Mon Homme Quotes

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Je n'ai pas besoin d'être réconcilié avec Dieu, mon conflit est avec les hommes.
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Charlie Chaplin
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Ă´ mon corps, fait toujours de moi un homme qui s'interroge.
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Frantz Fanon (Black Skin, White Masks)
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J'ai connu et je connais encore, dans ma vie, des bonheurs inouïs. Depuis mon enfance, par exemple, j'ai toujours aimé les concombres salés, pas les cornichons, mais les concombres, les vrais, les seuls et uniques, ceux qu'on appelle concombres à la russe. J'en ai toujours trouvé partout. Souvent, je m'en achète une livre, je m'installe quelque part au soleil, au bord de la mer, ou n'importe où, sur un trottoir ou sur un banc, je mords dans mon concombre et me voilà complètement heureux. Je reste là, au soleil, le cœur apaisé, en regardant les choses et les hommes d'un œil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu'on aime avec un abandon total de soi.
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Je ne peux être juste pour les livres qui traitent de la femme en tant que femme... Mon idée c'est que tous, aussi bien hommes que femmes, qui que nous sayons, nous devons être considérés comme d'êtres humaines.
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Dorothy Parker
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Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
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Alfred de Musset (On ne badine pas avec l'amour)
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Adieu, dit-il… - Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux. - L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir. - C’est le temps que tu a perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. - C’est le temps que j’ai perdu pour ma rose… fit le petit prince, afin de se souvenir. - Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose… - Je suis responsable de ma rose… répéta le petit prince, afin de se souvenir.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute. Si donc, je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute. Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est surement beaucoup dire, il n'est pas étonnant que l'un ait fini en même temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute. Il suit de là, que depuis quelque temps je t'ai trompée: mais aussi ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute. Aujourd'hui, une femme que j'aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute. Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure: mais si la Nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute. Crois-moi, choisis un autre amant, comme j'ai fait une maîtresse. Ce conseil est bon, très bon; si tu le trouve mauvais, ce n'est pas ma faute. Adieu, mon ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regrets: je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses)
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En politique, mon cher, vous le savez comme moi, il n'y a pas d'hommes, mais des idées ; pas de sentiments, mais des intérêts ; en politique, on ne tue pas un homme : on supprime un obstacle, voilà tout.
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Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo)
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Mon cher, je haïs les hommes pour ne pas les mépriser car autrement la vie serait une farce trop dégoûtante.
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Mikhail Lermontov (A Hero of Our Time)
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-Mon cher jeune homme, dit Aglaé en souriant, j'ai été professeur de chimie et je vous ferai remarquer qu'il peut y avoir des réactions en chaîne, qui partent très doucement et, s'alimentant elles-mêmes, peuvent se terminer de façon violente.
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Boris Vian (L'Herbe rouge)
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Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches! Car mon rêve impossible a pris corps et je l’ai Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé Voyageur qui de l’Homme évite les approches, - Sonnez grelots; sonnez, clochettes, sonnez, cloches! Le Bonheur a marché côte à côte avec moi; Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve : Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve, Et le remords est dans l’amour : telle est la loi. - Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.
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Paul Verlaine (Poèmes saturniens)
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Je parle espagnol à Dieu, italien aux femmes, français aux hommes et allemand à mon cheval.
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Charles Quint
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...et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse.
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Aimé Césaire (Cahier, Discours sur le colonialisme: Aimé Césaire)
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Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine: l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont; les livres, avec les erreurs particulières de perspective qui naissent entre leurs lignes.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Ma vision de l'amour n'a pas changé, mais ma vision du monde, oui. C'est super agréable d'être lesbienne. Je me sens moins concernée par la féminité, par l'approbation des hommes, par tous ces trucs qu'on s'impose pour eux. Et je me sens aussi moins préoccupée par mon âge : c'est plus dur de vieillir quand on est hétéro. La séduction existe entre filles, mais elle est plus cool, on n'est pas déchue à 40 ans.
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Virginie Despentes
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Tant que mes jambes me permettent de fuir, tant que mes bras me permettent de combattre, tant que l'expérience que j'ai du monde me permet de savoir ce que je peux craindre ou désirer, nulle crainte : je puis agir. Mais lorsque le monde des hommes me contraint à observer ses lois, lorsque mon désir brise son front contre le monde des interdits, lorsque mes mains et mes jambes se trouvent emprisonnées dans les fers implacables des préjugés et des cultures, alors je frissonne, je gémis et je pleure. Espace, je t'ai perdu et je rentre en moi-même. Je m'enferme au faite de mon clocher où, la tête dans les nuages, je fabrique l'art, la science et la folie.
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Henri Laborit (Éloge de la fuite)
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Je fus encore une fois surprise par la vue de mon visage dans la glace: il n'avait rien à voir avec mes décombres. Ce n'était pas un visage de vaincu. Marqué par la fatigue, mais au fond des yeux il restait encore quelque chose. Je ne dis pas : quelque chose d'invincible. Et pourtant, peut-être y a-t-il invincibilité. Les hommes oublient toujours que ce qu'ils vivent n'est pas mortel.
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Romain Gary (Clair de femme)
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Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Étrange Pays dans mon pays lui-même)
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Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorguiellir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptices du monde; et vous, Seigneur mon Dieu! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.
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Rainer Maria Rilke (The Notebooks of Malte Laurids Brigge)
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Avoir commis, pour te posséder, rapt, violence et adultère, et, pour te conserver, hésiter devant un nouveau crime ?... perdre mon âme pour si peu ? Satan en rirait ; tu es folle ... Non ... non, tu es à moi comme l'homme est au malheur ....
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Alexandre Dumas (Antony: Drame en cinq actes)
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Avec mon mari, autrefois, je me sentais une fille du peuple, avec lui j’étais une bourge.
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Annie Ernaux (Le jeune homme)
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Je n'ai connu aucune distinction entre parents et inconnus, entre compatriotes et étrangers, entre blancs et hommes de couleur, entre hindous et Indiens appartenant à d'autres confessions, qu'ils soient musulmans, Parsis, chrétiens ou juifs. Je peux dire que mon coeur a été incapable défaire de telles distinctions
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Mahatma Gandhi (Non-Violent Resistance (Satyagraha))
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«Vivez donc et soyez heureux, enfants chéris de mon cœur, et n'oubliez jamais que, jusqu'au jour où Dieu daignera dévoiler l'avenir à l'homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots: «Attendre et espérer!
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Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo)
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je finirai bien par te rencontrer quelque part bon dieu! et contre tout ce qui me rend absent et douloureux par le mince regard qui me reste au fond du froid j'affirme ô mon amour que tu existes je corrige notre vie nous n'irons plus mourir de langueur à des milles de distance dans nos rêves bourrasques des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres les épaules baignées de vols de mouettes non j'irai te chercher nous vivrons sur la terre la détresse n'est pas incurable qui fait de moi une épave de dérision, un ballon d'indécence un pitre aux larmes d'étincelles et de lésions profondes frappe l'air et le feu de mes soifs coule-moi dans tes mains de ciel de soie la tête la première pour ne plus revenir
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Gaston Miron (L'Homme rapaillé)
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Mais surtout, surtout Jonathan, un matin où passait le facteur, un petit matin gros et froid, un matin où il ouvrait sa grande sacoche jaune et pleine; soufflant de la buée en cherchant le courrier, j'ai ressenti un frisson qui a couru tout mon corps et m'a effarée. Un frisson qui m'a gelée sur place, un frisson qui s'est transformé en éclair et m'a foudroyé la nuque : j'ai compris que j'attendais vos lettres, j'attendais vos mots, j'attendais vos descriptions d'auberges, de routes, de famille française, de soupe au chou... J'étais en train de vous attendre. J'allais donc souffrir de vous. Et je ne veux plus souffrir Jonathan. En ce mois de décembre, j'ai couru à Paris, j'ai couru dans Fécamps, j'ai couru dans ma maison, j'ai couru dans la librairie pour me sauver de vous, vous abandonner sur vos petites routes aux arbres secs et noirs. J'avais peur
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Katherine Pancol (Un homme Ă  distance)
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je dis civilisé le peuple qui compose ses danses, malgré qu'il ne soit pour les danses ni récolte ni greniers. Alors que je dis brut le peuple qui aligne sur ses étagères des objets, fussent-ils les plus fins, nés du travail d'autrui, même s'il se montre capable de s'enivrer de leur perfection. "L'homme, disait mon père, c'est d'abord celui qui crée. Et seuls sont frères les hommes qui collaborent. Et seuls vivent ceux qui n'ont point trouvé leur paix dans les provisions qu'ils avaient faites." (chapitre IX)
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Antoine de Saint-Exupéry (Citadelle)
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J'avais deux raisons de respecter mon instituteur : il me voulait du bien, il avait l'haleine forte. Les grandes personnes doivent être laides, ridées, incommodes; quand elles me prenaient dans leurs bras, il ne me déplaisait pas d'avoir un léger dégoût à surmonter : c'était la preuve que la vertu n'était pas facile. Il y avait des joies simples, triviales : courir, sauter, manger des gâteaux, embrasser la peau douce et parfumée de ma mère; mais j'attachais plus de prix aux plaisirs studieux et mêlés que j'éprouvais dans la compagnie des hommes mûrs : la répulsion qu'ils m'inspiraient faisait partie de leur prestige ; je confondais le dégoût avec l'esprit de sérieux. J'étais snob.
