Tout Va Bien Quotes

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Pour l'instant tout va bien.
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Jean-Michel Guenassia (Le Club des incorrigibles optimistes)
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On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute. Si donc, je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupĂ© entiĂšrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute. Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est surement beaucoup dire, il n'est pas Ă©tonnant que l'un ait fini en mĂȘme temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute. Il suit de lĂ , que depuis quelque temps je t'ai trompĂ©e: mais aussi ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute. Aujourd'hui, une femme que j'aime Ă©perdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute. Je sens bien que voilĂ  une belle occasion de crier au parjure: mais si la Nature n'a accordĂ© aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute. Crois-moi, choisis un autre amant, comme j'ai fait une maĂźtresse. Ce conseil est bon, trĂšs bon; si tu le trouve mauvais, ce n'est pas ma faute. Adieu, mon ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regrets: je te reviendrai peut-ĂȘtre. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses)
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Vous ĂȘtes tout les deux les personnes que j'ai le plus aimĂ©es au monde et j'ai fait de mon mieux possible, croyez-le. Serrez bien contre vous vos beaux enfants. Lucile PS : [...] Je sais bien que ça va vous faire de la peine mais c'est inĂ©luctable Ă  plus ou moins de temps et je prĂ©fĂšre mourir vivante.
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Delphine de Vigan (Rien ne s'oppose Ă  la nuit)
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Entre les jeunes mariés ça va trop bien ou ça va trop mal. Et je ne sais pas lequel vaut le mieux. Mais ça ne va jamais tout seul.
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Colette Gauthier-Villars (La Chatte)
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Tout est encore possible et le monde médical est tout neuf. Ca ne va pas durer. Ils le savent bien. Ils sont là au bon moment pour avoir leur nom en latin accolé à celui d'un bacille.
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Patrick Deville (Peste & Choléra)
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Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lĂšvres, Nos silences, nos paroles, La lumiĂšre qui s’en va, la lumiĂšre qui revient, Un seul sourire pour nous deux, Par besoin de savoir, j’ai vu la nuit crĂ©er le jour sans que nous changions d’apparence, Ô bien-aimĂ© de tous et bien-aimĂ© d’un seul, En silence ta bouche a promis d’ĂȘtre heureuse, De loin en loin, ni la haine, De proche en proche, ni l’amour, Par la caresse nous sortons de notre enfance, Je vois de mieux en mieux la forme humaine, Comme un dialogue amoureux, le cƓur ne fait qu’une seule bouche Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser, Les sentiments Ă  la dĂ©rive, les hommes tournent dans la ville, Le regard, la parole et le fait que je t’aime, Tout est en mouvement, il suffit d’avancer pour vivre, D’aller droit devant soi vers tout ce que l’on aime, J’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumiĂšre, Si tu souris, c’est pour mieux m’envahir, Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard.
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Paul Éluard
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Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que dĂ©ceptions et fatigues. Notre voyage Ă  nous est entiĂšrement imaginaire. VoilĂ  sa force. Il va de la vie Ă  la mort. Hommes, bĂȘtes, villes et choses, tout est imaginĂ©. C'est un roman, rien qu'une histoire fictive. LittrĂ© le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d'abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C'est de l'autre cĂŽtĂ© de la vie.
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Louis-Ferdinand CĂ©line (Voyage au bout de la nuit)
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Sonnet VIII Je vis, je meurs : je me brĂ»le et me noie, J’ai chaud extrĂȘme en endurant froidure ; La vie m’est et trop molle et trop dure, J’ai grands ennuis entremĂȘlĂ©s de joie. Tout en un coup je ris et je larmoie, Et en plaisir maint grief tourment j’endure, Mon bien s’en va, et Ă  jamais il dure, Tout en un coup je sĂšche et je verdoie. Ainsi Amour inconstamment me mĂšne Et, quand je pense avoir plus de douleur, Sans y penser je me trouve hors de peine. Puis, quand je crois ma joie ĂȘtre certaine, Et ĂȘtre en haut de mon dĂ©sirĂ© heur, Il me remet en mon premier malheur.
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Louise LabĂ© (ƒuvres complĂštes: Sonnets, Elegies, DĂ©bat de folie et d'amour)
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C’est l’histoire d’une sociĂ©tĂ© qui tombe et qui au fur et Ă  mesure de sa chute se rĂ©pĂšte sans cesse pour se rassurer « juste qu’ici tout va bien, juste qu’ici tout va bien, juste qu’ici tout va bien. » l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage.
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Hubert, La Haine
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On entra dans le dĂ©troit et dans la MĂ©diterranĂ©e ; enfin on aborda Ă  Venise. « Dieu soit louĂ© ! dit Candide en embrassant Martin ; c'est ici que je reverrai la belle CunĂ©gonde. Je compte sur Cacambo comme sur moi-mĂȘme. Tout est bien, tout va bien, tout va le mieux qu'il soit possible. »
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Voltaire (Candide)
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Coluche disait « On ne peut pas dire la vĂ©ritĂ© Ă  la tĂ©lĂ©, il y a trop de gens qui regardent ». La question Ă  poser Ă  la population belge est : pensez-vous ĂȘtre bien informĂ©s ? Croyez-vous que dans une rĂ©gion comme le Moyen-Orient avec toute la richesse du pĂ©trole, on va vous dire la vĂ©ritĂ© ?
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Michel Collon
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Vous ne savez pas Ă  quelle vitesse vous avez couru, avec quelle ardeur vous avez travaillĂ©, quel stade d’épuisement vous avez atteint, avant que quelqu’un se tienne derriĂšre vous et dise : « Tout va bien, tu peux tomber maintenant. Je te rattraperai. » Alors je suis tombĂ©e. Et Harry m’a rattrapĂ©e
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Taylor Jenkins Reid (The Seven Husbands of Evelyn Hugo)
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Non, reprends-toi ! La vie est belle. Tu as tout ce que tu dĂ©sires. Et tu sais trĂšs bien qu’on est toujours tout seul. Dans les moments vraiment flippants de l’existence, on est tout seul. On est tout seul quand l’amour s’en va, tout seul quand les flics dĂ©barquent au petit matin, tout seul face au mĂ©decin qui nous annonce un cancer, tout seul quand on crĂšve

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Guillaume Musso (Je reviens te chercher)
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Notre gĂ©nĂ©ration est trop superficielle pour le mariage. On se marie comme on va au MacDo. AprĂšs, on zappe. Comment voudriez-vous qu'on reste toute sa vie avec la mĂȘme personne dans la sociĂ©tĂ© du zapping gĂ©nĂ©ralisĂ©? Dans l'Ă©poque oĂč les stars, les hommes politiques, les arts, les sexes, les religions n'ont jamais Ă©tĂ© aussi interchangeables? Pourquoi le sentiment amoureux ferait-il exception Ă  la schizophrĂ©nie gĂ©nĂ©rale? Et puis d'abord, d'oĂč nous vient donc cette curieuse obsession: s'escrimer Ă  tout prix pour ĂȘtre heureux avec une seule personne? Sur 558 types de sociĂ©tĂ©s humaines, 24 % seulement sont monogames. La plupart des espĂšces animales sont polygames. Quant aux extraterrestres, n'en parlons pas: il y a longtemps que la Charte Galactique X23 a interdit la monogamie dans toutes les planĂštes de type B#871. Le mariage, c'est du caviar Ă  tous les repas: une indigestion de ce que vous adorez, jusqu'Ă  l'Ă©cƓurement. “ Allez, vous en reprendrez bien un peu, non? Quoi? Vous n'en pouvez plus? Pourtant vous trouviez cela dĂ©licieux il y a peu, qu'est-ce qui vous prend? Sale gosse, va!” La puissance de l'amour, son incroyable pouvoir, devait franchement terrifier la sociĂ©tĂ© occidentale pour qu'elle en vienne Ă  crĂ©er ce systĂšme destinĂ© Ă  vous dĂ©goĂ»ter de ce que vous aimez.
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans - Le roman suivi du scénario du film)
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Je te rencontre. Je me souviens de toi. Cette ville Ă©tait faite Ă  la taille de l'amour. Tu Ă©tais fait Ă  la taille de mon corps mĂȘme. Qui es-tu ? Tu me tues. J'avais faim. Faim d'infidĂ©litĂ©s, d'adultĂšres, de mensonges et de mourir. Depuis toujours. Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus. Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme. DĂ©vore-moi. DĂ©forme-moi Ă  ton image afin qu'aucun autre, aprĂšs toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de dĂ©sir. Nous allons rester seuls, mon amour. La nuit ne va pas finir. Le jour ne se lĂšvera plus sur personne. Jamais. Jamais plus. Enfin. Tu me tues. Tu me fais du bien. Nous pleurerons le jour dĂ©funt avec conscience et bonne volontĂ©. Nous n'aurons plus rien d'autre Ă  faire, plus rien que pleurer le jour dĂ©funt. Du temps passera. Du temps seulement. Et du temps va venir. Du temps viendra. OĂč nous ne saurons plus du tout nommer ce qui nous unira. Le nom s'en effacera peu Ă  peu de notre mĂ©moire. Puis, il disparaĂźtra, tout Ă  fait.
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Marguerite Duras (Hiroshima mon amour)
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Don Juan : [...] Les voilĂ , mes spectres, les spectres de ce que je ne suis pas. Ce sont eux qui me persĂ©cutent et m'Ă©coeurent, et qui me survivront. Ils vivront, car il sont le mensonge. Mais si je dois payer ma vie au prix de toutes les sottises et de tous les mensonges qu'on aura dits sur moi, peut-ĂȘtre vaudrait-il mieux n'avoir pas vĂ©cu. Je vais changer d'habit et mettre mon beau costume. Il faut ĂȘtre bien vĂȘtu quand on va ĂȘtre arrĂȘtĂ©.
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Henry de Montherlant (La Mort qui fait le trottoir [Don Juan])
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PoĂ©tise, poĂ©tise, fais-toi le grand cinĂ©ma de la libertĂ© passĂ©e. Vrai que j'aimais ma vie, que je voyais l'avenir sans dĂ©sespoir. Et je ne m'ennuyais pas. J'en ai rĂ©ellement prononcĂ© des propos dĂ©sabusĂ©s sur le mariage, le soir dans ma chambre, avec les copines Ă©tudiantes, une connerie, la mort, rien qu'Ă  voir la trombine des couples mariĂ©s au restau, ils bouffent l'un en face de l'autre sans parler, momifiĂ©s. Quand HĂ©lĂšne, licence de philo, concluait que c'Ă©tait tout de mĂȘme un mal nĂ©cessaire, pour avoir des enfants, je pensais qu'elle avait de drĂŽles d'idĂ©es, des arguments saugrenus. Moi je n'imaginais jamais la maternitĂ© avec ou sans mariage. Je m'irritais aussi quand presque toutes se vantaient de savoir bien coudre, repasser sans faux plis, heureuses de ne pas ĂȘtre seulement intellectuelles, ma fiertĂ© devant une mousse au chocolat rĂ©ussie avait disparu en mĂȘme temps que Brigitte, la leur m'horripilait. Oui, je vivais de la mĂȘme maniĂšre qu'un garçon de mon Ăąge, Ă©tudiant qui se dĂ©brouille avec l'argent de l'État, l'aide modeste des parents, le baby-sitting et les enquĂȘtes, va au cinĂ©ma, lit, danse, et bosse pour avoir ses examens, juge le mariage une idĂ©e bouffonne.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Maintenant faites dĂ©clarer par sept millions cinq cent mille voix que 2 et 2 font 5, que la ligne droite est le chemin le plus long, que le tout est moins grand que la partie ; faites-le dĂ©clarer par huit millions, par dix millions, par cent millions de voix, vous n’aurez point avancĂ© d’un pas. Eh bien, ceci va vous surprendre, il y a des axiomes en probitĂ©, en honnĂȘtetĂ©, en justice, comme il y a des axiomes en gĂ©omĂ©trie, et la vĂ©ritĂ© morale n’est pas plus Ă  la merci d’un vote que la vĂ©ritĂ© algĂ©brique.
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Victor Hugo (Napoleon The Little)
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Comment s’étaient-ils rencontrĂ©s? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils? Que vous importe? D’oĂč venaient-ils? Du lieu le plus prochain. OĂč allaient-ils? Est-ce que l’on sait oĂč l’on va? Que disaient-ils? Le maĂźtre ne disait rien; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas Ă©tait Ă©crit lĂ -haut.
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Denis Diderot
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Quand je considĂšre ma vie, je suis Ă©pouvantĂ© de la trouver informe. L'existence des hĂ©ros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flĂšche. Et la plupart des hommes aiment Ă  rĂ©sumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une rĂ©crimination ; leur mĂ©moire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes... Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ  composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ça et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă  s'exprimer et Ă  se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă  moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă  peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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J’aime beaucoup les cimetiĂšres, moi, ça me repose et me mĂ©lancolise j’en ai besoin. Et puis, il y a aussi de bons amis lĂ  dedans, de ceux qu’on ne va plus voir ; et j’y vais encore, moi, de temps en temps. Justement, dans ce cimetiĂšre Montmartre, j’ai une histoire de cƓur, une maĂźtresse qui m’avait beaucoup pincĂ©, trĂšs Ă©mu, une charmante petite femme dont le souvenir, en mĂȘme temps qu’il me peine Ă©normĂ©ment, me donne des regrets
 des regrets de toute nature. Et je vais rĂȘver sur sa tombe
 C’est fini pour elle. Et puis, j’aime aussi les cimetiĂšres, parce que ce sont des villes monstrueuses, prodigieusement habitĂ©es. Songez donc Ă  ce qu’il y a de morts dans ce petit espace, Ă  toutes les gĂ©nĂ©rations de Parisiens qui sont logĂ©s lĂ , pour toujours, troglodytes dĂ©finitifs enfermĂ©s dans leurs petits caveaux, dans leurs petits trous couverts d’une pierre ou marquĂ©s d’une croix, tandis que les vivants occupent tant de place et font tant de bruit, ces imbĂ©ciles. Me voici donc entrant dans le cimetiĂšre Montmartre, et tout Ă  coup imprĂ©gnĂ© de tristesse, d’une tristesse qui ne faisait pas trop, de mal, d’ailleurs, une de ces tristesses qui vous font penser, quand on se porte bien : « Ça n’est pas drĂŽle, cet endroit-lĂ , mais le moment n’en est pas encore venu pour moi
 » L’impression de l’automne, de cette humiditĂ© tiĂšde qui sent la mort des feuilles et le soleil affaibli, fatiguĂ©, anĂ©mique, aggravait en la poĂ©tisant la sensation de solitude et de fin dĂ©finitive flottant sur ce lieu, qui sent la mort des hommes.
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Guy de Maupassant (La Maison Tellier)
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Les jours qui suivent sont un vĂ©ritable cauchemar. Je me doute bien que l'amant ne va pas venir vers moi, puisqu'il a exigĂ© le silence, imposĂ© une chape de plomb. Les autres Ă©lĂšves ne manqueraient pas de relever cette bizarrerie si, d'aventure, il me saluait, s'il se contentait de me saluer, mĂȘme de loin. Car, je l'ai dit, nous appartenons Ă  deux cercles distincts, sans intersection possible  : une conjonction, mĂȘme furtive, mĂȘme accidentelle n'est tout bonnement pas envisageable. Pas question de prendre le moindre risque, j'ai bien compris. J'ai bien compris et, pourtant, je ne peux pas m'empĂȘcher d'espĂ©rer un signe qui ne serait dĂ©tectable que par nous, un frĂŽlement qui paraĂźtrait le produit du hasard, un clin d'Ɠil que nul ne pourrait repĂ©rer, un sourire bref. Je rĂȘve d'un sourire bref.
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Philippe Besson (" ArrĂȘte avec tes mensonges ")
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Eh bien, c'est l'histoire d'un petit ourson qui s'appelle
 Arthur. Et y'a une fĂ©e, un jour, qui vient voir le petit ourson et qui lui dit : Arthur tu vas partir Ă  la recherche du Vase Magique. Et elle lui donne une Ă©pĂ©e hmm
 magique (ouais, parce qu'y a plein de trucs magiques dans l'histoire, bref) alors le petit ourson il se dit : "Heu, chercher le Vase Magique ça doit ĂȘtre drĂŽlement difficile, alors il faut que je parte dans la forĂȘt pour trouver des amis pour m'aider." Alors il va voir son ami Lancelot
 le cerf (parce que le cerf c'est majestueux comme ça), heu, Bohort le faisan et puis LĂ©odagan
 heu
 l'ours, ouais c'est un ours aussi, c'est pas tout Ă  fait le mĂȘme ours mais bon. Donc LĂ©odagan qui est le pĂšre de la femme du petit ourson, qui s'appelle GueniĂšvre la truite
 non, non, parce que c'est la fille de
 non c'est un ours aussi puisque c'est la fille de l'autre ours, non parce qu'aprĂšs ça fait des machins mixtes, en fait un ours et une truite
 non en fait ça va pas. Bref, sinon y'a Gauvain le neveu du petit ourson qui est le fils de sa sƓur Anna, qui est restĂ©e Ă  Tintagel avec sa mĂšre Igerne la
 bah non, ouais du coup je suis obligĂ© de foutre des ours de partout sinon on pige plus rien dans la famille
 Donc c'est des ours, en gros, enfin bref
 Ils sont tous lĂ  et donc Petit Ourson il part avec sa troupe Ă  la recherche du Vase Magique. Mais il le trouve pas, il le trouve pas parce qu'en fait pour la plupart d'entre eux c'est
 c'est des nazes : ils sont hyper mous, ils sont bĂȘtes, en plus y'en a qu'ont la trouille. Donc il dĂ©cide de les faire bruler dans une grange pour s'en dĂ©barrasser
 Donc la fĂ©e revient pour lui dire : "Attention petit ourson, il faut ĂȘtre gentil avec ses amis de la forĂȘt" quand mĂȘme c'est vrai, et du coup Petit Ourson il lui met un taquet dans la tĂȘte Ă  la fĂ©e, comme ça : "BAH !". Alors la fĂ©e elle est comme ça et elle s'en va
 et voilĂ  et en fait il trouve pas le vase. En fait il est
 il trouve pas
 et Petit Ourson il fait de la dĂ©pression et tous les jours il se demande s'il va se tuer ou
 pas

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Alexandre Astier (Kaamelott, livre 3, premiùre partie : Épisodes 1 à 50)
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Qu'est−ce donc que la vie humaine? O vertu! Ă  quoi m'avez−vous servi? Deux femmes m'ont indignement trompĂ©; la troisiĂšme, qui n'est point coupable, et qui est plus belle que les autres, va mourir! Tout ce que j'ai fait de bien a toujours Ă©tĂ© pour moi une source de malĂ©dictions, et je n'ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© au comble de la grandeur que pour tomber dans le plus horrible prĂ©cipice de l'infortune. Si j'eusse Ă©tĂ© mĂ©chant comme tant d'autres, je serais heureux comme eux.
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Voltaire (Zadig, ou la destinĂ©e - Voltaire: Édition illustrĂ©e | conte philosophique | 87 pages Format 15,24 cm x 22,86 cm (French Edition))
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Ensuite, la peur se tourne vers votre corps, qui sent dĂ©jĂ  que quelque chose de terrible et de mauvais est entrain de survenir. DĂ©jĂ , votre souffle s'est envolĂ© comme un oiseau et votre cran a fui en rampant comme un serpent. Maintenant, vous avez la langue qui s'affale comme un opossum, tandis que votre mĂąchoire commence Ă  galoper sur place. Vos oreilles n'entendent plus. Vos muscles se mettent Ă  trembler comme si vous aviez la malaria et vos genoux Ă  frĂ©mir comme si vous dansiez. Votre coeur pompe follement, tandis que votre sphincter se relĂąche. Il en va ainsi de tout le reste de votre corps. Chaque partie de vous, Ă  sa maniĂšre, perd ses moyens. Il n'y a que vos yeux Ă  bien fonctionner. Ils prĂȘtent toujours pleine attention Ă  la peur. Vous prenez rapidement des dĂ©cisions irrĂ©flĂ©chies. Vous abandonnez vos derniers alliĂ©s: l'espoir et la confiance. VoilĂ  que vous vous ĂȘtes dĂ©fait vous-mĂȘme. La peur, qui n'est qu'une impression, a triomphĂ© de vous. Cette expĂ©rience est difficile Ă  exprimer. Car la peur, la vĂ©ritable peur, celle qui vous Ă©branle jusqu'au plus profond de vous, celle que vous ressentez au moment oĂč vous ĂȘtes face Ă  votre destin final, se blottit insidieusement dans votre mĂ©moire, comme une gangrĂšne: elle cherche Ă  tout pourrir, mĂȘme les mots pour parler d'elle. Vous devez donc vous battre trĂšs fort pour l'appeler par son nom. Il faut que vous luttiez durement pour braquer la lumiĂšre des mots sur elle. Car si vous ne le faites pas, si la peur devient une noirceur indicible que vous Ă©vitez, que vous parvenez peut-ĂȘtre mĂȘme Ă  oublier, vous vous exposez Ă  d'autres attaques de peur parce que vous n'aurez jamais vraiment bataillĂ© contre l'ennemi qui vous a dĂ©fait.
