â
I will have spent my life trying to understand the function of remembering, which is not the opposite of forgetting, but rather its lining. We do not remember. We rewrite memory much as history is rewritten. How can one remember thirst?
â
â
Chris Marker
â
Who said that time heals all wounds? It would be better to say that time heals everything - except wounds. With time, the hurt of separation loses its real limits. With time, the desired body will soon disappear, and if the desiring body has already ceased to exist for the other, then what remains is a wound, disembodied.
â
â
Chris Marker
â
J'exige un vrai bonheur, un vrai amour, une vraie contrĂ©e oĂč le soleil alterne avec la lune, oĂč les saisons se dĂ©roulent en ordre, oĂč de vrais arbres portent de vrais fruits, oĂč de vrais poissons habitent les riviĂšres, et de vrais oiseaux le ciel, oĂč la vrai neige dĂ©couvre de vraies fleurs, oĂč tout sort est vrai, vrai, vĂ©ritable. Jâen ai assez de cette lumiĂšre morne, de ces campagnes stĂ©riles, sans jour, sans nuit, oĂč ne survivent que les bĂȘtes fĂ©roces et rapaces, oĂč les lois de la nature ne fonctionnent pas.
â
â
Jean Cocteau
â
Il y a des journĂ©es illuminĂ©es de petites choses, des riens du tout qui vous rendent incroyablement heureux ; un aprĂšs-midi Ă chiner, un jouet qui surgit de lâenfance sur lâĂ©tal dâun brocanteur, une main qui sâattache Ă la votre, un appel que lâon attendait pas, une parole douce, vote enfant qui vous prend dans ses bras sans rien vous demander dâautre quâun moment dâamour. Il y a des journĂ©es illuminĂ©es de petits moments de grĂące, une odeur qui vous met lâĂąme en joie, un rayon de soleil qui entre par la fenĂȘtre, le bruit de lâaverse alors quâon est encore au lit, les trottoirs enneigĂ©s ou lâarrivĂ©e du printemps et ses premiers bourgeons.
â
â
Marc Levy (Le premier jour)
â
Ce fut le temps d'un battement de paupiÚre et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiÚde et sa transparence prÚs du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né.
â
â
Albert Cohen (Belle du Seigneur)
â
Une maison sans chat, c'est la vie sans soleil. (A house without a cat is like live without sunshine.) --
One of Julia Child's favorite sayings.
â
â
Therese Burson
â
Une maison sans chat, câest la vie sans soleil!â (âA house without a cat is like life without sunshine!â)
â
â
Julia Child (My Life in France)
â
Oh! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux oĂč nous Ă©tions amis
En ce temps-là la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi.
Et le vent du Nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi,
Mais mon amour silencieux et fidĂšle
Sourit toujours et remercie la vie.
Je t'aimais tant, tu étais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie?
En ce temps-là la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Tu étais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets.
Et la chanson que tu chantais,
Toujours, toujours je l'entendrai.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais, moi je t'aimais
Et nous vivions, tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
â
â
Jacques Prévert
â
Oui, moi aussi, je m'Ă©tais souvent demandĂ©: comment font les gents? Et Ă vrai dire, si ces questions Ă©taient modifiĂ©es, elles n'avaient jamais cessĂ©: comment font les gents, pour Ă©crire, aimer, dormir d'une seule traite, varier les menus de leurs enfants, les laisser grandir, les laisser partir sans s'accrocher Ă eux, aller une fois par an chez le dentiste, faire du sport, rester fidĂšle, ne pas recommencer Ă fumer, lire des livres + des bandes dessinĂ©es + des magazines + un quotidien, ne pas ĂȘtre totalement dĂ©passĂ© en matiĂšre de musique, apprendre Ă respirer, ne pas s'exposer au soleil sans protection, faire leurs courses une seule fois par semaine sans rien oublier?
â
â
Delphine de Vigan (D'aprĂšs une histoire vraie)
â
Quand la mort nous regarde calmement dans les yeux, nous nous rendons compte qu'il y a eu dans notre vie quelques heures, de soleil ou de nuit, quelques visages auxquels nous revenons sans cesse, et qu'en fait ce qui nous rendait vivants, c'est les simple espoir de les retrouver...
â
â
AndreĂŻ Makine (L'Amour humain)
â
Les hiboux
Sous les ifs noirs qui les abritent,
Les hiboux se tiennent rangés,
Ainsi que des dieux étrangers,
Dardant leur oeil rouge. Ils méditent.
Sans remuer ils se tiendront
Jusqu'à l'heure mélancolique
OĂč, poussant le soleil oblique,
Les ténÚbres s'établiront.
Leur attitude au sage enseigne
Qu'il faut en ce monde qu'il craigne
Le tumulte et le mouvement,
L'homme ivre d'une ombre qui passe
Porte toujours le chĂątiment
D'avoir voulu changer de place.
â
â
Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
â
Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe
Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j'étouffe
Je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop ;
Ton nom est dans mon cĆur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne !
De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé :
Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai,
Pour sortir le matin tu changeas de coiffure !
J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil,
On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Surtout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes,
Mon regard ébloui pose des taches blondes !
â
â
Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
â
Lucien ne reconnut pas sa Louise dans cette chambre froide, sans soleil, Ă rideaux passĂ©s, dont le carreau frottĂ© semblait misĂ©rable, oĂč le meuble Ă©tait usĂ©, de mauvais goĂ»t, vieux ou d'occasion. Il est en effet certaines personnes qui n'ont plus ni le mĂȘme aspect ni la mĂȘme valeur, une fois sĂ©parĂ©es des figures, des choses, des lieux qui leur servent de cadre. Les
â
â
Honoré de Balzac (Etudes de moeurs. 2e livre. ScÚnes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris (French Edition))
â
Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin de fer, comme les Ćufs durs, les journaux illustrĂ©s, les jeux de cartes, les riviĂšres oĂč des barques sâĂ©vertuent sans avancer.
â
â
Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
â
Lorsqu'on se baigne dans le Langage Universel, il est facile de comprendre qu'il y a toujours dans le monde une personne qui en attend une autre, que ce soit en plein dĂ©sert ou au cĆur des grandes villes. Et quand ces deux personnes se rencontrent, et que leurs regards se croisent, tout le passĂ© et tout le futur sont dĂ©sormais sans la moindre importance, seul existe ce moment prĂ©sent, et cette incroyable certitude que toute chose sous la voĂ»te du ciel a Ă©tĂ© Ă©crite par la mĂȘme Main. La Main qui fait naĂźtre l'Amour, et qui a créé une Ăąme sĆur pour chaque ĂȘtre qui travaille, se repose, et cherche des trĂ©sors sous la lumiĂšre du soleil.
â
â
Paulo Coelho (The Alchemist)
â
Câest alors que tout a vacillĂ©. La mer a charriĂ©
un souffle Ă©pais et ardent. Il mâa semblĂ© que le ciel sâouvrait sur
toute son Ă©tendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon ĂȘtre
sâest tendu et jâai crispĂ© ma main sur le revolver. La gĂąchette a
cĂ©dĂ©, jâai touchĂ© le ventre poli de la crosse et câest lĂ , dans le
bruit Ă la fois sec et assourdissant, que tout a commencĂ©. Jâai
secouĂ© la sueur et le soleil. Jâai compris que jâavais dĂ©truit
lâĂ©quilibre du jour, le silence exceptionnel dâune plage oĂč jâavais
Ă©tĂ© heureux. Alors, jâai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles sâenfonçaient sans quâil y parĂ»t. Et câĂ©tait comme
quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur
â
â
Albert Camus (The Stranger)
â
Le soleil brille pour tout le monde, la lune et son cortĂšge d'Ă©toiles sans nombre guident vers leur nourriture mĂȘme les bĂȘtes fĂ©roces, et peut-on trouver plus de beautĂ© qu'aux eaux jaillissantes, oĂč chacun pourtant puise Ă sa guise ?
â
â
Petronius
â
Elle Ă©tait mon soleil, mon assurance, mon intelligence. Moi, je nâĂ©tais que sa lune. Un soleil peut vivre seul, sans planĂšte. Mais une lune a besoin de tourner autour de quelque chose, sinon elle se dĂ©saxe et se perd dans lâespace⊠âTao
â
â
Victor Dixen (Origines (Phobos #0.5))
â
Pourquoi promenez-vous ces spectres de lumiĂšre
Devant le rideau noir de nos nuits sans sommeil,
Puisqu'il faut qu'ici-bas tout songe ait son réveil,
Et puisque le désir se sent cloué sur terre,
Comme un aigle blessé qui meurt dans la poussiÚre,
L'aile ouverte, et les yeux fixés sur le soleil ?
â
â
Alfred de Musset (PremiÚres Poésies: 1829-1835)
â
Câest aprĂšs cette soirĂ©e que vous avez commencĂ© Ă
mâĂ©crire des lettres. Beaucoup de lettres. Quelquefois
une chaque jour. CâĂ©tait des lettres trĂšs courtes, dessortes de billets, câĂ©tait, oui, des sortes dâappels criĂ©s
dâun lieu invivable, mortel, dâune sorte de dĂ©sert. Ces
appels Ă©taient dâune Ă©vidente beautĂ©.
Je ne vous répondais pas.
Je gardais toutes les lettres.
Il y avait en haut des pages le nom de lâendroit oĂč
elles avaient Ă©tĂ© Ă©crites et lâheure ou le temps : Soleil ou
Pluie. Ou Froid. Ou : Seul.
Et puis une fois, vous ĂȘtes restĂ© longtemps sans
Ă©crire. Un mois peut-ĂȘtre, je ne sais plus pour ce
temps-lĂ ce quâil avait durĂ©
â
â
Marguerite Duras (Yann Andrea Steiner)
â
Parfois, le destin ressemble Ă une tempĂȘte de sable qui se dĂ©place sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui Ă©chapper. Mais la tempĂȘte modifie aussi la sienne. Tu changes Ă nouveau le rythme de ta marche, et la tempĂȘte change son rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se rĂ©pĂšte un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l'aube. Pourquoi ? parce que la tempĂȘte n'est pas un phĂ©nomĂšne venu d'ailleurs sans aucun lien avec toi. Elle est toi mĂȘme et rien d'autre. elle vient de l'intĂ©rieur de toi. Alors la seule chose que tu puisses faire, c'est pĂ©nĂ©trer dĂ©libĂ©rĂ©ment dedans, fermer les yeux et te boucher les oreilles afin d'empĂȘcher le sable d'y entrer, et la traverser pas Ă pas. Au coeur de cette tempĂȘte, il n'y a pas de soleil, il n'y a pas de lune, pas de repĂšre dans l'espace ; par moments, mĂȘme, le temps n'existe plus. Il n'y a que du sable blanc et fin comme des os broyĂ©s qui tourbillonne haut dans le ciel. VoilĂ la tempĂȘte de sable que tu dois imaginer.
â
â
Haruki Murakami (Kafka on the Shore)
â
Le MétÚque
Avec ma gueule de métÚque, de juif errant, de pùtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents
Avec mes yeux tout dĂ©lavĂ©s, qui me donnent l'air de rĂȘver
Moi qui ne rĂȘve plus souvent.
Avec mes mains de maraudeur, de musicien et de rĂŽdeur
Qui ont pillé tant de jardins
Avec ma bouche qui a bu, qui a embrassé et mordu
Sans jamais assouvir sa faim
Avec ma gueule de métÚque, de juif errant, de pùtre grec
De voleur et de vagabond
Avec ma peau qui s'est frottée au soleil de tous les étés
Et tout ce qui portait jupon
Avec mon coeur qui a su faire souffrir autant qu'il a souffert
Sans pour cela faire d'histoire
Avec mon Ăąme qui n'a plus la moindre chance de salut
Pour éviter le purgatoire.
Avec ma gueule de métÚque, de juif errant, de pùtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents
Je viendrai ma douce captive, mon Ăąme soeur, ma source vive
Je viendrai boire tes vingt ans
Et je serai prince de sang, rĂȘveur, ou bien adolescent
Comme il te plaira de choisir
Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour
Que nous vivrons Ă en mourir.
Et nous ferons de chaque jour, toute une éternité d'amour
Que nous vivrons Ă en mourir.
â
â
Georges Moustaki
â
LâEternitĂ©
Elle est retrouvée.
Quoi ? â LâEternitĂ©.
Câest la mer allĂ©e
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons lâaveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir sâexhale
Sans quâon dise : enfin.
LĂ pas dâespĂ©rance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? â LâEternitĂ©.
Câest la mer allĂ©e
Avec le soleil.
â
â
Arthur Rimbaud
â
Attends. Laisse-moi dire adieu Ă cette lĂ©gĂšretĂ© sans tache qui fut la mienne. Laisse-moi dire adieu Ă ma jeunesse. Il y a des soirs, des soirs de Corinthe ou d'AthĂšnes, pleins de chants et d'odeurs qui ne m'appartiendront plus jamais. Des matins, pleins d'espoir aussi... Allons adieu! adieu! (Il vient vers Electre.) Viens, Electre, regarde notre ville. Elle est lĂ , rouge sous le soleil, bourdonnante d'hommes et de mouches, dans l'engourdissement tĂȘtu d'un aprĂšs-midi d'Ă©tĂ©; elle me repousse de tous ses murs, de tous ses toits, de toutes ses portes closes. Et pourtant elle est Ă prendre, je le sens depuis ce matin. Et toi aussi, Electre, tu es Ă prendre. Je vous prendrai. Je deviendrai hache et je fendrai en deux ces murailles obstinĂ©es, j'ouvrirai le ventre de ces maisons bigotes, elles exhaleront par leurs plaies bĂ©antes une odeur de mangeaille et d'encens; je deviendrai cognĂ©e et je m enfoncerai dans le cĆur de cette ville comme la cognĂ©e dans le cĆur d'un chĂȘne.
