: la paix, la longĂ©vitĂ©, la paix, les antalgiques, la paix, la SĂ©cu, la paix, lâalimentation surveillĂ©e, la paix, lâhygiĂšne et les soins palliatifs, la paix, ni service militaire ni peine de mort, la paix, le contrat naturel, la paix, les voyages, la paix, le travail allĂ©gĂ©, la paix, les communications partagĂ©es, la paix, le gonflement vieilli bouffi des institutions dinosaures...
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Michel Serres (C'Ă©tait mieux avant !)
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El porvenir no estĂĄ frente a nosotros sino detrĂĄs, en las huellas de nuestros pasos en la tierra de una montaña que acabamos de ascender, huellas en las que quienes nos siguen y nos sobreviven leerĂĄn lo que a nosotros todavĂa no se nos permite ver.
Los judĂos afirman que no saben lo que hay despuĂ©s de la muerte. Pero podrĂan formularlo de otro modo: despuĂ©s de la muerte hay algo que no sabemos. Hay algo que todavĂa no se nos ha revelado, algo que otros harĂĄn, dirĂĄn y contarĂĄn mejor que nosotros, porque hemos existido.
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Delphine Horvilleur (Vivre avec nos morts : Petit traité de consolation)
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- Je te croyais morte.
La voix d'Edwin avait été un murmure, le premier souffle hésitant d'un espoir qui renaissait.
Ellana laissa son regard dĂ©river vers le corps ensanglantĂ© d'Essindra. Une flambĂ©e de haine embrasa son cĆur et, durant un bref instant, elle souhaita que la mercenaire soit encore vivante pour pouvoir la tuer Ă nouveau.
Puis Essindra disparut de son esprit et elle embrassa Edwin.
Un baiser brûlant à l'improbable parfum de miracle.
Un baiser douceur tout en promesses d'éternité.
Un baiser aveu. Peur, ténÚbres et solitude. Passées.
Edwin la serra contre lui, enfouit le visage dans son cou, se perdit dans son parfum et les cheveux fous derriĂšre sa nuque. Sentir son corps, percevoir les battements de son cĆur... Il revint doucement Ă la vie.
- Je t'aime.
Ils avaient chuchoté ensemble. Tressaillirent ensemble en entendant l'autre énoncer ce qui état l'origine, le centre et l'avenir du monde.
- Je t'aime.
Autour d'eux l'univers avait pĂąli devant cette Ă©vidence.
- Je t'aime.
- Ne meurs plus jamais. S'il-te-plaĂźt. Plus jamais.
- Je ne peux pas mourir, je t'aime.
Leur Ă©treinte devint plus pressante, leurs lĂšvres se cherchĂšrent pour un nouveau baiser, plus intense, plus sensuel, plus...
Destan, coincé entre son pÚre et sa mÚre, émit un petit cri de protestation.
Sans que leurs ùmes ne se détachent, Ellana et Edwin s'écartÚrent pour contempler leur fils.
Peut-on mourir de bonheur ?
La question avait déjà été posé.
Si les larmes qui embuaient les yeux d'Ellana et celles qui roulaient sur le visage d'Edwin avaient su parler, elles auraient sans doute répondu.
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Pierre Bottero (Ellana, la Prophétie (Le Pacte des MarchOmbres, #3))
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Jâai de sĂ©rieuses raisons de croire que la planĂšte dâoĂč venait le petit prince est lâastĂ©roĂŻde B 612. Cet astĂ©roĂŻde nâa Ă©tĂ© aperçu quâune fois au tĂ©lescope, en 1909, par un astronome turc. Il avait fait alors une grande dĂ©monstration de sa dĂ©couverte Ă un congrĂšs International dâastronomie. Mais personne ne lâavait cru Ă cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ça. Heureusement pour la rĂ©putation de lâastĂ©roĂŻde B 612, un dictateur turc imposa Ă son peuple, sous peine de mort, de sâhabiller Ă lâeuropĂ©enne. Lâastronome refit sa dĂ©monstration en 1920, dans un habit trĂšs Ă©lĂ©gant.
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Antoine de Saint-ExupĂ©ry (Le Petit Prince (70e Ădition Anniversaire: entiĂšrement illustrĂ©e avec grandes illustrations) (French Edition))
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Un nouveau rĂ©sident pour mon cimetiĂšre. Un homme de cinquante-cinq ans, mort dâavoir trop fumĂ©. Enfin, ça, câest quâont dit les mĂ©decins. Ils ne disent jamais quâun homme de cinquante-cinq ans peut mourir de ne pas avoir Ă©tĂ© aimĂ©, de ne pas avoir Ă©tĂ© entendu, dâavoir reçu trop de factures, dâavoir contractĂ© trop de crĂ©dits Ă la consommation, dâavoir vu ses enfants grandir et puis partir, sans vraiment dire au revoir. Une vie de reproches, une vie de grimaces. Alors sa petite clope et son petit canon pour noyer la boule au ventre, il les aimait bien. On ne dit jamais quâon peut mourir dâen avoir eu trop souvent marre.
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Valérie Perrin (Fresh Water for Flowers)
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Il serra ses mains en poings et se força Ă marcher Ă pas lents et mesurĂ©s vers la tombe et commença Ă haleter. Bon sang, il ne pouvait pas sâĂ©crouler. Il voulait le faire, il avait besoin de le faire, besoin de voir ce quâil pourrait retirer de ce rappel physique de sa propre mortalitĂ© Ă©phĂ©mĂšre. Peut-ĂȘtre que cela lui donnerait envie de vivre Ă nouveau. Il lut les dates de dĂ©cĂšs marquĂ©es sur les pierres tombales, en faisant attention Ă ne pas marcher sur les tombes des autres pauvres enfants morts, dâannĂ©e en annĂ©e, jusquâĂ ce quâil voit son nom.
JULIETTE ANNE MARTIN
14 août 1991-9 octobre 2008
Fille bien-aimée.
Il nây avait pas dâours, de plaques ou mĂȘme dâanges comme il en avait vu sur les autres pierres tombales, alors quâil cherchait la sienne. Elle Ă©tait gris foncĂ©, en marbre et trĂšs Ă©lĂ©gante. Ses jambes se dĂ©robĂšrent sous lui quand il rĂ©alisa que son amie, sa Juliette, gisait Ă ses pieds, et il atterrit sur la terre molle Ă cĂŽtĂ© dâelle. Les fleurs oubliĂ©es tombĂšrent au sol et des sanglots secs ravagĂšrent son corps. Il ne pleurerait pas, il le savait. Il Ă©tait incapable de pleurer depuis cette nuit-lĂ . Tout comme il ne supportait plus dâĂȘtre touchĂ©, il ne pouvait Ă©prouver le plus petit soulagement que les pleurs lui auraient accordĂ©.
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JP Barnaby (Aaron: Histoire d'un survivant #1 (French Edition))
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Place Saint-Germain-des-PrÚs. Devant la sortie de l'église, le jeune homme qui crie son journal. Demandez l'Antijuif! Vient de paraßtre! Donc c'est un nouveau numéro. Non, défense de l'acheter. Il s'approche, son mouchoir contre son nez, demande l'Antijuif, paye le jeune homme qui lui sourit. Otez le mouchoir, lui parler, le convaincre? FrÚre, ne comprends tu pas que tu me tortures? Tu es intelligent, ton visage est beau, aimons nous. Demandez l'Antijuif! Il court, traverse, s'engouffre dans une petite rue, brandit la feuille de haine. Demandez l'Antijuif! crie t il dans la rue déserte. Mort aux juifs! crie t il dans une voix folle. Mort à moi! crie t il, le visage illuminé de larmes.
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Albert Cohen
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Nous aimons des ĂȘtres, nous nous attachons Ă des choses, et tout ce petit monde grandit en nos coeurs et en nos esprits jusqu'Ă ce qu'il soit transfigurĂ© par l'Ă©clat de l'immortalitĂ©. Mais quand nous faisons l'expĂ©rience de leur fragilitĂ©, quand nous prenons conscience qu'elles ne sont pasd'airain mais en porcelaine, nos coeurs et nos esprits s'en retrouvent fĂȘlĂ©s, pour toujours. Nous succombons alors Ă la folle tentation de descendre dans les caves profondes, en quĂȘte des morceaux brisĂ©s, obsĂ©dĂ©s par le dĂ©sir aveugle de les recoller et de les tenir Ă nouveau entre nos mains. Nous nous risquons d'y demeurer Ă tout jamais, fragments de porcelaine disparates Ă notre tour, tels les dĂ©bris d'une civilisation morte au fond de l'ocĂ©an..
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Mohamed Harmel (les rĂȘves perdus de Leyla)
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CâĂ©tait une femme originale et solitaire. Elle entretenait un commerce Ă©troit avec les esprits, Ă©pousait leurs querelles et refusait de voir certaines personnes de sa famille mal considĂ©rĂ©es dans le monde oĂč elle se rĂ©fugiait.
Un petit hĂ©ritage lui Ă©chut qui venait de sa soeur. Ces cinq mille francs, arrivĂ©s Ă la fin dâune vie, se rĂ©vĂ©lĂšrent assez encombrants. Il fallait les placer. Si presque tous les hommes sont capables de se servir dâune grosse fortune, la difficultĂ© commence quand la somme est petite.
Cette femme resta fidĂšle Ă elle-mĂȘme. PrĂšs de la mort, elle voulut abriter ses vieux os. Une vĂ©ritable occasion sâoffrait Ă elle. Au cimetiĂšre de sa ville, une concession venait dâexpirer et, sur ce terrain, les propriĂ©taires avaient Ă©rigĂ© un somptueux caveau, sobre de lignes, en marbre noir, un vrai trĂ©sor Ă tout dire, quâon lui laissait pourla somme de quatre mille francs. Elle acheta ce caveau. CâĂ©tait lĂ une valeur sĂ»re, Ă lâabri des fluctuations boursiĂšres et des Ă©vĂ©nements politiques.