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Jean-Paul Sartre (The Words: The Autobiography of Jean-Paul Sartre)
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Il est sans intérêt à mon sens de discuter sur "our way of life" ou sur celle des Russes. Dans les deux cas, un ensemble de traditions et de coutumes ne constitue pas un ensemble très structuré. Il est beaucoup plus intelligent de s'interroger pour connaître les institutions et les traditions utiles ou nuisibles aux hommes, bénéfiques ou maléfiques pour leur destin. Il faut alors tenter d'utiliser ainsi le meilleur désormais reconnu, sans se préoccuper de savoir si on le réalise actuellement chez nous ou ailleurs.
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Albert Einstein (The World As I See It)
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Partout, j'ai vu, j'ai compris que peu importe l'origine, la valeur d'un homme ne réside pas dans la couleur de sa peau, mais dans la pureté de son âme.
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Jérémy Marie (Mon tour du monde en 1980 jours)
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Nous sommes de la poussière d'étoile ... Nous sommes la mémoire du monde.
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Soeur Emmanuelle (Mon testament spirituel)
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Tous les hommes honnêtes sont dangereux. Seules, les canailles sont inoffensives... Parce que les canailles n’agissent que par intérêt, c’est-à-dire petitement.
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Robert Merle (La mort est mon métier)
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Malheureusement, en un sens, les religions divisent les hommes. On est persuadé que sa religion contient la vérité du monde et que les autres sont dans l'erreur. C'est absolument faux
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Soeur Emmanuelle (Mon testament spirituel)
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« Si un homme blanc veut me lyncher, c'est son problème. S'il a le pouvoir de me lyncher, c'est mon problème. Le racisme n'est pas une question d'attitude, c'est une question de pouvoir »
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Stokely Carmichael
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Ce n'est pas pour cracher dans la soupe, mais il faut être honnête: non, mon amoureux n'est pas parfait. Il ne me viole pas et ne me frappe pas, il fait la vaisselle, passe l'aspirateur et me traite avec le respect que je mérite. C'est ça, être parfait? Ou bien est-ce la moindre des choses? Les standards sont-ils tellement bas que les hommes peuvent s'en tirer à si bon compte?
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Pauline Harmange (Moi les hommes, je les déteste)
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[...] cette année, l'anecdote amusante, il y a eu ce lecteur émerveillé qui est venu me couvrir d'éloges parce qu'il me confondait avec mon oncle! L'illustre historien et penseur. Je n'ai pas eu le cœur de lui dire qu'il se trompait de bonhomme. Il est reparti ébloui d'avoir pu bavarder quelque instants avec le grand homme [...] - Chronique Medi1 Radio - "Le Maghreb des Livres" 09/02/2015
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Fouad Laroui
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Aux lecteurs: Amis lecteurs, qui ce livre lisez, Despouillez vous de toute affection; Et, le lisant, ne vous scandalisez: Il ne contient mal ne infection; Vray est qu'icy peu de perfection Vous apprendrez, si non en cas de rire; Aultre argument ne peut mon cueur elire, Voyant le dueil qui vous mine et consomme Mieulx est de risque de larmes escripre, Pour ce que rire est le propre de l'homme.
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François Rabelais (Gargantua and Pantagruel)
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Je suis vivant. Et pendant que je mange, je ne fais rien d'autre que manger. Quand je marcherai, je marcherai, c'est tout. Et s'il faut un jour me battre, n'importe quel jour en vaut un autre pour mourir. Parce que je ne vis ni dans mon passé ni dans mon avenir. Je n'ai que le présent, et c'est lui seul qui m'intéresse. Si tu peux demeurer toujours dans le présent, alors tu seras un homme heureux.
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Paulo Coelho (The Alchemist)
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Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. Monarchie ou république, basées sur la démocratie, sont également absurdes et faibles. ----------------- Il n'existe que trois êtres respectables: Le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions.
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Charles Baudelaire (Mon cœur mis à nu)
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Je cherchais une âme qui et me ressemblât, et je ne pouvais pas la trouver. Je fouillais tous les recoins de la terre; ma persévérance était inutile. Cependant, je ne pouvais pas rester seul. Il fallait quelqu’un qui approuvât mon caractère; il fallait quelqu’un qui eût les mêmes idées que moi. C’était le matin; le soleil se leva à l’horizon, dans toute sa magnificence, et voilà qu’à mes yeux se lève aussi un jeune homme, dont la présence engendrait les fleurs sur son passage. Il s’approcha de moi, et, me tendant la main: "Je suis venu vers toi, toi, qui me cherches. Bénissons ce jour heureux." Mais, moi: "Va-t’en; je ne t’ai pas appelé: je n’ai pas besoin de ton amitié." C’était le soir; la nuit commençait à étendre la noirceur de son voile sur la nature. Une belle femme, que je ne faisais que distinguer, étendait aussi sur moi son influence enchanteresse, et me regardait avec compassion; cependant, elle n’osait me parler. Je dis: "Approche-toi de moi, afin que je distingue nettement les traits de ton visage; car, la lumière des étoiles n’est pas assez forte, pour les éclairer à cette distance." Alors, avec une démarche modeste, et les yeux baissés, elle foula l’herbe du gazon, en se dirigeant de mon côté. Dès que je la vis: "Je vois que la bonté et la justice ont fait résidence dans ton coeur: nous ne pourrions pas vivre ensemble. Maintenant, tu admires ma beauté, qui a bouleversé plus d’une; mais, tôt ou tard, tu te repentirais de m’avoir consacré ton amour; car, tu ne connais pas mon âme. Non que je te sois jamais infidèle: celle qui se livre à moi avec tant d’abandon et de confiance, avec autant de confiance et d’abandon, je me livre à elle; mais, mets-le dans ta tête, pour ne jamais l’oublier: les loups et les agneaux ne se regardent pas avec des yeux doux." Que me fallait-il donc, à moi, qui rejetais, avec tant de dégoût, ce qu’il y avait de plus beau dans l’humanité!
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Et que faudrait-il faire ? Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce, Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ? Non, merci ! Dédier, comme tous ils le font, Des vers aux financiers ? se changer en bouffon Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre, Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? Non, merci ! Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ? Avoir un ventre usé par la marche ? une peau Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ? Exécuter des tours de souplesse dorsale ?... Non, merci ! D'une main flatter la chèvre au cou Cependant que, de l'autre, on arrose le chou, Et donneur de séné par désir de rhubarbe, Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci ! Se pousser de giron en giron, Devenir un petit grand homme dans un rond, Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci ! S'aller faire nommer pape par les conciles Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ? Non, merci ! Travailler à se construire un nom Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non, Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ? Être terrorisé par de vagues gazettes, Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je sois Dans les petits papiers du Mercure François" ?... Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême, Préférer faire une visite qu'un poème, Rédiger des placets, se faire présenter ? Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter, Rêver, rire, passer, être seul, être libre, Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers, Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers ! Travailler sans souci de gloire ou de fortune, À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît, Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit, Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, Ne pas être obligé d'en rien rendre à César, Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite, Bref, dédaignant d'être le lierre parasite, Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul, Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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J’ai toujours pensé que l’homme naît avec des goûts absolus et avec tous les germes de son caractère futur ; son but est précisément de réaliser son caractère. Tout le mal vient de ce que les circonstances mettent parfois des obstacles à cette réalisation. Je passais en revue toutes mes mauvaises actions, tous les actes qui autrefois troublaient ma conscience, et je pus constater que tous provenaient du désaccord entre mon caractère et la vie que j’ai menée.
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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Mon cher ami, pour moi un homme amoureux est rayé du nombre des vivants. Il devient idiot, pas seulement idiot, mais dangereux. Je cesse, avec les gens qui m'aiment d'amour, ou qui le prétendent, toute relation intime, parce qu'ils m'ennuient d'abord, et puis parce qu'ils me sont suspects comme un chien enragé qui peut avoir une crise. Je les mets donc en quarantaine morale jusqu'à ce que leur maladie soit passée. Ne l'oubliez point. Je sais bien que chez vous l'amour n'est autre chose qu'une espèce d'appétit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une espèce de... de... de communion des âmes qui n'entre pas dans la religion des hommes. Vous en comprenez la lettre, et moi l'esprit.
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Guy de Maupassant (Bel-Ami)
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Toute ma vie, j'ai été habitué à ce que les autres se trompent sur mon compte. C'est le lot de tout homme public. Il lui faut une solide cuirasse; car s'il fallait donner des explications pour se justifier quand on se méprend sur vos intentions, la vie deviendrait insupportable. Je me suis fait une règle de ne jamais intervenir pour rectifier ce genre d'erreur, à moins que ne l'exige la cause que je défends. Ce principe m'a épargné bien du temps et bien des tracas.
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Mahatma Gandhi (Non-Violent Resistance (Satyagraha))
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« Et ces sauvages ? me demanda Conseil. N'en déplaise à monsieur, ils ne me semblent pas très méchants ! -- Ce sont pourtant des anthropophages, mon garçon. -- On peut être anthropophage et brave homme, répondit Conseil, comme on peut être gourmand et honnête. L'un n'exclut pas l'autre. -- Bon ! Conseil, je t'accorde que ce sont d'honnêtes anthropophages, et qu'ils dévorent honnêtement leurs prisonniers. Cependant, comme je ne tiens pas à être dévoré, même honnêtement, je me tiendrai sur mes gardes... »
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Jules Verne (VINGT MILLE LIEUES SOUS LES MERS (2))
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Oh ! qu'on m'aille donc, au lieu de cela, chercher quelque jeune vicaire, quelque vieux curé, au hasard, dans la première paroisse venue, qu'on le prenne au coin de son feu, lisant son livre et ne s'attendant à rien, et qu'on lui dise : – Il y a un homme qui va mourir, et il faut que ce soit vous qui le consoliez. Il faut que vous soyez là quand on lui liera les mains, là quand on lui coupera les cheveux; que vous montiez dans sa charrette avec votre crucifix pour lui cacher le bourreau; que vous soyez cahoté avec lui par le pavé jusqu'à la Grève : que vous traversiez avec lui l'horrible foule buveuse de sang; que vous l'embrassiez au pied de l'échafaud, et que vous restiez jusqu'à ce que la tête soit ici et le corps là. Alors, qu'on me l'amène, tout palpitant, tout frissonnant de la tête aux pieds; qu'on me jette entre ses bras, à ses genoux; et il pleurera, et nous pleurerons, et il sera éloquent, et je serais consolé, et mon cœur se dégonflera dans le sien, et il prendra mon âme, et je prendrais son Dieu.