â
â
Jean-Paul Sartre (The Flies (SparkNotes Literature Guide Series))
â
Pour moi, ce nâest pas de perdre la vie qui me fait peur. Mais notre Ă©chec signifierait tout autre chose quâune question de vie ou de mort : nous deviendrions semblables Ă lui, des crĂ©atures de la nuit comme lui, sans cĆur ni conscience, faisant notre proie des corps et des Ăąmes de ceux que nous aimons le plus au monde. Les portes du Ciel seraient Ă jamais fermĂ©es pour nous, car qui nous les ouvrirait ? Tous nous abomineraient Ă jamais ; nous serions une tache sur le soleil de Dieu, une flĂšche dans le flanc de Celui qui est mort pour sauver lâhumanitĂ©.
â
â
Bram Stoker (Dracula)
â
Elle souriait quelques fois, arrĂȘtant sur lui ses yeux, une minute. Alors, il sentait ses regards pĂ©nĂ©trer son Ăąme, comme ces grands rayons de soleil qui descendent jusquâau fond de lâeau. Il lâaimait sans arriĂšre-pensĂ©e, sans espoir de retour, absolument ; et, dans ces muets transports, pareils Ă des Ă©lans de reconnaissance, il aurait voulu couvrir son front dâune pluie de baisers. Cependant, un soufflant intĂ©rieur lâenlevait comme hors de lui ; câĂ©tait une envie de se sacrifier, un besoin de dĂ©vouement immĂ©diat, et dâautant plus fort quâil ne pouvait lâassouvir.
â
â
Gustave Flaubert (LâĂducation Sentimentale (French Edition))
â
Les Poets de Sept ans
Et la MĂšre, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et trĂšs fiĂšre sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'ùme de son enfant livrée aux répugnances.
Tout le jour, il suait d'obéissance ; trÚs
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'Ăącres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : Ă la lampe
On le voyait, lĂ -haut, qui rĂąlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il Ă©tait entĂȘtĂ©
A se renfermer dans la fraĂźcheur des latrines:
Il pensait lĂ , tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
DerriĂšre la maison, en hiver, s'illunait ,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son oeil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mĂšre s'effrayait, les tendresses profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment!
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand dĂ©sert oĂč luit la LibertĂ© ravie,
ForĂȘts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrĂ©s oĂč, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'Oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
-Huit ans -la fille des ouvriers d'à cÎté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de décembre,
OĂč, pommadĂ©, sur un guĂ©ridon d'acajou,
Il lisait une Bible Ă la tranche vert-chou;
Des rĂȘves l'oppressaient, chaque nuit, dans l'alcĂŽve.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
OĂč les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
- Il rĂȘvait la prairie amoureuse, oĂč des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, ùcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forĂȘts noyĂ©es,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulement, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul et couché sur des piÚces de toile
Ăcrue et pressentant violemment la voile!
â
â
Arthur Rimbaud
â
Ces gens-lĂ , les profs, il faut les Ă©viter. Ils sont si habituĂ©s Ă s'Ă©couter parler et Ă se mettre en scĂšne qu'il n'y a rien Ă faire avec eux. Aucun Ă©change n'est possible. En plus, ils sont champions toutes catĂ©gories de l'art subtil du humble-brag: « La semaine prochaine, je ne serai pas disponible. Je serai Ă San Francisco Ă me dorer la fraise au soleil aprĂšs avoir lu ma communication de vingt minutes devant quatre personnes qui ne m'auront pas Ă©coutĂ©. J'ai prĂ©sentĂ© le mĂȘme texte le mois dernier Ă DubaĂŻ, Ă SĂ©oul et Ă Istanbul. Dans quelques annĂ©es, je pourrai le publier dans un livre qui va moisir sur les rayons.
â
â
Julie Boulanger (Albertine ou La férocité des orchidées)
â
J'ai une passion pour les tulipes, plus que pour aucune autre fleur de printemps; gaies, robustes, gracieuses, elles semblent de jeunes filles sortant du bain à cÎté des jacinthes, ces femmes aux formes opulentes dont chaque mouvement sature l'air de patchouli. Leur parfum, délicat et léger, est un comble de raffinement. Existe-t-il au monde rien de plus charmant que l'ardeur avec laquelle elles tendent leurs petits visages vers le soleil ? On les a taxées de prétention, et de vanité, alors que pour moi elles sont toute grùce et modestie, et ne sont coupables que de vouloir jouir de la vie sans craindre de regarder le soleil en face.
â
â
Elizabeth von Arnim (Elizabeth and Her German Garden (Elizabeth))
â
Jâadmire quâon puisse trouver au bord de la MĂ©diterranĂ©e des certitudes et des rĂšgles de vie, quâon y satisfasse sa raison et quâon y justifie un optimisme et un sens social. Car enfin, ce qui me frappait alors ce nâĂ©tait pas un monde fait Ă la mesure de lâhomme - mais qui se refer-mait sur lâhomme. Non, si le langage de ces pays sâaccordait Ă ce qui rĂ©sonnait profondĂ©ment en moi, ce nâest pas parce quâil rĂ©pondait Ă mes questions, mais parce quâil les rendait inutiles. Ce nâĂ©tait pas des actions de grĂąces qui pouvaient me monter aux lĂšvres, mais ce Nada qui nâa pu naĂźtre que devant des paysages Ă©crasĂ©s de soleil. Il nây a pas dâamour de vivre sans dĂ©sespoir de vivre.
â
â
Albert Camus (L'envers et l'endroit)
â
Qui me reflĂšte sinon toi-mĂȘme
Je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien
Quâune Ă©tendue dĂ©serte
Entre autrefois et aujourdâhui
Il y a eu toutes ces morts
Que jâai franchies
Sur de la paille
Je nâai pas pu percer
Le mur de mon miroir
Il mâa fallu apprendre
Mot par mot la vie
Comme on oublie
Je tâaime pour ta sagesse
Qui nâest pas la mienne
Pour la santĂ© je tâaime
Contre tout ce qui nâest quâillusion
Pour ce cĆur immortel
Que je ne détiens pas
Que tu crois ĂȘtre le doute
Et tu nâes que raison
Tu es le grand soleil
Qui me monte Ă la tĂȘte
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
Tu es le grand soleil
Qui me monte Ă la tĂȘte
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
â
â
Paul Ăluard
â
Peindre d'abord une cage
Avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forĂȘt
se cacher derriĂšre l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre sâil Ie faut pendant des annĂ©es
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
nâayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un Ă un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraĂźcheur du vent
la poussiĂšre du soleil
et le bruit des bĂȘtes de l'herbe dans la chaleur de l'Ă©tĂ©
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
â
â
Jacques Prévert (Paroles)
â
Soudain, il me sembla que le ciel descendait. De la terre, surgit comme une fontaine dâĂ©nergie dorĂ©e. Cette chaude Ă©nergie mâencercla, et mon corps et mon esprit devinrent trĂšs lĂ©gers et trĂšs clairs. Je pouvais mĂȘme comprendre le chant des petits oiseaux autour de moi. A cet instant, je pouvais comprendre que le travail de toute ma vie dans le Budo Ă©tait rĂ©ellement fondĂ© sur lâamour divin et sur les lois de la crĂ©ation. Je ne pus retenir mes larmes, et pleurai sans retenue. Depuis ce jour, jâai su que cette grande Terre elle-mĂȘme Ă©tait ma maison et mon foyer. Le soleil, la lune et les Ă©toiles mâappartiennent. Depuis ce jour, je nâai plus jamais ressenti aucun attachement envers la propriĂ©tĂ© et les possessions.
â
â
Morihei Ueshiba
â
Rien ne peut tâĂ©mouvoir, ĂŽ jeunesse ! Tu sembles possĂ©der tous les trĂ©sors de la terre ; la tristesse elle-mĂȘme te fait sourire, la douleur te pare. Tu es sĂ»re de toi-mĂȘme et, dans ta tĂ©mĂ©ritĂ©, tu clames : « Voyez, je suis seule Ă vivre !... » Mais les jours sâĂ©coulent, innombrables et sans laisser de trace ; la matiĂšre dont tu es tissĂ©e fond comme cire au soleil, comme de la neige... Et â qui sait ? â il se peut que ton bonheur ne rĂ©side pas dans ta toute-puissance, mais dans ta foi. Ta fĂ©licitĂ© serait de dĂ©penser des Ă©nergies qui ne se trouvent point dâautre issue. Chacun de nous se croit trĂšs sĂ©rieusement prodigue et prĂ©tend avoir le droit de dire : « Oh ! que nâaurais-je fait si je nâavais gaspillĂ© mon temps ! »
â
â
Ivan Turgenev (First Love)
â
Pourquoi ce chemin plutĂŽt que cet autre ? OĂč mĂšne-t-il pour nous solliciter si fort ? Quels arbres et quels amis sont vivants derriĂšre lâhorizon de ses pierres, dans le lointain miracle de la chaleur ? Nous sommes venus jusquâici car lĂ oĂč nous Ă©tions ce nâĂ©tait plus possible. On nous tourmentait et on allait nous asservir. Le monde, de nos jours, est hostile aux Transparents. Une fois de plus il a fallu partir⊠Et ce chemin, qui ressemblait Ă un long squelette, nous a conduits Ă un pays qui nâavait que son souffle pour escalader lâavenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinĂ©es entre le crĂ©puscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinĂ©e, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beautĂ©.
â
â
René Char (La Postérité du soleil)
â
Et le temps est une chose Ă©tonnante. La plupart dâentre nous ne vivent que pour ce qui est devant eux. Pour quelques jours, quelques semaines, quelques annĂ©es. Lâun des moments les plus douloureux dans la vie de chacun est sans doute lâinstant oĂč lâon a atteint lâĂąge oĂč il y a plus de choses Ă voir en arriĂšre que vers lâavant. Quand le temps nâest plus devant nous, nous devons trouver dâautres raisons de vivre. Le souvenir, peut-ĂȘtre. Les aprĂšs-midi au soleil, la main dâune autre personne dans la sienne. Le parfum des plates-bandes en fleurs. Les dimanches au cafĂ©. Les petits-enfants, peut-ĂȘtre. Nous trouvons une façon dâexister pour lâavenir dâun autre. Ce nâest pas quâOve est mort quand Sonja lâa abandonnĂ©. Il a seulement arrĂȘtĂ© de vivre.
â
â
Fredrik Backman (A Man Called Ove)
â
Un jour il y a plus de quatre milles années de cela, l'empereur Chen Nung voyageait avec son escorte dans une contrée éloignée de son vaste pays.
Comme la route Ă©tait longue et harassante, il demanda Ă prendre un peu de repos Ă l'ombre d'arbres qui le protĂ©gerait du soleil. Le convoi s'arrĂȘta et l'empereur s'assit en tailleur sous un arbuste inconnu. Il rĂ©clama aussitĂŽt un bol d'eau bouillante car il avait grand soif et ne connaissait que ce breuvage pour se dĂ©saltĂ©rer. On s'empressa de lui apporter. C'est alors qu'une feuille tomba dans le bol de l'empereur. Chen Nung but sans s'en rendre compte et un parfum Ă la fois doux et amer lui emplit la gorge. IntriguĂ©, il inspecta le fond de son bol et y trouva la feuille au parfum si envoĂ»tant.
Le thé venait de naßtre.
â
â
Maxence Fermine (Opium)
â
Ătes-vous ce quâon appelle un heureux ? Eh bien, vous ĂȘtes triste tous les jours. Chaque jour a son grand chagrin ou son petit souci. Hier, vous trembliez pour une santĂ© qui vous est chĂšre, aujourdâhui vous craignez pour la vĂŽtre, demain ce sera une inquiĂ©tude dâargent, aprĂšs-demain la diatribe dâun calomniateur, lâautre aprĂšs-demain le malheur dâun ami ; puis le temps quâil fait, puis quelque chose de cassĂ© ou de perdu, puis un plaisir que la conscience et la colonne vertĂ©brale vous reprochent ; une autre fois, la marche des affaires publiques. Sans compter les peines de cĆur. Et ainsi de suite. Un nuage se dissipe, un autre se reforme. Ă peine un jour sur cent de pleine joie et de plein soleil. Et vous ĂȘtes de ce petit nombre qui a le bonheur ! Quant aux autres hommes, la nuit stagnante est sur eux.
â
â
Victor Hugo (Les Misérables)
â
Quand je vis avec mes semblables, ma pensĂ©e s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider Ă vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nĂ©cessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon Ă rien, j'Ă©prouve le besoin de vivre avec ce moi intĂ©rieur qui s'identifie Ă la nature et au rĂȘve de la vie dans l'Ă©ternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent dĂ©lirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mĂȘmes sont tourmentĂ©s d'un besoin d'existence qui nous empĂȘche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. DĂšs qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire Ă tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit cĂ©der Ă cette sauvage logique de la faim et de l'amour. OĂč donc trouver, oĂč donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? HĂ©las, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassĂ©rĂ©nement inexplicable. LĂ , nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une rĂ©gion d'idĂ©es oĂč il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mĂȘmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'ĂȘtre.
â
â
George Sand (Le dernier amour)
â
Parfois, le destin ressemble Ă une tempĂȘte de sable qui se dĂ©place sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui Ă©chapper. Mais la tempĂȘte modifie aussi la sienne. Tu changes Ă nouveau le rythme de ta marche, et la tempĂȘte change son rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se rĂ©pĂšte un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l'aube. Pourquoi? Parce que cette tempĂȘte n'est pas un phĂ©nomĂšne venu d'ailleurs, sans aucun lien avec toi. Elle est toi-mĂȘme, et rien d'autre. Elle vient de l'intĂ©rieur de toi. Alors, la seule chose que tu puisses faire, c'est pĂ©nĂ©trer dĂ©libĂ©rĂ©ment dedans, fermer les yeux et te boucher les oreilles afin d"empĂȘcher le sale d'y rentrer, et la traverser pas Ă pas. Au coeur de cette tempĂȘte, il n'y a pas de soleil, il n'y a pas de lune, pas de repĂšres dans l'espace ; par moments, mĂȘme le temps n'existe plus. Il n'y a que du sable blanc et fin comme des os broyĂ©s qui tourbillonne haut dans le ciel. VoilĂ la tempĂȘte de sable que tu dois imaginer.
