Vue Quotes

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On ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue, d'abord et longtemps, tout rivage. (One doesn't discover new lands without consenting to lose sight, for a very long time, of the shore.)
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André Gide (The Counterfeiters)
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La premiùre fois que je vous ai vue, je me suis fait une piùtre opinion de vous. Je vous croyais sans jugeote et sans caractùre, incapable de tenir jusqu'au mariage. Ça restera à jamais la plus grosse erreur de ma vie.
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Christelle Dabos (Les Disparus du Clairdelune (La Passe-Miroir, #2))
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You have enemies? Why, it is the story of every man who has done a great deed or created a new idea. It is the cloud which thunders around everything that shines. Fame must have enemies, as light must have gnats. Do no bother yourself about it; disdain. Keep your mind serene as you keep your life clear.
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Victor Hugo (Choses vues 1849-1885)
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Je t'inventerai Des mots insensés Que tu comprendras Je te parlerai De ces amants-là Qui ont vue deux fois Leurs coeurs s'embraser Je te raconterai L'histoire de ce roi Mort de n'avoir pas Pu te rencontrer Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas
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Jacques Brel
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Il y a sĂ»rement beaucoup de honte Ă  ĂȘtre heureux ., non pas Ă  la vue de certaines misĂšres mais lorsque le bonheur semble narguer .Ce dĂ©faut les Kabyles ne l'ont pas .Par pudeur le riche se cache pour bien manger et le pauvre pour avoir faim Ă  son aise.
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Mouloud Feraoun (La terre et le sang)
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Il ne fait aucun doute pour moi que la sagesse est le but principal de la vie et c'est pourquoi je reviens toujours aux stoĂŻciens. Ils ont atteint la sagesse, on ne peut donc plus les appeler des philosophes au sens propre du terme. De mon point de vue, la sagesse est le terme naturel de la philosophie, sa fin dans les deux sens du mot. Une philosophie finit en sagesse et par lĂ  mĂȘme disparaĂźt.
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Emil M. Cioran (Oeuvres)
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Une grosse vieille dame à cÎté de moi se retenait à la courroie et sa robe sans manches laissait voir un incroyable nid d'oiseau sous son bras. C'est la chose la plus nauséabonde que j'aie jamais vue. J'espÚre que Tim ne l'a pas vue, il en serait devenu pédéraste.
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Beatrice Sparks (Go Ask Alice)
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Cette recommandation (Aime ton prochain comme toi-mĂȘme) paraĂźt, Ă  premiĂšre vue, irrĂ©prochable mais Ă  voir ce que la plupart des gens font de leur vie, Ă  voir ce qu'ils font de leur intelligence, je n'ai pas envie qu'ils m'aiment comme eux-mĂȘmes.
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Amin Maalouf (Balthasar's Odyssey)
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Elle les avait démasqués de loin, les petits ambitieux qui la trouvait banale vue de face, mais trÚs jolie vue de dot.
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Pierre Lemaitre (Au revoir lĂ -haut)
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Voyager, c'est vivre dans toute la plénitude du mot; c'est oublier le passé et l'avenir pour le présent; c'est respirer à pleine poitrine, jouir de tout, s'emparer de la création comme d'une chose qui est sienne, c'est chercher dans la terre des mines d'or que personne n'a fouillées, dans l'air des merveilles que personne n'a vues, c'est passer aprÚs la foule et ramasser sous l'herbe les perles et les diamants qu'elle a pris, ignorante et insoucieuse qu'elle est, pour des flocons de neige et des gouttes de rosée.
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Alexandre Dumas
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La justice n'est qu'une question de point de vue.
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Eiichiro Oda
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La dĂ©croissance Ă©conomique peut ĂȘtre vue comme une immense croissance intellectuelle, hĂ©doniste, humaniste et Ă©cologiste. Elle n’est pas une rĂ©gression.
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Aurélien Barrau (Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité)
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Elle et moi en bonne santĂ©, on ne se ressemblait pas du tout. Mais malade, on aurait dit deux sƓurs. Pas Ă©tonnant qu'Augustus m'ait fixĂ©e avec cette intensitĂ© la premiĂšre fois qu'il m'avait vue.
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John Green (The Fault in Our Stars)
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De mĂȘme que la valeur de la vie n'est pas en sa surface mais dans ses profondeurs, les choses vues ne sont pas dans leur Ă©corce mais dans leur noyau, et les hommes ne sont pas dans leur visage mais dans leur coeur.
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Kahlil Gibran
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PrĂ©fĂšres-tu, rose, ĂȘtre l'ardente compagne de nos transports prĂ©sents? Est-ce les souvenir qui davantage te gagne lorsqu'un bonheur se reprend? Tant de fois je t'ai vue, heureuse et sĂšche, - chaque pĂ©tale un linceul - dans un coffret odorant, Ă  cĂŽtĂ© d'une mĂšche, ou dans un livre aimĂ© qu'on relira seul.
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Rainer Maria Rilke (The Complete French Poems of Rainer Maria Rilke)
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— Oh ! madame, si vous ĂȘtes si instamment attendue, permettez-moi de m’éloigner, car il me serait impossible de vous parler en ce moment. Je suis incapable de rassembler deux idĂ©es ; votre vue m’a Ă©bloui. Je ne pense plus, j’admire.
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Alexandre Dumas (La Reine Margot)
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Je fus encore une fois surprise par la vue de mon visage dans la glace: il n'avait rien Ă  voir avec mes dĂ©combres. Ce n'Ă©tait pas un visage de vaincu. MarquĂ© par la fatigue, mais au fond des yeux il restait encore quelque chose. Je ne dis pas : quelque chose d'invincible. Et pourtant, peut-ĂȘtre y a-t-il invincibilitĂ©. Les hommes oublient toujours que ce qu'ils vivent n'est pas mortel.
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Romain Gary (Clair de femme)
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Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un systÚme social donné, d'imaginer le point de vue de ceux qui, n'ayant jamais rien eu à attendre de ce systÚme, envisagent sa destruction sans frayeur particuliÚre.
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Michel Houellebecq (Soumission)
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A qui Ă©cris-tu? -A toi. En fait, je ne t'Ă©cris pas vraiment, j'Ă©cris ce que j'ai envie de faire avec toi... Il y avait des feuilles partout. Autour d'elle, Ă  ses pieds, sur le lit. J'en ai pris une au hasard: "...Pique-niquer, faire la sieste au bord d'une riviĂšre, manger des pĂȘches, des crevettes, des croissants, du riz gluant, nager, danser, m'acheter des chaussures, de la lingerie, du parfum, lire le journal, lĂ©cher les vitrines, prendre le mĂ©tro, surveiller l'heure, te pousser quand tu prends toute la place, Ă©tendre le linge, aller Ă  l'OpĂ©ra, faire des barbecues, rĂąler parce que tu as oubliĂ© le charbon, me laver les dents en mĂȘme temps que toi, t'acheter des caleçons, tondre la pelouse, lire le journal par-dessus ton Ă©paule, t'empĂȘcher de manger trop de cacahuĂštes, visiter les caves de la Loire, et celles de la Hunter Valley, faire l'idiote, jacasser, cueillir des mĂ»res, cuisiner, jardiner, te rĂ©veiller encore parce que tu ronfles, aller au zoo, aux puces, Ă  Paris, Ă  Londres, te chanter des chansons, arrĂȘter de fumer, te demander de me couper les ongles, acheter de la vaisselle, des bĂȘtises, des choses qui ne servent Ă  rien, manger des glaces, regarder les gens, te battre aux Ă©checs, Ă©couter du jazz, du reggae, danser le mambo et le cha-cha-cha, m'ennuyer, faire des caprices, bouder, rire, t'entortiller autour de mon petit doigt, chercher une maison avec vue sur les vaches, remplir d'indĂ©cents Caddie, repeindre un plafond, coudre des rideaux, rester des heures Ă  table Ă  discuter avec des gens intĂ©ressants, te tenir par la barbichette, te couper les cheveux, enlever les mauvaises herbes, laver la voiture, voir la mer, t'appeler encore, te dire des mots crus, apprendre Ă  tricoter, te tricoter une Ă©charpe, dĂ©faire cette horreur, recueillir des chats, des chiens, des perroquets, des Ă©lĂ©phants, louer des bicyclettes, ne pas s'en servir, rester dans un hamac, boire des margaritas Ă  l'ombre, tricher, apprendre Ă  me servir d'un fer Ă  repasser, jeter le fer Ă  repasser par la fenĂȘtre, chanter sous la pluie, fuire les touristes, m'enivrer, te dire toute la vĂ©ritĂ©, me souvenir que toute vĂ©ritĂ© n'est pas bonne Ă  dire, t'Ă©couter, te donner la main, rĂ©cupĂ©rer mon fer Ă  repasser, Ă©couter les paroles des chansons, mettre le rĂ©veil, oublier nos valises, m'arrĂȘter de courir, descendre les poubelles, te demander si tu m'aimes toujours, discuter avec la voisine, te raconter mon enfance, faire des mouillettes, des Ă©tiquettes pour les pots de confiture..." Et ça continuais comme ça pendant des pages et des pages...
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Anna Gavalda (Someone I Loved (Je l'aimais))
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- Vous m'avez parlĂ© de lettres, rappela Thorn. - Ah oui, nous les avons trouvĂ©es dans ses effets personnels. Patience! - Je patiente, dit Thorn qui s'impatientait Ă  vue d’Ɠil. - Non, je ne parle pas Ă  vous, je parle Ă  ma sƓur. Patience, passe-moi l'une de ces lettres.
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Christelle Dabos (Les Disparus du Clairdelune (La Passe-Miroir, #2))
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Si nous voulons que la gloire et les succĂšs accompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdre de vue : la doctrine, le temps, l'espace, le commandement, la discipline.
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Sun Tzu (Art Of War)
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Les images défilaient par centaines derriÚre mes yeux fermés, chose vues, choses sues et choses oubliées.
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Daphne du Maurier (Rebecca)
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Il dit en soufflant : "Je pense que toute ma vie j'ai été jaloux. La jalousie précÚde l'imagination. La jalousie, c'est la vision plus forte que la vue.
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Pascal Quignard (Terrasse Ă  Rome)
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Les gens n'attendent en général qu'une seule chose de vous: que vous leur renvoyiez l'image de ce qu'ils veulent que vous soyez. Et cette image que je leur proposais, ils n'en voulaient surtout pas. C'était une vue du monde d'en haut, une vue qui n'avait rien à faire ici. Alors s'il y a une leçon que j'ai bien apprise en prÚs de vingt-huit ans de présence sur cette Terre, c'est que l'habit doit faire le moine et peu importe ce que cache la soutane.
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Jean-Paul Didierlaurent (Le Liseur du 6h27)
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Ne soyons plus anglais ni français ni allemands. Soyons européens. Ne soyons plus européens, soyons hommes. - Soyons l'humanité. Il nous reste à abdiquer un dernier égoïsme : la patrie.
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Victor Hugo (Choses vues 1849-1885)
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La générosité universelle est une langue sans mots, une vue sans vision, un corps sans acte, une preuve sans argumentation, c'est une source qui vient de la mer et des mystÚres de la mer.
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AbĂ»'l-Hasan KharaqĂąnĂź (Paroles d'un soufi (960-1033))
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Combien de fois cela nous arrive-t-il de fermer les yeux ? pense GĂ©. Un enfant qui pleure trop souvent, un voisin violent, une vieille dame seule que l’on connaĂźt de vue ou un animal maltraité  et au lieu d’agir, de s’en mĂȘler, on fait ses valises. Pour ne plus voir. Ni rien ressentir.
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Valérie Perrin (Trois)
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sachez-le, si vous ĂȘtes pessimiste, c’est qu’intĂ©rieurement vous n’avez pas encore pris la bonne orientation, vos pieds ne sont pas encore engagĂ©s sur le chemin de la science spirituelle, car dĂšs le seuil de cette science, vous auriez dĂ» discerner que le vĂ©ritable avenir de l’ĂȘtre humain, c’est la lumiĂšre, la beautĂ©, la joie, l’épanouissement de son Ăąme. en chemin, bien sĂ»r, vous rencontrerez des difficultĂ©s, vous vous heurterez Ă  des obstacles, mais justement, pour les surmonter vous ne devez pas perdre le but de vue, mais vous rĂ©jouir par avance de ce bonheur qui vous attend.