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Yann Martel (Life of Pi)
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J’allais ouvrir la bouche et aborder cette fille , quand quelqu’un me toucha l’épaule. Je me retournai, surpris, et j’aperçus un homme d’aspect ordinaire, ni jeune ni vieux, qui me regardait d’un air triste. — Je voudrais vous parler, dit-il. Je fis une grimace qu’il vit sans doute, car il ajouta : — « C’est important. » Je me levai et le suivis Ă  l’autre bout du bateau : — « Monsieur, reprit-il, quand l’hiver approche avec les froids, la pluie et la neige, votre mĂ©decin vous dit chaque jour : « Tenez-vous les pieds bien chauds, gardez-vous des refroidissements, des rhumes, des bronchites, des pleurĂ©sies. » Alors vous prenez mille prĂ©cautions, vous portez de la flanelle, des pardessus Ă©pais, des gros souliers, ce qui ne vous empĂȘche pas toujours de passer deux mois au lit. Mais quand revient le printemps avec ses feuilles et ses fleurs, ses brises chaudes et amollissantes, ses exhalaisons des champs qui vous apportent des troubles vagues, des attendrissements sans cause, il n’est personne qui vienne vous dire : « Monsieur, prenez garde Ă  l’amour ! Il est embusquĂ© partout ; il vous guette Ă  tous les coins ; toutes ses ruses sont tendues, toutes ses armes aiguisĂ©es, toutes ses perfidies prĂ©parĂ©es ! Prenez garde Ă  l’amour !
 Prenez garde Ă  l’amour ! Il est plus dangereux que le rhume, la bronchite et la pleurĂ©sie ! Il ne pardonne pas, et fait commettre Ă  tout le monde des bĂȘtises irrĂ©parables. » Oui, monsieur, je dis que, chaque annĂ©e, le gouvernement devrait faire mettre sur les murs de grandes affiches avec ces mots : « Retour du printemps. Citoyens français, prenez garde Ă  l’amour ; » de mĂȘme qu’on Ă©crit sur la porte des maisons : « Prenez garde Ă  la peinture ! » — Eh bien, puisque le gouvernement ne le fait pas, moi je le remplace, et je vous dis : « Prenez garde Ă  l’amour ; il est en train de vous pincer, et j’ai le devoir de vous prĂ©venir comme on prĂ©vient, en Russie, un passant dont le nez gĂšle. » Je demeurai stupĂ©fait devant cet Ă©trange particulier, et, prenant un air digne : — « Enfin, monsieur, vous me paraissez vous mĂȘler de ce qui ne vous regarde guĂšre. » Il fit un mouvement brusque, et rĂ©pondit : — « Oh ! monsieur ! monsieur ! si je m’aperçois qu’un homme va se noyer dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser pĂ©rir ?
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Guy de Maupassant
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bien pour le faubourg Saint-Antoine des romans-arsouille comme Les MystĂšres de Paris. Le jeune Dumas, pour le quart d’heure, va se concilier Ă  perpĂ©tuitĂ© toute la lorettanerie avec sa Dame aux camĂ©lias. Je dĂ©fie aucun dramaturge d’avoir l’audace de mettre en scĂšne sur le boulevard un ouvrier voleur. – Non, lĂ , il faut que l’ouvrier soit honnĂȘte homme, tandis que le monsieur est toujours un gredin. De mĂȘme qu’aux Français la jeune fille est pure, car les mamans y conduisent leurs demoiselles. Je crois donc cet axiome vrai, Ă  savoir que l’on aime le mensonge ; mensonge pendant la journĂ©e et songe pendant la nuit, voilĂ  l’homme.
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Gustave Flaubert (GUSTAVE FLAUBERT: Correspondance - Tome 2 -1851-1858 (French Edition))
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J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la thĂ©orie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inĂ©branlable." Il me disait cela plein de passion et sur le ton d'un pĂšre disant : "Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches Ă  l'Ă©glise !" Quelque peu Ă©tonnĂ©, je lui demandai : "Un bastion -- contre quoi ?" Il me rĂ©pondit : "Contre le flot de vase noire de
" Ici il hĂ©sita un moment pour ajouter : "
 de l'occultisme !" Ce qui m'alarma d'abord, c'Ă©tait le "bastion" et le "dogme" ; un dogme c'est-Ă -dire une profession de foi indiscutable, on ne l'impose que lĂ  oĂč l'on veut une fois pour toutes Ă©craser un doute. Cela n'a plus rien d'un jugement scientifique, mais relĂšve uniquement d'une volontĂ© personnelle de puissance. Ce choc frappa au cƓur notre amitiĂ©. Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position. Freud semblait entendre par "occultisme" Ă  peu prĂšs tout ce que la philosophie et la religion -- ainsi que la parapsychologie qui naissait vers cette Ă©poque -- pouvaient dire de l'Ăąme. Pour moi, la thĂ©orie sexuelle Ă©tait tout aussi "occulte" -- c'est-Ă -dire non dĂ©montrĂ©e, simple hypothĂšse possible, comme bien d'autres conceptions spĂ©culatives. Une vĂ©ritĂ© scientifique Ă©tait pour moi une hypothĂšse momentanĂ©ment satisfaisante, mais non un article de foi Ă©ternellement valable. (p. 244)
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C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
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Voisine Je peux rester des aprĂšs-midi entiers Ă  regarder cette fille, cachĂ© derriĂšre mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut Ă©crire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenĂȘtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle Ă©coute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frĂšres et sƓurs, si elle met la radio quand elle se lĂšve le matin, si elle prĂ©fĂšre l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de prĂšs. Je me demande si elle s'Ă©pile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goĂ»t. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pĂ©trole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda ? Je me demande Ă  quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapĂ©, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pĂšse d'ĂȘtre seule ? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie ? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui ? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle ? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne Ă  sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle ? Si ça se trouve, elle n'a aucun intĂ©rĂȘt, cette fille.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Qui vous le dit, qu’elle (la vie) ne vous attend pas ? Certes, elle continue, mais elle ne vous oblige pas Ă  suivre le rythme. Vous pouvez bien vous mettre un peu entre parenthĂšses pour vivre ce deuil
 accordez-vous le temps. *** Parce que Ò«a me fait plaisir. Parce que je sais aussi que l’entourage peut se montrer trĂšs discret dans pareille situation, et que de se changer les idĂ©es de temps en temps fait du bien. Parce que je sais que vous aimez la montagne et que vous n’iriez pas toute seule. *** Oui. Si vous perdez une jambe, Ò«a se voit, les gens sont conciliants. Et encore, pas tous. Mais quand c’est un morceau de votre cƓur qui est arrachĂ©, Ò«a ne se voit pas de l’extĂ©rieur, et c’est au moins aussi douloureux
 Ce n’est pas de la faute des gens. Ils ne se fient qu’aux apparences. Il faut gratter pour voir ce qu’il y a au fond. Si vous jetez une grosse pierre dans une mare, elle va faire des remous Ă  la surface. Des gros remous d'abord, qui vont gifler les rives, et puis des remous plus petits, qui vont finir par disparaĂźtre. Peu Ă  peu, la surface redevient lisse et paisible. Mais la grosse pierre est quand mĂȘme au fond. La grosse pierre est quand mĂȘme au fond. *** La vie s’apparente Ă  la mer. Il y a les bruit des vagues, quand elles s’abattent sur la plage, et puis le silence d’aprĂšs, quand elles se retirent. Deux mouvement qui se croissent et s’entrecoupent sans discontinuer. L’un est rapide, violent, l’autre est doux et lent. Vous aimeriez vous retirer, dans le mĂȘme silence des vagues, partir discrĂštement, vous faire oublier de la vie. Mais d’autres vague arrivent et arriveront encore et toujours. Parce que c’est Ò«a la vie
 C’est le mouvement, c’est le rythme, le fracas parfois, durant la tempĂȘte, et le doux clapotis quand tout est calme. Mais le clapotis quand mĂȘme Un bord de mer n'est jamais silencieux, jamais. La vie non plus, ni la vĂŽtre, ni la mienne. Il y a les grains de sables exposĂ©s aux remous et ceux protĂ©gĂ©s en haut de la plage. Lesquels envier? Ce n'est pas avec le sable d'en haut, sec et lisse, que l'on construit les chĂąteaux de sable, c'est avec celui qui fraye avec les vagues car ses particules sont coalescentes. Vous arriverez Ă  reconstruire votre chĂąteau, vous le construirez avec des grains qui vous ressemblent, qui ont aussi connu les dĂ©ferlantes de la vie, parce qu'avec eux, le ciment est solide.. *** « Tu ne sais jamais Ă  quel point tu es fort jusqu’au jour oĂč ĂȘtre fort reste la seule option. » C’est Bob Marley qui a dit Ò«a. *** Manon ne referme pas violemment la carte du restaurant. Elle n’éprouve pas le besoin qu’il lui lise le menu pour qu’elle ne voie pas le prix, et elle trouvera Ă©gal que chaque bouchĂ©e vaille cinq euros. Manon profite de la vie. Elle accepte l’invitation avec simplicitĂ©. Elle dĂ©fend la place des femmes sans ĂȘtre une fĂ©ministe acharnĂ©e et cela ne lui viendrait mĂȘme pas Ă  l’idĂ©e de payer sa part. D’abord, parce qu’elle sait que Paul s’en offusquerait, ensuite, parce qu’elle aime ces petites marques de galanterie, qu’elle regrette de voir disparaĂźtre avec l’évolution d’une sociĂ©tĂ© en pertes de repĂšres.
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AgnĂšs Ledig (Juste avant le bonheur)
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J'aurais voulu lui dire que je me sentais comme abimĂ©. Que j'existais sans vivre vraiment. Que des fois j'Ă©tais vide et des je fois je bouillonnais a l’intĂ©rieur, que j'Ă©tais sous pression, prĂȘt a Ă©clater. Que je ressentais plusieurs choses a la fois, comment dire? Que ça grouillait de pensĂ©es dans mon cerveau. Qu'il y avait une sorte d'impatience, comme l'envie de passer Ă  autre chose, quelque chose qui serait bien bien mieux que maintenant, sans savoir ce qui allait mal ni ce qui serait mieux. Que j'avais peur de pas y arriver, peur de pas pouvoir tenir jusque lĂ . De ne jamais ĂȘtre assez fort pour survivre Ă  ça, et que quand je disais "ça", je ne savais mĂȘme pas de quoi je parlais. Que j'arrivais pas Ă  gĂ©rer tout ce qu'il y avait dans ma tĂȘte. Que j'avais toujours l'impression d'ĂȘtre en danger, un danger permanent, de tous les cotĂ©s oĂč je regardais, d'ĂȘtre sur le point de me noyer. Comme si Ă  l'intĂ©rieur de moi le niveau montait et que j'allais ĂȘtre submergĂ©. Mais j'ai pas pu lui dire. J'ai dĂ©gluti et j'ai dit ça va aller, merci. C'Ă©tait plus facile.
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Claire-Lise Marguier (Le faire ou mourir)
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— Ainsi tu as eu droit toi aussi aux sĂ©ances de bain forcĂ© ? s’exclama-t-il. — ForcĂ© et gelĂ©, rĂ©torqua Ellana en lui rendant son sourire. — Et l'escalade des tours ? — Uniquement la nuit quand il pleuvait. Sayanel t'a-t-il fait subir l'Ă©preuve des dix serrures ? — À ouvrir en dix secondes ? Tous les matins pendant trois mois. Le lancer de couteau dans le noir ? — Toutes les nuits depuis trois mois ! Et... Un raclement de gorge les interrompit. Sayanel et Jilano les regardaient, bras croisĂ©s, une lueur amusĂ©e dans les yeux. — Seriez-vous en train de vous plaindre ? demanda Sayanel. Je dois vous avertir que de la part d'Ă©lĂšves en qui nous avons placĂ© quelque espoir, ce serait malvenu ! Nillem rougit, mais Ellana ne se dĂ©monta pas. — Nous ne nous plaignons pas. Nous comparons simplement nos expĂ©riences afin de juger l'originalitĂ© de nos professeurs. Je dois avouer que je suis un peu déçue ! Sayanel se tourna vers Jilano. — Tu n'as pas rĂ©ussi, n'est-ce pas ? — À lui enseigner mesure et humilitĂ© ? Non. Sur ce plan-lĂ , j'admets un Ă©chec complet. — Et le reste ? — PlutĂŽt bien. Et toi ? — Ça va.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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- Eh bien... je ne suis pas sĂ»r de pourvoir l'expliquer, mais je viens de me rendre compte que j'avais vĂ©cu plus longtemps que mon pĂšre, ce Ă  quoi je ne m'Ă©tais jamais attendu. C'est juste que... cela me fait bizarre, c'est tout. Toi qui as perdu ta mĂšre si jeune, tu n'y penses jamais ? - Si. Mon visage Ă©tait enfoui contre son torse, ma voix se perdant dans les plis de sa chemise. - ... Autrefois, quand j'Ă©tais jeune. C'est comme partir en voyage sans carte. Sa main dans mon dos s'arrĂȘta un instant. - Oui, c'est ça. Je savais plus ou moins ce que signifiait ĂȘtre un homme trentenaire, quadragĂ©naire... mais maintenant ? Il Ă©mit un petit bruit, un mĂ©lange d'amusement et de perplexitĂ©. - Il faut s'inventer soit-mĂȘme, dis-je doucement. On regarde les autres femmes, ou les autres hommes. On essaie leur vie pour voir si elle nous va. Puis, on cherche Ă  l'intĂ©rieur de soi ce qu'on ne trouve pas ailleurs. Et on se demande toujours... toujours... si on a fait ce qu'il fallait. Sa main Ă©tait lourde et chaude dans mon dos. Il sentit les larmes qui s'Ă©taient brusquement mises Ă  couler du coin de mes yeux sur sa chemise. Son autre main se posa sur ma tĂȘte et caressa mes cheveux. - Oui, c'est ça, rĂ©pĂ©ta-t-il tout doucement.
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Diana Gabaldon (La Croix de feu / Le Temps des rĂȘves (Le Cercle de Pierre #5-6))
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« Les histoires ont changĂ©, mon garçon, dit l’homme en habit gris avec une ombre imperceptible de tristesse dans la voix. Il n’y a plus de lutte entre le bien et le mal, plus de monstres Ă  pourfendre, plus de demoiselles Ă  secourir. Pour autant que je puisse en juger, la plupart des demoiselles sont parfaitement capables de se dĂ©fendre toutes seules, du moins celles qui en valent la peine. Il n’y a plus d’histoires toutes simples de quĂȘte, avec des bĂȘtes et des dĂ©nouements heureux. Le but de la quĂȘte, le chemin Ă  suivre manquent de clartĂ©. Les bĂȘtes revĂȘtent toutes sortes de formes et il est difficile de les percer Ă  jour. Il n’y a jamais de dĂ©nouement, heureux ou non. Tout continue, se chevauche, se brouille, votre histoire se fond dans celle de votre cƓur qui se fond dans d’innombrables autres histoires et il est impossible de direïżŒïżŒïżŒïżŒïżŒïżŒïżŒ oĂč elles mĂšnent. Le bien et le mal sont trop complexes pour se rĂ©sumer Ă  une princesse et un dragon ou un loup et une fillette tout de rouge vĂȘtue. Et le dragon n’est-il pas le hĂ©ros de sa propre histoire ? Le loup ne se conduit-il pas tout simplement en loup ? À moins, certes, qu’il ne s’agisse d’un loup qui va jusqu’à se dĂ©guiser en grand-mĂšre pour jouer avec sa proie. »
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Erin Morgenstern (The Night Circus)
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Et toujours ces questions si naturelles, anodines en apparence, ça marche toujours avec lui ? Est-ce que tu comptes te marier ? La dĂ©solation de mes parents devant une situation incertaine, "on aimerait bien savoir oĂč ça va te mener tout ça". ObligĂ© que l'amour mĂšne quelque part. Leur peine sourde aussi. Ce serait tellement plus agrĂ©able, plus tranquille pour eux de voir se dĂ©rouler l'histoire habituelle, les faire-part dans le journal, les questions auxquelles on rĂ©pond avec fiertĂ©, un jeune homme de Bordeaux, bientĂŽt professeur, l'Ă©glise, la mairie, le mĂ©nage qui se "monte", les petits-enfants. Je les prive des espĂ©rances traditionnelles. L'affolement de ma mĂšre quand elle apprend, tu couches avec, si tu continues tu vas gĂącher ta vie. Pour elle, je suis en train de me faire rouler, des tonnes de romans qui ressortent, filles sĂ©duites qu'on n'Ă©pouse pas, abandonnĂ©es avec un mĂŽme. Un combat tannant toutes les semaines entre nous deux. Je ne sais pas encore qu'au moment oĂč l'on me pousse Ă  liquider ma libertĂ©, ses parents Ă  lui jouent un scĂ©nario tout aussi traditionnel mais inverse, "tu as bien le temps d'avoir un fil Ă  la patte, ne te laisse pas mettre le grappin dessus !", bien chouchoutĂ©e la libertĂ© des mĂąles.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Et alors nous pouvons dire qu’il y a un temps, le temps prĂ©cĂ©dent, oĂč vous n’étiez, saisis par la sensation ou par l’excitation, que le minimum de vous-mĂȘmes, le minimum de ce que vous pouvez ĂȘtre — le minimum de votre possibilitĂ©. Vous n’étiez, en somme, que le germe. Vous et la sensation Ă©tiez, en quelque sorte, la fĂ©condation d’un germe de vous-mĂȘmes, qui se dĂ©veloppe dans un temps suivant et qui va donner peu Ă  peu — je dis peu Ă  peu : ceci se passe Ă©videmment dans une fraction de seconde, peut-ĂȘtre dans un centiĂšme de seconde —, mais enfin, si j’agrandis l’échelle, eh bien, on peut penser que, peu Ă  peu, vous allez vous former capables de ce que d’autres, par la sensation, vous rĂ©vĂ©laient. Il y a un Ă©change, difficile Ă  exprimer, mais que vous comprenez, entre ces deux termes. En somme, le tĂ©moin qui dĂ©finira la sensibilitĂ© est ce tĂ©moin Ă©lĂ©mentaire, ce tĂ©moin diminuĂ©, ce tĂ©moin qui est trĂšs loin du personnage que nous croyons ĂȘtre quand nous nous sentons plus complets. Ce personnage est ce que peut ĂȘtre un instant : il est ce que peut ĂȘtre une durĂ©e de sensibilitĂ©, qui est naturellement trop brĂšve pour contenir tout ce que nous savons, toutes nos prĂ©tentions, toutes nos qualitĂ©s et toutes nos puissances, ou tous nos pouvoirs. Ainsi, ce moi, ce moi de sensibilitĂ©, est sans mĂ©moire, il n’est capable d’aucune opĂ©ration, il est purement fonctionnel, purement expĂ©dient.