â
â
Haruki Murakami (Kafka on the Shore)
â
Wilhelm, que serait pour notre cĆur le monde sans lâamour ? Ce quâune lanterne magique est sans lumiĂšre. A peine la petite lampe est-elle introduite, que les images les plus variĂ©es apparaissent sur la muraille blanche. Et ne fussent-elles que des fantĂŽmes passagers, cela fait pourtant notre bonheur, lorsque nous nous arrĂȘtons devant, comme des enfants joyeux, nous extasiant sur ces apparitions merveilleuses. Aujourdâhui je nâai pu aller voir Charlotte : une sociĂ©tĂ© inĂ©vitable mâa retenu. Que faire ? Jâai envoyĂ© chez elle mon domestique, uniquement pour avoir quelquâun prĂšs de moi qui eĂ»t approchĂ© dâelle aujourdâhui. Avec quelle impatience je lâattendais ! avec quelle joie je lâai revu ! Je lâaurais embrassĂ©, si jâavais osĂ© mâen croire.
On conte que la pierre de Bologne, si on lâexpose au soleil, en absorbe les rayons, et quâelle Ă©claire quelque temps pendant la nuit. Il en Ă©tait de mĂȘme pour moi de ce garçon. LâidĂ©e que les yeux de Charlotte sâĂ©taient arrĂȘtĂ©s sur son visage, sur ses joues, sur les boutons de son habit et le collet de son surtout, me rendait tout cela prĂ©cieux et sacrĂ©. Dans ce moment, je nâaurais pas donnĂ© mon valet pour mille Ă©cus. Sa prĂ©sence nie faisait du bienâŠ. Dieu te garde dâen rire ! Wilhelm, sont-ce lĂ des fantĂŽmes, si nous sommes heureux ?
â
â
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
â
MOI, TROUBADOUR
Moi troubadour et la fille d'amour
Nous errons la nuit autour des lanternes ;
Signes de mouchoir, adieu sans retour
à toi notre étoile, astre de déveine.
Nous allons ailleurs vers un sort meilleur
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que les fleurs ne perdent couleur.
Moi troubadour et la fille d'amour
Qui de son caveau tirons la beauté
Marcherons à présent rompus, hébétés
Par la vie, par l'astre et par la rengaine.
Aux portes de l'ombre allons-nous buter
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que le temps des moissons ne vienne ?
Et dans le cĆur blanc des nuits de septembre
Nous nous blottirons, icĂŽnes sans voix,
Dans les coins perdus, dans l'oubli des chambres
Nous rappellerons, frappant de nos doigts,
Que de notre vie sont mortes les branches
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que le temps des moissons ne vienne.
Vous entendrez des mots silencieux
Assis pensifs dans l'ombre et dans l'absence
Mille soleils brûleront dans vos cieux
Hommes Ă genoux dans un rĂȘve immense,
Et ce jour viendra pour tous ceux, tous ceux
Dont la vie fleurit, dont la vie commence
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que le temps des moissons ne vienne.
(p. 406-407 de L'Anthologie de la poésie yiddish de Charles Dobzynski)
â
â
Itzik Manger
â
Papa-bobo prĂ©cipitĂ© avec inquiĂ©tude sur mon genou saignant, qui va chercher les mĂ©dicaments et s'installera des heures au chevet de mes varicelle, rougeole et coqueluche pour me lire Les Quatre Filles du docteur March ou jouer au pendu. Papa-enfant, "tu es plus bĂȘte qu'elle", dit-elle. Toujours prĂȘt Ă m'emmener Ă la foire, aux films de Fernandel, Ă me fabriquer une paire d'Ă©chasses et Ă m'initier Ă l'argot d'avant la guerre, pĂ©pĂ©dĂ©ristal et autres cezigue pĂąteux qui me ravissent. Papa indispensable pour me conduire Ă l'Ă©cole et m'attendre midi et soir, le vĂ©lo Ă la main, un peu Ă l'Ă©cart de la cohue des mĂšres, les jambes de son pantalon resserrĂ©es en bas par des pinces en fer. AffolĂ© par le moindre retard. AprĂšs, quand je serai assez grande pour aller seule dans les rues, il guettera mon retour. Un pĂšre dĂ©jĂ vieux Ă©merveillĂ© d'avoir une fille. LumiĂšre jaune fixe des souvenirs, il traverse la cour, tĂȘte baissĂ©e Ă cause du soleil, une corbeille sous le bras. J'ai quatre ans, il m'apprend Ă enfiler mon manteau en retenant les manches de mon pull-over entre mes poings pour qu'elles ne boulichonnent pas en haut des bras. Rien que des images de douceur et de sollicitude. Chefs de famille sans rĂ©plique, grandes gueules domestiques, hĂ©ros de la guerre ou du travail, je vous ignore, j'ai Ă©tĂ© la fille de cet homme-lĂ .
â
â
Annie Ernaux (A Frozen Woman)
â
Je ne crois pas quâil y ait rien au monde de plus riant que les idĂ©es qui sâĂ©veillent dans le cĆur dâune mĂšre Ă la vue du petit soulier de son enfant. Surtout si câest le soulier de fĂȘte, des dimanches, du baptĂȘme, le soulier brodĂ© jusque sous la semelle, un soulier avec lequel lâenfant nâa pas encore fait un pas. Ce soulier-lĂ a tant de grĂące et de petitesse, il lui est si impossible de marcher, que câest pour la mĂšre comme si elle voyait son enfant. Elle lui sourit, elle le baise, elle lui parle. Elle se demande sâil se peut en effet quâun pied soit si petit ; et, lâenfant fĂ»t-il absent, il suffit du joli soulier pour lui remettre sous les yeux la douce et fragile crĂ©ature. Elle croit le voir, elle le voit, tout entier, vivant, joyeux, avec ses mains dĂ©licates, sa tĂȘte ronde, ses lĂšvres pures, ses yeux sereins dont le blanc est bleu. Si câest lâhiver, il est lĂ , il rampe sur le tapis, il escalade laborieusement un tabouret, et la mĂšre tremble quâil nâapproche du feu. Si câest lâĂ©tĂ©, il se traĂźne dans la cour, dans le jardin, arrache lâherbe dâentre les pavĂ©s, regarde naĂŻvement les grands chiens, les grands chevaux, sans peur, joue avec les coquillages, avec les fleurs, et fait gronder le jardinier qui trouve le sable dans les plates-bandes et la terre dans les allĂ©es. Tout rit, tout brille, tout joue autour de lui comme lui, jusquâau souffle dâair et au rayon de soleil qui sâĂ©battent Ă lâenvi dans les boucles follettes de ses cheveux. Le soulier montre tout cela Ă la mĂšre et lui fait fondre le cĆur comme le feu une cire.
â
â
Victor Hugo (Notre-Dame de Paris (French Edition))
â
Violettes sauvages
La fée du printemps, cette année aussi,
de banalitĂ©s plein le sac, sâest prĂ©sentĂ©e,
malgré cela, nous nous sommes réjouis
comme si pour la premiÚre fois elle était arrivée.
En me grondant moi-mĂȘme, enfin,
car je risquais dâabĂźmer mes souliers dans la boue,
je suis allée voir quelles fleurs étaient en train
dâĂ©clore dans le vaste parc, tout prĂšs de chez nous.
CâĂ©tait depuis longtemps que je nâavais plus senti
ce désir de vivre, cette hùte fébrile,
jâavais lâimpression que sous mes pieds a frĂ©mi
la terre que le soleil saurait rendre fertile.
Les arbres nus me semblaient tout Ă fait charmants,
jâaurais voulu les prendre dans mes bras, les [embrasser].
Je passais prĂšs dâeux, comme ça, auparavant,
autant de fois, mais sans vraiment les regarder.
Difficile à dire pourquoi était si beau
le ciel bleu comme les robes dont se lavent les couleurs,
je lâai regardĂ©, la tĂȘte renversĂ©e vers le dos,
et je lâai trouvĂ© absolument enchanteur.
Ensuite, jâai dĂ©couvert les violettes sauvages,
prĂšs dâun chĂȘne : elles Ă©taient dĂ©licates et bleues,
des miettes de ciel dont le printemps de passage
nous fait don, parmi les troncs ombrageux.
Le cĆur battant vite, je me suis inclinĂ©e,
jâĂ©tais sur le point de toucher Ă leurs feuilles,
et je ne sais pourquoi, par lâesprit mâest passĂ©e
lâidĂ©e que le verre nâest pour elles quâun cercueil.
Vers la maison, je suis revenue,
les pas alourdis par un fatigué bonheur,
et si mes mains Ă©taient aussi vides quâau dĂ©but,
jâavais des violettes sauvages dans le cĆur.
(traduit par Elisabeta Isanos)
â
â
Magda Isanos
â
Elle est Ă toi cette chanson
Toi l'Auvergnat qui, sans façon,
M'a donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid.
Toi qui m'a donné du feu quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
M'avaient fermés la porte au nez.
Ce n'était rien qu'un feu de bois
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon ùme, il brûle encore
Ă la maniĂšre d'un feu de joie...
Toi, l'Auvergnat quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Elle est Ă toi cette chanson
Toi l'hÎtesse qui, sans façon,
M'a donné quatre bouts de pain
Quand dans ma vie il faisait faim.
Toi qui m'ouvrit ta huche quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
S'amusaient Ă me voir jeuner.
Ce n'était rien qu'un peu de pain
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon ùme, il brûle encore
Ă la maniĂšre d'un grand festin...
Toi, l'hĂŽtesse quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Elle est Ă toi cette chanson
Toi l'étranger qui, sans façon,
D'un air malheureux m'a sourit
Lorsque les gendarmes m'ont pris.
Toi qui n'a pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir rammené.
Ce n'était rien qu'un peu de miel
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon ùme, il brûle encore
Ă la maniĂšre d'un grand soleil...
Toi, l'étranger quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Toi, l'étranger quand tu mourras
Quand le croc-mort t'emportera
Qu'il te conduise Ă travers ciel
Au pÚre éternel.
Au
â
â
Georges Brassens
â
Quâun galop rapide, coursiers aux pieds brĂ»lants, vous emporte vers le palais du Soleil: de son fouet, un conducteur tel que PhaĂ©ton vous aurait prĂ©cipitĂ©s vers le couchant et aurait ramenĂ© la sombre Nuit. Ătends ton Ă©pais rideau. Nuit qui couronne lâamour; ferme les yeux errants, et que RomĂ©o puisse voler dans mes bras sans quâon le dise et sans quâon le voie. La lumiĂšre de leurs mutuelles beautĂ©s suffit aux amants pour accomplir leurs amoureux mystĂšres; ou si lâAmour est aveugle, il ne sâen accorde que mieux avec la Nuit. Viens, Nuit obligeante, matrone aux vĂȘtements modestes, tout en noir, apprends-moi Ă perdre au jeu de qui perd gagne, oĂč lâenjeu est deux virginitĂ©s sans tache; couvre de ton obscur manteau mes joues oĂč se rĂ©volte mon sang effarouchĂ©, jusquâĂ ce que mon craintif amour, devenu plus hardi dans lâĂ©preuve dâun amour fidĂšle, nây voie plus quâun chaste devoir.âViens, ĂŽ Nuit; viens, RomĂ©o; viens, toi qui es le jour au milieu de la nuit; car sur les ailes de la nuit tu arriveras plus Ă©clatant que nâest sur les plumes du corbeau la neige nouvellement tombĂ©e. Viens, douce nuit; viens, nuit amoureuse, le front couvert de tĂ©nĂšbres: donne-moi mon RomĂ©o; et quand il aura cessĂ© de vivre, reprends-le, et, partage-le en petites Ă©toiles, il rendra la face des cieux si belle, que le monde deviendra amoureux de la nuit et renoncera au culte du soleil indiscret. Oh! jâai achetĂ© une demeure dâamour, mais je nâen suis pas encore en possession, et celui qui mâa acquise nâest pas encore en jouissance. Ce jour est aussi ennuyeux que la veille dâune fĂȘte pour lâenfant qui a une robe neuve et qui ne peut encore la mettre.
â
â
William Shakespeare (Romeo and Juliet)
â
Les brumes sâĂ©paississent sur les cimes du Ć ar. Les versants se dressent face Ă Emina, implacables dans le jour dĂ©clinant. Les paroles de Feti ricochent en elle, par-dessus la musique quâil met plus fort dans la voiture. Elles traversent le scherzo du violon dont les volutes tournoient entre eux, alors quâils arrivent Ă Tetovo. Elles dissipent le sourd espoir qui lâa menĂ©e ici, au-delĂ du dĂ©sir de renouer avec le frĂšre dâYllka. Elle mesure lâampleur de son rĂȘve, de ce quâelle nâa dit Ă personne lĂ -bas en Allemagne. Ils auraient passĂ© leur bras autour de ses Ă©paules. Ils lâauraient entourĂ©e dâune affection mĂȘlĂ©e de pitiĂ©âŠ
Oui, dans lâoutremer des montagnes, elle croit apercevoir la trace dâYllka. Les empreintes fines dâun oiseau sur un sentier couvert de sable. Elles conduiraient Ă une maison de montagne qui sentirait le bois et le foin Ă la fin de lâĂ©tĂ©. Parce quâYllka se serait rĂ©fugiĂ©e quelque part ici. Elle y attendrait Emina, sa fille, Alija, son fils, depuis toutes ces annĂ©es. Elle-mĂȘme mue par la conviction que ses enfants finiront par la rejoindre. Car comment pourrait-elle savoir oĂč ils vivent aujourdâhui, si mĂȘme ils vivent encore ? Comment ? Et câest la raison de son silence. Il ne peut en ĂȘtre autrement. Preuve de vie ou de mort, Emina ne sâen ira pas dâici sans lâavoir obtenue.
« Je peux juste te parler dâelle. Celle quâelle fut ici. Ma sĆur, ta mĂšre⊠» Des mots qui lacĂšrent le ciel trĂšs loin au-dessus dâelle. Feti gare sa voiture le long de la rue bordĂ©e dâimmeubles. Sâil se trompait⊠Si Yllka nâavait pas pu le retrouver lui non plus ?
