â
Cette qualitĂ© de la joie nâest-elle pas le fruit le plus prĂ©cieux de la civilisation qui est nĂŽtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matĂ©riels. Mais nous ne sommes pas un bĂ©tail Ă lâengrais. La prospĂ©ritĂ© et le confort ne sauraient suffire Ă nous combler. Pour nous qui fĂ»mes Ă©levĂ©s dans le culte du respect de lâhomme, pĂšsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fĂȘtes merveilleusesâŠ
Respect de lâhomme ! Respect de lâhomme !⊠LĂ est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-mĂȘme ; il refuse les contradictions crĂ©atrices, ruine tout espoir dâascension, et fonde pour mille ans, en place dâun homme, le robot dâune termitiĂšre. Lâordre pour lâordre chĂątre lâhomme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-mĂȘme. La vie crĂ©e lâordre, mais lâordre ne crĂ©e pas la vie.
Il nous semble, Ă nous, bien au contraire, que notre ascension nâest pas achevĂ©e, que la vĂ©ritĂ© de demain se nourrit de lâerreur dâhier, et que les contradictions Ă surmonter sont le terreau mĂȘme de notre croissance. Nous reconnaissons comme nĂŽtres ceux mĂȘmes qui diffĂšrent de nous. Mais quelle Ă©trange parentĂ©Â ! elle se fonde sur lâavenir, non sur le passĂ©. Sur le but, non sur lâorigine. Nous sommes lâun pour lâautre des pĂšlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le mĂȘme rendez-vous.
Mais voici quâaujourdâhui le respect de lâhomme, condition de notre ascension, est en pĂ©ril. Les craquements du monde moderne nous ont engagĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. Les problĂšmes sont incohĂ©rents, les solutions contradictoires. La vĂ©ritĂ© dâhier est morte, celle de demain est encore Ă bĂątir. Aucune synthĂšse valable nâest entrevue, et chacun dâentre nous ne dĂ©tient quâune parcelle de la vĂ©ritĂ©. Faute dâĂ©vidence qui les impose, les religions politiques font appel Ă la violence. Et voici quâĂ nous diviser sur les mĂ©thodes, nous risquons de ne plus reconnaĂźtre que nous nous hĂątons vers le mĂȘme but.
Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction dâune Ă©toile, sâil se laisse trop absorber par ses problĂšmes dâescalade, risque dâoublier quelle Ă©toile le guide. Sâil nâagit plus que pour agir, il nâira nulle part. La chaisiĂšre de cathĂ©drale, Ă se prĂ©occuper trop Ăąprement de la location de ses chaises, risque dâoublier quâelle sert un dieu. Ainsi, Ă mâenfermer dans quelque passion partisane, je risque dâoublier quâune politique nâa de sens quâĂ condition dâĂȘtre au service dâune Ă©vidence spirituelle. Nous avons goĂ»tĂ©, aux heures de miracle, une certaine qualitĂ© des relations humaines : lĂ est pour nous la vĂ©ritĂ©.
Quelle que soit lâurgence de lâaction, il nous est interdit dâoublier, faute de quoi cette action demeurera stĂ©rile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de lâhomme. Pourquoi nous haĂŻrions-nous Ă lâintĂ©rieur dâun mĂȘme camp ? Aucun dâentre nous ne dĂ©tient le monopole de la puretĂ© dâintention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route quâun autre a choisie. Je puis critiquer les dĂ©marches de sa raison. Les dĂ©marches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de lâEsprit, sâil peine vers la mĂȘme Ă©toile.
Respect de lâHomme ! Respect de lâHomme !⊠Si le respect de lâhomme est fondĂ© dans le cĆur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le systĂšme social, politique ou Ă©conomique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde dâabord dans la substance. Elle est dâabord, dans lâhomme, dĂ©sir aveugle dâune certaine chaleur. Lâhomme ensuite, dâerreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
â
â