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Il faut que je vous écrive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre d’une pauvre auberge de village, où je me suis réfugié contre le mauvais temps. Dans ce triste gîte de D., où je me traîne au milieu d’une foule étrangère, tout à fait étrangère à mes sentiments, je n’ai pas eu un moment, pas un seul, où le cœur in’ait dit de vous écrire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grêle se déchaînent contre ma petite fenêtre, ici, vous avez été ma première pensée. Dès que je fus entré, votre image, ô Charlotte, votre pensée m’a saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, c’est le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon âme se dessèche ! Pas un moment où le cœur soit plein ! pas une heure fortunée ! rien, rien ! Je suis là comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce n’est pas une illusion d’optique. Je m’en amuse, ou plutôt on s’amuse de moi comme d’une ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet d’aller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je m’oublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lève, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne l’ai plus ; le charme qui me tenait éveillé dans les nuits profondes s’est évanoui ; l’enchantement qui, le matin, m’arrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je n’ai trouvé ici qu’une femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ô Charlotte, si l’on peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilà qui fait de jolis compliments ! » Cela n’est pas tout à fait imaginaire : depuis quelque temps je suis très-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; j’ai beaucoup d’esprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finement…. «Ni mentir, ajouterez-vous, car l’un ne va pas sans l’autre, entendez-vous ?… » Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup d’âme, on le voit d’abord à la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est à charge ; il ne satisfait aucun des vœux de son cœur. Elle aspire à sortir de ce tumulte, et nous rêvons, des heures entières, au mijieu de scènes champêtres, un bonheur sans mélange ; hélas ! nous rêvons à vous, Charlotte ! Que de fois n’est-elle pas obligée de vous rendre hommage !… Non pas obligée : elle le fait de bon gré ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si j’étais assis à vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrée éblouissante de neige ; l’orage est passé ; et moi…. il faut que je rentre dans ma cage…. Adieu. Albert est-il auprès de vous ? Et comment ?… Dieu veuille me pardonner cette question !
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