“
Et l'amour, où tout est facile,
Où tout est donné dans l'instant;
Il existe au milieu du temps
La possibilité d'une île.
”
”
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
“
Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
”
”
Voltaire (Candide)
“
Au moment même où tout est perdu, tout est possible
”
”
Emmanuel Levinas
“
La vie a bien plus d’imagination que nous tous réunis, elle est parfois porteuse de petits miracles, tout est possible, il suffit d’y croire de toutes ses forces.
”
”
Marc Levy (Le premier jour)
“
Je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais.
”
”
Xavier Dolan
“
Si la sincérité, en elle-même, n'est rien, elle est la condition de tout.
”
”
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
“
La seule chance de survie, lorsqu'on est sincèrement épris, consiste à dissimuler à la femme qu'on aime, à feindre en toute circonstance un léger détachement.
”
”
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
“
Tout est kitsch, si l'on veut. La musique dans son ensemble est kitsch; l'art est kitsch; la littérature elle-même est kitsch. Toute émotion est kitsch, pratiquement par définition; mais toute réflexion aussi, et même dans un sens toute action. La seule chose qui ne soit absolument pas kitsch, c'est le néant.
”
”
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
“
Vous êtes tout les deux les personnes que j'ai le plus aimées au monde et j'ai fait de mon mieux possible, croyez-le.
Serrez bien contre vous vos beaux enfants.
Lucile
PS : [...] Je sais bien que ça va vous faire de la peine mais c'est inéluctable à plus ou moins de temps et je préfère mourir vivante.
”
”
Delphine de Vigan (Rien ne s'oppose à la nuit)
“
Ce n’est pas possible d’éplucher des pommes de terre et de gratter des carottes en combinaison.
”
”
Georges Simenon (Tout Simenon, Tome 1: La fenêtre des Rouet / La fuite de Monsieur Monde / Trois Chambres à Manhattan / Au bout du rouleau / La pipe de Maigret/Maigret se fâche / Maigret à New-York / Lettre à mon juge / Le destin des Malou)
“
Avec la passion, tout est possible!
”
”
Lucie Pagé
“
Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n'abandonne jamais.
”
”
Xavier Dolan
“
Tout est encore possible et le monde médical est tout neuf. Ca ne va pas durer. Ils le savent bien. Ils sont là au bon moment pour avoir leur nom en latin accolé à celui d'un bacille.
”
”
Patrick Deville (Peste & Choléra)
“
Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée. Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité ce n'est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c'est ce qu'on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l'ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors à tuer. L'âme du meurtrier est aveugle et il n'y a pas de vraie bonté ni de bel amour sans toute la clairvoyance possible.
”
”
Albert Camus
“
Il n'y a pas d'amour dans la liberté individuelle, dans l'indépendance, c'est tout simplement un mensonge, et l'un des plus grossiers qui puisse se concevoir; il n'y a d'amour que dans le désir d'anéantissement, de fusion, de disparition individuelle, dans une sorte comme on disait autrefois de sentiment océanique, dans quelque chose qui de toute façon était, au moins dans un futur proche, condamné.
”
”
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
“
Coup d'œil dans la vitrine d'une bijouterie, pleine d'or et de réveils. C'est entre effroi et amusement. Sa propre allure. Elle ressemble à d'autres filles qu'elle. Jamais auparavant elle n'avait cru que c'était possible, sortir comme ça et que personne ne s'exclame : « Mais qu'est-ce que c'est que cette imposture ? » Cette allure qu'elle a, jambes sublimées, silhouette transformée. Et personne ne se rend compte qu'elle n'est pas du tout comme ça. C'est la première fois qu'elle comprend, qu'en fait aucune fille n'est comme ça.
”
”
Virginie Despentes (Les jolies choses)
“
Pour moi l'automne n'a jamais été une saison triste. Les feuilles mortes et les jours de plus en plus courts ne m'ont jamais évoqué la fin de quelque chose mais plutôt une attente de l'avenir. Il y a de l'electricité dans l'air, à Paris, les soires d'Octobre à l'heure où la nuit tombe. Même quand il pleut. Je n'ai pas le cafard à cette heure-là, ni le sentiment de la fuite du temps. J'ai l'impression que tout est possible. L'année commence au mois d'octobre. C'est la rentrée des classes et je crois que c'est la saisons des projets.
”
”
Patrick Modiano
“
Lorsque la sexualité disparaît, c'est le corps de l'autre qui apparaît, dans sa présence vaguement hostile; ce sont les bruits, les mouvements, les odeurs; et la présence même de ce corps qu'on ne peut plus toucher, ni sanctifier par le contact, devient peu à peu une gêne; tout cela malheureusement, est connu. La disparition de la tendresse suit toujours de près celle de l'érotisme. Il n'y a pas de relation épurée, d'union supérieure des âmes, ni quoi que ce soit qui puisse y ressembler, ou même l'évoquer sur un mode allusif. Quand l'amour physique disparaît, tout disparaît; un agacement morne, sans profondeur, vient remplir la succession des jours.
”
”
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
“
Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n'est pas possible.
”
”
Antonin Artaud (The Theater and Its Double)
“
Personne ne veut reconnaître que nous sommes des drogués de musique. Ce n'est tout bonnement pas possible. Personne n'est drogué de musique, de télévision, de radio. Simplement, il nous en faut plus et plus, nous en avons besoin, plus de chaines, un écran plus grand, plus de volume. Nous ne supportons pas de nous en passer, mais, non personne n'est drogué.
Nous pourrions l'éteindre dès que nous le voudrions.
”
”
Chuck Palahniuk
“
Si vous voulez vraiment le savoir, j'aurais préféré ne jamais être né. La vie, je trouve ca bien fatigant. Bien sur, à présent la chose est faite, et je ne peux rien y changer. Mais il y a toujours au fond de moi ce regret, que je n'ariverai pas à chasser complètement, et qui gâchera tout. Maintenant, il s'agit de vieillir vite, d'avaler les années le plus vite possible, sans regarder à gauche ni à droit
”
”
J.M.G. Le Clézio (Fever)
“
Je voulais dire que la vie, je la veux, je ferai n'importe quoi pour l'avoir, toute la vie possible, même si je deviens folle, peu importe, je deviendrai folle tant pis mais la vie je ne veux pas la rater, je la veux, vraiment, même si ça devait faire mal à en mourir c'est vivre que je veux.
”
”
Alessandro Baricco (Ocean Sea)
“
La condition idéale pour mourir est d'avoir tout abandonné, intérieurement et extérieurement, afin qu'il y ait - à ce moment essentiel - le moins possible d'envie, de désir et d'attachement auxquels l'esprit puisse se raccrocher. C'est pourquoi, avant de mourir, nous devrions nous libérer de nos biens, amis et famille.
”
”
Soyal Rinpoché
“
Si le nourrisson humain, seul de tout le règne animal, manifeste immédiatement sa présence au monde par des hurlements de souffrance incessants, c'est bien entendu qu'il souffre de manière intolérable. {...) À tout observateur impartial en tout cas il apparaît que l'individu humain ne peut pas être heureux, qu'il n'est en aucune manière conçu pour le bonheur, et que sa seule destinée possible est de propager le malheur autour de lui en rendant l'existence des autres aussi intolérable que l'est la sienne propre - ses premières victimes étant généralement ses parents.
”
”
Michel Houellebecq (The Possibility of an Island)
“
Or, il est tout au moins possible que, dans des milieux différents, de légères modifications de l'instinct puissent être avantageuses à une espèce. Il en résulte que, si on peut démontrer que les instincts varient si peu que ce soit, il n'y a aucune difficulté à admettre que la sélection naturelle puisse conserver et accumuler constamment les variations de l'instinct, aussi longtemps qu'elles sont profitables aux individus.
”
”
Charles Darwin (The Origin of Species)
“
On aime toujours trop quand on aime vraiment. L'exces est de rigueur. ( Don Juan )
Votre Diablerie, vous ne pouvez dire cela. Tout est pour le pire dans le pire des mondes possibles. ( Le majordome dans L'Ecole du diable )
”
”
Éric-Emmanuel Schmitt
“
Mais le narrateur est plutôt tenté de croire qu’en donnant trop d’importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. Car on laisse supposer alors que ces belles actions n’ont tant de prix que parce qu’elles sont rares et que la méchanceté et l’indifférence sont des moteurs bien plus fréquents dans les actions des hommes. C’est là une idée que le narrateur ne partage pas. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité ce n’est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c’est ce qu’on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l’ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors a tuer. L'âme du meurtrier est aveugle et il n’y a pas de vraie bonté ni de belle amour sans toute la clairvoyance possible.
”
”
Albert Camus (The Plague)
“
Dans le système de la liberté naturelle, le souverain n'a que trois devoirs à remplir ; trois devoirs, à la vérité, d'une haute importance, mais clairs, simples et à la portée d'une intelligence ordinaire. - Le premier, c'est le devoir de défendre la société de tout acte de violence ou d'invasion de la part des autres sociétés indépendantes. - Le second, c'est le devoir de protéger, autant qu'il est possible, chaque membre de la société contre l'injustice ou l'oppression de tout autre membre, ou bien le devoir d'établir une administration exacte de la justice. - Et le troisième, c'est le devoir d'ériger et d'entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l'intérêt privé d'un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou à entretenir, parce que jamais le profit n'en rembourserait la dépense à un particulier ou à quelques particuliers, quoiqu'à l'égard d'une grande société ce profit fasse beaucoup plus que rembourser les dépenses.
”
”
Adam Smith (An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations)
“
Il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas de morale, rien n'existe de tout ce qu'on nous a enseigné à respecter; il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissance possible, en attendant l'épouvante finale qui est la mort.
”
”
Pierre Loti (Aziyadé : suivi de Fantôme d'Orient)
“
Ma conception du voyage avait changé : la destination importe moins que l'abandon. Partir, ce n'est pas chercher, c'est tout quitter, proches, voisins, habitudes, désirs, opinions, soi-même. Partir n'a d'autre but que de se livrer à l'inconnu, à l'imprévu, à l'infinité des possibles, voire même à l'impossible. Partir consiste à perdre ses repères, la maîtrise, l'illusion de savoir et à creuser en soi une disposition hospitalière qui permet à l'exceptionnel de surgir. Le véritable voyageur reste sans bagage et sans but.
”
”
Éric-Emmanuel Schmitt
“
Il n'y a pas d'expérience de la mort. Au sens propre, n'est expérimenté que ce qui a été vécu et rendu conscient. Ici, c'est tout juste s'il est possible de parler de l'expérience de la mort des autres. C'est un succédané, une vue de l'esprit et nous n'en sommes jamais très convaincus.
”
”
Albert Camus (The Myth of Sisyphus)
“
On entra dans le détroit et dans la Méditerranée ; enfin on aborda à Venise. « Dieu soit loué ! dit Candide en embrassant Martin ; c'est ici que je reverrai la belle Cunégonde. Je compte sur Cacambo comme sur moi-même. Tout est bien, tout va bien, tout va le mieux qu'il soit possible. »
”
”
Voltaire (Candide)
“
Les dispositifs de la société du spectacle, avec leur mise en scène constante de la réussite, se caractérisent en effet par leur capacité à fabriquer de l’insatisfaction. De l’insatisfaction et non de la révolte : chez ceux qui auraient toutes les raisons de revendiquer de meilleures conditions matérielles d’existence, ils détruisent ce minimum d’estime de soi sans lequel il n’y a pas de révolte possible. Quant aux plus favorisés, ils sont incités à se comparer sans cesse entre eux. Se répand ainsi une malédiction qui paralyse, qui empêche de faire corps avec ce que l’on est et ce que l’on a (…)
p-274
”
”
Mona Chollet (Chez soi)
“
Dans le box d'à côté, le client suivant d'installe. Il annonce d'emblée être tout à fait d'accord pour gagner moins que le Smic. La conseillère proteste. "C'est la nouvelle mode ou quoi ? Vous êtes le troisième à me dire ca aujourd'hui. Vous savez que ce n'est pas légal?