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Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
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Parce qu'il faut bien le dire, le sexe dans ses bras est un immense et luxuriant espace de jeu oĂč rien, mais absolument rien, n'est interdit. J'ai l'impression de gambader toute nue au milieu d'herbes hautes infiniment plus douces que le plus doux des gazons, sous un ciel parfait, et Monsieur me pousse pour que j'atteigne des sommets inĂ©dits sur une balançoire nĂ©e des pinceaux de Fragonard – et bien sĂ»r je ne vais pas dire que je suis tout Ă  fait tranquille en voyant le sol s'Ă©loigner de plus en plus, mais l'ivresse est si grisante, mon Dieu, l'abandon si poignant que je ferme les yeux avec une envie insoutenable de pleurer de plaisir, mise au supplice par ce besoin que j'ai d'exprimer Ă  quel point ce que je ressens est merveilleux, incapable de trouver ne serait-ce que des lettres pour illustrer ce sentiment; puis lorsque je suis Ă  moitiĂ© folle d'excitation Monsieur m'entraĂźne Ă  me plonger dans des marais sombres exhalant de suaves et scandaleuses vapeurs de soufre, dont l'eau est d'une chaleur obscĂšne, et dans lesquels je me perds, orteil aprĂšs orteil. Autour de nous le paysage est devenu plus inquiĂ©tant, je sais que je suis sur un territoire que Monsieur connaĂźt par cƓur, et qu'il va lui falloir me porter dans ces petits chemins de traverse que je ne soupçonnais qu'Ă  peine. Lentement, inĂ©luctablement je glisse dans les orniĂšres les moins dĂ©broussaillĂ©es, et certes ma petite balançoire fleurie est loin, mais qu'il fait chaud et moite sous les ramures de ces arbres morts, plus prĂšs de l'enfer que je l'ai jamais Ă©tĂ© !...
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Emma Becker (Monsieur)
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TOUZENBACH Si vous voulez. De quoi parlerons-nous ? VERCHININE De quoi ? RĂȘvons ensemble... par exemple de la vie telle qu’elle sera aprĂšs nous, dans deux ou trois cents ans. TOUZENBACH Eh bien, aprĂšs nous on s’envolera en ballon, on changera la coupe des vestons, on dĂ©couvrira peut-ĂȘtre un sixiĂšme sens, qu’on dĂ©veloppera, mais la vie restera la mĂȘme, un vie difficile, pleine de mystĂšre, et heureuse. Et dans mille ans, l’homme soupirera comme aujourd’hui : « Ah ! qu’il est difficile de vivre ! » Et il aura toujours peur de la mort et ne voudra pas mourir. VERCHININE, aprĂšs avoir rĂ©flĂ©chi. Comment vous expliquer ? Il me semble que tout va se transformer peu Ă  peu, que le changement s’accomplit dĂ©jĂ , sous nos yeux. Dans deux ou trois cents ans, dans mille ans peut-ĂȘtre, peu importe le dĂ©lai, s’établira une vie nouvelle, heureuse. Bien sĂ»r, nous ne serons plus lĂ , mais c’est pour cela que nous vivons, travaillons, souffrons enfin, c’est nous qui la crĂ©ons, c’est mĂȘme le seul but de notre existence, et si vous voulez, de notre bonheur. Macha rit doucement. TOUZENBACH Pourquoi riez-vous ? MACHA Je ne sais pas. Je ris depuis ce matin. VERCHININE J’ai fait les mĂȘmes Ă©tudes que vous, je n’ai pas Ă©tĂ© Ă  l’AcadĂ©mie militaire. Je lis beaucoup, mais je ne sais pas choisir mes lectures, peut-ĂȘtre devrais-je lire tout autre chose ; et cependant, plus je vis, plus j’ai envie de savoir. Mes cheveux blanchissent, bientĂŽt je serai vieux, et je ne sais que peu, oh ! trĂšs peu de chose. Pourtant, il me semble que je sais l’essentiel, et que je le sais avec certitude. Comme je voudrais vous prouver qu’il n’y a pas, qu’il ne doit pas y avoir de bonheur pour nous, que nous ne le connaĂźtrons jamais... Pour nous, il n’y a que le travail, rien que le travail, le bonheur, il sera pour nos lointains descendants. (Un temps.) Le bonheur n’est pas pour moi, mais pour les enfants de mes enfants. TOUZENBACH Alors, d’aprĂšs vous, il ne faut mĂȘme pas rĂȘver au bonheur ? Mais si je suis heureux ? VERCHININE Non. TOUZENBACH, joignant les mains et riant. Visiblement, nous ne nous comprenons pas. Comment vous convaincre ? (Macha rit doucement. Il lui montre son index.) Eh bien, riez ! (À Verchinine :) Non seulement dans deux ou trois cents ans, mais dans un million d’annĂ©es, la vie sera encore la mĂȘme ; elle ne change pas, elle est immuable, conforme Ă  ses propres lois, qui ne nous concernent pas, ou dont nous ne saurons jamais rien. Les oiseaux migrateurs, les cigognes, par exemple, doivent voler, et quelles que soient les pensĂ©es, sublimes ou insignifiantes, qui leur passent par la tĂȘte, elles volent sans relĂąche, sans savoir pourquoi, ni oĂč elles vont. Elles volent et voleront, quels que soient les philosophes qu’il pourrait y avoir parmi elles ; elles peuvent toujours philosopher, si ça les amuse, pourvu qu’elles volent... MACHA Tout de mĂȘme, quel est le sens de tout cela ? TOUZENBACH Le sens... VoilĂ , il neige. OĂč est le sens ? MACHA Il me semble que l’homme doit avoir une foi, du moins en chercher une, sinon sa vie est complĂštement vide... Vivre et ignorer pourquoi les cigognes volent, pourquoi les enfants naissent, pourquoi il y a des Ă©toiles au ciel... Il faut savoir pourquoi l’on vit, ou alors tout n’est que balivernes et foutaises. Comme dit Gogol : « Il est ennuyeux de vivre en ce monde, messieurs. »
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Anton Chekhov (The Three Sisters)
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En admettant que l’on ait compris ce qu’il y a de sacrilĂšge dans un pareil soulĂšvement contre la vie, tel qu’il est devenu presque sacro-saint dans la morale chrĂ©tienne, on aura, par cela mĂȘme et heureusement, compris autre chose encore : ce qu’il y a d’inutile, de factice, d’absurde, de mensonger dans un pareil soulĂšvement. Une condamnation de la vie de la part du vivant n’est finalement que le symptĂŽme d’une espĂšce de vie dĂ©terminĂ©e : sans qu’on se demande en aucune façon si c’est Ă  tort ou Ă  raison. Il faudrait prendre position en dehors de la vie et la connaĂźtre d’autre part tout aussi bien que quelqu’un qui l’a traversĂ©e, que plusieurs et mĂȘme tous ceux qui y ont passĂ©, pour ne pouvoir que toucher au problĂšme de la valeur de la vie : ce sont lĂ  des raisons suffisantes pour comprendre que ce problĂšme est en dehors de notre portĂ©e. Si nous parlons de la valeur, nous parlons sous l’inspiration, sous l’optique de la vie : la vie elle-mĂȘme nous force Ă  dĂ©terminer des valeurs, la vie elle-mĂȘme Ă©volue par notre entremise lorsque nous dĂ©terminons des valeurs
 Il s’ensuit que toute morale contre nature qui considĂšre Dieu comme l’idĂ©e contraire, comme la condamnation de la vie, n’est en rĂ©alitĂ© qu’une Ă©valuation de vie, — de quelle vie ? de quelle espĂšce de vie ? Mais j’ai dĂ©jĂ  donnĂ© ma rĂ©ponse : de la vie descendante, affaiblie, fatiguĂ©e, condamnĂ©e. La morale, telle qu’on l’a entendue jusqu’à maintenant — telle qu’elle a Ă©tĂ© formulĂ©e en dernier lieu par Schopenhauer, comme « nĂ©gation de la volontĂ© de vivre » — cette morale est l’instinct de dĂ©cadence mĂȘme, qui se transforme en impĂ©ratif : elle dit : « va Ă  ta perte ! » — elle est le jugement de ceux qui sont dĂ©jĂ  jugĂ©s

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Friedrich Nietzsche (Twilight of the Idols)
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Il songea, une nouvelle fois, que, petit, un jour, il portait un lapin par les pattes de derriĂšre. C'Ă©tait en Sicile, les pattes Ă©taient attachĂ©es avec de la ficelle, il marchait Ă  cĂŽtĂ© de son pĂšre, son pĂšre trimbalait un panier de pommes de terre, et il sentait que le sang s'accumulait dans la petite tĂȘte du lapin, le lapin Ă©tait juste dans la posture de Saint-Pierre le jour de sa mort, les yeux du lapin muet avait un vertige infini de souffrance et de terreur, il aurait suffi de mettre l'animal dans l'autre sens, la tĂȘte en haut, alors, au moins, avant la mort inĂ©vitable, il aurait cessĂ© de souffrir, mais il n'osa pas. Par consĂ©quent, lui, petit, dĂ©jĂ  Ă©tait pris dans l'omertĂ  du monde, dans cette complicitĂ© gĂ©nĂ©rale qui nous fait, en gros, accepter des mers et des montagnes de souffrance et de terreur, les reconnaitre pour lĂ©gitimes, nĂ©cessaires, bonnes, justes. Si l'on se mettait, par exemple, Ă  souffrir pour un lapin, il faudrait, tout de suite, souffrir aussi pour les chevaux, les mouches, les rats, les vieillards. C'est pourquoi il avait continuĂ© Ă  tenir l'animal Ă  l'envers, par ses pattes ficelĂ©es, tout en sentant que le regret s'accumulait en lui, s'accumulait jusqu'Ă  former un dĂ©pĂŽt pesant dans la tĂȘte de l'animal, enflammant ses yeux de sang et de terreur, mais l'omertĂ , dĂ©jĂ , Ă©tait la plus forte, la complicitĂ© taciturne des hommes entre eux, des ĂȘtres entre eux. Demandez Ă  qui vous voudrez. Un lapin, pour un trajet donnĂ©, se porte la tĂȘte en bas, ficelĂ© par les pattes de derriĂšre, c'est la loi. Un bambin, sur un chemin, dans la grande Ăźle, dans la Sicile, il ne va pas, de lui-mĂȘme, accomplir la rĂ©volution, tourner l'animal dans l'autre sens, dans le sens du pardon, du bien-ĂȘtre, au risque de troubler le pas de son pĂšre, son pĂšre portait les pommes de terre.
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Jacques Audiberti (Le MaĂźtre De Milan)
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C'est de lĂ -haut qu'il les aperçoit, au fond de la combe Nerre, Ă©crasĂ©s par la perspective : deux insectes minuscules, l'un portant l'autre Ă  travers l'un des endroits les plus inhospitaliers des Causses. Il en oublie la chevrette et, retrouvant l'agilitĂ© de ses vingt ans, se laisse glisser d'Ă©boulis en barres rocheuses jusqu'Ă  les surplomber d'une vingtaine de mĂštres. Deux enfants. Un garçon Ă©puisĂ©, couvert d'Ă©corchures, qui continue Ă  avancer bien qu'Ă  bout de forces, ses jambes menaçant Ă  tout moment de flancher sous lui, tremblant de fatigue et de froid. Une fille, ce doit ĂȘtre une fille mĂȘme si elle n'a plus un cheveu sur le crĂąne, immobile dans les bras du garçon. InanimĂ©e. Ces deux-lĂ  ont souffert, souffrent encore. Maximilien le sent, il sent ces choses-lĂ . Alors, quand le garçon dĂ©pose la fille Ă  l'abri d'un rocher, quand il quitte son tee-shirt dĂ©chirĂ© pour l'en envelopper, quand il se penche pour lui murmurer une priĂšre Ă  l'oreille, alors Maximilien oublie sa promesse de se tenir loin des hommes. Il descend vers eux. Le garçon esquisse un geste de dĂ©fense, mais Maximilien le rassure en lui montrant ses mains vides. Des mains calleuses, puissantes malgrĂ© l'Ăąge. Il se baisse, prend la fille dans ses bras. Un frisson de colĂšre le parcourt. Elle est dans un Ă©tat effroyable, le corps dĂ©charnĂ©, la peau diaphane, une cicatrice rĂ©cente zigzague sur son flanc. Dans une imprĂ©cation silencieuse, Maximilien maudit la folie des hommes, leur cruautĂ© et leur ignorance. Il se met en route, suivi par le garçon qui n'a pas prononcĂ© un mot. Il ne sait pas encore ce qu'il va faire d'eux. Faire d'elle. La soigner, certes, mais ensuite ? Tout en pensant, il marche Ă  grands pas. Tout en marchant, il rĂ©flĂ©chit Ă  grands traits. Il atteint Ombre Blanche au moment oĂč le soleil bascule derriĂšre l'horizon, teintant les Causses d'une somptueuse lumiĂšre orangĂ©e. Un frĂ©missement dans ses bras lui fait baisser la tĂȘte. La fille a bougĂ©. Elle ouvre les yeux. Échange fugace. Échange parfait. Maximilien se noie dans le violet de son regard et en ressort grandi. Le dernier des Caussenards a trouvĂ© son destin.
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Pierre Bottero (La ForĂȘt des captifs (Les Mondes d'Ewilan, #1))
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PĂšre prend les deux planches sous les bras, il avance, il pose une des planches contre la barriĂšre, il grimpe. Nous nous couchons Ă  plat ventre derriĂšre le grand arbre, nous bouchons nos oreilles avec nos mains, nous ouvrons la bouche. Il y a une explosion. Nous courons jusqu'aux barbelĂ©s avec les deux autres planches et le sac de toile. Notre PĂšre est couchĂ© prĂšs de la seconde barriĂšre. Oui, il y a un moyen de traverser la frontiĂšre: c'est de faire passer quelqu'un devant soi. Prenant le sac de toile, marchant dans les traces de pas, puis sur le corps inerte de notre PĂšre, l'un de nous s'en va dans l'autre pays. *** Nous sommes nus. Nous nous frappons l'un l'autre avec une ceinture. Nous disons Ă  chaque coup: – Ça ne fait pas mal. Nous frappons plus fort, de plus en plus fort. Nous passons nos mains au-dessus d'une flamme. Nous entaillons notre cuisse, notre bras, notre poitrine avec un couteau et nous versons de l'alcool sur nos blessures. Nous disons chaque fois: – Ça ne fait pas mal. Au bout d'un certain temps, nous ne sentons effectivement plus rien. C'est quelqu'un d'autre qui a mal, c'est quelqu'un d'autre qui se brĂ»le, qui se coupe, qui souffre. Nous ne pleurons plus. *** Nous entrons dans le camp. Il est vide. Il n'y a personne nulle part. Certains bĂątiments continuent Ă  se consumer. La puanteur est insupportable. Nous nous bouchons le nez et nous avançons tout de mĂȘme. Une barriĂšre de fils de fer barbelĂ©s nous arrĂȘte. Nous montons sur un mirador. Nous voyons une grande place sur laquelle se dressent quatre grands bĂ»chers noirs. Nous repĂ©rons une ouverture, une brĂšche dans la barriĂšre. Nous descendons du mirador, nous trouvons l'entrĂ©e. C'Ăšst une grande porte en fer, ouverte. Au-dessus, il est Ă©crit en langue Ă©trangĂšre: «Camp de transit.» Nous entrons. Les bĂ»chers noirs que nous avons vus d'en haut, ce sont des cadavres calcinĂ©s. Certains ont trĂšs bien brĂ»lĂ©, il ne reste que des os. D'autres sont Ă  peine noircis. Il y en a beaucoup. Des grands et des petits. Des adultes et des enfants. Nous pensons qu'on les a tuĂ©s d'abord, puis entassĂ©s et Ă rrosĂ©s d'essence pour y mettre le feu. Nous vomissons. Nous sortons du camp en courant. Nous rentrons.
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Ágota Kristóf (Le grand cahier)
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La science, dans la mesure oĂč elle est inconsciemment influencĂ©e par l'idĂ©ologie rĂ©actionnaire, formule des thĂšses destinĂ©es Ă  fournir une base scientifique solide Ă  cette idĂ©ologie. Bien souvent, elle ne va pas jusque-lĂ , et se contente de se rĂ©fĂ©rer Ă  la cĂ©lĂšbre "nature morale" de l'homme. Ce faisant, elle oublie son propre point de vue, qu'elle ne manque cependant pas d'opposer Ă  ses adversaires idĂ©ologiques, selon lequel la tĂąche lĂ©gitime de la science se limite Ă  dĂ©crire les faits en dehors de toute apprĂ©ciation, et Ă  expliquer ces faits quant Ă  leur causalitĂ©. Lorsqu'elle veut faire mieux que justifier les exigences sociales par un simple recours aux idĂ©es morales, elle use d'une mĂ©thode objectivement bien plus dangereuse, car elle dissimule les points de vues moraux derriĂšre des thĂšses pseudo-scientifiques. La moralitĂ© se trouve ainsi "scientifiquement" rationalisĂ©e. (p. 148-149)
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Wilhelm Reich (The Sexual Revolution: Toward a Self-governing Character Structure)
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L’extrait du Journal de Gide n’est peut-ĂȘtre pas mauvais au point de vue de mes livres, mais il est vraiment terrible pour Gide lui-mĂȘme, ou plus prĂ©cisĂ©ment pour son “intellectualitĂ©â€ ; du reste, malgrĂ© ce que semblait espĂ©rer SecrĂ©tant ! qui se trouvait Ă  ce moment-lĂ  chez P. Georges, j’aurais Ă©tĂ© bien Ă©tonnĂ© que le rĂ©sultat soit autre ; Gide paraĂźt ĂȘtre de ces gens pour qui la question de la vĂ©ritĂ© des idĂ©es ne se pose mĂȘme pas ! - Quant Ă  ce M. Étiemble, je n’en avais jamais entendu parler, et je ne sais pas du tout Ă  qui il a pu s’adresser pour tĂącher de me trouver. J’ai eu seulement connaissance, dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, des efforts qu’a faits F. Bonjean pour me rencontrer, d’abord en allant dans l’Inde, puis encore tout rĂ©cemment en retournant au Maroc... Pour en revenir Ă  Étiemble, je suis trĂšs heureux de ce que vous lui avez dit pour le dĂ©courager ; il faut en effet faire tout le possible pour empĂȘcher ces “intrusions”, surtout du cĂŽtĂ© des Ă©crivains et journalistes, indiscrets par profession, et qui au fond ne comprennent rien, ainsi que vous avez pu tout de suite vous en rendre compte dans ce cas ; vous pouvez penser comme je serais disposĂ© Ă  donner, Ă  quelque titre que ce soit, ma collaboration Ă  une “propagande” quelconque ! Si tout cela s’amplifie ces temps-ci comme vous le pensez, il va falloir que je prenne de mon cĂŽtĂ© plus de prĂ©cautions que jamais pour Ă©viter tout ce monde... lettre du 10 novembre 1945 Ă  un correspondant inconnu
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René Guénon
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Pendant des millĂ©naires, l'homme a Ă©tĂ© le dĂ©tenteur du pouvoir ; il ne supporte pas l'idĂ©e que cela va finir avec lui, il veut le transmettre Ă  un autre ĂȘtre, semblable Ă  lui. Qui a le pouvoir jouit d'un grand prestige ; il prend la dimension d'un symbole, il a le droit et le devoir de se rĂ©aliser au maximum, on attend de lui qu'il devienne un individu, il est considĂ©rĂ© pour ce qu'il sera. On attend de la femme qu'elle soit un objet, et elle est considĂ©rĂ©e pour ce qu'elle donnera. Deux destins tout Ă  fait diffĂ©rents. Le premier implique la possibilitĂ© d'utiliser toutes les ressources personnelles, les ressources du milieu et celles d'autrui pour se rĂ©aliser, c'est le laissez-passer pour le futur, le bien-ĂȘtre par l'Ă©goĂŻsme. Le second destin prĂ©voit au contraire le renoncement aux aspirations personnelles et l'intĂ©riorisation de ses propres Ă©nergies pour laisser aux autres toutes les possibilitĂ©s. Le monde se maintient justement par la mise en rĂ©serve de toutes les Ă©nergies fĂ©minines, qui sont lĂ  comme un grand rĂ©servoir, Ă  la disposition de ceux qui emploient les leurs Ă  la poursuite de leurs ambitions de pouvoir.
