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Les bergers qui vivent en Ă©tĂ© sur les sommets de HÄÈmaÈul Mare sont tĂ©moins, souvent avec effroi, de certaines tempĂȘtes terrifiantes. Nulle part, aussi loin que se portent les regards et aussi loin que va lâimagination Ă lâintĂ©rieur des frontiĂšres du pays, il ne pleut, il ne neige et il ne vente tant, et avec autant de fureur, que sur ce colosse de pierre, contre lequel se brisent tous les nuages dâArdeal.
Au bord dâun prĂ©cipice, un sapin se met Ă vaciller, jusquâĂ ce quâil touche celui de gauche, ensuite celui de droite, comme sâil faisait ses adieux aux frĂšres avec lesquels il avait passĂ© son enfance, et, dâun saut tragique, il se jette dans le vide. Dâautres, emportĂ©s par la folie gĂ©nĂ©rale, se prĂ©cipitent Ă sa suite vers des destinations inconnues et fatales. On les retrouvera plus tard, qui sait oĂč, mordant la poussiĂšre et couverts de blessures profondes, comme des soldats tombĂ©s au combat.
Une seule tempĂȘte, qui a fait rage il y a dĂ©jĂ un certain temps sur ce monde dĂ©vastĂ© par de violents tremblements dâair a arrachĂ© de ses flancs cinquante milliers de sapins, les emportant dans les ravins. On les y aperçoit encore maintenant, tel un amas dâossements frĂȘles, emmĂȘlĂ©s chaotiquement, qui pourrissent au fond des vallĂ©es perdues.
MĂȘme les pics les plus orgueilleux se sentent menacĂ©s par les ouragans qui se dĂ©chaĂźnent contre eux. Aveugles, brutales, les masses dâair les frappent de plein fouet, essayant de les arracher de leur place. Mais les pics, obstinĂ©s, rĂ©sistent. Face Ă la puissance brute des Ă©lĂ©ments, ils opposent la leur, avec des dizaines dâarĂȘtes tranchantes, qui sâentrechoquent violemment.
(traduction Dolores Toma)
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