- Mais si je le propose moi-même, c'est possible, non ?
”
”
Florence Aubenas (Le Quai de Ouistreham)
“
Mais le revenu annuel de toute société est toujours précisément égal à la valeur échangeable de tout le produit annuel de son industrie, ou plutôt c'est précisément la même chose que cette valeur échangeable. Par conséquent, puisque chaque individu tâche, le plus qu'il peut, 1° d'employer son capital à faire valoir l'industrie nationale, et - 2° de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. A la vérité, son intention, en général, n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir.
”
”
Adam Smith (An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations)
“
Ce n'est donc pas l'amitié qui brisera la solitude où l'homme s'est enfermé; il n'est jamais possible à un individu de partager les joies et les peines d'un autre, ni même de les comprendre. Les êtres sont impénétrables, les consciences sont incommunicables; dans l'amour, l'amitié, dans toutes les affections, chacun reste pour l'autre un mystérieux étranger.
”
”
Simone de Beauvoir (Idéalisme moral et réalisme politique)
“
Rien n'est impossible, seules les limites de nos esprits définissent certaines choses comme inconcevables. Il faut souvent résoudre plusieurs équations pour admettre un nouveau raisonnement. C'est une question de temps et de limites de nos cerveaux. Greffer un cœur, faire voler un avion de trois cent cinquante tonnes, marcher sur la Lune a dû demander beaucoup de travail, mais surtout de l'imagination. Alors quand nos savants si savants déclarent impossible de greffer un cerveau, de voyager à la vitesse de la lumière, de cloner un être humain, je me dis que finalement ils n'ont rien appris de leurs propres limites, celles d'envisager que tout est possible et que c'est une question de temps, le temps de comprendre comment c'est possible.
”
”
Marc Levy (If Only It Were True)
“
Les rencontres naissent de coïncidences. D’un jet de dés. Si des couples tiennent ainsi, après que le hasard les a réunis, c’est donc que cela aurait pu tout autant marcher avec une autre fille, si le destin l’avait décidé. C’est donc qu’une histoire d’amour ne vaut pas plus qu’une autre, que mille autres vies auraient été possibles, peut-être meilleures, peut-être pires.
”
”
Michel Bussi (Le temps est assassin)
“
Qui se soustrait, autant qu’il lui est possible, aux contraintes abrutissantes du travail et des loisirs, à la liquéfaction des capacités de raisonnement par la télévision et les médias en général, à l'empoisonnement de l’organisme par l’industrie, à l’analphabétisme culturel d’État, est en tout cas mieux armé pour faire face à la catastrophe que celui qui ne se soustrait à rien de tout cela.
”
”
Jaime Semprún (Dialogues sur l'achèvement des temps modernes)
“
Les jours qui suivent sont un véritable cauchemar. Je me doute bien que l'amant ne va pas venir vers moi, puisqu'il a exigé le silence, imposé une chape de plomb. Les autres élèves ne manqueraient pas de relever cette bizarrerie si, d'aventure, il me saluait, s'il se contentait de me saluer, même de loin. Car, je l'ai dit, nous appartenons à deux cercles distincts, sans intersection possible : une conjonction, même furtive, même accidentelle n'est tout bonnement pas envisageable. Pas question de prendre le moindre risque, j'ai bien compris.
J'ai bien compris et, pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'espérer un signe qui ne serait détectable que par nous, un frôlement qui paraîtrait le produit du hasard, un clin d'œil que nul ne pourrait repérer, un sourire bref. Je rêve d'un sourire bref.
”
”
Philippe Besson (" Arrête avec tes mensonges ")
“
sincères et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait.
”
”
Victor Hugo (Les Misérables: Roman (French Edition))
“
Dans l'attente amoureuse des jeunes femmes, dans cette passion purifiée par l'absence, on touche à quelque chose comme la folie. Aucun homme ne s'aventure dans ces terres isolées de l'amour. Aucun homme ne sait répondre à la parole silencieuse. Les hommes retiennent toujours quelque chose auprès d'eux. Jusque dans les ruines, ils maintiennent une certitude - comme l'enfant garde une bille dans le fond de ses poches. Quand ils attendent, c'est quelque chose de précis qu'ils attendent. Quand ils perdent, c'est une seule chose qu'ils perdent. Les femmes espèrent tout, et puisque tout n'est pas possible elles le perdent en une seule fois - comme une manière de jouir de l'amour dans son manque. Elles continuent d'attendre ce qu'elles ne croient plus. C'est plus fort qu'elles. C'est bien plus fort que toute pensée. (p15)
”
”
Christian Bobin (La part manquante)
“
Le relativisme réduit tout élément d'absoluité à la relativité, en faisant une exception parfaitement illogique avec cette réduction même. Il consiste en somme à déclarer qu'il est vrai qu'il n'y a pas de vérité, ou qu'il est absolument vrai qu'il n'y a que du relativement vrai ; autant dire qu'il n'y a pas de langage, ou écrire qu'il n'y a pas d'écriture. Bref, toute idée se trouve réduite à une relativité soit psychologique, soit historique, soit sociale ; l'assertion s'annule du fait qu'elle se présente elle-même comme une relativité psychologique, historique, ou sociale, et ainsi de suite. L'assertion s'annule, si elle est vraie, et en s'annulant logiquement, prouve qu'elle est fausse ; son absurdité initiale, c'est la prétention implicite d'être seule à sortir, comme par enchantement, d'une relativité déclarée seule possible.
”
”
Frithjof Schuon (Logic & Transcendence)
“
d’aussi purs poètes, tout entiers dévoués au lyrisme, seront-ils encore possibles dans notre époque de turbulence et de désordre universel ? N’est-ce pas une lignée disparue que je regrette en eux avec amour, une lignée sans postérité immédiate dans nos jours traversés par tous les ouragans du destin ? Ces poètes ne convoitaient rien de la vie extérieure, ni l’assentiment des masses, ni les distinctions honorifiques, ni les dignités, ni le profit
”
”
Stefan Zweig (Le Monde d'hier)
“
La transmutation totale de la jalousie est possible (même si elle est rare). Elle porte alors le nom de compersion (terme anglais n'ayant pas encore d'équivalent français): le sentiment de joie et de réjouissance lorsqu'une personne que l'on aime vit des instants heureux ou partage du plaisir avec quelqu'un d'autre. C'est une forme d'empathie épurée, où l'on devient capable de partager le bonheur de l'être aimé au-delà de toute aspiration égoïste.
”
”
Yves-Alexandre Thalmann (Vertus du polyamour : La magie des amours multiples)
“
Mais comment retrouver l’innocence du commencement, la belle frénésie des toutes premières heures et la virginité perdue ? Comment ignorer les gestes qu’on connaît désormais, le corps de l’autre qu’on a appris peu à peu ? Je dis: il faut se trouver dans la disposition à être surpris, désemparé, émerveillé, et puis capable d’étonner l’autre, encore. C’est quelque chose qui est possible, qui est nécessaire. L’habitude porterait en elle une blessure mortelle.
”
”
Philippe Besson (In the Absence of Men)
“
Les vies gays sont souvent des vies différées ; elles commencent lorsqu'un individu se réinvente lui-même, en sortant de son silence, de sa clandestinité honteuse, ou en tout cas en s'aménageant des espaces où il lui est possible d'être ce qu'il est et veut être. Lorsqu'il choisit au lieu de subir, et par exemple, lorsqu'il se compose une autre famille - constituée de ses amis, de ses amants, de ses anciens amants devenus ses amis et des amis de ses anciens amants - et reconstruit ainsi son identité après avoir quitté le champ clos et étouffant de sa famille d'origine et de ses injonctions tacites ou explicites à l'hétérosexualité. Une telle fuite ne signifie pas nécessairement, cela va de soi, la rupture totale avec sa famille, mais plutôt la nécessité de s'en tenir éloigné et de la tenir à distance. Avant cela, les vies gays ne sont que des vies vécues par procuration, des vies imaginées, ou des vies attendues, espérées autant que redoutées. (p. 46)
”
”
Didier Eribon (Insult and the Making of the Gay Self (Series Q))
“
Ecoute : l'intellectuel essaie de connaître et de représenter au moyen de la logique l'essence du monde. Il sait que notre intelligence et son instrument, la logique, sont des outils imparfaits - tout comme un artiste sensé n'ignore pas que son pinceau ou son ciseau ne pourront jamais exprimer parfaitement la splendeur d'un ange ou d'un saint. Pourtant tous deux essaient, le penseur comme l'artiste, chacun à sa manière. Ils ne peuvent pas faire autrement, ils n'en ont pas le droit. Car un être humain s'acquitte de sa tâche la plus haute, la plus normale, en cherchant à mettre en valeur les dons qu'il a reçus de la nature. [...] Nous autres, nous sommes changeants, en devenir, nous sommes un ensemble de possibles, il n'y a pas pour nous de perfection, pas d'être absolu. Mais là où nous passons de la puissance à l'acte, de la possibilité à la réalisation, nous avons part à l'être véritable, nous nous rapprochons d'un pas du divin et de la perfection. Se réaliser, c'est cela. (p. 309-310)
”
”
Hermann Hesse (Narcissus and Goldmund)
“
mais je crois qu’elle aurait tout autant de chances d’être heureuse, si elle épousait Mr. Bingley demain que si elle se met à étudier son caractère pendant une année entière ; car le bonheur en ménage est pure affaire de hasard. La félicité de deux époux ne m’apparaît pas devoir être plus grande du fait qu’ils se connaissaient à fond avant leur mariage ; cela n’empêche pas les divergences de naître ensuite et de provoquer les inévitables déceptions. Mieux vaut, à mon avis, ignorer le plus possible les défauts de celui qui partagera votre existence !
”
”
Jane Austen
“
Je me dis : si tu dois parler, parle, et viens-en immédiatement au fait, sans points de suspension. Du coup, lorsque des dialogues en réclament – car c’est surtout là qu’ils s’imposent –, je fais tout mon possible pour les éviter et, si je n’y parviens vraiment pas, je préfère les réduire de trois à un, interrompant brusquement le discours. Je privilégie « j’aimerais te revoir, mais. » plutôt que « j’aimerais te revoir, mais… ». Il faut payer le prix d’une phrase tronquée et supporter sa laideur si l’on veut apprendre à aller toujours, au moins avec les mots, droit au but.
”
”
Elena Ferrante
“
Quatre hommes visitent l'Australie pour la première fois. En voyageant par train, ils aperçoivent le profil d'un mouton noir qui broute. Le premier homme en conclut que les moutons australiens sont noirs. Le second prétend que tout ce que l'on peut conclure est que certains moutons australiens sont noirs. Le troisième objecte que la seule conclusion possible est qu'en Australie, au moins un mouton est noir ! Le quatrième homme, un sceptique, conclut : il existe en Australie au moins un mouton dont au moins un des côtés est noir !
Raymond Chevalier (Québec Sceptique, 1993)
(p. 200)
”
”
Normand Baillargeon (Petit cours d'autodéfense intellectuelle)
“
Le mal.
Examinez la vie des hommes et des peuples, les meilleurs et les plus féconds, et demandez-vous si un arbre qui doit s'élever fièrement dans les airs peut se passer du mauvais temps et des tempêtes : si la défaveur et la résistance du dehors, si toutes espèces de haine, d'envie, d'entêtement, de méfiance, de dureté, d'avidité, de violence ne font pas partie des circonstances favorisantes, sans lesquelles une grande croissance, même dans la vertu, serait à peine possible?
Le poison qui fait périr la nature plus faible est un fortifiant pour le fort - aussi ne l'appelle-t-il pas poison.