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Elena Gianini Belotti (Dalla parte delle bambine)
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Ce qu'il y a de brutal et d'exemplaire chez Rimbaud, c'est qu'il rend la vie inutile. Inutilisable. Toute lecture, toute ambition intellectuelle, hors de question. Puisqu'un Rimbaud est possible, tout est vain. Il arrive et il parle. Et sa parole est un chant. Et ce chant implique tous les chants possibles. Et les annule. L'expĂ©rience, la durĂ©e, l'homme sont ici mis en dĂ©route. Il renverse toutes les lois, en imposant la loi qui est et reste le haut fait d'ĂȘtre ce que l'on est. Il ne vit que par raccroc, il respire parce qu'il faut bien. Et peu importe alors ce qu'il va faire de cette vie dĂ©risoire. Sa poche d'ignorance, d'inspiration est prĂ©servĂ©e. Il rend Ă  ce qu'on nomme la vie le suprĂȘme hommage, qui consiste Ă  opĂ©rer comme si l'on n'avait que faire de ce qu'elle laisse espĂ©rer. HĂ©ritier milliardaire qui vivrait comme si ce trĂ©sor ne lui Ă©tait de rien. Superbe mĂ©pris. Il rendra la cassette pleine, sans mĂȘme s'ĂȘtre souciĂ© d'en vĂ©rifier les richesses. Antiphilosophe extrĂȘme qui respecte aussi peu la mort que la vie. Il avance oreilles bouchĂ©es, lĂšvres closes, muet jusqu'au rire; oui, proprement angĂ©lique. BrĂ»lant toutes ses cartes sans calcul, sans prĂ©mĂ©ditation, sans plaisir. Il est ce qu'il est et fait ce qu'il fait. Le secret de Rimbaud, c'est l'Ă©vidence. Un rien de prĂ©sence dĂ©placĂ©e et c'en Ă©tait fait. Il rĂ©ussissait ou il Ă©chouait. Alors que son destin n'est pas qualifiable. Est le prĂ©sent mĂȘme.
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Georges Perros (Papiers collés)
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C'est donc parce qu'un « personnage fantĂŽme » hante l'homosexuel malgrĂ© lui et que « ce personnage » n'est autre « que lui-mĂȘme sous le regard d'autre » ou, ce qui revient au mĂȘme, lui-mĂȘme tel qu'il est assignĂ© Ă  une place particuliĂšre et infĂ©riorisĂ©e dans l'ordre sexuel, que tout gay doit un jour « prendre parti », et se choisir lui-mĂȘme ou bien renoncer Ă  la libertĂ© pour s'annihiler comme personne afin de se plier aux exigences de la sociĂ©tĂ© qui l'insulte en tant qu'homosexuel mais lui refuse le droit de se dire gay. Les « Juifs inauthentiques, dit Sartre, sont des hommes que les autres hommes tiennent pour Juifs et qui ont choisi de fuir devant cette situation insupportable ». L'« inauthenticitĂ© » est donc une soumission Ă  l'ordre social et aux structures de l'oppression, et l'« authenticitĂ© », d'abord et avant tout un refus de cet ordre. Il ne s'agit pas - cela va sans dire - de juger les uns et les autres et d'Ă©tablir une Ă©chelle morale ou politique pour Ă©valuer les comportements : chacun fait ce qu'il peut ; ou ce qu'il veut ! Mais l'on comprend pourquoi, et c'est lĂ  l'important, Sartre peut dire que l'authenticitĂ© ne saurait se manifester que « dans la rĂ©volte ». (p. 170-171)
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Didier Eribon (Insult and the Making of the Gay Self (Series Q))
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L'homosexuel qui parle de sa vie « privĂ©e » rompt la situation « normale » puisque celle-ci est dĂ©finie comme telle par le fait que, « normalement », comme dit le langage de tous les jours, l'homosexualitĂ© n'est pas dicible ou, ce qui n'est pas trĂšs diffĂ©rent, n'est pas souvent dite. Toute parole qui consiste Ă  dire l'homosexualitĂ© ne peut dĂšs lors ĂȘtre entendue que comme une volontĂ© de l'affirmer, de l'afficher, comme un geste de provocation ou un acte militant. La sortie de la honte est toujours perçue comme la proclamation de la fiertĂ© (ce qu'inĂ©vitablement elle est toujours, puisque celui qui Ă©nonce l'homosexualitĂ© et le fait ainsi entrer dans le discours autrement que comme un objet de plaisanterie ou comme un objet tout court, mais comme la prise de parole d'un sujet, a bien conscience que ce qu'il va dire sera entendu de cette maniĂšre). On ne peut jamais dire simplement qu'on est homosexuel : on l'affirme toujours envers et contre tout, envers et contre tous, et non seulement contre ceux qui voudraient empĂȘcher qu'on puisse le dire, mais aussi contre ceux qui objectent qu'il n'est pas besoin de le dire. C'est pourquoi il y a toujours une certaine thĂ©ĂątralitĂ© propre Ă  l'affirmation homosexuelle. Ce n'est donc pas en vertu du fait que, comme l'Ă©crit Sartre, « puisque nous ne faisons que jouer ce que nous sommes, nous sommes tout ce que nous pouvons jouer ». C'est au contraire parce qu'un homosexuel doit si longtemps jouer ce qu'il n'est pas qu'il ne peut ensuite ĂȘtre ce qu'il est qu'en le jouant. C'est vrai. Mais il ne peut en ĂȘtre autrement. On l'a vu : il y a une Ă©nergie qui sourd de la honte, qui se forme en elle et par elle et qui agit comme une force transformatrice. Cette Ă©nergie s'exprime dans l'identitĂ© thĂ©ĂątralisĂ©e, dans la performance (au sens anglais), dans l'exhibitionnisme, l'extravagance ou la parodie. L'exhibitionnisme et la thĂ©ĂątralitĂ© sont sans doute, et ont Ă©tĂ© historiquement, parmi les gestes les plus importants qui ont permis de dĂ©fier l'hĂ©gĂ©monie hĂ©tĂ©ronormative. Et c'est d'ailleurs pourquoi ils ont toujours fait l'objet d'attaques si virulentes. La honte donne son Ă©nergie Ă  l'exhibitionnisme, Ă  l'affirmation de soi comme thĂ©ĂątralitĂ©, c'est-Ă -dire Ă  l'affirmation de soi tout court. (p. 163-164)
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Didier Eribon (Insult and the Making of the Gay Self (Series Q))
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Savoir que c’est la bonne dĂ©cision ne signifie pas que tout va bien se passer.
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Kimberly McCreight (The Collide (The Outliers #3))
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Il en va des paysages comme des ĂȘtres ou des musiques qui nous bouleversent. Ils nous prĂ©cipitent au cƓur de nous-mĂȘmes et nous jettent bien au-delĂ  d'eux dans un mouvement violent, douloureux, lumineux. On en revient diffĂ©rent et tout Ă©tonnĂ© d'avoir approchĂ© le feu qui ressemble si fort Ă  la vĂ©ritĂ©, et que ce soit si simple. On sait qu'il faudra recommencer, ĂȘtre attentif, rĂ©ceptif, disponible parce que chaque instant et chaque Ă©motion tournent comme la lumiĂšre du jour.
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Jocelyne Gagliardi
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L. G. - D'oĂč le rĂŽle de l'Ă©crivain ... É. Glissant - Et d'oĂč le rĂŽle du poĂšte qui va chercher non pas des rĂ©sultantes prĂ©visibles mais des imaginaires ouverts pour toutes sortes d'avenirs de la crĂ©olisation. Le poĂšte n'a pas peur de l'imprĂ©dictible. L. G. - Que signifie pour vous « subvertir la langue » ? É. G. - La subversion vient de la crĂ©olisation (ici, linguistique) et non des crĂ©olismes. Ce que les gens retiennent de la crĂ©olisation, c'est le crĂ©olisme, c'est-Ă -dire: introduire dans la langue française des mots crĂ©oles, fabriquer des mots français nouveaux Ă  partir de mots crĂ©oles. Je trouve que c'est le cĂŽtĂ© exotique de la question. C'est le reproche que je fais aussi Ă  certains Ă©crivains quĂ©bĂ©cois. La crĂ©olisation pour moi n'est pas le crĂ©olisme : c'est par exemple engendrer un langage qui tisse les poĂ©tiques, peut-ĂȘtre opposĂ©es, des langues crĂ©oles et des langues françaises. Qu'est-ce que j'appelle une poĂ©tique? Le conteur crĂ©ole se sert de procĂ©dĂ©s qui ne sont pas dans le gĂ©nie de la langue française, qui vont mĂȘme Ă  l'opposĂ© : les procĂ©dĂ©s de rĂ©pĂ©tition, de redoublement, de ressassement, de mise en haleine. Les pratiques de listage que Saint-John Perse a utilisĂ©es dans sa poĂ©tique et que j'esquisse dans beaucoup de mes textes, ces listes interminables qui essaient d'Ă©puiser le rĂ©el non pas dans une formule mais dans une accumulation, l'accumulation prĂ©cisĂ©ment comme procĂ©dĂ© rhĂ©torique, tout cela me paraĂźt ĂȘtre beaucoup plus important du point de vue de la dĂ©finition d'un langage nouveau, mais beaucoup moins visible. Si bien que le lecteur français peut se dire devant de tels textes: «Je n'y comprends rien », et effectivement il n'y comprend rien parce que ces poĂ©tiques-lĂ  ne lui sont pas perceptibles tandis qu'un crĂ©olisme lui est immĂ©diatement perceptible. Il peut s'amuser, il peut dire : « Ah ! Oui, ça c'est intĂ©ressant. » Il a pris un mot, il l'a dĂ©fait, et cela peut mĂȘme lui paraĂźtre exotique. Mais la poĂ©tique, la structure du langage, la refonte de la structure des langages lui paraĂźtront purement et simplement obscures. L'accumulation de parenthĂšses, par exemple, ou d'incises, qui est une technIque, n'intervient pas de maniĂšre aussi dĂ©cisive dans le discours français. Quand on me dit: « Pour qui Ă©crivez-vous ? », cela me fait rire parce que je n'Ă©cris pas pour un lecteur-ci ou un lecteur-ça, j'essaie d'Ă©crire en vue de ce moment oĂč le lecteur ou l'auditeur - on enregistrera sans doute de plus en plus de textes - sera ouvert Ă  toutes sortes de poĂ©tiques et pas seulement aux poĂ©tiques de sa langue Ă  lui. Et ce jour-lĂ  viendra oĂč il y aura une sorte de variance infinie des sensibilitĂ©s linguistiques. Non pas une connaissance des langues, ça c'est autre chose. De plus en plus les traductions deviendront un art essentiel. Jusqu'ici on a trop laissĂ© les traductions aux seuls traducteurs. Les traductions deviendront une part importante des poĂ©tiques, ce qui n'est pas le cas jusqu'ici. Et je pense Ă  toute cette variance infinie de nuances des poĂ©tiques possibles des langues, et chacun sera de plus en plus pĂ©nĂ©trĂ© par cela, non pas par la seule poĂ©tique et la seule Ă©conomie, structure et Ă©conomie de sa langue, mais par toute cette fragrance, cet Ă©clatement des poĂ©tiques du monde. Ce sera une nouvelle sensibilitĂ©. Je crois que l'Ă©crivain Ă  l'heure actuelle essaie de prĂ©sager cela, de le prĂ©parer et de s'y accoutumer.
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Édouard Glissant (L'imaginaire des langues: Entretiens avec Lise Gauvin (1991-2009))
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Qu'est-ce que je peux faire? demanda-t-il.    – Va te branler.    – Tu crois que c'est foutu?    – Bien entendu. C'est foutu depuis longtemps, depuis l'origine. Tu ne reprĂ©senteras jamais, RaphaĂ«l, un rĂȘve Ă©rotique de jeune fille. Il faut en prendre ton parti; de telles choses ne sont pas pour toi. De toute façon, il est dĂ©jĂ  trop tard. L'insuccĂšs sexuel, RaphaĂ«l, que tu as connu depuis ton adolescence, la frustration qui te poursuit depuis l'Ăąge de treize ans laisseront en toi une trace ineffaçable. À supposer mĂȘme que tu puisses dorĂ©navant avoir des femmes – ce que, trĂšs franchement, je ne crois pas – cela ne suffira pas; plus rien ne suffira jamais. Tu resteras toujours orphelin de ces amours adolescentes que tu n'as pas connues. En toi, la blessure est dĂ©jĂ  douloureuse; elle le deviendra de plus en plus. Une amertume atroce, sans rĂ©mission, finira par emplir ton cƓur. Il n'y aura pour toi ni rĂ©demption, ni dĂ©livrance.
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Michel Houellebecq (Whatever)
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« Comme disait le mec qui tombe de la tour Eiffel quand il passe devant le premier étage : jusqu'ici, tout va bien. »
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Lenia Major (Une bouteille Ă  la mer)
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Il Ă©tait passĂ© la voir le lendemain et avait bu une biĂšre sans mĂȘme s'asseoir, pire que froid, un Ă©tranger. Jenn avait compris. Elle Ă©tait de toute façon de ces femmes qui doivent toujours comprendre, les colĂšres et les lĂąchetĂ©s, se trimballer les gosses et torcher les vieux, ĂȘtre toujours moins bien payĂ©e et dire amen. De mĂšre en mĂšre, c'Ă©tait comme ça. - Mais toi, t'as envie de quoi ? avait tout de mĂȘme demandĂ© Greg. - Je sais pas. Ce qui signifiait Ă  l'Ă©vidence qu'elle envisageait moyennement de se dĂ©barrasser de l'avenir qui lui poussait dans le ventre. Le pĂšre de Bilal s'Ă©tait cassĂ© depuis longtemps et elle en avait bavĂ© pour refaire sa vie, entre ses journĂ©es Ă  rallonge et son gosse qui n'Ă©tait pas si facile. Elle avait tenu bon, farouche et souriante, sans jamais renoncer toutefois Ă  la possibilitĂ© d'une vie Ă  deux, la seule envisageable Ă  ses yeux. Dans ce domaine, elle n'avait pas tellement de prĂ©tentions d'ailleurs, et sur l'amour, plus guĂšre d'illusions. Il n'Ă©tait plus question pour elle de coup de foudre ni de passion pied au plancher, le cƓur Ă  cent Ă  l'heure et les mains moites. LĂ -dessus, Hollywood et la collection Harlequin pouvaient aller se faire mettre. À trente-deux ans, Jennifer ne se racontait plus d'histoire. Elle avait eu dans sa vie des gentils garçons et des intĂ©rimaires fumeurs de pet', des allumĂ©s de la console, des brutaux ou des zombies comme le pĂšre de Bilal qui pouvait passer des heures devant la tĂ©lĂ© sans dire un mot. Elle avait eu des mecs qui la baisaient vite et mal Ă  deux heures du mat sur le parking d'un quelconque Papagayo. Elle avait Ă©tĂ© amoureuse et trompĂ©e. Elle avait trompĂ© et s'en Ă©tait voulu. Elle avait passĂ© des heures Ă  chialer comme une conne dans son oreiller pour des menteurs ou des jaloux. Elle avait eu quinze ans, et comme n'importe qui, sa dose de lettes et de flirts hĂ©sitants. On lui avait tenu la main, on l'avait emmenĂ©e au cinĂ©. On lui avait dit je t'aime, je veux ton cul, par texto et Ă  mi-voix dans l'intimitĂ© d'une chambre Ă  coucher. À prĂ©sent, Jenn Ă©tait grande. Elle savait Ă  quoi s'en tenir. L'amour n'Ă©tait pas cette symphonie qu'on vous serinait partout, publicitaire et enchantĂ©e. L'amour c'Ă©taient des listes de courses sur le frigo, une pantoufle sous un lit, un rasoir rose et l'autre bleu dans la salle de bains. Des cartables ouverts et des jouets qui trainent, une belle-mĂšre qu'on emmĂšne chez le pĂ©dicure pendant que l'autre va porter de vieux meubles Ă  la dĂ©chetterie, et tard le soir, dans le noir, deux voix qui se rĂ©chauffent, on les entend Ă  peine, qui disent des choses simples et sans relief, il n'y a plus de pain pour le petit-dĂ©jeuner, tu sais j'ai peur quand t'es pas lĂ . Mais justement, je suis lĂ . Jenn n'aurait pas su le dire avec des mots, mais tout cela, elle le savait de source sĂ»re.
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Nicolas Mathieu (Connemara)
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Mais il faut le voir Ă  table comme il la regarde quand elle brille, ses yeux d'animal subjuguĂ©. D'oĂč vient-elle donc cette crĂ©ature ? Pr les mots dans sa bouche, ces idĂ©es qui lui passent par la cervelle, son insatisfaction tout le temps, son intraitable enthousiasme, ce dĂ©sir d'aller voir ailleurs, de marquer les distances, cet Ă©lan qui frise l'injure parfois? Ou va-t-elle chercher tout ça ? Alors, quand leur fille a besoin de sous pour un voyage de classe ou acheter des livres, Mireille et Jean ne rechignent pas. Ils raquent. Ils font ce qu'il faut. C'est leur terrible mĂ©tier de parents, donner Ă  cette gamine les moyens de son Ă©vasion. On a si peu de raison de se rĂ©jouir dans ces endroits qui n’ont ni la mĂšre ni la Tour Eiffel, ou dieu est mort comme partout oĂč la soirĂ©e s’achĂšvent Ă  20 heures en semaine et dans les talus le week-end Car elle et Jeannot savent qu'ils ne peuvent plus grand-chose pour elle. Ils font comme si, mais ils ne sont plus en mesure de faire des choix Ă  sa place. Ils en sont rĂ©duits ça, faire confiance, croiser les doigts, espĂ©rer quils l'ont Ă©levĂ©e comme il faut et que ça suffira. L'adolescence est un assassinat prĂ©mĂ©ditĂ© de longue date et le cadavre de leur famille telle qu'elle fut git dĂ©jĂ  sur le bord du chemin. Il faut dĂ©sormais rĂ©inventer des rĂŽles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruositĂ©s et les ruades. Le corps est encore chaud. Il tressaille. Mais ce qui existait, l'enfance et ses tendresses Ă©videntes, le rĂšgne indiscutĂ© des adultes et la gamine pile au centre, le cocon et la ouate, les vacances Ă  La Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On n'y reviendra plus. Et puis il aimait bien aller Ă  l'hĂŽtel, dont elle rĂ©glait toujours la note. Il apprĂ©ciait la simplicitĂ© des surfaces, le souci ergonome partout, la distance minime entre le lit et la douche, l'extrĂȘme propretĂ© des serviettes de bain, le sol neutre et le tĂ©lĂ©viseur suspendu, les gobelets sous plastique, le cliquetis prĂ©cis de l'huisserie quand la porte se refermait lourdement sur eux, le code wifi prĂ©cisĂ© sur un petit carton Ă  cĂŽtĂ© de la bouilloire, tout ce confort limitĂ© mais invariable. À ses yeux, ces chambres interchangeables n'avaient rien d'anonyme. Il y retrouvait au contraire un territoire ami, elle se disait ouais, les mecs de son espĂšce n'ont pas de rĂ©pit, soumis au travail, paumĂ©s dans leurs familles recomposĂ©es, sans mĂȘme assez de thune pour se faire plaisir, devenus les cons du monde entier, avec leur goĂ»t du foot, des grosses bagnoles et des gros culs. AprĂšs des siĂšcles de rĂšgne relatif, ces pauvres types semblaient bien gĂȘnĂ©s aux entournures tout Ă  coup dans ce monde qu'ils avaient jadis cru taillĂ© Ă  leur mesure. Leur nombre ne faisait rien Ă  l'affaire. Ils se sentaient acculĂ©s, passĂ©s de mode, fonciĂšrement inadĂ©quats, insultĂ©s par l'Ă©poque. Des hommes Ă©levĂ©s comme des hommes, basiques et fĂȘlĂ©s, une survivance au fond. Toute la journĂ©e il dirigeait 20 personnes, gĂ©rait des centaines de milliers d'euros, alors quand il fallait rentrer Ă  la maison et demander cent fois Ă  Mouche de ranger ses chaussettes, il se sentait un peu sous employĂ©. Effectivement. Ils burent un pinot noir d'Alsace qui les dĂ©rida et, dans la chaleur temporaire d'une veille d'enterrement, se retrouvĂšrent. - T'aurais pu venir plus tĂŽt, dit GĂ©rard, aprĂšs avoir mis les assiettes dans le lave-vaisselle. Julien, qui avait un peu trop bu, se contenta d'un mouvement vague, sa tĂȘte dodelinant d'une Ă©paule Ă  l'autre. C'Ă©tait une concession bien suffisante et le pĂšre ne poussa pas plus loin son avantage. Pour motiver son petit frĂšre, Julien a l'idĂ©e d'un entraĂźnement spĂ©cial, qui dĂ©bute par un lavage de cerveau en rĂšgle. Au programme, Rocky, Les Chariots de feu, KaratĂ© Kid, et La Castagne, tout y passe. À chaque fois, c'est plus ou moins la mĂȘme chose : des acteurs torse nu et des sĂ©quences d'entraĂźnement qui transforment de parfaits losers en machines Ă  gagner.
