Moi Dix Mois Quotes

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Ce fut affreusement fort, sept annĂ©es d'Ă©motions vĂ©cues en dix secondes.C'Ă©tait donc cela, Rinri et moi :l'Ă©treinte fraternelle du samouraĂŻ , tellement plus beau et plus beau qu'une bĂȘte histoire d'amour...
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Amélie Nothomb (Ni d'Ève ni d'Adam)
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Dans le fond, je n’ignorais pas que mourir Ă  trente ans ou Ă  soixante-dix ans importe peu puisque, naturellement, dans les deux cas, d’autres hommes et d’autres femmes vivront, et cela pendant des milliers d’annĂ©es. Rien n’était plus clair, en somme. C’était toujours moi qui mourrais, que ce soit maintenant ou dans vingt ans.
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Albert Camus (L'étranger)
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Nous sommes deux, mon fils et moi, mais nous sommes plus forts que toutes les armĂ©es du monde. Je n’ai d’ailleurs pas plus de temps Ă  vous consacrer, je dois rejoindre Melvil qui se rĂ©veille de sa sieste. Il a dix-sept mois Ă  peine, il va manger son goĂ»ter comme tous les jours, puis nous allons jouer comme tous les jours, et toute sa vie ce petit garçon vous fera l’affront d’ĂȘtre heureux et libre. Car non, vous n’aurez pas sa haine non plus.
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Antoine Leiris (Vous n'aurez pas ma haine)
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J'ai dix-sept ans. Je ne sais pas que je n'aurai plus jamais dix-sept ans, je ne sais pas que la jeunesse, ça ne dure pas, que ça n'est qu'un instant, que ça disparaßt et quand on s'en rend compte il est trop tard, c'est fini, elle s'est volatilisée, on l'a perdue, certains autour de moi le pressentent et le disent pourtant, les adultes le répÚtent, mais je ne les écoute pas, leurs paroles roulent sur moi, ne s'accrochent pas, de l'eau sur les plumes d'un canard, je suis un idiot, un idiot insouciant.
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Philippe Besson (« ArrĂȘte avec tes mensonges »)
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Translations "Voulez-vous boire un verre, mademoiselle?" Would you like another drink, Miss? “Si vous comprenez, retrouvez-moi dans le placard dans dix minutes.” If you understand, meet me in the closet in ten minutes. “Je comprends. Et je dĂ©cline votre offre.” I do understand. And I decline your offer.
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Keri Lake (Nocticadia)
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Je la pris prÚs de la riviÚre Car je la croyais sans mari Tandis qu'elle était adultÚre Ce fut la Saint Jacques la nuit Par rendez vous et compromis Quand s'éteignirent les lumiéres Et s'allumÚrent les cri-cri Au coin des derniÚres enceintes Je touchai ses seins endormis Sa poitrine pour moi s'ouvrit Comme des branches de jacinthes Et dans mes oreilles l'empois De ses jupes amidonnées Crissait comme soie arrachée Par dix couteaux à la fois Les cimes d'arbres sans lumiÚre Grandissaient au bord du chemin Et tout un horizon de chiens Aboyaient loin de la riviÚre Quand nous avons franchi les ronces Les épines et les ajoncs Sous elle son chignon s'enfonce Et fait untrou dans le limon Quand ma cravate fut otée Elle retira son jupon Puis quand j'otai mon ceinturon Quatre corsages d'affilée Ni le nard ni les escargots N'eurent jamais la peau si fine Ni sous la lune les cristaux N'ont de lueur plus cristalline Ses cuisses s'enfuyaient sous moi Comme des truites effrayées L'une moitié toute embrasée L'autre moitié pleine de froid Cette nuit me vit galoper De ma plus belle chevauchée Sur une pouliche nacrée Sans bride et sans étriers ......
