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Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais reveille au sein des hommes le desir de la mer grande et large.
If you want to build a ship, don't drum up people together to collect wood and don't assign them tasks and work, but rather teach them to long for the endless immensity of the sea.
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Antoine de Saint-Exupéry
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It is on a day like this one,
a little later a little earlier
that you descover without surprise
that something is wrong
that you don't know how to live
and you will never know
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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OĂč sont les hommes?' reprit enfin le petit prince. 'On est un peu seul dans le dĂ©sert.'
'On est seul aussi chez les hommes', dit le serpent.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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Donc, il est juste et vrai que la séparation du spirituel et du sensuel chez un homme est signe de sa virilité, et la séparation du spirituel et du sensuel chez une femme est signe de sa prostitution. Et il suffirait que toutes les femmes, ensemble, se virilisent, pour que le monde, le monde entier, se transforme en bordel.
( from "Roman avec cocaĂŻne" )
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M. Agueev
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Un homme se mesure au poids de ses actes, pas Ă la longueur de ses phrases.
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Pierre Bottero (L'Ăźle du destin (La QuĂȘte d'Ewilan, #3))
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Un homme, ça passe sa vie dans seulement deux endroits: soit son lit, soit ses chaussures.
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Ăric-Emmanuel Schmitt (Monsieur Ibrahim and the Flowers of the Qur'an)
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ĂŽ mon corps, fait toujours de moi un homme qui s'interroge.
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Frantz Fanon (Black Skin, White Masks)
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Rien n'est plus nuisible à l'esprit aventureux d'un homme qu'un avenir assuré
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Christopher McCandless
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Nul n'est plus arrogant à l'égard des femmes, agressif ou dédaigneux, qu'un homme inquiet de sa virilité.
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Simone de Beauvoir (Le deuxiĂšme sexe, I)
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« Je suis persuadé que chaque fois qu'un homme sourit et mieux encore lorsqu'il rit, il ajoute quelque chose à la durée de sa vie.»
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Laurence Sterne (Vie et opinions de Tristram Shandy)
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Seul l'homme qui s'est trouvĂ©, l'homme qui coĂŻncide avec lui-mĂȘme, avec sa vĂ©ritĂ© intĂ©rieure, est un homme libre.
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Katherine Pancol
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La vĂ©ritĂ© dâun homme câest dâabord ce quâil cache.
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André Malraux (Anti-Memoirs)
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Quand on parle des vices dâun homme, si on vous dit : âTout le monde le ditâ ne le croyez pas ; si lâon parle de ses vertus en vous disant encore : âTout le monde le ditâ, croyez-le.
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François-René de Chateaubriand
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L'homme est un apprenti, la douleur est son maĂźtre. Et nul ne se connaĂźt tant qu'il n'a pas souffert. C'est une dure loi, mais une loi suprĂȘme, vieille comme le monde et la fatalitĂ©, qu'il nous faut du malheur recevoir le baptĂȘme et qu'Ă ce triste prix tout doit ĂȘtre achetĂ©...
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Alfred de Musset
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Rien n'est plus beau qu'un corps nu. Le plus beau vĂȘtement qui puisse habiller une femme ce sont les bras de l'homme qu'elle aime. Mais, pour celles qui n'ont pas eu la chance de trouver ce bonheur, je suis lĂ .
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Yves Saint-Laurent
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- L'ours et l'homme se disputent un territoire. Qui a raison ?
- Le chat qui les observe.
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Pierre Bottero
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A partir du mois de septembre l'année derniÚre, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi.
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Annie Ernaux (Simple Passion)
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Car si elle n'avait jamais agi ainsi consciemment, elle se rendait bien compte qu'une femme pouvait confondre amour et pitié, et s'attacher à un homme dans l'espoir de le sauver. Ou qu'elle pouvait y voir comme un défi, persuadée qu'elle et elle seule pourrait le secourir, le protéger et le rendre heureux.
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Nicholas Evans (The Divide)
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La lutte elle-mĂȘme vers les sommets suffit Ă remplir un cĆur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. (Le Mythe de Sisyphe)
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Albert Camus (The Myth of Sisyphus and Other Essays)
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Loin d'ĂȘtre aux lois d'un homme en esclave asservie,
Mariez-vous, ma soeur, Ă la philosophie.
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MoliĂšre (Les Femmes Savantes)
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Peut-ĂȘtre, rĂ©pondit le docteur, mais vous savez, je me sens plus de solidaritĂ© avec les vaincus qu'avec les saints. Je n'ai pas de goĂ»t, je crois, pour l'hĂ©roĂŻsme et la saintetĂ©. Ce qui m'intĂ©resse, c'est d'ĂȘtre un homme.
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Albert Camus (The Plague)
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Presque tous les malheurs de la vie viennent des fausses idées que nous avons sur ce qui nous arrive. Connaßtre à fond les hommes, juger sainement des événements, est donc un grand pas vers le bonheur."
("Almost all our misfortunes in life come from the wrong notions we have about the things that happen to us. To know men thoroughly, to judge events sanely, is, therefore, a great step towards happiness.")
[Journal entry, 10 December 1801]
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Stendhal (The Private Diaries of Stendhal)
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Un optimiste, c'est un homme qui plante deux glands et qui s'achĂšte un hamac.
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Jean de Lattre de Tassigny
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Quand j'Ă©tais enfant, le luxe c'Ă©tait pour moi les manteaux de fourrure et les villas au bord de la mer. Plus tard, j'ai cru que c'Ă©tait de mener une vie d'intellectuel. Il me semble maintenant que c'est aussi de pouvoir vivre une passion pour un homme ou une femme
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Annie Ernaux (Simple Passion)
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Chaque fois qu'un homme a fait triompher la dignité de l'esprit, chaque fois qu'un homme a dit non à une tentative d'asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte.
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Frantz Fanon
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La mĂ©moire de la plupart des hommes est un cimetiĂšre abandonnĂ©, oĂč gisent sans honneurs des morts qu'ils ont cessĂ© de chĂ©rir. Toute douleur prolongĂ©e insulte Ă leur oubli.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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L'aube exalteé ainsi qu'un peuple de colombes, et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir!
(And dawn, exalted like a host of doves - and then I've seen what men believe they've seen!)
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Arthur Rimbaud
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On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d'hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu.
Kill a man, and you are a murderer. Kill millions of men and you are a conqueror. Kill everyone, and you are a god.
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Jean Rostand (Pensées d'un biologiste)
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âŠelle ne pouvait pas comprendre que lâhumeur sensuelle dâun homme est une saison brĂšve, dont le retour incertain nâest jamais un recommencement.
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Colette Gauthier-Villars (La Chatte)
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Un homme est plus un homme par les choses quâil tait que par celles quâil dit.
(le mythe de sisyphe,1942).
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Albert Camus (The Myth of Sisyphus and Other Essays)
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Au XVIIIe siÚcle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus abominables de cette époque qui pourtant ne manqua pas de génies abominables.
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Patrick SĂŒskind (Perfume: The Story of a Murderer)
â
Tu as tout à apprendre, tout ce qui ne s'apprend pas: la solitude, l'indifférence, la patience, le silence. Tu dois te déshabituer de tout: d'aller à la rencontre de ceux que si longtemps tu as cÎtoyés, de prendre tes repas, tes cafés à la place que chaque jour d'autres ont retenue pour toi, ont parfois défendue pour toi, de traßner dans la complicité fade des amitiés qui n'en finissent pas de se survivre, dans la rancoeur opportuniste et lùche des liaisons qui s'effilochent.
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Georges Perec (Un Homme qui dort)
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Les ĂȘtres humains sont trĂšs attachĂ©s Ă tout ce qu'ils
croient. Ils ne cherchent pas la vérité, ils veulent seulement une
certaine forme d'Ă©quilibre, et ils arrivent Ă se bĂątir un monde Ă peu
prÚs cohérent sur la base de leurs croyances. Cela les rassure, et ils
s'y accrochent inconsciemment
â
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Laurent Gounelle (L'homme qui voulait ĂȘtre heureux)
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Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Un révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes mais bien de tout foutre en l'air.