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Nicolas Mathieu (Connemara)
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L’art a un rĂŽle essentiel Ă  jouer. Non pas au titre de divertissement ou de distraction – ce n’est pas son rĂŽle, Nietzsche et Ionesco le mentionnaient dĂ©jĂ  – mais en tant que machine de guerre totale contre l’univocitĂ© du sens. Il ne s’agit plus de commenter ou de comprendre le rĂ©el : il s’agit de produire du rĂ©el ! C’est beaucoup plus important. Ce qui tue aujourd’hui et avant tout, c’est notre manque d’imagination. Notre enlisement dans l’inertie. Nous avons bien davantage besoin d’artistes que d’ingĂ©nieurs face au dĂ©sastre en cours : notre problĂšme n’est pas technique, il est axiologique et ontologique. L’art, la littĂ©rature, la poĂ©sie sont des armes de prĂ©cision. Il va falloir les dĂ©gainer.
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Aurélien Barrau (Il faut une révolution politique, poétique et philosophique: Entretien avec Carole Guilbaud (French Edition))
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rallumant une nouvelle clope. Tu ne m’as pas toujours respectĂ© pourtant
 — Mais non
 mais
 pour
 pourquoi
 vous
 tu
 mais qu’est-ce que je t’ai fait, bon sang ! Vouvoiement, tutoiement, sacrĂ© dilemme dans son crĂąne de piaf. C’est au moins la cinquiĂšme fois qu’il me pose la question et il ne sait toujours pas comment s’y prendre. Finalement, ça m’amuse de le voir jouer les Ă©quilibristes. Moi, je n’hĂ©site pas un seul instant. Tutoiement. C’est bon, ça fait un an que je lui balance du « vous » Ă  toutes les sauces, que je suis Ă  ses petits soins, que dis-je, que je m’agenouille devant lui comme un serf devant son suzerain. Alors maintenant, on arrĂȘte la comĂ©die, c’est fini. On joue d’égal Ă  Ă©gal. Si nous avions Ă©tĂ© deux personnes raisonnables, nous nous serions attablĂ©s autour de son bureau, nous aurions discutĂ© de nos diffĂ©rends et peut-ĂȘtre, je dis bien peut-ĂȘtre, serions-nous arrivĂ©s Ă  un accord. Mais lĂ , au vu des circonstances et de tout ce qui nous sĂ©pare, il n’y a plus de discussion possible. J’ai choisi mon camp. Je serai le dominant et lui le dominĂ©. Les rĂŽles sont donc changĂ©s. — Qu’est-ce que tu m’as fait ? m’indignĂ©-je en recrachant la fumĂ©e de ma tige sur son visage. Non, mais tu te fous de moi ? Ça fait un an que tu me pourris la vie ! Douze mois consĂ©cutifs, bordel de merde ! — Je
 je ne vous ai pas
 je ne t’ai pas pourri la vie ! Jamais ! Vous
 tu
 tu sais que tu vas au-devant de graves ennuis ? Adam a tout entendu et lĂ , il est parti donner l’alerte. Les forces d’intervention vont arriver ici d’une minute Ă  l’autre ! Tu ne sais pas dans quel pĂ©trin tu t’es fourrĂ©, mon pauvre ami. Alors le mieux pour toi, c’est que tu me dĂ©taches de ce fauteuil et que l’on oublie rapidement cette histoire ! La sonnerie du tĂ©lĂ©phone stoppe subitement ses « conseils avisĂ©s ». J’hĂ©site un instant. Je n'ai pas forcĂ©ment envie de dĂ©crocher et Ă  vrai dire, j'ai une vague idĂ©e de la personne qui se trouve derriĂšre le combinĂ©, mais comme je suis de nature curieuse, je dĂ©cide tout de mĂȘme d'en savoir un peu plus. Deux secondes aprĂšs avoir rĂ©pondu « allÎ », j’arrache violemment le fil qui relie le tĂ©lĂ©phone Ă  la prise murale et envoie valdinguer l’appareil Ă  l’autre bout de la piĂšce. Fin de la discussion. — C’est bien ce que je pensais
 un nĂ©gociateur. — Tu aurais dĂ» Ă©couter ce qu’il avait Ă  te dire, reprend l’autre empaffĂ© en me gratifiant d’un sourire qui pue la haine. Maintenant, c’est sĂ»r que tu vas devoir te coltiner le RAID. Et crois-moi, ça va te coĂ»ter cher ! Ils sont sans pitiĂ© avec les preneurs d’otage
 Non vraiment, Adam a fait du bon boulot. Je suis fier de
 Un mollard gros comme une balle de 22 Long Rifle fuse alors sur son visage. Façon de lui signifier qu’il peut d’ores et dĂ©jĂ  la mettre en sourdine. Adam, c’est le veilleur de nuit de la tour. Je ne le connais pas bien. La seule chose que je peux dire sur lui, c’est que je le croise plus souvent que ma femme et mon fils
 À mon grand dĂ©sarroi. Je lui rĂ©torque quand bien mĂȘme : — Ces graves ennuis comme tu dis si bien, je ne les ai eus qu’avec toi ! Alors tu sais, les flics peuvent descendre en rappel par les fenĂȘtres ou balancer des lance-roquettes sur cette tour de merde, ce ne sera que de la roupie de sansonnet Ă  cĂŽtĂ© de ce que j’ai subi ! Tiens, prends ça ! Clac ! Cette baffe est douloureuse. Je le vois Ă  sa grimace. C’est vrai que je ne l’ai pas ratĂ©. Ça fait deux heures que je suis sur lui Ă  viser sa joue rougie par le feu de mes allers-retours, alors forcĂ©ment, Ă  un moment donnĂ© on attrape le coup de main. Je craque mes phalanges pour lui faire comprendre
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Thierry Vernhes (FrĂšres de sang - Nouvelle (French Edition))
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Quand la tristesse s'est rendue maĂźtresse de tes instants et qu'elle t'accompagne non seulement dans le contenu du temps, mais aussi dans tes pressentiments d'Ă©ternitĂ©, quand elle compose la matiĂšre de tes sensations, fortes ou flottantes, il en va comme si, depuis les origines jusqu'Ă  aujourd'hui, toi seul en avais jamais fait l'expĂ©rience, comme si elle t'avait attendu, lourde des siĂšcles qui l'ont ignorĂ©e, pour Ă  travers toi remplir l'univers et le vouer au deuil. Et quand bien mĂȘme tu saurais combien d'esprits, combien d'Ăąmes elle a empoisonnĂ©s et parĂ©s, tu ne saurais y trouver aucune consolation. Toi qui dĂ©couvres toute chose Ă  travers elle, tu lui confĂšres, sans le vouloir, l'Ă©tendue et la valeur du monde. Et puis ce ne sont pas les autres qui te l'ont rĂ©vĂ©lĂ©e, il n'est pas d'apprentissage de la tristesse, ni de maĂźtres susceptibles de l'enseigner : ta propre nature lui a donnĂ© consistance Ă  partir du non-dit de tes inhibitions, toi qui es vouĂ© Ă  ne prendre part Ă  rien de ce qui semble exister.
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Emil M. Cioran (Razne)
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— Je te devais soixante francs, te voilĂ  payĂ©, voleur ! dit la Maheude, enragĂ©e parmi les autres. Tu ne me refuseras plus crĂ©dit
 Attends ! attends ! il faut que je t’engraisse encore. De ses dix doigts, elle grattait la terre, elle en prit deux poignĂ©es, dont elle lui emplit la bouche, violemment. — Tiens ! mange donc !
 Tiens ! mange, mange, toi qui nous mangeais ! Les injures redoublĂšrent, pendant que le mort, Ă©tendu sur le dos, regardait, immobile, de ses grands yeux fixes, le ciel immense d’oĂč tombait la nuit. Cette terre, tassĂ©e dans sa bouche, c’était le pain qu’il avait refusĂ©. Et il ne mangerait plus que de ce pain-lĂ , maintenant. Ça ne lui avait guĂšre portĂ© bonheur, d’affamer le pauvre monde. Mais les femmes avaient Ă  tirer de lui d’autres vengeances. Elles tournaient en le flairant, pareilles Ă  des louves. Toutes cherchaient un outrage, une sauvagerie qui les soulageĂąt. On entendit la voix aigre de la BrĂ»lĂ©. — Faut le couper comme un matou ! — Oui, oui ! au chat ! au chat !
 Il en a trop fait, le salaud ! DĂ©jĂ , la Mouquette le dĂ©culottait, tirait le pantalon, tandis que la Levaque soulevait les jambes. Et la BrĂ»lĂ©, de ses mains sĂšches de vieille, Ă©carta les cuisses nues, empoigna cette virilitĂ© morte. Elle tenait tout, arrachant, dans un effort qui tendait sa maigre Ă©chine et faisait craquer ses grands bras. Les peaux molles rĂ©sistaient, elle dut s’y reprendre, elle finit par emporter le lambeau, un paquet de chair velue et sanglante, qu’elle agita, avec un rire de triomphe : — Je l’ai ! je l’ai ! Des voix aiguĂ«s saluĂšrent d’imprĂ©cations l’abominable trophĂ©e. Ah ! bougre, tu n’empliras plus nos filles ! — Oui, c’est fini de te payer sur la bĂȘte, nous n’y passerons plus toutes, Ă  tendre le derriĂšre pour avoir un pain. — Tiens ! je te dois six francs, veux-tu prendre un acompte ? moi, je veux bien, si tu peux encore ! Cette plaisanterie les secoua d’une gaietĂ© terrible. Elles se montraient le lambeau sanglant, comme une bĂȘte mauvaise, dont chacune avait eu Ă  souffrir, et qu’elles venaient d’écraser enfin, qu’elles voyaient lĂ , inerte, en leur pouvoir. Elles crachaient dessus, elles avançaient leurs mĂąchoires, en rĂ©pĂ©tant, dans un furieux Ă©clat de mĂ©pris : — Il ne peut plus ! il ne peut plus !
 Ce n’est plus un homme qu’on va foutre dans la terre
 Va donc pourrir, bon Ă  rien ! La BrĂ»lĂ©, alors, planta tout le paquet au bout de son bĂąton ; et, le portant en l’air, le promenant ainsi qu’un drapeau, elle se lança sur la route, suivie de la dĂ©bandade hurlante des femmes. Des gouttes de sang pleuvaient, cette chair lamentable pendait, comme un dĂ©chet de viande Ă  l’étal d’un boucher. En haut, Ă  la fenĂȘtre, Mme Maigrat ne bougeait toujours pas ; mais sous la derniĂšre lueur du couchant, les dĂ©fauts brouillĂ©s des vitres dĂ©formaient sa face blanche, qui semblait rire. Battue, trahie Ă  chaque heure, les Ă©paules pliĂ©es du matin au soir sur un registre, peut-ĂȘtre riait-elle, quand la bande des femmes galopa, avec la bĂȘte mauvaise, la bĂȘte Ă©crasĂ©e, au bout d’un bĂąton. Cette mutilation affreuse s’était accomplie dans une horreur glacĂ©e.
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Émile Zola (Germinal)
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Je crois fermement que les gens n'ont pas besoin d'un partenaire pour ĂȘtre heureux. Si quelqu'un veut avoir une relation, trĂšs bien. S'il ne veut pas, trĂšs bien aussi. Il en va de mĂȘme pour les enfants, le mariage, etc. Il n'existe pas de baromĂštre universel du bonheur. La vie d'une personne peut ĂȘtre tout aussi Ă©panouie sans partenaire qu'avec.
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Ana Huang (Twisted Hate (Twisted, #3))
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Quand je refuse une sortie, car je ne le sens pas, que je ne me sens pas bien, il me pose souvent cette fameuse question : « Pourquoi tu n’es pas bien ? Quelle est la raison ? ». Le problĂšme, c’est qu’il n’y en a pas une seule bien distincte, je ne sais pas pourquoi je ne vais pas bien. Je fais vraiment de mon mieux pour rester sociale, mais je n’y arrive plus, et j’ai graduellement arrĂȘtĂ© de vouloir essayer de lui expliquer. Je ne sais pas quoi lui dire de plus Ă  part « Parfois, ça ne va pas, il n’y a pas de raison prĂ©cise ou de solutions dĂ©finies pour amĂ©liorer les circonstances, c’est tout. »
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Charlie (Les couleurs du changement (French Edition))
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Il rĂ©solut de ne pas mĂȘme songer Ă  corriger PersĂ©polis, et de laisser le monde comme il va car, dit-il, si tout n'est pas bien, tout est passable.
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Voltaire (Le Monde Comme Il Va : Vision de Babouc)
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Rien n’est petit en effet; quiconque est sujet aux pĂ©nĂ©trations profondes de la nature, le sait. Bien qu’aucune satisfaction absolue ne soit donnĂ©e Ă  la philosophie, pas plus de circonscrire la cause que de limiter l’effet, le contemplateur tombe dans des extases sans fond Ă  cause de toutes ces dĂ©compositions de forces aboutissant Ă  l’unitĂ©. Tout travaille Ă  tout. L’algĂšbre s’applique aux nuages ; l’irradiation de l’astre profite Ă  la rose ; aucun penseur n’oserait dire que le parfum de l’aubĂ©pine est inutile aux constellations. Qui donc peut calculer le trajet d’une molĂ©cule? que savons-nous si des crĂ©ations de mondes ne sont point dĂ©terminĂ©es par des chutes de grains de sable? qui donc connaĂźt les flux et les reflux rĂ©ciproques de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, le retentissement des causes dans les prĂ©cipices de l’ĂȘtre, et les avalanches de la crĂ©ation? Un ciron importe ; le petit est grand, le grand est petit ; tout est en Ă©quilibre dans la nĂ©cessitĂ© ; effrayante vision pour l’esprit. Il y a entre les ĂȘtres et les choses des relations de prodige ; dans cet inĂ©puisable ensemble, de soleil Ă  puceron, on ne se mĂ©prise pas ; on a besoin les uns des autres. La lumiĂšre n’emporte pas dans l’azur les parfums terrestres sans savoir ce qu’elle en fait ; la nuit fait des distributions d’essence stellaire aux fleurs endormies. Tous les oiseaux qui volent ont Ă  la patte le fil de l’infini. La germination se complique de l’éclosion d’un mĂ©tĂ©ore et du coup de bec de l’hirondelle brisant l’Ɠuf, et elle mĂšne de front la naissance d’un ver de terre et l’avĂšnement de Socrate. OĂč finit le tĂ©lescope, le microscope commence. Lequel des deux a la vue la plus grande? Choisissez. Une moisissure est une plĂ©iade de fleurs ; une nĂ©buleuse est une fourmiliĂšre d’étoiles. MĂȘme promiscuitĂ©, et plus inouĂŻe encore, des choses de l’intelligence et des faits de la substance. Les Ă©lĂ©ments et les principes se mĂȘlent, se combinent, s’épousent, se multiplient les uns par les autres, au point de faire aboutir le monde matĂ©riel et le monde moral Ă  la mĂȘme clartĂ©. Le phĂ©nomĂšne est en perpĂ©tuel repli sur lui-mĂȘme. Dans les vastes Ă©changes cosmiques, la vie universelle va et vient en quantitĂ©s inconnues, roulant tout dans l’invisible mystĂšre des effluves, employant tout, ne perdant pas un rĂȘve de pas un sommeil, semant un animalcule ici, Ă©miettant un astre lĂ , oscillant et serpentant, faisant de la lumiĂšre une force et de la pensĂ©e un Ă©lĂ©ment, dissĂ©minĂ©e et indivisible, dissolvant tout, exceptĂ© ce point gĂ©omĂ©trique, le moi ; ramenant tout Ă  l’ñme atome ; Ă©panouissant tout en Dieu ; enchevĂȘtrant, depuis la plus haute jusqu’à la plus basse, toutes les activitĂ©s dans l’obscuritĂ© d’un mĂ©canisme vertigineux, rattachant le vol d’un insecte au mouvement de la terre,subordonnant, qui sait? ne fĂ»t-ce que par l’identitĂ© de la loi, l’évolution de la comĂšte dans le firmament au tournoiement de l’infusoire dans la goutte d’eau. Machine faite d’esprit. En grenage Ă©norme dont le premier moteur est le moucheron et dont la derniĂšre roue est le zodiaque.
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Victor Hugo
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Que signifie qu’il n’y pas une continuation de l’Ɠuvre de RenĂ© GuĂ©non par consensus ? Je ne sais ce que font les Maçons guĂ©noniens, mais je sais que le groupe soufique de VĂąlsan correspond pleinement Ă  tout ce que dĂ©sirait GuĂ©non ; quant Ă  moi l’Ɠuvre de GuĂ©non en tant qu’ensemble indivisible ne me concerne pas puisque je n’en accepte pas tous les axiomes, et on ne peut en bonne logique me reprocher de ne pas avoir rĂ©alisĂ© un programme que je n’ai jamais eu l’intention de rĂ©aliser. » « On peut ironiser sur des « excommunications rĂ©ciproques » quand il s’agit d’une secte intrinsĂšquement hĂ©tĂ©rodoxe, donc d’une caricature, – de mormons, de bĂ©haĂŻstes, d’anthroposophes – mais non quand il s’agit d’un milieu normal et honorable se rĂ©fĂ©rant Ă  des vĂ©ritĂ©s spirituelles ; dans ce dernier cas, mĂȘme les anathĂšmes peuvent ĂȘtre honorables, et il y eut dans tous les climats, dans les premiers siĂšcles du Christianisme aussi bien qu’aux dĂ©buts de l’Islam, et jusque dans les ordres monastiques et les confrĂ©ries. « Les divergences des sages sont une bĂ©nĂ©diction » disait le ProphĂšte. Les guĂ©noniens, dans leur ensemble sont des hommes respectables, et il faut respecter mĂȘme leur divergences, lesquelles ne peuvent prĂȘter au ridicule, ou plutĂŽt au mĂ©pris, que dans les cas oĂč un individu se mĂȘle sottement ou effrontĂ©ment des choses qui le dĂ©passent ; or je revendique la plus rigoureuse honorabilitĂ© non seulement pour moi-mĂȘme, mais aussi pour mon ancien adversaire VĂąlsan, dont j’ai toujours respectĂ© la position – ce fut celle de GuĂ©non – et avec lequel j’ai eu de bons rapports jusqu’à sa mort, malgrĂ© nos divergences. Mais il va sans dire que je ne saurais revendiquer cette honorabilitĂ© pour des personnes, guĂ©noniennes ou non, qui n’ont ni vertu ni bonne foi. » « VĂąlsan me disait une fois qu’il y a peu d’hommes intelligents parmi les guĂ©noniens, quelqu’en puisse ĂȘtre la raison ; il parlait Ă©videmment, non d’un groupe, mais de tous les guĂ©noniens ; et il avait une certaine expĂ©rience de leur moyenne, comme je l’ai moi-mĂȘme. Une des raisons de cet Ă©tat de choses est la suivante : l’ésotĂ©risme attire, non seulement les hommes d’élite mais aussi les mĂ©diocres souffrant de sentiments d’infĂ©rioritĂ© qu’ils cherchent Ă  compenser par quelque sublimation ; et il y a ausi des psychopathes Ă  la recherche soit d’un espace de rĂȘve, soit d’un abri donnant un sentiment de sĂ©curitĂ©. On ne peut pas empĂȘcher que de tels hommes existent, mais ce n’est pas une raison pour ĂȘtre dupe de leur « orthodoxie », ni surtout de leur mythomanie. » « J’ajouterai que VĂąlsan fut la personnification du guĂ©nonisme intĂ©gral et inflexible, qu’il fut – lui seul – le « dauphin » de GuĂ©non ; qu’il fut un homme fort intelligent et profondĂ©ment spirituel, en sorte qu’il me fut possible d’avoir avec lui les meilleurs rapports, malgrĂ© nos divergences. C’est d’ailleurs sa paix avec moi, et son dĂ©sir de m’avoir comme collaborateur Ă  la revue, qui est le principal chef d’accusation de la part des sectaires de Turin ; » [Frithjof Schuon – Lettre Ă  Jean-Pierre Laurant (Pully avril 1976)]
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Frithjof Schuon
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Il regarde les gens autour de lui, Ă©coute leurs conversations, suppute, pour chacun, ses chances d’échapper Ă  sa condition prĂ©sente. Les clochards, les vrais, c’est rĂąpĂ©. Les employĂ©s, les secrĂ©taires, qui viennent Ă  l’heure du dĂ©jeuner manger un sandwich sur un banc, ils auront de l’avancement mais n’iront pas bien loin, d’ailleurs ils n’imaginent mĂȘme pas d’aller bien loin. Les deux jeunes types Ă  tĂȘtes d’intellectuels qui discutent et couvrent d’annotations, avec l’air de se prendre trĂšs au sĂ©rieux, les feuillets dactylographiĂ©s de ce qui doit ĂȘtre un scĂ©nario : ils doivent y croire, Ă  leurs dialogues Ă  la con, Ă  leurs personnages Ă  la con, et peut-ĂȘtre qu’ils ont raison d’y croire, peut-ĂȘtre qu’ils y arriveront, peut-ĂȘtre qu’ils connaĂźtront Hollywood, les piscines, les starlettes, et la cĂ©rĂ©monie des Oscars. La tribu de Portoricains, en revanche, qui dĂ©ploie sur la pelouse tout un campement de couvertures, de transistors, de bĂ©bĂ©s, de thermos... : ceux-lĂ , on peut ĂȘtre sĂ»r qu’ils resteront oĂč ils sont. Encore que... qui sait? Peut-ĂȘtre que leur bĂ©bĂ© braillard, Ă  la couche pleine de merde, fera grĂące Ă  leurs sacrifices de formidables Ă©tudes et deviendra prix Nobel de mĂ©decine ou secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU. Et lui, Édouard, avec son jean blanc et ses idĂ©es noires, que va-t-il devenir?