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Victor Hugo (The Last Day of a Condemned Man)
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Chers Amis, Ce que vous avez pris pour mes oeuvres n’était que les déchets de moi-même, ces raclures de l’âme que l’homme normal n’accueille pas. Que mon mal depuis lors ait reculé ou avancé, la question pour moi n’est pas là, elle est dans la douleur et la sidération persistante de mon esprit. Me voici de retour à M..., où j’ai retrouvé la sensation d’engourdissement et de vertige, ce besoin brusque et fou de sommeil, cette perte soudaine de mes forces avec un sentiment de vaste douleur, d’abrutissement instantané.
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Antonin Artaud (L'Ombilic des Limbes: suivi de Le Pèse-nerfs et autres textes)
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Je disais que le monde est absurde et j'allais trop vite. ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on en peut dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. L'absurde dépend autant de l'homme que du monde. Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme la haine seule peut river les êtres. C'est tout ce que je puis discerner clairement dans cet univers sans mesure où mon aventure se poursuit.
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Albert Camus (The Myth of Sisyphus)
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« Un homme très croyant priait chaque jour son Dieu, puis un jour il perdit beaucoup d’argent et se mit à prier Dieu pour gagner au loto… Au bout de nombreuses années, l’homme mourut et comme il était un croyant rempli de ferveur, il rencontra Dieu. Il lui dit alors : “Dieu, pourquoi ne m’as-tu pas aidé pour gagner au loto au moment où j’en avais le plus besoin alors que je t’ai toujours servi avec ferveur ?” Et Dieu lui répondit : “Mon fils je n’aurais pas demandé mieux que de t’aider mais encore eut-il fallu que tu achètes un billet du loto.” »
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Anne Meurois-Givaudan (Petit manuel pour un grand passage)
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Et à présent, faites le calcul, dit le professeur Wagner. — En travaillant avec mes deux hémisphères cérébraux, je double ma production. En travaillait vingt-quatre heures au lieu de huit, je triple mon temps de travail. Cela signifie que je travaille pour six, et, de plus, sans aucun dommage pour la santé. Par conséquent, pour trente ans de travail dans sa vie, un homme sera en mesure d’effectuer le travail de cent quatre-vingt années. Pour le dire encore autrement, à chaque demi-siècle, l’humanité avancera autant sur la route du progrès qu’en trois siècles !!
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Alexandre BeliaĂŻev (L'homme qui ne dormait pas)
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- Je m'en vais, me susurra Swann. Et, ce soir, demain et les jours d'après peut-être, quand tu mettras un homme ou deux dans ton lit pour essayer de te convaincre que ce qu'on a partagé n'est pas si différent, dis-toi qu'ils n'auront jamais aucune importance. Alors que moi... écoute bien ça, Dorian, où que tu croies t'être réfugié... moi, j'en ai. Que tu le veuilles ou non et quoique tu me caches encore, quoique tu refuses d'avouer, quels que soient les tourments dans lesquels tu plonges trop souvent, je compte et tu le sais.. Alors mens-toi encore un peu si tu en as besoin. Mens-toi, mon cœur.
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Lily Haime (Ainsi battent les cœurs amoureux)
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Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n'aurais aucun droit, ni aucune raison, d'essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moment, ou j'aurais pu l'être. Entre autrui et moi, les différences que j'aperçois sont trop négligeables pour compter dans l'addition finale. Je m'efforce donc que mon attitude soit aussi éloignée de la froide supériorité du philosophe que l'arrogance du César.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Il paraît qu'à soixante-dix ans, c'est le meilleur souvenir qu'il vous reste. Le sexe. C'est ma grand-mère qui m'a dit ça. Elle m'a dit, tu sais quand on a mon âge, les plus beaux souvenirs qu'il vous reste ce sont les nuits d'amour. C'est ses mots à elle, mais je sais bien ce que ça veut dire. Ça veut dire qu'il n'y a rien de tel, après avoir bien pris son pied, que de se coller contre un homme en lui tenant la bite encore toute chaude comme un petit écureuil endormi. Tricote-toi des souvenirs, elle me dit, ma grand-mère, alors moi, je fais comme elle me dit et je me tricote des souvenirs pour me faire des pulls et des pulls pour quand je serai vieille et que j'aurai toujours froid. Parce que les vieux, ils ont toujours froid. Ils ont froid de ne plus pouvoir vivre les choses. C'est ça, qui donne froid, c'est de plus pouvoir s'assouvir, de plus pouvoir se donner à fond à ce qu'on a envie de vivre.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Mon cher enfant, aucune femme n’est géniale. Les femmes sont un sexe décoratif. Elles n’ont jamais rien à dire, mais elles le disent d’une façon charmante. Les femmes représentent le triomphe de la matière sur l’intelligence, de même que les hommes représentent le triomphe de l’intelligence sur les mœurs.
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Oscar Wilde (Le Portrait de Dorian Gray (French Edition))
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Je te dois un aveu. Je n’ai jamais pu comprendre comment on peut aimer son prochain. C’est précisément, à mon avis, le prochain qu’on ne peut aimer .. Les êtres éloignés, le lointain, soit ; mais le prochain !... On ne peut aimer qu’un homme caché, invisible. Dès qu’il montre son visage, l’amour disparaît.
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Fyodor Dostoevsky (The Brothers Karamazov)
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Ces sculptures-là, l'homme qui les a faites, il aimait ce qu'il faisait. Moi, ici, j'ai toujours été contre ce qui est destruction. Les curés, bien sûr, je ne suis pas d'accord ; les églises, j'ai rien contre. Moi, j'ai mon idée, je trouve qu'on devrait en faire des théâtres : c'est riche, on entend bien....
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André Malraux (L'Espoir)
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Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, était mon Contesseur. Aussitôt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes. Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vérité quelle idée j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entièrement rempli; la crainte de me trahir m'empêchait de m'éclairer : mais le bon Père me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait être extrême; et au désir de le connaitre succéda celui de le goûter.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses)
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Fusil braqué, le milicien franchit le seuil à sa suite, se baissa sans le quitter des yeux pour ramasser le poignard... ...et s'écroula dans une explosion de viande, de sauce et de riz. Bétina, tapie derrière la porte, lui avait fracassé sur le crâne la lourde marmite en fonte contenant le repas de Barthélemy. L'homme poussa un bref grognement et ne bougea plus. En le découvrant étendu à ses pieds, Bétina se plaqua les mains sur la bouche, le visage horrifié. - Il n'est pas mort, la rassura Natan. Il est juste... - Mon cari vanille, gémit Bétina. Il cuisait depuis l'aube ! Natan leva les yeux au ciel et se glissa dans la dernière pièce.
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Pierre Bottero (Le Maître des Tempêtes (L'Autre, #2))
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Derrière mes lunettes fumées, je la contemple, étendue sur una chaise longue, un bras replié sous la nuque. Elle se farde à peine, ses cheveux sont ni très fins, ni très réguliers. Je ne la trouve ni gentille, ni délicieuse, ni charmante et elle n'es pas mon amie. Je voudrais simplement l'avoir avec moi le reste de ma vie.
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Fred Kassak (L'homme qui voulait tuer Georges)
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L'Amour qui n'est pas un mot Mon Dieu jusqu'au dernier moment Avec ce coeur débile et blême Quand on est l'ombre de soi-même Comment se pourrait-il comment Comment se pourrait-il qu'on aime Ou comment nommer ce tourment Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenêtres Tu me rends la caresse d'être Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaître Notre histoire jusqu'à la fin C'est miracle que d'être ensemble Que la lumière sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme à son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble M'habituer m'habituer Si je ne le puis qu'on m'en blâme Peut-on s'habituer aux flammes Elles vous ont avant tué Ah crevez-moi les yeux de l'âme S'ils s'habituaient aux nuées Pour la première fois ta bouche Pour la première fois ta voix D'une aile à la cime des bois L'arbre frémit jusqu'à la souche C'est toujours la première fois Quand ta robe en passant me touche Prends ce fruit lourd et palpitant Jettes-en la moitié véreuse Tu peux mordre la part heureuse Trente ans perdus et puis trente ans Au moins que ta morsure creuse C'est ma vie et je te la tends Ma vie en vérité commence Le jour que je t'ai rencontrée Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce à ma démence Et qui m'as montré la contrée Que la bonté seule ensemence Tu vins au coeur du désarroi Pour chasser les mauvaises fièvres Et j'ai flambé comme un genièvre A la Noël entre tes doigts Je suis né vraiment de ta lèvre Ma vie est à partir de toi
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Louis Aragon
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Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sévères. Le paysage se révèle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui rend jouissance des choses. Il fait -33°. Le camion s'est fondu à la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Être seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grésil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'écarte les bras, tends mon visage au vide glacé et rentre au chaud. J'ai atteint le débarcadère de ma vie. Je vais enfin savoir si j'ai une vie intérieure.
