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Le Zola « engagé », « édifiant », voire « missionnaire » que la tradition militante, relayée par la dévotion scolaire, a inventé de toutes pièces masque que le défenseur de Dreyfus est le même qui défendait Manet contre l’Académie, le Salon et le bon ton bourgeois, mais aussi, et au nom de la même foi dans l’autonomie de l’artiste, contre Proudhon et ses lectures « humanitaires », moralisantes et socialisantes, de la peinture : « J’ai défendu M. Manet comme je défendrai toute ma vie toute individualité franche qui sera attaquée. Je serai toujours du parti des vaincus. Il y a une lutte évidente entre les tempéraments indomptables et la foule. » Et plus loin : « J’imagine que je suis en pleine rue et que je rencontre un attroupement de gamins qui accompagnent Édouard Manet à coups de pierres. Les critiques d’art – pardon, les sergents de ville – font mal leur office ; ils accroissent le tumulte au lieu de le calmer, et même, Dieu me pardonne ! il me semble que les sergents de ville ont d’énormes pavés dans leurs mains. Il y a déjà, dans ce spectacle, une certaine grossièreté qui m’attriste, moi passant désintéressé, d’allures calmes et libres. Je m’approche, j’interroge les gamins, j’interroge les sergents de ville ; je sais quel crime a commis ce paria qu’on lapide. Je rentre chez moi, et je dresse, pour l’honneur de la vérité, le procès-verbal qu’on va lire23. » C’est un tel procès-verbal que dressera le « J’accuse ».
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Pierre Bourdieu (Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire (LIBRE EXAMEN) (French Edition))