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Federico GarcĂ­a Lorca
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Il paraĂźt qu'Ă  soixante-dix ans, c'est le meilleur souvenir qu'il vous reste. Le sexe. C'est ma grand-mĂšre qui m'a dit ça. Elle m'a dit, tu sais quand on a mon Ăąge, les plus beaux souvenirs qu'il vous reste ce sont les nuits d'amour. C'est ses mots Ă  elle, mais je sais bien ce que ça veut dire. Ça veut dire qu'il n'y a rien de tel, aprĂšs avoir bien pris son pied, que de se coller contre un homme en lui tenant la bite encore toute chaude comme un petit Ă©cureuil endormi. Tricote-toi des souvenirs, elle me dit, ma grand-mĂšre, alors moi, je fais comme elle me dit et je me tricote des souvenirs pour me faire des pulls et des pulls pour quand je serai vieille et que j'aurai toujours froid. Parce que les vieux, ils ont toujours froid. Ils ont froid de ne plus pouvoir vivre les choses. C'est ça, qui donne froid, c'est de plus pouvoir s'assouvir, de plus pouvoir se donner Ă  fond Ă  ce qu'on a envie de vivre.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Avec une douceur qui me surprend, je lui explique que les temps sont diffĂ©rents, les lieux aussi. La France des annĂ©es quatre-vingt-dix dans laquelle s'est nichĂ©e mon adolescence n'est pas le Laos des annĂ©es cinquante. Ce qui demeure, c'est que, moi aussi, je veux aimer un homme et rester auprĂšs de lui. Au moment oĂč je prononce ces mots, je rĂ©alise pour la premiĂšre fois ce dessein. Je veux aimer un homme. ~ p 80-81
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Loo Hui Phang (L'Imprudence)
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Baise m'encor, rebaise-moi et baise Baise m'encor, rebaise-moi et baise ; Donne m'en un de tes plus savoureux, Donne m'en un de tes plus amoureux : Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise. Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j'apaise, En t'en donnant dix autres doucereux. Ainsi, mĂȘlant nos baisers tant heureux, Jouissons-nous l'un de l'autre Ă  notre aise. Lors double vie Ă  chacun en suivra. Chacun en soi et son ami vivra. Permets m'Amour penser quelque folie : Toujours suis mal, vivant discrĂštement, Et ne me puis donner contentement Si hors de moi ne fais quelque saillie.
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Louise LabĂ© (ƒuvres complĂštes: Sonnets, Elegies, DĂ©bat de folie et d'amour)
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Les gens que j'aime sont toujours loin de moi, et dans l'impossibilitĂ© de venir me trouver, alors que je peux Ă  tout instant remplir la maison d'hĂŽtes dont je ne me soucie pas le moins du monde. Peut-ĂȘtre, si je les voyais plus souvent, aimerais-je moins ces amis absents - du moins est-ce ce que je pense lorsque le vent hurle autour de la maison et que la nature paraĂźt submergĂ©e de chagrin. Il m'est d'ailleurs arrivĂ© quelquefois de souhaiter ne pas revoir de dix ans des amis pourtant trĂšs proches. Sans doute n'est-il pas d'amitiĂ© si forte qu'elle puisse rĂ©sister Ă  l'Ă©preuve du petit dĂ©jeuner auquel, Ă  la campagne, chacun se sent obligĂ© de paraĂźtre.
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Elizabeth von Arnim (Elizabeth and Her German Garden (Elizabeth))
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Mes pleurs ont redoublĂ©. C'Ă©tait comme un torrent irrĂ©sistible. Puisque j'Ă©tais incapable de m’arrĂȘter, j'ai pensĂ© Ă  tout un tas de choses tristes et nĂ©gatives, et j'ai nourri mon chagrin, jusqu'Ă  ce que les sanglots me fassent suffoquer. J'ai pensĂ© Ă  mes arriĂšre-grands-parents, morts de faim. À leurs corps lancĂ©s dans des incinĂ©rateurs par des inconnus qui les haĂŻssaient. Aux enfants qui avaient vĂ©cu ici, disparus avant l'heure parce qu'un pilote indiffĂ©rent avait appuyĂ© sur un bouton. À mon grand-pĂšre, privĂ© de ses parents, et Ă  papa, qui avait grandi avec le sentiment de ne pas avoir de pĂšre. À moi mĂȘme, enfin, sujet aux cauchemars et Ă  des Ă©pisodes de stress aigu, allongĂ© dans une maison en ruine, en train de pleurer Ă  chaudes larmes. Et tout ça, Ă  cause d'une blessures vieille de soixante-dix ans que j'avais reçue en hĂ©ritage, tel un cadeau empoisonnĂ©.
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Ransom Riggs (Miss Peregrine's Home for Peculiar Children (Miss Peregrine's Peculiar Children, #1))
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Eh bien, je mourrai donc. » Plus tĂŽt que d’autres, c’était Ă©vident. Mais tout le monde sait que la vie ne vaut pas la peine d’ĂȘtre vĂ©cue. Dans le fond, je n’ignorais pas que mourir Ă  trente ans ou Ă  soixante-dix ans importe peu puisque, naturellement, dans les deux cas, d’autres hommes et d’autres femmes vivront, et cela pendant des milliers d’annĂ©es. Rien n’était plus clair, en somme. C’était toujours moi qui mourrais, que ce soit maintenant ou dans vingt ans. À ce moment, ce qui me gĂȘnait un peu dans mon raisonnement, c’était ce bond terrible que je sentais en moi Ă  la pensĂ©e de vingt ans de vie Ă  venir. Mais je n’avais qu’à l’étouffer en imaginant ce que seraient mes pensĂ©es dans vingt ans quand il me faudrait quand mĂȘme en venir lĂ . Du moment qu’on meurt, comment et quand, cela n’importe pas, c’était Ă©vident. Donc (et le difficile c’était de ne pas perdre de vue tout ce que ce « donc » reprĂ©sentait de raisonnements), donc, je devais accepter le rejet de mon pourvoi.