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Emmanuel CarrĂšre
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Ah benim DĂŒndar Ă¶ÄŸretmenim! Ah benim gazetelerim, liselerim, kaymakamlarım, babalarım, ağabeylerim, kĂąh Alman, kĂąh Amerikan kılıklı askerlerim, çocuk yĂŒzlĂŒ halkevlerim, ‘ Bir TĂŒrk bir dĂŒnyaya bedel’lerim, marƟlarım, heykellerim, Alman yengelerim ve ‘Tout va trĂšs bien Madame la Marquise’ Ɵarkılarım! Havada uçuƟan her Ɵeyden biraz. Ve savaƟ bitmiƟtir ey Ɵen arkadaƟ! BĂŒyĂŒk zaferin gĂŒnĂŒnĂŒ terennĂŒm edelim
 Bu muymuƟ yurdunu sevmek? Yurdunu budununu özĂŒnden çok sevmek? Sevmek
 Sevmek, bilmektir. En iyi Ă¶ÄŸrendiğim Ɵeyse ‘vecize’ söylemek.
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Adalet Ağaoğlu
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La libertĂ© Ă©tant partout ce qu'elle est, c'est-Ă -dire sans contrainte interne, on peut dire que l'homme est libre de se damner, de mĂȘme qu'il est libre de se jeter dans un abĂźme, s'il le veut ; cependant, dĂšs que l'homme passe Ă  l'action, la libertĂ© devient illusoire dans la mesure oĂč elle va contre la vĂ©ritĂ© : celui qui se jette volontairement dans un abĂźme se prive par lĂ  mĂȘme de sa libertĂ© d'agir. Il en va de mĂȘme pour l'homme Ă  tendance infernale : il devient l'esclave de son choix, tandis que l'homme Ă  tendance spirituelle s'Ă©lĂšve vers une plus grande libertĂ©. d'autre part, puisque la rĂ©alitĂ© de l'enfer est faites d'illusion, - car l'Ă©loignement de Dieu ne peut ĂȘtre qu'illusoire -, l'enfer ne saurait exister Ă©ternellement Ă  cotĂ© de la BĂ©atitude, bien que, selon sa propre vision, sa fin ne puisse pas se concevoir ; c'est lĂ  l'Ă©ternitĂ© Ă  rebours des Ă©tats de damnation. Ce n'est donc pas sans raison que les Soufis insistent sur la relativitĂ© de toute chose crĂ©Ă©e, et affirment que le feu de l'enfer se refroidira aprĂšs une durĂ©e indĂ©finie ; tous les ĂȘtres seront finalement rĂ©sorbĂ©s en Dieu. Quoi qu'en pensent certains philosophes modernes, la libertĂ© et l'arbitraire se contredisent ; l'homme est libre de choisir l'absurde, mais il n'est pas libre en tant qu'il le choisit ; la libertĂ© (dans ce cas lĂ ) et l'acte ne coĂŻncident pas dans la CrĂ©ature
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Titus Burckhardt (An Introduction to Sufism: The Mystical Dimensions of Islam)
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[...] contrairement Ă  l’opinion courante, d’aprĂšs laquelle l’analyse serait en quelque sorte prĂ©paratoire Ă  la synthĂšse et conduirait Ă  celle-ci, si bien qu’il faudrait toujours commencer par l’analyse, mĂȘme quand on n’entend pas s’en tenir lĂ , la vĂ©ritĂ© est qu’on ne peut jamais parvenir effectivement Ă  la synthĂšse en partant de l’analyse ; toute synthĂšse, au vrai sens de ce mot, est pour ainsi dire quelque chose d’immĂ©diat, qui n’est prĂ©cĂ©dĂ© d’aucune analyse et en est entiĂšrement indĂ©pendant, comme l’intĂ©gration est une opĂ©ration qui s’effectue d’un seul coup et qui ne prĂ©suppose nullement la considĂ©ration d’élĂ©ments comparables Ă  ceux d’une somme arithmĂ©tique ; et, comme cette somme arithmĂ©tique ne peut donner le moyen d’atteindre et d’épuiser l’indĂ©fini, il est, dans tous les domaines, des choses qui rĂ©sistent par leur nature mĂȘme Ă  toute analyse et dont la connaissance n’est possible que par la seule synthĂšse [1]. [1] Ici et dans ce qui va suivre, il doit ĂȘtre bien entendu que nous prenons les termes « analyse » et « synthĂšse » dans leur acception vĂ©ritable et originelle, qu’il faut avoir bien soin de distinguer de celle, toute diffĂ©rente et assez impropre, dans laquelle on parle couramment de l’« analyse mathĂ©matique », et suivant laquelle l’intĂ©gration elle-mĂȘme, en dĂ©pit de son caractĂšre essentiellement synthĂ©tique, est regardĂ©e comme faisant partie de ce qu’on appelle l’ « analyse infinitĂ©simale » ; c’est d’ailleurs pour cette raison que nous prĂ©fĂ©rons Ă©viter l’emploi de cette derniĂšre expression, et nous servir seulement de celles de « calcul infinitĂ©simal » et de « mĂ©thode infinitĂ©simale », qui du moins ne sauraient prĂȘter Ă  aucune Ă©quivoque de ce genre.
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René Guénon (The Metaphysical Principles of the Infinitesimal Calculus)
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Si rien n'a changĂ© dans mon musĂ©e d'autrefois, tout Ă©galement est restĂ© pareil dans ces quartiers de ma ville de plus en plus dĂ©suĂšte, d'oĂč la vie maritime peu Ă  peu se retire: les mĂȘmes pans de murs, garnis des mĂȘmes jasmins et mĂȘmes lierres, les mĂȘmes toits en tuiles romaines jaunis par la rouille du temps, les mĂȘmes cheminĂ©es dont je reconnais si bien les profils sur le ciel de cette fin d'une journĂ©e d'automne. Les arbres des jardins, qui Ă©taient dĂ©jĂ  vieux quand je commençais la vie, n'ont pas sensiblement vieilli depuis. Les grands ormeaux des remparts, qui Ă©taient dĂ©jĂ  sĂ©culaires, sont lĂ  toujours formant une aussi magnifique ceinture avec leurs mĂȘmes cimes vertes. Et quand tout s'est conservĂ© immuable dans les entours, comment imaginer, admettre que l'on est soi-mĂȘme non loin de finir, tout simplement parce que l'on atteindra bientĂŽt le nombre d'annĂ©es comptĂ© sans merci Ă  la moyenne des existences! Mon Dieu, finir, quand on ne sent rien en soi qui ait changĂ©, et que le mĂȘme Ă©lan vous emporterait vers l'aventure, vers l'inconnu s'il en restait quelque part! Est-ce possible, hĂ©las ! devant cet humble mais immuable dĂ©cor qui devrait pourtant, Ă  ce qu'il semble, vous envelopper d'une protection, vous imprĂ©gner un peu de sa facultĂ© de durer, devant tout cela qui si aisĂ©ment s'Ă©ternise, avoir Ă©tĂ© un enfant pour qui le monde va s'ouvrir, avoir Ă©tĂ© celui qui vivra, et ne plus ĂȘtre que celui qui a vĂ©cu!
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Pierre Loti (Angkor)
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Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lĂšvres, Nos silences, nos paroles, La lumiĂšre qui s'en va, la lumiĂšre qui revient, Un seul sourire pour nous deux, Par besoin de savoir, j'ai vu la nuit crĂ©er le jour sans que nous changions d'apparence, Ô bien-aimĂ© de tous et bien-aimĂ© d'un seul, En silence ta bouche a promis d'ĂȘtre heureuse, De loin en loin, ni la haine, De proche en proche, ni l'amour, Par la caresse nous sortons de notre enfance, Je vois de mieux en mieux la forme humaine, Comme un dialogue amoureux, le cƓur ne fait qu'une seule bouche Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser, Les sentiments Ă  la dĂ©rive, les hommes tournent dans la ville, Le regard, la parole et le fait que je t'aime, Tout est en mouvement, il suffit d'avancer pour vivre, D'aller droit devant soi vers tout ce que l'on aime, J'allais vers toi, j'allais sans fin vers la lumiĂšre, Si tu souris, c'est pour mieux m'envahir, Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard.
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Paul Éluard
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Tu es de gauche ? Dis-moi, tu m’avais dit que tu es de gauche, c’est quoi au fait ? Ah, tu es contre le systĂšme, je vois. Tu es contre l’islamisme, c’est ça, oui, radicalement contre. TrĂšs bien et pour le progrĂšs, un ardent dĂ©fenseur du progrĂšs, cela va de soi. Et aprĂšs, contre le despotisme, Ă©videmment. Mais tout ça ne nourrit pas son bonhomme, je veux dire ça ne trace pas de chemin, je suis encore perdu avec toi, mĂȘme pas un brin d’horizon. Certes, tu es un fervent partisan du changement, j’en suis convaincu. TrĂšs bien, mais changer quoi ? Ta sociĂ©tĂ©, qu’est-ce ce que je suis bĂȘte, j’aurai dĂ» deviner ! Mais au fait tu la connais cette sociĂ©tĂ© ? Sa structure, ses classes sociales, ses mentalitĂ©s, ses aspirations, ses dĂ©sirs, ses douleurs ? Sais-tu son rapport au religieux ? As-tu une idĂ©e jusqu’à quel point elle est sensible Ă  tes idĂ©es, Ă  ton projet ? Évidemment non, puisque tu n’as pas d’idĂ©es, pas de projet. Alors au lieu de t’époumoner Ă  crier des slogans, va travailler mon garçon! Ton col Mao ne suffit pas Ă  lui seul Ă  convaincre. [facebook, 25 Octobre 2016]
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Mohammed Ennaji
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Pour moi [Corrine Del Aguila-Berthelot, mĂ©decin sexologue], l'un des obstacles au plaisir fĂ©minin, c'est la dĂ©responsabilisation des filles. Elles croient toujours que le Prince Charmant va arriver et tout leur apporter. Leur sexe est perçu comme quelque chose qu'elles vont devoir partager avec quelqu'un ou "offrir" Ă  quelqu'un, et donc il ne leur appartient pas tout Ă  fait. Elles sont toujours dans le souci de l'autre, se demandant si elles lui donnent ce qu'il veut, comme si leur sexe n'Ă©tait pas Ă  elle mais Ă  lui. Elles peuvent trĂšs bien avoir une sexualitĂ© fonctionnelle, et mĂȘme dĂ©bridĂ©e, mais ce n'est pas investi, pas habitĂ©." p. 247
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Élisa Brune (La rĂ©volution du plaisir fĂ©minin : SexualitĂ© et orgasme)
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Ce sont les sophistes, Protagoras en tĂȘte, qui sont les vĂ©ritables prĂ©curseurs de la pensĂ©e moderne ; ce sont eux les « penseurs » proprement dits, en ce sens qu'ils se bornaient Ă  ratiociner et ne se souciaient guĂšre de « percevoir » et de rendre compte de ce qui « est ». Et c'est Ă  tort qu'on a vu en Socrate, Platon et Aristote les pĂšres du rationalisme, voire de la pensĂ©e moderne en gĂ©nĂ©ral ; sans doute, ils raisonnent — Shankara et RĂąmĂąnuja en font autant — mais ils n'ont jamais dit que le raisonnement est l'alpha et l'omĂ©ga de l'intelligence et de la vĂ©ritĂ©, ni a fortiori que nos expĂ©riences ou nos goĂ»ts dĂ©terminent la pensĂ©e et priment l'intuition intellectuelle et la logique, quod absit. Somme toute, la philosophie moderne est la codification d'une infirmitĂ© acquise ; l'atrophie intellectuelle de l'homme marquĂ© par la « chute » avait pour consĂ©quence une hypertrophie de l'intelligence pratique, d'oĂč en fin de compte l'explosion des sciences physiques et l'apparition de pseudo-sciences telles que la psychologie et la sociologie (1). Quoi qu'il en soit, il faut reconnaĂźtre que le rationalisme bĂ©nĂ©ficie de circonstances attĂ©nuantes en face de la religion, dans la mesure oĂč il se fait le porte-parole des besoins de causalitĂ© lĂ©gitimes que suscitent certains dogmes, du moins quand on les prend Ă  la lettre comme l'exige la thĂ©ologie (2). D'une maniĂšre tout Ă  fait gĂ©nĂ©rale, il va de soi qu'un rationaliste peut avoir raison sur le plan des observations et des expĂ©riences ; l'homme n'est pas un systĂšme clos, bien qu'il puisse s'efforcer de l'ĂȘtre. Mais mĂȘme en dehors de toute question de rationalisme et de dogmatisme, on ne peut en vouloir Ă  personne d'ĂȘtre scandalisĂ© par les sottises et les crimes perpĂ©trĂ©s au nom de la religion, ou mĂȘme simplement par les antinomies entre les diffĂ©rents credos ; toutefois, comme les horreurs ne sont certes pas l'apanage de la religion — les prĂ©dicateurs de la « dĂ©esse raison » en fournissent la preuve —, il faut nous arrĂȘter Ă  la constatation que les excĂšs et les abus sont dans la nature humaine. S'il est absurde et choquant que des crimes se rĂ©clament du Saint-Esprit, il n'est pas moins illogique et scandaleux qu'ils aient lieu Ă  l'ombre d'un idĂ©al de rationalitĂ© et de justice. [...]
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Frithjof Schuon (The Transfiguration of Man)
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D’autre part, nous avons eu aussi l’occasion de faire remarquer la faiblesse, pour ne pas dire plus, de l’attitude qu’on est convenu d’appeler « apologĂ©tique », et qui consiste Ă  vouloir dĂ©fendre une tradition contre des attaques telles que celles de la science moderne en discutant les arguments de celle-ci sur son propre terrain, ce qui ne va presque jamais sans entraĂźner des concessions plus ou moins fĂącheuses, et ce qui implique en tout cas une mĂ©connaissance du caractĂšre transcendant de la doctrine traditionnelle. Cette attitude est habituellement celle d’exotĂ©ristes, et l’on peut penser que, bien souvent, ils sont surtout poussĂ©s par la crainte qu’un plus ou moins grand nombre d’adhĂ©rents de leur tradition ne s’en laissent dĂ©tourner par les objections scientifiques ou soi-disant telles qui sont formulĂ©es contre elle ; mais, outre que cette considĂ©ration « quantitative » est elle-mĂȘme d’un ordre assez profane, ces objections mĂ©ritent d’autant moins qu’on y attache une telle importance que la science dont elles s’inspirent change continuellement, ce qui devrait suffire Ă  prouver leur peu de soliditĂ©. Quand on voit, par exemple, des thĂ©ologiens se prĂ©occuper d’« accorder la Bible avec la science », il n’est que trop facile de constater combien un tel travail est illusoire, puisqu’il est constamment Ă  refaire Ă  mesure que les thĂ©ories scientifiques se modifient, sans compter qu’il a toujours l’inconvĂ©nient de paraĂźtre solidariser la tradition avec l’état prĂ©sent de la science profane, c’est-Ă -dire avec des thĂ©ories qui ne seront peut-ĂȘtre plus admises par personne au bout de quelques annĂ©es, si mĂȘme elles ne sont pas dĂ©jĂ  abandonnĂ©es par les savants, car cela aussi peut arriver, les objections qu’on s’attache Ă  combattre ainsi Ă©tant plutĂŽt ordinairement le fait des vulgarisateurs que celui des savants eux-mĂȘmes. Au lieu d’abaisser maladroitement les Écritures sacrĂ©es Ă  un pareil niveau, ces thĂ©ologiens feraient assurĂ©ment beaucoup mieux de chercher Ă  en approfondir autant que possible le vĂ©ritable sens, et de l’exposer purement et simplement pour le bĂ©nĂ©fice de ceux qui sont capables de le comprendre, et qui, s’ils le comprenaient effectivement, ne seraient plus tentĂ©s par lĂ  mĂȘme de se laisser influencer par les hypothĂšses de la Science profane, non plus d’ailleurs que par la « critique » dissolvante d’une exĂ©gĂšse moderniste et rationaliste, c’est-Ă -dire essentiellement anti-traditionnelle, dont les prĂ©tendus rĂ©sultats n’ont pas davantage Ă  ĂȘtre pris en considĂ©ration par ceux qui ont conscience de ce qu’est rĂ©ellement la tradition. [La science profane devant les doctrines traditionnelles]
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René Guénon
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À Yunnan Fu le ciel mĂȘme apporte des femmes Ă  mon pĂšre. Au moins une. Un jour la colonie française apprend une nouvelle absolument stupĂ©fiante : une aviatrice va se poser avec son appareil sur l'aĂ©rodrome de la ville, c'est-Ă -dire en dehors des enceintes, une piste de terre rouge encore herbeuse. Pour l'amĂ©nager on a dĂ©moli quelques tombeaux avec leurs ossements si bien que la population chinoise considĂšre le terrain comme maudit. Il y a un petit hangar dans un coin contenant les deux zincs de l'armĂ©e de l'air yunnanaise. C'est tout. Pour
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Lucien Bodard (Monsieur le Consul - Le fils du Consul - Anne Marie (Littérature Française) (French Edition))
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Je vous propose alors une idĂ©e militante. Il serait trĂšs juste d’organiser une vaste manifestation pour une alliance des jeunes et des vieux, Ă  vrai dire dirigĂ©e contre les adultes d’aujourd’hui. Les plus rebelles des moins de trente ans et les plus coriaces des plus de soixante contre les quadras et les quinquas bien installĂ©s. Les jeunes diraient qu’ils en ont assez d’ĂȘtre errants, dĂ©sorientĂ©s, et interminablement dĂ©pourvus de toute marque de leur existence positive. Ils diraient aussi qu’il n’est pas bon que les adultes fassent semblant d’ĂȘtre Ă©ternellement jeunes. Les vieux diraient qu’ils en ont assez de payer leur dĂ©valorisation, leur sortie de l’image traditionnelle du vieux sage, par une mise Ă  la casse, une dĂ©portation dans des mouroirs mĂ©dicalisĂ©s, et leur totale absence de visibilitĂ© sociale. Ce serait trĂšs nouveau, trĂšs important, cette manifestation mixte ! J’ai du reste vu, durant mes nombreux voyages dans le monde entier, pas mal de confĂ©rences, pas mal de situations oĂč le public se composait d’un noyau de vieux briscards, de vieux rescapĂ©s, comme moi, des grands combats des sixties et des seventies, et puis d’une masse de jeunes qui venaient voir si le philosophe avait quelque chose Ă  dire concernant l’orientation de leur existence et la possibilitĂ© d’une vraie vie. J’ai donc vu, partout dans le monde, l’esquisse de l’alliance dont je vous parle. Comme Ă  saute-mouton, la jeunesse semble devoir sauter aujourd’hui par-dessus l’ñge dominant, celui qui va en gros de trente-cinq Ă  soixante-cinq ans, pour constituer avec le petit noyau des vieux rĂ©voltĂ©s, des non-rĂ©signĂ©s, l’alliance des jeunes dĂ©sorientĂ©s et des vieux baroudeurs de l’existence. Ensemble, nous imposerions que soit ouvert le chemin de la vraie vie.