Elle fit amĂ©nager la fosse intĂ©rieure, la tint prĂȘte Ă recevoir son propre corps. Et, tout achevĂ©, elle fit graver son nom en capitales dâor.
Cette affaire la contenta si profondĂ©ment quâelle fut prise dâun vĂ©ritable amour pour son tombeau. Elle venait voir au dĂ©but les progrĂšs des travaux Elle finit par se rendre visite tous les dimanches aprĂšs-midi. Ce fut son unique sortie et sa seule distraction.
Vers deux heures de lâaprĂšs-midi, elle faisait le long trajet qui lâamenait aux portes de la ville oĂč se trouvait le cimetiĂšre. Elle entrait dans le petit caveau, refermait soigneusement la porte, et sâagenouillait sur le prie-Dieu. Câest ainsi que, mise en prĂ©sence dâelle-mĂȘme, confrontant ce quâelle Ă©tait et ce quâelle devait ĂȘtre, retrouvant lâanneau dâune chaĂźne toujours rompue, elle perça sans effort les desseins secrets de la Providence. Par un singulier symbole, elle comprit mĂȘme un jour quâelle Ă©tait morte aux yeux du monde.
Ă la Toussaint, arrivĂ©e plus tard que dâhabitude, elle trouva le pas de la porte pieusement jonchĂ© de violettes. Par une dĂ©licate attention, des inconnus compatissants devant cette tombe laissĂ©e sans fleurs, avaient partagĂ© les leurs et honorĂ© la mĂ©moire de ce mort abandonnĂ© Ă lui-mĂȘme.
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Albert Camus (L'envers et l'endroit)
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Et le temps est une chose Ă©tonnante. La plupart dâentre nous ne vivent que pour ce qui est devant eux. Pour quelques jours, quelques semaines, quelques annĂ©es. Lâun des moments les plus douloureux dans la vie de chacun est sans doute lâinstant oĂč lâon a atteint lâĂąge oĂč il y a plus de choses Ă voir en arriĂšre que vers lâavant. Quand le temps nâest plus devant nous, nous devons trouver dâautres raisons de vivre. Le souvenir, peut-ĂȘtre. Les aprĂšs-midi au soleil, la main dâune autre personne dans la sienne. Le parfum des plates-bandes en fleurs. Les dimanches au cafĂ©. Les petits-enfants, peut-ĂȘtre. Nous trouvons une façon dâexister pour lâavenir dâun autre. Ce nâest pas quâOve est mort quand Sonja lâa abandonnĂ©. Il a seulement arrĂȘtĂ© de vivre.
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Fredrik Backman (A Man Called Ove)
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Esther n'Ă©tait certainement pas bien Ă©duquĂ©e au sens habituel du terme, jamais l'idĂ©e ne lui serait venue de vider un cendrier ou de dĂ©barrasser le relief de ses repas, et c'est sans la moindre gĂȘne qu'elle laissait la lumiĂšre allumĂ©e derriĂšre elle dans les piĂšces qu'elle venait de quitter (il m'est arrivĂ©, suivant pas Ă pas son parcours dans ma rĂ©sidence de San Jose, d'avoir Ă actionner dix-sept commutateurs); il n'Ă©tait pas davantage question de lui demander de penser Ă faire un achat, de ramener d'un magasin oĂč elle se rendait une course non destinĂ©e Ă son propre usage, ou plus gĂ©nĂ©ralement de rendre un service quelconque. Comme toutes les trĂšs jolies jeunes filles elle n'Ă©tait au fond bonne qu'Ă baiser, et il aurait Ă©tĂ© stupide de l'employer Ă autre chose, de la voir autrement que comme un animal de luxe, en tout choyĂ© et gĂ„tĂ©, protĂ©gĂ© de tout souci comme de toute tĂąche ennuyeuse ou pĂ©nible afin de mieux pouvoir se consacrer Ă son service exclusivement sexuel. Elle n'en Ă©tait pas moins trĂšs loin d'ĂȘtre ce monstre d'arrogance, d'Ă©goĂŻsme absolu et froid, au, pour parler en termes plus baudelairiens, cette infernale petite salope que sont la plupart des trĂšs jolies jeunes filles; il y avait en elle la conscience de la maladie, de la faiblesse et de la mort. Quoique belle, trĂšs belle, infiniment Ă©rotique et dĂ©sirable, Esther n'en Ă©tait pas moins sensible aux infirmitĂ©s animales, parce qu'elle les connaissait ; c'est ce soir-lĂ que j'en pris conscience, et que je me mis vĂ©ritablement Ă l'aimer. Le dĂ©sir physique, si violent soit-il, n'avait jamais suffi chez moi Ă conduire Ă l'amour, il n'avait pu atteindre ce stade ultime que lorsqu'il s'accompagnait, par une juxtaposition Ă©trange, d'une compassion pour l'ĂȘtre dĂ©sirĂ© ; tout ĂȘtre vivant, Ă©videmment, mĂ©rite la compassion du simple fait qu'il est en vie et se trouve par lĂ -mĂȘme exposĂ© Ă des souffrances sans nombre, mais face Ă un ĂȘtre jeune et en pleine santĂ© c'est une considĂ©ration qui paraĂźt bien thĂ©orique. Par sa maladie de reins, par sa faiblesse physique insoupçonnable mais rĂ©elle, Esther pouvait susciter en moi une compassion non feinte, chaque fois que l'envie me prendrait d'Ă©prouver ce sentiment Ă son Ă©gard. Ătant elle-mĂȘme compatissante, ayant mĂȘme des aspirations occasionnelles Ă la bontĂ©, elle pouvait Ă©galement susciter en moi l'estime, ce qui parachevait l'Ă©difice, car je n'Ă©tais pas un ĂȘtre de passion, pas essentiellement, et si je pouvais dĂ©sirer quelqu'un de parfaitement mĂ©prisable, s'il m'Ă©tait arrivĂ© Ă plusieurs reprises de baiser des filles dans l'unique but d'assurer mon emprise sur elles et au fond de les dominer, si j'Ă©tais mĂȘme allĂ© jusqu'Ă utiliser ce peu louable sentiment dans des sketches, jusqu'Ă manifester une comprĂ©hension troublante pour ces violeurs qui sacrifient leur victime immĂ©diatement aprĂšs avoir disposĂ© de son corps, j'avais par contre toujours eu besoin d'estimer pour aimer, jamais au fond je ne m'Ă©tais senti parfaitement Ă l'aise dans une relation sexuelle basĂ©e sur la pure attirance Ă©rotique et l'indiffĂ©rence Ă l'autre, j'avais toujours eu besoin, pour me sentir sexuellement heureux, d'un minimum - Ă dĂ©faut d'amour - de sympathie, d'estime, de comprĂ©hension mutuelle; l'humanitĂ© non, je n'y avais pas renoncĂ©. (La possibilitĂ© d'une Ăźle, Daniel 1,15)
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Michel Houellebecq
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Avant le chariot du supermarchĂ©, le qu'est-ce qu'on va manger ce soir, les Ă©conomies pour s'acheter un canapĂ©, une chaĂźne hi-fi, un appart. Avant les couches, le petit seau et la pelle sur la plage, les hommes que je ne vois plus, les revues de consommateurs pour ne pas se faire entuber, le gigot qu'il aime par-dessus tout et le calcul rĂ©ciproque des libertĂ©s perdues. Une pĂ©riode oĂč l'on peut dĂźner d'un yaourt, faire sa valise en une demi-heure pour un week-end impromptu, parler toute une nuit. Lire un dimanche entier sous les couvertures. S'amollir dans un cafĂ©, regarder les gens entrer et sortir, se sentir flotter entre ces existences anonymes. Faire la fĂȘte sans scrupule quand on a le cafard. Une pĂ©riode oĂč les conversations des adultes installĂ©s paraissent venir d'un univers futile, presque ridicule, on se fiche des embouteillages, des morts de la PentecĂŽte, du prix du bifteck et de la mĂ©tĂ©o. Personne ne vous colle aux semelles encore. Toutes les filles l'ont connue, cette pĂ©riode, plus ou moins longue, plus ou moins intense, mais dĂ©fendu de s'en souvenir avec nostalgie. Quelle honte ! Oser regretter ce temps Ă©goĂŻste, oĂč l'on n'Ă©tait responsable que de soi, douteux, infantile. La vie de jeune fille, ça ne s'enterre pas, ni chanson ni folklore lĂ -dessus, ça n'existe pas. Une pĂ©riode inutile.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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MĂȘme quand il ne pensait pas Ă la petite phrase, elle existait latente dans son esprit au mĂȘme titre que certaines autres notions sans Ă©quivalent, comme les notions de la lumiĂšre, du son, du relief, de la voluptĂ© physique, qui sont les riches possessions dont se diversifie et se pare notre domaine intĂ©rieur. Peut-ĂȘtre les perdrons-nous, peut-ĂȘtre s'effaceront-elles, si nous retournons au nĂ©ant. Mais tant que nous vivons, nous ne pouvons pas plus faire que nous ne les ayons connues que nous ne le pouvons pour quelque objet rĂ©el, que nous ne pouvons par exemple douter de la lumiĂšre de la lampe qu'on allume devant les objets mĂ©tamorphosĂ©s de notre chambre d'oĂč s'est Ă©chappĂ© jusqu'au souvenir de l'obscuritĂ©. Par lĂ , la phrase de Vinteuil avait [...] Ă©pousĂ© notre condition mortelle, pris quelque chose d'humain qui Ă©tait assez touchant. Son sort Ă©tait liĂ© Ă l'avenir, Ă la rĂ©alitĂ© de notre Ăąme dont elle Ă©tait un des ornements les plus particuliers, les mieux diffĂ©renciĂ©s. Peut-ĂȘtre est-ce le nĂ©ant qui est le vrai et tout notre rĂȘve est-il inexistant, mais alors nous sentons qu'il faudra que ces phrases musicales, ces notions qui existent par rapport Ă lui, ne soient rien non plus. Nous pĂ©rirons, mais nous avons pour otages ces captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles a quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-ĂȘtre de moins probable.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu, #1))
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Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous dĂ©cidez un beau jour Ă en parler de moins en moins, avec effort quand il faut sây mettre. On en a bien marre de sâĂ©couter toujours cau-ser⊠On abrĂšge⊠On renonce⊠Ăa dure depuis trente ans quâon cause⊠On ne tient plus Ă avoir raison. Lâenvie vous lĂąche de garder mĂȘme la petite place quâon sâĂ©tait rĂ©servĂ©e parmi les plaisirs⊠On se dĂ©goĂ»te⊠Il suffit dĂ©sormais de bouffer un peu, de se faire un peu de chaleur et de dormir le plus quâon peut sur
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le chemin de rien du tout. Il faudrait pour reprendre de lâintĂ©rĂȘt trouver de nouvelles grimaces Ă exĂ©cuter devant les autres⊠Mais on nâa plus la force de changer son rĂ©pertoire. On bre-douille. On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester lĂ avec eux les copains, mais la mort est lĂ aussi elle, puante, Ă cĂŽtĂ© de vous, tout le temps Ă prĂ©sent et moins mystĂ©-rieuse quâune belote. Vous demeurent seulement prĂ©cieux les menus chagrins, celui de nâavoir pas trouvĂ© le temps pendant quâil vivait encore dâaller voir le vieil oncle Ă Bois-Colombes, dont la petite chanson sâest Ă©teinte Ă jamais un soir de fĂ©vrier. Câest tout ce quâon a conservĂ© de la vie. Ce petit regret bien atroce, le reste on lâa plus ou moins bien vomi au cours de la route, avec bien des efforts et de la peine. On nâest plus quâun vieux rĂ©verbĂšre Ă souvenirs au coin dâune rue oĂč il ne passe dĂ©jĂ presque plus personne.