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Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie)
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Je rêve d'un homme qui aime les vieux groupes de rock que plus personne n'écoute. Qui me laissera dormir avec mon tee-shirt troué que j'adore et mes collants en laine. Qui se réveillera à quatre heures du matin pour arroser l'olivier parce qu'il saura que j'oublie toujours de le faire. Qui autorisera les animaux à boire des cafés. Qui m'achètera des frites. Qui ne s'ennuiera jamais. Qui aura lu Miller, Salinger et Desnos. Et aussi Kateb, Mammeri et Mahfouz. Qui, à l'aube, prendra un train avec moi sans en connaitre la distination. Qui se fichera que les yaourts soient périmés depuis la veille. Qui saura se mettre en colère et rire en même temps. Qui chantera faux. Qui aimera la mer et la campagne et peut-être même la montagne, aussi.
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Kaouther Adimi (Des pierres dans ma poche)
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A un moment j’ai même laissé échapper un son qui s’est prolongé malgré moi en prenant de plus en plus de force, un son qui avait attendu ce jour précis pour partir du fond de mes années de ténèbres à mal aimer des hommes qui m’ont mal aimée en retour et recouvrir ta poitrine comme une brûlure ; c’était d’abord un son rauque et traînant, une plainte animale qui n’avait rien du sanglot et qui en un véritable appel à la mort. A ce moment tout s’est arrêté, je me suis soudain rappelé cette même scène vécu avec toi alors qu’on venait de se rencontrer ; ce hurlement avait déjà eu lieu et sa répétition implacable m’a fait taire une fois pour toute. A ce moment aussi tu t’es écarté de moi, sans doute pour la même raison, tu t’es levé dans une brusquerie qui a délogé Oréo de la chaise de ton bureau. Ne voulant pas te regarder dans les yeux, j’ai regardé tes pieds. Mon hurlement avait tracé une ligne infranchissable entre nous, en hurlant je venais de sonner le glas de notre histoire. Tu as dit des paroles que tu avais déjà prononcées en d’autres circonstances et je suis partie, je savais que plus jamais on ne se reparlerait.
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Nelly Arcan (Folle)
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Je me mis dès lors à lire avec avidité et bientôt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations récentes, tous les élans encore vagues de mon adolescence qui s’élevaient dans mon âme d’une façon si troublante et qui étaient provoqués par mon développement si précoce, tout cela, soudainement, se précipita dans une direction, parut se satisfaire complètement de ce nouvel aliment et trouver là son cours régulier. Bientôt mon cœur et ma tête se trouvèrent si charmés, bientôt ma fantaisie se développa si largement, que j’avais l’air d’oublier tout ce qui m’avait entourée jusqu’alors. Il semblait que le sort lui même m’arrêtât sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, à laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de m’abandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur d’où je pouvais contempler l’avenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinée à vivre tout cet avenir en l’apprenant d’abord par les livres ; de vivre dans les rêves, les espoirs, la douce émotion de mon esprit juvénile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que j’avais appris et vécu jusqu’à ce jour était si noble, si austère, qu’une page impure ou mauvaise n’eût pu désormais me séduire. Mon instinct d’enfant, ma précocité, tout mon passé veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience m’éclairait toute ma vie passée. En effet, presque chacune des pages que je lisais m’était déjà connue, semblait déjà vécue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais déjà éprouvées. Et comment pouvais-je ne pas être entraînée jusqu’à l’oubli du présent, jusqu’à l’oubli de la réalité, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois d’une même destinée, le même esprit d’aventure qui règnent sur la vie de l’homme, mais qui découlent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! C’est cette loi que je soupçonnais, que je tâchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait l’air de me prévenir, comme s’il y avait en mon âme quelque chose de prophétique, et chaque jour l’espoir grandissait, tandis qu’en même temps croissait de plus en plus mon désir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je l’ai déjà dit, ma fantaisie l’emportait sur mon impatience, et, en vérité, je n’étais très hardie qu’en rêve ; dans la réalité, je demeurais instinctivement timide devant l’avenir.
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Ce supplice que lui infligeait ma grand'tante, le spectacle des vaines prières de ma grand'mère et de sa faiblesse, vaincue d'avance, essayant inutilement d'ôter à mon grand-père le verre à liqueur, c'était de ces choses à la vue desquelles on s'habitue plus tard jusqu'à les considérer en riant et à prendre le parti du persécuteur assez résolument et gaiement pour se persuader à soi-même qu'il ne s'agit pas de persécution; elles me causaient alors une telle horreur que j'aurais aimé battre ma grand'tante. Mais dès que j'entendais: "Bathilde, viens donc empêcher ton mari de boire du cognac!" déjà homme par la lâcheté, je faisais ce que nous faisons tous, une fois que nous sommes grands, quand il y a devant nous des souffrances et des injustices: je ne voulais pas les voir; (…)
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Marcel Proust
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Et qu'as-tu à donner, pauvre démon ? L'esprit d'un homme en ses hautes inspirations fut-il jamais conçu par tes pareils ? Tu n'as que des aliments qui ne rassasient pas ; de l'or pâle, qui sans cesse s'écoule des mains comme le vif-argent; un jeu auquel on ne gagne jamais ; une fille qui jusque dans mes bras fait les yeux doux à mon voisin ; l'honneur, belle divinité qui s'évanouit comme un météore.
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Johann Wolfgang von Goethe (Faust)
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Je suis un de ces êtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'à ce jour, aucun homme ne s'est trouvé dans une position semblable à la mienne. Les royaumes des rois sont limités, soit par des montagnes, soit par des rivières, soit par un changement de mœurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, à moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni Italien, ni Français, ni Indou, ni Américain, ni Espagnol: je suis cosmopolite.
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Alexandre Dumas (The Son of Monte-Cristo; Volume I)
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Vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t'a fait évader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t'es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t'inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d'homme. Tu n'es point l'habitant d'une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse. Nul ne t'a saisi par les épaules quand il était temps encore. Maintenant, la glaise dont tu es formé a séché, et s'est durcie, et nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi ou le poète, ou l'astronome qui peut-être t'habitait d'abord.
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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Lorsque j'avais perdu ma mère, il m'avait fallu l'aide d'un géant de 4 mètres 50 pour commencer a aller mieux. Je suis un sous-doué du deuil. La peau a l'intérieur de mon cerveau est constellée de bleus qui ne s'effacent jamais. Je suis un homme-grenier. Je garde tout. Si on plantait une caméra au cœur de ma mémoire, on pourrait reconstituer ma vie, comme dans un studio de cinéma. De la joie sauvage a la colère noire en passant par la fréquence d'un battement de cils, tout est intact.
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Mathias Malzieu (Le plus petit baiser jamais recensé)
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Quand j’en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l’expérience sur elle de mon dessin numéro 1 que j’ai toujours conservé. Je voulais savoir si elle était vraiment compréhensive. Mais toujours elle me répondait : « C’est un chapeau. » Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forêts vierges, ni d’étoiles. Je me mettais à sa portée. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne était bien contente de connaître un homme aussi raisonnable.
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Antoine de Saint-Exupéry
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Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe à ma vie, c’est comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus qu’elle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je né dans une époque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes d’un grand jeu de hasard ? Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimé ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos rivières, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimé être tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretués. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dévoré d’autres, les ont éventrés, violés, souillés. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphé de ce qui est sale. Pourquoi ai-je dû, comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes épaules et qui ne me concernait pas? Qui a donc décidé de venir fouiller mon obscure existence, de déterrer ma maigre tranquillité, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, s’Il existe, s’Il existe vraiment, qu’Il se cache. Qu’Il pose Ses deux mains sur Sa tête, et qu’Il la courbe. Peut-être, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d’hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd’hui je sais aussi qu’Il n'est pas digne de la plupart d’entre nous, et que si la créature a pu engendrer l’horreur c’est uniquement parce que son Créateur lui en a soufflé la recette.
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Philippe Claudel (Brodeck)
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Ma langue maternelle fut une langue infirme. Ce patois judéo-arabe de Tunis, truffé de mots hébreux, italiens, français, mal compris des Musulmans, totalement ignoré des autres, m'abondonnais dès que je quittais les ruelles du ghetto. Au-delà des émotions simples, du boire et du manger, dans cet univers politique, technique et intellectuel que je rêvais de conquérir, il perdait tout efficacité. Par bonheur, l'école primaire me fit don du français. C'était un cadeau intimidant, exigeant et difficile à manier; c'était en outre la langue du Colonisateur. Mais précisément, ce superbe instrument, magnifiquement au point, exprimait tout et ouvrait toutes les portes. Le degré de culture, le prestige intellectuel, la réussite sociale se mesurait à l'assurance dans le maniement de la langue du vainqueur. J'acceptai joyeusement le pari et l'enjeu: avec ma mère, qui ne comprenait pas le français,je parlerais la langue de mon enfance; dans la rue, dans ma profession, je serais un Occidental. C'était affaire d'organisation intérieure. Après tout, je ne serais pas le seul homme sur terre à ne pas connaitre une parfaite unité.