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Omraam Mikhaël Aïvanhov (Le rire du sage (Izvor, #243))
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Sombres, dites-vous? Mais posez-vous la question docteur : pourquoi tous les grands philosophes sont-ils sombres? Demandez-vous qui sont les gens satisfaits, rassurĂ©s et Ă©ternellement joyeux! Laissez-moi vous donner la rĂ©ponse : ce sont ceux qui ont une mauvaise vue ― la populace et les enfants!
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Irvin D. Yalom (When Nietzsche Wept)
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Ils dĂ©nichaient mainte fois une ration de pain (mĂȘme dĂ©ficient du point de vue diĂ©tĂ©tique) afin de survivre quand mĂȘme jusqu'Ă  la prochaine typhoĂŻde qui, elle, n'allait pas rater leur organisme affaibli.
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Louis-Ferdinand Céline (Journey to the End of the Night)
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Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mƓurs, une damnation sociale crĂ©ant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalitĂ© humaine la destinĂ©e qui est divine; tant que les trois problĂšmes du siĂšcle, la dĂ©gradation de l’homme par le prolĂ©tariat, la dĂ©chĂ©ance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas rĂ©solus; tant que, dans de certaines rĂ©gions, l’asphyxie sociale sera possible; en d’autres termes, et Ă  un point de vue plus Ă©tendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misĂšre, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas ĂȘtre inutiles.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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Sans souffrance, comment connaĂźtre la joie?  (Un point de vue que j'avais toujours trouvĂ© d'une stupiditĂ© et d un manque de finesse inouĂŻs. Pour le dĂ©montrer, il suffisait de dire que, mĂȘme si le brocoli existait, ça n'empĂȘchait pas le chocolat d'ĂȘtre bon.)
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John Green (The Fault in Our Stars)
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Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? Quand m'avez-vous vue m'écarter des rÚgles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes ? Je dis mes principes, et je le dis à dessein : car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude ; ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai crées, et je puis dire que je suis mon ouvrage.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses)
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Mon ĂȘtre ne subsiste que sous un point de vue suprĂȘme qui est justement incompatible avec mon point de vue. La perspective dans laquelle je m’évanouis Ă  mes yeux, me restaure, image complĂšte, pour l’Ɠil irrĂ©el auquel j’interdis toute image. Image complĂšte par rapport Ă  un monde sans image qui me figure dans l’absence de toute figure imaginable. Être d’un non-ĂȘtre dont je suis l’infime nĂ©gation qu’il suscite comme sa profonde harmonie. Dans la nuit deviendrais-je l’univers?
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Maurice Blanchot (Thomas the Obscure)
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Lila Ă©tait sa perte. Sa punition. Pour toutes les femmes qu'il n'avait pas su aimer, celles qu'il n'avait vues que quelques nuits, celles qu'il avait fini par quitter – parce que toujours quelque chose retombait qu'il ne savait pas nommer. C'Ă©tait ridicule, mais il l'avait pensĂ© : l'heure Ă©tait venu pour lui de payer l'addition.
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Delphine de Vigan (Underground Time)
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L'histoire des thĂ©ologies nous montre que les chefs religieux ont toujours affirmĂ© qu'au moyen de rituels, que par des rĂ©pĂ©titions de priĂšres ou de mantras, que par l'imitation de certains comportements, par le refoulement des dĂ©sirs, par des disciplines mentales et la sublimation des passions, que par un frein, imposĂ© aux appĂ©tits, sexuels et autres, on parvient aprĂšs s'ĂȘtre suffisamment torturĂ© l'esprit et le corps, Ă  trouver un quelque-chose qui transcende cette petite vie. VoilĂ  ce que des millions de personnes soi-disant religieuses ont fait au cours des Ăąges ; soit en s'isolant, en s'en allant dans un dĂ©sert, sur une montagne ou dans une caverne ; soit en errant de village en village avec un bol de mendiant ; ou bien en se rĂ©unissant en groupes, dans des monastĂšres, en vue de contraindre leur esprit Ă  se conformer Ă  des modĂšles Ă©tablis.
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J. Krishnamurti (Freedom from the Known)
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DerriĂšre la sĂ©rie de Fourier, d'autres sĂ©ries analogues sont entrĂ©es dans la domaine de l'analyse; elles y sont entrees par la mĂȘme porte; elles ont Ă©tĂ© imaginĂ©es en vue des applications. After the Fourier series, other series have entered the domain of analysis; they entered by the same door; they have been imagined in view of applications.
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Henri Poincaré (The Value of Science: Essential Writings of Henri Poincare (Modern Library Science))
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Elle Ă©tait amoureuse de LĂ©on, et elle recherchait la solitude, afin de pouvoir plus Ă  l’aise se dĂ©lecter en son image. La vue de sa personne troublait la voluptĂ© de cette mĂ©ditation. Emma palpitait au bruit de ses pas ; puis, en sa prĂ©sence, l’émotion tombait, et il ne lui restait ensuite qu’un immense Ă©tonnement qui se finissait en tristesse.
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Gustave Flaubert (Madame Bovary)
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Je condamne l'ignorance qui rĂšgne en ce moment dans les dĂ©mocraties aussi bien que dans les rĂ©gimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le systĂšme, sinon par le rĂ©gime. J'ai souvent rĂ©flĂ©chi Ă  ce que pourrait ĂȘtre l'Ă©ducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des Ă©tudes de base, trĂšs simples, oĂč l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planĂšte dont il devra plus tard mĂ©nager les ressources, qu'il dĂ©pend de l'air, de l'eau, de tous les ĂȘtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout dĂ©truire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tuĂ©s dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongĂšrement, de façon Ă  flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passĂ© pour qu'il se sente reliĂ© aux hommes qui l'ont prĂ©cĂ©dĂ©, pour qu'il les admire lĂ  oĂč ils mĂ©ritent de l'ĂȘtre, sans s'en faire des idoles, non plus que du prĂ©sent ou d'un hypothĂ©tique avenir. On essaierait de le familiariser Ă  la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaĂźtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposĂ©es aux enfants et aux trĂšs jeunes adolescents sous prĂ©texte de biologie ; il apprendrait Ă  donner les premiers soins aux blessĂ©s ; son Ă©ducation sexuelle comprendrait la prĂ©sence Ă  un accouchement, son Ă©ducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en sociĂ©tĂ© est impossible, instruction que les Ă©coles Ă©lĂ©mentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matiĂšre de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays oĂč il se trouve, pour Ă©veiller en lui le respect et dĂ©truire d'avance certains odieux prĂ©jugĂ©s. On lui apprendrait Ă  aimer le travail quand le travail est utile, et Ă  ne pas se laisser prendre Ă  l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatĂ©es, en lui prĂ©parant des caries et des diabĂštes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses vĂ©ritablement importantes plus tĂŽt qu'on ne le fait. (p. 255)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Des yeux qui fuyaient nos obsĂ©dants regards et qui maintenant que nous l’avons vue seule Ă  seul, font plier leurs prunelles sous le poids ensoleillĂ© du rire
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Marcel Proust (La PrisonniĂšre)
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« Peut-ĂȘtre Dieu a-t-il créé le dĂ©sert pour que l’homme puisse se rĂ©jouir Ă  la vue des palmiers. »
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Paulo Coelho (The Alchemist)
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Si votre pensĂ©e s’élance dans l’espace et dans le temps ; si elle embrasse l’infinie simultanĂ©itĂ© des faits qui se passent sur toute la surface de la terre, qui n’est qu’une planĂšte tournant autour du soleil, – qui n’est lui-mĂȘme qu’un centre particulier au milieu de l’espace ; si vous songez que cet infini simultanĂ© n’est qu’un instant de l’éternitĂ©, qui est un autre infini, que tout cela vous apparaĂźt diffĂ©remment, suivant le point de vue oĂč vous vous placez, et qu’il y en a une infinitĂ© de points de vue ; si vous songez que la raison de tout cela, l’essence de toutes ces choses vous est inconnue, et si vous agitez dans votre esprit ces Ă©ternels problĂšmes, qu’est-ce que tout cela ? que suis-je moi-mĂȘme au milieu de cet infini?
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Pierre Loti (Aziyadé : suivi de FantÎme d'Orient)
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L'univers entier balance entre deux forces et ne croyez surtout pas qu'il s'agisse du bien et du mal. Ces notions sont typiquement humaines et dĂ©pendent entiĂšrement du point de vue de l'observateur. Non, je parle des forces fondamentales, l'Ordre et le Chaos. L'univers est nĂ© du Chaos ; la nature, les ĂȘtres vivants, sont les moyens qu'il utilise pour tendre vers l'Ordre.
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Pierre Bottero (Les FrontiĂšres de glace (La QuĂȘte d'Ewilan, #2))
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L’ironie, dĂ©truisant l’enveloppe extĂ©rieure des institutions, nous exerce Ă  ne respecter que l’essentiel ; elle simplifie, dĂ©nude, et distille ; Ă©preuve purifiante en vue d’un absolu jamais atteint, l’ironie fait semblant afin de ruiner les faux-semblants ; elle est une force exigeante et qui nous oblige Ă  expĂ©rimenter tour Ă  tour toutes les formes de l’irrespect, Ă  profĂ©rer toutes les insolences, Ă  parcourir le circuit complet des blasphĂšmes, Ă  concentrer toujours d’avantage l’essentialitĂ© de l’essence et la spiritualitĂ© de l’esprit.L’ironie, en somme, sauve ce qui peut ĂȘtre sauvĂ©.
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Vladimir Jankélévitch
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Il en voulait Ă  Emma de cette victoire permanente. Il s'efforçait mĂȘme Ă  ne pas la chĂ©rir; puis, au craquement de ses bottines, il se sentait lĂąche, comme les ivrognes Ă  la vue des liqueurs fortes.
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Gustave Flaubert (Madame Bovary)
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Cette chambre est un navire. Un navire Ă  bord duquel nous naviguons, sur des mers calmes ou dĂ©chainĂ©es, Ă  la recherche de rivages paisibles ou accidentĂ©s. Il y a des soleils impressionnants et puis des cours de sirocco. Il y a des Ă©tendues d’eau Ă  perte de vue et puis, brusquement, la cĂŽtĂ©. Il y a ce roulis incessant, qui nous berce ou nous secoue, qui nous accompagne toujours. Nous sommes des marins Ă©garĂ©s, Ă  bord d’un bateau ivre.
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Philippe Besson (In the Absence of Men)
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C’est pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on pourrait presque Ă©tablir comme axiome, en se posant au point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style Ă©tant Ă  lui tout seul une maniĂšre absolue de voir les choses.
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Gustave Flaubert (GUSTAVE FLAUBERT: Correspondance - Tome 2 -1851-1858 (French Edition))
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Je le vis, je rougis, je pĂąlis Ă  sa vue ; Un trouble s’éleva dans mon Ăąme Ă©perdue ; Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler; Je sentis tout mon corps et transir et brĂ»ler : Je reconnus VĂ©nus et ses feux redoutables, D’un sang qu’elle poursuit tourments inĂ©vitables ! Par des vƓux assidus je crus les dĂ©tourner : Je lui bĂątis un temple, et pris soin de l’orner ; De victimes moi-mĂȘme Ă  toute heure entourĂ©e, Je cherchais dans leurs flancs ma raison Ă©garĂ©e : D’un incurable amour remĂšdes impuissants ! En vain sur les autels ma main brĂ»lait l’encens ! Quand ma bouche implorait le nom de la dĂ©esse, J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse, MĂȘme au pied des autels que je faisais fumer, J’offrais tout Ă  ce dieu que je n’osais nommer. Je l’évitais partout. Ô comble de misĂšre ! Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pĂšre. Contre moi-mĂȘme enfin j’osai me rĂ©volter : J’excitai mon courage Ă  le persĂ©cuter. Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolĂątre, J’affectai les chagrins d’une injuste marĂątre ; Je pressai son exil ; et mes cris Ă©ternels L’arrachĂšrent du sein et des bras paternels. Je respirais, ƒNONE ; et, depuis son absence, Mes jours moins agitĂ©s coulaient dans l’innocence : Soumise Ă  mon Ă©poux, et cachant mes ennuis, De son fatal hymen je cultivais les fruits. Vaines prĂ©cautions ! Cruelle destinĂ©e ! Par mon Ă©poux lui-mĂȘme Ă  TrĂ©zĂšne amenĂ©e, J’ai revu l’ennemi que j’avais Ă©loignĂ© : Ma blessure trop vive aussitĂŽt a saignĂ©. Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachĂ©e : C’est VĂ©nus tout entiĂšre Ă  sa proie attachĂ©e. J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ; J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ; Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire, Et dĂ©rober au jour une flamme si noire : Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats : Je t’ai tout avouĂ© ; je ne m’en repens pas. Pourvu que, de ma mort respectant les approches, Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches, Et que tes vains secours cessent de rappeler Un reste de chaleur tout prĂȘt Ă  s’exhaler.