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Louis-Ferdinand CĂ©line (Journey to the End of the Night)
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Le Roi des Aulnes
Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ?
C'est le pĂšre avec son enfant ;
Il serre le petit garçon dans son bras,
Il le serre bien, il lui tient chaud.
« Mon fils, pourquoi caches-tu avec tant d'effroi ton visage ?
â PĂšre, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?
Le Roi des Aulnes avec sa traĂźne et sa couronne ?
â Mon fils, c'est un banc de brouillard.
â Cher enfant, viens, pars avec moi !
Je jouerai Ă de trĂšs beaux jeux avec toi,
Il y a de nombreuses fleurs de toutes les couleurs sur le rivage,
Et ma mĂšre possĂšde de nombreux habits d'or.
â Mon pĂšre, mon pĂšre, et n'entends-tu pas,
Ce que le Roi des Aulnes me promet Ă voix basse ?
â Sois calme, reste calme, mon enfant !
C'est le vent qui murmure dans les feuilles mortes.
â Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ?
Mes filles s'occuperont bien de toi
Mes filles mĂšneront la ronde toute la nuit,
Elles te berceront de leurs chants et de leurs danses.
â Mon pĂšre, mon pĂšre, et ne vois-tu pas lĂ -bas
Les filles du Roi des Aulnes dans ce lieu sombre ?
â Mon fils, mon fils, je vois bien :
Ce sont les vieux saules qui paraissent si gris.
â Je t'aime, ton joli visage me charme,
Et si tu ne veux pas, j'utiliserai la force.
â Mon pĂšre, mon pĂšre, maintenant il m'empoigne !
Le Roi des Aulnes m'a fait mal ! »
Le pĂšre frissonne d'horreur, il galope Ă vive allure,
Il tient dans ses bras l'enfant gémissant,
Il arrive Ă grand-peine Ă son port ;
Dans ses bras l'enfant Ă©tait mort.
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Charles Nodier
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J'ai de sĂ©rieuses raisons de croire que la planĂšte d'oĂč venait le petit prince est l'astĂ©roĂŻde B 612. Cet astĂ©roĂŻde n'a Ă©tĂ© aperçu qu'une fois au tĂ©lescope, en 1909, par un astronome turc.
Il avait fait alors une grande démonstration de sa découverte à un CongrÚs International d'Astronomie. Mais personne ne l'avait cru à cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ça.
Heureusement pour la réputation de l'astéroïde B 612 un dictateur turc imposa à son peuple, sous peine de mort, de s'habiller à l'Européenne. L'astronome refit sa démonstration en 1920, dans un habit trÚs élégant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis.
Si je vous ai racontĂ© ces dĂ©tails sur l'astĂ©roĂŻde B 612 et si je vous ai confiĂ© son numĂ©ro, c'est Ă cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais: 'Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il prĂ©fĂšre ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?' Elles vous demandent: 'Quel Ăąge a-t-il ? Combien a-t-il de frĂšres ? Combien pĂšse-t-il ? Combien gagne son pĂšre ?' Alors seulement elles croient le connaĂźtre. Si vous dites aux grandes personnes: 'J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des gĂ©raniums aux fenĂȘtres et des colombes sur le toit...' elles ne parviennent pas Ă s'imaginer cette maison. Il faut leur dire: 'J'ai vu une maison de cent mille francs.' Alors elles s'Ă©crient: 'Comme c'est joli !
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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Depuis que j'ai doue ans, et depuis qu'elle est une terreur, la mort est une marotte. J'en ignorais l'existence jusqu'Ă ce qu'un camarade de classe, le petit BonnecarĂšre, m'envoyĂąt au cinĂ©ma le Styx, oĂč l'on s'asseyait Ă l'Ă©poque dans des cercueils, voir L'enterrĂ© vivant, un film de Roger Corman tirĂ© d'un conte 'Edgar Allan Poe. La dĂ©couverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d'un homme qui hurle d'impuissance Ă l'intĂ©rieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs de les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon pĂšre de me cĂ©der le crĂąne qui avait accompagnĂ© ses Ă©tudes de mĂ©decine, m'hypnotisant de films d'Ă©pouvante et commençant Ă Ă©crire, sous le pseudonyme d'Hector Lenoir, un conte qui racontair les affres d'un fantĂŽmr rnchaĂźnĂ© dans les oubliettes du chĂąteau des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu'aux stories sĂ©lectionnĂ©es par Hitschcock, errant dans les cimetiĂšres et Ă©trennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d'enants, me dĂ©plaçant jusqu'Ă Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillĂ©s comme Anthony Perkins dans Psychose, la mort me semblait horriblement belle, fĂ©eriquement atroce, et puis je pris en grippe son bric-Ă -brac, remisai le crĂąne de l'Ă©tudiant de mĂ©decine, fuis les cimetiĂšres comme la peste, j'Ă©tais passĂ© Ă un autre stade de l'amour de la mort, comme imprĂ©gnĂ© par elle au plus profond je n'avais plus besoin de son dĂ©corum mais d'une intimitĂ© plus grande avec elle, je continuais inlassablement de quĂ©rir son sentiment, le plus prĂ©cieux et le plus haĂŻssable d'entre tous, sa peur et sa convoitise.
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Hervé Guibert (à l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie)
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Il songea, une nouvelle fois, que, petit, un jour, il portait un lapin par les pattes de derriĂšre. C'Ă©tait en Sicile, les pattes Ă©taient attachĂ©es avec de la ficelle, il marchait Ă cĂŽtĂ© de son pĂšre, son pĂšre trimbalait un panier de pommes de terre, et il sentait que le sang s'accumulait dans la petite tĂȘte du lapin, le lapin Ă©tait juste dans la posture de Saint-Pierre le jour de sa mort, les yeux du lapin muet avait un vertige infini de souffrance et de terreur, il aurait suffi de mettre l'animal dans l'autre sens, la tĂȘte en haut, alors, au moins, avant la mort inĂ©vitable, il aurait cessĂ© de souffrir, mais il n'osa pas. Par consĂ©quent, lui, petit, dĂ©jĂ Ă©tait pris dans l'omertĂ du monde, dans cette complicitĂ© gĂ©nĂ©rale qui nous fait, en gros, accepter des mers et des montagnes de souffrance et de terreur, les reconnaitre pour lĂ©gitimes, nĂ©cessaires, bonnes, justes.
Si l'on se mettait, par exemple, Ă souffrir pour un lapin, il faudrait, tout de suite, souffrir aussi pour les chevaux, les mouches, les rats, les vieillards. C'est pourquoi il avait continuĂ© Ă tenir l'animal Ă l'envers, par ses pattes ficelĂ©es, tout en sentant que le regret s'accumulait en lui, s'accumulait jusqu'Ă former un dĂ©pĂŽt pesant dans la tĂȘte de l'animal, enflammant ses yeux de sang et de terreur, mais l'omertĂ , dĂ©jĂ , Ă©tait la plus forte, la complicitĂ© taciturne des hommes entre eux, des ĂȘtres entre eux. Demandez Ă qui vous voudrez. Un lapin, pour un trajet donnĂ©, se porte la tĂȘte en bas, ficelĂ© par les pattes de derriĂšre, c'est la loi. Un bambin, sur un chemin, dans la grande Ăźle, dans la Sicile, il ne va pas, de lui-mĂȘme, accomplir la rĂ©volution, tourner l'animal dans l'autre sens, dans le sens du pardon, du bien-ĂȘtre, au risque de troubler le pas de son pĂšre, son pĂšre portait les pommes de terre.