”
”
Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
“
Il est possible qu'à des époques antérieures, où les ours étaient nombreux, la virilité ait pu jouer un rôle spécifique et irremplaçable; mais depuis quelques siècles, les hommes ne servaient visiblement à peu près plus à rien. Ils trompaient parfois leur ennui en faisant des parties de tennis, ce qui étaient un moindre mal; mais parfois aussi ils estimaient utile de faire avancer l'histoire, c'est-à-dire essentiellement de provoquer des révolutions et des guerres. Outre les souffrances absurdes qu'elles provoquaient, les révolutions et les guerres détruisaient le meilleurs du passé, obligeant à chaque fois à faire table rase pour rebâtir. Non inscrite dans le cours régulier d'une ascension progressive, l'évolution humaine acquérait ainsi un tour chaotique, déstructuré, irrégulier et violent. Tout cela les hommes (avec leur goût du risque et du jeu, leur vanité grotesque, leur irresponsabilité, leur violence foncière) en étaient directement et exclusivement responsables. Un monde composé de femmes serait à tous points de vue infiniment supérieur; il évoluerait plus lentement, mais avec régularité, sans retours en arriêre et sans remises en cause néfastes, vers un état de bonheur commun.
”
”
Michel Houellebecq
“
Ces gens-là, les profs, il faut les éviter. Ils sont si habitués à s'écouter parler et à se mettre en scène qu'il n'y a rien à faire avec eux. Aucun échange n'est possible. En plus, ils sont champions toutes catégories de l'art subtil du humble-brag: « La semaine prochaine, je ne serai pas disponible. Je serai à San Francisco à me dorer la fraise au soleil après avoir lu ma communication de vingt minutes devant quatre personnes qui ne m'auront pas écouté. J'ai présenté le même texte le mois dernier à Dubaï, à Séoul et à Istanbul. Dans quelques années, je pourrai le publier dans un livre qui va moisir sur les rayons.
”
”
Julie Boulanger (Albertine ou La férocité des orchidées)
“
Le désir de dire, le souci impérieux de porter témoignage, se trouve immédiatement confronté à toute une série de réticences et de résistances, née de la disproportion entre ce que ces gens ont vécu et le récit qu'il est possible - ou impossible - d'en faire. À peine commence-t-on à raconter qu'on suffoque : nous avons affaire à l'une de ces réalités qui font dire qu'elles dépassent l'entendement ou l'imagination. Je songe à Robert Antelme, au tout début de L'espèce humaine, quand il évoque le sentiment de l'insuffisance ou de l'inutilité du langage pour ces hommes qui ont vu "ce que les hommes ne doivent pas voir". (p. 166)
”
”
Michaël Ferrier (Fukushima : Récit d'un désastre)
“
En ce qui me concerne, je suis végétarienne à quatre-vingt-quinze pour cent. L'exception principale serait le poisson, que je mange peut-être deux fois par semaine pour varier un peu mon régime et en n'ignorant pas, d'ailleurs, que dans la mer telle que nous l'avons faite le poisson est lui aussi contaminé. Mais je n'oublie surtout pas l'agonie du poisson tiré par la ligne ou tressautant sur le pont d'une barque. Tout comme Zénon, il me déplaît de "digérer des agonies". En tout cas, le moins de volaille possible, et presque uniquement les jours où l'on offre un repas à quelqu'un ; pas de veau, pas d'agneau, pas de porc, sauf en de rares occasions un sandwich au jambon mangé au bord d'une route ; et naturellement pas de gibier, ni de bœuf, bien entendu.
- Pourquoi, bien entendu ?
- Parce que j'ai un profond sentiment d'attachement et de respect pour l'animal dont la femelle nous donne le lait et représente la fertilité de la terre. Curieusement, dès ma petite enfance, j'ai refusé de manger de la viande et on a eu la grande sagesse de ne pas m'obliger à le faire. Plus tard, vers la quinzième année, à l'âge où l'on veut "être comme tout le monde", j'ai changé d'avis ; puis, vers quarante ans, je suis revenue à mon point de vue de la sixième année.(p. 288)
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”
Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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De l’espèce d’âme qui a la plus haute autorité en nous, voici l’idée qu’il faut s’en faire : c’est que Dieu nous l’a donnée comme un génie, et c’est le principe que nous avons dit logé au sommet de notre corps, et qui nous élève de la terre vers notre parenté céleste, car nous sommes une plante du ciel, non de la terre, nous pouvons l’affirmer en toute vérité. Car Dieu a suspendu notre tête et notre racine à l’endroit où l’âme fut primitivement engendrée et a ainsi dressé tout notre corps vers le ciel. Or, quand un homme s’est livré tout entier à ses passions ou à ses ambitions et applique tous ses efforts à les satisfaire, toutes ses pensées deviennent nécessairement mortelles, et rien ne lui fait défaut pour devenir entièrement mortel, autant que cela est possible, puisque c’est à cela qu’il s’est exercé.
Mais lorsqu’un homme s’est donné tout entier à l’amour de la science et à la vraie sagesse et que, parmi ses facultés, il a surtout exercé celle de penser à des choses immortelles et divines, s’il parvient à atteindre la vérité, il est certain que, dans la mesure où il est donné à la nature humaine de participer à l’immortalité, il ne lui manque rien pour y parvenir ; et, comme il soigne toujours la partie divine et maintient en bon état le génie qui habite en lui, il doit être supérieurement heureux.
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Plato (Timaeus)
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Mais il est des gens qui croient que la fiction est limitée par la fiction, et non par l'intelligence ; c'est-à-dire qu'après avoir feint une chose, et avoir affirmé, par un acte libre de la volonté, l'existence de cette chose, déterminée d'une certaine manière dans la nature, il ne nous est plus possible de la concevoir autrement. Par exemple, après avoir feint (pour parler leur langage) que la nature du corps est telle ou telle, il ne m'est plus permis de feindre une mouche infinie ; après avoir feint l'essence de l'âme, il ne m'est plus permis d'en faire un carré, etc.
Cela a besoin d'être examiné. D'abord, ou bien ils nient, ou bien ils accordent que nous pouvons comprendre quelque chose. L'accordent-ils ; ce qu'ils disent de la fiction, ils devront nécessairement le dire aussi de l'intelligence. Le nient-ils ; voyons donc, nous qui savons que nous savons quelque chose, ce qu'ils disent. Or, voici ce qu'ils disent : l'âme est capable de sentir et de percevoir de plusieurs manières, non pas elle-même, non pas les choses qui existent, mais seulement les choses qui ne sont ni en elle-même ni ailleurs : en un mot, l'âme, par sa seule vertu, peut créer des sensations, des idées, sans rapport avec les choses, à ce point qu'ils la considèrent presque comme un dieu. Ils disent donc que notre âme possède une telle liberté qu'elle a le pouvoir et de nous contraindre et de se contraindre elle-même et de contraindre jusqu'à sa liberté elle-même. En effet, lorsque l'âme a feint quelque chose et qu'elle a donné son assentiment à cette fiction, il ne lui est plus possible de se représenter ou de feindre la même chose d'une manière différente ; et en outre, elle se trouve condamnée à se représenter toutes choses de façon qu'elles soient en accord avec la fiction primitive. C'est ainsi que nos adversaires se trouvent obligés par leur propre fiction d'accepter toutes les absurdités qu'on vient d'énumérer, et que nous ne prendrons pas la peine de combattre par des démonstrations .
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Baruch Spinoza (On the Improvement of Understanding)
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Ce qui importe avant tout, c'est que le sens gouverne le choix des mots, et non l'inverse. En matière de prose, la pire des choses que l'on puisse faire avec les mots est de s'abandonner à eux. Quand vous pensez à un objet concret, vous n'avez pas besoin de mots, et si vous voulez décrire ce que vous venez de visualiser, vous vous mettrez sans doute alors en quête des termes qui vous paraîtront les plus adéquats. Quand vous pensez à une notion abstraite, vous êtes plus enclin à recourir d'emblée aux mots, si bien qu'à moins d'un effort conscient pour éviter ce travers, le jargon existant s'impose à vous et fait le travail à votre place, au risque de brouiller ou même d'altérer le sens de votre réflexion. Sans doute vaut-il mieux s'abstenir, dans la mesure du possible, de recourir aux termes abstraits et et essayer de s'exprimer clairement par le biais de l'image ou de la sensation. On pourra ensuite choisir - et non pas simplement "accepter" - les formulations qui serreront au plus près la pensée, puis changer de point de vue et voir quelle impression elles pourraient produire sur d'autres personnes. Ce dernier effort mental élimine toutes les images rebattues ou incohérentes, toutes les expressions préfabriquées, les répétitions inutiles et, de manière générale, le flou et la poudre aux yeux.
Extrait de "La politique et la langue anglaise
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George Orwell (Such, Such Were the Joys)
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Ces dernières décennies, le référendum a souvent été mis en avant comme un moyen efficace de réformer la démocratie. À une époque où la société s’individualise et où la société civile pèse moins lourd qu’autrefois, il a paru utile à beaucoup d’observateurs de demander directement à la population son avis sur des dossiers controversés. Les référendums sur la Constitution européenne aux Pays-Bas, en France et en Irlande ont quelque peu refroidi le zèle en faveur de ce mode de décision. Pourtant, il bénéficie encore d’une grande popularité, comme en témoignent les référendums projetés sur l’autonomie de la Catalogne et de l’Écosse, et sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Les référendums et la démocratie délibérative sont apparentés dans la mesure où, dans un cas comme dans l’autre, le citoyen ordinaire est consulté, mais les mécanismes sont pour le reste totalement opposés : lors d’un référendum, on demande à tout le monde de voter sur un sujet à propos duquel, le plus souvent, peu de gens sont informés ; lors d’un projet délibératif, on demande à un échantillon représentatif de la population de délibérer sur un sujet à propos duquel il obtient le plus d’informations possible. Lors d’un référendum, les gens réagissent encore très souvent avec leurs tripes ; lors d’une délibération, c’est une opinion publique éclairée qui s’exprime.
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David Van Reybrouck (Tegen verkiezingen)
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Se voir le plus possible et s'aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu'un désir nous trompe, ou qu'un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son cœur à tout moment;
Respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge,
Faire de son amour un jour au lieu d'un songe,
Et dans cette clarté respirer librement,
Ainsi respirait Laure et chantait son amant.
Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
C'est vous, la tête en fleurs qu'on croirait sans souci,
C’est vous qui me disiez qu'il faut aimer ainsi.
Et c'est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci
Oui, l'on vit autrement, mais c'est ainsi qu'on aime
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Alfred de Musset (Poésies nouvelles)
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Nous avons tiré de ce sursis un bénéfice certain ; il nous a sauvées - ou - presque - du remords. Quand quelqu'un de cher disparaît, nous payons de mille regrets poignants la faute de survivre. Sa mort nous découvre sa singularité unique ; il devient vaste comme le monde que son absence anéantit pour lui, que sa présence faisait exister tout entier ; il nous semble qu'il aurait dû tenir plus de place dans notre vie : à la limite toute la place. Nous nous arrachons à ce vertige : il n'était qu'un individu parmi tant d'autres. Mais comme on ne fait jamais tout son possible, pour personne - même dans les limites, contestables, qu'on s'est fixées - il nous reste encore bien des reproches à nous.
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Simone de Beauvoir (A Very Easy Death)
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Nous avons tiré de ce sursis un bénéfice certain ; il nous a sauvées - ou presque - du remords. Quand quelqu'un de cher disparaît, nous payons de mille regrets poignants la faute de survivre. Sa mort nous découvre sa singularité unique; il devient vaste comme le monde que son absence anéantit pour lui, que sa présence faisait exister tout entier; il nous semble qu'il aurait dû tenir plus de place dans notre vie : à la limite toute la place. Nous nous arrachons à ce vertige : il n'était qu'un individu parmi tant d'autres. Mais comme on ne fait jamais tout son possible, pour personne - même dans les limites, contestables, qu'on s'est fixées - il nous reste encore bien des reproches à nous adresser.