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Virginie Despentes (King Kong théorie)
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Affreuse condition de l'homme ! Il n'y a pas un de ses bonheurs qui ne vienne d'une ignorance quelconque.
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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L'homme construit des maisons parce qu'il est vivant, mais il écrit des livres parce qu'il se sait mortel. Il habite en bande parce qu'il est grégaire, mais il lit parce qu'il se sait seul. Cette lecture lui est une compagnie qui ne prend la place d'aucune autre, mais qu'aucune autre compagnie ne saurait remplacer.
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Daniel Pennac (Comme un roman)
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comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi!
Que faut-il faire? Dit le petit prince.
Il faut ĂȘtre trĂšs patient, rĂ©pondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'Ćil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus prĂšs...
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Antoine de Saint-Exupéry (Le Petit Prince)
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J'ai connu et je connais encore, dans ma vie, des bonheurs inouĂŻs. Depuis mon enfance, par exemple, j'ai toujours aimĂ© les concombres salĂ©s, pas les cornichons, mais les concombres, les vrais, les seuls et uniques, ceux qu'on appelle concombres Ă la russe. J'en ai toujours trouvĂ© partout. Souvent, je m'en achĂšte une livre, je m'installe quelque part au soleil, au bord de la mer, ou n'importe oĂč, sur un trottoir ou sur un banc, je mords dans mon concombre et me voilĂ complĂštement heureux. Je reste lĂ , au soleil, le cĆur apaisĂ©, en regardant les choses et les hommes d'un Ćil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'ĂȘtre vĂ©cue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner Ă ce qu'on aime avec un abandon total de soi.
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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L'homme qui n'a pas été anarchiste à seize ans est un imbécile. Mais c'en est un autre, s'il l'est encore à quarante.
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Georges Clemenceau
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Cet homme paraissait ĂȘtre tellement fatiguĂ© de sa vie qu'il ne voulait mĂȘme pas vivre ses derniĂšres heures Ă©veillĂ©.
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Patrick SĂŒskind (Perfume: The Story of a Murderer)
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Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans un mĂȘme jardin⊠et ils nây trouvent pas ce quâils cherchent...
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Antoine de Saint-Exupéry
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Aucune circonstance ne réveille en nous un étranger dont nous n'aurions rien soupçonné. Vivre, c'est naßtre lentement. Il serait un peu trop aisé d'emprunter des ùmes toutes faites !
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Antoine de Saint-Exupéry (Terre des hommes)
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Voici ce que j'ai pensé : pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à la raconter. C'est ce qui dupe les gens : un homme, c'est toujours un conteur d'histoires, il vit entouré de ses histoires et des histoires d'autrui, il voit tout ce qui lui arrive à travers elles ; et il cherche à vivre sa vie comme s'il la racontait.
Mais il faut choisir : vivre ou raconter.
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Jean-Paul Sartre (Nausea)
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J'ai lu le DeuxiĂšme Sexe. Simone expliquait que si les femmes faisaient pipi debout, leur conception de la vie changerait.
Alors j'ai essayĂ©. Ăa coulait lĂ©gĂšrement sur ma jambe gauche. C'Ă©tait un peu dĂ©goutant.
Assise, c'était bien plus simple. De pus, en tant qu'iranienne, avant d'uriner comme un homme, il fallait que j'apprenne à devenir une femme libérée et émancipée.
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Marjane Satrapi (Persepolis, Volume 3)
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Je suis furieuse contre une sociĂ©tĂ© qui m'a Ă©duquĂ©e sans jamais m'apprendre Ă blesser un homme s'il m'Ă©carte les cuisses de forces, alors que cette mĂȘme sociĂ©tĂ© m'a inculquĂ© l'idĂ©e que c'Ă©tait un crime dont je ne devais pas me remettre. Et je suis surtout folle de rage qu'en face de trois hommes, une carabine et piĂ©gĂ©e dans une forĂȘt dont on ne peut s'Ă©chapper en courant, je me sente encore aujourd'hui coupable de ne pas avoir eu le courage de nous dĂ©fendre avec un petit couteau.
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Virginie Despentes (King Kong théorie)
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Kayıtsızlık dili geçersiz kılıyor,iĆaretleri anlaĆılmaz hale getiriyor.Sabırlısın ama beklemiyorsun, özgĂŒrsĂŒn ama seçmiyorsun,mĂŒsaitsin ama hiçbir Ćey seni harekete geçirmiyor. Hiçbir Ćey istemiyor,hiçbir Ćey talep etmiyor, hiçbir Ćeyi dayatmıyorsun.Hiç dinlemeden duyuyor,hiç bakmadan görĂŒyorsun.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lĂąches, mĂ©prisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dĂ©pravĂ©es ; le monde n'est qu'un Ă©gout sans fond oĂč les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces ĂȘtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompĂ© en amour, souvent blessĂ© et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arriĂšre ; et on se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompĂ© quelquefois, mais j'ai aimĂ©. C'est moi qui ai vĂ©cu, et non pas un ĂȘtre factice crĂ©Ă© par mon orgueil et mon ennui.
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Alfred de Musset (On ne badine pas avec l'amour)
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L'homme à qui Dieu n'a pas révélé la vie directement, ce n'est pas un livre qui la lui révélera.
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Ăric-Emmanuel Schmitt (Monsieur Ibrahim and the Flowers of the Qur'an)
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ĐĐ°ĐșĐČĐŸ ŃŃĐŽĐœĐŸ ŃĐČĐŸŃĐ”ĐœĐžĐ” Đ” ŃĐŸĐČĐ”ĐșŃŃ! ĐĐŸĐ¶Đ” ĐŽĐ° ĐŽŃŃ
Đ° ĐČ ŃДпОŃĐ” ŃĐž, Đ·Đ° ĐŽĐ° ŃĐž ŃŃĐŸĐżĐ»Đž ŃŃŃĐ”ŃĐ”, ĐșĐ°ĐșŃĐŸ Đž ĐŽĐ° ĐŽŃŃ
Đ° ĐČ ŃŃпаŃĐ° ŃĐž, Đ·Đ° ĐŽĐ° Ń ĐŸŃ
лаЎО.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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La nature et les circonstances semblaient avoir fait cette femme pour cet homme, et les avoir poussés l'un vers l'autre.
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Ămile Zola (ThĂ©rĂšse Raquin)
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La solitude offre Ă l'homme intellectuellement haut placĂ© un double avantage : le premier, d'ĂȘtre avec soi-mĂȘme, et le second de n'ĂȘtre pas avec les autres.
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Arthur Schopenhauer (The Wisdom of Life)
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Trahi de toutes parts, accablĂ© d'injustices, Je vais sortir d'un gouffre oĂč triomphent les vices ; Et chercher sur la terre un endroit Ă©cartĂ© OĂč d'ĂȘtre homme d'honneur, on ait la libertĂ©.
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MoliĂšre (The Misanthrope)
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Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidĂ©litĂ© supĂ©rieure qui nie les dieux et soulĂšve les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers dĂ©sormais sans maĂźtre ne lui paraĂźt ni stĂ©rile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque Ă©clat minĂ©ral de cette montagne pleine de nuit, Ă lui seul, forme un monde. La lutte elle-mĂȘme vers les sommets suffit Ă remplir un cĆur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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Albert Camus (The Myth of Sisyphus and Other Essays)
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Un homme sâengage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure, il nây a rien. Ăvidemment, cette pensĂ©e peut paraĂźtre dure Ă quelquâun qui nâa pas rĂ©ussi sa vie. Mais dâautre part, elle dispose les gens Ă comprendre que seule compte la rĂ©alitĂ©, que les rĂȘves, les attentes, les espoirs permettent seulement de dĂ©finir un homme comme rĂȘvĂ© déçu , comme espoir avortĂ©, comme attente inutile.