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Jacques Audiberti (Le MaĂźtre De Milan)
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En ce qui concerne lâarabe et le berbĂšre, je ne dirai quâune chose : jâestime quâun berbĂšre qui ne connaĂźt pas lâarabe, ne connaĂźt pas le Maroc et lâarabe qui ne sait pas le berbĂšre, non plus. Quant Ă lâorigine des uns et des autres, et puisquâon parle beaucoup ces derniers temps dâADN, je voudrais dĂ©plorer le fait que chez nous, on a lâesprit insuffisamment scientifique pour remettre en cause des donnĂ©es historiques hĂ©ritĂ©es, quâon sâen tient Ă ce qui a Ă©tĂ© dit il y a mille ans. Or, je peux vous dire que les civilisations berbĂšre et Ă©gyptienne ont une mĂȘme origine, le centre du Grand Sahara. Quand je travaillais sur le dictionnaire berbĂšre (jây ai consacrĂ© 27 ans de ma vie), il y a eu une racine berbĂšre qui mâa intriguĂ©e. Il sâagit dâun verbe, Sko, qui veut dire dans tous les dialectes berbĂšres, « bĂątir », sauf chez les touaregs oĂč il veut dire « enterrer ». Or, câest de notoriĂ©tĂ© publique, le touareg est un isolant linguistique, conservateur, qui peut porter les traces dâune signification originelle. Petit Ă petit, jâai rĂ©uni suffisamment dâĂ©lĂ©ments pour affirmer quâĂ lâĂ©poque des hordes dans le Grand Sahara, on a commencĂ© Ă enterrer les morts. Puis, les gens nâĂ©tant pas sĂ©dentarisĂ©s, on a Ă©tĂ© obligĂ©s de construire un Ă©difice reconnaissable sur chaque tombe. Par ce dĂ©tail linguistique, je suis arrivĂ© Ă lâhypothĂšse de lâorigine historique commune, saharienne, des BerbĂšres et des Egyptiens. Quand jâai exposĂ© ma thĂšse Ă lâAcadĂ©mie Royale du Maroc, elle a Ă©tĂ© accueillie trĂšs froidement. Mais une anthroplogue amĂ©ricaine qui menait une recherche sur les deux civilisations puis un livre paru en 2000 2 ont corroborĂ© mon propos et montrĂ© quâau moment de la dĂ©sertification, les populations ont Ă©migrĂ© vers lâOuest (le Maghreb) et lâEst (lâEgypte) au plus proche des points dâeau 3, avec une particularitĂ© bovine du cĂŽtĂ© du Nil et une orientation pastoraliste ovine du cĂŽtĂ© du Maghreb.
[Interview Economia, Octobre 2010]
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Mohammed Chafik
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PEER GYNT
L'Ăąme, souffle et lumiĂšre du verbe, te viendra
plus tard, ma fille Quand, en lettres d'or, sur le
fond rose de l'Orient, apparaĂźtront ces mots :
Voici le jour, alors commenceront les leçons ; ne crains rien, tu seras instruite. Mais je serais un sot de vouloir, dans le calme de cette tiĂšde nuit,me parer de quelques baillons d'un vieux savoir usĂ©, pour te traiter en maĂźtre d'Ă©cole. AprĂšs tout, le principal, quand on y rĂ©flĂ©chit, ce n'est point l'Ăąme, c'est le cĆur.
ANITRA
Parle seigneur. Quand tu parles, il me semble
voir comme des lueurs d'opale.
PBER GYNT
La raison poussĂ©e Ă l'excĂšs est de la bĂȘtise. La
poltronnerie s'Ă©panouit en cruautĂ©. L'exagĂ©ration de la vĂ©ritĂ©, c'est de la sagesse Ă l'envers. Oui, mon enfant, le diable m'emporte s'il n'y a pas de par le monde des ĂȘtres gavĂ©s d'Ăąme qui n'en ont que plus de peine Ă voir clair. J'ai connu un individu de cette sorte, une vraie perle pourtant, qui a manquĂ© son but et perdu la boussole.
Vois-tu ce désert qui entoure l'oasis? Je n'aurais qu'à agiter mon turban pour que les flots de l'Océan en comblassent toute l'étendue. Mais je serais un imbécile de créer ainsi des continents et des mers nouvelles. Sais-tu, ce que c'est que de vivre?
ANITRA
Enseigne-le-moi.
PEER GYNT
C'est planer au-dessus du temps qui coule, en
descendre le courant sans se mouiller les pieds, et sans jamais rien perdre de soi-mĂȘme. Pour ĂȘtre celui qu'on est, ma petite amie, il faut la force de l'Ăąge! Un vieil aigle perd son piumage, une vieille rosse son allure, une vieille commĂšre ses dents. La peau se ride, et l'Ăąme aussi. Jeunesse ! jeunesse ! Par toi je veux rĂ©gner non sur les palmes et les vignes de quelque Gyntiana, mais sur la pensĂ©e vierge d'une femme dont je serai le sultan ardent et vigoureux. Je t'ai fait, ma petite, la grĂące de te sĂ©duire, d'Ă©lire ton cĆur pour y fonder un kalifat nouveau. Je veux ĂȘtre le maĂźtre de tes soupirs. Dans mon
royaume, j'introduirai le régime absolu. Nous
séparer sera la mort... pour toi, s'entend. Pas une fibre, pas une parcelle de toi qei ne m'appartienne. Ni oui, ni non, tu n'auras d'autre volonté que la mienne. Ta chevelure, noire comme la nuit, et tout ce qui, chez toi, est doux à nommer, s'inclinera devant mon pouvoir souverain. Ce seront mes jardins de Babylone.
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Henrik Ibsen (Peer Gynt)
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LE SYLLABUS Tout en mangeant d'un air effarĂ© vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bontĂ© qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aĂŻeul d'ĂȘtre tendre Et du ciel d'ĂȘtre bleu. N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fĂąchĂ©, je gronde, Non contre vous. HĂ©las, enfants, dans ce vil monde, Le prĂȘtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbĂ©ciles Qui passe en ce moment. Les prĂȘtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frĂšre, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumiĂšre; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumiĂšre; Et d'eux, c'est la noirceur. J'aime une petitesse et je dĂ©teste l'autre; Je hais leur bĂ©gaiement et j'adore le vĂŽtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, Ă©coutant ce que dit l'Ăąme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux Ă©toilĂ©s. Car vous Ă©tiez hier, ĂŽ doux parleurs Ă©tranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, Ă moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y vais. Ce que vous dites sort du firmament austĂšre; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix oĂč rien n'insulte, oĂč rien ne blĂąme, OĂč rien ne mord, s'ajoute au vaste Ă©pithalame Des bois mystĂ©rieux. Ce doux balbutiement me plaĂźt, je le prĂ©fĂšre; Car j'y sens l'idĂ©al; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forĂȘts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'Ă©coute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte Ă goutte Au fond des antres frais. Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la mĂȘme langue Ă l'Ăąme inassouvie; En bas nous Ă©touffons; Mais rĂȘver, c'est planer dans les apothĂ©oses, C'est comprendre; et les nids disent les mĂȘmes choses Que les tombeaux profonds. Les prĂȘtres vont criant: AnathĂšme ! anathĂšme ! Mais la nature dit de toutes parts: Je t'aime ! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie Ă©clore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'Ăąme n'a d'amour. J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmĂ©es; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumĂ©es, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fĂȘte immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits enfants.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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FRĂRE LAURENCE.âUn arrĂȘt moins rigoureux sâest Ă©chappĂ© de sa bouche: ce nâest pas la mort de ton corps, mais son bannissement.
ROMĂO.âAh! le bannissement! aie pitiĂ© de moi; dis la mort. Lâaspect de lâexil porte avec lui plus de terreur, beaucoup plus que la mort. Ah! ne me dis pas que câest le bannissement.
FRĂRE LAURENCE.âTu es banni de VĂ©rone. Prends patience; le monde est grand et vaste.
ROMĂO.âLe monde nâexiste pas hors des murs de VĂ©rone; ce nâest plus quâun purgatoire, une torture, un vĂ©ritable enfer. Banni de ce lieu, je le suis du monde, câest la mort. Oui, le bannissement, câest la mort sous un faux nom; et ainsi, en nommant la mort un bannissement, tu me tranches la tĂȘte avec une hache dâor, et souris au coup qui mâassassine.
FRĂRE LAURENCE.âO mortel pĂ©chĂ©! ĂŽ farouche ingratitude! Pour ta faute, notre loi demandait la mort; mais le prince indulgent, prenant ta dĂ©fense, a repoussĂ© de cĂŽtĂ© la loi, et a changĂ© ce mot funeste de mort en celui de bannissement: câest une rare clĂ©mence, et tu ne veux pas la reconnaĂźtre.
ROMĂO.âCâest un supplice et non une grĂące. Le ciel est ici, oĂč vit Juliette: les chats, les chiens, la moindre petite souris, tout ce quâil y a de plus misĂ©rable vivra ici dans le ciel, pourra la voir; et RomĂ©o ne le peut plus! La mouche qui vit de charogne jouira dâune condition plus digne dâenvie, plus honorable, plus relevĂ©e que RomĂ©o; elle pourra sâĂ©battre sur les blanches merveilles de la chĂšre main de Juliette, et dĂ©rober le bonheur des immortels sur ces lĂšvres oĂč la pure et virginale modestie entretient une perpĂ©tuelle rougeur, comme si les baisers quâelles se donnent Ă©taient pour elles un pĂ©chĂ©; mais RomĂ©o ne le peut pas, il est banni! Ce que lâinsecte peut librement voler, il faut que je vole pour le fuir; il est libre et je suis banni; et tu me diras encore que lâexil nâest pas la mort!⊠Nâas-tu pas quelque poison tout prĂ©parĂ©, quelque poignard affilĂ©, quelque moyen de mort soudaine, fĂ»t-ce la plus ignoble? Mais banni! me tuer ainsi! banni! O moine, quand ce mot se prononce en enfer, les hurlements lâaccompagnent.âComment as-tu le coeur, toi un prĂȘtre, un saint confesseur, toi qui absous les fautes, toi mon ami dĂ©clarĂ©, de me mettre en piĂšces par ce mot bannissement?
FRĂRE LAURENCE.âAmant insensĂ©, Ă©coute seulement une parole.
ROMĂO.âOh! tu vas me parler encore de bannissement.
FRĂRE LAURENCE.âJe veux te donner une arme pour te dĂ©fendre de ce mot: câest la philosophie, ce doux baume de lâadversitĂ©; elle te consolera, quoique tu sois exilĂ©.
ROMĂO.âEncore lâexil! Que la philosophie aille se faire pendre: Ă moins que la philosophie nâait le pouvoir de crĂ©er une Juliette, de dĂ©placer une ville, ou de changer lâarrĂȘt dâun prince, elle nâest bonne Ă rien, elle nâa nulle vertu; ne mâen parle plus.