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Simone de Beauvoir (A Very Easy Death)
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J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable." Il me disait cela plein de passion et sur le ton d'un père disant : "Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches à l'église !" Quelque peu étonné, je lui demandai : "Un bastion -- contre quoi ?" Il me répondit : "Contre le flot de vase noire de…" Ici il hésita un moment pour ajouter : "… de l'occultisme !" Ce qui m'alarma d'abord, c'était le "bastion" et le "dogme" ; un dogme c'est-à-dire une profession de foi indiscutable, on ne l'impose que là où l'on veut une fois pour toutes écraser un doute. Cela n'a plus rien d'un jugement scientifique, mais relève uniquement d'une volonté personnelle de puissance.
Ce choc frappa au cœur notre amitié. Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position. Freud semblait entendre par "occultisme" à peu près tout ce que la philosophie et la religion -- ainsi que la parapsychologie qui naissait vers cette époque -- pouvaient dire de l'âme. Pour moi, la théorie sexuelle était tout aussi "occulte" -- c'est-à-dire non démontrée, simple hypothèse possible, comme bien d'autres conceptions spéculatives. Une vérité scientifique était pour moi une hypothèse momentanément satisfaisante, mais non un article de foi éternellement valable. (p. 244)
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C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
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L'Art d’avoir toujours raison La dialectique 1 éristique est l’art de disputer, et ce de telle sorte que l’on ait toujours raison, donc per fas et nefas (c’est-à-dire par tous les moyens possibles)2. On peut en effet avoir objectivement raison quant au débat lui-même tout en ayant tort aux yeux des personnes présentes, et parfois même à ses propres yeux. En effet, quand mon adversaire réfute ma preuve et que cela équivaut à réfuter mon affirmation elle-même, qui peut cependant être étayée par d’autres preuves – auquel cas, bien entendu, le rapport est inversé en ce qui concerne mon adversaire : il a raison bien qu’il ait objectivement tort. Donc, la vérité objective d’une proposition et la validité de celle-ci au plan de l’approbation des opposants et des auditeurs sont deux choses bien distinctes. (C'est à cette dernière que se rapporte la dialectique.) D’où cela vient-il ? De la médiocrité naturelle de l’espèce humaine. Si ce n’était pas le cas, si nous étions foncièrement honnêtes, nous ne chercherions, dans tout débat, qu’à faire surgir la vérité, sans nous soucier de savoir si elle est conforme à l’opinion que nous avions d’abord défendue ou à celle de l’adversaire : ce qui n’aurait pas d’importance ou serait du moins tout à fait secondaire. Mais c’est désormais l’essentiel. La vanité innée, particulièrement irritable en ce qui concerne les facultés intellectuelles, ne veut pas accepter que notre affirmation se révèle fausse, ni que celle de l’adversaire soit juste. Par conséquent, chacun devrait simplement s’efforcer de n’exprimer que des jugements justes, ce qui devrait inciter à penser d’abord et à parler ensuite. Mais chez la plupart des hommes, la vanité innée s’accompagne d’un besoin de bavardage et d’une malhonnêteté innée. Ils parlent avant d’avoir réfléchi, et même s’ils se rendent compte après coup que leur affirmation est fausse et qu’ils ont tort, il faut que les apparences prouvent le contraire. Leur intérêt pour la vérité, qui doit sans doute être généralement l’unique motif les guidant lors de l’affirmation d’une thèse supposée vraie, s’efface complètement devant les intérêts de leur vanité : le vrai doit paraître faux et le faux vrai.
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Arthur Schopenhauer (L'art d'avoir toujours raison (La Petite Collection))
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Avec le temps, j'ai simplement aperçu que même ceux qui étaient meilleurs que d'autres ne pouvaient s'empêcher aujourd'hui de tuer ou de laisser tuer parce que c'était dans la logique où ils vivaient, et que nous ne pouvions pas faire un geste en ce monde sans risquer de faire mourir. Oui, j'ai continué d'avoir honte, j'ai appris cela, que nous étions tous dans la peste, et j'ai perdu la paix. Je la cherche encore aujourd'hui, essayant de les comprendre tous et de n'être l'ennemi mortel de personne. Je sais seulement qu'il faut faire ce qu'il faut pour ne plus être un pestiféré et que c'est là ce qui peut, seul, nous faire espérer la paix, ou une bonne mort à son défaut. C'est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. Et c'est pourquoi j'ai décidé de refuser tout ce qui, de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu'on fasse mourir.
« C'est pourquoi encore cette épidémie ne m'apprend rien, sinon qu'il faut la combattre à vos côtés. Je sais de science certaine (oui, Rieux, je sais tout de la vie, vous le voyez bien) que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n'en est indemne. Et qu'il faut se surveiller sans arrêt pour ne pas être amené, dans une minute de distraction, à respirer dans la figure d'un autre et à lui coller l'infection. Ce qui est naturel, c'est le microbe. Le reste, la santé, l'intégrité, la pureté, si vous voulez, c'est un effet de la volonté et d'une volonté qui ne doit jamais s'arrêter.
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Albert Camus (The Plague)
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Celles qui refusent la maternité sont aussi confrontées au préjugé selon lequel elles détestent les enfants, telles les sorcières dévorant à belles dents de petits corps rôtis durant le sabbat ou jetant un sort mortel au fils du voisin. C'est doublement exaspérant. D'abord, parce que c'est loin d'être toujours le cas : parfois, c'est même une forte empathie avec les enfants qui peut vous retenir d'en mettre au monde, alors que d'autres pourront choisir d'en avoir pour des motifs discutables. [...] Par ailleurs, on a le droit de ne pas rechercher la compagnie des enfants, voire de les détester franchement, quitte à dépouiller impitoyablement l'entourage de ses illusions en foulant aux pieds l'image de douceur et de dévouement qu'il associe à la Femme. Là encore, de toute façon, il n'y a pas de bon comportement possible.
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Mona Chollet (Sorcières : La puissance invaincue des femmes)
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Quand je vis avec mes semblables, ma pensée s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider à vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nécessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon à rien, j'éprouve le besoin de vivre avec ce moi intérieur qui s'identifie à la nature et au rêve de la vie dans l'éternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent délirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mêmes sont tourmentés d'un besoin d'existence qui nous empêche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. Dès qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire à tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit céder à cette sauvage logique de la faim et de l'amour. Où donc trouver, où donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? Hélas, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassérénement inexplicable. Là, nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une région d'idées où il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mêmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'être.
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George Sand (Le dernier amour)
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Pourquoi respecterais-je l'être humain quand il me méprise ? Qu'il vive donc en harmonie avec moi. S'il y consentait, loin de lui nuire, je lui ferais tout le bien possible, et c'est avec des larmes de joie que je lui témoignerais ma reconnaissance. Mais cela ne peut être. Les sentiments des humains de dressent comme une barrière pour empêcher un tel accord. Jamais pourtant je ne me soumettrai à un aussi abject esclavage. Je me vengerai du tord que l'on me fait. Si je ne puis inspirer l'amour, eh bien, j'infligerai la peur, et cela principalement à vous, mon ennemi par ecellence. Parce que vous êtes mon créateur, je jure de vous exécrer à jamais. Prenez garde ! Je me consacrerai à votre destruction, et je ne serai satisfait que lorsque j'aurai plongé votre coeur dans la désolation, lorsque je vous aurai fait maudire le jour où vous êtes né.
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Mary Wollstonecraft Shelley (Frankenstein)
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L'homme ne vit pas seulement sa vie personnelle comme individu, mais consciemment ou inconsciemment il participe aussi à celle de son époque et de ses contemporains, et même s'il devait considérer les bases générales et impersonnelles de son existence comme des données immédiates, les tenir pour naturelles et être aussi éloigné de l'idée d'exercer contre elles une critique que le bon Hans Castorp l'était réellement, il est néanmoins possible qu'il sente son bien-être moral vaguement affecté par leurs défauts. L'individu peut envisager toute sorte de buts personnels, de fins, d'espérances, de perspectives où il puise une impulsion à de grands efforts et à son activité, mais lorsque l'impersonnel autour de lui, l'époque elle-même, en dépit de son agitation, manque de buts et d'espérances, lorsqu'elle se révèle en secret désespérée, désorientée et sans issue, lorsqu'à la question, posée consciemment ou inconsciemment, mais finalement posée en quelque manière, sur le sens suprême, plus que personnel et inconditionné, de tout effort et de toute activité, elle oppose le silence du vide, cet état de choses paralysera justement les efforts d'un caractère droit, et cette influence, par-delà l'âme et la morale, s'étendra jusqu'à la partie physique et organique de l'individu. Pour être disposé à fournir un effort considérable qui dépasse la mesure de ce qui est communément pratiqué, sans que l'époque puisse donner une réponse satisfaisante à la question " à quoi bon? ", il faut une solitude et une pureté morales qui sont rares et d'une nature héroïque, ou une vitalité particulièrement robuste. Hans Castorp ne possédait ni l'une ni l'autre, et il n'était ainsi donc qu'un homme malgré tout moyen, encore que dans un sens des plus honorables.
(ch. II)
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Thomas Mann (The Magic Mountain)
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1837, cette année capitale sur le plan mondial, où pour la première fois le télégraphe rend simultanées les expériences humaines jusqu’alors isolées, n’est en général même pas mentionnée dans nos livres de classe, qui continuent malheureusement à juger plus important de raconter les guerres et les victoires de quelques généraux et de quelques nations, plutôt que les véritables triomphes de l’humanité – ceux qui sont collectifs. Et pourtant aucune date de l’histoire contemporaine ne peut se comparer quant à sa portée psychologique à celle-ci, où est intervenue cette mutation de la valeur du temps. Le monde est transformé depuis qu’il est possible de savoir à Paris ce qui se passe à la minute même à Moscou, à Naples et à Lisbonne. Il ne reste plus qu’un dernier pas à faire, et les autres continents seront eux aussi intégrés à ce grandiose ensemble, et l’on aura créé une conscience commune à l’humanité tout entière.
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Stefan Zweig (Decisive Moments in History: Twelve Historical Miniatures)
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Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir, Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir, J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture, Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité, Repose le salut de la société S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce: -Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce; Je ne me ferai plus griffer par le minet. Mais on s'est recrié:-Cette enfant vous connaît; Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche. Elle vous voit toujours rire quand on se fâche. Pas de gouvernement possible. A chaque instant L'ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend; Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête. Vous démolissez tout.-Et j'ai baissé la tête, Et j'ai dit:-Je n'ai rien à répondre à cela, J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte. Qu'on me mette au pain sec.-Vous le méritez, certe, On vous y mettra.-Jeanne alors, dans son coin noir, M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir, Pleins de l'autorité des douces créatures: -Eh bien' moi, je t'irai porter des confitures.
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Victor Hugo (L'Art d'être grand-père)
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S'il est bon de savoir employer les hommes tels qu'ils sont, il vaut beaucoup mieux encore les rendre tels qu'on a besoin qu'ils soient; l'autorité la plus absolue est celle qui pénètre jusqu'à l'intérieur de l'homme, et ne s'exerce pas moins sur la volonté que sur les actions. [...] Formez donc des hommes si vous voulez commander à des hommes : si vous voulez qu'on obéisse aux lois, faites qu'on les aime, et que pour faire ce qu'on doit, il suffise de songer qu'on le doit faire. C'était là le grand art des gouvernements anciens, dans ces temps reculés où les philosophes donnaient des lois aux peuples, et n'employaient leur autorité qu'à les rendre sages et heureux. De là tant de lois somptuaires, tant de règlements sur les mœurs, tant de maximes publiques admises ou rejetées avec le plus grand soin. Les tyrans mêmes n'oubliaient pas cette importante partie de l'administration, et on les voyait attentifs à corrompre les mœurs de leurs esclaves avec autant de soin qu'en avaient les magistrats à corriger celles de leurs concitoyens. Mais nos gouvernements modernes qui croient avoir tout fait quand ils ont tiré de l'argent, n'imaginent pas même qu'il soit nécessaire ou possible d'aller jusque-là.