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Jean-Paul Sartre
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Au-dessus de mes mots maladroits, au-dessus des raisonnements qui me peuvent tromper, tu considÚres en moi simplement l'Homme. Tu honores en moi l'ambassadeur de croyances, de coutumes, d'amours particuliÚres. Si je diffÚre de toi, loin de te léser, je t'augmente. Tu m'interroges comme l'on interroge le voyageur.
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Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
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Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indifférence n'apprend rien: c'était un leurre, une illusion fascinante et piégée. Tu étais seul et voilà tout et tu voulais te protéger: qu'entre le monde et toi les ponts soient à jamais coupés. Mais tu es si peu de chose et le monde est un si grand mot: tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomÚtres des façades, des devantures, des parcs et des quais.
L'indiffĂ©rence est inutile. Tu peux vouloir ou ne pas vouloir, qu'importe! Faire ou ne pas faire une partie de billard Ă©lectrique, quelqu'un, de toute façon, glissera une piĂšce de vingt centimes dans la fente de l'appareil. Tu peux croire qu'Ă manger chaque jour le mĂȘme repas tu accomplis un geste dĂ©cisif. Mais ton refus est inutile. Ta neutralitĂ© ne veut rien dire. Ton inertie est aussi vaine que ta colĂšre.
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Georges Perec (Un Homme qui dort)
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Une vie rĂ©ussie est une vie que l'on a menĂ©e conformĂ©ment Ă ses souhaits, en agissant toujours en accord avec ses valeurs, en donnant le meilleur de soi mĂȘme dans ce que l'on fait, en restant en harmonie avec qui l'on est, et, si possible, une vie qui nous a donnĂ© l'occasion de nous dĂ©passer, de nous consacrer Ă autre chose qu'Ă nous mĂȘmes et apporter quelque chose Ă l'humanitĂ©, mĂȘme trĂšs humblement, mĂȘme si c'est infime. Une petite plume d'oiseau confiĂ©e au vent. Un sourire pour
les autres.
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Laurent Gounelle (L'homme qui voulait ĂȘtre heureux)
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Chaque homme est son propre dieu. C'est en choisissant un autre qu'il se renie et devient aveugle et injuste.
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Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă la nuit)
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On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute.
Si donc, je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupé entiÚrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute.
Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est surement beaucoup dire, il n'est pas Ă©tonnant que l'un ait fini en mĂȘme temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute.
Il suit de là , que depuis quelque temps je t'ai trompée: mais aussi ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute.
Aujourd'hui, une femme que j'aime Ă©perdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute.
Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure: mais si la Nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute.
Crois-moi, choisis un autre amant, comme j'ai fait une maĂźtresse. Ce conseil est bon, trĂšs bon; si tu le trouve mauvais, ce n'est pas ma faute.
Adieu, mon ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regrets: je te reviendrai peut-ĂȘtre. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses)
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Bir Ćeyler kırılıyordu, bir Ćeyler kırıldı. Kendini-nasıl demeli?-dayanıklı hissetmiyorsun artık: Sana bugĂŒne kadar gĂŒĂ§ veren-öyle sanıyordun, öyle sanıyorsun-,yĂŒreÄini ısıtan Ćey, varoluĆ duygun,neredeyse önemli olduÄun duygusu, dĂŒnyaya baÄlanma,dĂŒnyada kalma duygusu eksikliÄini hissettirmeye baĆlıyor.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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Dans la plaine rase, sous la nuit sans Ă©toiles, d'une obscuritĂ© et d'une Ă©paisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes Ă Montsou, dix kilomĂštres de pavĂ© coupant tout droit, Ă travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait mĂȘme pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacĂ©es d'avoir balayĂ© des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavĂ© se dĂ©roulait avec la rectitude d'une jetĂ©e, au milieu de l'embrun aveuglant des tĂ©nĂšbres.
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Ămile Zola (Germinal)
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Je pense, lui dis-je, que nous voilĂ , tous tant que nous sommes, Ă manger et Ă boire pour conserver notre prĂ©cieuse existence et quâil nây a rien, rien, aucune raison dâexister⊠Lâautodidacte rĂ©pondit que la vie a un sens si on veut bien lui en donner un. Il faut dâabord agir, se jeter dans une entreprise. Il y a un but, Monsieur, il y a un but⊠il y a les hommes.
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Jean-Paul Sartre (Nausea)
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Yine böyle bir gĂŒnde, biraz daha önce, biraz daha sonra, bir Ćeylerin yolunda gitmediÄini, açık konuĆacak olursak, yaĆamayı bilmediÄini, hiç bilmeyeceÄini ĆaĆırmadan keĆfediyorsun.
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Ä°nsanlardan nefret ettiÄin anlamına gelmez bu, ne diye nefret edesin ki? Ne diye kendinden nefret edesin ki? KeĆke insan tĂŒrĂŒne ait olmak, o dayanılmaz ve saÄır edici gĂŒrĂŒltĂŒyĂŒ de beraberinde getirmeseydiâŠ
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Georges Perec
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Non. Tu n'es plus le maĂźtre anonyme du monde, celui sur qui l'histoire n'avait pas de prise, celui qui ne sentait pas la pluie tomber, qui ne voyait pas la nuit venir.Tu n'es plus l'inaccessible, le limpide, le transparent. Tu as peur, tu attends. Tu attends, place Clichy, que la pluie cesse de tomber.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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Ă partir de lĂ , le dialogue de la journĂ©e suivait une pente uniformĂ©ment descendante, mais avec des lĂšvres et des mains chaleureuses et languides flottant sur les surface les plus sensibles du corps, le monde Ă©tait aussi prĂšs que possible de la perfection. Freud appelait cela un Ă©tat de perversitĂ© polymorphe impersonnel et le regardait d'un mauvais oeil, mais je doute fort qu'il ait jamais eu les mains de Lil lui frĂŽlant le corps. Ou mĂȘme celles de sa propre femme dans le mĂȘme rĂŽle. Freud Ă©tait un bien grand homme, mais je n'arrive pas Ă me faire Ă l'idĂ©e que quelqu'un lui ait jamais efficacement flattĂ© le pĂ©nis.
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Luke Rhinehart (The Dice Man)
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Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lĂšvres,
Nos silences, nos paroles,
La lumiĂšre qui sâen va, la lumiĂšre qui revient,
Un seul sourire pour nous deux,
Par besoin de savoir, jâai vu la nuit crĂ©er le jour sans que nous changions dâapparence,
Ă bien-aimĂ© de tous et bien-aimĂ© dâun seul,
En silence ta bouche a promis dâĂȘtre heureuse,
De loin en loin, ni la haine,
De proche en proche, ni lâamour,
Par la caresse nous sortons de notre enfance,
Je vois de mieux en mieux la forme humaine,
Comme un dialogue amoureux, le cĆur ne fait quâune seule bouche
Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser,
Les sentiments à la dérive, les hommes tournent dans la ville,
Le regard, la parole et le fait que je tâaime,
Tout est en mouvement, il suffit dâavancer pour vivre,
Dâaller droit devant soi vers tout ce que lâon aime,
Jâallais vers toi, jâallais sans fin vers la lumiĂšre,
Si tu souris, câest pour mieux mâenvahir,
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard.
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Paul Ăluard
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Zadig dirigeait sa route sur les étoiles... Il admirait ces vastes globes de lumiÚre qui ne paraissent que de faibles étincelles à nos yeux, tandis que la terre, qui n'est en effet qu'un point imperceptible dans la nature, paraßt à notre cupidité quelque chose de si grand et de si noble. Il se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue.