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Jean Racine (PhĂšdre)
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Je te cherchai. Je te revis. Malheur ! Quand je t’eus vue deux fois, je voulus te voir mille, je voulus te voir toujours. Alors, — comment enrayer sur cette pente de l’enfer ? — alors je ne m’appartins plus. L’autre bout du fil que le dĂ©mon m’avait attachĂ© aux ailes, il l’avait nouĂ© Ă  ton pied. Je devins vague et errant comme toi. Je t’attendais sous les porches, je t’épiais au coin des rues, je te guettais du haut de ma tour. Chaque soir, je rentrais en moi-mĂȘme plus charmĂ©, plus dĂ©sespĂ©rĂ©, plus ensorcelĂ©, plus perdu !
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Victor Hugo (Notre-Dame de Paris (French Edition))
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Comme sur un plant oĂč les fleurs mĂ»rissent Ă  des Ă©poques diffĂ©rentes, je les avais vues, en de vieilles dames, sur cette plage de Balbec, ces dures graines, ces mous tubercules, que mes amies seraient un jour. Mais qu’importait ? en ce moment c’était la saison des fleurs.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Les avares ne croient pas Ă  une vie Ă  venir. Le prĂ©sent est tout pour eux. Cette rĂ©flexion jette une horrible clartĂ© sur l'Ă©poque actuelle, oĂč, plus qu'en aucun autre temps, l'argent domine les lois, la politique et les moeurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout comspire Ă  miner la croyance d'une vie future sur laquelle l'Ă©difice social est appuyĂ© depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu redoutĂ©e. L'avenir, qui nous attendait par delĂ  le requiem, a Ă©tĂ© transposĂ© dans le prĂ©sent. Arriver per fas et nefas au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, pĂ©trifier son coeur et se macĂ©rer le corps en vue de possessions passagĂšres, comme on souffrait le martyre de la vie en vue de biens Ă©ternels est la pensĂ© gĂ©nĂ©rale! pensĂ©e d'ailleurs Ă©crite partout, jusque dans les lois....
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goĂ»t, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin Ă  Combray (parce que ce jour-lĂ  je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante LĂ©onie m’offrait aprĂšs l’avoir trempĂ© dans son infusion de thĂ© ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelĂ© avant que je n’y eusse goĂ»tĂ© ; peut-ĂȘtre parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pĂątissiers, leur image avait quittĂ© ces jours de Combray pour se lier Ă  d’autres plus rĂ©cents ; peut-ĂȘtre parce que, de ces souvenirs abandonnĂ©s si longtemps hors de la mĂ©moire, rien ne survivait, tout s’était dĂ©sagrĂ©gĂ© ; les formes — et celle aussi du petit coquillage de pĂątisserie, si grassement sensuel sous son plissage sĂ©vĂšre et dĂ©vot — s’étaient abolies, ou, ensommeillĂ©es, avaient perdu la force d’expansion qui leur eĂ»t permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passĂ© ancien rien ne subsiste, aprĂšs la mort des ĂȘtres, aprĂšs la destruction des choses, seules, plus frĂȘles mais plus vivaces, plus immatĂ©rielles, plus persistantes, plus fidĂšles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des Ăąmes, Ă  se rappeler, Ă  attendre, Ă  espĂ©rer, sur la ruine de tout le reste, Ă  porter sans flĂ©chir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
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Marcel Proust (Swann’s Way (In Search of Lost Time, #1))
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Cest une Ă©trange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit prĂ©sente quoiqu’elle se mette en vue de tous cĂŽtĂ©s et sous mille formes diverses
 et je puis dire que les mortels n’ont pas moins de soin d’ensevelir les pensĂ©es de la mort que d’enterrer les morts mĂȘmes
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Jacques-Bénigne Bossuet
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Il n'y a pas d'expérience de la mort. Au sens propre, n'est expérimenté que ce qui a été vécu et rendu conscient. Ici, c'est tout juste s'il est possible de parler de l'expérience de la mort des autres. C'est un succédané, une vue de l'esprit et nous n'en sommes jamais trÚs convaincus.
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Albert Camus (The Myth of Sisyphus)
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Beaucoup d'hommes distinguĂ©s sont douĂ©s du talent d'observer, sans possĂ©der celui de donner une forme vivante Ă  leur pensĂ©es ; comme d'autres Ă©crivains ont Ă©tĂ© douĂ©s d'un style merveilleux, sans ĂȘtre guidĂ©s par ce gĂ©nie sagace et curieux qui voit et enregistre toute chose. De ces deux dispositions intellectuelles rĂ©sultent, en quelque sorte, une vue et un toucher littĂ©raires. À tel homme, le faire ; Ă  tel autre, la conception ; celui-ci joue avec une lyre sans produire une seule de ces harmonies sublimes qui font pleurer ou penser ; celui-lĂ  compose des poĂšmes pour lui seul, faute d'instrument.
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Honoré de Balzac
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Quand on s’attend au pire, le moins pire a une saveur toute particuliĂšre, que vous dĂ©gusterez avec plaisir, mĂȘme si ce n’est pas le meilleur. *** Ce n'est pas la vie qui est belle, c'est nous qui la voyons belle ou moins belle. Ne cherchez pas Ă  atteindre un bonheur parfait, mais contentez vous des petites choses de la vie, qui, mises bout Ă  bout, permettent de tenir la distance
 Les tout petit riens du quotidien, dont on ne se rend mĂȘme plus compte mais qui font que, selon la façon dont on les vit, le moment peut ĂȘtre plaisant et donne envie de sourire. Nous avons tous nos petits riens Ă  nous. Il faut juste en prendre conscience. *** Le silence a cette vertu de laisser parler le regard, miroir de l’ñme. On entend mieux les profondeurs quand on se tait. *** Au temps des sorciĂšres, les larmes d’homme devaient ĂȘtre trĂšs recherchĂ©es. C’est rare comme la bave de crapaud. Ce qu’elles pouvaient en faire, ça, je ne sais pas. Une potion pour rendre plus gentil ? Plus humain ? Moins avare en Ă©motion ? Ou moins poilu ? *** Quand un silence s’installe, on dit qu’un ange passe
 *** Vide. Je me sens vide et Ă©teinte. J’ai l’impression d’ĂȘtre un peu morte, moi aussi. D’ĂȘtre un champ de bataille. Tout a brĂ»lĂ©, le sol est irrĂ©gulier, avec des trous bĂ©ants, des ruines Ă  perte de vue. Le silence aprĂšs l’horreur. Mais pas le calme aprĂšs la tempĂȘte, quand on se sent apaisĂ©. Moi, j’ai l’impression d’avoir sautĂ© sur une mine, d’avoir explosĂ© en mille morceaux, et de ne mĂȘme pas savoir comment je vais faire pour les rassembler, tous ses morceaux, ni si je les retrouverai tous. *** Accordez-vous le droit de vivre votre chagrin. Il y a un temps pour tout. *** Ce n’est pas d’intuition dont est dotĂ© Romain, mais d’attention. *** ÒȘa fait toujours plaisir un cadeau, surtout de la part des gens qu’on aime.
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AgnĂšs Ledig (Juste avant le bonheur)
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Mais mĂȘme au point de vue des plus insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout matĂ©riellement constituĂ©, identique pour tout le monde et dont chacun n'a qu'Ă  aller prendre connaissance comme d'un cahier des charges ou d'un testament; notre personnalitĂ© sociale est une crĂ©ation de la pensĂ©e des autres. MĂȘme l'acte si simple que nous appelons "voir une personne que nous connaissons" est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l'apparence physique de l'ĂȘtre que nous voyons de toutes les notions que nous avons sur lui, et dans l'aspect total que nous nous reprĂ©sentons, ces notions ont certainement la plus grande part.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann)
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- D'abord, Scout, un petit truc pour que tout se passe mieux entre les autres, quels qu'ils soient, et toi : tu ne comprendras jamais aucune personne tant que tu n'envisageras pas la situation de son point de vue... - Pardon ? - ... tant que tu ne te glisseras pas dans sa peau et que tu n'essaieras pas de te mettre Ă  sa place.
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Harper Lee (Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur)
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Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sĂ©vĂšres. Le paysage se rĂ©vĂšle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La prĂ©sence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquĂȘte qui rend jouissance des choses. Il fait -33°. Le camion s'est fondu Ă  la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Être seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grĂ©sil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'Ă©carte les bras, tends mon visage au vide glacĂ© et rentre au chaud. J'ai atteint le dĂ©barcadĂšre de ma vie. Je vais enfin savoir si j'ai une vie intĂ©rieure.
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Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
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Jetez sur une Ă©toile un rapide coup d'Ɠil, regardez-la obliquement, en tournant vers elle la partie latĂ©rale de la rĂ©tine (beaucoup plus sensible Ă  une lumiĂšre faible que la partie centrale), et vous verrez l'Ă©toile plus distinctement; vous aurez l'apprĂ©ciation la plus juste de son Ă©clat, Ă©clat qui s'obscurcit Ă  proportion que vous dirigez votre vue en plein sur elle. Dans le dernier cas, il tombe sur l'Ɠil un plus grand nombre de rayons; mais dans le premier, il y a une rĂ©ceptibilitĂ© plus complĂšte, une susceptibilitĂ© beaucoup plus vive. Une profondeur outrĂ©e affaiblit la pensĂ©e et la rend perplexe; et il est possible de faire disparaĂźtre VĂ©nus elle-mĂȘme du firmament par une attention trop soutenue, trop concentrĂ©e, trop directe.
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Edgar Allan Poe (Histoires extraordinaires)
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Si un MaghrĂ©bin s’avisait de rĂ©crire l’histoire de France ou d’Angleterre du point de vue des Celtes, en montrant leur nĂ©gativitĂ©, leur non-authenticitĂ©, on lui rirait au nez, et c’est pourtant ce que font Ă  longueur de pages, et sous prĂ©texte d’amitiĂ©, de doctes savants. C'est cela l'"histoire colonisĂ©e": dire sans cesse Ă  certains peuples ce qu'eussent du ĂȘtre leur actes dans le passĂ©.
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Ce supplice que lui infligeait ma grand'tante, le spectacle des vaines priĂšres de ma grand'mĂšre et de sa faiblesse, vaincue d'avance, essayant inutilement d'ĂŽter Ă  mon grand-pĂšre le verre Ă  liqueur, c'Ă©tait de ces choses Ă  la vue desquelles on s'habitue plus tard jusqu'Ă  les considĂ©rer en riant et Ă  prendre le parti du persĂ©cuteur assez rĂ©solument et gaiement pour se persuader Ă  soi-mĂȘme qu'il ne s'agit pas de persĂ©cution; elles me causaient alors une telle horreur que j'aurais aimĂ© battre ma grand'tante. Mais dĂšs que j'entendais: "Bathilde, viens donc empĂȘcher ton mari de boire du cognac!" dĂ©jĂ  homme par la lĂąchetĂ©, je faisais ce que nous faisons tous, une fois que nous sommes grands, quand il y a devant nous des souffrances et des injustices: je ne voulais pas les voir; (
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Marcel Proust
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J'ajoute : c'est à ce moment-là qu'on s'est perdus de vue, lui et moi. J'articule ces derniers mots sans y mettre le moindre affect, comme si la vie, c'était ça, simplement ça, se fréquenter et se perdre de vue et continuer à vivre, comme s'il n'y avait pas des déchirements, des séparations qui laissent exsangues, des ruptures dont on peine à se remettre, des regrets qui vous poursuivent longtemps aprÚs.