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Jean-Jacques Rousseau (A Discourse on Political Economy)
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Dans tout mon langage, dans tout mon langage avec toi, il y a eu dès le début ce noyau de silence. Je ne dis pas cela pour me charger ni pour décharger qui que ce soit. L’effort que me coûte d’écrire ces mots me garantit une sorte de paix, au-delà de tout jugement. C’est ainsi, ce noyau de silence était en moi, il faisait partie de moi. Je l’ai, lui aussi, apporté avec tout le reste dans notre histoire et comme je ne pouvais rien contre lui, il y a pris sa place, s’est installé et s’est imposé. Je faisais naturellement semblant de ne pas le voir mais il était là. Je le recouvrais de discours de protection, diversion, il était toujours là, parfois invisible, parfois tacitement oublié, mais toujours là. Il ne trompait personne parmi les intéressés. Il ne te trompait pas, en tout cas malgré tous les efforts pour conclure avec lui et moi à demi-mots, un pacte d’oubli. Au fond de tout tu l’as accepté avec moi, mais tu ne l’as jamais accepté ; tu ne pouvais pas. Tu as fait tout ton possible en ton pouvoir pour le réduire, puis pour l’oublier. Un moment est venu où tu n’as plus pu résister au silence que par le silence, par un second silence sans aucun rapport avec le premier mais un silence.
Un silenzio l’unico modo di non tacere.
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Louis Althusser
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L'adhésion à la réalité peut, certes, prendre des formes diverses, où tiennent une place variable l'impératif de survie, le miroitement des modèles d'ascension sociale, les séductions addictives de la consommation, les petits privilèges d'une vie un tant soit peu confortable, les pièges d'une logique concurrentielle qui nous fait obligation de croire qu'il n'y aura pas de place pour tout le monde, la peur de perdre le peu que l'on a et le sentiment d'une insécurité méticuleusement entretenue. Même une bonne dose de scepticisme, voire une solide capacité critique ne portent guère atteinte, le plus souvent, à cette adhésion à un système qui a peut-être renoncé à nous convaincre de ses vertus pour se contenter d'apparaître comme la seule réalité possible, hors du chaos absolu, ainsi que le résume la sentence emblématique de François Furet : "Nous sommes condamnés à vivre dans le monde dans lequel nous vivons". Il n'y a pas d'alternative : telle est la conviction que les formes de domination actuelles sont parvenues à disséminer dans le corps social. Au-delà des opinions de chacun, telle est la norme de fait, en vertu de laquelle l'agir se conforme à une implacable logique d'adéquation à la réalité socialement constituée. (p. 7-8)
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Jérôme Baschet (Adiós al Capitalismo: Autonomía, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
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L'idée préconçue entrave et endommage la libre et pleine manifestation de la vie psychique, que je connais et discerne bien trop peu pour la corriger, sous prétexte de mieux savoir. La raison critique semble avoir récemment éliminé avec de nombreuses autres représentations mythiques, aussi l'idée d'une vie post mortem. Cela n'a été possible que parce qu'aujourd'hui les hommes sont identifiés le plus souvent à leur seule conscience et s'imaginent n'être rien de plus que ce qu'ils savent d'eux-mêmes. Or tout homme qui ne possède qu'un soupçon de ce qu'est la psychologie peut aisément se rendre compte que ce savoir est bien borné. Le rationalisme et le doctrinarisme sont des maladies de notre temps : ils ont la prétention d'avoir réponse à tout. Pourtant bien des découvertes, que nous considérons comme impossibles - quand nous nous plaçons à notre point de vue borné -, seront encore faites. Nos notions d'espace et de temps ne sont qu'approximativement valables ; elles laissent ouvert un vaste champ de variations relatives ou absolues. Tenant compte de telles possibilités, je prête une oreille attentive aux étranges mythes de l'âme ; j'observe ce qui se passe et ce qui m'arrive, que cela concorde ou non avec mes présuppositions théoriques. (p. 471)
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C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
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for I saw them, while I was still struggling through the bushes, looking out of the back window,—and yet drove on indifferently? Did he suppose that in all the wide world there could be forgiveness for such people? He shrugged his shoulders. “Aprés tout, madame,” he said, “cc n’est qu’un chien.” It seemed to me as I drove home, with Woosie wrapped in a cloth I had begged of the vet, at my feet—Woosie so quiet now, who had never yet been quiet, so for ever acquiescent,—it seemed to me as if I saw for the first time, in their just proportions, the cruelty and suffering which is life, and the sure release, the one real consolation, which is death. From having thought highly of being alive—for, with a few stretches of misery, I have been a fortunate and a happy person,—I began to think highly of being dead. Out of it all. Done with torment. Safe from further piteous woes. My mind, that is, during the drive, ran in directions which the comfortable would call morbid; it ran, in other words, in the direction of stark truth. And I don’t see how it could do anything else with a little dead thing, a thing so lately of my intimate acquaintance, which an hour before had been almost fiercely alive and furiously enjoying itself, lying at my feet in the awful meekness of death. Finished, Woosie was; and the manner of his ending left me with a great desire, if only it were possible, to beg his pardon, and the pardon of all poor helpless creatures, for the tragic unkindness of human beings. I
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Elizabeth von Arnim (All The Dogs Of My Life)
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Dès le moment où j’ai commencé à défendre l’amazighité en 1978. Au gouvernement de l’époque, Mahjoubi Aherdane et M’hamed Douiri ne cessaient de se chamailler au sujet de l’amazighité. Mohamed Benhima, alors ministre de l’Intérieur, m’a demandé, en tant qu’intellectuel, de donner mon avis là-dessus en rédigeant un rapport. On m’a laissé le choix de le faire en arabe ou en français. Je l’ai finalement écrit en arabe, pour qu’on n’aille pas croire que la défense des Berbères est une affaire de francophones. Mais le contenu de ce que j’ai dit n’a pas plu à tout le monde. D’autant que j’ai réitéré dans mon explication une conviction profonde très peu partagée. J’ai rappelé que ce qui faisait croire aux Berbères que la langue arabe était supérieure à la langue berbère n’est rien d’autre que la prédominance du sentiment religieux. Or, ce sentiment s’amenuisant, il n’était plus possible de s’appuyer dessus pour évacuer la culture berbère. Le fait que nous ayons créé, des amis et moi, en 1980, une association de défense des droits amazighs n’a pas forcèment plu. Tout cela s’est malheureusement terminé par l’arrestation de membres fondateurs de l’association et par la condamnation à deux ans de prison de l’un d’entre eux. En ce qui me concerne, personnellement, ces événements ont précipité mon départ du Collège royal dont j’avais été directeur de 1976 à 1982. J’ai tenu à partir dans la dignité et Hassan II, que Dieu ait son âme, m’a facilité la tâche.
[Interview Economia, Octobre 2010]
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Mohammed Chafik
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Je me rappelle mon entrée sur la scène, à mon premier concert. […] Je n'aimais pas ce public pour qui l'art n'est qu'une vanité nécessaire, ces visage composés dissimulant les âmes, l'absence des âmes. Je concevais mal qu'on pût jouer devant des inconnus, à heure fixe, pour un salaire versé d'avance. Je devinais les appréciations toutes faites, qu'ils se croyaient obligés de formuler en sortant ; je haïssais leur goût pour l'emphase inutile, l'intérêt même qu'ils me portaient, parce que j'étais de leur monde, et l'éclat factice dont se paraient les femmes. Je préférais encore les auditeurs de concerts populaires, donnés le soir dans quelque salle misérable, où j'acceptais parfois de jouer gratuitement. Des gens venaient là dans l'espoir de s'instruire. Ils n'étaient pas plus intelligents que les autres, ils étaient seulement de meilleur volonté. Ils avaient dû, après leur repas, s'habiller le mieux possible ; ils avaient dû consentir à avoir froid, pendant deux longues heures, dans une salle presque noire. Les gens qui vont au théâtre cherchent à s'oublier eux-mêmes ; ceux qui vont au concert cherchent plutôt à se retrouver. Entre la dispersion du jour et la dissolution du sommeil, ils se retrempent dans ce qu'ils sont. Visage fatigués des auditeurs du soir, visages qui se détendent dans leurs rêves et semblent s'y baigner. Mon visage… En ne suis-je pas aussi très pauvre, moi qui n'ai ni amour, ni foi, ni désir avouable, moi qui n'ai que moi-même sur qui compter, et qui me suis presque toujours infidèle ? (p. 82-83)
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Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grâce)
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Dans la critique de la preuve ontologique de Dieu, l'erreur consiste à ne pas voir qu'imaginer un objet quelconque n'est nullement la même chose que concevoir de l'absolu, ou l'Absolu en soi : car ce qui prime ici, ce n'est pas le jeu subjectif de notre esprit, c'est essentiellement l'Objet absolu qui le détermine et qui constitue même, en dernière analyse, la raison d'être de l'intelligence humaine. Sans un Dieu réel, point d'homme possible.
En parlant de l'argument ontologique, nous pensons à la thèse essentielle et non aux raisonnements en partie problématiques qui sont censés l'étayer. Au fond, la base de l'argument est l'analogie entre le méta-macrocosme et le microcosme, ou entre Dieu et l'âme : sous un certain rapport, nous somme ce qui est et par conséquent nous pouvons connaître tout ce qui est, donc l'Être en soi ; car s'il y a le rapport d'incommensurabilité, il y a aussi celui d'analogie et même celui d'identité, sans quoi nous serions le néant pur et simple. Le principe de connaissance n'implique par lui-même aucune limitation ; connaître, c'est connaître tout le connaissable, et celui-ci coincide avec le réel étant donné qu'a priori et dans l'Absolu le sujet et l'objet se confondent : connaître c'est être, et inversement. Ce qui nous ramène à la sentence arabe : « Qui connaît son âme, connaît son Seigneur. » ; sans oublier la formule du sanctuaire de Delphe : « Connais-toi toi-même »... Si l'on nous dit que l'Absolu est inconnaissable, cela se rapporte non à notre faculté intellective de principe mais à telle modalité de facto de cette faculté ; à telle écorce, non à la substance.
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Frithjof Schuon (To Have a Center (Library of Traditional Wisdom))
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Les Occidentaux, toujours animés par ce besoin de prosélytisme qui leur est si particulier, sont arrivés à faire pénétrer chez les autres, dans une certaine mesure, leur esprit antitraditionnel et matérialiste ; et, tandis que la première forme d’invasion n’atteignait en somme que les corps, celle-ci empoisonne les intelligences et tue la spiritualité ; l’une a d’ailleurs préparé l’autre et l’a rendue possible, de sorte que ce n’est en définitive que par la force brutale que l’Occident est parvenu à s’imposer partout, et il ne pouvait en être autrement, car c’est en cela que réside l’unique supériorité réelle de sa civilisation, si inférieure à tout autre point de vue. L’envahissement occidental, c’est l’envahissement du matérialisme sous toutes ses formes, et ce ne peut être que cela ; tous les déguisements plus ou moins hypocrites, tous les prétextes « moralistes », toutes les déclamations « humanitaires », toutes les habiletés d’une propagande qui sait à l’occasion se faire insinuante pour mieux atteindre son but de destruction, ne peuvent rien contre cette vérité, qui ne saurait être contestée que par des naïfs ou par ceux qui ont un intérêt quelconque à cette œuvre vraiment « satanique », au sens le plus rigoureux du mot(*).
(*)Satan, en hébreu, c’est l’« adversaire », c’est-à-dire celui qui renverse toutes choses et les prend en quelque sorte à rebours ; c’est l’esprit de négation et de subversion, qui s’identifie à la tendance descendante ou « infériorisante », « infernale » au sens étymologique, celle même que suivent les êtres dans ce processus de matérialisation suivant lequel s’effectue tout le développement de la civilisation moderne.