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Albert Memmi (La libération du Juif)
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«Regardez, regardez, continua le comte en saisissant chacun des deux jeunes gens par la main, regardez, car, sur mon âme, c'est curieux, voilà un homme qui était résigné à son sort, qui marchait à l'échafaud, qui allait mourir comme un lâche, c'est vrai, mais enfin il allait mourir sans résistance et sans récrimination: savez-vous ce qui lui donnait quelque force? savez-vous ce qui le consolait? savez-vous ce qui lui faisait prendre son supplice en patience? c'est qu'un autre partageait son angoisse; c'est qu'un autre allait mourir comme lui; c'est qu'un autre allait mourir avant lui! Menez deux moutons à la boucherie, deux bœufs à l'abattoir, et faites comprendre à l'un d'eux que son compagnon ne mourra pas, le mouton bêlera de joie, le bœuf mugira de plaisir mais l'homme, l'homme que Dieu a fait à son image, l'homme à qui Dieu a imposé pour première, pour unique, pour suprême loi, l'amour de son prochain, l'homme à qui Dieu a donné une voix pour exprimer sa pensée, quel sera son premier cri quand il apprendra que son camarade est sauvé? un blasphème. Honneur à l'homme, ce chef-d'œuvre de la nature, ce roi de la création!»
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Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo, Tome II (The Count of Monte Cristo, part 2 of 4))
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L'Horloge Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi! Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi Se planteront bientôt comme dans une cible; Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dévore un morceau du délice A chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois, Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde! Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or! Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi. Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi! Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide. Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard, Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge, Où le repentir même (oh! la dernière auberge!), Où tout te dira: Meurs, vieux lâche! il est trop tard!
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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« Dans nos écoles on nous enseigne le doute et l’art d’oublier. Avant tout l’oubli de ce qui est personnel et localisé. » « — Personne ne peut lire deux mille livres. Depuis quatre siècles que je vis je n’ai pas dû en lire plus d’une demi-douzaine. D’ailleurs ce qui importe ce n’est pas de lire mais de relire. L’imprimerie, maintenant abolie, a été l’un des pires fléaux de l’humanité, car elle a tendu à multiplier jusqu’au vertige des textes inutiles. — De mon temps à moi, hier encore, répondis-je, triomphait la superstition que du jour au lendemain il se passait des événements qu’on aurait eu honte d’ignorer. » « — À cent ans, l’être humain peut se passer de l’amour et de l’amitié. Les maux et la mort involontaire ne sont plus une menace pour lui. Il pratique un art quelconque, il s’adonne à la philosophie, aux mathématiques ou bien il joue aux échecs en solitaire. Quand il le veut, il se tue. Maître de sa vie, l’homme l’est aussi de sa mort[30]. — Il s’agit d’une citation ? lui demandai-je. — Certainement. Il ne nous reste plus que des citations. Le langage est un système de citations. » Extrait de: Borges,J.L. « Le livre de sable. » / Utopie d’un homme qui est fatigué
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Jorge Luis Borges (The Book of Sand and Shakespeare's Memory)
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finalement, éperdu d'amour et au comble de la frénésie érotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc. — Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sûr qu'elle le voulait, voyons! C'était une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire. — Tu vas le manger cru ? — Oui. J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondément, soufflant un peu, entre les bouchées, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'à ce qu'une sueur froide me montât au front. Je continuai même un peu au-delà, serrant les dents, luttant contre la nausée, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon métier d'homme. Je fus très malade, on me transporta à l'hôpital, ma mère sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'étais très fier de moi. Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Éducation européenne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire. Pendant longtemps, à travers mes pérégrinations, j'ai transporté avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamé au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier était toujours là, à portée de la main. J'étais toujours prêt à m'y attabler, à donner, une fois de plus, le meilleur de moi-même. Ça ne s'est pas trouvé. Finalement, j'ai abandonné le soulier quelque part derrière moi. On ne vit pas deux fois. (La promesse de l'aube, ch. XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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L'homme qui se juge supérieur, inférieur ou égal à un autre ne comprend pas la réalité. Cette idée-là n'a peut-être de sens que dans le cadre d'une doctrine qui considère le "moi" comme une illusion et, à moins d'y adhérer, mille contre-exemples se pressent, tout notre système de pensée repose sur une hiérarchie des mérites selon laquelle, disons, le Mahatma Gandhi est une figure humaine plus haute que le tueur pédophile Marc Dutroux. Je prends à dessein un exemple peu contestable, beaucoup de cas se discutent, les critères varient, par ailleurs les bouddhistes eux-mêmes insistent sur la nécessité de distinguer, dans la conduite de la vie, l'homme intègre du dépravé. Pourtant, et bien que je passe mon temps à établir de telles hiérarchies, bien que comme Limonov je ne puisse pas rencontrer un de mes semblables sans me demander plus ou moins consciemment si je suis au-dessus ou au-dessous de lui et en tirer soulagement ou mortification, je pense que cette idée - je répète : "L'homme qui se juge supérieur, inférieur ou égal à un autre, ne comprends pas la réalité" est le sommet de la sagesse et qu'une vie ne suffit pas à s'en imprégner, à la digérer, à se l'incorporer, en sorte qu'elle cesse d'être une idée pour informer le regard et l'action en toutes circonstances. Faire ce livre, pour moi, est une façon bizarre d'y travailler. (p. 227-228)
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Emmanuel Carrère (Limonov)
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Cette société, que j'ai remarquée la première dans ma vie, est aussi la première qui ait disparu à mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bénédiction, le rendre peu à peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mère forcée de renoncer à son quadrille, faute des partners accoutumés; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour où mon aïeule tomba la dernière. Elle et sa sœur s'étaient promis de s'entre-appeler aussitôt que l'une aurait devancé l'autre; elles se tinrent parole, et madame de Bedée ne survécut que peu de mois à mademoiselle de Boisteilleul. Je suis peut-être le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existé. Vingt fois, depuis cette époque, j'ai fait la même observation; vingt fois des sociétés se sont formées et dissoutes autour de moi. Cette impossibilité de durée et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'étend de là sur notre maison, me ramènent sans cesse à la nécessité de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fièvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chère! car comment abandonner sans désespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir éternellement sur son cœur?
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François-René de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)
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L'Art d’avoir toujours raison La dialectique 1 éristique est l’art de disputer, et ce de telle sorte que l’on ait toujours raison, donc per fas et nefas (c’est-à-dire par tous les moyens possibles)2. On peut en effet avoir objectivement raison quant au débat lui-même tout en ayant tort aux yeux des personnes présentes, et parfois même à ses propres yeux. En effet, quand mon adversaire réfute ma preuve et que cela équivaut à réfuter mon affirmation elle-même, qui peut cependant être étayée par d’autres preuves – auquel cas, bien entendu, le rapport est inversé en ce qui concerne mon adversaire : il a raison bien qu’il ait objectivement tort. Donc, la vérité objective d’une proposition et la validité de celle-ci au plan de l’approbation des opposants et des auditeurs sont deux choses bien distinctes. (C'est à cette dernière que se rapporte la dialectique.) D’où cela vient-il ? De la médiocrité naturelle de l’espèce humaine. Si ce n’était pas le cas, si nous étions foncièrement honnêtes, nous ne chercherions, dans tout débat, qu’à faire surgir la vérité, sans nous soucier de savoir si elle est conforme à l’opinion que nous avions d’abord défendue ou à celle de l’adversaire : ce qui n’aurait pas d’importance ou serait du moins tout à fait secondaire. Mais c’est désormais l’essentiel. La vanité innée, particulièrement irritable en ce qui concerne les facultés intellectuelles, ne veut pas accepter que notre affirmation se révèle fausse, ni que celle de l’adversaire soit juste. Par conséquent, chacun devrait simplement s’efforcer de n’exprimer que des jugements justes, ce qui devrait inciter à penser d’abord et à parler ensuite. Mais chez la plupart des hommes, la vanité innée s’accompagne d’un besoin de bavardage et d’une malhonnêteté innée. Ils parlent avant d’avoir réfléchi, et même s’ils se rendent compte après coup que leur affirmation est fausse et qu’ils ont tort, il faut que les apparences prouvent le contraire. Leur intérêt pour la vérité, qui doit sans doute être généralement l’unique motif les guidant lors de l’affirmation d’une thèse supposée vraie, s’efface complètement devant les intérêts de leur vanité : le vrai doit paraître faux et le faux vrai.
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Arthur Schopenhauer (L'art d'avoir toujours raison (La Petite Collection))
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Voisine Je peux rester des après-midi entiers à regarder cette fille, caché derrière mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut écrire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenêtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle écoute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frères et sœurs, si elle met la radio quand elle se lève le matin, si elle préfère l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de près. Je me demande si elle s'épile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goût. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pétrole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda ? Je me demande à quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapé, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pèse d'être seule ? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie ? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui ? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle ? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne à sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle ? Si ça se trouve, elle n'a aucun intérêt, cette fille.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Quand je vis avec mes semblables, ma pensée s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider à vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nécessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon à rien, j'éprouve le besoin de vivre avec ce moi intérieur qui s'identifie à la nature et au rêve de la vie dans l'éternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent délirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mêmes sont tourmentés d'un besoin d'existence qui nous empêche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. Dès qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire à tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit céder à cette sauvage logique de la faim et de l'amour. Où donc trouver, où donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? Hélas, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassérénement inexplicable. Là, nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une région d'idées où il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mêmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'être.