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Philippe Besson (« ArrĂȘte avec tes mensonges »)
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Je marche à travers le sable, il s'étend à perte de vue. Et je sais - mais comment ? - que cette dune est mon frÚre. Je n'arriverai jamais au bout de mon frÚre, il est là, à perte de vue. Quand je le prends dans ma main, il me file entre les doigts, et le vent le disperse, mes pieds s'enfoncent dans mon frÚre, je peine à avancer. Je n'ai pas de prise, je voudrais voir le bout de mon frÚre, mais je ne vois rien.
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Alexandre Seurat (L'administrateur provisoire)
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VoilĂ  bien la famille : mĂȘme celui qui n'a pas sa place dans le monde, qui n'est ni cĂ©lĂšbre ni riche, Ă  qui il n'est venu ni enfants ni idĂ©es, et dont le public ne lira le nom que dans sa notice nĂ©crologique, celui-lĂ , en famille, a pourtant sa place attitrĂ©e. En famille, on est quelqu'un. Vous n'imaginez pas comme Caroline imite bien Chaplin, ni comme Rudi est irritable. Et quel sens de l'humour, dans toute la famille ! Ce qui, partout ailleurs, n'aurait rien d'humoristique dĂ©clenche ici des rires retentissants, on ne saurait dire pourquoi ; c'est drĂŽle, voilĂ  tout, n'est-ce pas l'essentiel en matiĂšre d'humour ? Et puis, tous ceux qui ne sont pas de la famille sont bien plus ridicules qu'ils ne s'en doutent. Dieu les a vouĂ©s Ă  la caricature ; si vous ĂȘtes seul au monde, sans attaches, vous pouvez ĂȘtre sĂ»r d'ĂȘtre le summum du ridicule pour les diverses familles qui vous observent. Il est vrai que ces qualitĂ©s, comme tout, peuvent ĂȘtre vues sous leur angle nĂ©gatif : la famille a l'esprit plus petit qu'une petite ville. Plus elle est chaleureuse, plus elle se montre dure pour tout ce qui n'est est pas elle, et elle est toujours plus cruelle qu'un ĂȘtre confrontĂ© seul Ă  la souffrance du monde. En cantonnant la gloire dans son cercle restreint, oĂč elle est faceil Ă  atteindre (« gloire de la famille »), elle endort l'ambition. Et parce que tous les Ă©vĂ©nements familiaux suscitent une tristesse plus profonde ou une joie plus Ă©clatante qu'ils ne le mĂ©ritent rĂ©ellement, parce qu'en famille ce qui n'a rien d'humoristique devient de l'humour, et des peines insignifiantes Ă  l'Ă©chelle collective, un malheur personnel, elle est le berceau de toute l'ineptie qui imprĂšgne notre vie publique. Il y aurait encore long Ă  en dire et on l'a dit parfois, mais jamais en des jours comme celui-ci.
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Robert Musil (La maison enchantée)
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Qui n'a pas un jour, au nom d'une légitime aversion pour le gaspillage, contraint son enfant à terminer son assiette quand le malheureux se sentait déjà au bord de l'indigestion ? Ce faisant, nous ne comprenons pas que le gaspillage s'est déjà irrémédiablement produit quand nous avons préparé un dßner trop copieux par rapport à ce qui était nécessaire pour procurer la satisfaction recherchée. Nous perdons de vue qu'il s'agit de nourrir correctement notre enfant et non de le gaver. Nous ajoutons à l'erreur initiale d'évaluation une erreur de diététique et d'éducation qui finira par accoutumer l'organisme de notre chérubin à des quantités excessives de nourriture, réduira ainsi son espérance de vie, perturbera éventuellement son entendement en lui inculquant la conviction que les gens se réunissent autour d'une table pour s'infliger des violences ou, au contraire, ce qui n'est guÚre préférable, qu'aimer les autres consiste plus à les remplir qu'à les écouter.
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Jacques Généreux (Les Vraies Lois de l'économie)
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Arriver per fas et nefas au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, pétrifier son cƓur et se macérer le corps en vue de possessions passagères, comme on souffrait jadis le martyre de la vie en vue de biens éternels, est la pensée générale ! pensée d’ailleurs écrite par- tout, jusque dans les lois, qui demandent au législateur : Que payes-tu ? au lieu de lui dire : Que penses-tu ? Quand cette doctrine aura passé de la bourgeoisie au peuple, que deviendra le pays ?
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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Je suis extrĂȘmement Ă©mu. Pour faire diversion je demande oĂč elle dĂźne. Et soudain cette lĂ©gĂšretĂ© que je n’ai vue qu’à elle, cette libertĂ© peut-ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment : "OĂč (le doigt tendu :) mais lĂ , oĂč lĂ  (les deux restaurants les plus proches), oĂč je suis, voyons. C’est toujours ainsi. " Sur le point de m’en aller, je veux lui poser une question qui rĂ©sume toutes les autres, une question qu’il n’y a que moi pour poser, sans doute : "Qui ĂȘtes-vous ? " Et elle, sans hĂ©siter : "Je suis l’ñme errante.
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André Breton (Nadja)
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De toutes les superstitions prĂȘchĂ©es par ceux-lĂ  mĂȘmes qui font profession de dĂ©clamer Ă  tout propos contre la « superstition », celle de la « science » et de la « raison » est la seule qui ne semble pas, Ă  premiĂšre vue, reposer sur une base sentimentale ; mais il y a parfois un rationalisme qui n’est que du sentimentalisme dĂ©guisĂ©, comme ne le prouve que trop la passion qu’y apportent ses partisans, la haine dont ils tĂ©moignent contre tout ce qui contrarie leurs tendances ou dĂ©passe leur comprĂ©hension.
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René Guénon (East and West)
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Patrice a vingt-quatre ans et, la premiĂšre fois que je l’ai vu, il Ă©tait dans son fauteuil inclinĂ© trĂšs en arriĂšre. Il a eu un accident vasculaire cĂ©rĂ©bral. Physiquement, il est incapable du moindre mouvement, des pieds jusqu’à la racine des cheveux. Comme on le dit souvent d’une maniĂšre trĂšs laide, il a l’aspect d’un lĂ©gume : bouche de travers, regard fixe. Tu peux lui parler, le toucher, il reste immobile, sans rĂ©action, comme s’il Ă©tait complĂštement coupĂ© du monde. On appelle ça le locked in syndrome.Quand tu le vois comme ça, tu ne peux qu’imaginer que l’ensemble de son cerveau est dans le mĂȘme Ă©tat. Pourtant il entend, voit et comprend parfaitement tout ce qui se passe autour de lui. On le sait, car il est capable de communiquer Ă  l’aide du seul muscle qui fonctionne encore chez lui : le muscle de la paupiĂšre. Il peut cligner de l’Ɠil. Pour l’aider Ă  s’exprimer, son interlocuteur lui propose oralement des lettres de l’alphabet et, quand la bonne lettre est prononcĂ©e, Patrice cligne de l’Ɠil.  Lorsque j’étais en rĂ©animation, que j’étais complĂštement paralysĂ© et que j’avais des tuyaux plein la bouche, je procĂ©dais de la mĂȘme maniĂšre avec mes proches pour pouvoir communiquer. Nous n’étions pas trĂšs au point et il nous fallait parfois un bon quart d’heure pour dicter trois pauvres mots. Au fil des mois, Patrice et son entourage ont perfectionnĂ© la technique. Une fois, il m’est arrivĂ© d’assister Ă  une discussion entre Patrice et sa mĂšre. C’est trĂšs impressionnant.La mĂšre demande d’abord : « Consonne ? » Patrice acquiesce d’un clignement de paupiĂšre. Elle lui propose diffĂ©rentes consonnes, pas forcĂ©ment dans l’ordre alphabĂ©tique, mais dans l’ordre des consonnes les plus utilisĂ©es. DĂšs qu’elle cite la lettre que veut Patrice, il cligne de l’Ɠil. La mĂšre poursuit avec une voyelle et ainsi de suite. Souvent, au bout de deux ou trois lettres trouvĂ©es, elle anticipe le mot pour gagner du temps. Elle se trompe rarement. Cinq ou six mots sont ainsi trouvĂ©s chaque minute.  C’est avec cette technique que Patrice a Ă©crit un texte, une sorte de longue lettre Ă  tous ceux qui sont amenĂ©s Ă  le croiser. J’ai eu la chance de lire ce texte oĂč il raconte ce qui lui est arrivĂ© et comment il se sent. À cette lecture, j’ai pris une Ă©norme gifle. C’est un texte brillant, Ă©crit dans un français subtil, lĂ©ger malgrĂ© la tragĂ©die du sujet, rempli d’humour et d’autodĂ©rision par rapport Ă  l’état de son auteur. Il explique qu’il y a de la vie autour de lui, mais qu’il y en a aussi en lui. C’est juste la jonction entre les deux mondes qui est un peu compliquĂ©e.Jamais je n’aurais imaginĂ© que ce texte si puissant ait Ă©tĂ© Ă©crit par ce garçon immobile, au regard entiĂšrement vide.  Avec l’expĂ©rience acquise ces derniers mois, je pensais ĂȘtre capable de diagnostiquer l’état des uns et des autres seulement en les croisant ; j’ai reçu une belle leçon grĂące Ă  Patrice.Une leçon de courage d’abord, Ă©tant donnĂ© la vitalitĂ© des propos que j’ai lus dans sa lettre, et, aussi, une leçon sur mes a priori. Plus jamais dorĂ©navant je ne jugerai une personne handicapĂ©e Ă  la vue seule de son physique. C’est jamais inintĂ©ressant de prendre une bonne claque sur ses propres idĂ©es reçues .
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Grand corps malade (Patients)
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Engourdissement, peut ĂȘtre diminution. La vue baisse ; l'oreille durcit ; aussi bien portent-elles moins loin des dĂ©sirs sans doute plus faibles. L'important, c'est que cette Ă©quation se maintienne entre l'impulsion de l'Ăąme et l'obĂ©issance du corps. PuissĂ©-je, mĂȘme alors et vieillissant, maintenir en moi l'harmonie. Je n'aime point l'orgueilleux raidissement du stoĂŻque ; mais l'horreur de la mort, de la vieillesse et de tout ce qui ne se peut Ă©viter, me semble impie. Je voudrais rendre Ă  Dieu quoi qu'il m'advienne, une Ăąme reconnaissante et ravie.
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André Gide (Travels in the Congo)
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Il est possible qu'Ă  des Ă©poques antĂ©rieures, oĂč les ours Ă©taient nombreux, la virilitĂ© ait pu jouer un rĂŽle spĂ©cifique et irremplaçable; mais depuis quelques siĂšcles, les hommes ne servaient visiblement Ă  peu prĂšs plus Ă  rien. Ils trompaient parfois leur ennui en faisant des parties de tennis, ce qui Ă©taient un moindre mal; mais parfois aussi ils estimaient utile de faire avancer l'histoire, c'est-Ă -dire essentiellement de provoquer des rĂ©volutions et des guerres. Outre les souffrances absurdes qu'elles provoquaient, les rĂ©volutions et les guerres dĂ©truisaient le meilleurs du passĂ©, obligeant Ă  chaque fois Ă  faire table rase pour rebĂątir. Non inscrite dans le cours rĂ©gulier d'une ascension progressive, l'Ă©volution humaine acquĂ©rait ainsi un tour chaotique, dĂ©structurĂ©, irrĂ©gulier et violent. Tout cela les hommes (avec leur goĂ»t du risque et du jeu, leur vanitĂ© grotesque, leur irresponsabilitĂ©, leur violence fonciĂšre) en Ă©taient directement et exclusivement responsables. Un monde composĂ© de femmes serait Ă  tous points de vue infiniment supĂ©rieur; il Ă©voluerait plus lentement, mais avec rĂ©gularitĂ©, sans retours en arriĂȘre et sans remises en cause nĂ©fastes, vers un Ă©tat de bonheur commun.