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René Guénon (The Crisis of the Modern World)
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Nous entrons dans un temps où il deviendra particulièrement difficile de « distinguer l’ivraie du bon grain », d’effectuer réellement ce que les théologiens nomment le « discernement des esprits », en raison des manifestations désordonnées qui ne feront que s’intensifier et se multiplier, et aussi en raison du défaut de véritable connaissance chez ceux dont la fonction normale devrait être de guider les autres, et qui aujourd’hui ne sont trop souvent que des « guides aveugles ». On verra alors si, dans de pareilles circonstances, les subtilités dialectiques sont de quelque utilité, et si c’est une « philosophie », fût-elle la meilleure possible, qui suffira à arrêter le déchaînement des « puissances infernales » ; c’est là encore une illusion contre laquelle certains ont à se défendre, car il est trop de gens qui, ignorant ce qu’est l’intellectualité pure, s’imaginent qu’une connaissance simplement philosophique, qui, même dans le cas le plus favorable, est à peine une ombre de la vraie connaissance, est capable de remédier à tout et d’opérer le redressement de la mentalité contemporaine, comme il en est aussi qui croient trouver dans la science moderne elle-même un moyen de s’élever à des vérités supérieures, alors que cette science n’est fondée précisément que sur la négation de ces vérités. Toutes ces illusions sont autant de causes d’égarement ; bien des efforts sont par là dépensés en pure perte, et c’est ainsi que beaucoup de ceux qui voudraient sincèrement réagir contre l’esprit moderne sont réduits à l’impuissance, parce que, n’ayant pas su trouver les principes essentiels sans lesquels toute action est absolument vaine, ils se sont laissé entraîner dans des impasses dont il ne leur est plus possible de sortir.
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René Guénon (The Crisis of the Modern World)
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Les billes, je les aime tant et j'en ai tant gagné que je pourrais m'en emplir la bouche et tout le cordon intestinal, n'être plus qu'un bonhomme de billes : j'en ai plusieurs trousses que je décharge le soir dans une boîte à chaussures. Quand ce n'est pas la saison du scoubidou et de la cocotte-surprise, et je me rejette dans la bataille. Je suis devenu le boss des billes, c'est moi qui ai lancé la bille à cent, une trouvaile : mes rivaux ne pratiquent que la bille à dix. Chaque matin j'emporte une trousse vide, une trousse à demi pleine, et dans mes poches quelques calots qui comptent pour dix. J'ai mon emplacement réservé, juste à droite de la porte qui mène du préau à la cour, tout contre le mur il y a dans le sool gris comme un minuscule coquetier qui semble taillé tout exprès pour que j'y mette ma bille, j'ai mon créneau, je le paye en billes, et j'ai mes employés qui surveillent les joueurs. Je calcule la distance qui doit être appropriée à un tel lot : elle doit rendre la bille pratiquement invisible. Les billes pleuvent, je vérifie que ma petite bille ne bouge pas, je la fixe pour l'en empêcher. Pendant ce temps-là mes employés ramassent les billes et en remplissent une de mes deux trousses ouvertes par terre, je les surveille à peine, je les paye trop bien. Personne ne gagne. Quand mes deux trousses et toutes mes poches sont pleines à craquer, et que les poches de mes employés sont aussi pas mal remplies, je retire ma bille adorée. Je fais toujours avant de disparaître une petite distribution gratuite, pour apaiser ceux qui se sont sauvagement dépossédés ans cette mise insensée, je les fais courir en envoyant les grappes de billes à pleines mains le plus loin possible. J'aime qu'après cela, on me regarde avec reconnaissance.
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Hervé Guibert (My Parents (Masks))
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L'affaiblissement de la part relative de l'Occident dans l'économie mondiale, tel qu'il s'est amorcé au crépuscule de la Guerre froide, est porteur de conséquences graves qui ne sont pas toutes mesurables dès à présent.
L'une des plus inquiétantes, c'est que la tentation paraît désormais grande pour les puissances occidentales, et surtout pour Washington, de préserver par la supériorité militaire ce qu'il n'est plus possible de préserver par la supériorité économique ni par l'autorité morale.
Là se situe peut-être la conséquence la plus paradoxale et la plus perverse de la fin de la Guerre froide; un évènement qui était censé apporter paix et réconciliation, mais qui fut suivi d'un chapelet de conflits successifs, l'Amérique passant sans transition 'une guerre à la suivante, comme si c'était devenu la "méthode de gouvernement" de l'autorité globale plutôt qu'un ultime recours.
Les attentas meurtriers du 11 septembre 2001 ne suffisent pas à expliquer cette dérive; ils l'ont renforcée, et partiellement légitimée, mais elle était déjà largement amorcée.
En décembre 1989, six semaines après la chute du mur de Berlin, les Etats-Unis sont intervenus militairement au Panama contre le général Noriega, et cette expédition aux allures de descente de police avait valeur de proclamation: il fallait que chacun sache désormais qui commandait sur cette planète et qui devait simplement obéir. Puis ce fut, en 1991, la première guerre d'Irak; en 1992-1993, l'équipée malheureuse en Somalie; en 1994, l'intervention en Haïti pour installer au pouvoir le président Jean-Bertrand Aristide; en 1995, la guerre de Bosnie; en décembre 1998, la campagne de bombardements massifs contre l'Irak baptisée "Opération Désert Fox"; en 1999, la guerre du Kosovo; à partir de 2001, la guerre d'Afghanistan; à partir de 2003, la seconde guerre d'Irak; en 2004, une nouvelle expédition en Haïti, cette fois pour déloger le président Aristide...
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Amin Maalouf
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L'objectivité, vécue dans ce rêve et dans ces visions, relève de l'individuation accomplie. Elle est détachement des jugements de valeur et de ce que nous désignons par attachement affectif. En général, l'homme attribue une grande importance à cet attachement affectif. Or, celui-ci renferme toujours des projections et ce sont celles-ci qu'il s'agit de retirer et de récupérer, pour parvenir à soi-même et à l'objectivité. Les relations affectives sont des relations de désir et d'exigences, alourdies par des contraintes et des servitudes : on attend quelque chose de l'autre, ce par quoi cet autre et soi-même perdent leur liberté. La connaissance objective se situe au-delà des intrications affectives, elle semble être le mystère central. Elle seule rend possible la véritable conjuctio*.
* Ces pensée de Jung soulèvent beaucoup de problèmes et il faut éviter les malentendus, surtout de la part des lecteurs jeunes.
La vie affective est d'importance ! Le fin du fin de la sagesse n'est pas du tout une manière d'indifférence, indifférence qui, à des phases plus juvéniles de la vie, caractérise au contraire certaines maladies mentales. C'est à force d'indifférence et d'inaffectivité que le malade schizophrène, par exemple, se trouve coupé de la vie et du monde.
Ce que Jung veut dire, c'est qu'il s'agit, après avoir vécu les liens affectifs dans leur plénitude, de les laisser évoluer vers une sérénité, voire un détachement. Car les liens affectifs ayant rempli leurs bons offices d'insertion au monde, et ayant fait leurs temps, comportent pour tous les partenaires, par leur maturité même, d'être dépassés.
Jung parle ici en tant qu'homme de grand âge, d'expérience, de sagesse humaine, qui, en tant que tel, s'est détaché de ce que l'affectivité comporte nécessairement de subjectif et de contraignant.
Sand doute avait-il atteint, lorsqu'il écrivit ces pages, à travers son individuation à ce que nous appelons pour notre compte la "simplicité de retour". (Dr Roland Cahen)
p. 467
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C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
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« Nous sommes toujours en 1929 et, cette année-là, George Washington Hill (1884-1946), président de l’American Tobacco Co., décide de s'attaquer au tabou qui interdit à une femme de fumer en public, un tabou qui, théoriquement, faisait perdre à sa compagnie la moitié de ses profits. Hill embauche Bernays, qui, de son côté, consulte aussitôt le psychanalyste Abraham Arden Brill (1874-1948), une des premières personnes à exercer cette profession aux États-Unis. Brill explique à Bernays que la cigarette est un symbole phallique représentant le pouvoir sexuel du mâle : s’il était possible de lier la cigarette à une forme de contestation de ce pouvoir, assure Brill, alors les femmes, en possession de leurs propres pénis, fumeraient.
La ville de New York tient chaque année, à Pâques, une célèbre et très courue parade. Lors de celle de 1929, un groupe de jeunes femmes avaient caché des cigarettes sous leurs vêtements et, à un signal donné, elles les sortirent et les allumèrent devant des journalistes et des photographes qui avaient été prévenus que des suffragettes allaient faire un coup d’éclat. Dans les jours qui suivirent, l’événement était dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Les jeunes femmes expliquèrent que ce qu'elles allumaient ainsi, c'était des « flambeaux de la liberté » (torches of freedom). On devine sans mal qui avait donné le signal de cet allumage collectif de cigarettes et qui avait inventé ce slogan ; comme on devine aussi qu'il s'était agi à chaque fois de la même personne et que c'est encore elle qui avait alerté les médias.
Le symbolisme ainsi créé rendait hautement probable que toute personne adhérant à la cause des suffragettes serait également, dans ta controverse qui ne manquerait pas de s'ensuivre sur la question du droit des femmes de fumer en public, du côté de ceux et de celles qui le défendaient - cette position étant justement celle que les cigarettiers souhaitaient voir se répandre. Fumer étant devenu socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à cette nouvelle clientèle allaient exploser. »
Norman Baillargeon, préface du livre d’Edward Bernays, « Propaganda ».
(É. Bernays était le neveu de S. Freud)
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Norman Baillargeon
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Les auteurs musulmans considèrent la personnalité comme le produit de la constitution innée modifiée par les facteurs de l’environnement. La constitution innée inclue l’hérédité physique et psychologique, la combinaison des quatre éléments, c’est-à-dire le feu, l’air, l’eau, et la terre, dans leurs mode de chaud, sec, froid, et humide, et la correspondance de cette combinaison avec les signes du zodiaque et les différentes planètes. C’est une question très complexe en raison du nombre indéfini de permutations possibles. La source de confusion pour les esprits modernes vient du matérialisme ambiant qui les pousse à tout prendre au pied de la lettre et à oublier que l’intention derrière les quatre éléments n’a jamais été de les identifier avec leurs équivalents familiers dans le monde visible. S’ils sont appelés feu, air, eau et terre, c’est simplement pour indiquer une correspondance entre eux et les éléments visibles. Ces quatre éléments sont à l’origine de toute matière et eux-mêmes originaires d’un principe commun, l’Hylé indifférencié (hayûlâ, c’est-à-dire la matière primordiale.)
Il en est de même de la correspondance entre les sept cieux et les sept planètes. Chaque ciel est désigné par le nom de la planète qui lui correspond le mieux, mais les cieux ne peuvent nullement être identifiés avec les orbites de ces planètes, car les planètes sont dans le ciel visible alors que les cieux sont dans le domaine subtile et invisible. Ces termes ne sont pris dans un sens littéral que si on perd de vue la correspondance entre les différents degrés, ou dimensions, de l’existence. Ces correspondances et leurs implications pour la médecine, la psychologie et les autres sciences, furent comprises par de nombreuses civilisations antérieures à l’islam, et ne sont pas spécifiquement islamiques. Les musulmans, qu’ils fussent savants, religieux, philosophes ou soufis, les percevaient comme possédant une base de vérité et les adoptèrent avec quelques différences mineures selon les écoles. Un tel point de vue est néanmoins devenu si étranger à la mentalité d’aujourd’hui, et il est si peu probable qu’elle présente un intérêt en pratique, que nous n’en poursuivrons pas l’étude ici.