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Voltaire (Zadig et autres contes)
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Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas d'honorer la beautĂ©, ni mĂȘme de procurer aux foules un spectacle agrĂ©able. Il s'agit de nous fracasser le crĂąne avec des menaces:"Vous avez intĂ©rĂȘt Ă trouver ça Ă votre goĂ»t. Sinon, taisez-vous!" Le beau, qui devrait servir Ă faire communiquer les hommes dans l'admiration, sert Ă exclure. Face Ă un tel totalitarisme, au lieu de se rĂ©volter, les gens sont obĂ©issants et enthousiastes. Ils applaudissent, ils en redemandent. Moi, j'appelle ça du masochisme.
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Amélie Nothomb (Attentat)
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Parfois, tu rĂȘves que le sommeil est une morte lente qui te gagne, une anestĂ©sie douce et terrible Ă la fois, une nĂ©crose heureuse : le froid monte le long de tes jambes, le long de tes bras, monte lentement, t'engourdit, t'annihile.
Ton orteil est une montagne lointaine, ta jambe un fleuve, ta joue est ton oreiller, tu loges tout entier dans ton pouce, tu fonds, tu coules comme du sable, comme du mercure.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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Ah non ! C'est un peu court jeune homme
On pourrait dire, O Dieu, bien des choses en somme
En variant le ton, par exemple, tenez:
Agressif: moi monsieur, si j'avais un tel nez
Il faudrait sur le champ que je me l'emputasse !
Amical: mais il doit tremper dans votre tasse
Pour boire faĂźtes-vous donc fabriquer un hanap.
Descriptif: c'est un roc ! c'est un pic ! c'est un cap !
Que dis-je, c'est un cap ? c'est une péninsule !
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Edmond Rostand
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Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaßtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là -bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'Ă©raser: un vapeur, un goutte d'eau suffit pout le tuer. Mais, quand l'univers l'Ă©craserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, pare qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
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Blaise Pascal
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Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entiÚrement imaginaire. Voilà sa force.
Il va de la vie Ă la mort. Hommes, bĂȘtes, villes et choses, tout est imaginĂ©. C'est un roman, rien qu'une histoire fictive. LittrĂ© le dit, qui ne se trompe jamais.
Et puis d'abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux.
C'est de l'autre cÎté de la vie.
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Louis-Ferdinand CĂ©line (Voyage au bout de la nuit)
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La phrase : "Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est Ă©tranger" me semble ĂȘtre, sinon le dernier mot de la sagesse, en tout cas l'un des plus profonds, et ce que j'aime chez Etienne, c'est qu'il le prend Ă la lettre, c'est mĂȘme ce qui selon moi lui donne le droit d'ĂȘtre juge. De ce qui le fait humain, pauvre, faillible, magnifique, il ne veut rien retrancher, et c'est aussi pourquoi dans le rĂ©cit de sa vie je ne veux, moi, rien couper.
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Emmanuel CarrĂšre (D'autres vies que la mienne)
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Rien n'est jamais acquis Ă l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un Ă©trange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble Ă ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-lĂ sans savoir nous regardent passer
Répétant aprÚs moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitĂŽt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs Ă l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux
Il n'y a pas d'amour qui ne soit Ă douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour Ă tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Ătrange Pays dans mon pays lui-mĂȘme)
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MĂ©content de tous et mĂ©content de moi, je voudrais bien me racheter et mâenorguiellir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Ămes de ceux que jâai aimĂ©s, Ăąmes de ceux que jâai chantĂ©s, fortifiez-moi, Ă©loignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptices du monde; et vous, Seigneur mon Dieu! accordez-moi la grĂące de produire quelques beaux vers qui me prouvent Ă moi mĂȘme que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas infĂ©rieur Ă ceux que je mĂ©prise.
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Rainer Maria Rilke (The Notebooks of Malte Laurids Brigge)
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Il existe je ne sais quoi de grand et dâĂ©pouvantable dans le suicide. Les chutes dâune multitude de gens sont sans danger, comme celles des enfants qui tombent de trop bas pour se blesser; mais quand un grand homme se brise, il doit venir de bien haut, sâĂȘtre Ă©levĂ© jusquâaux cieux, avoir entrevu quelque paradis inaccessible. Implacables doivent ĂȘtre les ouragans qui le forcent Ă demander la paix de lâĂąme Ă la bouche dâun pistolet⊠Chaque suicide est un poĂšme sublime de mĂ©lancolie.
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Honoré de Balzac (La Peau De Chagrin)
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. . . car il n'est point vrai que l'oeuvre de l'homme est finie
que nous n'avons rien Ă faire au monde
que nous parasitons le monde
qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l'oeuvre de l'homme vient seulement de commencer
et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur et aucune race ne possÚde le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force . . .
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Aimé Césaire (Cahier d'un retour au pays natal)
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«Sophie, s'exclama à nouveau Bruno, sais-tu ce que Nietzsche a écrit de Shakespeare? "Ce que cet homme a dû souffrir pour éprouver un tel besoin de faire le pitre!..." Shakespeare m'a toujours paru un auteur surfait; mais c'est, en effet, un pitre considérable.» II s'interrompit, prit conscience avec surprise qu'il commençait réellement à souffrir. Les femmes, parfois, étaient tellement gentilles; elles répondaient à l'agressivité par la compréhension, au cynisme par la douceur. Quel homme se serait comporté ainsi?
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Michel Houellebecq (The Elementary Particles)
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Il sâĂ©tait tant de fois entendu dire ces choses, quâelles nâavaient pour lui rien dâoriginal. Emma ressemblait Ă toutes les maĂźtresses ; et le charme de la nouveautĂ©, peu Ă peu tombant comme un vĂȘtement, laissait voir Ă nu lâĂ©ternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mĂȘmes formes et le mĂȘme langage. Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique, la dissemblance des sentiments sous la paritĂ© des expressions. Parce que des lĂšvres libertines ou vĂ©nales lui avaient murmurĂ© des phrases pareilles, il ne croyait que faiblement Ă la candeur de celles-lĂ ; on en devait rabattre, pensait-il, les discours exagĂ©rĂ©s cachant les affections mĂ©diocres ; comme si la plĂ©nitude de lâĂąme ne dĂ©bordait pas quelquefois par les mĂ©taphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner lâexacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fĂȘlĂ© oĂč nous battons des mĂ©lodies Ă faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les Ă©toiles.
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Gustave Flaubert (Madame Bovary)
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Maintenant tu n'as plus de refuges. Tu as peur, tu attends que tout s'arrĂȘte, la pluie, les heures, le flot des voitures, la vie, les hommes, le monde, que tout s'Ă©croule, les murailles, les tours, les planchers et les plafonds; que les hommes et les femmes, les vieillards et les enfants, les chiens, les chevaux, les oiseaux, un Ă un, tombent Ă terre, paralysĂ©s, pestifĂ©rĂ©s, Ă©pileptiques; que le marbre s'effrite, que le bois se pulvĂ©rise, que les maisons s'abattent en silence, que les pluies diluviennes dissolvent les peintures, disjoignent les chevilles des armoires centenaires, dĂ©chiquettent les tissus, fassent fondre l'encre des journaux; q'un feu sans flammes ronge les marches des escaliers; que les rues s'effondrent en leur exact milieu, dĂ©couvrant le labyrinthe bĂ©ant des Ă©gouts; que la rouille et la brume envahissent la ville.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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En tant qu'Ă©crivain, j'ai toujours eu horreur de certaines complaisances ; en tant qu'homme, je crois que les aspects repoussants de notre condition, s'ils sont inĂ©vitables, doivent ĂȘtre seulement affrontĂ©s en silence. Mais lorsque le silence, ou les ruses du langage, contribuent Ă Maintenir un abus qui doit ĂȘtre rĂ©formĂ© ou un malheur qui peut ĂȘtre soulagĂ©, il n'y a pas d'autre solution que de parler clair et de montrer l'obscĂ©nitĂ© qui se cache sous le manteau des mots.
