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Le fondement du « subjectivisme logique » des croyants est dans ce que nous pourrions appeler le « solipsisme religieux » ; et celui-ci est inĂ©vitable pour deux raisons majeures. PremiĂšrement, tout Message religieux est un Message d'Absolu ; ce caractĂšre dâAbsolu pĂ©nĂštre tout le Message et lui confĂšre sa qualitĂ© dâunicitĂ©. Dieu parle pour l'IntĂ©rieur et ne se prĂ©occupe pas de lâextĂ©rieur en tant que tel ; Il proclame « la Religion » sous une forme adaptĂ©e Ă telles possibilitĂ©s humaines ; Il ne fait pas de « religion comparĂ©e ». DeuxiĂšmement, l'homme moyen nâest pas disposĂ© Ă saisir ce caractĂšre d'Absolu si on ne le lui suggĂšre pas par l'unicitĂ© de l'expression ; et Dieu n'entend pas compromettre cette comprĂ©hension par des prĂ©cisions soulignant l'aspect extĂ©rieur de relaÂtivitĂ©, donc Ă©trangĂšres Ă ce qui est la raison d'ĂȘtre du Message. Mais ceci ne saurait lier l'Ă©sotĂ©risme : dâune part parce qu'il n'est pas un Message religieux et quâil relĂšve de lâIntellect plutĂŽt que de la RĂ©vĂ©lation, et dâautre part parce quâil s'adresse Ă des hommes qui n'ont pas besoin d'une suggestion d'unicitĂ© et d'exclusivitĂ©, sur le plan de l'expression, pour saisir le caractĂšre dâAbsolu dans les Ă©nonciations sacrĂ©es.
Tout ceci est propre Ă faire comprendre que nous sommes aussi loin que possible d'approuver un « ĆcumĂ©Ânisme » gratuit et sentimentaliste, qui ne distingue pas entre la vĂ©ritĂ© et l'erreur et dont le rĂ©sultat est lâindiffĂ©Ârence religieuse et le culte de l'homme. Ce qu'il sâagit dâentendre en rĂ©alitĂ©, câest que la prĂ©sence indĂ©niable de la vĂ©ritĂ© transcendante, du sacrĂ© et du surnaturel sous des formes autres que celle de notre religion dâoriÂgine, devrait nous amener, non le moins du monde Ă mettre en doute le caractĂšre dâAbsolu propre Ă notre religion, mais simplement Ă admettre l'inhĂ©rence de lâAbsolu Ă un symbolisme doctrinal et sacramentel qui par dĂ©finition le manifeste et le communique, mais qui Ă©galement par dĂ©finition â puisquâil est dâordre formel â est relatif et limitĂ© malgrĂ© son allure dâunicitĂ©. Allure nĂ©cessaire, nous lâavons dit, en tant que tĂ©moignage de lâAbsolu, mais simplement indicative au point de vue de lâAbsolu en soi, lequel se manifeste nĂ©cessairement par lâunicitĂ© et tout aussi nĂ©cessairement â en vertu de son Infinitude â par la diversitĂ© des formes. [...]
Les divergences religieuses nous font penser aux contradictions entre les visions des mystiques, bien quâil nây ait lĂ aucune commune mesure, sauf quâil y a dans les deux cas une vĂ©ritĂ© intrinsĂšque sous-jacente : tel mystique brosse du purgatoire un tableau plutĂŽt dĂ©sespĂ©rant, tel autre insiste sur une joie dâespĂ©rance qui y rĂšgne, chaque perspective se trouvant appuyĂ©e par une imagerie qui la concrĂ©tise ; le symbolisme se combine avec un frag-mentarisme isolant et un sentimentalisme biaisant. Comme dans le cas des religions, les contradictions formelles des imageries mystiques nâinfirment pas la vĂ©ritĂ© intĂ©grale dont elles rehaussent des aspects en fonction de telle perspective de crainte ou dâamour ; mais nous nâavons pas besoin ici de recourir Ă lâĂ©sotĂ©risme pour dĂ©gager la vĂ©ritĂ© ; la thĂ©ologie y pourvoit en distinguant dâemblĂ©e entre les contenus de la croyance, suivant quâils sont nĂ©cessaires ou recommandĂ©s, ou simplement possibles.
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Frithjof Schuon (From the Divine to the Human: Survey of Metaphsis and Epistemology (The Library of Traditional Wisdom))