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Mostafa al-Badawi (Man and the Universe: An Islamic Perspective)
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« Il dit résolument : « Je ne venais point vous voir parce que cela valait mieux. » Elle demanda, sans comprendre : « Comment ? Pourquoi ? – Pourquoi ? Vous ne devinez pas. – Non, pas du tout. – Parce que je suis amoureux de vous... oh ! un peu, rien qu’un peu... et que je ne veux pas le devenir tout à fait... » Elle ne parut ni étonnée, ni choquée, ni flattée ; elle continuait à sourire du même sourire indifférent, et elle répondit avec tranquillité : « Oh ! vous pouvez venir tout de même. On n’est jamais amoureux de moi longtemps. » Il fut surpris du ton plus encore que des paroles, et il demanda : « Pourquoi ? – Parce que c’est inutile et que je le fais comprendre tout de suite. Si vous m’aviez raconté plus tôt votre crainte, je vous aurais rassuré et engagé au contraire à venir le plus possible. » Il s’écria, d’un ton pathétique : « Avec ça qu’on peut commander aux sentiments ! » Elle se tourna vers lui : « Mon cher ami, pour moi un homme amoureux est rayé du nombre des vivants. Il devient idiot, pas seulement idiot, mais dangereux. Je cesse, avec les gens qui m’aiment d’amour, ou qui le prétendent, toute relation intime, parce qu’ils m’ennuient d’abord, et puis parce qu’ils me sont suspects comme un chien enragé qui peut avoir une crise. Je les mets donc en quarantaine morale jusqu’à ce que leur maladie soit passée. Ne l’oubliez point. Je sais bien que chez vous l’amour n’est autre chose qu’une espèce d’appétit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une espèce de... de... de communion des âmes qui n’entre pas dans la religion des hommes. Vous en comprenez la lettre, et moi l’esprit. Mais... regardez-moi bien en face... » Elle ne souriait plus. Elle avait un visage calme et froid et elle dit en appuyant sur chaque mot : « Je ne serai jamais, jamais votre maîtresse, entendez-vous. Il est donc absolument inutile, il serait même mauvais pour vous de persister dans ce désir... Et maintenant que... l’opération est faite... voulez-vous que nous soyons amis, bons amis, mais là, de vrais amis, sans arrière-pensée ? » Il avait compris que toute tentative resterait stérile devant cette sentence sans appel. Il en prit son parti tout de suite, franchement, et, ravi de pouvoir se faire cette alliée dans l’existence, il lui tendit les deux mains : « Je suis à vous, madame, comme il vous plaira. » » (de « Bel-Ami » par Guy de Maupassant)
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Guy de Maupassant
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FOLCO : "Socialisme" et "communisme" sont devenus presque des gros mots. Quelle est l'essence de ce rêve à laquelle on pourrait s'identifier, au lieu de le repousser sans même y réfléchir ?
TIZIANO : L'idée du socialisme était simple : créer une société dans laquelle il n'y aurait pas de patrons pour contrôler les moyens de production, moyens avec lesquels ils réduisent le peuple en esclavage; Si tu as une usine et que tu en es le patron absolu, tu peux licencier et embaucher à ta guise, tu peu même embaucher des enfants de douze ans et les faire travailler. Il est clair que tu engranges un profit énorme, qui n'est pas dû uniquement à ton travail, mais également au travail de ces personnes-là. Alors, si les travailleurs participent déjà à l'effort de production, pourquoi ne pas les laisser coposséder l'usine ?
La société est pleine d'injustices. On regarde autour de soi et on se dit : mais comment, il n'est pas possible de résoudre ces injustices ?
Je m'explique. Quelqu'un a une entreprise agricole en amont d'un fleuve avec beaucoup d'eau. Il peut construire une digue pour empêcher que l'eau aille jusqu'au paysan dans la vallée, mais ce n'est pas juste. Ne peut-il pas, au contraire, trouver un accord pour que toute cette eau arrive également chez celui qui se trouve en bas ? Le socialisme, c'est l'idée d'une société dans laquelle personne n'exploite le travail de l'autre. Chacun fait son devoir et, de tout ce qui a été fait en commun, chacun prend ce dont il a besoin. Cela signifie qu'il vit en fonction de ce dont il a besoin, qu'il n'accumule pas, car l'accumulation enlève quelque chose aux autres et ne sert à rien. Regarde, aujourd'hui, tous ces gens richissimes, même en Italie ! Toute cette accumulation, à quoi sert-elle ? Elle sert aux gens riches. Elle leur sert à se construire un yacht, une gigantesque villa à la mer. Souvent, tout cet argent n'est même pas recyclé dans le système qui produit du travail. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. C'est de là qu'est née l'idée du socialisme.
FOLCO : Et le communisme ? Quelle est la différence entre le socialisme et le communisme ?
TIZIANO : Le communisme a essayé d'institutionnaliser l'aspiration socialiste, en créant - on croit toujours que c'est la solution - des institutions et des organismes de contrôle. Dès cet instant, le socialisme a disparu, parce que le socialisme a un fond anarchiste. Lorsqu'on commence à mettre en place une police qui contrôle combien de pain tu manges, qui oblige tout le monde à aller au travail à huit heures, et qui envoie au goulag ceux qui n'y vont pas, alors c'est fini. (p. 383-384)
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Tiziano Terzani (La fine è il mio inizio)
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Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
– Что такое оптимизм? – спросил Какамбо. – Увы, – сказал Кандид, – это страсть утверждать, что все хорошо, когда в действительности все плохо.
Что сделалось смешным, не может быть опасным
– Милая моя, – сказал Кандид, – когда человек влюблен, ревнив и высечен инквизицией, он себя не помнит.
Едва Кандид устроился в гостинице, как у него началось легкое недомогание от усталости. Так как все заметили, что у него на пальце красуется огромный брильянт, а в экипаже лежит очень тяжелая шкатулка, то к нему сейчас же пришли два врача, которых он не звал, несколько близких друзей, которые ни на минуту не оставляли его одного, и две святоши, которые разогревали ему бульон. Мартен сказал: – Я вспоминаю, что тоже заболел во время моего первого пребывания в Париже. Но я был очень беден, и около меня не было ни друзей, ни святош, ни докторов, поэтому я выздоровел.
Когда они подошли к тронному залу, Какамбо спросил у камергера, как здесь полагается приветствовать его величество. Встать ли на колени или распластаться на полу? Положить ли руки на голову или скрестить за спиной? Лизать пыль с пола? Одним словом, какова церемония?
Париж – это всесветная толчея, где всякий ищет удовольствий и почти никто их не находит
Всегда наслаждаться – значит вовсе не наслаждаться.
Какамбо почтительно спросил, какая религия в Эльдорадо. Старец опять покраснел.
– Разве могут существовать на свете две религии? – сказал он. – У нас, я думаю, та же религия, что и у вас; мы неустанно поклоняемся богу.
– Только одному богу? – спросил Какамбо, который все время переводил вопросы Кандида.
– Конечно, – сказал старец, – их не два, не три, не четыре. Признаться, люди из вашего мира задают очень странные вопросы.
Кандид продолжал расспрашивать этого доброго старика; он хотел знать, как молятся богу в Эльдорадо.
– Мы ничего не просим у него, – сказал добрый и почтенный мудрец, – нам нечего просить: он дал нам все, что нам нужно; мы непрестанно его благодарим.
Кандиду было любопытно увидеть священнослужителей, он велел спросить, где они. Добрый старец засмеялся.
– Друзья мои, – сказал он, – мы все священнослужители; и наш государь, и все отцы семейств каждое утро торжественно поют благодарственные гимны; им аккомпанируют пять-шесть тысяч музыкантов.
– Как! У вас нет монахов, которые всех поучают, ссорятся друг с другом, управляют, строят козни и сжигают инакомыслящих?
– Смею надеяться, мы здесь не сумасшедшие, – сказал старец, – все мы придерживаемся одинаковых взглядов и не понимаем, что такое ваши монахи.
Я добрейший человек на свете и тем не менее уже убил троих; из этих троих - двое священники.
После землетрясения, которое разрушило три четверти Лиссабона, мудрецы страны не нашли способа более верного для спасения от окончательной гибели, чем устройство для народа прекрасного зрелища аутодафе.
Да, барышня, у меня немалый опыт, я знаю свет; доставьте себе удовольствие, расспросите пассажиров, пусть каждый расскажет вам свою историю; и если найдется из них хоть один, который не проклинал бы частенько свою жизнь, который не говорил бы самому себе, что он несчастнейший из людей, тогда утопите меня в море.
Работа отгоняет от нас три великих зла: скуку, порок и нужду.
– Будем работать без рассуждений, – сказал Мартен, – это единственное средство сделать жизнь сносною.
Торжество разума заключается в том, чтобы уживаться с людьми, не имеющими его.
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Вольтер (Candide)
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(...) la fonction du Musée, comme celle de la Bibliothèque, n'est pas uniquement bienfaisante. Il nous donne bien le moyen de voir ensemble, comme moments d'un seul effort, des productions qui gisaient à travers le monde, enlisées dans les cultes ou dans les civilisations dont elles voulaient être l'ornement, en ce sens il fonde notre conscience de la peinture comme peinture. Mais elle est d'abord dans chaque peintre qui travaille, et elle y est à l'état pur, tandis que le Musée la compromet avec les sombres plaisirs de la rétrospection. Il faudrait aller au Musée comme les peintres y vont, dans la joie sobre [78] du travail, et non pas comme nous y allons, avec une révérence qui n'est pas tout à fait de bon aloi. Le Musée nous donne une conscience de voleurs. L'idée nous vient de temps à autre que ces œuvres n'ont tout de même pas été faites pour finir entre ces murs moroses, pour le plaisir des promeneurs du dimanche ou des « intellectuels » du lundi. Nous sentons bien qu'il y a déperdition et que ce recueillement de nécropole n'est pas le milieu vrai de l'art, que tant de joies et de peines, tant de colères, tant de travaux n'étaient pas destinés à refléter un jour la lumière triste du Musée. Le Musée, transformant des tentatives en « œuvres », rend possible une histoire de la peinture. Mais peut-être est-il essentiel aux hommes de n'atteindre à la grandeur dans leurs ouvrages que quand ils ne la cherchent pas trop, peut-être n'est-il pas mauvais que le peintre et l'écrivain ne sachent pas trop qu'ils sont en train de fonder l'humanité, peut-être enfin ont-ils, de l'histoire de l'art, un sentiment plus vrai et plus vivant quand ils la continuent dans leur travail que quand ils se font « amateurs » pour la contempler au Musée. Le Musée ajoute un faux prestige à la vraie valeur des ouvrages en les détachant des hasards au milieu desquels ils sont nés et en nous faisant croire que des fatalités guidaient la main des artistes depuis toujours. Alors que le style en chaque peintre vivait comme la pulsation de son cœur et le rendait justement capable de reconnaître tout autre effort que le sien, - le Musée convertit cette historicité secrète, pudique, non délibérée, involontaire, vivante enfin, en histoire officielle et pompeuse. L'imminence d'une régression donne à notre amitié pour tel peintre une nuance pathétique qui lui était bien étrangère. Pour lui, il a travaillé toute une vie d'homme, - et nous, nous voyons son œuvre comme des fleurs au bord d'un précipice. Le Musée rend les peintres aussi mystérieux pour nous que les pieuvres ou les langoustes. Ces œuvres qui sont nées dans la chaleur d'une vie, il les transforme en prodiges d'un autre monde, et le souffle qui les portait n'est plus, dans l'atmosphère pensive du Musée et sous ses glaces protectrices, qu'une faible palpitation à leur surface. Le Musée tue la véhémence de la peinture comme la bibliothèque, [79] disait Sartre, transforme en « messages » des écrits qui ont été d'abord les gestes d'un homme. Il est l'historicité de mort. Et il y a une historicité de vie, dont il n'offre que l'image déchue : celle qui habite le peintre au travail, quand il noue d'un seul geste la tradition qu'il reprend et la tradition qu'il fonde, celle qui le rejoint d'un coup à tout ce qui s'est jamais peint dans le monde, sans qu’il ait à quitter sa place, son temps, son travail béni et maudit, et qui réconcilie les peintures en tant que chacune exprime l'existence entière, en tant qu'elles sont toutes réussies, - au lieu de les réconcilier en tant qu'elles sont toutes finies et comme autant de gestes vains.