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Albert Camus (Reflections on the Guillotine)
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Elle se mordit la langue quand Thorn pressa sa bouche contre la sienne. Sur le moment, elle ne comprit plus rien. Elle sentit sa barbe lui piquer le menton, son odeur de dĂ©sinfectant lui monter Ă la tĂȘte, mais la seule pensĂ©e qui la traversa, stupide et Ă©vidente, fut quenelle avait une botte plantĂ©e dans son tibia. Elle voulut se reculer; Thorn lâen empĂȘcha. Il referma ses mains de part et dâautre de son visage, les doigts dans ses cheveux, prenant appui sur sa nuque avec une urgence qui les dĂ©sĂ©quilibra tous les deux. La bibliothĂšque dĂ©versa une pluie de documents sur eux. Quand Thorn sâĂ©carte finalement, le souffle court, ce fut pour clouer un regard de fer dans ses lunettes.
- je vous prĂ©viens. Les mots que vous mâavez dits, je ne vous laisserai pas revenir dessus.
Sa voix Ă©tait Ăąpre, mais sous lâautoritĂ© des paroles il y avait comme une fĂȘlure. OphĂ©lie pouvait percevoir le pouls prĂ©cipitĂ© des mains quâil appuyait maladroitement sur ses joues. Elle devait reconnaĂźtre que son propre cĆur jouait Ă la balançoire. Thorn Ă©tait sans doute lâhomme le plus dĂ©concertant quâelle avait jamais rencontrĂ©, mais il lâa faisait se sentir formidablement vivante.
- je vous aime, rĂ©pĂ©ta-y-elle dâun ton inflexible. Câest ce que jâaurais du vous rĂ©pondre quand vous vouliez connaĂźtre la raison de ma prĂ©sence Ă Babel câest ce que jâen aurais du vous rĂ©pondre chaque fois que vous vouliez savoir ce que jâen avais vraiment Ă vous dire. Bien sĂ»r que je dĂ©sire percer les mystĂšres de Dieu et reprendre le contrĂŽle de ma vie, mais... vous faites partie de ma vie, justement. Je vous ai traitĂ© dâĂ©goĂŻste et Ă aucun moment je ne me suis mise, moi, Ă votre place. Je vous demande pardon.Â
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Christelle Dabos (La MĂ©moire de Babel (La Passe-Miroir, #3))
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Tant quâil existera, par le fait des lois et des mĆurs, une damnation sociale crĂ©ant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant dâune fatalitĂ© humaine la destinĂ©e qui est divine; tant que les trois problĂšmes du siĂšcle, la dĂ©gradation de lâhomme par le prolĂ©tariat, la dĂ©chĂ©ance de la femme par la faim, lâatrophie de lâenfant par la nuit, ne seront pas rĂ©solus; tant que, dans de certaines rĂ©gions, lâasphyxie sociale sera possible; en dâautres termes, et Ă un point de vue plus Ă©tendu encore, tant quâil y aura sur la terre ignorance et misĂšre, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas ĂȘtre inutiles.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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insanlardan nefret ettiÄin anlamına gelmez bu, ne diye onlardan nefret edesin ki? ne diye kendinden nefret edesin ki? keĆke insan tĂŒrĂŒne ait olmak, o dayanılmaz ve saÄır edici gĂŒrĂŒltĂŒyĂŒ de beraberinde getirmeseydi; keĆke hayvanlar aleminden çıkıp aĆılan o birkaç gĂŒlĂŒnç adımın bedeli, sözcĂŒklerin, bĂŒyĂŒk tasarıların, bĂŒyĂŒk atılımların o dinmek bilmeyen hazımsızlıÄı olmasaydı! karĆı karĆıya getirilebilen baĆparmaklara, iki ayak ĂŒstĂŒnde duruĆa, omuzlar ĂŒzerinde baĆın yarım dönĂŒĆĂŒne fazla aÄır bir bedel bu. yaĆam denen bu kazan, bu fırın, bu ızgara, bu milyarlarca uyarı, kıĆkırtma, tembih, coĆkunluk, bu bitmek bilmeyen baskı ortamı, bu sonsuz ĂŒretme, ezme, yutma, engelleri aĆma, durmadan ve yeniden baĆtan baĆlama makinesi, senin deÄersiz varoluĆunun her gĂŒnĂŒnĂŒ, her saatini yönetmek isteyen bu yumuĆak dehĆet.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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je finirai bien par te rencontrer quelque part
bon dieu!
et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
par le mince regard qui me reste au fond du froid
j'affirme ĂŽ mon amour que tu existes
je corrige notre vie
nous n'irons plus mourir de langueur
Ă des milles de distance dans nos rĂȘves bourrasques
des filets de sang dans la soif craquelée de nos lÚvres
les épaules baignées de vols de mouettes
non
j'irai te chercher nous vivrons sur la terre
la détresse n'est pas incurable qui fait de moi
une épave de dérision, un ballon d'indécence
un pitre aux larmes d'étincelles et de lésions profondes
frappe l'air et le feu de mes soifs
coule-moi dans tes mains de ciel de soie
la tĂȘte la premiĂšre pour ne plus revenir
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Gaston Miron (L'Homme rapaillé)
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Mais surtout, surtout Jonathan, un matin oĂč passait le facteur, un petit matin gros et froid, un matin oĂč il ouvrait sa grande sacoche jaune et pleine; soufflant de la buĂ©e en cherchant le courrier, j'ai ressenti un frisson qui a couru tout mon corps et m'a effarĂ©e. Un frisson qui m'a gelĂ©e sur place, un frisson qui s'est transformĂ© en Ă©clair et m'a foudroyĂ© la nuque : j'ai compris que j'attendais vos lettres, j'attendais vos mots, j'attendais vos descriptions d'auberges, de routes, de famille française, de soupe au chou...
J'Ă©tais en train de vous attendre.
J'allais donc souffrir de vous.
Et je ne veux plus souffrir Jonathan.
En ce mois de décembre, j'ai couru à Paris, j'ai couru dans Fécamps, j'ai couru dans ma maison, j'ai couru dans la librairie pour me sauver de vous, vous abandonner sur vos petites routes aux arbres secs et noirs.
J'avais peur
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Katherine Pancol (Un homme Ă distance)
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L'homme lutte contre la peur mais, contrairement Ă ce qu'on rĂ©pĂšte toujours, cette peur n'est pas celle de la mort, car la peur de la mort, tout le monde ne l'Ă©prouve pas, certains n'ayant aucune imagination, d'autres se croyant immortels, d'autres encore espĂ©rant des rencontres merveilleuses aprĂšs leur trĂ©pas ; la seule peur universelle, la peur unique, celle qui conduit toutes nos pensĂ©es, car la peur de n'ĂȘtre rien. Parce que chaque individu a Ă©prouvĂ© ceci, ne fĂ»t-ce qu'une seconde au cours d'une journĂ©e : se rendre compte que, par nature, ne lui appartient aucune des identitĂ©s qui le dĂ©finissent, qu'il aurait pu ne pas ĂȘtre dotĂ© de ce qui le caractĂ©rise, qu'il s'en est fallu d'un cheveu qu'il naisse ailleurs, apprenne une autre langue, reçoive une Ă©ducation religieuse diffĂ©rente, qu'on l'Ă©lĂšve dans une autre culture, qu'on l'instruise dans une autre idĂ©ologie, avec d'autres parents, d'autres tuteurs, d'autres modĂšles. Vertige !
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Ăric-Emmanuel Schmitt
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En Méditerranée
Dans ce bassin oĂč jouent
Des enfants aux yeux noirs,
Il y a trois continents
Et des siĂšcles d'histoire,
Des prophĂštes des dieux,
Le Messie en personne.
Il y a un bel été
Qui ne craint pas l'automne,
En Méditerranée.
Il y a l'odeur du sang
Qui flotte sur ses rives
Et des pays meurtris
Comme autant de plaies vives,
Des ßles barbelées,
Des murs qui emprisonnent.