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George Sand (Le dernier amour)
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Bien que Terron fût un homme qu'apparemment je ne pouvais appeler autrement qu'un fanatique religieux ; bien qu'il menât sa vie d'une manière qui m'était encore plus étrangère que celle de M. Mann ; et bien que souvent je fusse arrivé à conclure, presque contre ma volonté, qu'il n'était qu'un arnaqueur rusé de campagne en train d'exploiter mon curieux mélange de culpabilité (le raciste américain en moi) et d'amour pour l'ésotérique (l'intellectuel branché en moi), il semblait malgré tout capable de me prévoir, de connaître bien plus précisément que le vieil homme mes besoins, mes questions et mes inquiétudes. De fait, c'était cette capacité d'anticiper sur moi et le bien-être qu'elle me procurait qui me ramenaient sans cesse à croire qu'il était en train de me rouler. En tant que vieux puritain, je me devais de me méfier de tout ce qui m'apportait du bien-être. (p. 201)
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Russell Banks (Book of Jamaica)
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Je sais que tout ce que tu dis, ô mon âme, est aussi ma pensée. Mais j'en tiens à peine compte dans ma vie. L'âme dit : "Comment alors, dis-moi, crois-tu que tes pensée puissent t'aider ?" Je voudrais toujours exciper du fait que je suis un homme, juste un homme qui est faible et ne fait pas toujours de son mieux. Mais l'âme dit : "Est-ce là ce que tu penses du fait d'être homme ?" Tu s dure, mon âme, mais tu as raison. Comme nous nous montrons peu habiles quand il s'agit de vivre ! Nous devrions pousser comme un arbre qui ne connaît pas non plus sa loi. Mais nous nous ligotons avec des intentions, sans tenir compte du fait que toute intention restreint, voir même exclut la vie. Nous croyons pouvoir, grâce à une intention, éclairer une obscurité et, ce faisant, nous passons à côté de la lumière. Comment pouvons-nous avoir l'outrecuidance de vouloir savoir d'avance d'ou nous viendra la lumière ? (p. 170)
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C.G. Jung (The Red Book: Liber Novus)
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Ne vous soumettez à personne, ni de corps, ni de cœur. Sachez garder votre esprit libre de toute entrave. Combien se croient libres, qui ne sont que prisonniers sans menottes ! Prêtez votre oreille à chacun, mais réservez votre cœur aux hommes qui le méritent. Respectez ceux qui vous gouvernent, mais ne leur obéissez pas aveuglément. Utilisez votre logique et votre sens critique pour comprendre ce qui vous arrive, mais ne passez pas votre temps à émettre des jugements. Ne pensez pas que quelqu’un vous est supérieur parce qu’il est plus haut placé ou plus fortuné que vous. Soyez équitables envers tous afin que personne ne cherche à se venger de vous. Soyez prudent avec l’argent. Croyez ferme en ce que vous professez, afin que les autres vous écoutent. Enfin, en amour, mon seul conseil est d’être honnête. Je ne connais pas de moyen plus efficace pour gagner durablement un cœur ou pouvoir prétendre au pardon.
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Christopher Paolini
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« Écoute, Egor Pétrovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton désespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accès de tristesse, tu dis que tu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as raconté ta vie d’autrefois. À cette époque aussi le désespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette époque aussi, ton premier maître, cet homme étrange, dont tu m’as tant parlé, a éveillé en toi, pour la première fois, l’amour de l’art et a deviné ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriétaire, et tu ne savais toi-même ce que tu désirais. Ton maître est mort trop tôt. Il t’a laissé seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliqué toimême. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinés, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haï tout ce qui t’entourait alors. Tes six années de misère ne sont pas perdues. Tu as travaillé, pensé, tu as reconnu et toi-même et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus envié que le mien t’est réservé. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne même la dixième partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriétaire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvreté, la misère ? Mais la pauvreté et la misère forment l’artiste. Elles sont inséparables des débuts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaître. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignité, et surtout la bêtise t’opprimeront plus fortement que la misère. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tâcheront de regarder avec mépris ce qui s’est élaboré en toi au prix d’un pénible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relèveront chacune de tes fautes. Ils te montreront précisément ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et méprisant ils fêteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent à tort. Il t’arrivera d’offenser une nullité qui a de l’amour-propre, et alors malheur à toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront à coups d’épingles. Moi même, je commence à éprouver tout cela. Prends donc des forces dès maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne néglige pas les besognes grossières, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicité ; tu ruses trop, tu réfléchis trop, tu fais trop travailler ta tête. Tu es audacieux en paroles et lâche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-être arriveras-tu au but. Sinon, va quand même au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Maintenant je le savais, maintenant j'allais le faire. Je suis remonté là-haut en courant, avec la bouteille d'eau bénite, un idiot muni d'eau bénite, je le savais, je savais que j'étais idiot, mais je m'en moquais. Je devais les avertir de mon arrivée. Je devais au moins les prévenir, ils avaient droit à ça. J'ai gueulé : "Eau bénite !" "L'eau bénite arrive !" "Voilà l'eau bénite !" Quand je me suis rué dans l'entrée de la mine, ils étaient tous immobiles sur le sol, blancs et nus et paralysés, figés comme de blâmes cadavres. "Attention à l'eau bénite ! Voici l'homme qui détient l'eau bénite ! Un truc super puissant !" J'ai ai éclaboussé un peu partout, elle glougloutait hors de la bouteille en giclant sur leurs cadavres blancs. "C'est l'eau bénite, les amis ! Un truc super-puissant !" Sur leurs visages, leurs poitrines, leurs parties poilues, jeter l'eau bénite, chasser le diable, tuer le diable, sauver mon père, libérer mon père !
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John Fante (L'Orgie (suivi de 1933 fut une mauvaise année))
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Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen de nobles qualités du coeur que l’imagination invente ou qu’ils peuvent avoir. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! Délices non passagères, artificielles ; mais, qui ont commencé avec l’homme, finiront avec lui. Le génie ne peut-il pas s’allier avec la cruauté dans les résolutions secrètes de la Providence ? ou, parce qu’on est cruel, ne peut-on pas avoir du génie ? On en verra la preuve dans mes paroles ; il ne tient qu’à vous de m’écouter, si vous le voulez bien... Pardon, il me semblait que mes cheveux s’étaient dressés sur ma tête ; mais, ce n’est rien, car, avec ma main, je suis parvenu facilement à les remettre dans leur première position. Celui qui chante ne prétend pas que ses cavatines soient une chose inconnue ; au contraire, il se loue de ce que les pensées hautaines et méchantes de son héros soient dans tous les hommes.
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Et puis, le manque est arrivé, dans le moment où je m’y attendais le moins, il est arrivé alors que j’avais presque fini par croire à mon amnésie. C’est terrible, la morsure du manque. Ça frappe sans prévenir, l’attaque est sournoise tout d’abord, on ressent juste une vive douleur qui disparaît presque dans la foulée, c’est bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitôt, on considère que l’attaque est passée, on n’est même pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on n’a pas eu le temps de s’inquiéter, c’est parti si vite, on se sent déjà beaucoup mieux, on se sent même parfaitement bien, tout de même on garde un souvenir désagréable de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y réussit, la vie continue, le monde nous appelle, l’urgence commande. Et puis, ça revient, le jour d’après, l’attaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un méchant rictus, on se dit : quelque chose est à l'œuvre à l’intérieur, on pense à ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers généralisés jusque-là insoupçonnables, on éprouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment. Et puis, le mal devient lancinant, il s’installe comme un intrus qu’on n’est pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend qu’on ne s’en débarrassera pas, qu’on est foutu. Oui, un jour, le manque est arrivé. Le manque de lui. Au début, j’ai fait comme si je ne m’en rendais pas compte, le traitant par l’indifférence, par le mépris, je me savais plus fort que lui, j’étais en mesure de le dominer, de l’éliminer, c’était juste une question de volonté ou de temps, je n’étais pas le genre à me laisser abattre par quelque chose d’aussi ténu, d’aussi risible. Et puis, il m’a fallu me rendre à l’évidence : ce match, je n’étais pas en train de le gagner, j’allais peut-être même le perdre, et je ne possédais pas le moyen d’échapper à cette déroute et plus je luttais, plus je cédais du terrain ; plus je niais la réalité, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaître : j’étais dévoré par ça, le manque de lui.
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Philippe Besson (Un homme accidentel)
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Les scribes anciens apprirent non seulement à lire et à écrire, mais aussi à utiliser des catalogues, des dictionnaires, des calendriers, des formulaires et des tableaux. Ils étudièrent et assimilèrent des techniques de catalogage, de récupération et de traitement de l’information très différentes de celles du cerveau. Dans le cerveau, les données sont associées librement. Quand, avec mon épouse, je vais signer une hypothèque pour notre nouvelle maison, je me souviens du premier endroit où nous avons vécu ensemble, ce qui me rappelle notre lune de miel à la Nouvelle-Orléans, qui me rappelle les alligators, qui me font penser aux dragons, qui me rappelle L’Anneau des Nibelungen… Et soudain, sans même m’en rendre compte, je fredonne le leitmotiv de Siegfried devant l’employé de banque interloqué. Dans la bureaucratie, on se doit de séparer les choses. Un tiroir pour les hypothèques de la maison, un autre pour les certificats de mariage, un troisième pour les impôts et un quatrième pour les procès. Comment retrouver quoi que ce soit autrement ? Ce qui entre dans plus d’un tiroir, comme les drames wagnériens (dois-je les ranger dans la rubrique « musique » ou « théâtre », voire inventer carrément une nouvelle catégorie ?), est un terrible casse-tête. On n’en a donc jamais fini d’ajouter, de supprimer et de réorganiser des tiroirs. Pour que ça marche, les gens qui gèrent ce système de tiroirs doivent être reprogrammés afin qu’ils cessent de penser en humains et se mettent à penser en employés de bureau et en comptables. Depuis les temps les plus anciens jusqu’à aujourd’hui, tout le monde le sait : les employés de bureau et les comptables ne pensent pas en êtres humains. Ils pensent comme on remplit des dossiers. Ce n’est pas leur faute. S’ils ne pensent pas comme ça, leurs tiroirs seront tout mélangés, et ils seront incapables de rendre les services que leur administration, leur société ou leur organisation demande. Tel est précisément l’impact le plus important de l’écriture sur l’histoire humaine : elle a progressivement changé la façon dont les hommes pensent et voient le monde. Libre association et pensée holiste ont laissé la place au compartimentage et à la bureaucratie.
