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Il Ă©tait passĂ© la voir le lendemain et avait bu une biĂšre sans mĂȘme s'asseoir, pire que froid, un Ă©tranger. Jenn avait compris. Elle Ă©tait de toute façon de ces femmes qui doivent toujours comprendre, les colĂšres et les lĂąchetĂ©s, se trimballer les gosses et torcher les vieux, ĂȘtre toujours moins bien payĂ©e et dire amen. De mĂšre en mĂšre, c'Ă©tait comme ça.
- Mais toi, t'as envie de quoi ? avait tout de mĂȘme demandĂ© Greg.
- Je sais pas.
Ce qui signifiait à l'évidence qu'elle envisageait moyennement de se débarrasser de l'avenir qui lui poussait dans le ventre.
Le pĂšre de Bilal s'Ă©tait cassĂ© depuis longtemps et elle en avait bavĂ© pour refaire sa vie, entre ses journĂ©es Ă rallonge et son gosse qui n'Ă©tait pas si facile. Elle avait tenu bon, farouche et souriante, sans jamais renoncer toutefois Ă la possibilitĂ© d'une vie Ă deux, la seule envisageable Ă ses yeux. Dans ce domaine, elle n'avait pas tellement de prĂ©tentions d'ailleurs, et sur l'amour, plus guĂšre d'illusions. Il n'Ă©tait plus question pour elle de coup de foudre ni de passion pied au plancher, le cĆur Ă cent Ă l'heure et les mains moites. LĂ -dessus, Hollywood et la collection Harlequin pouvaient aller se faire mettre.
Ă trente-deux ans, Jennifer ne se racontait plus d'histoire.
Elle avait eu dans sa vie des gentils garçons et des intérimaires fumeurs de pet', des allumés de la console, des brutaux ou des zombies comme le pÚre de Bilal qui pouvait passer des heures devant la télé sans dire un mot.
Elle avait eu des mecs qui la baisaient vite et mal Ă deux heures du mat sur le parking d'un quelconque Papagayo.
Elle avait été amoureuse et trompée. Elle avait trompé et s'en était voulu. Elle avait passé des heures à chialer comme une conne dans son oreiller pour des menteurs ou des jaloux. Elle avait eu quinze ans, et comme n'importe qui, sa dose de lettes et de flirts hésitants. On lui avait tenu la main, on l'avait emmenée au ciné. On lui avait dit je t'aime, je veux ton cul, par texto et à mi-voix dans l'intimité d'une chambre à coucher. à présent, Jenn était grande. Elle savait à quoi s'en tenir. L'amour n'était pas cette symphonie qu'on vous serinait partout, publicitaire et enchantée.
L'amour c'étaient des listes de courses sur le frigo, une pantoufle sous un lit, un rasoir rose et l'autre bleu dans la salle de bains. Des cartables ouverts et des jouets qui trainent, une belle-mÚre qu'on emmÚne chez le pédicure pendant que l'autre va porter de vieux meubles à la déchetterie, et tard le soir, dans le noir, deux voix qui se réchauffent, on les entend à peine, qui disent des choses simples et sans relief, il n'y a plus de pain pour le petit-déjeuner, tu sais j'ai peur quand t'es pas là . Mais justement, je suis là .
Jenn n'aurait pas su le dire avec des mots, mais tout cela, elle le savait de source sûre.
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