FRĂRE LAURENCE.âOh! je vois maintenant que les insensĂ©s nâont point dâoreilles.
ROMĂO.âComment en auraient-ils, lorsque les hommes sages nâont pas dâyeux?
FRĂRE LAURENCE.âLaisse-moi discuter avec toi ta situation.
ROMĂO.âTu ne peux parler de ce que tu ne sens pas. Si tu Ă©tais aussi jeune que moi, amant de Juliette, mariĂ© seulement depuis une heure, meurtrier de Tybalt, Ă©perdu dâamour comme moi, et comme moi banni, alors tu pourrais parler; alors tu pourrais tâarracher les cheveux et te jeter sur la terre comme je fais, pour prendre la mesure dâun tombeau qui nâest pas encore ouvert.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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Rhinocéros , EugÚne Ionesco
Le Vieux Monsieur et le Logicien vont sâasseoir Ă lâune des tables de la terrasse, un peu Ă droite et derriĂšre Jean et BĂ©renger.
BĂ©renger, Ă Jean : Vous avez de la force.
Jean : Oui, jâai de la force, jâai de la force pour plusieurs raisons. Dâabord, jâai de la force parce que jâai de la force, ensuite jâai de la force parce que jâai de la force morale. Jâai aussi de la force parce que je ne suis pas alcoolisĂ©. Je ne veux pas vous vexer, mon cher ami, mais je dois vous dire que câest lâalcool qui pĂšse en rĂ©alitĂ©.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Voici donc un syllogisme exemplaire. Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricot sont chats.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Mon chien aussi a quatre pattes.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Alors câest un chat.
BĂ©renger, Ă Jean : Moi, jâai Ă peine la force de vivre. Je nâen ai plus envie peut-ĂȘtre.
Le Vieux Monsieur, au Logicien aprÚs avoir longuement réfléchi : Donc logiquement mon chien serait un chat.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai.
Bérenger, à Jean : La solitude me pÚse. La société aussi.
Jean, Ă BĂ©renger : Vous vous contredisez. Est-ce la solitude qui pĂšse, ou est-ce la multitude ? Vous vous prenez pour un penseur et vous nâavez aucune logique.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Câest trĂšs beau la logique.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : A condition de ne pas en abuser.
BĂ©renger, Ă Jean : Câest une chose anormale de vivre.
Jean : Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve : tout le monde vit.
BĂ©renger : Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares.
Jean : Les morts, ca nâexiste pas, câest le cas de le dire !⊠Ah ! ah !⊠(Gros rire) Ceux-lĂ aussi vous pĂšsent ? Comment peuvent peser des choses qui nâexistent pas ?
BĂ©renger: Je me demande moi-mĂȘme si jâexiste !
Jean, Ă BĂ©renger : Vous nâexistez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas ! Pensez, et vous serez.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Autre syllogisme : tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.
Le Vieux Monsieur : Et il a quatre pattes. Câest vrai, jâai un chat qui sâappelle Socrate.
Le Logicien : Vous voyezâŠ
Jean, Ă BĂ©renger : Vous ĂȘtes un farceur, dans le fond. Un menteur. Vous dites que la vie ne vous intĂ©resse pas. Quelquâun, cependant, vous intĂ©resse !
BĂ©renger : Qui ?
Jean : Votre petite camarade de bureau, qui vient de passer. Vous en ĂȘtes amoureux !
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Socrate Ă©tait donc un chat !
Le Logicien : La logique vient de nous le révéler.
Jean : Vous ne vouliez pas quâelle vous voie dans le triste Ă©tat oĂč vous vous trouviez. Cela prouve que tout ne vous est pas indiffĂ©rent. Mais comment voulez-vous que Daisy soit sĂ©duite par un ivrogne ?
Le Logicien : Revenons Ă nos chats.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Je vous Ă©coute.
BĂ©renger, Ă Jean : De toute façon, je crois quâelle a dĂ©jĂ quelquâun en vue.
Jean, Ă BĂ©renger : Qui donc ?
BĂ©renger, Ă Jean : Dudard. Un collĂšgue du bureau : licenciĂ© en droit, juriste, grand avenir dans la maison, de lâavenir dans le cĆur de Daisy, je ne peux pas rivaliser avec lui.
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Le chat Isidore a quatre pattes.
Le Vieux Monsieur : Comment le savez-vous ?
Le Logicien : Câest donnĂ© par hypothĂšse.
BĂ©renger, Ă Jean : Il est bien vu par le chef. Moi, je nâai pas dâavenir, pas fait dâĂ©tudes, je nâai aucune chance.
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Ah ! par hypothĂšse !
Jean, Ă BĂ©renger : Et vous renoncez, comme celaâŠ
BĂ©renger, Ă Jean : Que pourrais-je faire ?
Le Logicien, au Vieux Monsieur : Fricot aussi a quatre pattes. Combien de pattes auront Fricot et Isidore ?
Le Vieux Monsieur, au Logicien : Ensemble ou séparément ?
Jean, Ă BĂ©renger : La vie est une lutte, câest lĂąche de ne pas combattre !
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EugÚne Ionesco (Rhinocéros)
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The shock of orgasm pulls you under the wave you never saw coming. It wrestles you to the point of exhaustion and allows you to breathe only when youâve died la petite mort. When youâve given all and received everything in return.
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Megan Mitcham (Stranger Mine (Base Branch #3))
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Parmi tant de surprenantes boutiques, celles qui donnent le plus Ă rĂ©flĂ©chir sont pour moi, dans une rue que les Ă©trangers connaissent Ă peine, ces espĂšces de hangars poussiĂ©reux, oĂč s'entassent les vieilles armes, les vieilles cuirasses, les vieux visages d'acier, tout l'attirail pour faire peur qui servait aux anciennes batailles, et les fanions des SamouraĂŻs, leurs emblĂšmes de ralliement, leurs Ă©tendards. Sur des fantĂŽmes de mannequins qui ne tiennent plus debout, posent des armures squameuses, des moitiĂ©s de figures poilues, des masques ricanant la mort. Un fouillis d'objets ultra-mĂ©chants, qui pour nous ne ressemblent Ă rien de connu, tellement qu'on les croirait tombĂ©s de quelque planĂšte Ă peine voisine. Ce Japon Ă demi fantastique, soudainement Ă©croulĂ© aprĂšs des millĂ©naires de durĂ©e, gĂźt lĂ pĂȘle-mĂȘle et continue de dĂ©gager un vague effroi. Ainsi, les pĂšres, ou les grands-pĂšres tout au plus, de ces petits soldats d'aujourd'hui, si drĂŽlement corrects dans leurs uniformes d'Occident, se dĂ©guisaient encore en monstres de rĂȘve, il y a cinquante ans Ă peine, lorsqu'il s'agissait d'aller se battre; ils mettaient ces cornes, ces crĂȘtes, ces antennes; ils ressemblaient Ă des scarabĂ©es, des hippocampes, des chimĂšres: par les trous de ces masques Ă grimace, luisaient leurs yeux obliques et sortaient leurs cris de fureur ou d'agonie... Et c'est dans les vallĂ©es ou les champs de ce gentil pays vert qu'avaient lieu ces scĂšnes uniques au monde: les rencontres et les corps Ă corps d'armĂ©es rivales, vĂȘtues avec cet art dĂ©moniaque, alors que les longs sabres coupants, tenus Ă deux mains au bout de bras musculeux et courts, dĂ©crivaient leurs moulinets en l'air, puis faisaient partout des entailles saignantes, fauchaient ensemble les casques cornus et les figures masquĂ©es.
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Pierre Loti (La troisiĂšme jeunesse de Madame Prune / Le mariage de Loti)
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Nous aimons des ĂȘtres, nous nous attachons Ă des choses, et tout ce petit monde grandit en nos coeurs et en nos esprits jusqu'Ă ce qu'il soit transfigurĂ© par l'Ă©clat de l'immortalitĂ©. Mais quand nous faisons l'expĂ©rience de leur fragilitĂ©, quand nous prenons conscience qu'elles ne sont pasd'airain mais en porcelaine, nos coeurs et nos esprits s'en retrouvent fĂȘlĂ©s, pour toujours. Nous succombons alors Ă la folle tentation de descendre dans les caves profondes, en quĂȘte des morceaux brisĂ©s, obsĂ©dĂ©s par le dĂ©sir aveugle de les recoller et de les tenir Ă nouveau entre nos mains. Nous nous risquons d'y demeurer Ă tout jamais, fragments de porcelaine disparates Ă notre tour, tels des dĂ©bris d'une civilisation morte au fond de l'ocĂ©an..
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Mohamed Harmel
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Mais surtout, nous Ă©prouvions ce sentiment d'extrĂȘme libertĂ© qui est l'apanage de ceux qui sont dĂ©barrassĂ©s de leur image et qui ont retire, du voisinage de la mort et de la cohabitation quotidienne avec la souffrance, cette distance avec ce qui rend l'homme si petit et si Ă©triquĂ©.
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Marc Dugain
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Ces enfants mĂ»rissent trop tĂŽt parce que, ayant Ă©tĂ© rendus sensibles aux malheurs, c'est ce qu'ils savent 2le mieux voir. Ils sont attirĂ©s par les blessĂ©s et dĂ©sirent les aider. Ils comprennent ce more de relation qui les revalorise. Le comportement oblatif qui consiste Ă donner Ă ses propres dĂ©pens leur permet de gagner un peu d'affection, au risque de rencontrer quelqu'un qui en profitera, car ils sont faciles Ă exploiter. Ce don de soi n'a pas la grandeur du sacrifice puisqu'ils le font discrĂštement, parfois mĂȘme en cachette. L'oblativitĂ© prend plutĂŽt l'effet d'un rachat par ceux qui ont commis le crime de survivre quand leurs proches sont morts.