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Michel Houellebecq
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En ce qui me concerne, je suis vĂ©gĂ©tarienne Ă  quatre-vingt-quinze pour cent. L'exception principale serait le poisson, que je mange peut-ĂȘtre deux fois par semaine pour varier un peu mon rĂ©gime et en n'ignorant pas, d'ailleurs, que dans la mer telle que nous l'avons faite le poisson est lui aussi contaminĂ©. Mais je n'oublie surtout pas l'agonie du poisson tirĂ© par la ligne ou tressautant sur le pont d'une barque. Tout comme ZĂ©non, il me dĂ©plaĂźt de "digĂ©rer des agonies". En tout cas, le moins de volaille possible, et presque uniquement les jours oĂč l'on offre un repas Ă  quelqu'un ; pas de veau, pas d'agneau, pas de porc, sauf en de rares occasions un sandwich au jambon mangĂ© au bord d'une route ; et naturellement pas de gibier, ni de bƓuf, bien entendu. - Pourquoi, bien entendu ? - Parce que j'ai un profond sentiment d'attachement et de respect pour l'animal dont la femelle nous donne le lait et reprĂ©sente la fertilitĂ© de la terre. Curieusement, dĂšs ma petite enfance, j'ai refusĂ© de manger de la viande et on a eu la grande sagesse de ne pas m'obliger Ă  le faire. Plus tard, vers la quinziĂšme annĂ©e, Ă  l'Ăąge oĂč l'on veut "ĂȘtre comme tout le monde", j'ai changĂ© d'avis ; puis, vers quarante ans, je suis revenue Ă  mon point de vue de la sixiĂšme annĂ©e.(p. 288)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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N'en dĂ©plaise aux bĂȘtifications des nouveaux adultes occidentaux, n'en dĂ©plaise Ă  cette nouvelle religion - la seule, au fond, qui tienne et fasse mĂȘme l'unanimitĂ© - selon laquelle l'enfance, en tant que telle, serait pure, sainte, source de vĂ©ritĂ©, de beautĂ©, de morale, on peut ĂȘtre un enfant et ĂȘtre un monstre. Alors, d'accord pour la cause des enfants suppliciĂ©s. D'accord pour, Ă  l'Onu et ailleurs, lancer des actions en vue de tirer le maximum d'enfants de cet enfer que sont les guerres. Mais pas d'accord pour alimenter Ă  travers ces actions le vieux prĂ©jugĂ© de l'enfance innocente et sacrĂ©s. (ch. 19 La nuit des enfants-soldats
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Bernard-Henri Lévy (War, Evil, and the End of History)
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La civilisation occidentale s'est entiĂšrement tournĂ©e, depuis deux ou trois siĂšcles, vers la mise Ă  la disposition de l'homme de moyens mĂ©caniques de plus en plus puissants. Si l'on adopte ce critĂšre, on fera de la quantitĂ© d'Ă©nergie disponible par tĂȘte d'habitant l'expression du plus ou moins haut degrĂ© de dĂ©veloppement des sociĂ©tĂ©s humaines. La civilisation occidentale, sous sa forme nord-amĂ©ricaine, occupera la place de tĂȘte, les sociĂ©tĂ©s europĂ©ennes venant ensuite, avec, Ă  la traĂźne, une masse de sociĂ©tĂ©s asiatiques et africaines qui deviendront vite indistinctes. Or ces centaines ou mĂȘme ces milliers de sociĂ©tĂ©s qu'on appelle "insuffisamment dĂ©veloppĂ©es" et "primitives", qui se fondent dans un ensemble confus quand on les envisage sous le rapport que nous venons de citer (et qui n'est guĂšre propre Ă  les qualifier, puisque cette ligne de dĂ©veloppement leur manque ou occupe chez elles une place trĂšs secondaire), elles se placent aux antipodes les unes des autres ; selon le point de vue choisi, on aboutirait donc Ă  des classements diffĂ©rents. Si le critĂšre retenu avait Ă©tĂ© le degrĂ© d'aptitude Ă  triompher des milieux gĂ©ographiques les plus hostiles, il n'y a guĂšre de doute que les Eskimos d'une part, les BĂ©douins de l'autre, emporteraient la palme. (p.36)
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Claude Lévi-Strauss (Race et histoire)
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Il la regarde. Les yeux fermĂ©s il la regarde encore. Il respire son visage. Il respire l'enfant, les yeux fermĂ©s il respire sa respiration, cet air chaud qui ressort d'elle. Il discerne de moins en moins clairement les limites de ce corps, celui-ci n'est pas comme les autres, il n'est pas fini, dans la chambre il grandit encore, il est encore sans formes arrĂȘtĂ©es, Ă  tout instant en train de se faire, il n'est pas seulement lĂ  oĂč il le voit, il est ailleurs aussi, il s'Ă©tend au-delĂ  de la vue, vers le jeu, la mort, il est souple, il part tout entier dans la jouissance comme s'il Ă©tait grand, en Ăąge, il est sans malice, d'une intelligence effrayante.
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Marguerite Duras (L'Amant)
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Ce qui importe avant tout, c'est que le sens gouverne le choix des mots, et non l'inverse. En matiĂšre de prose, la pire des choses que l'on puisse faire avec les mots est de s'abandonner Ă  eux. Quand vous pensez Ă  un objet concret, vous n'avez pas besoin de mots, et si vous voulez dĂ©crire ce que vous venez de visualiser, vous vous mettrez sans doute alors en quĂȘte des termes qui vous paraĂźtront les plus adĂ©quats. Quand vous pensez Ă  une notion abstraite, vous ĂȘtes plus enclin Ă  recourir d'emblĂ©e aux mots, si bien qu'Ă  moins d'un effort conscient pour Ă©viter ce travers, le jargon existant s'impose Ă  vous et fait le travail Ă  votre place, au risque de brouiller ou mĂȘme d'altĂ©rer le sens de votre rĂ©flexion. Sans doute vaut-il mieux s'abstenir, dans la mesure du possible, de recourir aux termes abstraits et et essayer de s'exprimer clairement par le biais de l'image ou de la sensation. On pourra ensuite choisir - et non pas simplement "accepter" - les formulations qui serreront au plus prĂšs la pensĂ©e, puis changer de point de vue et voir quelle impression elles pourraient produire sur d'autres personnes. Ce dernier effort mental Ă©limine toutes les images rebattues ou incohĂ©rentes, toutes les expressions prĂ©fabriquĂ©es, les rĂ©pĂ©titions inutiles et, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le flou et la poudre aux yeux. Extrait de "La politique et la langue anglaise
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George Orwell (Such, Such Were the Joys)
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Minna Bernays was determined to make Sigmund Freud the embodiment of everything she cared for and all she hoped to be. She vowed to enrich her life through him; gain insight and knowledge by him; imitate him as much as she possibly could; even steal from him, if need be. She would merge her body and blood, her hopes and emotions, with his. They would share souls, become one--indelibly, irrevocably--forever more. But the relationship would be anything but simple, anything but easy. He was all she ever wanted and everything she ever feared. His absence threw her into torment and distress. But just as frightening--sometimes his presence did the same. --excerpt from BELLE VUE
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Barry G. Gale
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Voisine Je peux rester des aprĂšs-midi entiers Ă  regarder cette fille, cachĂ© derriĂšre mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut Ă©crire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenĂȘtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle Ă©coute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frĂšres et sƓurs, si elle met la radio quand elle se lĂšve le matin, si elle prĂ©fĂšre l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de prĂšs. Je me demande si elle s'Ă©pile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goĂ»t. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pĂ©trole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda ? Je me demande Ă  quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapĂ©, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pĂšse d'ĂȘtre seule ? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie ? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui ? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle ? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne Ă  sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle ? Si ça se trouve, elle n'a aucun intĂ©rĂȘt, cette fille.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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L'isolement Souvent sur la montagne, Ă  l'ombre du vieux chĂȘne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promĂšne au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se dĂ©roule Ă  mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues Ă©cumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; LĂ  le lac immobile Ă©tend ses eaux dormantes OĂč l'Ă©toile du soir se lĂšve dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnĂ©s de bois sombres, Le crĂ©puscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit dĂ©jĂ  les bords de l'horizon. Cependant, s'Ă©lançant de la flĂšche gothique, Un son religieux se rĂ©pand dans les airs : Le voyageur s'arrĂȘte, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mĂȘle de saints concerts. Mais Ă  ces doux tableaux mon Ăąme indiffĂ©rente N'Ă©prouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante Le soleil des vivants n'Ă©chauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud Ă  l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense Ă©tendue, Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. " Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumiĂšres, Vains objets dont pour moi le charme est envolĂ© ? Fleuves, rochers, forĂȘts, solitudes si chĂšres, Un seul ĂȘtre vous manque, et tout est dĂ©peuplĂ© ! Que le tour du soleil ou commence ou s'achĂšve, D'un oeil indiffĂ©rent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lĂšve, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriĂšre, Mes yeux verraient partout le vide et les dĂ©serts : Je ne dĂ©sire rien de tout ce qu'il Ă©claire; Je ne demande rien Ă  l'immense univers. Mais peut-ĂȘtre au-delĂ  des bornes de sa sphĂšre, Lieux oĂč le vrai soleil Ă©claire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dĂ©pouille Ă  la terre, Ce que j'ai tant rĂȘvĂ© paraĂźtrait Ă  mes yeux ! LĂ , je m'enivrerais Ă  la source oĂč j'aspire ; LĂ , je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idĂ©al que toute Ăąme dĂ©sire, Et qui n'a pas de nom au terrestre sĂ©jour ! Que ne puĂźs-je, portĂ© sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'Ă©lancer jusqu'Ă  toi ! Sur la terre d'exil pourquoi restĂ©-je encore ? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand lĂ  feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'Ă©lĂšve et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable Ă  la feuille flĂ©trie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesniĆĄtva)
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prochainement. – Je crois, au contraire, qu’elle est tout au plus Ă  son aurore. On a pris le contre-pied de la prĂ©cĂ©dente. Mais rien de plus. (Du temps de La Harpe, on Ă©tait grammairien. – Du temps de Sainte-Beuve et de Taine, on est historien.) Quand sera-t-on artiste, rien qu’artiste, mais bien artiste ? OĂč connaissez-vous une critique qui s’inquiĂšte de l’Ɠuvre en soi, d’une façon in- – 22 – tense ? On analyse trĂšs finement le milieu oĂč elle s’est produite et les causes qui l’ont amenĂ©e. – Mais la poĂ©tique ins-ciente, d’oĂč elle rĂ©sulte ? Sa composition, son style ? le point de vue de l’auteur ? Jamais ! Il faudrait pour cette critique-lĂ  une grande imagination et une grande bontĂ©, je veux dire une facultĂ© d’enthousiasme toujours prĂȘte. – Et puis du goĂ»t, qualitĂ© rare, mĂȘme dans les meilleurs, si bien qu’on n’en parle plus, du tout !
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Gustave Flaubert (GUSTAVE FLAUBERT Correspondance: Tome 4 -1869-1875 (French Edition))
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Mon temps autrefois m'appartenait entiÚrement, et aux livres. Aujourd'hui, chaque minute consacrée à lire ou à écrire est une minute que je ne passe pas avec ma fille; l'écriture s'accompagne désormais d'une hùte et d'une culpabilité détestables. C'est du temps que je lui dérobe, que je ne retrouverai pas, que j'aurais dû lui consacrer et que je n'aurai jamais passé avec elle. Depuis sa naissance, je me prends à penser au futur antérieur et au conditionnel passé, des temps compliqués qui sont le signe qu'on considÚre les choses sous un point de vue autre que celui depuis lequel on parle normalement : demain vu au passé, hier comme une possibilité. Elle dort. Je devrais profiter de ce moment pour écrire, je n'arrive qu'à m'abßmer dans le bruit des vagues. Je voudrais m'étendre sur le sable, rester là jusqu'à la nuit, me laisser emporter par la marée.