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Merlau-Ponty
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Les deux femmes, vêtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sœur, elles jetèrent dessus des fleurs et de l’eau bénite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeâtre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumèrent deux petites bougies qui étaient sur la table de nuit, s’agenouillèrent et me dirent de prier comme elles.
Je priai, oh ! bien fort, le plus qu’il m’était possible ! mais rien… Lélia ne remuait pas !
Je fus longtemps ainsi agenouillé, la tête sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me déchirant l’âme avec des prières et des vœux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indécises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, à une place, une forme ronde qui devait être La tête, et plus bas une autre qui semblait être les pieds. Je croyais, moi, pauvre naïf enfant, je croyais que la prière pouvait rendre la vie à un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur !
Oh ! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passée à prier sur un cadavre, à pleurer, à vouloir faire renaître le néant ! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, à la lueur de deux cierges mortuaires, entouré de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vénales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scène de désespoir et de deuil vous remplit le cœur : enfant, de tristesse et d’amertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de désespoir !
Le jour arriva.
Mais quand le jour commença à paraître, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient à mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissèrent seul. Je courus après elles, et me traînant à leurs pieds, m’attachant à leurs vêtements :
— Ma sœur ! leur dis-je, eh bien, ma sœur ! oui, Lélia ! où est-elle ?
Elles me regardèrent étonnées.
— Ma sœur ! vous m’avez dit de prier, j’ai prié pour qu’elle revienne, vous m’avez trompé !
— Mais c’était pour son âme !
Son âme ? Qu’est-ce que cela signifiait ? On m’avait souvent parlé de Dieu, jamais de l’âme.
Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eût demandé ce qu’il était, eh bien, j’aurais pris La linotte de Lélia, et, lui brisant la tête entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais l’âme ? l’âme ? qu’est-ce cela ?
J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allèrent sans me répondre.
Son âme ! eh bien, elles m’ont trompé, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était Lélia, Lélia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; c’était Lelia, ma belle petite sœur aux grands yeux bleus, Lélia qui m’embrassait le soir après sa poupée, après son mouton chéri, après sa linotte. Pauvre sœur ! c’était toi que je demandais à grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me répondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as prié non pour elle, mais tu as prié pour son âme ! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue étrangère ; tu as prié pour un souffle, pour un mot, pour le néant, pour son âme enfin ! »
Son âme, son âme, je la méprise, son âme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait à moi, son âme ? savez-vous ce que c’est que son âme ? Mais c’est son corps que je veux ! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin ! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela.
Ces femmes m’ont trompé, eh bien, je les ai maudites.
Cette malédiction est retombée sur moi, philosophe imbécile qui ne sais pas comprendre un mot sans L’épeler, croire à une âme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au Prométhée d’Eschyle, je brave les coups et que je méprise trop pour blasphémer.
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Gustave Flaubert (La dernière heure : Conte philosophique inachevé)
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J'ai des amis qui sont parents et qui ne se sentent pas obligés pour autant d'avoir chacun une grosse job steady ou de prendre le plus de contrats possible pour en piler pendant que c'est le temps. Certains sont travailleurs autonomes, d'autres travaillent à salaire pendant que leur conjoint s'occupe des enfants. Je connais des mères et des pères au foyer nouveau genre et des couples qui travaillent à temps partiel. Certains sont pas mal écolos sur les bords, c'est sûr, d'autres un peu hippies, altermondialistes ou végétaliens. D'autres non. Plusieurs ont juste un sens commun un peu différent du gros bon sens qui s'énonce aujourd'hui sur toutes les tribunes. Leurs enfants sont bien--je ne veux pas dire parfaits, je veux dire aussi bien que les autres. Pas moins heureux, pas moins équilibrés, pas moins beaux. Des petits hipsters de friperie qui passent beaucoup de temps avec leur père et leur mère. Ils ont tout ce dont ils ont besoin, même s'ils se passent de certaines choses. Et la plupart des affaires dont ils se privent n'ont pas l'air de leur manquer tant que ça.
Ces gens-là font des choix de vie dont le motif premier n'est pas l'argent, et ils s'arrangent. Ils ne sont ni riches, ni pauvres, mais ils ne se réclament pas de la classe moyenne. Ils ne se reconnaissent pas en elle et elle ne se reconnaitrait pas en eux. Ils dépensent moins qu'elle, consomment moins qu'elle et polluent moins qu'elle aussi. Certains vivent même en partie de ce qu'elle jette. Ils ont moins à perdre qu'elle, aussi, et moins peur des tempêtes qui s'annoncent.
Ils ne portent pas encore de nom et pourtant ils existent.
Et c'est eux le sel de la terre, désormais.
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Samuel Archibald (Le sel de la terre)
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On ne saurait être trop prudent quand il s’agit de civilisations entièrement disparues, et ce ne sont certes pas les tentatives de reconstitution auxquelles se livrent les archéologues profanes qui sont susceptibles d’éclaircir la question ; mais il n’en est pas moins vrai que beaucoup de vestiges d’un passé oublié sortent de terre à notre époque, et ce ne peut être sans raison. Sans risquer la moindre prédiction sur ce qui pourra résulter de ces découvertes, dont ceux qui les font sont généralement incapables de soupçonner la portée possible, il faut certainement voir là un « signe des temps » : tout ne doit-il pas se retrouver à la fin du Manvantara, pour servir de point de départ à l’élaboration du cycle futur ?
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René Guénon (Traditional Forms and Cosmic Cycles (Collected Works of Rene Guenon))
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C'est drôle de constater que les gens en qui nous avons le plus confiance, ceux qui nous entourent, ne sont pas nécessairement ceux dont on a besoin. On peut passer des jours, voire des années avec ces personnes et ne rien recevoir en retour. Par contre, dans les instants les plus inattendus, un parfait inconnu peut nous accorder quelques minutes et nous dire quelques paroles qui ont le pouvoir de nous donner des ailes. En fin de compte, ces brèves minutes valent plus que tout le temps passé avec notre entourage. En fin de compte, ces minutes allument un feu brûlant au fond de nous. Ce feu brûlant, c'est l'espoir et avec l'espoir, tout est possible.
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Emmie Wesline (Objectif Vancouver)
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Ça me saute à la conscience en émergeant : pendant que j'étais lui, je ne m'en voulais pas, je ne me donnais aucun mal. Tout irritant, odieux, à moitié gâteux qu'il soit, je me plaisais comme on dit. Quand je me mets dans sa peau, ce qui se cuisine à l'intérieur m'est égal, je m'en sens détaché et je jouis de ce détachement, il me délivre. Est-ce qu'on est tous pareils, qu'on peut tout aussi peu se supporter, qu'on n'attend que l'occasion de se jeter. Dans quelque autre si possible ? Est-ce que le salut c'est l'autre, comme ne disait pas l'autre ?
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Réjean Ducharme (Gros Mots)
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La reconnaissance des religions étrangères dépend de diverses contingences psychologiques ou même simplement géographiques, et surtout, elle n’a en soi aucun aspect de nécessité spirituelle : aucune révélation ne la suggère d’une manière directe, pour dire le moins; des sages comme Plotin et Porphyre, malgré leur ésotérisme pythagoricien et leur connaissance métaphysique, n’ont pas compris le Christianisme. Dans un ordre d’idées analogue, l’exclusivisme réciproque des écoles hindoues, — Shankara ne fait nullement exception, — prouve bien que, dans les conditions normales, la compréhension de formes étrangères n’est point une manifestation nécessaire du dépassement des formes ; nous dirons même que, si un effort de compréhension n’a pas lieu, cela est en rapport avec la « foi » (non la « croyance », mais la «ferveur », shraddhâ en sanscrit) qui exclut toute faiblesse et toute hésitation, et sans laquelle il n’y a pas de voie possible.
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Frithjof Schuon (Spiritual Perspectives and Human Facts)
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Te voici Sujette à la Mort
Etale ton Bien sur le Sol
Poches, lettres, photos, paroles,
Te voici Sujet en ta Mort.
Te voici Corps perdant tout Corps
Perdant tes lèvres, tes paroles,
Chevelure noire du sol
Au bord d'une Mort sans rebord.
Ici le présent retenu
Que tu ne tiendras pas, que tu
Laisses continuer sa cible.
Là ma mémoire sans projet
Sans impossibles, sans possibles,
Dont ta Mort est l'autre Sujet.
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Jacques Roubaud (The Form of a City Changes Faster, Alas, Than the Human Heart)
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Il est bien injuste de dire par exemple que le fascisme anéantit la pensée libre ; en réalité c'est l'absence de pensée libre qui rend possible d'imposer par la force des doctrines officielles entièrement dépourvues de signification. A vrai dire un tel régime arrive encore à accroître considérablement l'abêtissement général, et il y a peu d'espoir pour les générations qui auront grandi dans les conditions qu'il suscite. De nos jours toute tentative pour abrutir les êtres humains trouve à sa disposition des moyens puissants. En revanche une chose est impossible, quand même on disposerait de la meilleure des tribunes ; à savoir diffuser largement les idées claires, des raisonnements corrects, des aperçus raisonnables.
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Simone Weil (Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale (French Edition))
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Il ne s'agit pas ici de faire le procès, encore moins l'éloge de la colonisation européenne de l'Afrique, mais simplement de marquer que cette colonisation comporte, comme presque tous les phénomènes qui résultent des chocs de civilisation, un actif et un passif culturels. Ce n'est pas prendre la défense de la colonisation, de ses laideurs, voire de ses atrocités ou de ses indéniables bouffonneries (achat de vastes territoires contre quelques rouleaux d'étoffe ou un peu d'alcool), que d'admettre que le choc en a été souvent décisif et même finalement bénéfique pour les structures sociales, économiques et culturelles des peuples noirs colonisés. En fait, ç'a été, au lendemain de l'acte final du Congrès de Berlin (1885), la dernière très grande aventure de l'expansion européenne. Et si cette mise sous tutelle tardive a été de brève durée (moins d'un siècle), la rencontre s'est faite à vive allure, alors que l'Europe et l'économie mondiale se trouvaient en plein essor. C'est une société industrielle adulte, exigeante, disposant de moyens modernes d'action et de communication, qui a heurté et investi le monde noir. Et celui-ci est réceptif, plus mobile que les ethnographes ne le supposaient hier encore, capable de saisir des objets et des formes que l'Occident lui propose et, surtout, de les réinterpréter, de les charger de sens nouveau, de les lier, chaque fois que la chose est possible, aux impératifs de sa culture traditionnelle. [...] En parlant d'un certain actif de la colonisation, nous ne pensons pas à ces biens purement matériels, routes, voies ferrées, ports, barrages, à ces mises en marche d'exploitations du sol et du sous-sol que les colonisateurs ont installés dans des buts hautement intéressés. Ce legs, aussi important qu'il paraisse parfois, serait de peu d'utilité et éminemment périssable si les héritiers n'avaient aussi acquis, au cours de la pénible épreuve de la colonisation, de quoi leur en permettre aujourd'hui l’utilisation rationnelle. L'enseignement, un certain niveau de la technique, de l'hygiène, de la médecine, de l'administration publique, sont les meilleurs biens légués par les colonisateurs, la contrepartie positive aux destructions opérées par le contact européen dans les vielles habitudes tribales, familiales, sociales, sur lesquelles reposaient toute l'organisation et toute la culture.
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Fernand Braudel (A History of Civilizations)