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Yuval Noah Harari (Sapiens : Une brève histoire de l'humanité)
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Quelque part dans mon cœur une voix indistincte et pourtant désespérée élevait une protestation : « Non, je n'avais poussé personne à la mort, je n'avais pas extorqué d'argent ! » Mais cette voix fut étouffée par cette pesée habituelle que j'étais un homme mauvais. Quoi que je fasse, il m'est impossible de faire tête dans une discussion. Réprimant de toutes mes forces un sentiment dangereux que l'ivresse sombre de l'eau-de-vie faisait monter en moi, je dis comme dans un soliloque : — Cependant le seul fait d'être mis en prison n'est pas un crime. Si l'on connaît l'antonyme de « crime », on s'imagine qu'on a saisi l'essence de « crime », mais... Dieu... le salut... l'amour... la lumière... Mais Dieu a pour antonyme Satan, l'antonyme de salut doit être : souffrance, celui de l'amour : la haine, celui de la lumière : les ténèbres, celui du bien : le mal ; le crime et la prière, le crime et le repentir, le crime et la confession, le crime et... les gémissement, tous ces mots ne sont-ils pas synonymes ? Quel est l'antonyme de crime ? — L'antonyme de « crime », c'est « miel ». Quelque chose de doux comme le miel. J'ai faim tu sais ! Apporte quelque chose à manger.
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Osamu Dazai (No Longer Human)
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Je ne considère les souffrances et les joies d'autrui que par rapport à moi-même, en tant que nourriture qui soutient les forces de mon âme. Moi-même, je ne suis pas capable d'aller jusqu'à la folie sous l'emprise de la passion. L'ambition chez moi est assujettie aux circonstances, mais elle s'est manifestée sous un autre aspect; car l'ambition n'est rien d'autre qu'une soif de puissance; or mon plaisir principal est de soumettre tout ceux qui m'entourent à ma volonté. Éveiller les sentiments d'amour, de fidélité ou de crainte, n'est-ce pas là les signes premiers et le grand triomphe d'un pouvoir absolu ? Être pour une personne la cause de souffrances ou de joies, sans avoir sur elle aucun droit positif, n'est-ce pas là un aliment délicieux pour notre orgueil ? Et qu'est-ce que le bonheur ? Un orgueil rassasié ! Si je me considérait comme l'être le meilleur, le plus puissant du monde, je serais heureux; si tout m'aimaient, je trouverais en moi d'infinies sources d'amour. Le mal enfante le mal. La première souffrance nous donne le secret du plaisir de torturer autrui. L'idée du mal ne peut entrer dans la tête d'un homme sans qu'il ait le désir de l'appliquer à la réalité.
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Mikhail Lermontov (A Hero of Our Time)
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- Eh bien... je ne suis pas sûr de pourvoir l'expliquer, mais je viens de me rendre compte que j'avais vécu plus longtemps que mon père, ce à quoi je ne m'étais jamais attendu. C'est juste que... cela me fait bizarre, c'est tout. Toi qui as perdu ta mère si jeune, tu n'y penses jamais ? - Si. Mon visage était enfoui contre son torse, ma voix se perdant dans les plis de sa chemise. - ... Autrefois, quand j'étais jeune. C'est comme partir en voyage sans carte. Sa main dans mon dos s'arrêta un instant. - Oui, c'est ça. Je savais plus ou moins ce que signifiait être un homme trentenaire, quadragénaire... mais maintenant ? Il émit un petit bruit, un mélange d'amusement et de perplexité. - Il faut s'inventer soit-même, dis-je doucement. On regarde les autres femmes, ou les autres hommes. On essaie leur vie pour voir si elle nous va. Puis, on cherche à l'intérieur de soi ce qu'on ne trouve pas ailleurs. Et on se demande toujours... toujours... si on a fait ce qu'il fallait. Sa main était lourde et chaude dans mon dos. Il sentit les larmes qui s'étaient brusquement mises à couler du coin de mes yeux sur sa chemise. Son autre main se posa sur ma tête et caressa mes cheveux. - Oui, c'est ça, répéta-t-il tout doucement.
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Diana Gabaldon (La Croix de feu / Le Temps des rĂŞves (Le Cercle de Pierre #5-6))
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« Les histoires ont changé, mon garçon, dit l’homme en habit gris avec une ombre imperceptible de tristesse dans la voix. Il n’y a plus de lutte entre le bien et le mal, plus de monstres à pourfendre, plus de demoiselles à secourir. Pour autant que je puisse en juger, la plupart des demoiselles sont parfaitement capables de se défendre toutes seules, du moins celles qui en valent la peine. Il n’y a plus d’histoires toutes simples de quête, avec des bêtes et des dénouements heureux. Le but de la quête, le chemin à suivre manquent de clarté. Les bêtes revêtent toutes sortes de formes et il est difficile de les percer à jour. Il n’y a jamais de dénouement, heureux ou non. Tout continue, se chevauche, se brouille, votre histoire se fond dans celle de votre cœur qui se fond dans d’innombrables autres histoires et il est impossible de dire où elles mènent. Le bien et le mal sont trop complexes pour se résumer à une princesse et un dragon ou un loup et une fillette tout de rouge vêtue. Et le dragon n’est-il pas le héros de sa propre histoire ? Le loup ne se conduit-il pas tout simplement en loup ? À moins, certes, qu’il ne s’agisse d’un loup qui va jusqu’à se déguiser en grand-mère pour jouer avec sa proie. »
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Erin Morgenstern (The Night Circus)
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« Norbert de Varenne parlait d’une voix claire, mais retenue, qui aurait sonné dans le silence de la nuit s’il l’avait laissée s’échapper. Il semblait surexcité et triste, d’une de ces tristesses qui tombent parfois sur les âmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelée. Il reprit : « Qu’importe, d’ailleurs, un peu plus ou un peu moins de génie, puisque tout doit finir ! » Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cœur gai, ce soir-là, dit, en souriant : « Vous avez du noir, aujourd’hui, cher maître. » Le poète répondit. « J’en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques années. La vie est une côte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre âge, on est joyeux. On espère tant de choses, qui n’arrivent jamais d’ailleurs. Au mien, on n’attend plus rien... que la mort. » Duroy se mit à rire : « Bigre, vous me donnez froid dans le dos. » Norbert de Varenne reprit : « Non, vous ne me comprenez pas aujourd’hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. » « Il arrive un jour, voyez- vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, où c’est fini de rire, comme on dit, parce que derrière tout ce qu’on regarde, c’est la mort qu’on aperçoit. » « Oh ! vous ne comprenez même pas ce mot-là, vous, la mort. À votre âge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. » « Oui, on le comprend tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi ni à propos de quoi, et alors tout change d’aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bête rongeuse. Je l’ai sentie peu à peu, mois par mois, heure par heure, me dégrader ainsi qu’une maison qui s’écroule. Elle m’a défiguré si complètement que je ne me reconnais pas. Je n’ai plus rien de moi, de moi l’homme radieux, frais et fort que j’étais à trente ans. Je l’ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et méchante ! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une âme désespérée qu’elle enlèvera bientôt aussi. » « Oui, elle m’a émietté, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon être, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hâte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rêver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir ! » » (de « Bel-Ami » par Guy de Maupassant)
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Guy de Maupassant
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Cher Monsieur Waters, Je reçois votre courrier électronique en date du 14 avril dernier et suis comme il se doit impressionné par la complexité shakespearienne de votre drame. Chaque personnage dans votre histoire a une harmatia en béton. La sienne : être trop malade. La vôtre : être trop bien portant. Fût-ce le contraire, vos étoiles n'auraient pas été aussi contrariées, mais c'est dans la natures des étoiles d'être contrariées. A ce propos, Shakespeare ne s'est jamais autant trompé qu'en mettant ces mots dans la bouche de Cassius : « La faute, cher Brutus, n'en est pas à nos étoiles ; elle en est à nous-mêmes. » Facile à dire lorsqu'on est un noble romain (ou Shakespeare!), mais nos étoiles ne sont jamais à court de tort. Puisque nous en sommes au chapitre des défaillances de ce cher vieux William, ce que vous me dites de la jeune Hazel me rappelle le sonnet 55, qui commence, bien entendu ainsi : « Ni le marbre, ni les mausolées dorés des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d'éclat dans ces mesures que sous la dalle non balayée que le temps barbouille de sa lie. (Hors sujet, mais : quel cochon, ce temps ! Il bousille tout le monde.) Un bien joli poème, mais trompeur : nul doute que la rime puissante de Shakespeare nous reste en mémoire, mais que nous rappelons-nous de l'homme qu'il célèbre ? Rien. Nous sommes certains qu'il était de sexe masculin, le reste n'est qu'une hypothèse. Shakespeare nous raconte des clopinettes sur l'homme qu'il a enseveli à l'intérieur de son sarcophage linguistique. (Remarquez que, lorsque nous parlons littérature, nous utilisons le présent. Quand nous parlons d'un mort, nous ne sommes pas aussi gentils.) On ne peut pas immortaliser ceux qui nous ont quittés en écrivant sur eux. La langue enterre, mais ne ressuscite pas. (Avertissement : je ne suis pas le premier à faire cette observation, cf le poème d'Archibald MacLeish « Ni le marbre, ni les mausolées dorés » qui renferme ce vers héroïque : « Vous mourrez et nul ne se souviendra de vous ») Je m'éloigne du sujet, mais votre le problème : les morts ne sont visibles que dans l’œil dénué de paupière de la mémoire. Dieu merci, les vivants conservent l'aptitude de surprendre et de décevoir. Votre Hazel est vivante, Waters, et vous ne pouvez imposer votre volonté contre la décision de quelqu'un d'autre, qui plus est lorsque celle-ci est mûrement réfléchie. Elle souhaite vous épargner de la peine et vous devriez l'accepter. Il se peut que la logique de la jeune Hazel ne vous convainque pas, mais j'ai parcouru cette vallée de larmes plus longtemps que vous, et de mon point de vue, Hazel n'est pas la moins saine d'esprit. Bien à vous Peter Van Houten
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John Green (The Fault in Our Stars)