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Dominique Fortier
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L'hĂ©ritage de la civilisation grecque n'aura Ă©tĂ© transmis Ă  l'Europe occidentale que par l'intermĂ©diaire des Arabes, traducteurs et continuateurs. En mĂ©decine, en astronomie, en chimie, en gĂ©ographie, en mathĂ©matiques, en architecture, les Franj ont tirĂ© leurs connaissances des livres arabes qu'ils ont assimilĂ©s, imitĂ©s, puis dĂ©passĂ©s. Que de mots en portent encore le tĂ©moignage : zĂ©nith, nadir, azimut, algĂšbre, algorithme, ou plus simplement “chiffre”.
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Amin Maalouf (Les croisades vues par les Arabes)
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les hommes doivent ĂȘtre dressĂ©s en vue des besoins de notre temps, afin qu'ils soient en mesure de mettre la main Ă  la pĂąte ; qu'ils doivent travailler Ă  la grande usine des "utilitĂ©s" communes avant d'ĂȘtre mĂ»rs, et mĂȘme afin qu'ils ne deviennent jamais mĂ»rs, — car ce serait lĂ  un luxe qui soustrairait au "marchĂ© du travail" une quantitĂ© de force. On aveugle certains oiseaux pour qu'ils chantent mieux : je ne crois pas que les hommes d'aujourd'hui chantent mieux que leurs grands-parents, mais ce que je sais, c'est qu'on les aveugle tout jeunes. Et le moyen, le moyen scĂ©lĂ©rat qu'on emploie pour les aveugler, c'est une lumiĂšre trop intense, trop soudaine et trop variable. Le jeune homme est promenĂ©, Ă  grands coups de fouet, Ă  travers les siĂšcles : des adolescents qui n'entendent rien Ă  la guerre, aux nĂ©gociations diplomatiques, Ă  la politique commerciale, sont jugĂ©s dignes d'ĂȘtre initiĂ©s Ă  l'Histoire politique. DeuxiĂšme ConsidĂ©ration intempestive, ch. 7
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Friedrich Nietzsche
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En chinois, le mot n'a presque jamais de sens absolument dĂ©fini et limitĂ© ; le sens rĂ©sulte trĂšs gĂ©nĂ©ralement de la position dans la phrase, mais avant tout de son emploi dans tel ou tel livre plus ancien et de l'interprĂ©tation admise dans ce cas. Ici, point de « racines » au-delĂ  desquelles on n'atteint plus et qui justifient le sens des dĂ©rivĂ©s dans les divers idiomes ou dialectes d'une mĂȘme famille ; le mot n'a de valeur que par ses acceptions traditionnelles. On n'a pas, Ă  ma connaissance, tirĂ© tout le parti possible de cette particularitĂ© de la langue chinoise, au point de vue de l'Ă©tude et de la recherche de la nature rĂ©elle du langage humain. Le mot chinois nous apparaĂźt «comme si», expression naturelle et spontanĂ©e d'une pensĂ©e abstraite Ă©trangĂšre aux circonstances et aux conditions de la vie animale de l'homme, celui-ci, saisissant dans cette pensĂ©e un rapport avec les circonstances et les conditions de sa vie, avait empruntĂ© le son de cette expression pour crĂ©er sa parole raisonnĂ©e.
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Paul-Louis-Félix Philastre (Le Yi king)
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Les avares ne croient point a une vie a venir, le present est tout pour eux. Cette reflexion jette une horrible clarte sur l'epoque actuelle, ou, plus qu'en aucun autre temps, l'argent domine les lois, la politique et les moeurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire a miner la croyance d'une vie future sur laquelle l'edifice social est appuye depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu redoutee. L'avenir, qui nous attendait par dela le requiem, a ete transpose dans le present. Arriver _per fas et nefas_ au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, petrifier son coeur et se macerer le corps en vue de possessions passageres, comme on souffrait jadis le martyre de la vie en vue de biens eternels, est la pensee generale! pensee d'ailleurs ecrite partout, jusque dans les lois, qui demandent au legislateur: Que payes-tu? au lieu de lui dire: Que penses-tu? Quand cette doctrine aura passe de la bourgeoisie au peuple, que deviendra le pays?
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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Les avares ne croient point Ă  une vie Ă  venir, le prĂ©sent est tout pour eux. Cette rĂ©flexion jette une horrible clartĂ© sur l’époque actuelle, oĂč, plus qu’en aucun autre temps, l’argent domine les lois, la politique et les mƓurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire Ă  miner la croyance d’une vie future sur laquelle l’édifice social est appuyĂ© depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu redoutĂ©e. L’avenir, qui nous attendait par delĂ  le requiem, a Ă©tĂ© transposĂ© dans le prĂ©sent. Arriver per fas et nefas au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, pĂ©trifier son cƓur et se macĂ©rer le corps en vue de possessions passagĂšres, comme on souffrait jadis le martyre de la vie en vue de biens Ă©ternels, est la pensĂ©e gĂ©nĂ©rale ! pensĂ©e d’ailleurs Ă©crite partout, jusque dans les lois, qui demandent au lĂ©gislateur : «Que payes-tu?» au lieu de lui dire : «Que penses-tu?» Quand cette doctrine aura passĂ© de la bourgeoisie au peuple, que deviendra le pays?
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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Sous ce rapport aussi, la mĂȘme chose se produit dans l’ordre scientifique : c’est la recherche pour la recherche, beaucoup plus encore que pour les rĂ©sultats partiels et fragmentaires auxquels elle aboutit ; c’est la succession de plus en plus rapide de thĂ©ories et d’hypothĂšses sans fondement, qui, Ă  peine Ă©difiĂ©es, s’écroulent pour ĂȘtre remplacĂ©es par d’autres qui dureront moins encore, vĂ©ritable chaos au milieu duquel il serait vain de chercher quelques Ă©lĂ©ments dĂ©finitivement acquis, si ce n’est une monstrueuse accumulation de faits et de dĂ©tails qui ne peuvent rien prouver ni rien signifier. Nous parlons ici, bien entendu, de ce qui concerne le point de vue spĂ©culatif, dans la mesure oĂč il subsiste encore ; pour ce qui est des applications pratiques, il y a au contraire des rĂ©sultats incontestables, et cela se comprend sans peine, puisque ces applications se rapportent immĂ©diatement au domaine matĂ©riel, et que ce domaine est prĂ©cisĂ©ment le seul oĂč l’homme moderne puisse se vanter d’une rĂ©elle supĂ©rioritĂ©.
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René Guénon (The Crisis of the Modern World)
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Quelle est la premiĂšre chose que je faisais quand, retour d'une plongĂ©e dans la gĂ©henne du Bengla-Desh, je rentrais souffler un peu, dans l'autre Bengale, Ă  Calcutta ? Je fonçais au siĂšge du Times of India pour voir, dans les Ă©ditions du journal que j'avais manquĂ©es, les cartes indiquant les mouvements de troupe, donc le sens de la bataille que j'avais vĂ©cue de l'intĂ©rieur et Ă  laquelle j'avais l'impression de n'avoir, du coup, rien compris.(...) Stendhal a raison. le point de vue de Fabrice est un point de vue partiel, en effet. Obtus. Inintelligent. Mais voilĂ . C'est le seul. Il n'y en a pas d'autre. Il n'y a rien de plus Ă  voir dans la rĂ©alitĂ© des guerres que cet enfer absurde oĂč l'on se demande en permanence oĂč l'on est, oĂč l'on va, d'oĂč viennent les obus, qui les tire et ce que sont devenues les belles vertus hĂ©roĂŻques chantĂ©es par la littĂ©rature de guerre. Fabrice n'a peut-ĂȘtre rien compris. Mais c'est tout ce qu'il y avait Ă  comprendre. C'est l'essence mĂȘme de la guerre que de donner ce sentiment d'incomprĂ©hensible chaos, d'absurditĂ©, de juxtaposition de points de vue idiots, aveugles, fermĂ©s les uns sur les autres. (ch. 43 Le thĂ©orĂšme de Stendhal)
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Bernard-Henri Lévy (War, Evil, and the End of History)
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Mais maintenant je dirai tout, afin que tu saches qui tu quittes, de quel homme tu te sĂ©pares. Sais-tu comment d’abord je t’ai comprise ? La passion m’a saisi comme le feu, elle s’est infiltrĂ©e dans mon sang comme le poison et a troublĂ© toutes mes pensĂ©es, tous mes sentiments. J’étais enivrĂ©. J’étais comme Ă©tourdi, et Ă  ton amour pur, misĂ©ricordieux, j’ai rĂ©pondu non d’égal Ă  Ă©gal, non comme si j’étais digne de ton amour, mais sans comprendre ni sentir. Je ne t’ai pas comprise. Je t’ai rĂ©pondu comme Ă  la femme qui, Ă  mon point de vue, s’oubliait jusqu’à moi et non comme Ă  celle qui voulait m’élever jusqu’à elle. « Sais-tu de quoi je t’ai soupçonnĂ©e, ce que signifiait, s’oublier jusqu’à moi » ? Mais non, je ne t’offenserai pas par mon aveu. Je te dirai seulement que tu t’es profondĂ©ment trompĂ©e sur moi ! Jamais jamais, je n’aurais pu m’élever jusqu’à toi. Je ne pouvais que te contempler dans ton amour illimitĂ©, une fois que je t’eus comprise. Mais cela n’efface pas ma faute. Ma passion rehaussĂ©e par toi n’était pas l’amour. L’amour, je ne le craignais pas. Je n’osais pas t’aimer. Dans l’amour il y a rĂ©ciprocitĂ©, Ă©galité ; et j’en Ă©tais indigne. Je ne savais pas ce qui Ă©tait en moi !