Les feuillages des arbres flamboient sur les trottoirs. Des traĂźnĂ©es couleur de fer assombrissent les nuages au-dessus des immeubles. Ils se creusent dâun vaste cratĂšre noirĂątre. Des choucas Ă©voluent par centaines sur la ville, alors que le soleil descend Ă lâhorizon. Ils sâinsinuent dans les invisibles couloirs ouverts par de secrĂštes turbulences. Leur vacarme secoue les airs, assourdit Emina. Elle est sur le point de flancher, rattrapĂ©e par le lieu et les cris des oiseaux.
â
â
Cécile Oumhani (Le café d'Yllka)
â
Ses visites Ă©taient la grande distraction de ma tante LĂ©onie qui ne recevait plus guĂšre personne dâautre, en dehors de M. le CurĂ©. Ma tante avait peu Ă peu Ă©vincĂ© tous les autres visiteurs parce quâils avaient le tort Ă ses yeux de rentrer tous dans lâune ou lâautre des deux catĂ©gories de gens quâelle dĂ©testait. Les uns, les pires et dont elle sâĂ©tait dĂ©barrassĂ©e les premiers, Ă©taient ceux qui lui conseillaient de ne pas « sâĂ©couter » et professaient, fĂ»t-ce nĂ©gativement et en ne la manifestant que par certains silences de dĂ©sapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive quâune petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur lâestomac deux mĂ©chantes gorgĂ©es dâeau de Vichy !) lui feraient plus de bien que son lit et ses mĂ©decines. Lâautre catĂ©gorie se composait des personnes qui avaient lâair de croire quâelle Ă©tait plus gravement malade quâelle ne pensait, quâelle Ă©tait aussi gravement malade quâelle le disait. Aussi, ceux quâelle avait laissĂ© monter aprĂšs quelques hĂ©sitations et sur les officieuses instances de Françoise et qui, au cours de leur visite, avaient montrĂ© combien ils Ă©taient indignes de la faveur quâon leur faisait en risquant timidement un : « Ne croyez-vous pas que si vous vous secouiez un peu par un beau temps », ou qui, au contraire, quand elle leur avait dit : « Je suis bien bas, bien bas, câest la fin, mes pauvres amis », lui avaient rĂ©pondu : « Ah ! quand on nâa pas la santĂ© ! Mais vous pouvez durer encore comme ça », ceux-lĂ , les uns comme les autres, Ă©taient sĂ»rs de ne plus jamais ĂȘtre reçus. Et si Françoise sâamusait de lâair Ă©pouvantĂ© de ma tante quand de son lit elle avait aperçu dans la rue du Saint-Esprit une de ces personnes qui avait lâair de venir chez elle ou quand elle avait entendu un coup de sonnette, elle riait encore bien plus, et comme dâun bon tour, des ruses toujours victorieuses de ma tante pour arriver Ă les faire congĂ©dier et de leur mine dĂ©confite en sâen retournant sans lâavoir vue, et, au fond admirait sa maĂźtresse quâelle jugeait supĂ©rieure Ă tous ces gens puisquâelle ne voulait pas les recevoir. En somme, ma tante exigeait Ă la fois quâon lâapprouvĂąt dans son rĂ©gime, quâon la plaignĂźt pour ses souffrances et quâon la rassurĂąt sur son avenir.
â
â
Marcel Proust (Swannâs Way (In Search of Lost Time, #1))
â
Qu'il renie sagement en lui le roi noir dépossédé il n'est plus qu'un captif heureux.
Un jour, pourtant, on le dĂ©livrera. Quand il sera trop vieux pour valoir ou sa nourriture ou ses vĂȘtements, on lui accordera une libertĂ© dĂ©mesurĂ©e. Pendant trois jours, il se proposera en vain de tente en tente, chaque jour plus faible, et vers la fin du troisiĂšme jour, toujours sagement il se couchera sur le sable. J'en ai vu ainsi, Ă Juby, mourir nus. Les Maures coudoyaient leur longue agonie, mais sans cruautĂ©, et les petits des Maures jouaient prĂšs de l'Ă©pave sombre, et, Ă chaque aube, couraient voir par jeu si elle remuait encore, mais sans rire du vieux serviteur. Cela Ă©tait dans l'ordre naturel. C'Ă©tait comme si on lui eĂ»t dit : « Tu as bien travaillĂ©, tu as droit au sommeil, va dormir. » Lui, toujours allongĂ©, Ă©prouvait la faim qui n'est qu'un vertige, mais non l'injustice qui seule tourmente. Il se mĂȘlait peu Ă peu Ă la terre. SĂ©chĂ© par le soleil et reçu par la terre. Trente annĂ©es de travail, puis ce droit au sommeil et Ă la terre.
Le premier que je rencontrai, je ne l'entendis pas gĂ©mir : mais il n'avait pas contre qui gĂ©mir. Je devinais en lui une sorte d'obscur consentement, celui du montagnard perdu, Ă bout de forces, et qui se couche dans la neige, s'enveloppe dans ses rĂȘves et dans la neige. Ce ne fut pas sa souffrance qui me tourmenta. Je n'y croyais guĂšre. Mais, dans la mort d'un homme, un monde inconnu meurt, et je me demandais quelles Ă©taient les images qui sombraient en lui. Quelles plantations du SĂ©nĂ©gal, quelles villes blanches du Sud-Marocain s'enfonçaient peu Ă peu dans l'oubli. Je ne pouvais connaĂźtre si, dans cette masse noire, s'Ă©teignaient simplement des soucis misĂ©rables le thĂ© Ă prĂ©parer, les bĂȘtes Ă conduire au puits. si s'endormait une Ăąme d'esclave, ou si, ressuscitĂ© par une remontĂ©e de souvenirs, l'homme mourait dans sa grandeur. L'os dur du crĂąne Ă©tait pour moi pareil Ă la vieille caisse aux trĂ©sors. Je ne savais quelles soies de couleur, quelles images de fĂȘtes, quels vestiges tellement dĂ©suets ici, tellement inutiles dans ce dĂ©sert, y avaient Ă©chappĂ© au naufrage. Cette caisse Ă©tait lĂ , bouclĂ©e, et lourde. Je ne savais quelle part du monde se dĂ©faisait dans l'homme pendant le gigantesque sommeil des derniers jours, se dĂ©faisait dans cette conscience et cette chair qui, peu Ă peu, redevenaient nuit et racine.
p98-99
â
â
Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
â
Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre dâune pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu dâune foule Ă©trangĂšre, tout Ă fait Ă©trangĂšre Ă mes sentiments, je nâai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cĆur inâait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e mâa saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, câest le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cĆur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce nâest pas une illusion dâoptique. Je mâen amuse, ou plutĂŽt on sâamuse de moi comme dâune ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet dâaller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je mâoublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne lâai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes sâest Ă©vanoui ; lâenchantement qui, le matin, mâarrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je nâai trouvĂ© ici quâune femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si lâon peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ qui fait de jolis compliments ! » Cela nâest pas tout Ă fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; jâai beaucoup dâesprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finementâŠ. «Ni mentir, ajouterez-vous, car lâun ne va pas sans lâautre, entendez-vous ?⊠» Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup dâĂąme, on le voit dâabord Ă la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă charge ; il ne satisfait aucun des vĆux de son cĆur. Elle aspire Ă sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă vous, Charlotte ! Que de fois nâest-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !⊠Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si jâĂ©tais assis Ă vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; lâorage est passĂ© ; et moiâŠ. il faut que je rentre dans ma cageâŠ. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?⊠Dieu veuille me pardonner cette question !
â
â
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
â
Le dément
- N'avez-vous pas entendu parler de ce dément qui, dans la clarté de midi alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! »
âĂtant donnĂ© qu'il y avait justement lĂ beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, il dĂ©chaĂźna un Ă©norme Ă©clat de rire. S'est-il donc perdu ? disait l'un. S'est-il Ă©garĂ© comme un enfant ? disait l'autre. Ou bien s'est-il cachĂ© ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarquĂ© ? A-t-il Ă©migrĂ© ?âainsi criaient-ils en riant dans une grande pagaille. Le dĂ©ment se prĂ©cipita au milieu d'eux et les transperça du regard.
« OĂč est passĂ© Dieu ? lança-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tuĂ©,âvous et moi ! Nous sommes tous ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment pĂ»mes-nous boire la mer jusqu'Ă la derniĂšre goutte ? Qui nous donna l'Ă©ponge pour faire disparaĂźtre tout l'horizon ? Que fĂźmes-nous en dĂ©tachant cette terre de son soleil ? OĂč l'emporte sa course dĂ©sormais ? OĂč nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abĂźmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arriĂšre, de cĂŽtĂ©, en avant, de tous les cĂŽtĂ©s ? Est-il encore un haut et un bas ? N'errons-nous pas comme Ă travers un nĂ©ant infini ? L'espace vide ne rĂ©pand-il pas son souffle sur nous ? Ne s'est-il pas mis Ă faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes Ă midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la dĂ©composition divine ?âles dieux aussi se dĂ©composent ! Dieu est mort ! Dieu demeure mort ! Et nous l'avons tuĂ© ! Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins ? Ce que le monde possĂ©dait jusqu'alors de plus saint et de plus puissant, nos couteaux l'ont vidĂ© de son sang,âqui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles cĂ©rĂ©monies expiatoires, quels jeux sacrĂ©s nous faudra-t-il inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne nous faut-il pas devenir nous-mĂȘmes des dieux pour apparaĂźtre seulement dignes de lui ? Jamais il n'y eut acte plus grand,âet quiconque naĂźt aprĂšs nous appartient du fait de cet acte Ă une histoire supĂ©rieure Ă ce que fut jusqu'alors toute histoire ! »
Le dément se tut alors et considéra de nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient déconcertés. Il jeta enfin sa lanterne à terre : elle se brisa et s'éteignit.
« Je viens trop tĂŽt, dit-il alors, ce n'est pas encore mon heure. Cet Ă©vĂ©nement formidable est encore en route et voyage,âil n'est pas encore arrivĂ© jusqu'aux oreilles des hommes. La foudre et le tonnerre ont besoin de temps, la lumiĂšre des astres a besoin de temps, les actes ont besoin de temps, mĂȘme aprĂšs qu'ils ont Ă©tĂ© accomplis, pour ĂȘtre vus et entendus. Cet acte est encore plus Ă©loignĂ© d'eux que les plus Ă©loignĂ©s des astres,âet pourtant ce sont eux qui l'ont accompli. »
On raconte encore que ce mĂȘme jour, le dĂ©ment aurait fait irruption dans diffĂ©rentes Ă©glises et y aurait entonnĂ© son Requiem aeternam deo. ExpulsĂ© et interrogĂ©, il se serait contentĂ© de rĂ©torquer constamment ceci :
« Que sont donc encore ces églises si ce ne sont pas les caveaux et les tombeaux de Dieu ? »
â
â
Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
â
Quand on me retrouvera, les yeux brûlés on imaginera que j'ai beaucoup appelé et beaucoup souffert. Mais les élans, mais les regrets, mais les tendres souffrances, ce sont encore des richesses. Et moi je n'ai plus de richesses. Les fraßches jeunes filles, au soir de leur premier amour, connaissent le chagrin et pleurent. Le chagrin est lié aux frémissements de la vie. Et moi je n'ai plus de richesses. Les fraßches jeunes filles, au soir de leur premier amour, connaissent le chagrin et pleurent. Le chagrin est lié aux frémissements de la vie. Et moi je n'ai plus de chagrin.
Le désert, c'est moi. Je ne forme plus de salive, mais je ne forme plus, non plus, les images douces vers lesquelles j'aurais pu gémir. Le soleil a séché en moi la source des larmes.
[...]
Je regarde PrĂ©vot. Il est frappĂ© du mĂȘme Ă©tonnement que moi, mais il ne comprend pas non plus ce qu'il Ă©prouve.
[...]
Nous sommes sauvés, il y a des traces dans le sable !...
Ah ! nous avions perdu la piste de l'espÚce humaine, nous étions retranchés d'avec la tribu, nous nous étions retrouvés seuls au monde, oubliés par une migration universelle, et voici que nous découvrons, imprimés dans le sable, les pieds miraculeux de l'homme.
[...]
Et cependant, nous ne sommes point sauvés encore. Il ne nous suffit pas d'attendre. Dans quelques heures, on ne pourra plus nous secourir. La marche de la soif, une fois la toux commencée, est trop rapide. Et notre gorge.
Mais je crois en cette caravane, qui se balance quelque part, dans le désert.
Nous avons donc marché encore, et tout à coup j'ai entendu le chant du coq. Guillaumet m'avait dit : « Vers la fin, j'entendais des coqs dans les Andes. J'entendais aussi des chemins de fer. »
Je me souviens de son rĂ©cit Ă l'instant mĂȘme oĂč le coq chante et je me dis : « Ce sont mes yeux qui m'ont trompĂ© d'abord. C'est sans doute l'effet de la soif. Mes oreilles ont mieux rĂ©sistĂ©. » Mais PrĂ©vot m'a saisi par le bras :
« Vous avez entendu ?
- Quoi ?
- Le coq !
- Alors... Alors... »
Alors, bien sûr, imbécile, c'est la vie...
J'ai eu une derniÚre hallucination : celle de trois chiens qui se poursuivaient. Prévot, qui regardait aussi, n'a rien vu. Mais nous sommes deux à tendre les bras vers ce Bédouin. Nous sommes deux à user vers lui tout le souffle de nos poitrines. Nous sommes deux à rire de bonheur !...
Mais nos voix ne portent pas Ă trente mĂštres. Nos cordes vocales sont dĂ©jĂ sĂšches. Nous nous parlions tout bas l'un Ă l'autre, et nous ne l'avions mĂȘme pas remarquĂ© !
Mais ce BĂ©douin et son chameau, qui viennent de se dĂ©masquer de derriĂšre le tertre, voilĂ que lentement, lentement, ils s'Ă©loignent. Peut-ĂȘtre cet homme est-il seul. Un dĂ©mon cruel nous l'a montrĂ© et le retire...
Et nous ne pourrions plus courir !
Un autre Arabe apparaßt de profil sur la dune. Nous hurlons, mais tout bas. Alors, nous agitons les bras et nous avons l'impression de remplir le ciel de signaux immenses. Mais ce Bédouin regarde toujours vers la droite...