Il y a un bel été
Qui ne craint pas l'automne,
En Méditerranée.
Il y a des oliviers
Qui meurent sous les bombes
LĂ oĂč est apparue
La premiĂšre colombe,
Des peuples oubliés
Que la guerre moissonne.
Il y a un bel été
Qui ne craint pas l'automne,
En Méditerranée.
Dans ce bassin, je jouais
Lorsque j'Ă©tais enfant.
J'avais les pieds dans l'eau.
Je respirais le vent.
Mes compagnons de jeux
Sont devenus des hommes,
Les frĂšres de ceux-lĂ
Que le monde abandonne,
En Méditerranée.
Le ciel est endeuillé,
Par-dessus l'Acropole
Et liberté ne se dit plus
En espagnol.
On peut toujours rĂȘver,
D'AthĂšnes et Barcelone.
Il reste un bel été
Qui ne craint pas l'automne,
En Méditerranée.
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Georges Moustaki
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Mes amis, j'Ă©cris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fiertĂ© de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir Ă©tĂ© choisi et apprĂ©ciĂ© par vous, et que notre amitiĂ© fut sans doute la plus belle Ćuvre de ma vie. C'est Ă©trange, l'amitiĂ©. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitiĂ©. L'amitiĂ©, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en dĂ©clarations, en poĂšmes, en lettres. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les dĂ©mangeaisons de peau. En mourant, c'est Ă ce grand mystĂšre silencieux que je songe et je lui rends hommage.
Mes amis, je vous ai vus mal rasĂ©s, crottĂ©s, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de pĂ©ter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessĂ© de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu Ă une femme de m'imposer toutes ses misĂšres, je l'aurais quittĂ©e, insultĂ©e, rĂ©pudiĂ©e. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnĂ©rables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la sĂ©duction. Ils jouent un rĂŽle. Pire, ils cherchent chacun le beau rĂŽle. ThĂ©Ăątre. ComĂ©die. Mensonge. Il n'y a pas de sĂ©curitĂ© en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut ĂȘtre aimĂ© tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge rĂ©ussi et constamment renouvelĂ©. Une amitiĂ©, c'est une vĂ©ritĂ© qui s'impose. L'amitiĂ© est nue, l'amour fardĂ©.
Mes amis, je vous aime donc tels que vous ĂȘtes.
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Ăric-Emmanuel Schmitt (La Part de l'autre)
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Préface
J'aime l'idée d'un savoir transmis de maßtre à élÚve.
J'aime l'idĂ©e qu'en marge des "maĂźtres institutionnels" que sont parents et enseignants, d'autres maĂźtres soient lĂ pour dĂ©fricher les chemins de la vie et aider Ă y avancer. Un professeur d'aĂŻkido cĂŽtoyĂ© sur un tatami, un philosophe rencontrĂ© dans un essai ou sur les bancs d'un amphi-thĂ©Ăątre, un menuisier aux mains d'or prĂȘt Ă offrir son expĂ©rience...
J'aime l'idée d'un maßtre considérant comme une chance et un honneur d'avoir un élÚve à faire grandir. Une chance et un honneur d'assister aux progrÚs de cet élÚve. Une chance et un honneur de participer à son envol en lui offrant des ailes. Des ailes qui porteront l'élÚve bien plus haut que le maßtre n'ira jamais.
J'aime cette idée, j'y vois une des clefs d'un équilibre fondé sur la transmission, le respect et l'évolution.
Je l'aime et j'en ai fait un des axes du "Pacte des MarchOmbres".
Jilano, qui a Ă©tĂ© guidĂ© par EsĂźl, guide Ellana qui, elle-mĂȘme, guidera Salim...
Transmission.
Ellana, personnage Î combien essentiel pour moi (et pour beaucoup de mes lecteurs), dans sa complexité, sa richesse, sa volonté, ne serait pas ce qu elle est si son chemin n avait pas croisé celui de Jilano. Jilano qui a su développer les qualités qu'il décelait en elle. Jilano qui l'a poussée, ciselée, enrichie, libérée, sans chercher une seule fois à la modeler, la transformer, la contraindre. Respect. q Jilano, maßtre marchombre accompli. Maßtre accompli et marchombre accompli. Il sait ce qu'il doit à Esßl qui l'a formé. Il sait que sans elle, il ne serait jamais devenu l'homme qu'il est. L'homme accompli. Elle l'a poussé, ciselé, enrichi, libéré, sans chercher une seule fois à le modeler, le transformer, le contraindre. Respect.
Ăvolution.
Esßl, uniquement présente dans les souvenirs de Jilano, ne fait qu'effleurer la trame du Pacte des Marchombres. Nul doute pourtant qu'elle soit parvenue à faire découvrir la voie à Jilano et à lui offrir un élan nécessaire pour qu'il y progresse plus loin qu'elle.
Jilano agit de mĂȘme avec Ellana. Il sait, dĂšs le dĂ©part, qu'elle le distancera et attend ce moment avec joie et sĂ©rĂ©nitĂ©.
Ellana est en train de libérer les ailes de Salim.
Jusqu'oĂč s envolera-t-il grĂące Ă elle ?
J'aime cette idĂ©e, dans les romans et dans la vie, dâun maĂźtre transmettant son savoir Ă un Ă©lĂšve afin qu a terme il le dĂ©passe. J'aime la gĂ©nĂ©rositĂ© qu'elle induit, la confiance qu'elle implique en la capacitĂ© des hommes Ă s'amĂ©liorer.
J'aime cette idĂ©e, mĂȘme si croiser un maĂźtre est une chance rare et mĂȘme s'il existe bien d'autres maniĂšres de prendre son envol.
Lire.
Ăcrire.
S'envoler.
Pierre Bottero
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Pierre Bottero (Ellana, l'Envol (Le Pacte des MarchOmbres, #2))
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- Offre ton identité au Conseil, jeune apprentie.
La voix Ă©tait douce, lâordre sans appel.
- Je mâappelle Ellana Caldin.
- Ton Ăąge.
Ellana hĂ©sita une fraction de seconde. Elle ignorait son Ăąge exact, se demandait si elle nâavait pas intĂ©rĂȘt Ă se vieillir. Les apprentis quâelle avait discernĂ©s dans lâassemblĂ©e Ă©taient tous plus ĂągĂ©s quâelle, le Conseil ne risquait-il pas de la considĂ©rer comme une enfant ? Les yeux noirs dâEhrlime fixĂ©s sur elle la dissuadĂšrent de chercher Ă la tromper.
- Jâai quinze ans.
Des murmures Ă©tonnĂ©s sâĂ©levĂšrent dans son dos.
Imperturbable, Ehrlime poursuivit son interrogatoire.
- Offre-nous le nom de ton maĂźtre.
- Jilano AlhuĂŻn.
Les murmures, qui sâĂ©taient tus, reprirent. Plus marquĂ©s, Ehrlime leva une main pour exiger un silence quâelle obtint immĂ©diatement.
- Jeune Ellana, je vais te poser une sĂ©rie de questions. A ces questions, tu devras rĂ©pondre dans lâinstant, sans rĂ©flĂ©chir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours dâeau, la source est ton Ăąme. Câest en remontant tes mots jusquâĂ ton Ăąme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prĂȘte ?
- Oui.
Une esquisse de sourire traversa le visage ridĂ© dâEhrlime.
- Quây a-t-il au sommet de la montagne ?
- Le ciel.
- Que dit le loup quand il hurle ?
- Joie, force et solitude.
- Ă qui sâadresse-t-il ?
- Ă la lune.
- OĂč va la riviĂšre ?
LâanxiĂ©tĂ© dâEllana sâĂ©tait dissipĂ©e. Les questions dâEhrlime Ă©taient trop imprĂ©vues, se succĂ©daient trop rapidement pour quâelle ait dâautre solution quây rĂ©pondre ainsi quâon le lui avait demandĂ©. Impossible de tricher. Cette Ă©vidence se transforma en une onde paisible dans laquelle elle sâimmergea, laissant Ehrlime remonter le cours de ses mots jusquâĂ son Ăąme, puisque câĂ©tait ce quâelle dĂ©sirait.