Ces enfants, adultes trop tÎt, aiment devenir parents de leurs parents. Ils se sentent un peu mieux en vivant de cette maniÚre qui les prive d'une étape de leur développement mais les revalorise et les socialise. Ne les félicitez pas pour ce comportement, car ils détestent tout ce qu'ils font. Vous risqueriez de saboter ce lien fragile. Vous les trouverez mignon et touchant parce que ce sont des enfants. Mais leur fraßcheur apparente masque leur malaise. Quand on est malheureux, le plaisir nous fait peur. Non seulement, on n'a pas le désir du plaisir, mais on n'a honte à l'idée d'avoir du plaisir. Alors l'enfant trop adulte découvre un compromis: il s'occupera des autres.
Ces enfants qui veulent fuir leur enfance haĂŻssent le passĂ© qui s'impose dans leur mĂ©moire encore fraĂźche. Ils la combattent grĂące Ă une prĂ©paration comportementale au dĂ©ni, une jovialitĂ© excessive, une recherche exaspĂ©rĂ©e de ce qui peut faire rire, une quĂȘte d'engagements superficiels, une hyperactivitĂ© incessante qui les pousse vers le prĂ©sent en fuyant le passĂ©.
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Boris Cyrulnik (Les vilains petits canards)
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Ă nouveau, il nâest pas besoin de croire littĂ©ralement Ă une vie aprĂšs la mort, ou Ă la prĂ©sence dâĂąmes errant dans nos vieilles maisons pour reconnaĂźtre trĂšs rationnellement que nous vivons tous avec des fantĂŽmes. Il y a ceux de nos histoires personnelles, familiales, ou collectives, ceux des nations qui nous ont vus naĂźtre, des cultures qui nous abritent, des histoires quâon nous a racontĂ©es (ou pas), et parfois des langues que nous parlons.
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Delphine Horvilleur (Vivre avec nos morts: Petit traité de consolation (Essai) (French Edition))
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Selon la lĂ©gende, les anges, messagers du divin, ont le pouvoir dâintercepter toutes nos priĂšres pour les porter vers les sphĂšres cĂ©lestes. Ils seraient capables de comprendre tout ce que lâhumanitĂ© formule, dans toutes les langues et les patois qui couvrent la Terre, Ă lâexception dâun seul : lâaramĂ©en. Allez savoir pourquoi, cette langue-lĂ , ils ne la maĂźtrisent pas.
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Delphine Horvilleur (Vivre avec nos morts: Petit traité de consolation (Essai) (French Edition))
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Approche donc et découvre, petit dragonnet,
Les sept ennemis que tu dois redouter.
Prends garde Ă l'Orgueil qui assombrit l'esprit
Et te leurre sur la vraie taille de ton ennemi.
N'envie pas aux autres dragons pouvoir, richesses et biens
Car intrigues et complots seront la fin des tiens.
MĂȘme percĂ© de lances, Ă©vite la ColĂšre
Car elle tuera la ruse, qu'il te faudra entiĂšre.
Un dragon doit dormir mais, toi, fuis la Paresse
Nos assassins profitent des longues années de sieste.
'Quel mal Ă l'avarice ?' dira le dragon sot.
Les voleurs de trésors voleront aussi sa peau.
Tu connaĂźtras la faim et devras l'apaiser
Mais Gourmandise rend gras, empĂȘche de dĂ©coller.
Dragonne, joyaux, gloire ou or,
Luxure a conduit bien des draques Ă la mort.
Apprends par cĆur ceci, mon prĂ©cieux dragonnet,
Tu seras sûr de vivre encore de longues années
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E.E. Knight (Dragon Champion (Age of Fire, #1))
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Mais il faut le voir Ă table comme il la regarde quand elle brille, ses yeux d'animal subjuguĂ©. D'oĂč vient-elle donc cette crĂ©ature ?
Pr les mots dans sa bouche, ces idées qui lui passent par la cervelle, son insatisfaction tout le temps, son intraitable enthousiasme, ce désir d'aller voir ailleurs, de marquer les distances, cet élan qui frise l'injure parfois? Ou va-t-elle chercher tout ça ?
Alors, quand leur fille a besoin de sous pour un voyage de classe ou acheter des livres, Mireille et Jean ne rechignent pas. Ils raquent. Ils font ce qu'il faut. C'est leur terrible métier de parents, donner à cette gamine les moyens de son évasion.
On a si peu de raison de se rĂ©jouir dans ces endroits qui nâont ni la mĂšre ni la Tour Eiffel, ou dieu est mort comme partout oĂč la soirĂ©e sâachĂšvent Ă 20 heures en semaine et dans les talus le week-end
Car elle et Jeannot savent qu'ils ne peuvent plus grand-chose pour elle. Ils font comme si, mais ils ne sont plus en mesure de faire des choix à sa place. Ils en sont réduits ça, faire confiance, croiser les doigts, espérer quils l'ont élevée comme il faut et que ça suffira.
L'adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu'elle fut git déjà sur le bord du chemin. Il faut désormais réinventer des rÎles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruosités et les ruades. Le corps est encore chaud. Il tressaille. Mais ce qui existait, l'enfance et ses tendresses évidentes, le rÚgne indiscuté des adultes et la gamine pile au centre, le cocon et la ouate, les vacances à La Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On n'y reviendra plus.
Et puis il aimait bien aller Ă l'hĂŽtel, dont elle rĂ©glait toujours la note. Il apprĂ©ciait la simplicitĂ© des surfaces, le souci ergonome partout, la distance minime entre le lit et la douche, l'extrĂȘme propretĂ© des serviettes de bain, le sol neutre et le tĂ©lĂ©viseur suspendu, les gobelets sous plastique, le cliquetis prĂ©cis de l'huisserie quand la porte se refermait lourdement sur eux, le code wifi prĂ©cisĂ© sur un petit carton Ă cĂŽtĂ© de la bouilloire, tout ce confort limitĂ© mais invariable. Ă ses yeux, ces chambres interchangeables n'avaient rien d'anonyme. Il y retrouvait au contraire un territoire ami,
elle se disait ouais, les mecs de son espĂšce n'ont pas de rĂ©pit, soumis au travail, paumĂ©s dans leurs familles recomposĂ©es, sans mĂȘme assez de thune pour se faire plaisir, devenus les cons du monde entier, avec leur goĂ»t du foot, des grosses bagnoles et des gros culs. AprĂšs des siĂšcles de rĂšgne relatif, ces pauvres types semblaient bien gĂȘnĂ©s aux entournures tout Ă coup dans ce monde qu'ils avaient jadis cru taillĂ© Ă leur mesure.
Leur nombre ne faisait rien Ă l'affaire. Ils se sentaient acculĂ©s, passĂ©s de mode, fonciĂšrement inadĂ©quats, insultĂ©s par l'Ă©poque. Des hommes Ă©levĂ©s comme des hommes, basiques et fĂȘlĂ©s, une survivance au fond.
Toute la journée il dirigeait 20 personnes, gérait des centaines de milliers d'euros, alors quand il fallait rentrer à la maison et demander cent fois à Mouche de ranger ses chaussettes, il se sentait un peu sous employé. Effectivement.
Ils burent un pinot noir d'Alsace qui les dérida et, dans la chaleur temporaire d'une veille d'enterrement, se retrouvÚrent.
- T'aurais pu venir plus tĂŽt, dit GĂ©rard, aprĂšs avoir mis les assiettes dans le lave-vaisselle.
Julien, qui avait un peu trop bu, se contenta d'un mouvement vague, sa tĂȘte dodelinant d'une Ă©paule Ă l'autre.
C'Ă©tait une concession bien suffisante et le pĂšre ne poussa pas plus loin son avantage.
Pour motiver son petit frĂšre, Julien a l'idĂ©e d'un entraĂźnement spĂ©cial, qui dĂ©bute par un lavage de cerveau en rĂšgle. Au programme, Rocky, Les Chariots de feu, KaratĂ© Kid, et La Castagne, tout y passe. Ă chaque fois, c'est plus ou moins la mĂȘme chose : des acteurs torse nu et des sĂ©quences d'entraĂźnement qui transforment de parfaits losers en machines Ă gagner.
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Nicolas Mathieu (Connemara)
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Ces petits ĂȘtres ne demandent que le rĂ©confort dâun sourire, la chaleur dâune main. Et que leur apportons-nous ? Nos peurs, notre haine, notre colĂšre. Ils deviennent le miroir cassĂ© de nos propres tourments. â Tu veux dire que nous crĂ©ons leurs vices ? Quâils absorbent nos dĂ©fauts ? â Bien sĂ»r. Tu vois, ma niĂšce, Sophie, a quatre ans. Un jour, je la regarde sâamuser avec une araignĂ©e dans un jardin. Le minuscule insecte grimpe sur son bras et la petite rit comme seuls savent le faire les enfants. Ses gestes sont dĂ©liĂ©s, dĂ©licats
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Franck Thilliez (La Chambre des morts)
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Ce n'est pas ma mort qui me rĂ©jouit tant, dit-elle, mais ce qui la suivra... le temps oĂč nous ne nous quitterons plus, mon petit verre en cristal... peux-tu imaginer notre vie, moi te suivant partout, invisible, sans que les gens se doutent jamais qu'ils ont affaire Ă deux femmes et non pas Ă une seule? ... peux-tu imaginer cela ? [...] ah maintenant que je t'ai vu souffrir, je peux tranquillement fermer mes deux yeux, car je te laisse avec ton panache sur la terre...
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Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent sur Télumée Miracle
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C'Ă©tait l'automne. C'Ă©tait l'automne et c'Ă©tait la saison de la guerre. Te souviens tu de la guerre? Moi, de moins en moins. Mais je me souviens de l'automne. Je vois encore les brouillards sur les prĂ©s Ă cĂŽtĂ© de la maison, e, au delĂ , les chĂȘne silencieux dans le crĂ©puscule. Les feuilles Ă©taient tombeĂ©s dupuis septembre. Elles brunissaient et m'Ă©vocaient alors l'esprit de ma jeunesse, et aussi l'esprit de temps.