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Alain Badiou (La vraie vie : Appel Ă  la corruption de la jeunesse)
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Si je dois ĂȘtre fidĂšle Ă  quelqu’un ou Ă  quelque chose, je dois d’abord ĂȘtre fidĂšle Ă  moi-mĂȘme. Si je cherche l’amour vĂ©ritable, je dois d’abord en finir avec les amours mĂ©diocres que j’ai rencontrĂ©es. Le peu d’expĂ©rience que j’ai m’a appris que personne n’est maĂźtre de rien, que tout n’est qu’illusion – et cela va des biens matĂ©riels aux biens spirituels
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Paulo Coelho (Eleven Minutes)
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– Le centre de gravitĂ© de l’Europe va se dĂ©placer. Vers le monde anglo-saxon et, finalement, vers l’AmĂ©rique. Vous voyez bien aujourd’hui comment la francophonie s’éteint Ă  petit feu
 La dĂ©rive nordique Ă©loignera la France de son histoire originelle, de sa parentĂ© affective, la MĂ©diterranĂ©e – mare nostrum. J’étais fascinĂ© par sa vaste culture et son sens de l’Histoire. Il me dit que, si elle se faisait, l’Europe de Maastricht se dĂ©tournerait de l’Afrique. Seule une Europe latine pouvait comprendre et fixer les populations sur place. Comme ces paroles rĂ©sonnent aujourd’hui ! Il me confia l’avoir rĂ©pĂ©tĂ© Ă  Roland Dumas : « Vous avez tort de soutenir ce sinistre traitĂ©. Il fera obstacle Ă  ce que la MĂ©diterranĂ©e puisse devenir, autour de la France, de l’Espagne et du Maroc, une zone d’équilibre, un lac de TibĂ©riade, autour duquel les trois religions et les fils d’Abraham pourraient trouver des points d’harmonie et prĂ©venir les grandes transhumances de la misĂšre et de l’envie. » Le roi paraissait fort mobilisĂ© sur ce sujet. Presque intarissable : – Vos Ă©lites sont ballotĂ©es sur des mers sans rivage, elles ont perdu toutes les boussoles. – De quelles boussoles parlez-vous ? – De celles qui nous conduisent dans l’espace et le temps : celles des cartes, des aiguilles et de la pĂ©rennitĂ©. La gĂ©ographie, qui est la seule composante invariable de l’Histoire ; et la famille, qui en est le principe et la sĂšve. Je ne vous envie pas. Il Ă©tait redevenu le souverain impĂ©rieux. Me voyant surpris, il lĂącha brutalement : – Vous parquez vos vieux. Dans des maisons de retraite. Vous exilez la sagesse. Vous avez aboli la gratitude, et donc l’espoir. Il n’y pas d’avenir pour un peuple qui perd ses livres vivants et n’a plus d’amour-propre. Qui abhorre son propre visage. Si vous ne retrouvez pas la fiertĂ©, vous ĂȘtes perdus. L’entretien dura encore quelque temps. Le roi Hassan II parlait beaucoup. Il se dĂ©solait de voir la France choir dans la haine de soi. Je n’ignorais pas qu’il dirigeait son pays d’une main de fer. Mais son amour sincĂšre pour la France me toucha. Il rĂ©pĂ©ta plusieurs fois le mot de PĂ©guy : « Quand une sociĂ©tĂ© ne peut plus enseigner, c’est que cette sociĂ©tĂ© ne peut pas s’enseigner. »" pp. 146-147
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Philippe de Villiers (Le moment est venu de dire ce que j'ai vu)
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En haut, au cƓur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein d’une crevasse humide, elle regardait la mer. Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser... Au fond d’une gorge noyĂ©e d’obscuritĂ© et d’embruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la mer
 Tout en Ă©cume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colĂšre, se jetait dans les flots. Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es... Dans un cri bref, il s’était Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine l’ñpretĂ© de la pierre... D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que l’oiseau blessĂ© n’avait plus longtemps Ă  vivre
 Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla : - Quoi, voilĂ  donc que tu meurs ? - Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit l’oiseau dans un profond soupir. Je meurs mais j’ai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !
 J’ai combattu vaillamment !
 J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras t’en approcher !... Pauvre crĂ©ature ! - Le ciel !?
 Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide ! Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă  l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond d’elle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes. Ainsi pensait l’ophidien : "Qu’on vole ou bien qu’on rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..." Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour. Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, l’air Ă©tait suffocant et puait la charogne. Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa Ă©chapper un cri de douleur et de chagrin : - Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois m’envoler et rejoindre le ciel ! LĂ , j’étreindrais mon ennemi
 contre ma poitrine et... il s’étoufferait de mon sang ! Ô, Ivresse de la bataille !... L’entendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !" Elle proposa Ă  l’oiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien." Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de l’abĂźme, s’agrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante. ArrivĂ© au bord du prĂ©cipice, il dĂ©ploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignĂšrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide. Il tomba plus vite qu’une pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumes
 Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et l’inondant d’écume l’emporta vers la mer. Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de l’oiseau Ă  tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©an
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Maxime Gorki (Le bourg d'Okourov)
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En haut, au cƓur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein d’une crevasse humide, elle regardait la mer. Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser... Au fond d’une gorge noyĂ©e d’obscuritĂ© et d’embruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la mer
 Tout en Ă©cume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colĂšre, se jetait dans les flots. Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es... Dans un cri bref, il s’était Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine l’ñpretĂ© de la pierre... D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que l’oiseau blessĂ© n’avait plus longtemps Ă  vivre
 Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla : - Quoi, voilĂ  donc que tu meurs ? - Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit l’oiseau dans un profond soupir. Je meurs mais j’ai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !
 J’ai combattu vaillamment !
 J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras t’en approcher !... Pauvre crĂ©ature ! - Le ciel !?
 Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide ! Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă  l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond d’elle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes. Ainsi pensait l’ophidien : "Qu’on vole ou bien qu’on rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..." Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour. Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, l’air Ă©tait suffocant et puait la charogne. Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa Ă©chapper un cri de douleur et de chagrin : - Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois m’envoler et rejoindre le ciel ! LĂ , j’étreindrais mon ennemi
 contre ma poitrine et... il s’étoufferait de mon sang ! Ô, Ivresse de la bataille !... L’entendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !" Elle proposa Ă  l’oiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien." Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de l’abĂźme, s’agrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante. ArrivĂ© au bord du prĂ©cipice, il dĂ©ploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignĂšrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide. Il tomba plus vite qu’une pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumes
 Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et l’inondant d’écume l’emporta vers la mer. Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de l’oiseau Ă  tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©an

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Maxime Gorki
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Pour rĂ©sumer : chaque jour, je ressemblais davantage Ă  la vieille paysanne russe attendant le train. Peu aprĂšs la rĂ©volution, ou aprĂšs une guerre ou une autre, la confusion rĂšgne au point que personne n'a idĂ©e de quand va pointer la nouvelle aube, et encore moins de quand va arriver le prochain train, mais la campagnarde chenue a entendu dire que celui-ci est prĂ©vu pour tantĂŽt. Vu la taille du pays, et le dĂ©sordre de ces temps, c'est une information aussi prĂ©cise que toute personne douĂ©e de raison est en droit d'exiger, et puisque la vieille n'est pas moins raisonnable que quiconque, elle rassemble ses baluchons de nourriture, ainsi que tout l’attirail nĂ©cessaire au voyage, avant de se oser Ă  cĂŽtĂ© de la voie ferrĂ©e. Quel autre moyen d'ĂȘtre sĂ»re d'attraper le train que de se trouver dĂ©jĂ  sur place lorsqu'il se prĂ©sentera ? Et le seul moyen d'ĂȘtre lĂ  Ă  l'instant voulu, c'est de rester lĂ  sans arrĂȘt. Évidemment, il se peut que ce convoi n'arrive jamais, ni un autre. Cependant, sa stratĂ©gie a pris en compte jusqu'Ă  cette Ă©ventualitĂ© : le seul moyen de savoir s'il y aura un train ou pas, c'est d'attendre suffisamment longtemps ! Combien de temps ? Qui peut le dire ? AprĂšs tout, il se peut que le train surgisse immĂ©diatement aprĂšs qu'elle a renoncĂ© et s'en est allĂ©e, et dans ce cas, toute cette attente, si longue eĂ»t-elle Ă©tĂ©, aurait Ă©tĂ© en vain. Mouais, pas trĂšs fiable, ce plan, ricaneront certains. Mais le fait est qu'en ce monde personne ne peut ĂȘtre complĂštement sĂ»r de rien, n'est-ce pas ? La seule certitude, c'est que pour attendre plus longtemps qu'une vieille paysanne russe, il faut savoir patienter sans fin. Au dĂ©but, elle se blottit au milieu de ses baluchons, le regard en alerte afin de ne pas manquer la premiĂšre volute de fumĂ©e Ă  l'horizon. Les jours forment des semaines, les semaines des mois, les mois des annĂ©es. Maintenant, la vieille femme se sent chez elle : elle sĂšme et rĂ©colte ses modestes moissons, accomplit les tĂąches de chaque saison et empĂȘche les broussailles d'envahir la voie ferrĂ©e pour que le cheminot voie bien oĂč il devra passer. Elle n'est pas plus heureuse qu'avant, ni plus malheureuse. Chaque journĂ©e apporte son lot de petites joies et de menus chagrins. Elle conjure les souvenirs du village qu'elle a laissĂ© derriĂšre elle, rĂ©cite les noms de ses parents proches ou Ă©loignĂ©s. Quand vous lui demandez si le train va enfin arriver, elle se contente de sourire, de hausser les Ă©paules et de se remettre Ă  arracher les mauvaises herbes entre les rails. Et aux derniĂšres nouvelles, elle est toujours lĂ -bas, Ă  attendre. Comme moi, elle n'est allĂ©e nulle part, finalement ; comme elle, j'ai cessĂ© de m'Ă©nerver pour ça. Pour sĂ»r, tout aurait Ă©tĂ© diffĂ©rent si elle avait pu compter sur un horaire de chemins de fer fiable, et moi sur un procĂšs en bonne et due forme. Le plus important, c'est que, l'un comme l'autre, nous avons arrĂȘtĂ© de nous torturer la cervelle avec des questions qui nous dĂ©passaient, et nous nous sommes contentĂ©s de veiller sur ces mauvaises herbes. Au lieu de rĂȘver de justice, j'espĂ©rais simplement quelques bons moments entre amis ; au lieu de rĂ©unir des preuves et de concocter des arguments, je me contentais de me rĂ©galer des bribes de juteuses nouvelles venues du monde extĂ©rieur ; au lieu de soupirer aprĂšs de vastes paysages depuis longtemps hors de portĂ©e, je m'Ă©merveillais des moindres dĂ©tails, des plus intimes changements survenus dans ma cellule. Bref, j'ai conclus que je n'avais aucun pouvoir sur ce qui se passait en dehors de ma tĂȘte. Tout le reste rĂ©sidait dans le giron Ă©nigmatique des dieux prĂ©sentement en charge. Et lorsque j'ai enfin appris Ă  cesser de m'en inquiĂ©ter, l'absolution ainsi confĂ©rĂ©e est arrivĂ©e avec une Ă©tonnante abondance de rĂ©confort et de soulagement.
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Andrew Szepessy (Epitaphs for Underdogs)
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Dites-moi
 On ne peut pas changer le prĂ©sent, c’est bien ça? - En effet. - Et ce qui va arriver aprĂšs? - C’est-Ă -dire?” Fumiko prit soin de bien choisir ses mots: “Eh bien
 ce qui va arriver dans le futur. - Le futur n’étant pas encore arrivĂ©, tout ne dĂ©pendra que de vous
” Sur ces mots, pour la premiĂšre fois, Kazu lui sourit. Les yeux de Fumiko s’illuminĂšrent.
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Toshikazu Kawaguchi (Before the Coffee Gets Cold (Before the Coffee Gets Cold, #1))
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Je rompis le pain, j’en donnai au moine, j’en gardai aussi pour moi et je commençai Ă  manger
 – Mais oĂč trouver de l’eau, petit pĂšre ? Les champignons Ă©taient un peu salĂ©s et ce qui est salĂ© donne soif. – Il y a un ruisseau en contrebas, monsieur ; j’y vais sur-le-champ rapporter de l’eau, tout de suite. Et sans mĂȘme attendre une rĂ©ponse de ma part, il mit sa toque de moine sur sa tĂȘte et se dirigea vers la vallĂ©e, directement Ă  travers la forĂȘt, les mains vides
 Mais dans quoi diable va-t-il rapporter de l’eau ?
 Dans sa bouche ?
 Dans ses poings ?
 pensais-je, restĂ© debout, immobile, regardant fixement sur le taillis enchevĂȘtrĂ© par oĂč s’était Ă©vaporĂ©e la silhouette menue et sombre de mon moine. Et s’il m’a jouĂ© une farce, ce sacrĂ© moine  ? Qui sait ? 
 Et s’il se trouve qu’il a eu l’idĂ©e folle de pousser son chemin jusqu’à Nichit et de me planter là
 
 quand il fut suffisamment prĂšs pour que je puisse le voir, je fus certain qu’il tenait, Ă  ma grande surprise, d’un cĂŽtĂ© et de l’autre, entre les doigts noueux et Ă©cartĂ©s de ses deux mains, une sorte de casserole en fer-blanc, plutĂŽt longue que large et remplie d’eau Ă  ras-bords
 – Mais cette casserole — lui demandai-je, quand il fut prĂšs de moi — oĂč l’avez-vous trouvĂ©e, mon pĂšre ? Parce que vous ĂȘtes parti d’ici les mains vides ?
 – Mais ce n’est pas une casserole, monsieur. – Pourquoi dites-vous que ce n’est pas une casserole ? Moi je vois que c’est une casserole comme toutes les casseroles ; la seule diffĂ©rence c’est qu’elle est en fer-blanc. – Mais ce n’est pas du tout une casserole, monsieur. C’est ma toque ; seulement nous la faisons parfois en tĂŽle, parce que pardi ! On rencontre toutes sortes de situations  ; on peut avoir besoin, dans la forĂȘt, ou bien d’eau, ou bien d’une polenta, et, si on n’a pas de rĂ©cipient, on risque de souffrir beaucoup et de la soif et de la faim
 – Mon Dieu, on aura tout vu  ! Mais moi, je ne t’ai pas vu la casserole sur la tĂȘte, mon pĂšre, moi je t’ai vu avec une toque comme toutes les toques. – C’est vrai, monsieur, mais voyez-vous, j’ai enlevĂ© ma housse, car je n’allais pas tout de mĂȘme apporter de l’eau avec la housse dessus
 – Bon, mais pourquoi est-ce que Votre SaintetĂ© ne prend pas dans son sac, quand vous allez dans la forĂȘt, un verre, une casserole comme toutes les casseroles. – Mais pourquoi tant se charger
 monsieur, quand on peut utiliser la toque aussi bien en guise de casserole que de verre ? (traduction de Dolores Toma)
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Calistrat HogaƟ (Pe drumuri de munte)
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«Comment va notre chĂšre PĂ©nĂ©lope ?», demanda HĂ©lĂšne faiblement. Ulysse rĂ©pondit : «Bien, je crois, merci. Mais elle irait tout Ă  fait bien si cette guerre n'avait pas lieu et si son mari lui revenait vite »
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Murielle Szac (Le feuilleton d'Ulysse (La mythologie grecque en cent Ă©pisodes, #3))
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Et quand tu te rĂ©veilles, tu entends tout un tas d’énormitĂ©s. Sans le vouloir. Elles s’accrochent Ă  toi jusqu’à rentrer dans ta tĂȘte. Et comment on fait pour se les sortir de la tĂȘte ? Avec le fouet. (Elle rit.) Do, hier, m’a tenu la jambe pendant une heure pour me raconter au tĂ©lĂ©phone l’histoire d’un russe. La nuit. Il Ă©tait tard. Moi je voulais aller me coucher, lui, il avait envie de parler. Cas authentique qu’il disait. D’ennui, je n’ai pas raccrochĂ©. Ce russe croyait que sa femme le trompait. Il en Ă©tait convaincu. Il ne lui a rien dit. Il a souffert en silence. (Elle rit.) Et aprĂšs 18 ans d’agonie, il se dĂ©cide enfin Ă  lui demander. La grande question ! (Elle rit.) Avec une sincĂ©ritĂ© dĂ©sarmante, elle lui rĂ©pond : elle ne l’a jamais trompĂ©. Il va alors dans la chambre d’à cĂŽtĂ© et se fait exploser la tĂȘte. Il ne pouvait pas croire qu’il avait souffert aussi longtemps pour rien. (Elle rit.) A d’autres ! Do invente. Ensuite, il a essayĂ© de me convaincre - c’est sĂ»r, cas authentique, il l’a appris de
 (Geste de dĂ©goĂ»t.) Il aime bien inventer. Il pourrait Ă©crire. Tout le monde Ă©crit. (traduit du roumain par Fanny Chartres)
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Vlad Zografi (America Ɵi acustica)
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IZA (elle regarde les toits).– N'est-ce pas magnifique ? DAN.– Qu'est-ce qui est magnifique ? Baiser ? IZA.–Mais non, obsĂ©dĂ© ! Cette nuit d'Ă©tĂ©. J'adore les nuits d'Ă©tĂ©. Surtout en ce moment, au mois de juillet. J'adore cette odeur. Cette tranquillitĂ© ! On a l'impression que tout va bien dans le monde entier. Comme si chaque chose avait trouvĂ© sa place.