- Remplir la mer.
- Ă qui la nuit fait-elle peur ?
- Ă ceux qui attendent le jour pour voir.
- Combien dâhommes as-tu dĂ©jĂ tuĂ©s ?
- Deux.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Je suis moi.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Vent.
- MĂ©ritaient-ils la mort ?
- Je lâignore.
- Es-tu ombre ou lumiĂšre ?
- Je suis moi.
- Es-tu ombre ou lumiĂšre ?
- Les deux.
- OĂč se trouve la voie du marchombre ?
- En moi.
Ellana sâexprimait avec aisance, chaque rĂ©ponse jaillissant dâelle naturellement, comme une expiration aprĂšs une inspiration. FluiditĂ©. Le sourire sur le visage dâEhrlime Ă©tait revenu, plus marquĂ©, et une pointe de jubilation perçait dans sa voix ferme.
- Que devient une larme qui se brise ?
- Une poussiĂšre dâĂ©toiles.
- Que fais-tu devant une riviĂšre que tu ne peux pas traverser ?
- Je la traverse.
- Que devient une Ă©toile qui meurt ?
- Un rĂȘve qui vit.
- Offre-moi un mot.
- Silence.
- Un autre.
- Harmonie.
- Un dernier.
- Fluidité.
- Lâours et lâhomme se disputent un territoire. Qui a raison ?
- Le chat qui les observe.
- Marie tes trois mots.
- Marchombre.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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Je condamne l'ignorance qui rĂšgne en ce moment dans les dĂ©mocraties aussi bien que dans les rĂ©gimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le systĂšme, sinon par le rĂ©gime. J'ai souvent rĂ©flĂ©chi Ă ce que pourrait ĂȘtre l'Ă©ducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des Ă©tudes de base, trĂšs simples, oĂč l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planĂšte dont il devra plus tard mĂ©nager les ressources, qu'il dĂ©pend de l'air, de l'eau, de tous les ĂȘtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout dĂ©truire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tuĂ©s dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongĂšrement, de façon Ă flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passĂ© pour qu'il se sente reliĂ© aux hommes qui l'ont prĂ©cĂ©dĂ©, pour qu'il les admire lĂ oĂč ils mĂ©ritent de l'ĂȘtre, sans s'en faire des idoles, non plus que du prĂ©sent ou d'un hypothĂ©tique avenir. On essaierait de le familiariser Ă la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaĂźtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposĂ©es aux enfants et aux trĂšs jeunes adolescents sous prĂ©texte de biologie ; il apprendrait Ă donner les premiers soins aux blessĂ©s ; son Ă©ducation sexuelle comprendrait la prĂ©sence Ă un accouchement, son Ă©ducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en sociĂ©tĂ© est impossible, instruction que les Ă©coles Ă©lĂ©mentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matiĂšre de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays oĂč il se trouve, pour Ă©veiller en lui le respect et dĂ©truire d'avance certains odieux prĂ©jugĂ©s. On lui apprendrait Ă aimer le travail quand le travail est utile, et Ă ne pas se laisser prendre Ă l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatĂ©es, en lui prĂ©parant des caries et des diabĂštes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses vĂ©ritablement importantes plus tĂŽt qu'on ne le fait. (p. 255)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Notre gĂ©nĂ©ration est trop superficielle pour le mariage. On se marie comme on va au MacDo. AprĂšs, on zappe. Comment voudriez-vous qu'on reste toute sa vie avec la mĂȘme personne dans la sociĂ©tĂ© du zapping gĂ©nĂ©ralisĂ©?
Dans l'Ă©poque oĂč les stars, les hommes politiques, les arts, les sexes, les religions n'ont jamais Ă©tĂ© aussi interchangeables? Pourquoi le sentiment amoureux ferait-il exception Ă la schizophrĂ©nie gĂ©nĂ©rale?
Et puis d'abord, d'oĂč nous vient donc cette curieuse obsession: s'escrimer Ă tout prix pour ĂȘtre heureux avec une seule personne? Sur 558 types de sociĂ©tĂ©s humaines, 24 % seulement sont monogames. La plupart des espĂšces animales sont polygames. Quant aux extraterrestres, n'en parlons pas: il y a longtemps que la Charte Galactique X23 a interdit la monogamie dans toutes les planĂštes de type B#871.
Le mariage, c'est du caviar Ă tous les repas: une indigestion de ce que vous adorez, jusqu'Ă l'Ă©cĆurement. â Allez, vous en reprendrez bien un peu, non? Quoi? Vous n'en pouvez plus? Pourtant vous trouviez cela dĂ©licieux il y a
peu, qu'est-ce qui vous prend? Sale gosse, va!â
La puissance de l'amour, son incroyable pouvoir, devait franchement terrifier la société occidentale pour qu'elle en vienne à créer ce systÚme destiné à vous dégoûter de ce que vous aimez.
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans - Le roman suivi du scénario du film)
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JâĂ©cris donc dâici, de chez les invendues, les tordues, celles qui ont le crĂąne rasĂ©e, celles qui ne savent pas sâhabiller, celles qui ont peur de puer, celles qui ont les chicots pourris, celles qui ne savent pas sây prendre, celles Ă qui les hommes ne font pas de cadeau, celles qui baiseraient nâimporte qui voulant bien dâelles, les grosses putes, les petites salopes, les femmes Ă chatte toujours sĂšche, celles qui ont un gros bides, celles qui voudraient ĂȘtre des hommes, celles qui se prennent pour des hommes, celles qui rĂȘvent de faire hardeuses, celles qui nâen ont rien Ă foutre des mecs mais que leurs copines intĂ©ressent, celles qui ont un gros cul, celles qui ont les poils drus et bien noirs et qui ne vont pas se faire Ă©piler, les femmes brutales, bruyantes, celles qui cassent tout sur leur passage, celles qui nâaiment pas les parfumeries, celles qui se mettent du rouge trop rouge, celles qui sont trop mal foutues pour pouvoir se saper comme des chaudasses mais qui en crĂšvent dâenvie, celles qui veulent porter des fringues dâhommes et la barbe dans la rue, celles qui veulent tout montrer, celles qui sont pudiques par complexe, celles qui ne savent pas dire non, celles quâon enferme pour les mater, celles qui font peur, celles qui font pitiĂ©, celles qui ne font pas envie, celles qui ont la peau flasque, des rides plein la face, celles qui rĂȘvent de se faire lifter, liposucer, pĂ©ter le nez pour le refaire mais qui nâont pas lâargent pour le faire, celles qui ne ressemblent Ă rien, celles qui ne comptent que sur elles-mĂȘmes pour se protĂ©ger, celles qui ne savent pas ĂȘtre rassurantes, celles qui sâen foutent de leurs enfants, celles qui aiment boire jusquâĂ se vautrer par terre dans les bars, celles qui ne savent pas se tenir.
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Virginie Despentes (King Kong théorie)
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Je cherchais une Ăąme qui et me ressemblĂąt, et je ne pouvais pas la trouver. Je fouillais tous les recoins de la terre; ma persĂ©vĂ©rance Ă©tait inutile. Cependant, je ne pouvais pas rester seul. Il fallait quelquâun qui approuvĂąt mon caractĂšre; il fallait quelquâun qui eĂ»t les mĂȘmes idĂ©es que moi. CâĂ©tait le matin; le soleil se leva Ă lâhorizon, dans toute sa magnificence, et voilĂ quâĂ mes yeux se lĂšve aussi un jeune homme, dont la prĂ©sence engendrait les fleurs sur son passage. Il sâapprocha de moi, et, me tendant la main: "Je suis venu vers toi, toi, qui me cherches. BĂ©nissons ce jour heureux." Mais, moi: "Va-tâen; je ne tâai pas appelĂ©: je nâai pas besoin de ton amitiĂ©."