Et voici que, sans hĂąte, il a amorcĂ© un quart de tour. Ă la seconde mĂȘme oĂč il se prĂ©sentera de face, tout sera accompli. Ă la seconde mĂȘme oĂč il regardera vers nous, il aura dĂ©jĂ effacĂ© en nous la soif, la mort et les mirages. Il a amorcĂ© un quart de tour qui, dĂ©jĂ , change le monde. Par un mouvement de son seul buste, par la promenade de son seul regard, il crĂ©e la vie, et il me paraĂźt semblable Ă un dieu...
C'est un miracle... Il marche vers nous sur le sable, comme un dieu sur la mer...
L'Arabe nous a simplement regardés. Il a pressé, des mains, sur nos épaules, et nous lui avons obéi. Nous nous sommes étendus. Il n'y a plus ici ni races, ni langages, ni divisions. Il y a ce nomade pauvre qui a posé sur nos épaules des mains d'archange.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry
â
Les deux femmes, vĂȘtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sĆur, elles jetĂšrent dessus des fleurs et de lâeau bĂ©nite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans lâappartement sa lueur rougeĂątre et terne comme le regard dâun cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumĂšrent deux petites bougies qui Ă©taient sur la table de nuit, sâagenouillĂšrent et me dirent de prier comme elles.
Je priai, oh ! bien fort, le plus quâil mâĂ©tait possible ! mais rien⊠LĂ©lia ne remuait pas !
Je fus longtemps ainsi agenouillĂ©, la tĂȘte sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait quâen pensant, en pleurant, en me dĂ©chirant lâĂąme avec des priĂšres et des vĆux, jâobtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indĂ©cises et dont on ne distinguait rien si ce nâest, Ă une place, une forme ronde qui devait ĂȘtre La tĂȘte, et plus bas une autre qui semblait ĂȘtre les pieds. Je croyais, moi, pauvre naĂŻf enfant, je croyais que la priĂšre pouvait rendre la vie Ă un cadavre, tant jâavais de foi et de candeur !
Oh ! on ne sait ce quâa dâamer et de sombre une nuit ainsi passĂ©e Ă prier sur un cadavre, Ă pleurer, Ă vouloir faire renaĂźtre le nĂ©ant ! On ne sait tout ce quâil y a de hideux et dâhorrible dans une nuit de larmes et de sanglots, Ă la lueur de deux cierges mortuaires, entourĂ© de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vĂ©nales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scĂšne de dĂ©sespoir et de deuil vous remplit le cĆur : enfant, de tristesse et dâamertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de dĂ©sespoir !
Le jour arriva.
Mais quand le jour commença Ă paraĂźtre, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient Ă mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissĂšrent seul. Je courus aprĂšs elles, et me traĂźnant Ă leurs pieds, mâattachant Ă leurs vĂȘtements :
â Ma sĆur ! leur dis-je, eh bien, ma sĆur ! oui, LĂ©lia ! oĂč est-elle ?
Elles me regardÚrent étonnées.
â Ma sĆur ! vous mâavez dit de prier, jâai priĂ© pour quâelle revienne, vous mâavez trompĂ© !
â Mais câĂ©tait pour son Ăąme !
Son Ăąme ? Quâest-ce que cela signifiait ? On mâavait souvent parlĂ© de Dieu, jamais de lâĂąme.
Dieu, je comprenais cela au moins, car si lâon mâeĂ»t demandĂ© ce quâil Ă©tait, eh bien, jâaurais pris La linotte de LĂ©lia, et, lui brisant la tĂȘte entre mes mains, jâaurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais lâĂąme ? lâĂąme ? quâest-ce cela ?
Jâeus la hardiesse de le leur demander, mais elles sâen allĂšrent sans me rĂ©pondre.
Son Ăąme ! eh bien, elles mâont trompĂ©, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, câĂ©tait LĂ©lia, LĂ©lia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; câĂ©tait Lelia, ma belle petite sĆur aux grands yeux bleus, LĂ©lia qui mâembrassait le soir aprĂšs sa poupĂ©e, aprĂšs son mouton chĂ©ri, aprĂšs sa linotte. Pauvre sĆur ! câĂ©tait toi que je demandais Ă grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me rĂ©pondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as priĂ© non pour elle, mais tu as priĂ© pour son Ăąme ! quelque chose dâinconnu, de vague comme un mot dâune langue Ă©trangĂšre ; tu as priĂ© pour un souffle, pour un mot, pour le nĂ©ant, pour son Ăąme enfin ! »
Son Ăąme, son Ăąme, je la mĂ©prise, son Ăąme, je la regrette, je nây pense plus. Quâest-ce que ça me fait Ă moi, son Ăąme ? savez-vous ce que câest que son Ăąme ? Mais câest son corps que je veux ! câest son regard, sa vie, câest elle enfin ! et vous ne mâavez rien rendu de tout cela.
Ces femmes mâont trompĂ©, eh bien, je les ai maudites.
Cette malĂ©diction est retombĂ©e sur moi, philosophe imbĂ©cile qui ne sais pas comprendre un mot sans LâĂ©peler, croire Ă une Ăąme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au PromĂ©thĂ©e dâEschyle, je brave les coups et que je mĂ©prise trop pour blasphĂ©mer.
â
â
Gustave Flaubert (La derniÚre heure : Conte philosophique inachevé)
â
HAUT CIEL
S'ouvre le ciel touffu au milieu de la nuit
Qui roule du silence
Défendant aux étoiles de pousser un seul cri
Dans le vertige de leur éternelle naissance.
De soi-mĂȘme prisonniĂšres
Elles brûlent une lumiÚre
Qui les attache, les délivre
Et les rattache sans merci.
Elles refoulent dans les siĂšcles
L'impatience originelle
Qu'on reconnaßt légÚrement
Ă quelque petit cillement.
Le ciel de noires violettes
Répand une odeur d'infini
Et va chercher dans leur poussiĂšre
Les soleils que la mort bannit.
Une ombre longue approche et hume
Les astres de son museau de brume.
On devine l'ahan des galériens du ciel
Tapis parmi les rames d'un navire sans Ăąge
Qui laisse en l'air un murmure de coquillage
Et navigue sans but dans la nuit éternelle,
Dans la nuit sans escales, sans rampes ni statues,
Sans la douceur de l'avenir
Qui nous frĂŽle de ses plumes
Et nous défend de mourir.
Le navire s'éloigne derriÚre de hautes roches de ténÚbres
Les étoiles restent seules contractées au fond de leur fiÚvre
Avec leur aveu dans la gorge
Et l'horreur de ne pouvoir
Imaginer une rose
Dans leur mémoire qui brûle.
â
â
Jules Supervielle (Gravitations précédé de DébarcadÚres)
â
Vous vous demandez, avec un doute plein de terreur, si câest vous qui ĂȘtes sans yeux ou si câest le monde qui est sans soleil.
Question terrible. Chacun se la pose. Personne ne répond.
â
â
Victor Hugo (Choses Vues 1830-1848)
â
C'est facile de se dorer au soleil, moins de profiter de la pluie. Pourtant, l'un ne va pas sans l'autre. Le temps change. La tristesse et le bonheur ont le droit au mĂȘme temps d'Ă©cran mental.
â
â
Tom Felton (Beyond the Wand: The Magic & Mayhem of Growing Up a Wizard)
â
Laurie pressa le bouton de sonnette et attendit. Un chat, allongé au soleil, se leva en s'étirant et s'approcha à pas délicats pour inspecter la visiteuse. Sa fourrure ambrée resplendissait dans la lumiÚre vive.
â Bonjour, chat ! Parles-tu anglais ? murmura Laurie en le caressant.
Le chat ronronna et se frotta contre sa jambe. C'était sans aucun doute un chat polyglotte.
â
â
Sally Wentworth (King of the Castle)
â
la pluie comme le soleil, les temps oĂč lâon peine sur les devoirs comme les temps de rĂ©crĂ©ation... Lâun ne va pas sans lâautre. Bref, depuis cette maladie, je me plains beaucoup moins... mais cela mâarrive encore, et mĂȘme peut-ĂȘtre trop souvent, me dit maman ! Pourtant quelque chose a changé : dans ces moments-lĂ , je repense Ă tout ce que jâai appris, couchĂ©e sur mon lit Ă onze ans... et je me remets alors Ă sourire Ă la vie !
â
â
Marc Thil (Histoires Ă lire le soir 2 (French Edition))
â
Parole aprĂšs parole, le visage de Reine Sans Nom s'amenuisait et je ne savais comment lui dire de se taire, et elle chuchotait Ă mon oreille, me dĂ©signant d'un doigt la bruine qui tombait doucement du ciel... ce ne sont pas des pleurs, mais une lĂ©gĂšre buĂ©e, car une Ăąme humaine doit regretter la vie... et une douceur extrĂȘme passa dans sa voix tandis qu'elle murmurait encore... Ă©coute, les gens t'Ă©pient, ils comptent toujours sur quelqu'un pour savoir comment vivre... si tu es heureuse, tout le monde peut ĂȘtre heureux et si tu sais souffrir, les autres sauront aussi... chaque jour tu dois te lever et dire Ă ton cĆur : j'ai assez souffert et il faut maintenant que je vive, car la lumiĂšre du soleil ne doit pas se gaspiller, se perdre sans aucun Ćil pour l'apprĂ©cier... et si tu n'agis pas ainsi tu n'auras pas le droit de dire : c'est pas ma faute, lorsque quelqu'un cherchera une falaise pour se jeter Ă la mer...
â
â
Schwarz-Bart Simone
â
Je pourrais mordre le soleil
Pour empĂȘcher le feu de mourir en moi
Je pourrais avaler la mer orageuse
Pour que ma colĂšre ne reflue pas
Je saisirais tous les moyens
De te voir sans restriction
â
â
Carol Sansour (A la saison des abricots)
â
Ă une soie
Je te revois tendue et sans vent dans les ombres
Propice et large soie étalée sans un pli
Tendre comme un discours de musique profonde
Et suave de trois cruautés agrandies.
Le morceau appelant mon cĆur Ă©tait le rouge
Non pas rouge mais rose en pétales séchés
Non pas de fleurs mais par angoisse un peu lilas
Des tons exquis du sang longtemps assassiné
De Marat. Et le blanc portait comment un soleil
Le reflet jaunissant des plus calmes peintures
La douceur de la mort
Et le travail de lui lâhuile Ă des couchants vermeils.
Le bleu seul était dur comme les yeux des airs
Lâopaque ciel qui tient la majestĂ© divine
PrisonniĂšre en lui ainsi quâau premier jour
Le ciel terrible et pur Ă la hampe guerriĂšre.
Mais surtout la Parole en sortait la criante
La violente importante et parole dâeffroi
Ou parole dâamour lue la premiĂšre fois
Ă haĂŻr, adorer, Ă laisser ou Ă prendre.
La parole adorée dans des lettres dorées
Qui font relief en trébuchante maladresse
Qui hésitent comme en souffrant
Ă retourner dâun soc le monde labourĂ©.
Paroles feu riant ! Perspectives humaines
Ouvertes par les mots Ă©tranges dâun enfant
Et lâhistoire achevĂ©e les pierres calcinĂ©es
à remettre en poussiÚre et jeter sur les chaßnes !
La parole pour plaire Ă Dieu disait Justice
Sur les bois engluĂ©s dâun holocauste fort
Lâhonneur avait rempli le sacrifice
Et le drapeau disait : Liberté ou la Mort.
â
â
Pierre Jean Jouve
â
Liberté
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J'écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genĂȘts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffées d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom
Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur mes raisons réunies
J'écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lĂšvres attendries
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaßtre
Pour te nommer
Liberté
â
â
Paul Ăluard
â
Lui dire le matin, le soir, la nuit, la poĂ©sie, l'amour que le soleil a versĂ© dans son cĆur, lui dire sa gaĂźtĂ©, ses langueurs, sa folie, et sans jamais rien quĂ©mander, s'envoler.
â
â
Burnat-provins Marguerite (Vous)
â
Nous sommes seulement quatorze, mais nous sommes portĂ©s par des milliers et sans doute par des millions dâhommes. Pour nous protĂ©ger, des groupes de combat veillent sur tous les accĂšs qui mĂšnent Ă cette retraite. Et se feront tuer avant que de laisser arriver jusquâĂ nous. Cependant, personne ici nâa lâorgueil ni mĂȘme le sentiment de la puissance. Nous savons que nos soldats changent cent fois de nom et quâils ne possĂšdent ni abri ni visage. Ils vont en secret dans des chaussures informes sur des chemins sans soleil et sans gloire. Nous savons que notre armĂ©e est famĂ©lique et pure. Quâelle est une armĂ©e dâombres. LâarmĂ©e miraculeuse de lâamour et du malheur. Et jâai pris conscience ici que nous Ă©tions seulement les ombres de ces ombres et le reflet de cet amour et de ce malheur. Cela surtout, Gerbier, valait la peine.
â
â
Joseph Kessel (L'Armée des ombres)
â
The Exotic Erotic Cirque Without moving a single muscle, I sat mesmerized in my seat. At that tender age, I had never observed anything like it. This fervent performance was thirty years before Cirque De Soleilâs human circus made its mark in our popular culture. It was also precisely thirty-two years prior to the last movie Stanley Kubrick directed, âEyes Wide Shut.â The exotic erotic cirque was already playing at Sfera Mascherata di San Valentino di Conte Mario Conti, and I had the opportunity to witness this spectacular extravaganza first hand. At 2:00 A.M., the night was young. My partners in crime, exploring the upstairs, were The Raven King and The Twins (Oscar and Devaj).