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Albert Camus (L'Étranger)
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Esther n'Ă©tait certainement pas bien Ă©duquĂ©e au sens habituel du terme, jamais l'idĂ©e ne lui serait venue de vider un cendrier ou de dĂ©barrasser le relief de ses repas, et c'est sans la moindre gĂȘne qu'elle laissait la lumiĂšre allumĂ©e derriĂšre elle dans les piĂšces qu'elle venait de quitter (il m'est arrivĂ©, suivant pas Ă  pas son parcours dans ma rĂ©sidence de San Jose, d'avoir Ă  actionner dix-sept commutateurs); il n'Ă©tait pas davantage question de lui demander de penser Ă  faire un achat, de ramener d'un magasin oĂč elle se rendait une course non destinĂ©e Ă  son propre usage, ou plus gĂ©nĂ©ralement de rendre un service quelconque. Comme toutes les trĂšs jolies jeunes filles elle n'Ă©tait au fond bonne qu'Ă  baiser, et il aurait Ă©tĂ© stupide de l'employer Ă  autre chose, de la voir autrement que comme un animal de luxe, en tout choyĂ© et gĂ„tĂ©, protĂ©gĂ© de tout souci comme de toute tĂąche ennuyeuse ou pĂ©nible afin de mieux pouvoir se consacrer Ă  son service exclusivement sexuel. Elle n'en Ă©tait pas moins trĂšs loin d'ĂȘtre ce monstre d'arrogance, d'Ă©goĂŻsme absolu et froid, au, pour parler en termes plus baudelairiens, cette infernale petite salope que sont la plupart des trĂšs jolies jeunes filles; il y avait en elle la conscience de la maladie, de la faiblesse et de la mort. Quoique belle, trĂšs belle, infiniment Ă©rotique et dĂ©sirable, Esther n'en Ă©tait pas moins sensible aux infirmitĂ©s animales, parce qu'elle les connaissait ; c'est ce soir-lĂ  que j'en pris conscience, et que je me mis vĂ©ritablement Ă  l'aimer. Le dĂ©sir physique, si violent soit-il, n'avait jamais suffi chez moi Ă  conduire Ă  l'amour, il n'avait pu atteindre ce stade ultime que lorsqu'il s'accompagnait, par une juxtaposition Ă©trange, d'une compassion pour l'ĂȘtre dĂ©sirĂ© ; tout ĂȘtre vivant, Ă©videmment, mĂ©rite la compassion du simple fait qu'il est en vie et se trouve par lĂ -mĂȘme exposĂ© Ă  des souffrances sans nombre, mais face Ă  un ĂȘtre jeune et en pleine santĂ© c'est une considĂ©ration qui paraĂźt bien thĂ©orique. Par sa maladie de reins, par sa faiblesse physique insoupçonnable mais rĂ©elle, Esther pouvait susciter en moi une compassion non feinte, chaque fois que l'envie me prendrait d'Ă©prouver ce sentiment Ă  son Ă©gard. Étant elle-mĂȘme compatissante, ayant mĂȘme des aspirations occasionnelles Ă  la bontĂ©, elle pouvait Ă©galement susciter en moi l'estime, ce qui parachevait l'Ă©difice, car je n'Ă©tais pas un ĂȘtre de passion, pas essentiellement, et si je pouvais dĂ©sirer quelqu'un de parfaitement mĂ©prisable, s'il m'Ă©tait arrivĂ© Ă  plusieurs reprises de baiser des filles dans l'unique but d'assurer mon emprise sur elles et au fond de les dominer, si j'Ă©tais mĂȘme allĂ© jusqu'Ă  utiliser ce peu louable sentiment dans des sketches, jusqu'Ă  manifester une comprĂ©hension troublante pour ces violeurs qui sacrifient leur victime immĂ©diatement aprĂšs avoir disposĂ© de son corps, j'avais par contre toujours eu besoin d'estimer pour aimer, jamais au fond je ne m'Ă©tais senti parfaitement Ă  l'aise dans une relation sexuelle basĂ©e sur la pure attirance Ă©rotique et l'indiffĂ©rence Ă  l'autre, j'avais toujours eu besoin, pour me sentir sexuellement heureux, d'un minimum - Ă  dĂ©faut d'amour - de sympathie, d'estime, de comprĂ©hension mutuelle; l'humanitĂ© non, je n'y avais pas renoncĂ©. (La possibilitĂ© d'une Ăźle, Daniel 1,15)
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Michel Houellebecq