CâĂ©tait le soir; la nuit commençait Ă Ă©tendre la noirceur de son voile sur la nature. Une belle femme, que je ne faisais que distinguer, Ă©tendait aussi sur moi son influence enchanteresse, et me regardait avec compassion; cependant, elle nâosait me parler. Je dis: "Approche-toi de moi, afin que je distingue nettement les traits de ton visage; car, la lumiĂšre des Ă©toiles nâest pas assez forte, pour les Ă©clairer Ă cette distance." Alors, avec une dĂ©marche modeste, et les yeux baissĂ©s, elle foula lâherbe du gazon, en se dirigeant de mon cĂŽtĂ©. DĂšs que je la vis: "Je vois que la bontĂ© et la justice ont fait rĂ©sidence dans ton coeur: nous ne pourrions pas vivre ensemble. Maintenant, tu admires ma beautĂ©, qui a bouleversĂ© plus dâune; mais, tĂŽt ou tard, tu te repentirais de mâavoir consacrĂ© ton amour; car, tu ne connais pas mon Ăąme. Non que je te sois jamais infidĂšle: celle qui se livre Ă moi avec tant dâabandon et de confiance, avec autant de confiance et dâabandon, je me livre Ă elle; mais, mets-le dans ta tĂȘte, pour ne jamais lâoublier: les loups et les agneaux ne se regardent pas avec des yeux doux."
Que me fallait-il donc, Ă moi, qui rejetais, avec tant de dĂ©goĂ»t, ce quâil y avait de plus beau dans lâhumanitĂ©!
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'Ă©lever par force ?
Non, merci ! DĂ©dier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lĂšvres d'un ministre,
NaĂźtre un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci ! DĂ©jeuner, chaque jour, d'un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, Ă l'endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...
Non, merci ! D'une main flatter la chĂšvre au cou
Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon Ă©diteur de Sercy
Faire Ă©diter ses vers en payant ? Non, merci !
S'aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler Ă se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?
Ătre terrorisĂ© par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François" ?...
Non, merci ! Calculer, avoir peur, ĂȘtre blĂȘme,
Préférer faire une visite qu'un poÚme,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter,
RĂȘver, rire, passer, ĂȘtre seul, ĂȘtre libre,
Avoir l'Ćil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaĂźt, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
Ă tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N'Ă©crire jamais rien qui de soi ne sortĂźt,
Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, mĂȘme des feuilles,
Si c'est dans ton jardin Ă toi que tu les cueilles !
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas ĂȘtre obligĂ© d'en rien rendre Ă CĂ©sar,
Vis-Ă -vis de soi-mĂȘme en garder le mĂ©rite,
Bref, dĂ©daignant d'ĂȘtre le lierre parasite,
Lors mĂȘme qu'on n'est pas le chĂȘne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-ĂȘtre, mais tout seul !
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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Quand on sâattend au pire, le moins pire a une saveur toute particuliĂšre, que vous dĂ©gusterez avec plaisir, mĂȘme si ce nâest pas le meilleur.
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Ce n'est pas la vie qui est belle, c'est nous qui la voyons belle ou moins belle. Ne cherchez pas Ă atteindre un bonheur parfait, mais contentez vous des petites choses de la vie, qui, mises bout Ă bout, permettent de tenir la distance⊠Les tout petit riens du quotidien, dont on ne se rend mĂȘme plus compte mais qui font que, selon la façon dont on les vit, le moment peut ĂȘtre plaisant et donne envie de sourire. Nous avons tous nos petits riens Ă nous. Il faut juste en prendre conscience.
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Le silence a cette vertu de laisser parler le regard, miroir de lâĂąme. On entend mieux les profondeurs quand on se tait.
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Au temps des sorciĂšres, les larmes dâhomme devaient ĂȘtre trĂšs recherchĂ©es. Câest rare comme la bave de crapaud. Ce quâelles pouvaient en faire, ça, je ne sais pas. Une potion pour rendre plus gentil ? Plus humain ? Moins avare en Ă©motion ? Ou moins poilu ?
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Quand un silence sâinstalle, on dit quâun ange passeâŠ
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Vide. Je me sens vide et Ă©teinte. Jâai lâimpression dâĂȘtre un peu morte, moi aussi. DâĂȘtre un champ de bataille. Tout a brĂ»lĂ©, le sol est irrĂ©gulier, avec des trous bĂ©ants, des ruines Ă perte de vue. Le silence aprĂšs lâhorreur. Mais pas le calme aprĂšs la tempĂȘte, quand on se sent apaisĂ©. Moi, jâai lâimpression dâavoir sautĂ© sur une mine, dâavoir explosĂ© en mille morceaux, et de ne mĂȘme pas savoir comment je vais faire pour les rassembler, tous ses morceaux, ni si je les retrouverai tous.
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Accordez-vous le droit de vivre votre chagrin. Il y a un temps pour tout.
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Ce nâest pas dâintuition dont est dotĂ© Romain, mais dâattention.
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ÒȘa fait toujours plaisir un cadeau, surtout de la part des gens quâon aime.
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AgnĂšs Ledig (Juste avant le bonheur)
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Quand je considÚre ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flÚche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes...
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ăa et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă s'exprimer et Ă se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Je me mis dĂšs lors Ă lire avec aviditĂ© et bientĂŽt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations rĂ©centes, tous les Ă©lans encore vagues de mon adolescence qui sâĂ©levaient dans mon Ăąme dâune façon si troublante et qui Ă©taient provoquĂ©s par mon dĂ©veloppement si prĂ©coce, tout cela, soudainement, se prĂ©cipita dans une direction, parut se satisfaire complĂštement de ce nouvel aliment et trouver lĂ son cours rĂ©gulier. BientĂŽt mon cĆur et ma tĂȘte se trouvĂšrent si charmĂ©s, bientĂŽt ma fantaisie se dĂ©veloppa si largement, que jâavais lâair dâoublier tout ce qui mâavait entourĂ©e jusquâalors. Il semblait que le sort lui mĂȘme mâarrĂȘtĂąt sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, Ă laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de mâabandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur dâoĂč je pouvais contempler lâavenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinĂ©e Ă vivre tout cet avenir en lâapprenant dâabord par les livres ; de vivre dans les rĂȘves, les espoirs, la douce Ă©motion de mon esprit juvĂ©nile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que jâavais appris et vĂ©cu jusquâĂ ce jour Ă©tait si noble, si austĂšre, quâune page impure ou mauvaise nâeĂ»t pu dĂ©sormais me sĂ©duire. Mon instinct dâenfant, ma prĂ©cocitĂ©, tout mon passĂ© veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience mâĂ©clairait toute ma vie passĂ©e.
En effet, presque chacune des pages que je lisais mâĂ©tait dĂ©jĂ connue, semblait dĂ©jĂ vĂ©cue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais dĂ©jĂ Ă©prouvĂ©es.
Et comment pouvais-je ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ©e jusquâĂ lâoubli du prĂ©sent, jusquâĂ lâoubli de la rĂ©alitĂ©, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois dâune mĂȘme destinĂ©e, le mĂȘme esprit dâaventure qui rĂšgnent sur la vie de lâhomme, mais qui dĂ©coulent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! Câest cette loi que je soupçonnais, que je tĂąchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait lâair de me prĂ©venir, comme sâil y avait en mon Ăąme quelque chose de prophĂ©tique, et chaque jour lâespoir grandissait, tandis quâen mĂȘme temps croissait de plus en plus mon dĂ©sir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je lâai dĂ©jĂ dit, ma fantaisie lâemportait sur mon impatience, et, en vĂ©ritĂ©, je nâĂ©tais trĂšs hardie quâen rĂȘve ; dans la rĂ©alitĂ©, je demeurais instinctivement timide devant lâavenir.
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)