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On sait ce qui fait tenir physiquement le béton : l'hydratation du ciment transforme ses phases silicatées en silicate de calcium hydraté, dont la structure assure la cohésion des granulats et la résistance du matériau. Mais qu'est-ce qui le fait tenir ontologiquement ?
Dit autrement, c'est quoi le monde du béton ?
Le ciment standardisé le plus commun, dit "Portland", a été mis au point au début du XIXe siècle. Il accompagne l'essor du capitalisme industriel. Hyper modulable, peu onéreux, facile de mise en oeuvre comme à détruire, les qualités du béton de ciment donnent depuis lors aux politiques et aménageurs une grande liberté pour configurer et reconfigurer l'espace. Et cette reconfiguration n'a pas cessé depuis que les humains s'agglomèrent dans les villes, suivant en substance les mouvements de concentration du capital.
Le béton matérialise ce rapport dans des infrastructures dédiées à l'accélération des flux de marchandises, qu'il s'agisse d'information, d'énergie, de biens manufacturés, ou de travailleurs. Frets, entrepôts de stockage, hubs de tri, transporteurs, data centers, fibre optique, plateformes "virtuelles" : les grands réseaux logistiques et informationnels synchronisent les métropoles entre elles sur la cadence du marché. Zébrant les territoires, cette couche dessine une pieuvre logistique faite de routes, ponts, tunnels connectant entrepôts, ports et aéroports. N'ayant que faire des particularités des territoires traversés, au mépris de celles et ceux qui y habitent, la logistique trace tout droit à travers bourgs, champs, zones naturelles et montagnes. Les campagnes sont reléguées aux fonctions de voies de transit d'un côté, et en ressources alimentaires et énergétiques de l'autre.
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