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— Ainsi tu as eu droit toi aussi aux sĂ©ances de bain forcĂ© ? s’exclama-t-il. — ForcĂ© et gelĂ©, rĂ©torqua Ellana en lui rendant son sourire. — Et l'escalade des tours ? — Uniquement la nuit quand il pleuvait. Sayanel t'a-t-il fait subir l'Ă©preuve des dix serrures ? — À ouvrir en dix secondes ? Tous les matins pendant trois mois. Le lancer de couteau dans le noir ? — Toutes les nuits depuis trois mois ! Et... Un raclement de gorge les interrompit. Sayanel et Jilano les regardaient, bras croisĂ©s, une lueur amusĂ©e dans les yeux. — Seriez-vous en train de vous plaindre ? demanda Sayanel. Je dois vous avertir que de la part d'Ă©lĂšves en qui nous avons placĂ© quelque espoir, ce serait malvenu ! Nillem rougit, mais Ellana ne se dĂ©monta pas. — Nous ne nous plaignons pas. Nous comparons simplement nos expĂ©riences afin de juger l'originalitĂ© de nos professeurs. Je dois avouer que je suis un peu déçue ! Sayanel se tourna vers Jilano. — Tu n'as pas rĂ©ussi, n'est-ce pas ? — À lui enseigner mesure et humilitĂ© ? Non. Sur ce plan-lĂ , j'admets un Ă©chec complet. — Et le reste ? — PlutĂŽt bien. Et toi ? — Ça va.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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C’est alors qu’Anne apparut ; elle venait du bois. Elle courait, mal d’ailleurs, maladroitement, les coudes au corps. J’eus l’impression subite, indĂ©cente, que c’était une vieille dame qui courait, qu’elle allait tomber. Je restai sidĂ©rĂ©e : elle disparut derriĂšre la maison, vers le garage. Alors, je compris brusquement et me mis Ă  courir, moi aussi, pour la rattraper. Elle Ă©tait dĂ©jĂ  dans sa voiture, elle mettait le contact. J’arrivai en courant et m’abattis sur la portiĂšre. « Anne, dis-je, Anne, ne partez pas, c’est une erreur, c’est ma faute, je vous expliquerai... » Elle ne m’écoutait pas, ne me regardait pas, se penchait pour desserrer le frein : « Anne, nous avons besoin de vous ! » Elle se redressa alors, dĂ©composĂ©e. Elle pleurait. Alors je compris brusquement que je m’étais attaquĂ©e Ă  un ĂȘtre vivant et sensible et non pas Ă  une entitĂ©. Elle avait dĂ» ĂȘtre une petite fille, un peu secrĂšte, puis une adolescente, puis une femme. Elle avait quarante ans, elle Ă©tait seule, elle aimait un homme et elle avait espĂ©rĂ© ĂȘtre heureuse avec lui dix ans, vingt ans peut-ĂȘtre. Et moi... ce visage, ce visage, c’était mon Ɠuvre. J’étais pĂ©trifiĂ©e, je tremblais de tout mon corps contre la portiĂšre.
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Françoise Sagan (Bonjour tristesse)
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S’il est quelquefois logique de s’en rapporter Ă  l’apparence des phĂ©nomĂšnes, ce premier chant finit ici. Ne soyez pas sĂ©vĂšre pour celui qui ne fait encore qu’essayer sa lyre : elle rend un son si Ă©trange ! Cependant, si vous voulez ĂȘtre impartial, vous reconnaĂźtrez dĂ©jĂ  une empreinte forte, au milieu des imperfections. Quant Ă  moi, je vais me remettre au travail, pour faire paraĂźtre un deuxiĂšme chant, dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardĂ©. La fin du dix-neuviĂšme siĂšcle verra son poĂšte (cependant, au dĂ©but, il ne doit pas commencer par un chef d’Ɠuvre, mais suivre la loi de la nature) ; il est nĂ© sur les rives amĂ©ricaines, Ă  l’embouchure de la Plata, lĂ  oĂč deux peuples, jadis rivaux, s’efforcent actuellement de se surpasser par le progrĂšs matĂ©riel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, Ă  travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre Ă©ternelle a placĂ© son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses. Adieu, vieillard, et pense Ă  moi, si tu m’as lu. Toi, jeune homme, ne dĂ©sespĂšre point ; car, tu as un ami dans le vampire, malgrĂ© ton opinion contraire. En comptant l’acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis !
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Le premier empereur est appelĂ© l'Empereur du Ciel. Il a dĂ©terminĂ© l'ordre du temps qu'il a divisĂ© en dix troncs cĂ©lestes et douze branches terrestres, le tout formant un cycle. Cet empereur vĂ©cut dix-huit mille ans. Le second empereur est l'Empereur de la Terre ; il vĂ©cut aussi dix-huit mille ans : on lui attribue la division du mois en trente jours. Le troisiĂšme empereur est l'Empereur des Hommes. Sous son rĂšgne apparaissent les premiĂšres Ă©bauches de la vie sociale. Il partage son territoire en neuf parties, et Ă  chacune d'elles il donne pour chef un des membres de sa famille. L'histoire cĂ©lĂšbre pour la premiĂšre fois les beautĂ©s de la nature et la douceur du climat. Ce rĂšgne eut quarante-cinq mille cinq cents ans de durĂ©e. Pendant ces trois rĂšgnes qui embrassent une pĂ©riode de quatre-vingt-un mille ans, il n'est question ni de l'habitation, ni du vĂȘtement. L'histoire nous dit que les hommes vivaient dans des cavernes, sans crainte des animaux, et la notion de la pudeur n'existait pas parmi eux. A la suite de quels Ă©vĂ©nements cet Ă©tat de choses se transforma-t-il ? L'histoire n'en dit mot. Mais on remarquera les noms des trois premiers empereurs qui comprennent trois termes, le ciel, la terre, les hommes, gradation qui conduit Ă  l'hypothĂšse d'une dĂ©cadence progressive dans l'Ă©tat de l'humanitĂ©.
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Tcheng-Ki-Tong (Les Chinois peints par eux-mĂȘmes)
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L’assemblĂ©e sentit que son prĂ©sident allait aborder le point dĂ©licat. Elle redoubla d’attention. « Depuis quelques mois, mes braves collĂšgues, reprit Barbicane, je me suis demandĂ© si, tout en restant dans notre spĂ©cialitĂ©, nous ne pourrions pas entreprendre quelque grande expĂ©rience digne du dix-neuviĂšme siĂšcle, et si les progrĂšs de la balistique ne nous permettraient pas de la mener Ă  bonne fin. J’ai donc cherchĂ©, travaillĂ©, calculĂ©, et de mes Ă©tudes est rĂ©sultĂ©e cette conviction que nous devons rĂ©ussir dans une entreprise qui paraĂźtrait impraticable Ă  tout autre pays. Ce projet, longuement Ă©laborĂ©, va faire l’objet de ma communication ; il est digne de vous, digne du passĂ© du Gun-Club, et il ne pourra manquer de faire du bruit dans le monde ! — Beaucoup de bruit ? s’écria un artilleur passionnĂ©. — Beaucoup de bruit dans le vrai sens du mot, rĂ©pondit Barbicane. — N’interrompez pas ! rĂ©pĂ©tĂšrent plusieurs voix. — Je vous prie donc, braves collĂšgues, reprit le prĂ©sident, de m’accorder toute votre attention. » Un frĂ©missement courut dans l’assemblĂ©e. Barbicane, ayant d’un geste rapide assurĂ© son chapeau sur sa tĂȘte, continua son discours d’une voix calme : « Il n’est aucun de vous, braves collĂšgues, qui n’ait vu la Lune, ou tout au moins, qui n’en ait entendu parler. Ne vous Ă©tonnez pas si je viens vous entretenir ici de l’astre des nuits. Il nous est peut-ĂȘtre rĂ©servĂ© d’ĂȘtre les Colombs de ce monde inconnu. Comprenez-moi, secondez-moi de tout votre pouvoir, je vous mĂšnerai Ă  sa conquĂȘte, et son nom se joindra Ă  ceux des trente-six États qui forment ce grand pays de l’Union ! — Hurrah pour la Lune ! s’écria le Gun-Club d’une seule voix.