â
â
Young (Unbridled (A Harem Boy's Saga, #2))
â
Mais si c'Ă©tait l'exil, dans la majoritĂ© des cas c'Ă©tait l'exil chez soi. Et quoique le narrateur n'ait connu que l'exil de tout le monde, il ne doit pas oublier ceux, comme le journaliste Rambert ou d'autres, pour qui, au contraire, les peines de la sĂ©paration s'amplifiĂšrent du fait que, voyageurs surpris par la peste et retenus dans la ville, ils se trouvaient Ă©loignĂ©s Ă la fois de l'ĂȘtre qu'ils ne pouvaient rejoindre et du pays qui Ă©tait le leur. Dans l'exil gĂ©nĂ©ral, ils Ă©taient les plus exilĂ©s, car si le temps suscitait chez eux, comme chez tous, l'angoisse qui lui est propre, ils Ă©taient attachĂ©s aussi Ă l'espace et se heurtaient sans cesse aux murs qui sĂ©paraient leur refuge empestĂ© de leur patrie perdue. C'Ă©tait eux sans doute qu'on voyait errer Ă toute heure du jour dans la ville poussiĂ©reuse, appelant en silence des soirs qu'ils Ă©taient seuls Ă connaĂźtre, et les matins de leur pays. Ils nourrissaient alors leur mal de signes impondĂ©rables et de messages dĂ©concertants comme un vol d'hirondelles, une rosĂ©e de couchant, ou ces rayons bizarres que le soleil abandonne parfois dans les rues dĂ©sertes. Ce monde extĂ©rieur qui peut toujours sauver de tout, ils fermaient les yeux sur lui, entĂȘtĂ©s qu'ils Ă©taient Ă caresser leurs chimĂšres trop rĂ©elles et Ă poursuivre de toutes leurs forces les images d'une terre oĂč une certaine lumiĂšre, deux ou trois collines, l'arbre favori et des visages de femmes composaient un climat pour eux irremplaçable.
â
â
Albert Camus (The Plague)
â
Impossible de décrire ce sourire-là sans plonger dans le monde merveilleux des vieux standards de bal musette.
Dedans il y avait du soleil, des fraises des bois, des gazouillis d'oiseaux et des reflets sur un lac de montagne.
â
â
Katarina Mazetti (Benny & Shrimp)
â
Quelle diffĂ©rence cela faisait-il quâils soient heureux ou malheureux, quâils agissent bien ou mal, quand le soleil et la lune continuaient Ă se lever au mĂȘme rythme, avec ou sans eux ?
â
â
Elif Shafak (L'Architecte du sultan)
â
LĂ©gendaires et admirables ouvrages fantomatiques dont il ne reste rien, Ă l'aube, sauf, peut-ĂȘtre, le soupçon, qui va sans cesse grandissant, que l'arrogance et la forfanterie ne me feront jamais rien Ă©crire d'autre que ces palimpsestes nuiteux, aussitĂŽt mangĂ©s par le frĂ©tillant, l'implacable soleil du matin.
â
â
Robert Lalonde (Le Monde sur le flanc de la truite)
â
Ă lâimage du soleil qui brille de maniĂšre Ă©gale sur les « bons » comme sur les « mĂ©chants », sur un paysage magnifique comme sur un tas dâordures, lâimpartialitĂ© sâĂ©tend Ă tous les ĂȘtres sans distinction. Lorsque la compassion ainsi conçue se porte sur une personne malfaisante, elle ne consiste pas Ă tolĂ©rer, encore moins Ă encourager par lâinaction son attitude malveillante et ses actes nuisibles, mais Ă considĂ©rer cette personne comme gravement malade ou atteinte de folie, et Ă souhaiter quâelle soit libĂ©rĂ©e de lâignorance et de lâhostilitĂ© qui lâhabitent. Autrement dit, il ne sâagit pas de contempler les actes nuisibles avec Ă©quanimitĂ©, voire avec indiffĂ©rence, mais de comprendre quâil est possible dâĂ©radiquer leurs causes comme on peut Ă©liminer les causes dâune maladie.
â
â
Matthieu Ricard (Plaidoyer pour l'altruisme: La force de la bienveillance)
â
« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais.
Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais.
Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.
Je dormirais peu, je rĂȘverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, Ă chaque minute nous perdons 60 secondes de lumiĂšre.
Je marcherais quand les autres s'arrĂȘteraient, je me rĂ©veillerais quand les autres dormiraient.
Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais à plat ventre au soleil, laissant à découvert pas seulement mon corps, mais aussi mon ùme.
Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'ĂȘtre amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'ĂȘtre amoureux ! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre Ă voler tout seul.
Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli.
J'ai appris tant de choses de vous les hommes⊠J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la maniÚre d'y arriver.
J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre pour la premiÚre fois, le doigt de son pÚre, avec son petit poing, il le tient pour toujours.
J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables Ă se relever.
J'ai appris tant de choses de vous, mais à la vérité cela ne me servira pas à grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir.
Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses.
Si je savais que c'est peut ĂȘtre aujourd'hui la derniĂšre fois que je te vois dormir, je t'embrasserais trĂšs fort et je prierais pour pouvoir ĂȘtre le gardien de ton Ăąme.
Si je savais que ce sont les derniers moments oĂč je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais dĂ©jĂ .
Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilitĂ© pour faire les choses bien, mais au cas oĂč elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais.
Le lendemain n'est sûr pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux.
C'est peut ĂȘtre aujourd'hui que tu vois pour la derniĂšre fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut ĂȘtre demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu Ă©tais trop occupĂ© pour accĂ©der Ă un de leur dernier dĂ©sir.
Garde ceux que tu aimes prĂšs de toi, dis-leur Ă l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais.
Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrÚtes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer.
Dis Ă tes amis et Ă ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi.
Monsieur Mårquez a terminé, disant : Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passé.
Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »
â
â
Gabriel GarcĂa MĂĄrquez
â
La primautĂ© de lâintention divine â donc du message â dans lâordre des apparences, implique une consĂ©quence fort paradoxale, mais nĂ©anmoins pertinente, Ă savoir lâexistence dâune « double rĂ©alitĂ© » qui fait penser Ă la « double vĂ©ritĂ© » des scolastiques. Câest-Ă -dire qu'il faut distinguer, dans certains cas, entre une « rĂ©alitĂ© de fait » et une « rĂ©alitĂ© dâapparence » : que la terre soit ronde et quâelle tourne autour du soleil, câest un fait, mais quâelle soit plate et que le soleil voyage d'un horizon Ă lâautre, nâen est pas moins, dans lâintention divine, une rĂ©alitĂ© pour nous ; sans quoi lâexpĂ©rience de lâhomme â crĂ©ature centrale et partant « omnisciente » â ne se bornerait pas, a priori et « naturellement », Ă ces constatations physiquement illusoires mais symboliquement pleines de sens. Encore que lâillusion physique soit relative, Ă un certain point de vue, car la terre, pour lâhomme, est incontestablement faite de rĂ©gions plates dont seulement la somme â imperceptible aux crĂ©atures terrestres â constitue une sphĂšre ; si bien quâon devrait dire que la terre est plate et ronde Ă la fois. Quant au symbolisme traditionnel, il implique une portĂ©e morale, ce qui nous permet de conclure que lâhomme nâa droit, en principe et a priori, quâĂ une connaissance quâil supporte, câest-Ă -dire quâil est capable dâassimiler ; donc dâintĂ©grer dans la connaissance totale et spirituelle quâil est censĂ© possĂ©der en sa qualitĂ© dâhomo sapiens (19)".
19. Incontestablement, la science moderne regorge de connaissances, mais la preuve est faite que lâhomme ne les supporte pas, ni intellectuellement ni moralement. Ce nâest pas pour rien que les Ăcritures sacrĂ©es sont volontiers aussi naĂŻves que possible, ce qui excite sans doute la moquerie des sceptiques mais nâempĂȘche ni les simples ni les sages de dormir tranquilles.
â
â
Frithjof Schuon (To Have a Center (Library of Traditional Wisdom))
â
Soldats de plombâŠ
Soldats de plomb, ĂŽ, toute mon enfance, quand
Hetmans aux cheveux blonds, nous déployions une cohue
De héros immortels, oubliés dans quelque bahut,
De preux sans crainte en immobiles rangs.
Et, nous les enfants, avec nos sabres en bois, partions nous quereller
En portant comme étendard des serviettes au soleil flottant.
Quel corps à corps, quelle raclée sous les mûriers du verger !
Et aprĂšs la bataille, combien de morts fuyaient en riantâŠ
Ă ! oĂč donc es-tu, guerre, Ă©poque innocente !
Maintenant la lutte hurle et la blessure déchirée se lamente,
Et les morts meurent vraiment de leur amour de la patrie.
Quel dieu-enfant se penche sur les hommes-jouets,
Et le soir, les renversant dans les noirs coffrets,
Dans les tranchées les poupées de cire ensevelit ?
â
â
Ion Pillat (Monostiches et autres poĂšmes (Litterature Roumaine Traduite) (French Edition))
â
Jour aprĂšs jour, la puanteur disparaĂźt des rues, remplacĂ©e par le suave parfum des fleurs de sophoras. Arrive l'Ă©tĂ©, avec une chaleur normale, un franc soleil baigne toutes les plantes qui croissent, verdoyantes. Dans les champs des environs, les beaux lĂ©gumes poussent Ă vue d'Ćil.
Une centaine de magnétophones apparaissent dans les rues de la ville; ils diffusent tous les jours des chansons célÚbres à Taïwan ou sur le continent, sans que l'on sache trÚs bien si ce sont les chansons populaires qui font se multiplier les magnétophones ou les magnétophones qui propagent les chansons. Quand une nouvelle boutique s'ouvre, pour attirer l'attention, elle diffuse à la porte des chansons qui soupirent de façon incongrue sur l'inconstance de l'amour, sans aucun rapport avec le commerce en question
MĂȘme dans les cortĂšges de funĂ©railles, on entend des enregistrements de chansons d'amour. Les chansons Ă la mode ne peuvent Ă©chapper au thĂšme de l'amour, de mĂȘme que la vie des gens ne peut Ă©chapper au sujet de l'amour. Ces chansons d'amour font perdre sa tranquillitĂ© Ă la petite ville qui devient bruyante.
p 153-154
â
â
Wang Anyi (Love in a Small Town)
â
L'institut sans le SuprĂȘme. La fin d'une Ă©poque, le passage sans transition du Roi-Soleil Ă la Terreur de Robespierre, en sautant Marie-Antoinette.
â
â
Alessia Gazzola (Un Secret n'est jamais bien gardé)
â
Au moment oĂč ma conscience revient, il y a toujours quelques secondes pendant lesquelles je ne fais que respirer et apprĂ©cier lâinstant, au chaud dans mon lit. En plus, sâil y a un rayon de soleil, je suis presque en extase, Ă la puissance 10. Pendant ce bref laps de temps, je nâai pas de nom, pas de passĂ©, pas dâavenir.
â
â
Jean-Philippe Touzeau (La femme sans peur 1)
â
La coutume voulait quâautrefois le soleil ne se couche pas sans que quelques MostaganĂ©mois soient passĂ©s par le relais de diligences, puis plus tard par la gare, pour vĂ©rifier quâil nây avait pas lĂ un Ă©tranger Ă©garĂ© sans couvert ni logis pour la nuit. Câest toujours vrai aujourdâhui pendant la pĂ©riode du RamadĂąn
â
â
Khaled Bentounes (La Fraternité en héritage: Histoire d'une confrérie soufie)
â
Abraham fut avant MoĂŻse ; Mohammed dĂ»t par consĂ©quent apparaĂźtre aprĂšs JĂ©sus ; le « cycle miraculeux » allant du SinaĂŻ au Christ se trouve comme encadrĂ© â temporellement parlant â par un autre cycle parallĂšle et d'un caractĂšre trĂšs diffĂ©rent c'est-Ă -dire marquĂ© davantage par la seule VĂ©ritĂ© monothĂ©iste, dans tout ce qu'elle comporte d'absolu et de salvateur par sa nature mĂȘme, et Ă©pris de simplicitĂ© primordiale et de transcendance « platonicienne » ; l'Islam comme l'Abrahamisme sont fondamentalement des religions nomades sans histoire, et brĂ»lĂ©s par ce Soleil divin toujours prĂ©sent et toujours Ă©ternel. Devant ce Soleil, l'homme n'est rien : que le Khalif Omar conquiĂšre une partie du monde antique ou que le ProphĂšte traie sa chĂšvre, revient presque au mĂȘme ; c'est dire qu'il n'y a pas de « grandeur humaine » au sens profane et titanesque, qu'il n'y a donc pas d'humanisme fauteur de vaines gloires ; la seule grandeur admise et durable est la saintetĂ©, et celle-ci appartient Ă Dieu.
â
â
Frithjof Schuon (Form and Substance in the Religions (The Writings of Frithjof Schuon))
â
Il Ă©tait devenu tout mon monde. Ma raison dâĂȘtre. Le soleil autour duquel je gravitais. Sans lui,(...) je nâĂ©tais plus rien.
â
â
Eva Delambre
â
Mais il faut la quitter. La lune doit se coucher. Le soleil, ce 16 novembre, se lĂšve sur notre nouvel "il Ă©tait une fois...". L'histoire d'un pĂšre et d'un fils qui s'Ă©lĂšvent seuls , sans l'aide de l'astre auquel ils ont prĂȘtĂ© allĂ©geance.