Souvent j'allais au bois. Je traversais les prĂ©s et je me perdais pour longtemps au dessous des branches, dans les ombres, parmi les feuilles. Une fois, avant d'entrer dans le bois, je me souviens qu'il y avait un cheval noir qui me fixait de loin. Il Ă©tait au fond du petit champ. J'imaginais qu'il me regardait, alors que probablement il dormait. Pourquoi pense je maintenant Ă ce cheval? Je ne sais pas. Peut ĂȘtre pour la mĂȘme raison je pense Ă tous ces mots j'ai Ă©crit au mĂȘme temps.
J'ai gardĂ© la feuille oĂč j'avais notĂ© tout ce qui m'Ă©tait venu Ă l'esprit. A l'Ă©poque, je croyais qu'ils m'appartenaient, mais maintenant, je sais qui j'avais tort. A chaque fois que les relis, je vois que je copiais seulement ce que quelqu'un m'avait racontĂ©.
--N'aie pas peur. Je ne m'arrĂȘterai pas. Je dois dĂ©couvrir cette clairiĂšre. Et je ne m'arrĂȘterai pas tant que je ne l'aurais pas trouvĂ©e. Sais tu ce qui me pousse Ă la chercher? Eh bien... personne. Ma femme est morte. Ma femme, ma fille et mon fils sont tous morts. Te souviens tu comment ils sont morts? Moi, de moins en moins. Je ne me souviens que du temps. Mes blessures ne sont plus mortelles, mais j'ai peur. J'ai peur de ne pas trouver cette clairiĂšre.
Je suis resté quelque temps à regarder les ombres, les feuilles et les branches. Ensuite, quand j'ai quitté le bois, je ne voyais que le brouillard autour de moi. Je ne pouvais voir ni la maison, ne les prés, seulement le brouillard. Et bien sûr, le cheval noir avait disparu.
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Mark Z. Danielewski (House of Leaves)
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C'Ăštait l'automne. C'Ăštait l'automne et c'Ăštait la saison de la guerre. Te souviens-tu de la guerre? Moi, de moins en moins. Mais je me souviens de l'automne. Je vois encore les brouillards sur les prĂ©s Ă cĂŽtĂ© de la maison, et au-delĂ , les chĂȘnes silencieux dans le crĂ©puscule. Les feuilles Ă©taient tombĂ©es depuis septembre. Elles brunissaient et m'Ă©vocaient alors l'esprit de ma jeunesse, et aussi l'esprit du temps. Souvent j'allais au bois. Je traversais les prĂ©s et je me predais pour longtemps au-dessous des branches, dans les ombres, parmi les feuilles. Une fois, avant d'entrer dans le bois, je me souviens qu'il y avait un cheval noir qui me fixait de loin. Il Ă©tait au fond du petit champ. J'imaginais qu'il me regardait, alors que probablement il dormait. Pourquoi pense-je maintenent Ă ce cheval? Je ne sais pas. Peut-ĂȘtre pour la mĂȘme raison je pense Ă tous ces mots j'ai Ă©crit au mĂȘme temps. J'ai gardĂ© la feuille oĂč j'avais notĂ© tout ce qui m'etait venu Ă l'esprit. A l'Ă©poque, je croyais qu'ils m'appartenaient, mais maintenant je sais que j'avais tort. A chaque fois que je les relis, je vois que je copiais seulement ce que quelqu'un m'avait racontĂ©. -N'aie pas peur. Je ne m'arrĂȘterai pas. Je dois dĂ©couvrir cette clairiĂšre. Et je ne m'arrĂȘterai pas tant que je ne l'aurais pas trouvĂ©e. Sais-tu ce qui me pousse Ă la chercher? Eh bien... personne. Ma femme est morte. Ma femme, ma fille et mon fils sont tous morts. Te souviens-tu comment ils sont morts? Moi, de moins en moins. Je ne me souviens que du temps. Me blessures ne sont plus mortelles, mais j'ai peur. J'ai peur de ne pas trouver cette clairiĂšre. Je suis restĂ© quelque temps Ă regarder les ombres, les feuilles et les branches. Ensuite, quand j'ai quittĂ© le bois, je ne voyais que le brouillard autour de moi. Je ne pouvais voir ni la maison, ni les prĂ©s, seulement le brouillard. Et bien sĂ»r, le cheval noir avait disparu.
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Mark Z. Danielewski (House of Leaves)
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Aujourdâhui jâai fait un malaise dans le tram 21
une torpeur sâest comme ça emparĂ©e de moi et ce mal(ĂȘtre) mâa clouĂ© dĂ©bout.
lĂ -bas Ă mi-chemin du tram 21. oĂč se scinde en
deux la vie. là -bas tandis que je prenais appui sur la barre latérale de moi
sâest emparĂ© ce mal(ĂȘtre).
si je me souviens bien câĂ©tait Ă mi-chemin du tram
oĂč se tiennent les petits balanciers. les grands balanciers sont
plus proches du conducteur. nul besoin dâavoir un certain Ăąge
pour les balanciers on peut mĂȘme nâĂȘtre quâun enfant si lâon veut,
pour les balanciers. ceux qui passent dans lâautre moitiĂ© du tram
reçoivent gracieusement un balancier pour sây balancer.
et tandis que je comptais les arrĂȘts jusquâĂ piaÈa obor. câest comme ça
quâun mal(ĂȘtre) sâest emparĂ© de moi et mâa ramolli les genoux. le noir
devant mes yeux. petit ou grand mal(ĂȘtre) je nâen sais rien puisque je ne suis pas encore mort
tout Ă fait. juste la mollesse de mes genoux et la voix
familiĂšre criant emil emil. Ă©tendez-le par terre il a quelque chose
comme un mal(ĂȘtre). et laissez-le respirer tout seul. criaient les voyageurs.
forts aimables les passagers du tram 21.
lâun mâa offert sa place. un autre a ouvert la fenĂȘtre.
fort aimables les voyageurs aprĂšs tout jâĂ©tais lâun des leurs.
juste mon front en sueur et mes mains moites et froides. seul le mal(ĂȘtre)
sâamenuisait lentement et ma colĂšre noire dans le tram 21 ne me lĂąchait plus.
de ma priĂšre vers dieu je ne me souviens plus guĂšre.
seule de la voix féminine attendue toute ma vie
Ă lâarrĂȘt perla pour prendre ensemble le tram 21 qui Ă©tait en fait
le tram 46. je mâen souviens. quâil nous emmĂšne
quâil nous emmĂšne Ă ce marchĂ© obor pour lâagneau de PĂąques.
(traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
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Emil Iulian Sude (Paznic de noapte)
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De vegades, pensava en el que devien fer el sol i la lluna quan eren petits. Que el sol era una bola podrida que en anar-se'n deixava esquitxada tota la nit. I que la lluna estava corcada, amb cucs a tots els forats, com els morts dins dels nĂnxols. Rosegada com un formatge i calenta de desesperaciĂł, que es moria sense adonar-se'n com el nostre cervell.
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MercĂš Rodoreda (El carrer de les CamĂšlies)
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Hoerder :
Et moi je les aime pour ce qu'ils sont. Avec toutes leurs saloperies et tous leurs vices. J'aime leurs voix et leurs mains chaudes qui prennent et leur peau, la plus nue de toutes les peaux, et leurs regards inquiet et la lutte dĂ©sespĂ©rĂ©e qu'ils mĂšnent chacun Ă son tour contre la mort et contre l'angoisse. Pour moi, ça compte un homme de plus ou de moins dans le monde. C'est prĂ©cieux. Toi, je te connais bien, mon petit, tu es un destructeur. Les hommes ut les dĂ©testes parce que tu te dĂ©testes toi-mĂȘme ; ta puretĂ© ressemble Ă la mort et la RĂ©volution dont tu rĂȘves n'est pas la nĂŽtre : tu ne veux pas changer le monde, tu veux le faire sauter.
â Les mains sales (1948)
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Jean-Paul Sartre
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C'est exactement la vieillesse que je nous souhaite, Ă HĂ©lĂšne et moi. Il y aurait de grandes bibliothĂšques, des divans profonds, les cris des petits-enfants dehors, des confitures de baies, de longues conversations dans des chaises longues. Les ombres s'allongent, la mort approche doucement. La vie a Ă©tĂ© bonne parce qu'on s'est aimĂ©s. Ce n'est peut-ĂȘtre pas comme ça que ça finira, mais c'est comme ça, s'il ne tenait qu'Ă moi, que j'imaginerais que ça finisse.
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Emmanuel CarrĂšre
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Oh, merveilleux bonhomme. Tu voyais tout en moi, chaque recoin de mon petit cĆur. La moindre de mes pensĂ©es, qu'elle soit profonde ou mesquine.Tu riais pour Ă©loigner le mal et cĂ©lĂ©brais les moments de joie.
Ătre connu de quelqu'un, profondĂ©ment, de l'intĂ©rieur, c'est ça, l'essence de l'amour. Une existence sans amour n'est que l'ombre de la vie. J'ai errĂ© dans cette pĂ©nombre quand tu es parti pour le camp d'entraĂźnement, Sal. Et elle a failli me submerger lorsque tu es mort. Je le souhaitais, en un sens.
Jusqu'au jour oĂč une personne a dĂ©cidĂ© qu'elle me connaissait suffisamment pour me montrer toutes les bonnes raisons que j'avais de rester en vie.
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Suzanne Hayes
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Un fluide insaisissable coule d'une génération à l'autre.
Lorsque nous dĂ©veloppons nos antennes et apprenons Ă dĂ©celer partout la trace d'autres passants, d'autres humains vivants ou morts, alors notre façon d'ĂȘtre au monde se dilate et s'agrandit.
Je suis le témoin de la scÚne suivante :
Un ami de longue date, Richard Baker Roshi, héritier dharma de Suzuki Roshi, et sa fille de trois ans sont installés à la table du petit déjeuner chez nous. Sophie commence avec son couteau à rayer la table. Et grùce à ce geste qui ne m'as guÚre enchantée, voilà que j'assiste à une leçon de transmission.