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Jules Verne (From the Earth to the Moon)
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Les billes, je les aime tant et j'en ai tant gagnĂ© que je pourrais m'en emplir la bouche et tout le cordon intestinal, n'ĂȘtre plus qu'un bonhomme de billes : j'en ai plusieurs trousses que je dĂ©charge le soir dans une boĂźte Ă  chaussures. Quand ce n'est pas la saison du scoubidou et de la cocotte-surprise, et je me rejette dans la bataille. Je suis devenu le boss des billes, c'est moi qui ai lancĂ© la bille Ă  cent, une trouvaile : mes rivaux ne pratiquent que la bille Ă  dix. Chaque matin j'emporte une trousse vide, une trousse Ă  demi pleine, et dans mes poches quelques calots qui comptent pour dix. J'ai mon emplacement rĂ©servĂ©, juste Ă  droite de la porte qui mĂšne du prĂ©au Ă  la cour, tout contre le mur il y a dans le sool gris comme un minuscule coquetier qui semble taillĂ© tout exprĂšs pour que j'y mette ma bille, j'ai mon crĂ©neau, je le paye en billes, et j'ai mes employĂ©s qui surveillent les joueurs. Je calcule la distance qui doit ĂȘtre appropriĂ©e Ă  un tel lot : elle doit rendre la bille pratiquement invisible. Les billes pleuvent, je vĂ©rifie que ma petite bille ne bouge pas, je la fixe pour l'en empĂȘcher. Pendant ce temps-lĂ  mes employĂ©s ramassent les billes et en remplissent une de mes deux trousses ouvertes par terre, je les surveille Ă  peine, je les paye trop bien. Personne ne gagne. Quand mes deux trousses et toutes mes poches sont pleines Ă  craquer, et que les poches de mes employĂ©s sont aussi pas mal remplies, je retire ma bille adorĂ©e. Je fais toujours avant de disparaĂźtre une petite distribution gratuite, pour apaiser ceux qui se sont sauvagement dĂ©possĂ©dĂ©s ans cette mise insensĂ©e, je les fais courir en envoyant les grappes de billes Ă  pleines mains le plus loin possible. J'aime qu'aprĂšs cela, on me regarde avec reconnaissance.
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Hervé Guibert (My Parents (Masks))
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JULIETTE.—Oh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la libertĂ©. Terre vile, rends-toi Ă  la terre; que tout mouvement s’arrĂȘte, et qu’une mĂȘme biĂšre presse de son poids et RomĂ©o et toi. LA NOURRICE.—O Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que j’eusse! O aimable Tybalt, honnĂȘte cavalier, faut-il que j’aie vĂ©cu pour te voir mort! JULIETTE.—Quelle est donc cette tempĂȘte qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? RomĂ©o est-il tuĂ©, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chĂ©ri et mon Ă©poux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-lĂ  sont morts? LA NOURRICE.—Tybalt est mort, et RomĂ©o est banni: RomĂ©o, qui l’a tuĂ©, est banni. JULIETTE.—O Dieu! la main de RomĂ©o a-t-elle versĂ© le sang de Tybalt? LA NOURRICE.—Il l’a fait, il l’a fait! O jour de malheur! il l’a fait! JULIETTE.—O coeur de serpent cachĂ© sous un visage semblable Ă  une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angĂ©lique dĂ©mon, corbeau couvert des plumes d’une colombe, agneau transportĂ© de la rage du loup, mĂ©prisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais Ă  juste titre, damnable saint, traĂźtre plein d’honneur! O nature, qu’allais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de l’ñme d’un dĂ©mon? Jamais livre contenant une aussi infĂąme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais? LA NOURRICE.—Il n’y a plus ni sincĂ©ritĂ©, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! oĂč est mon valet? Donnez-moi un peu d’aqua vité
.. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit Ă  RomĂ©o! JULIETTE.—Maudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il n’est pas nĂ© pour la honte: la honte rougirait de s’asseoir sur son front; c’est un trĂŽne oĂč on peut couronner l’honneur, unique souverain de la terre entiĂšre. Oh! quelle brutalitĂ© me l’a fait maltraiter ainsi? LA NOURRICE.—Quoi! vous direz du bien de celui qui a tuĂ© votre cousin? JULIETTE.—Eh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre Ă©poux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je l’ai ainsi dĂ©chirĂ©? Mais pourquoi, traĂźtre, as-tu tuĂ© mon cousin? Ah! ce traĂźtre de cousin a voulu tuer mon Ă©poux.—Rentrez, larmes insensĂ©es, rentrez dans votre source; c’est au malheur qu’appartient ce tribut que par mĂ©prise vous offrez Ă  la joie. Mon Ă©poux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon Ă©poux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleurĂ©-je? Ah! c’est qu’il y a lĂ  un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui m’a assassinĂ©e.—Je voudrais bien l’oublier; mais, ĂŽ ciel! il pĂšse sur ma mĂ©moire comme une offense digne de la damnation sur l’ñme du pĂ©cheur. Tybalt est mort, et RomĂ©o est
.. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tuĂ© pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt Ă©tait un assez grand malheur, tout eĂ»t-il fini lĂ ; ou si les cruelles douleurs se plaisent Ă  marcher ensemble, et qu’il faille nĂ©cessairement que d’autres peines les accompagnent, pourquoi, aprĂšs m’avoir dit: «Tybalt est mort,» n’a-t-elle pas continuĂ©: «ton pĂšre aussi, ou ta mĂšre, ou tous les deux?» cela eĂ»t excitĂ© en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arriĂšre-garde qui a suivi la mort de Tybalt, RomĂ©o est banni; par ce seul mot, pĂšre, mĂšre, Tybalt, RomĂ©o, Juliette, tous sont assassinĂ©s, tous morts. RomĂ©o banni! Il n’y a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort qu’apporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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Quand elle Ă©tait petite, elle voulait m’épouser. J’étais son prince charmant. AnnĂ©e aprĂšs annĂ©e, j’avais bien vu dans son regard que le mythe s’était Ă©parpillĂ© dans les affres de la rĂ©alitĂ©. J’étais tombĂ© de mon piĂ©destal et, si je ne cherchais pas Ă  mentir sur qui j’étais, j’avais toujours eu envie qu’elle me voie au meilleur de ma forme. Au fond, je pouvais dire que nous n’avions jamais rĂ©ellement eu une relation saine. La preuve : cette incapacitĂ© physique d’aller voir son appartement, ce lieu oĂč elle vivait en femme. Il faudrait des siĂšcles pour admettre que nos enfants sont devenus adultes. On dit souvent qu’il est difficile de vieillir ; moi, je pourrais vieillir indĂ©finiment du moment que mes enfants, eux, ne grandiraient pas. Je ne sais pas pourquoi j’éprouvais tant de difficultĂ©s Ă  vivre cette transition que tout parent connaĂźt. Je n’avais pas l’impression qu’autour de moi les gens avaient les mĂȘmes. Pire, j’entendais des parents soulagĂ©s du dĂ©part de leurs enfants. Enfin, ils allaient retrouver la libertĂ©, disaient-ils. Il y avait ce film oĂč le garçon, Tanguy, s’éternisait chez ses parents, prolongeant sans cesse ses Ă©tudes. Le mien Ă©tait parti Ă  l’autre bout du monde dĂšs ses dix-huit ans. C’est toujours comme ça : ceux qui veulent se dĂ©barrasser de leurs enfants hĂ©ritent de boulets, tandis que ceux qui veulent couver Ă  loisir leur progĂ©niture se retrouvent avec des prĂ©coces de l’autonomie. Mon fils me manquait atrocement. Et je ne supportais plus d’échanger avec lui des messages par Skype, ou par e-mails. D’ailleurs, ces messages et ces moments virtuels Ă©taient de plus en plus courts. Nous n’avions rien Ă  nous dire. L’amour entre un parent et un enfant n’est pas dans les mots, pas dans la discussion. Ce que j’aimais, c’était simplement que mon fils soit lĂ , Ă  la maison. On pouvait ne pas se parler de la journĂ©e, ce n’était pas grave, je sentais sa prĂ©sence, ça me suffisait. Étais-je si tordu ? Je ne sais pas. Je ne peux qu’essayer de mettre des mots sur mes sentiments. Et je peux affirmer maintenant ce que je sais depuis le dĂ©but : je vis mal la sĂ©paration avec mes enfants. Elle me paraĂźt normale, justifiĂ©e, humaine, biologique, tout ce que vous voulez, pourtant elle me fait mal.
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David Foenkinos (Je vais mieux)
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— Je te devais soixante francs, te voilĂ  payĂ©, voleur ! dit la Maheude, enragĂ©e parmi les autres. Tu ne me refuseras plus crĂ©dit
 Attends ! attends ! il faut que je t’engraisse encore. De ses dix doigts, elle grattait la terre, elle en prit deux poignĂ©es, dont elle lui emplit la bouche, violemment. — Tiens ! mange donc !