â
â
Antoine Leiris (Vous n'aurez pas ma haine)
â
â Je suis un demi-dieu, une divinitĂ© mineure, un archange⊠Choisis le terme que tu prĂ©fĂšres. Tu peux tâadresser Ă moi en mâappelant « maĂźtre », car tu nâas pas le droit de connaĂźtre mon nom. (Il se laissa tomber en position assise.) Jâai choisi cette forme parce quâelle mâamuse et ne tâeffraie pas. Wallie ne fut pas impressionnĂ©. â Pourquoi jouer avec moi ? Jâaurais pu croire en toi beaucoup plus tĂŽt si tu tâĂ©tais prĂ©sentĂ© sous un aspect plus divin â ou mĂȘme avec un simple halo⊠Il avait dĂ©passĂ© les bornes. Les joues de lâenfant se gonflĂšrent sous le coup de la colĂšre. â TrĂšs bien, puisque câest ton souhait. Voici un petit aperçu. Wallie cria et se couvrit les yeux, mais trop tard. La caverne Ă©tait dĂ©jĂ brillante, mais elle sâenflamma soudain dâun Ă©clat magnificent aussi aveuglant que celui dâun soleil. Lâenfant Ă©tait demeurĂ© un enfant, mais une infime partie de sa divinitĂ© flamboya un bref instant â et ce fut assez pour plonger un simple mortel dans une terreur sans nom. Dans ce fragment de majestĂ©, Wallie vit que lâĂąge de cet ĂȘtre dĂ©passait lâimagination â il existait bien avant la formation des galaxies et perdurerait bien aprĂšs la disparition de feux dâartifice aussi Ă©phĂ©mĂšres ; son quotient intellectuel se mesurait en trillions et il Ă©tait capable de connaĂźtre chaque pensĂ©e de chaque crĂ©ature dans lâunivers ; sa puissance aurait pu dĂ©truire une planĂšte aussi facilement quâon se cure les ongles ; comparĂ©s Ă sa noblesse et Ă sa puretĂ©, les ĂȘtres humains ressemblaient Ă des bĂȘtes infĂąmes et inutiles ; rien nâĂ©tait capable de rĂ©sister Ă ses objectifs froids et inĂ©branlables ; sa compassion dĂ©passait lâentendement humain et connaissait la souffrance des mortels ainsi que leurs raisons dâĂȘtre, mais il ne pouvait pas la supprimer sans supprimer lâessence mortelle Ă la base de cette douleur. Wallie sentit aussi quelque chose de plus profond et de plus terrible encore, une prĂ©sence que nul mot ne pouvait dĂ©crire, mais quâun mortel aurait apparentĂ©e Ă lâennui ou Ă la rĂ©signation. Il y avait des cĂŽtĂ©s nĂ©gatifs Ă lâimmortalité : le fardeau de lâomniscience et lâabsence de futur limitĂ©, plus la moindre surprise, plus de fin mĂȘme aprĂšs la fin des temps, Ă jamais et Ă jamais⊠Wallie rĂ©alisa quâil Ă©tait Ă plat
â
â
Dave Duncan (Le Guerrier de la déesse (La septiÚme épée, #1))
â
Working on a shoestring, which in my case is more often a matter of circumstance than of choice, never appeared to me as a cornerstone for aesthetics, and Dogme-type stuff just bores me. So itâs rather in order to bring some comfort to young filmmakers in need that I mention these few technical details: The material for La Jetee was created with a Pentax 24x36, and the only âcinemaâ part (the blinking of the eyes) with an Arriflex 35mm film camera, borrowed for one hour. Sans Soleil was entirely shot with a 16mm Beaulieu silent film camera (not one sync take within the whole film), with 100-foot reels â 2'44" autonomy! âand a small cassette recorder (not even a Walkman; they didnât exist yet). The only âsophisticatedâ device â given the time â was the spectre image synthesizer, also borrowed for a few days. This is to say that the basic tools for these two films were literally available to anyone. No silly boasting here, just the conviction that today, with the advent of computer and small DV cameras (unintentional homage to Dziga Vertov), would-be directors need no longer submit their fate to the unpredictability of producers or the arthritis of televisions, and that by following their whims or passions, they perhaps see one day their tinkering elevated to DVD status by honorable men.
â
â
Chris Marker
â
Dans les commentaires dĂ©lirants auxquels l'article de l'avocat donna lieu, devait revenir sous les formes les plus insolites la comparaison avec le sourire de la Joconde. MaĂźtre Homaire avait, entre autres, Ă©crit : « Dans le voile bleutĂ© du petit matin, confondu avec les voiles des noces, il Ă©manait de la mort d'Hadriana SiloĂ© une espĂšce d'envoĂ»tement sublunaire considĂ©rablement renforcĂ© par l'allĂ©gresse Ă©nigmatique des lĂšvres. Comme chez Mona Lisa, le charme du visage semblait pivoter sur lui-mĂȘme, complĂštement purifiĂ© des contingences consternantes du dĂ©cĂšs et portĂ© Ă merveille Ă l'incandescence intĂ©rieure qui sied Ă l'Ă©ternelle beautĂ© fĂ©minine. » A la fin de 1946, Ă mon arrivĂ©e Ă Paris, je me prĂ©cipitai, haletant, au musĂ©e du Louvre, vers la cĂ©lĂšbre toile de Leonardo, comme au premier rendez-vous pris loin de Jacmel avec Nana SiloĂ©. J'en fus profondĂ©ment déçu. La Joconde Ă©tait bien le chef-d'Ćuvre d'un peintre gĂ©nial, mais, comparĂ©e Ă la jeune fille de mon souvenir, elle semblait plutĂŽt ricaner, sans aucun feu intĂ©rieur. Dans la trame de ma nostalgie inguĂ©rissable, Hadriana avait son maquillage de mariĂ©e intact ; la peau de son cou et de ses mains Ă©tait aussi lisse et fraĂźche qu'une mangue cueillie juste avant le lever du soleil. La mort avait donnĂ© Ă sa beautĂ© un air de joyeuse profondeur comme si elle Ă©tait intĂ©rieurement absorbĂ©e par un rĂȘve plus prodigieux que la vie et la mort Ă la fois. Sa bouche n'Ă©voquait pas un sourire lĂ©gendaire, mais un fruit Ă©clatant de fraĂźcheur auquel toute bouche assoiffĂ©e aurait voulu mordre jusqu'Ă l'extase.
â
â
RenĂ© Depestre (Hadriana dans tous mes rĂȘves (French Edition))
â
Nous sommes seulement quatorze, mais nous sommes portĂ©s par des milliers et sans doute par des millions d'hommes. Pour nous protĂ©ger, des groupes de combat veillent sur tous les accĂšs qui mĂšnent Ă cette retraite. Et se feront tuer avant que de laisser arriver jusqu'Ă nous. Cependant, personne n'a l'orgueil ni mĂȘme le sentiment de la puissance. Nous savons que nos soldats changent cent fois de nom et qu'ils ne possĂšdent ni abri ni visage. Ils vont en secret dans des chaussures informes sur des chemins sans soleil et sans gloire. Nous savons que notre armĂ©e est famĂ©lique et pure. Qu'elle est une armĂ©e d'ombres. L'armĂ©e miraculeuse de l'amour et du malheur. Et j'ai pris conscience ici que nous Ă©tions seulement les ombres de ces ombres et le reflet de cet amour et de ce malheur. Cela surtout, Gerbier, valait la peine.
â
â
Joseph Kessel (L'Armée des ombres)
â
C'est la mÚre qui nous fait naßtre au monde. Lové en son sein, le foetus découvre ses premiÚres sensations, épurées, adoucies. LumiÚres, sons, caresses. Il baigne dans un univers d'éther dont il est le soleil, soudé à une chair qui lui est vouée et dévolue. Le ventre maternel, la matrice. Un état sans conscience, délivré du désir et de la peur.
â
â
Christelle SaĂŻani (LumiĂšre (French Edition))
â
Jâattends lâan premier
Jâattends lâan premier dâune autre Ăšre,
lâan de la paix sur la terre.
On aura démoli les grands abattoirs
de lâHistoire.
Mon cĆur murmure dĂ©jĂ : « FrĂšre,
pardonne-moi cet héritage de haine,
et au nom de la souffrance humaine,
prends ma main, frĂšre.
Moi aussi j'ai mordu la poussiĂšre
et j'ai pleuré.
Tous les miens morts, éteint le feu du foyer,
dans mon incendiĂ©e patrieâŠ
Aurore étrange, le sang avait lui,
Les uns aprĂšs les autres,
les horizons tombĂšrent
devant moi et derriĂšre.
Je franchissais les confins,
des riviĂšres et des monts.
Et personne nâĂ©tait plus grand que les grands
soldats sans noms.
Nous nous frayions une voie
Ă travers les foules grises
qui se retiraient, effrayĂ©es, comme lâeau.
Les obus tuaient et creusaient
du mĂȘme coup le tombeau de la mĂšre et de lâenfant.
Et la mort, comme un revenant,
traversait les champs désertés.
Et cependant, le yacht aux ponts dorés
par le soleil du Midi,
comme un oiseau sans tache, flottait.
Le milliardaire fumait sa havane:
« à monde merveilleusement réglé ! »
(Un ver qui grossit dans la plaie quâil profane,
de lâhumanitĂ© toujours dans le sangâŠ)
FrĂšre, nâayons plus de ressentiments
ni de rĂȘves chauvins.
Comme moi, tu travailles de tes mains.
Tu laboures la terre. Peut-ĂȘtre, tu Ă©cris.
Il y a des foyers pauvres en dâautres lieux aussi.
Sur ton visage, je comprends sans mots
que tu te réveilles chaque jour trÚs tÎt,
et couches tard chaque soir.
Donne-moi ta main, sors de ton cercueil,
démolissons les historiques abattoirs,
regarde : le soleil sur le seuilâŠ
(traduit du roumain par Elisabeta Isanos)
â
â
Magda Isanos (Cantarea muntilor)
â
La transpiration de lâĂąme
CĂŽtoyer les arbres et leur mĂ©moire, le vent et les tempĂȘtes, les lumiĂšres et les ombres, puis les sons convaincants simplement pour me nourrir.
Je marche sans mesure et sans intention.
Ces errances mâoffrent toujours cette conscience dâexister.
Sans rien attendre, je continue.
Les chemins et les routes me déplaisent.
Câest lĂ -bas, au fond de la forĂȘt que je souhaite dessiner.
Ce dessin, ce grand dessin sera offert au vent, au soleil, Ă lâhiver comme aux parfum des saisons pour plusieurs annĂ©es.
Ce dessin comme une lettre, une missive sans destinataire, déposée là , au milieu des arbres immenses.
De mes errements et de mes hésitations vont surgir des formes des images.
Je ne garderai de ces traces que quelques bonheurs, des signaux, des sentiments profonds.
Les moments les plus riches sont ceux qui mâĂ©chappent, ceux que je dĂ©couvre.
Le dessin et la peinture sont issus de cette transpiration de lâĂąme.
(Charles Belle, le 22 février 2022)
â
â
MBA Besançon (Charles Belle)
â
Le sentier est, peut-ĂȘtre, le premier tĂ©moignage de la place que lâhomme allait prendre dans lâunivers, et, dans les temps les plus reculĂ©s, il Ă©tait probablement riche de significations importantes. Avec lui, lâerrance et le chaos prenaient fin, pour faire place Ă une Ăšre nouvelle, celle de la certitude. De la grotte Ă la riviĂšre, et de la riviĂšre Ă la grotte, une gĂ©nĂ©ration finit par coucher lâherbe, et les suivantes hĂ©ritĂšrent du sentier battu, et le conservĂšrent, comme un trĂ©sor lĂ©guĂ© par les ancĂȘtres. Aujourdâhui encore, au fond des bois dans lesquels le rĂšgne des temps immĂ©moriaux nâa pas Ă©tĂ© troublĂ©, rien nâa autant dâimportance que cette corde poudreuse, la seule capable de chasser des cĆurs lâinquiĂ©tude et la peur de sâĂ©garer.
Pour les premiers hommes, mis brusquement face Ă lâimmensitĂ© et Ă lâĂ©nigme de lâespace, le sentier a dĂ» ĂȘtre plus important que la hache ou que lâarc pour la chasse. Telle une liane infinie, il liait un horizon Ă un autre, permettant aux hommes de sâagripper les uns aux autres, pour ne pas sombrer dans lâinconnu, comme dans un gouffre sans fond.
Ă des Ă©poques totalement oubliĂ©es, un sentier aura signifiĂ© toute une civilisation. Une civilisation pour la conquĂȘte de laquelle de nombreuses gĂ©nĂ©rations dâhommes et de femmes, dont personne ne se rappelle plus lâorigine, nâont cessĂ© de durcir la plante de leurs pieds en parcourant des sols vierges et rudes. MillĂ©naire aprĂšs millĂ©naire, Ăšre aprĂšs Ăšre, des tribus et des peuplades ont parcouru la terre de long en large, guidĂ©es par le soleil et les Ă©toiles, jusquâĂ ce quâelles eussent rĂ©ussi Ă la marquer de lâempreinte de leurs pieds, imprimant en elle les mĂ©ridiens de leur audace et de leur opiniĂątretĂ©.
(traduction Dolores Toma)
â
â
Geo Bogza (Cartea Oltului)
â
je rentre
----------
(grains dâamour
tremblements des vagues)
allez viens ma belle boire un cafeÌ
jusquâaÌ ce que ce vent mordant quitte la ville
allez viens boire ce jus aux copeaux de chocolat
tu es toute glaceÌe et ton foulard est minuscule
les chiens aboient et pourtant
tu dois eÌtre sereine
pendant que les voitures passent
mais elle sâenveloppait encore et encore
dans son petit foulard sans fin
ne te perds pas dedans je lui ai dit
et doucement je lui ai enserreÌ les eÌpaules
et elle a esquisseÌ un sourire doux
comme un coucher de soleil
qui tombe de fatigue
des journaux jaunis volaient dans les rues
et au tournant une paire de chaussures grinçait des dents
ne regarde pas je lui ai dit
le monde est ainsi fait
le cafeÌ nâest plus loin et il y fera chaud
elle a acquiesceÌ de sa main ganteÌe
je te crois je lui ai dit pour la rassurer
allez viens sauter ce fosseÌ
par lequel passaient les grecs et les romains
de la citeÌ dâautrefois
dâun pas leste elle fut de lâautre coÌteÌ
et sur ma rive est resteÌe son odeur
laisse le parfum aÌ dieu et vas-y je me suis dit
il y a encore deux rues aÌ parcourir
comme deux contes de feÌes
voilaÌ on y est le cafeÌ est bondeÌ
on voit comme dans un reÌve la bueÌe
dans laquelle se drapent les gens
tu tâinstalles ma belle et tu mâappelles
quand tu deviens reÌelle
dâici laÌ je rentre sur la terre ferme
dâune neÌbuleuse molle
comme un caramel
(traduit du roumain par Radu Bata)
â
â
Mircea Èuglea
â
Nous mourons pour ne plus mourir
nous mourons pour ne plus mourir
et nous brĂ»lerons tout entiers sur le bĂ»cher de lâensoiffement
devenus corps immolés de mystÚre
nous consumant-en-esprit
pour ĂȘtre vivants toujours
nous mourons vers la vie
ou nous mourons vers la mort
se flétrissent et meurent, je ne chanterai pas
je ne chanterai jamais les feuilles dâautomne
elles qui se flétrissent et meurent
automne des choses
ni le jour
oĂč les Ă©toiles sâeffondreront dans un temps Ă elles
au-dessus de lâabĂźme
ces choses-lĂ ne sont pas celles que jâaimerai
et désirerai pour mon ùme
lâĂ©clat des pierres, ni la louange
ni les vagues
qui sont mortes, demeures des morts
lorsquâune Ăgypte de pierre Ă©lĂšve
dâimmenses sarcophages sans rien de plus prĂ©cieux
que les pas sur les sables
câest une douleur assurĂ©ment
de lâĂ©chec
Comme si le corps qui souffre et pleure
sâil Ă©tait immense, de granite
devenait éternel
comment pourrions-nous nous abuser
quand mĂȘme ceux qui travaillaient dans le dĂ©sert
ne croyaient plus et savaient
savaient quâils bĂątissaient une ruine
dans la volupté de la mort
Ăgypte de la peur
II
mais voilĂ
la Parole qui ne sâest jamais couchĂ©e se montre
aux dĂ©butants sous la figure dâun esclave et dâun pĂšre
Ă ceux qui peuvent la suivre
sur la montagne haute de sa
transfiguration
en vérité et en vie
Quand la parole se montre en nous
tellement illuminante, tellement claire
et Son visage éclate comme le soleil
alors ses vĂȘtements deviennent blancs
et les vĂȘtements sont la parole
de lâĂvangile de la victoire
absolue
sur la mort.