Le pĂšre arrĂȘte avec douceur la petite main.
"Halte, Sophie, Ă qui est cette table ?"
Alors la petite fille boudeuse :
"Je sais ! A Christiane.
- Non, mais avant Christiane !... Elle est ancienne cette table, n'est-ce pas ? D'autres ont déjeuné là ...
- Oui, les parents, les grands-parents, les....
- ... Mais ce n'est pas tout !.... Avant encore ?...
Elle a appartenu Ă l'Ă©bĂ©niste qui en avait acquis le bois. Mais d'oĂč venait-il ce bois ?... Oui, d'un arbre qu'avait abattu le bĂ»cheron... mais l'arbre, Ă qui appartenait-il ?... A la forĂȘt qui l'a protĂ©gĂ©... Oui... et Ă la terre qui l'a nourri... Ă l'air, Ă la lumiĂšre, Ă l'univers entier... !
... Et puis, Sophie, elle appartient Ă d'autres... la table... Ă ceux qui ne sont pas encore nĂ©s et qui viendront aprĂšs nous... ici mĂȘme quand nous seront partis et quand nous serons morts."
Un cercle aprĂšs l'autre se forme, comme aprĂšs le jet d'une pierre dans un Ă©tang.
Et les yeux de Sophie aussi s'agrandissent, se dilatent.
L'hommage aux origines. Ainsi commence tout processus d'humanisation. (p. 15-16
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Christiane Singer (N'oublie pas les chevaux écumants du passé)
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Shonsu, les dieux te sont reconnaissants ! Ta rĂ©compense sera fantastique : une vie longue et heureuse, du pouvoir et de grandes rĂ©alisations. (Il ricana.) Et de l'amour, Ă©videmment ! Tu gouverneras lorsque Nnanji sera absent. Tu traceras la carte de ce monde et tu verras les cercles se refermer. Tu imposeras le sens de la justice Ă Katanji, la raison Ă Thana et la misĂ©ricorde Ă Nnanji. Tu voyageras Ă travers le Monde en tant qu'ambassadeur et tu chevaucheras au cĂŽtĂ© de l'empereur quand il retournera Ă Hann pour remercier la DĂ©esse et saluer ses parents. » Les autres connaĂźtront gloire et honneur, mais tu gagneras l'amour du Peuple. Et quand l'heure de ta mort sonnera enfin, tes petits-enfants seront prĂšs de toi, une foule immense tiendra une veillĂ©e silencieuse aux portes de ton domaine et le Monde tout entier pleurera. En attendant ce moment, l'amour de Jja t'appartient et sa beautĂ© ne se flĂ©trira jamais. Elle se souciait peu d'ĂȘtre une esclave, mais toi, tu ne le supportais pas. Elle et son fils sont maintenant libres. Personne en dehors de vous deux ne remarquera le changement â un miracle rĂ©troactif et le dernier. Je viens juste de le lui expliquer. Wallie
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Dave Duncan (Le destin de l'épée (La septiÚme épée, #3))
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[âŠ] En faisant ainsi prĂ©valoir les droits de la spontanĂ©itĂ© sur la rĂ©flexion, de lâignorance sur la science, de lâimmĂ©diatetĂ© de la pulsion sur la patience de lâart, de lâĂ©phĂ©mĂšre adolescence sur lâĂ©ternelle sagesse, dâinstinct le TĂȘtard faisait triompher la paresse de ceux qui estiment que la tradition tient en elle trop dâexigences, et quâun hĂ©ritage, notamment celui de lâexcellence, est bien trop lourd Ă porter. Ces affalĂ©s prĂ©fĂšrent laisser libre cours Ă lâinterne chimpanzĂ© quâils sont fiers de traĂźner, en qui ils entendent se complaire et qui rĂ©clame tyranniquement une culture pour lui tout seul : celle de la luxure de marchĂ©, celle du glauque, de la bigarrure et de lâanomie, celle des veines Ă©pithumiques, dâun dĂ©sir encalibistrĂ© et claustral, petite rĂ©gion Ă©levĂ©e au rang de galaxie et que ces hĂ©domanes rĂȘvent ventromniloque. La culture du bas-jouir prĂȘt Ă tout. Câest TĂȘtard qui dĂ©clare ainsi lâouverture du premier gĂ©nocide fĆtal de lâhistoire au nom de prĂ©tendus droits reconnus Ă la salope : tout enfant non dĂ©vaginĂ© est passible de la peine de mort si un couple de robots droguĂ©s ou de ThĂ©nardier jouisseurs se voit contrarier le plan de ses projets hĂ©donistes et mercantiles. MicrocĂ©phalopolis est une citĂ© cohĂ©rente oĂč lâon tue pour finir ses Ă©tudes, pour forniquer plus confortablement, pour partir en vacances, et oĂč lâon dresse simultanĂ©ment des monuments aux victimes des grands massacres historiques. Car MicrocĂ©phalopolis dĂ©termine elle-mĂȘme, au milieu des chialeries, quels sont les gĂ©nocides propres et quels ne sont pas.
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Maxence Caron (Microcéphalopolis: Roman)
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Ne faudrait-il pas prendre le temps dâĂ©couter la voix des morts, faire notre deuil dans la tristesse, et en mĂȘme temps, petit Ă petit, aller de lâavant ? Avec les morts.
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ăăšăăăăă (Radio Imagination)
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Je me souviens, un jour tu m'as dit : je prĂ©fĂšre dormir Ă cĂŽtĂ© d'un rasoir ouvert qu'Ă cĂŽtĂ© d'une de ces petites salopes que je paie pour se laisser tripoter. Un rasoir, c'est franc, c'est honnĂȘte, on peut se tuer avec, ou Ă©gorger ses ennemis, c'est pur un rasoir, ça ne raconte pas de balivernes, c'est blanc comme la mort.
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Jean-Pierre Martinet (JĂ©rĂŽme)
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Devant l'OpĂ©ra, la foule s'Ă©tait dispersĂ©e, il ne restait qu'une dizaine de passants et un petit groupe de viveurs qui buvaient bruyamment dans un coin de la Grand-Place. Je me postai prĂšs de la fontaine, restant en selle tandis que les chiens se dispersaient pour chercher la trace olfactive de ma femme. Le temps sembla se suspendre tandis que les bĂȘtes entraient dans les ruelles et en sortaient, flairant des milliers de pistes sans dĂ©tecter la bonne. La nuit avançait sans qu'ils la repĂšrent, une rage sourde me tenait droit malgrĂ© des relents d'ivresse, l'agressivitĂ© des chiens m'enflammait et je me surpris Ă dĂ©sirer la mort de PhĂ©lie comme j'aurais souhaitĂ© celle d'un animal mystique â un Ă©lĂ©phant blanc ou un cerf Ă trois bois â, non seulement pour le plaisir du meurtre, mais en me figurant ce sacrifice comme la mĂ©taphore d'un geste plus grand. L'horloge du campanile sonna une heure. Il se mit Ă tomber une neige pĂąteuse qui collait aux vĂȘtements, mais fondait sur le pelage ras des mĂątins, et la tempĂ©rature chuta. Les chiens Ă©cumaient, une buĂ©e blanchĂątre s'exhalait de leur robe rendue moite par l'effort et quand, enfin, le braque halena PhĂ©lie et rappela Ă son cĂŽtĂ© les quatre autres bĂȘtes, il poussa un hurlement terrible qui effraya les derniers passants. Les pharaons se prĂ©cipitĂšrent au devant du grand chien gris, lui ouvrant le chemin comme Ă un empereur, et l'escadron s'engouffra dans une ruelle Ă©troite oĂč je le suivis avec peine.
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Audrée Wilhelmy (Les sangs)
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« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais.
Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais.
Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.
Je dormirais peu, je rĂȘverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, Ă chaque minute nous perdons 60 secondes de lumiĂšre.
Je marcherais quand les autres s'arrĂȘteraient, je me rĂ©veillerais quand les autres dormiraient.
Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais à plat ventre au soleil, laissant à découvert pas seulement mon corps, mais aussi mon ùme.
Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'ĂȘtre amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'ĂȘtre amoureux ! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre Ă voler tout seul.
Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli.
J'ai appris tant de choses de vous les hommes⊠J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la maniÚre d'y arriver.
J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre pour la premiÚre fois, le doigt de son pÚre, avec son petit poing, il le tient pour toujours.
J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables Ă se relever.
J'ai appris tant de choses de vous, mais à la vérité cela ne me servira pas à grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir.
Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses.
Si je savais que c'est peut ĂȘtre aujourd'hui la derniĂšre fois que je te vois dormir, je t'embrasserais trĂšs fort et je prierais pour pouvoir ĂȘtre le gardien de ton Ăąme.
Si je savais que ce sont les derniers moments oĂč je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais dĂ©jĂ .
Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilitĂ© pour faire les choses bien, mais au cas oĂč elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais.
Le lendemain n'est sûr pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux.
C'est peut ĂȘtre aujourd'hui que tu vois pour la derniĂšre fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut ĂȘtre demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu Ă©tais trop occupĂ© pour accĂ©der Ă un de leur dernier dĂ©sir.
Garde ceux que tu aimes prĂšs de toi, dis-leur Ă l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais.
Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrÚtes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer.
Dis Ă tes amis et Ă ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi.
Monsieur Mårquez a terminé, disant : Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passé.
Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »
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Gabriel GarcĂa MĂĄrquez
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On vivait dans l'Ăšre des petites libertĂ©s individuelles, oĂč chacun devait se sentir libre, peut-ĂȘtre que ça venait de lĂ ; certains, percevant l'illusion de ce systĂšme, se octrayient une vĂ©ritable libertĂ©, celle de vie et de mort sur autrui.
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Maxime Chattam (Maléfices (La trilogie du Mal, #3))
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Beccaria - Câest dans un petit traitĂ© intitulĂ© Des dĂ©lits et des peines que lâon trouve la toute premiĂšre argumentation philosophique contre la torture et la peine de mort.
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Christian Godin (La Philosopie Pour Les Nuls)