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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« Norbert de Varenne parlait d’une voix claire, mais retenue, qui aurait sonnĂ© dans le silence de la nuit s’il l’avait laissĂ©e s’échapper. Il semblait surexcitĂ© et triste, d’une de ces tristesses qui tombent parfois sur les Ăąmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelĂ©e. Il reprit : « Qu’importe, d’ailleurs, un peu plus ou un peu moins de gĂ©nie, puisque tout doit finir ! » Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cƓur gai, ce soir-lĂ , dit, en souriant : « Vous avez du noir, aujourd’hui, cher maĂźtre. » Le poĂšte rĂ©pondit. « J’en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques annĂ©es. La vie est une cĂŽte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre Ăąge, on est joyeux. On espĂšre tant de choses, qui n’arrivent jamais d’ailleurs. Au mien, on n’attend plus rien... que la mort. » Duroy se mit Ă  rire : « Bigre, vous me donnez froid dans le dos. » Norbert de Varenne reprit : « Non, vous ne me comprenez pas aujourd’hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. » « Il arrive un jour, voyez- vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, oĂč c’est fini de rire, comme on dit, parce que derriĂšre tout ce qu’on regarde, c’est la mort qu’on aperçoit. » « Oh ! vous ne comprenez mĂȘme pas ce mot-lĂ , vous, la mort. À votre Ăąge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. » « Oui, on le comprend tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi ni Ă  propos de quoi, et alors tout change d’aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bĂȘte rongeuse. Je l’ai sentie peu Ă  peu, mois par mois, heure par heure, me dĂ©grader ainsi qu’une maison qui s’écroule. Elle m’a dĂ©figurĂ© si complĂštement que je ne me reconnais pas. Je n’ai plus rien de moi, de moi l’homme radieux, frais et fort que j’étais Ă  trente ans. Je l’ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et mĂ©chante ! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une Ăąme dĂ©sespĂ©rĂ©e qu’elle enlĂšvera bientĂŽt aussi. » « Oui, elle m’a Ă©miettĂ©, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon ĂȘtre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hĂąte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rĂȘver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir ! » » (de « Bel-Ami » par Guy de Maupassant)
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Guy de Maupassant
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Cher Monsieur Waters, Je reçois votre courrier Ă©lectronique en date du 14 avril dernier et suis comme il se doit impressionnĂ© par la complexitĂ© shakespearienne de votre drame. Chaque personnage dans votre histoire a une harmatia en bĂ©ton. La sienne : ĂȘtre trop malade. La vĂŽtre : ĂȘtre trop bien portant. FĂ»t-ce le contraire, vos Ă©toiles n'auraient pas Ă©tĂ© aussi contrariĂ©es, mais c'est dans la natures des Ă©toiles d'ĂȘtre contrariĂ©es. A ce propos, Shakespeare ne s'est jamais autant trompĂ© qu'en mettant ces mots dans la bouche de Cassius : « La faute, cher Brutus, n'en est pas Ă  nos Ă©toiles ; elle en est Ă  nous-mĂȘmes. » Facile Ă  dire lorsqu'on est un noble romain (ou Shakespeare!), mais nos Ă©toiles ne sont jamais Ă  court de tort. Puisque nous en sommes au chapitre des dĂ©faillances de ce cher vieux William, ce que vous me dites de la jeune Hazel me rappelle le sonnet 55, qui commence, bien entendu ainsi : « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d'Ă©clat dans ces mesures que sous la dalle non balayĂ©e que le temps barbouille de sa lie. (Hors sujet, mais : quel cochon, ce temps ! Il bousille tout le monde.) Un bien joli poĂšme, mais trompeur : nul doute que la rime puissante de Shakespeare nous reste en mĂ©moire, mais que nous rappelons-nous de l'homme qu'il cĂ©lĂšbre ? Rien. Nous sommes certains qu'il Ă©tait de sexe masculin, le reste n'est qu'une hypothĂšse. Shakespeare nous raconte des clopinettes sur l'homme qu'il a enseveli Ă  l'intĂ©rieur de son sarcophage linguistique. (Remarquez que, lorsque nous parlons littĂ©rature, nous utilisons le prĂ©sent. Quand nous parlons d'un mort, nous ne sommes pas aussi gentils.) On ne peut pas immortaliser ceux qui nous ont quittĂ©s en Ă©crivant sur eux. La langue enterre, mais ne ressuscite pas. (Avertissement : je ne suis pas le premier Ă  faire cette observation, cf le poĂšme d'Archibald MacLeish « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s » qui renferme ce vers hĂ©roĂŻque : « Vous mourrez et nul ne se souviendra de vous ») Je m'Ă©loigne du sujet, mais votre le problĂšme : les morts ne sont visibles que dans l’Ɠil dĂ©nuĂ© de paupiĂšre de la mĂ©moire. Dieu merci, les vivants conservent l'aptitude de surprendre et de dĂ©cevoir. Votre Hazel est vivante, Waters, et vous ne pouvez imposer votre volontĂ© contre la dĂ©cision de quelqu'un d'autre, qui plus est lorsque celle-ci est mĂ»rement rĂ©flĂ©chie. Elle souhaite vous Ă©pargner de la peine et vous devriez l'accepter. Il se peut que la logique de la jeune Hazel ne vous convainque pas, mais j'ai parcouru cette vallĂ©e de larmes plus longtemps que vous, et de mon point de vue, Hazel n'est pas la moins saine d'esprit. Bien Ă  vous Peter Van Houten
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John Green (The Fault in Our Stars)
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L'attitude des modernes Ă  l'Ă©gard du passĂ© comporte en effet trop souvent une double erreur : d'une part, ils jugeront que telles formes ayant un contenu intemporel sont inconciliables avec les conditions mentales de ce qu'ils appellent « notre temps » ; d'autre part, ils se rĂ©fĂšrent volontiers, pour introduire telle rĂ©forme ou telle simplification, Ă  ce qui a Ă©tĂ© fait dans l'AntiquitĂ© ou au Moyen Age, comme si les conditions cycliques Ă©taient toujours les mĂȘmes et qu'il n'y avait pas, du point de vue de la fluiditĂ© spirituelle et de l'inspiration, un appauvrissement — ou un abaissement — progressif des possibilitĂ©s. La religion — car c'est d'elle qu'il s'agit dans la plupart des cas — est pareille Ă  un arbre qui croĂźt, qui a une racine, un tronc, des branches, des feuilles, oĂč il n'y a pas de hasard — un chĂȘne ne produisant jamais autre chose que des glands — et oĂč on ne peut Ă  l'aveuglette intervertir l'ordre de croissance ; celle-ci n'est point une « Ă©volution » au sens progressiste du mot, bien qu'il y ait Ă©videmment — parallĂšlement Ă  la descente vers l'extĂ©riorisation et le durcissement — un dĂ©ploiement sur le plan de la formulation mentale et des arts. Le soi-disant retour Ă  la simplicitĂ© originelle est l'antipode de cette simplicitĂ©, prĂ©cisĂ©ment parce que nous ne sommes plus Ă  l'origine et que, en outre, l'homme moderne est affectĂ© d'un singulier manque du sens des proportions ; nos ancĂȘtres ne se seraient jamais doutĂ©s qu'il suffit de voir dans une erreur « notre temps » pour lui reconnaĂźtre des droits non seulement sur les choses, mais mĂȘme sur l'intelligence.
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Frithjof Schuon (The Transfiguration of Man)
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L'engagement du disciple dans la voie initiatique consiste Ă  prendre progressivement conscience du « Regard » divin qui transcende celui des hommes. Bien au-delĂ  des rĂŽles sociaux, ce Regard se pose sur la vie intĂ©rieure de l'homme. « Dieu ne regarde pas vos formes ni vos actes, mais Il regarde ce qui se trouve dans vos cƓurs », dit un hadith attribuĂ© au ProphĂšte Muhammad. C'est dans la mesure oĂč l'homme agit pour Dieu, c'est-Ă -dire conformĂ©ment Ă  sa nature vĂ©ritable, et non pas seulement en vue d'un effet attendu chez les autres, qu'il devient intĂ©rieurement monothĂ©iste et Ă©vite le polythĂ©isme cachĂ© qui consiste Ă  associer au Regard de Dieu celui des autres humains. C'est par la grĂące de ce Regard auquel rien n'Ă©chappe que le disciple revient vers son propre moi et apprend Ă  se connaĂźtre avec toujours plus de finesse et de discernement. Le Regard de Dieu n'est pas seulement celui qui dĂ©voile, il est aussi celui qui transforme. C'est par la grĂące de ce Regard se posant sur l'Ăąme du disciple que celle-ci pourra ĂȘtre libĂ©rĂ©e de l'illusion des tĂ©nĂšbres dans laquelle elle se trouve, puis entrer dans un monde de lumiĂšre, celui de l'amour et de la connaissance. « L'Amour divin est comme une flamme, disait RĂ»mĂź, lorsqu'il entre dans le cƓur du disciple, il brĂ»le tout et Dieu seul reste. » Celui qui a goĂ»tĂ© Ă  cet Amour ne peut plus l'oublier et n'a de cesse de le retrouver. Cette flamme sacrĂ©e constitue un mystĂšre si profond que personne ne peut en parler sans le galvauder. En fait, on ne peut Ă©voquer que des conditions ou des effets de l'Amour, mas nul ne peut parler de sa rĂ©alitĂ©, car il est justement au-delĂ  de toute parole : il ne peut ĂȘtre qu'une expĂ©rience, une saveur, un vĂ©cu.
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Faouzi Skali (Le Souvenir de l'Être Profond)
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[Correspondance entre Massignon et Paul Claudel] Si je vais là-bas, je pense prendre comme sujet "La langue arabe considérée comme moyen d'expression (traduisez pour nous : le témoignage de l'arabe en faveur du Verbe) et comme instrument d'action intellectuelle et sociale" (ou quelque chose d'approchant) - - Cela me permettrait de faire une révision exacte des auteurs et des tendances dominantes et d'en faire une critique "constructrice". Le difficile sera de tùcher de dégager (ce que nul philologue n'a fait jusqu'ici, hélas) de cette admirable langue sa logique fondamentale, l'ordre des idées dans le jeu normal et saint de sa syntaxe, logique qui doit nécessairement démolir le Coran et la Tradition comme des construction de guingois, destinées à remplir chez les Arabes l'ineffable rÎle du Verbe et de l'Eglise. Je vous indique là, bien entendu la basse continue, la pédale harmonique de mes conférences, non pas leurs sujets effectifs précis que je tùcherai de cristalliser en un "Selectae" des textes arabes remarquables pour l'enchaßnement solide des preuves et la loyauté des matériaux employés? Il y en a, dans tout les domaines de la pensée, Dieu merci ! J'aimerais que vous me parliez de la langue française à ce point de vue là, pour que mon travail puisse se guider sur une transposition de ce que vous trouvez, à ce point de vue, dans la langue française, d'"édifiant", de catholique. Hélas, pourquoi Dieu ne me permet-il pas de l'aller prier dans un pauvre coin, et se sert-il de ma lùcheté rivée au monde, pour saboter des tùches si peu à ma taille. [Paul Claudel : Louis Massignon, Correspondance 1908-1953, « Braises ardentes, semences de feu », nouvelle édition renouvelée (1908-1914) et augmentée 1915-1953) p230 (Lettre du samedi 10 août 1912)]
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Louis Massignon
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Une nouvelle gĂ©nĂ©ration, donc, subit simplement l'Ă©tat de choses ; elle ne se pose aucun vrai problĂšme, et de la « libĂ©ration » dont elle jouit, elle fait un usage Ă  tous points de vue stupide. Quand cette jeunesse prĂ©tend qu'elle n'est pas comprise, la seule rĂ©ponse Ă  lui donner c'est qu'il n'y a justement rien Ă  comprendre en elle, et que, s'il existait un ordre normal, il s'agirait uniquement de la remettre Ă  sa place sans tarder, comme on fait avec les enfants, lorsque sa stupiditĂ© devient fatigante, envahissante et impertinente. Le soi-disant anticonformisme de certaines attitudes, abstraction faite de leur banalitĂ©, suit du reste une espĂšce de mode, de nouvelle convention, de sorte qu'il s'agit prĂ©cisĂ©ment du contraire d'une manifestation de libertĂ©. Pour diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes envisagĂ©s par nous dans les pages prĂ©cĂ©dentes, tels que par exemple le goĂ»t de la vulgaritĂ© et certaines formes nouvelles des mƓurs, on peut se rĂ©fĂ©rer, dans l'ensemble, Ă  cette jeunesse-lĂ  ; en font partie les fanatiques des deux sexes pour les braillards, les « chanteurs » Ă©pileptiques, au moment oĂč nous Ă©crivons pour les sĂ©ances collectives de marionnettes reprĂ©sentĂ©es par les ye-ye sessions, pour tel ou tel « disque Ă  succĂšs » et ainsi de suite, avec les comportements correspondants. L'absence, chez ceux-lĂ , du sens du ridicule rend impossible d'exercer sur eux une influence quelconque, si bien qu'il faut les laisser Ă  eux-mĂȘmes et Ă  leur stupiditĂ© et estimer que si par hasard apparaissent, chez ce type de jeunes, quelques aspects polĂ©miques en ce qui concerne, par exemple, l'Ă©mancipation sexuelle des mineurs et le sens de la famille, cela n'a aucun relief. Les annĂ©es passant, la nĂ©cessitĂ©, pour la plupart d'entre eux, de faire face aux problĂšmes matĂ©riels et Ă©conomiques de la vie fera sans doute que cette jeunesse-lĂ , devenue adulte, s'adaptera aux routines professionnelles, productives et sociales d'un monde comme le monde actuel ; ce qui, d'ailleurs, la fera passer simplement d'une forme de nullitĂ© Ă  une autre forme de nullitĂ©. Aucun problĂšme digne de ce nom ne vient se poser.