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Je me trouvais en quelque lieu vague et trouble... Je dis « lieu » par habitude, car maintenant toute conception de distance et de durée était abolie pour moi, et je ne puis déterminer combien de temps je restai en cet état. Je n’entendais rien, ne voyais rien, je pensais seulement et avec force et persistance. Le grand problème qui m’avait tourmenté toute ma vie était résolu : la mort n’existe pas, la vie est infinie. J’en étais convaincu bien avant ; mais jadis je ne pouvais formuler clairement ma conviction : elle se basait sur cette seule considération que, astreinte à des limites, la vie n’est qu’une formidable absurdité. L’homme pense ; il perçoit ce qui l’entoure, il souffre, jouit et disparaît ; son corps se décompose et fournit ses éléments à des corps en formation : cela, chacun le peut constater journellement, mais que devient cette force apte à se connaître soi-même et à connaître le monde qui l’entoure ? Si la matière est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipât sans traces, et, si elle disparaît, d’où venait-elle et quel est le but de cette apparition éphémère ? Il y avait là des contradictions que je ne pouvais admettre. Maintenant je sais, par ma propre expérience, que la conscience persiste, que je n’ai pas cessé et probablement ne cesserai jamais de vivre. Voici que derechef m’obsèdent ces terribles questions : si je ne meurs pas, si je reviens toujours sur la terre, quel est le but de ces existences successives, à quelles lois obéissent-elles et quelle fin leur est assignée ? Il est probable que je pourrais discerner cette loi et la comprendre si je me rappelais mes existences passées, toutes, ou du moins quelques-unes ; mais pourquoi l’homme est-il justement privé de ce souvenir ? pourquoi est-il condamné à une ignorance éternelle, si bien que la conception de l’immortalité ne se présente à lui que comme une hypothèse, et si cette loi inconnue exige l’oubli et les ténèbres, pourquoi dans ces ténèbres, d’étranges lumières apparaissent-elles parfois, comme il m’est arrivé quand je suis entré au château de La Roche-Maudin ? De toute ma volonté, je me cramponnais à ce souvenir comme le noyé à une épave ; il me semblait que si je me rappelais clairement et exactement ma vie dans ce château je comprendrais tout le reste. Maintenant qu’aucune sensation du dehors ne me distrayait, je m’abandonnais aux houles du souvenir, inerte et sans pensée pour ne pas gêner leur mouvement, et tout à coup, du fond de mon âme comme des brumes d’un fleuve, commençaient à s’élever de fugaces figures humaines ; des mots au sens effacé résonnaient, et dans tous ces souvenirs étaient des lacunes... Les visages étaient vaporeux, les paroles étaient sans lien, tout était décousu......
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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J’ai essayé plus d’une fois, comme tous mes amis, de m’enfermer dans un système pour y prêcher à mon aise. Mais un système est une espèce de damnation qui nous pousse à une abjuration perpétuelle ; il en faut toujours inventer un autre, et cette fatigue est un cruel châtiment. Et toujours mon système était beau, vaste, spacieux, commode, propre et lisse surtout ; du moins il me paraissait tel. Et toujours un produit spontané, inattendu, de la vitalité universelle venait donner un démenti à ma science enfantine et vieillotte, fille déplorable de l’utopie. J’avais beau déplacer ou étendre le criterium, il était toujours en retard sur l’homme universel, et courait sans cesse après le beau multiforme et versicolore, qui se meut dans les spirales infinies de la vie. Condamné sans cesse à l’humiliation d’une conversion nouvelle, j’ai pris un grand parti. Pour échapper à l’horreur de ces apostasies philosophiques, je me suis orgueilleusement résigné à la modestie : je me suis contenté de sentir ; je suis revenu chercher un asile dans l’impeccable naïveté. J’en demande humblement pardon aux esprits académiques de tout genre qui habitent les différents ateliers de notre fabrique artistique. C’est là que ma conscience philosophique a trouvé le repos ; et, au moins, je puis affirmer, autant qu’un homme peut répondre de ses vertus, que mon esprit jouit maintenant d’une plus abondante impartialité.
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Charles Baudelaire (Curiosités Esthétiques: Salon 1845-1859 (French Edition))
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Mais les signes de ce qui m'attendait réellement, je les ai tous négligés. Je travaille mon diplôme sur le surréalisme à la bibliothèque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-être mes dernières semaines de fille seule, libre d'aller où je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans être dérangée. Je vais perdre définitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublé, à deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drôle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idées de fille unique, égocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal élevée au fond. Un jour, il a du travail, il est fatigué, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se précipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hésitation, comme si elles avaient dans la tête toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-être, pour quatre personnes ou plus aux goûts différents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmée par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarché. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il était en train d'écouter de la musique. Il a tout déballé avec un plaisir de gamin. Les poires étaient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournés au restau universitaire, j'ai oublié. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai étouffés. Sublimés. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de liberté, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du ménage, un peu. Et alors, tu renâcles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles réussissent à tout "concilier", sourire aux lèvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libérée de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'équilibre. L'homme, l'épaule solide, anti-métaphysique, dissipateur d'idées tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons même disparaîtront, je ris forcément, obscurément j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est égoïste et qu'il ne s'intéresse guère à ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient à mon secours : "Tous les hommes sont égoïstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altérité", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Mais un soir que j'étois assis près de la tombe où reposent Léonce et Delphine, tout à coup un remords s'éleva dans le fond de mon coeur, et je me reprochai d'avoir regardé leur destinée comme la plus funeste de toutes. Peut-être dans ce moment, mes amis, touchés de mes regrets, vouloient-ils me consoler, cherchoient-ils à me faire connoître qu'ils étoient heureux, qu'ils s'aimoient, et que l'Être-suprême ne les avoit point abandonnés, puisqu'il n'avoit pas permis qu'ils survécussent l'un à l'autre. Je passai la nuit à rêver sur le sort des hommes; ces heures furent les plus délicieuses de ma vie, et cependant le sentiment de la mort les a remplies tout entières; mais je n'en puis douter, du haut du ciel mes amis dirigeoient mes méditations; ils écartoient de moi ces fantômes de l'imagination qui nous font horreur du terme de la vie; il me sembloit qu'au clair de la lune, je voyois leurs ombres légères passer à travers les feuilles sans les agiter; une fois je leur ai demandé si je ne ferois pas mieux de les rejoindre, s'il n'étoit pas vrai que sur cette terre les âmes fières et sensibles n'avoient rien à attendre que des douleurs succédant à des douleurs; alors il m'a semblé qu'une voix, dont les sons se mêloient au souffle du vent, me disoit :—Supporte la peine, attends la nature, et fais du bien aux hommes.— J'ai baissé la tête, et je me suis résigné; mais, avant de quitter ces lieux, j'ai écrit, sur un arbre voisin de la tombe de mes amis, ce vers, la seule consolation des infortunés que la mort a privé des objets de leur affection: On ne me répond pas, mais peut-être on m'entend.»
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Madame de Staël (Delphine)
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Un jour, avec des yeux vitreux, ma mère me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dérision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, à la figure pâle et longue. Même, je te permets de te mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'éprouve le besoin de l'infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'après ce qu'on m'a dit. Ça m'étonne... je croyais être davantage! Au reste, que m'importe d'où je viens? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j'aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue: je ne serais pas si méchant. Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intérieur des cheminées : il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l'Etre suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Maldoror, écoute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence égale à la tienne. Un jour, tu m’appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n’ai pas démenti la confiance que tu m’avais vouée. Je ne suis qu’un simple habitant des roseaux, c’est vrai ; mais, grâce à ton propre contact, ne prenant que ce qu’il y avait de beau en toi, ma raison s’est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l’abîme. Ceux qui s’intitulent tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu’ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu’il porte son maître-fantôme, enveloppé dans un long manteau noir. Abandonne ces pensées, qui rendent ton cœur vide comme un désert ; elles sont plus brûlantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t’en aperçois pas, et que tu crois être dans ton naturel, chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d’une infernale grandeur. Malheureux ! qu’as-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ô triste reste d’une intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant d’amour ! Tu n’as engendré que des malédictions, plus affreuses que la vue de panthères affamées ! Moi, je préférerais avoir les paupières collées, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne pas être toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractère qui m’étonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui l’habitent, épave pourrie, ballottée par le scepticisme ? Si tu ne t’y plais pas, il faut retourner dans les sphères d’où tu viens. Un habitant des cités ne doit pas résider dans les villages, pareil à un étranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la nôtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas concevoir. Eh bien, va-t’en !… retire-toi de ce sol mobile !… montre enfin ton essence divine, que tu as cachée jusqu’ici ; et, le plus tôt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphère, que nous n’envions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu à reconnaître si tu es un homme ou plus qu’un homme ! Adieu donc ; n’espère plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour l’éternité, afin d’implorer ton pardon !
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Comte de Lautréamont