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Peca Stefan (The Sunshine Play)
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LE TAILLEUR NOTE MANGUER CHANTE. Tourterelles dans l'or du soir, Années de l'enfance envolées, Je voudrais seller mon cheval louvet, Au galop vers vous m'en aller. Je voudrais vers vous revenir, Attelant mon cheval louvet Et dans la roulotte de mon grand-pÚre Chez moi je vous ramÚnerais. Sentier tortueux, petits saules, Et floraisons dans tous les coins, Voilà qui s'enlacent et s'aiment Le plus proche et le plus lointain. Ce qui fut voici bien longtemps Aujourd'hui c'est renouvelé En sandales d'argent s'en va Le prodige à travers le blé. Un tour suffit à l'anneau d'or Pour que s'ouvre tout l'univers, Que tout brille, bourdonne et vole En rimes, en strophes, en vers. Trilili, trille de l'oiseau, Refleurissent tous les vergers, Combien de joie, combien de peine. Faut-il pour survoler l'été? L'herbe et le grillon, tsi tsi tsi Au soir dans la fraßche buée, Que de joie faut-il que de peine Pour qu'enfin l'été soit joué! Tourterelles au feu du soir, Années de l'enfance envolées, Je voudrais seller mon cheval louvet Au galop vers vous m'en aller, Je voudrais vers vous revenir, Attelant mon cheval louvet Et dans la roulotte de mon grand-pÚre Vous ramÚnerais. (p. 427-428 de L'Anthologie de la poésie yiddish de Charles Dobzynski)
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Itzik Manger
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Monsieur ou madame Untel travaille Ă  la transposition dans telle ou telle langue du valeureux roman, etc. [...] Eh bien, monsieur ou madame Untel travaille depuis un peu trop longtemps. Les diverses actions entreprises en vue de la rĂ©alisation de ce but fort louable sont gĂ©nĂ©reusement arrosĂ©es avec –comme disait feu le professeur Longinescu– la vaseline des engrenages sociaux. Louanges anticipĂ©es et prises de position publiques ou discrĂštes, immatĂ©rielles ou matĂ©rielles, de reconnaissance, Ă  volontĂ©. [...] Mais rien ne peut s'entrevoir Ă  l'horizon dĂ©sert. Aucun rĂ©sultat, je m'empresse d'ajouter, apprĂ©ciable. Mais c'est une tout autre chose que j'attends qu'on me montre: une ou deux chroniques robustes, signĂ©es par autant de personnalitĂ©s tout aussi robustes du pays oĂč le livre en question vient de paraĂźtre, et puis un compte Ă©diteur tout aussi solide. Ici, naturellement, monsieur ou madame Untel sourira, plein de sous-entendus
 "Bah, cela ne me regarde pas. Euh... moi j'ai fait tout ce dont j'Ă©tais capable." Nous ne doutons pas une seconde que la distinguĂ©e personne en question ait fait Ă  ce sujet tout ce dont elle Ă©tait capable. Mais le noble missionnaire ou la noble missionnaire des Ă©crits roumains Ă©tait trop peu capable. [Domnul sau doamna cutare lucrează la transpunerea Ăźn limba cutare a valorosului roman etc.[...] Ei bine, domnul ori doamna cutare lucrează cam de mult. Întreprinderile diverse spre realizarea acestui scop laudabil sunt din belƟug stropite cu -vorba defunctului profesor Longinescu- "untdelemnul care unge osia daravanelor sociale". Laude anticipate Ɵi exprimări publice ori discrete, sufleteƟti ori materiale, de recunoƟtintă cĂźte pofteƟti. Dar nimic nu se Ăźntrevede pe Ăźntinderea pustie. Nici un rezultat, mă grăbesc să adaog, apreciabil. [...] dar altceva aƟ aƟtepta eu să mi se arate: vreo două cronice zdravene, semnate de vreo cĂźteva nume tot aƟa de zdravene din ĆŁara unde cartea cu pricina a apucat să apară-Ɵi pe urmă un cont zdravăn de librarie. Aci, fireƟte, domnul sau doamna cutare va zĂźmbi cu anume sens "Mde.. asta nu mă priveƟte pe mine. Asta, he, de ...eu am făcut tot ce am putut". Nu ne Ăźndoim că distinsa persoană Ăźn chestie a facut tot ce-a putut. Dar nobilul misionar sau nobila misionară a scrisului romĂąnesc a putut prea puĆŁin [....]. (Traducerile, Ăźn Calendarul, I, Nr. 67, 15 iunie 1932 ) ]
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Gib I. Mihăescu (Insemnari pentru timpul de azi)
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Qui nous empĂȘche de dire: la vie heureuse, c'est une Ăąme libre, Ă©levĂ©e, sans peur, constante, placĂ©e en dehors de la crainte et du dĂ©sir; il n'y a pour elle qu'un seul bien, l'honnetetĂ©, et qu'un seul mal, l'indignitĂ© ? Tout le reste est un vacarme confus qui n'enlĂšve ni n'ajoute rien Ă  la vie heureuse qui vient et qui s'en va sans accroitre ni diminuer le souverain bien. Une fois celui-ci Ă©tabli ainsi, la consĂ©quence nĂ©cessaire, qu'on le veuille ou non, se trouve une gaietĂ© continuelle, une joie profonde et venant du fond de l'ĂȘtre, parce que l'Ăąme se rĂ©jouit de ses richesses et ne dĂ©sire rien qui lui soit Ă©tranger.
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SénÚque (La vie heureuse - La briÚveté de la vie)
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La jalousie! "Othello n'est pas jaloux, il est confiant", a remarquĂ© Pouchkine, et cette remarque Ă  elle seule tĂ©moigne de l'intelligence hors du commun de notre grand poĂšte. Othello a juste l'Ăąme anĂ©antie, tout son univers s'est retournĂ©, parce que son idĂ©al est mort. Mais Othello n'ira pas se cacher, espionner, ou Ă©pier: il est confiant. Au contraire, c'est lui qu'il faut mettre sur la piste, pousser, exciter au prix d'efforts extrĂȘmes, pour qu'il commence juste Ă  se douter de la trahison. Tel n'est pas le jaloux vĂ©ritable. On ne peut mĂȘme pas s'imaginer la honte et la dĂ©chĂ©ance morale que le jaloux est capable d'accepter sans le moindre remords de conscience. Et ce n'est pourtant pas que tous les jaloux soient des Ăąmes sales ou viles. Au contraire, en ayant le coeur noble, un amour pur, plein d'esprit et de sacrifice, on peut en mĂȘme temps se cacher sous les tables, acheter les pires crapules et vivre dans la saletĂ© la plus rĂ©pugnante en espionnant et en Ă©coutant aux portes. Othello n'aurait jamais pu accepter la trahison - non pardonner, mais accepter le fait - quoique son Ăąme fĂ»t incapable de colĂšre et innocente comme celle d'un enfant. Un vrai jaloux, c'est autre chose: on a du mal Ă  imaginer tout ce que Ă  quoi un vrai jaloux peut cohabiter, ce qu'il peut accepter, ce qu'il est capable de pardonner! Ce sont d'ailleurs les jaloux qui pardonnent plus vite que les autres, et toutes les femmes le savent. Le jaloux, trĂšs rapidement (aprĂšs bien sĂ»r, une scĂšne effrayante au dĂ©but), peut et est capable de pardonner, par exemple, une trahison presque prouvĂ©e, des Ă©treintes et des baisers qu'il aura vus lui-mĂȘme, si, par exemple, au mĂȘme moment, il aura pu se persuader, d'une façon ou d'une autre, que c'Ă©tait "pour la derniĂšre fois" et que le rival disparaĂźtra dorĂ©navant, qu'il partira au bout du monde, ou que, lui-mĂȘme, il emmĂšnera celle qu'il aime quelque part oĂč le rival ne pourra plus jamais revenir. Il va de soi que la rĂ©conciliation ne dure qu'une heure, parce que, quand bien mĂȘme le rival aurait rĂ©ellement disparu, lui-mĂȘme, dĂšs le lendemain, il s'en fabriquera un autre, un nouveau, et il sera jaloux de ce nouveau. Et on pourrait croire que si, dans votre amour, vous avez besoin d'Ă©pier, alors, que vaut-il, cet amour, s'il lui faut tant de sentinelles? Mais c'est bien cela que le vrai jaloux ne sera jamais en Ă©tat de comprendre, et pourtant, je vous jure, il existe des jaloux qui sont des coeurs sublimes...
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Fiodor DostoĂŻevski
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Bienvenue dans le monde des syllabes, des couplets Articulation des mots désarticulés J'ai comme un vertige, comme une nausée, des relents ! Mais tout va bien tant que je n'ai pas de blanc (premiÚre strophe de « Hypocrisie assumée », p. 10)
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Jean-David Christinat (A titre presque posthume)
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LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI) La disette a tuĂ© toute brise de vent. Le soleil s’est fondu et coulĂ© de partout. Le ciel est restĂ© vide et brĂ»lant Les seaux ne tirent des fontaines que de boue. Sur les bois frĂ©quemment feux, toujours feux Dansent sauvages, sataniques jeux. Je poursuis papa en route vers les buttes, Les chardons, les sapins m’écorchent sĂ©chĂ©s. Tous les deux commençons la poursuite des chĂšvres, La chasse d’la famine en montagnes de tout prĂšs. La soif m’accable. Bouillit sur la pierre Le fil d’eau filtrĂ© des ruisseaux. La tempe pĂšse l’épaule, comme si j’erre Une autre planĂšte, immense, Ă©trange, ennuyeux. Nous restons dans l’endroit oĂč encore retentissent Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux. Quand la lune s’élĂšve et le soleil se couche Ici viendront Ă  la fil s’abreuver Une par une, les biches. Je dis Ă  papa que j’ai soif. Il me fait signe de m’ taire. Enivrante eau. Comme tu t’agites limpide ! Je suis liĂ© par soif de cette ĂȘtre qui meurt À l’heure fixĂ© par loi et habitude. La vallĂ©e raisonne en bruissements flĂ©tris. Quel affreux crĂ©puscule flotte dans l’univers ! Le sang Ă  l’horizon. Ma poitrine rouge comme si J’ai essuyĂ© mes mains sur mon poitrail. Comme sur autel fougĂšres brĂ»lent en flammes violĂątres Et les Ă©toiles frappĂ©es parmi celles-ci miroitent. HĂ©las ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas Superbe offrande de mon noble bois ! Elle se monta sautant et s’arrĂȘta Scrutant les alentours avec de crainte Ses minces narines faisaient frĂ©mir l’eau Avec les cercles en cuivre errantes. Dans ses yeux moites brillait un certain indĂ©cis Je savais qu’elle aura mal, qu’elle va mourir. Il me semblait revivre un rĂ©cit Avec la biche, jadis une trĂšs belle fille. D’en haut, la pĂąle lumiĂšre, lunaire, Bruinait sur sa fourrure douces fleurs d’cerisier. HĂ©las ! comme je voudrais que pour la premiĂšre fois Le coup d’fusil d’papa va Ă©chouer. Mais les vallĂ©es rĂ©sonnent. Elle tombe Ă  genoux. Elle lĂšve sa tĂȘte, la tourne vers les Ă©toiles La dĂ©vala alors, en dĂ©clenchant sur eaux Fuyards tourbillons de perles noires. Un oiseau bleu bonda dans les rameaux La vie d’la biche vers l’espace attardĂ© Vola trĂšs lentement, en cris, comme en automne oiseaux Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagĂ©s. En chancelant je suis allĂ© pour lui fermer Ses yeux ombreux comme en engoisse veillĂ©s de cornes Silencieux et blanc j’ai tressailli quand l’pĂšre Me dit de tout son cƓur: “VoilĂ  de la viande !” “J’ai soif”, je dis. Papa m’incite Ă  m’abreuver. Enivrante eau, enveloppĂ© en brume ! Je suis liĂ© par soif de cette biche gaspillĂ©e A l’heure fixĂ©e par loi et par coutume
 Mais la loi nous est dĂ©serte, Ă©trangĂšre Quand la vie en nous trĂšs difficile s’anime Coutumes, compassions sont toutes dĂ©sertes Quand mĂȘme ma sƓur malade est une des victimes. La carabine d’ papa n’ Ă©mane que de fumĂ©e HĂ©las ! Sans vent s’empressent les feuillages en foule Papa prĂ©pare un feu tout effrayĂ© HĂ©las ! comme la forĂȘt se dĂ©nature ! De l’herbe, sans adresse, je prends en mains Une mince clochette d’un cliquetis argentin . Papa tire de la broche avec sa main Le cƓur de la chevreuil et ses chauds reins. C’est quoi le cƓur ?
 J’ai faim. Je veux vivre, j’ voudrais
 Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimĂ©e
 J’ai sommeil
 Comme il est haut le feu ! Et la forĂȘt sauvage ! Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mange
 1954 (cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
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Nicolae LabiƟ (Poezii (Biblioteca Eminescu) (Romanian Edition))
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C'est comme une fin du monde et pourtant rien ne tremble, rien ne s'Ă©croule et je reste debout. Sans dĂ©sirs, sans projets, sans avenir. Je traverse les jours en enfilade comme dans un long couloir avec une multitude de portes qui se ressemblent toutes, parfois j'en ouvre une dans l'espoir d'y trouver du nouveau, mais tout demeure Ă©tale. La vie va bien finir par me faire un signe, par rĂ©animer ce corps d'un peu d'Ăąme mĂȘme so c'est un reste de lie au fond d'une bouteille ?
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Françoise PĂȘtre (Nos mĂšres avant nous)
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laisse-moi te prĂ©venir une fois pour toutes : je vois que tu fais l’impossible pour t’occuper de moi. Tu te sacrifies, et je m’en veux de ça. J’aime bien quand tu me dis que moi aussi je me suis occupĂ©e de toi quand tu Ă©tais petite, que c’est un juste retour des choses. Je joue Ă  y croire, figure-toi. La vĂ©ritĂ©, c’est qu’il y a une hĂ©rĂ©sie lĂ -dedans. Tu ne devrais pas ĂȘtre lĂ  encore avec ta mĂšre. Bon, ça s’est prĂ©sentĂ© comme ça, on ne va pas refaire l’histoire. Sauf
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Sophie Fontanel (Une apparition (Roman) (French Edition))
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Nous sommes nous aussi des animaux, et mĂȘme si nous faisons tout pour l'oublier, nous sommes dans la continuitĂ© d'une lignĂ©e qui n'a pas gagnĂ© grand-chose depuis que l'Arche de NoĂ© a permis de recommencer le monde. Le hibou et la baleine : le couple est cocasse, mais il correspond en rĂ©alitĂ© Ă  la façon dont l'Ă©crivain organise l'univers en axes qui se rĂ©pondent nĂ©cessairement : l'est et l'ouest, le dehors et le dedans, les paysages tirĂ©s vers le haut et les paysages tirĂ©s vers le bas, la diastole et la systole du cƓur humain. Parce qu'il n'affronte pas la lumiĂšre du jour, le hibou est symbole de tristesse, d'obscuritĂ©, de retraite solitaire et mĂ©lancolique. [...] Mais l'image du loubok, reprĂ©sentant un immense hibou perchĂ© sur la branche d'un arbre oĂč pour les plumes, les yeux et le bec, les verts tendres se mĂȘlent aux oranges vifs et aux jaunes, transforme l'oiseau nocturne en diurne, en oiseau du paradis, rappelant que l'obscuritĂ© ne va jamais sans la lumiĂšre. Le hibou, lui-mĂȘme double, forme avec la baleine un couple complĂ©mentaire. Elle, le fĂ©minin, le solaire, le tendre et gros cĂ©tacĂ©, la Moby Dick bien-aimĂ©e, la protectrice de Jonas, celle qui nous avale mais nous protĂšge, le "poisson" sauveur de toutes les religions, vivant dans l'obscuritĂ© comme le hibou mais dans les profondeurs salutaires, comme les mines de charbon oĂč les poĂštes vont chercher les mots qui sauvent.
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Nicolas Bouvier (Le hibou et la baleine)
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Il existe certaines zones de la psychĂ© humaine qui demeurent mal connues, parce qu'elles ont Ă©tĂ© peu explorĂ©es, parce que heureusement peu de gens se sont trouvĂ©s en situation d'avoir Ă  le faire, et que ceux qui l'ont fait ont en gĂ©nĂ©ral conservĂ© trop peu de raison pour en produire une description acceptable. Ces zones ne peuvent guĂšre ĂȘtre approchĂ©es que par l'emploi de formules paradoxales et mĂȘme absurdes, dont l'expression 'espĂ©rer au-delĂ  de toute espĂ©rance' est la seule qui me revienne rĂ©ellement. Ce n'est pas similaire Ă  la nuit, c'est bien pire ; et sans avoir personnellement connu cette expĂ©rience j'ai l'impression que mĂȘme lorsqu'on plonge dans la vraie nuit, la nuit polaire, celle qui dure six mois consĂ©cutifs, demeure le concept ou le souvenir du soleil. J'Ă©tais entrĂ© dans une 'nuit sans fin', pourtant il demeurait, tout au fond de moi il demeurait quelque chose, bien moins qu'une espĂ©rance, disons une incertitude. On pourrait aussi dire que mĂȘme lorsqu'on a personnellement perdu la partie, lorsqu'on a jouĂ© sa derniĂšre carte, demeure chez certains - pas chez tous, pas chez tous - l'idĂ©e que 'quelque chose dans les cieux' va reprendre la main, va dĂ©cider arbitrairement de distribuer une nouvelle donne, de relancer les dĂ©s, et cela mĂȘme lorsqu'on n'a jamais ressenti, Ă  aucun moment de sa vie, l'intervention ni mĂȘme la prĂ©sence d'une divinitĂ© quelconque, mĂȘme lorsqu'on est conscient de ne pas particuliĂšrement mĂ©riter l'intervention d'une divinitĂ© favorable, et mĂȘme lorsqu'on se rend compte, considĂ©rant l'accumulation des erreurs et des fautes qui constitue votre vie, qu'on la mĂ©rite moins que personne.
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Michel Houellebecq (Serotonin)
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Dans le villes satellites autour de Brasilia, dont le plateau est censĂ© ĂȘtre le centre de gravitĂ© magnĂ©tique du monde, dans l'Arizona magique, au sous-sol de quarts gĂ©nĂ©rateur de vibrations extra-terrestres, partout l'ĂȘtre humain invente des lieux cultes, des objets cultes, proches des cultes du Cargo ou des sanctuaires aztĂšques, chargĂ©s d'attirer le regard de n'importe quelle espĂšce supĂ©rieure. Nous vivons dans l'obsession d'ĂȘtre dĂ©couverts, dans la hantise de ne pas l'ĂȘtre, ou d'avoir disparu d'ici lĂ . BiosphĂšre 2 est une sorte de prĂ©paratif hallucinant Ă  cette rencontre de troisiĂšme type. Comme les messages lancĂ©s dans l'espace ou les modules spatiaux chargĂ©s des emblĂšmes de l'humanitĂ© (la musique de Bach, etc.). Jusqu'ici tout va bien : nous sommes tous encore ici.
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Jean Baudrillard (Cool Memories)
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J’ai dĂ©posĂ© mon verre et je suis sortie dans la cour. Le temps Ă©tait trĂšs doux et la brise me faisait du bien. J’ai entendu quelqu’un sortir derriĂšre moi. Je me suis retournĂ©e et j’ai sursautĂ© en apercevant Alex. Alex : LĂ©a ? Ça va ? Je t’ai vue partir en trombe. Qu’est-ce que Maude t’a dit, coudonc ? Moi : Hein ? Euh, rien. Alex (en s’approchant de moi) : Come on, Rongeur. Je le vois bien qu’elle t’a blessĂ©e. Moi (sur un ton un peu trop agressif) : Il faut croire que mĂȘme aprĂšs deux ans, Maude rĂ©ussit encore Ă  m’atteindre. Que veux-tu ? On ne peut pas toutes ĂȘtre fortes et parfaites comme Bianca.
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Catherine Girard-Audet (Rivales (La vie compliquée de Léa Olivier #8))
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- Ce que vous appelez le mal peut se concevoir comme la privation du bien. Sans l'expĂ©rience du mal, vous n'auriez aucune conscience de ce qu'est le bien. Sur terre, tout est expĂ©rience. Certaines sont lumineuses, d'autres tĂ©nĂ©breuses. Certaines dilatent le cƓur, d'autres l'Ă©prouvent. Certains consolent, d'autres terrifient. Lorsque tu est plongĂ©e dans la douleur, ne regarde pas ta vie uniquement Ă  l'aune de la souffrance. ConsidĂšre-lĂ  comme un tout invisible, avec ses hauts et ses bats, ses joies et ses tristesses, sa part d'ombre et de lumiĂšre, et rappelle-toi les moments heureux du passĂ©. Alors, tu pourras continuer d'aimer la vie, malgrĂ© tout. Et lorsque tu passeras dĂ©finitivement de l'autre cĂŽtĂ© du miroir – ce que vous appelez la mort - tu verras l'envers des choses et comprendras que toutes expĂ©riences que tu as traversĂ©es pouvaient te faire grandir en humanitĂ©, en conscience et en amour. Mais c'Ă©tait Ă  toi d'en dĂ©cider. Car ton Ăąme est libre. Non pas toujours du choix des Ă©vĂšnements qui arrivent, mais de la maniĂšre dont elle va y rĂ©agir. Si tu comprends que toute expĂ©rience peut te faire grandir, alors tu sauras donner du sens Ă  tout ce qui t'arrive et tu progresseras de plus en plus en joie, en sĂ©rĂ©nitĂ© en connaissance de toi-mĂȘme et du monde, et surtout en amour, qui est l'Ă©nergie la plus forte et la plus Ă©levĂ©e de tout ce qui est.
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Frédéric Lenoir (La Consolation de l'ange (French Edition))
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Dis-moi de me mĂȘler de ce qui me regarde, dis-moi d'aller me faire foutre, vas-y, dis-le moi, mais ne me dit pas "tout va bien".
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Gregory McGuire (Wicked: The Life and Times of the Wicked Witch of the West (The Wicked Years, #1))