(p. 85 et 87)
â
â
Daniel Turcea (L'Ăpiphanie)
â
...le Roi-Soleil, construisant Versailles et obligeant les nobles Ă le suivre Ă la Cour, les a enfermĂ©s dans une cage toujours plus stricte de cĂ©rĂ©monies et de petits privilĂšges pour les priver, presque sans quâils sâen rendent compte, de leur libertĂ© et mĂȘme, dans la plupart des cas, de la dignitĂ© la plus Ă©lĂ©mentaire. Dans la scĂšne finale, on voit le roi se dĂ©pouiller de tous ses ornements, ses objets de luxe : les habits somptueux nâĂ©taient quâartifice, des instruments pour lui permettre dâaffirmer son pouvoir afin, comme il le dit Ă son ministre, que chacun dans le royaume dĂ©pende pour toute chose du monarque, comme la nature dĂ©pend en toute chose du soleil.
â
â
Giuliano da Empoli (Le Mage du Kremlin)
â
L'honneur que donne l'argent est comme une plante sans racines; certainement celle-ci sÚche quand le soleil ardent s'élÚve ! Mais l'honneur que Jésus-Christ donne à ceux qui croient en Lui, subsiste, et conduit à l'humilité et douceur.
â
â
Bruce Mbanzabugabo
â
LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI)
La disette a tué toute brise de vent.
Le soleil sâest fondu et coulĂ© de partout.
Le ciel est resté vide et brûlant
Les seaux ne tirent des fontaines que de boue.
Sur les bois fréquemment feux, toujours feux
Dansent sauvages, sataniques jeux.
Je poursuis papa en route vers les buttes,
Les chardons, les sapins mâĂ©corchent sĂ©chĂ©s.
Tous les deux commençons la poursuite des chÚvres,
La chasse dâla famine en montagnes de tout prĂšs.
La soif mâaccable. Bouillit sur la pierre
Le fil dâeau filtrĂ© des ruisseaux.
La tempe pĂšse lâĂ©paule, comme si jâerre
Une autre planÚte, immense, étrange, ennuyeux.
Nous restons dans lâendroit oĂč encore retentissent
Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux.
Quand la lune sâĂ©lĂšve et le soleil se couche
Ici viendront Ă la fil sâabreuver
Une par une, les biches.
Je dis Ă papa que jâai soif. Il me fait signe de mâ taire.
Enivrante eau. Comme tu tâagites limpide !
Je suis liĂ© par soif de cette ĂȘtre qui meurt
Ă lâheure fixĂ© par loi et habitude.
La vallée raisonne en bruissements flétris.
Quel affreux crĂ©puscule flotte dans lâunivers !
Le sang Ă lâhorizon. Ma poitrine rouge comme si
Jâai essuyĂ© mes mains sur mon poitrail.
Comme sur autel fougÚres brûlent en flammes violùtres
Et les étoiles frappées parmi celles-ci miroitent.
Hélas ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas
Superbe offrande de mon noble bois !
Elle se monta sautant et sâarrĂȘta
Scrutant les alentours avec de crainte
Ses minces narines faisaient frĂ©mir lâeau
Avec les cercles en cuivre errantes.
Dans ses yeux moites brillait un certain indécis
Je savais quâelle aura mal, quâelle va mourir.
Il me semblait revivre un récit
Avec la biche, jadis une trĂšs belle fille.
Dâen haut, la pĂąle lumiĂšre, lunaire,
Bruinait sur sa fourrure douces fleurs dâcerisier.
Hélas ! comme je voudrais que pour la premiÚre fois
Le coup dâfusil dâpapa va Ă©chouer.
Mais les vallées résonnent. Elle tombe à genoux.
Elle lĂšve sa tĂȘte, la tourne vers les Ă©toiles
La dévala alors, en déclenchant sur eaux
Fuyards tourbillons de perles noires.
Un oiseau bleu bonda dans les rameaux
La vie dâla biche vers lâespace attardĂ©
Vola trĂšs lentement, en cris, comme en automne oiseaux
Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagés.
En chancelant je suis allé pour lui fermer
Ses yeux ombreux comme en engoisse veillés de cornes
Silencieux et blanc jâai tressailli quand lâpĂšre
Me dit de tout son cĆur: âVoilĂ de la viande !â
âJâai soifâ, je dis. Papa mâincite Ă mâabreuver.
Enivrante eau, enveloppé en brume !
Je suis lié par soif de cette biche gaspillée
A lâheure fixĂ©e par loi et par coutumeâŠ
Mais la loi nous est déserte, étrangÚre
Quand la vie en nous trĂšs difficile sâanime
Coutumes, compassions sont toutes désertes
Quand mĂȘme ma sĆur malade est une des victimes.
La carabine dâ papa nâ Ă©mane que de fumĂ©e
HĂ©las ! Sans vent sâempressent les feuillages en foule
Papa prépare un feu tout effrayé
HĂ©las ! comme la forĂȘt se dĂ©nature !
De lâherbe, sans adresse, je prends en mains
Une mince clochette dâun cliquetis argentin .
Papa tire de la broche avec sa main
Le cĆur de la chevreuil et ses chauds reins.
Câest quoi le cĆur ?⊠Jâai faim. Je veux vivre, jâ voudraisâŠ
Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimĂ©eâŠ
Jâai sommeil⊠Comme il est haut le feu ! Et la forĂȘt sauvage !
Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mangeâŠ
1954
(cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
â
â
Nicolae LabiĆ (Poezii (Biblioteca Eminescu) (Romanian Edition))
â
La maladie
Docteur, je sens un mal mortel
Ici, dans la rĂ©gion de mon ĂȘtre.
Tous mes organes me font mal :
Le jour, câest le soleil,
La nuit, ce sont la lune et les étoiles.
Jâai mal Ă ce nuage dans le ciel,
Que je nâai mĂȘme pas remarquĂ©,
Et je mâĂ©veille tous les matins
Avec un goĂ»t dâhiver.
Câest en vain que jâai pris ces remĂšdes :
Jâai haĂŻ, aimĂ©, appris Ă lire
Lu quelques livres,
Causé aux gens, pensé,
ĂtĂ© bon, Ă©tĂ© beau.
Tout cela est resté sans effet, docteur,
Et jâai dĂ©pensĂ© en vain beaucoup dâannĂ©es.
Je crois ĂȘtre tombĂ© malade de la mort
Le jour
OĂč je suis nĂ©.
(Traduction dâAlain Bosquet)
â
â
Marin Sorescu
â
Jâai besoin que lâon me promette presque tout, tant jâai vĂ©cu longtemps, trop longtemps dans lâombre du soleil. Je veux de la lumiĂšre et de la chastetĂ© â et un feu solaire dans les tripes. Je veux la dĂ©ception et la dĂ©sillusion, pour quâil me soit donnĂ© de complĂ©ter le sublime triangle et de ne plus avoir sans cesse Ă quitter la planĂšte pour voler dans lâespace.
â
â
Henry Miller (Tropique du Capricorne / Tropique du Cancer)
â
Je ne te laisserai plus jamais tomber. Je veux ĂȘtre prĂ©sente pour toi chaque seconde et je veux que chaque seconde passĂ©e ensemble compte. Je veux me gorger de tes rires et essuyer tes larmes. [...] Je ne pourrais plus vivre sans toi : tu es mon soleil et mon espoir, ma principale raison de me battre. Un fait ne changera jamais... L'amour absolu que j'Ă©prouve pour toi. Je t'aime, Aube. C'est la seule chose immortelle chez moi. Personne ne me l'enlĂšvera, pas mĂȘme la Mort.
â
â
Anna Triss (La Guerre céleste, Partie 1 (La Guilde des ombres #3A))
â
CâĂ©tait lâivresse de trancher, dâun seul coup, tous les liens : rupture brutale et volontaire avec la discipline quâon vous impose, le pensionnat, vos maĂźtres, vos camarades de classe. DĂ©sormais, vous nâaurez plus rien Ă faire avec ces gens-lĂ Â ; rupture avec vos parents qui nâont pas su vous aimer et dont vous vous dites quâil nây a aucun recours Ă espĂ©rer dâeux ; sentiment de rĂ©volte et de solitude portĂ© Ă son incandescence et qui vous coupe le souffle et vous met en Ă©tat dâapesanteur. Sans doute lâune des rares occasions de ma vie oĂč jâai Ă©tĂ© vraiment moi-mĂȘme et oĂč jâai marchĂ© Ă mon pas.
Cette extase ne peut durer longtemps. Elle nâa aucun avenir. Vous ĂȘtes trĂšs vite brisĂ© net dans votre Ă©lan.
La fugue â paraĂźt-il â est un appel au secours et quelquefois une forme de suicide. Vous Ă©prouvez quand mĂȘme un bref sentiment dâĂ©ternitĂ©. Vous nâavez pas seulement tranchĂ© les liens avec le monde, mais aussi avec le temps. Et il arrive quâĂ la fin dâune matinĂ©e, le ciel soit dâun bleu lĂ©ger et que rien ne pĂšse plus sur vous. Les aiguilles de lâhorloge du jardin des Tuileries sont immobiles pour toujours. Une fourmi nâen finit pas de traverser la tache de soleil.Â
â
â
Patrick Modiano (Dora Bruder)
â
Mon peuple fantĂŽme (poĂšme d'Ilarie Voronca)
Entre mer et terre. Entre pierres et ciel.
Avec le pain jaune de la route. Avec le vin rouillĂ© de la forĂȘt
VoilĂ mon ouvrage accompli. Et les outils de travail
Sont devenus des instruments de musique.
Câest ainsi
QuâĂ travers la flamme de la mĂ©moire les objets se changent en paroles.
Sur le promontoire, ici, dernier vestige de lâhomme. Rencontre.
Le vent jette dans lâĂ©cume ses Ă©pĂ©es dâeaux.
Solitude coupée géométriquement par les oiseaux
Quâici donc les visages de la vie se montrent.
Le soleil tombĂ© dans mon Ćil salĂ©. Face
Aux algues chevelues et aux cortĂšges de poissons
Mon visage fĂȘlĂ© par le vent comme le bord dâune tasse,
Sur mes lÚvres serrées : aube ou crépuscule comme un son.
Sans filets, sans armes
De chasse. Collé aux rochers. Vers le Sud
Les aigles dâĂ©cumes. Seul avec mon travail accompli entre terre et larmes.
Les cannes Ă pĂȘche sont devenues des harpes. Les fusils des flĂ»tes.
Mais le cĆur est la barque Ă©ternelle dâUlysse
Qui touche dans son rĂȘve tant dâĂźles,
Dans les veines, de nouveaux archipels surgissent,
Une parole, un rire, font naĂźtre une ville.
LĂ sur le promontoire jâattendais ces passages
DâĂźles : oiseaux Ă©tranges jaillis dâentre les cordes
Je te reconnaĂźtrai fantĂŽme entre ces bĂąches
Des terres nomades. Là prÚs du Peuple étranger dont la patrie est morte
Est ma place. LĂ sur lâIle fantĂŽme
Je viendrai avec mes instruments de musique. Avec ma journée accomplie.
Temps dâexil ? Non. Fuite Ă travers les glaciers du sommeil ? Non.
Le ver de la souffrance tordu dans la pomme de cette blessure.
Mais jusquâalors : sans armes, sans outils, sur cette
Pierre : extrĂȘme limite du continent
Entre rochers et flots qui rejettent
Le lait blanc de lâĂ©cume jusquâĂ ma faim, jusquâau vent,
Ici. Loin de lâhomme implacable. Loin
Des distributeurs de terre. Sans retour. Sans fuite.
La voix oubliée en moi comme une lettre dans un livre
Jâattends mon peuple fantĂŽme, mon Ăźle-fantĂŽme.
â
â
Ilarie Voronca
â
Dâune prison Ă lâautre, le mitard se prĂ©sentait diffĂ©remment. Celui de Ghencea Ă©tait une simple et redoutable guĂ©rite : surchauffĂ©e en Ă©tĂ©, parce que en plein soleil (une fois, ils y ont entassĂ© dix ou douze tsiganes : la guĂ©rite a fini par tomber, et les femmes y sont restĂ©es ainsi, couchĂ©es en sandwich, une journĂ©e entiĂšre...), elle se transformait, lâhiver, en congĂ©lateur. Debout, Ă trois, nous y Ă©tions Ă lâaise, mais nous ne pouvions nous asseoir que deux par deux. De toute façon, il faisait beaucoup trop froid, nous ne pouvions pas rester sans bouger. Au-dessus de nous, un mirador.
â
â
Oana Orlea (Les années volées: Dans le goulag roumain à 16 ans (French Edition))