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Julius Evola (L'arco e la clava)
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Les auteurs musulmans considĂšrent la personnalitĂ© comme le produit de la constitution innĂ©e modifiĂ©e par les facteurs de l’environnement. La constitution innĂ©e inclue l’hĂ©rĂ©ditĂ© physique et psychologique, la combinaison des quatre Ă©lĂ©ments, c’est-Ă -dire le feu, l’air, l’eau, et la terre, dans leurs mode de chaud, sec, froid, et humide, et la correspondance de cette combinaison avec les signes du zodiaque et les diffĂ©rentes planĂštes. C’est une question trĂšs complexe en raison du nombre indĂ©fini de permutations possibles. La source de confusion pour les esprits modernes vient du matĂ©rialisme ambiant qui les pousse Ă  tout prendre au pied de la lettre et Ă  oublier que l’intention derriĂšre les quatre Ă©lĂ©ments n’a jamais Ă©tĂ© de les identifier avec leurs Ă©quivalents familiers dans le monde visible. S’ils sont appelĂ©s feu, air, eau et terre, c’est simplement pour indiquer une correspondance entre eux et les Ă©lĂ©ments visibles. Ces quatre Ă©lĂ©ments sont Ă  l’origine de toute matiĂšre et eux-mĂȘmes originaires d’un principe commun, l’HylĂ© indiffĂ©renciĂ© (hayĂ»lĂą, c’est-Ă -dire la matiĂšre primordiale.) Il en est de mĂȘme de la correspondance entre les sept cieux et les sept planĂštes. Chaque ciel est dĂ©signĂ© par le nom de la planĂšte qui lui correspond le mieux, mais les cieux ne peuvent nullement ĂȘtre identifiĂ©s avec les orbites de ces planĂštes, car les planĂštes sont dans le ciel visible alors que les cieux sont dans le domaine subtile et invisible. Ces termes ne sont pris dans un sens littĂ©ral que si on perd de vue la correspondance entre les diffĂ©rents degrĂ©s, ou dimensions, de l’existence. Ces correspondances et leurs implications pour la mĂ©decine, la psychologie et les autres sciences, furent comprises par de nombreuses civilisations antĂ©rieures Ă  l’islam, et ne sont pas spĂ©cifiquement islamiques. Les musulmans, qu’ils fussent savants, religieux, philosophes ou soufis, les percevaient comme possĂ©dant une base de vĂ©ritĂ© et les adoptĂšrent avec quelques diffĂ©rences mineures selon les Ă©coles. Un tel point de vue est nĂ©anmoins devenu si Ă©tranger Ă  la mentalitĂ© d’aujourd’hui, et il est si peu probable qu’elle prĂ©sente un intĂ©rĂȘt en pratique, que nous n’en poursuivrons pas l’étude ici.
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Mostafa al-Badawi (Man and the Universe: An Islamic Perspective)
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Un matin oĂč j’étais Ă  l’école, un incident a eu lieu sur notre parcelle en prĂ©sence de Papa. Une violente dispute avait Ă©clatĂ© entre ProthĂ© et Innocent. Je ne sais pas de quoi il s’agissait, mais Innocent a levĂ© la main sur ProthĂ©. Papa a immĂ©diatement licenciĂ© Innocent, qui ne voulait pas prĂ©senter ses excuses et qui menaçait tout le monde. La tension permanente rendait les gens nerveux. Ils devenaient sensibles au moindre bruit, Ă©taient sur leurs gardes dans la rue, regardaient dans leur rĂ©troviseur pour ĂȘtre sĂ»rs de n’ĂȘtre pas suivi. Chacun Ă©tait aux aguets. Un jour, en plein cours de gĂ©ographie, un pneu a Ă©clatĂ© derriĂšre la clĂŽture, sur le boulevard de l’IndĂ©pendance, et toute la classe, y compris le professeur, s’est jetĂ© Ă  plat ventre sous les tables. À l’école, les relations entre les Ă©lĂšves burundais avaient changĂ©. C’était subtil, mais je m’en rendais compte. Il y avait beaucoup d’allusions mystĂ©rieuses, de propos implicites. Lorsqu’il fallait crĂ©er des groupes, en sport ou pour prĂ©parer des exposĂ©s, on dĂ©celait rapidement une gĂȘne. Je n’arrivais pas Ă  m’expliquer ce changement brutal, cet embarras palpable. Jusqu’à ce jour, Ă  la rĂ©crĂ©ation, oĂč deux garçons burundais se sont battus derriĂšre le grand prĂ©au, Ă  l’abri du regard des profs et des surveillants. Les autres Ă©lĂšves burundais, Ă©chaudĂ©s par l’altercation, se sont rapidement sĂ©parĂ©s en deux groupes, chacun soutenant un garçon. « Sales Hutu », disaient les uns, « sales Tutsi » rĂ©pliquaient les autres. Cet aprĂšs-midi-lĂ , pour la premiĂšre fois de ma vie, je suis entrĂ© dans la rĂ©alitĂ© profonde de ce pays. J’ai dĂ©couvert l’antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de dĂ©marcation qui obligeait chacun Ă  ĂȘtre d’un camp ou d’un autre. Ce camp, tel un prĂ©nom qu’on attribue Ă  un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait Ă  jamais. Hutu ou tutsi. C’était soit l’un soit l’autre. Pile ou face. Comme un aveugle qui recouvre la vue, j’ai alors commencĂ© Ă  comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les maniĂšres qui m’échappaient depuis toujours. La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais nĂ© avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais.
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Gaël Faye (Petit pays)
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Ses visites Ă©taient la grande distraction de ma tante LĂ©onie qui ne recevait plus guĂšre personne d’autre, en dehors de M. le CurĂ©. Ma tante avait peu Ă  peu Ă©vincĂ© tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort Ă  ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catĂ©gories de gens qu’elle dĂ©testait. Les uns, les pires et dont elle s’était dĂ©barrassĂ©e les premiers, Ă©taient ceux qui lui conseillaient de ne pas « s’écouter » et professaient, fĂ»t-ce nĂ©gativement et en ne la manifestant que par certains silences de dĂ©sapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur l’estomac deux mĂ©chantes gorgĂ©es d’eau de Vichy !) lui feraient plus de bien que son lit et ses mĂ©decines. L’autre catĂ©gorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle Ă©tait plus gravement malade qu’elle ne pensait, qu’elle Ă©tait aussi gravement malade qu’elle le disait. Aussi, ceux qu’elle avait laissĂ© monter aprĂšs quelques hĂ©sitations et sur les officieuses instances de Françoise et qui, au cours de leur visite, avaient montrĂ© combien ils Ă©taient indignes de la faveur qu’on leur faisait en risquant timidement un : « Ne croyez-vous pas que si vous vous secouiez un peu par un beau temps », ou qui, au contraire, quand elle leur avait dit : « Je suis bien bas, bien bas, c’est la fin, mes pauvres amis », lui avaient rĂ©pondu : « Ah ! quand on n’a pas la santĂ© ! Mais vous pouvez durer encore comme ça », ceux-lĂ , les uns comme les autres, Ă©taient sĂ»rs de ne plus jamais ĂȘtre reçus. Et si Françoise s’amusait de l’air Ă©pouvantĂ© de ma tante quand de son lit elle avait aperçu dans la rue du Saint-Esprit une de ces personnes qui avait l’air de venir chez elle ou quand elle avait entendu un coup de sonnette, elle riait encore bien plus, et comme d’un bon tour, des ruses toujours victorieuses de ma tante pour arriver Ă  les faire congĂ©dier et de leur mine dĂ©confite en s’en retournant sans l’avoir vue, et, au fond admirait sa maĂźtresse qu’elle jugeait supĂ©rieure Ă  tous ces gens puisqu’elle ne voulait pas les recevoir. En somme, ma tante exigeait Ă  la fois qu’on l’approuvĂąt dans son rĂ©gime, qu’on la plaignĂźt pour ses souffrances et qu’on la rassurĂąt sur son avenir.
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Marcel Proust (Swann’s Way (In Search of Lost Time, #1))
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ROMÉO. — Elle parle : oh, parle encore, ange brillant ! car lĂ  oĂč tu es, au-dessus de ma tĂȘte, tu me parais aussi splendide au sein de cette nuit que l’est un messager ailĂ© du ciel aux-regards Ă©tonnĂ©s des mortels ; lorsque rejetant leurs tĂȘtes en arriĂšre, on ne voit plus que le blanc de leurs yeux, tant leurs prunelles sont dirigĂ©es-en haut pour le contempler, pendant qu’il chevauche sur les nuages Ă  la marche indolente et navigue sur le sein de l’air. JULIETTE. — Ô RomĂ©o, RomĂ©o ! pourquoi es-tu RomĂ©o ? Renie ton pĂšre, ou rejette ton nom ; ou si tu ne veux pas, lie-toi seulement par serment Ă  mon amour, et je ne serai pas plus longtemps une Capulet. ROMÉO, Ă  part. — En entendrai-je davantage, ou rĂ©pondrai-je Ă  ce qu’elle rient de dire JULIETTE. — C’est ton nom seul qui est mon ennemi. AprĂšs tout tu es toi-mĂȘme, et non un Montaigu. Qu’est-ce qu’un Montaigu ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un, visage, ni toute autre partie du corps appartenant Ă  un homme. Oh ! porte un autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? La fleur que nous nommons la rose, sentirait tout aussi bon sous un autre nom ; ainsi RomĂ©o, quand bien mĂȘme il ne serait pas appelĂ© RomĂ©o, n’en garderait pas moins la prĂ©cieuse perfection : qu’il possĂšde. Renonce Ă  ton nom RomĂ©o, et en place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi toute entiĂšre. ROMÉO. — Je te prends au mot : appelle-moi seulement : ton amour, et je serai rebaptisĂ©, et dĂ©sormais je ne voudrai plus ĂȘtre RomĂ©o. JULIETTE. — Qui es-tu, toi qui, protĂ©gĂ© par la nuit, viens ainsi surprendre les secrets de mon Ăąme ? ROMÉO. — Je ne sais de quel nom me servir pour te dire qui je suis : mon nom, chĂšre sainte, m’est odieux Ă  moi-mĂȘme, parce qu’il t’est ennemi ; s’il Ă©tait Ă©crit, je dĂ©chirerais le mot qu’il forme. JULIETTE. — Mes oreilles n’ont pas encore bu cent paroles de cette voix, et cependant j’en reconnais le son n’es-tu pas RomĂ©o, et un Montaigu ? ROMÉO. — Ni l’un, ni l’autre, belle vierge, si l’un ou l’autre te dĂ©plaĂźt. JULIETTE. — Comment es-tu venu ici, dis-le-moi, et pourquoi ? Les murs du jardin sont Ă©levĂ©s et difficiles Ă  escalader, et considĂ©rant qui tu es, cette place est mortelle pour toi, si quelqu’un de mes parents t’y trouve. ROMÉO. — J’ai franchi ces murailles avec les ailes lĂ©gĂšres de l’amour, car des limites de pierre ne peuvent arrĂȘter l’essor de l’amour ; et quelle chose l’amour peut-il oser qu’il ne puisse aussi exĂ©cuter ? tes parents ne me, sont donc pas un obstacle. JULIETTE. — S’ils te voient, ils t’assassineront. ROMÉO. — HĂ©las ! il y a plus de pĂ©rils, dans tes yeux que dans vingt de leurs Ă©pĂ©es : veuille seulement abaisser un doux regard sĂ»r moi, et je suis cuirassĂ© contre leur inimitiĂ©. JULIETTE. — Je ne voudrais pas, pour le monde entier, qu’ils te vissent ici. ROMÉO. — J’ai le manteau de la nuit pour me dĂ©rober Ă  leur vue et d’ailleurs, Ă  moins que tu ne m’aimes, ils peuvent me trouver, s’ils veulent : mieux vaudrait que leur haine mĂźt fin Ă  ma vie, que si ma mort Ă©tait retardĂ©e, sans que j’eusse ton amour ; JULIETTE. — Quel est celui qui t’a enseignĂ© la direction de cette place ? ROMÉO. — C’est l’Amour, qui m’a excitĂ© Ă  la dĂ©couvrir ; il m’a prĂȘtĂ© ses conseils, et je lui ai prĂȘtĂ© mes yeux. Je ne suis pas pilote ; cependant fusses-tu aussi Ă©loignĂ©e que le vaste rivage baignĂ© par la plus lointaine nier, je m’aventurerais pour une marchandise telle que toi.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)