 Tiens ! mange, mange, toi qui nous mangeais ! Les injures redoublĂšrent, pendant que le mort, Ă©tendu sur le dos, regardait, immobile, de ses grands yeux fixes, le ciel immense d’oĂč tombait la nuit. Cette terre, tassĂ©e dans sa bouche, c’était le pain qu’il avait refusĂ©. Et il ne mangerait plus que de ce pain-lĂ , maintenant. Ça ne lui avait guĂšre portĂ© bonheur, d’affamer le pauvre monde. Mais les femmes avaient Ă  tirer de lui d’autres vengeances. Elles tournaient en le flairant, pareilles Ă  des louves. Toutes cherchaient un outrage, une sauvagerie qui les soulageĂąt. On entendit la voix aigre de la BrĂ»lĂ©. — Faut le couper comme un matou ! — Oui, oui ! au chat ! au chat !
 Il en a trop fait, le salaud ! DĂ©jĂ , la Mouquette le dĂ©culottait, tirait le pantalon, tandis que la Levaque soulevait les jambes. Et la BrĂ»lĂ©, de ses mains sĂšches de vieille, Ă©carta les cuisses nues, empoigna cette virilitĂ© morte. Elle tenait tout, arrachant, dans un effort qui tendait sa maigre Ă©chine et faisait craquer ses grands bras. Les peaux molles rĂ©sistaient, elle dut s’y reprendre, elle finit par emporter le lambeau, un paquet de chair velue et sanglante, qu’elle agita, avec un rire de triomphe : — Je l’ai ! je l’ai ! Des voix aiguĂ«s saluĂšrent d’imprĂ©cations l’abominable trophĂ©e. Ah ! bougre, tu n’empliras plus nos filles ! — Oui, c’est fini de te payer sur la bĂȘte, nous n’y passerons plus toutes, Ă  tendre le derriĂšre pour avoir un pain. — Tiens ! je te dois six francs, veux-tu prendre un acompte ? moi, je veux bien, si tu peux encore ! Cette plaisanterie les secoua d’une gaietĂ© terrible. Elles se montraient le lambeau sanglant, comme une bĂȘte mauvaise, dont chacune avait eu Ă  souffrir, et qu’elles venaient d’écraser enfin, qu’elles voyaient lĂ , inerte, en leur pouvoir. Elles crachaient dessus, elles avançaient leurs mĂąchoires, en rĂ©pĂ©tant, dans un furieux Ă©clat de mĂ©pris : — Il ne peut plus ! il ne peut plus !
 Ce n’est plus un homme qu’on va foutre dans la terre
 Va donc pourrir, bon Ă  rien ! La BrĂ»lĂ©, alors, planta tout le paquet au bout de son bĂąton ; et, le portant en l’air, le promenant ainsi qu’un drapeau, elle se lança sur la route, suivie de la dĂ©bandade hurlante des femmes. Des gouttes de sang pleuvaient, cette chair lamentable pendait, comme un dĂ©chet de viande Ă  l’étal d’un boucher. En haut, Ă  la fenĂȘtre, Mme Maigrat ne bougeait toujours pas ; mais sous la derniĂšre lueur du couchant, les dĂ©fauts brouillĂ©s des vitres dĂ©formaient sa face blanche, qui semblait rire. Battue, trahie Ă  chaque heure, les Ă©paules pliĂ©es du matin au soir sur un registre, peut-ĂȘtre riait-elle, quand la bande des femmes galopa, avec la bĂȘte mauvaise, la bĂȘte Ă©crasĂ©e, au bout d’un bĂąton. Cette mutilation affreuse s’était accomplie dans une horreur glacĂ©e.
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Émile Zola (Germinal)
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je lui tendis les trois pommes vertes que je venais de voler dans le verger. Elle les accepta et m'annonça, comme en passant : — Janek a mangĂ© pour moi toute sa collection de timbres-poste. C'est ainsi que mon martyre commença. Au cours des jours qui suivirent, je mangeai pour Valentine plusieurs poignĂ©es de vers de terre, un grand nombre de papillons, un kilo de cerises avec les noyaux, une souris, et, pour finir, je peux dire qu'Ă  neuf ans, c'est-Ă -dire bien plus jeune que Casanova, je pris place parmi les plus grands amants de tous les temps, en accomplissant une prouesse amoureuse que personne, Ă  ma connaissance, n'est jamais venu Ă©galer. Je mangeai pour ma bien-aimĂ©e un soulier en caoutchouc. Ici, je dois ouvrir une parenthĂšse. Je sais bien que, lorsqu'il s'agit de leurs exploits amoureux, les hommes ne sont que trop portĂ©s Ă  la vantardise. A les entendre, leurs prouesses viriles ne connaissent pas de limite, et ils ne vous font grĂące d'aucun dĂ©tail. Je ne demande donc Ă  personne de me croire lorsque j'affirme que, pour ma bien-aimĂ©e, je consommai encore un Ă©ventail japonais, dix mĂštres de fil de coton, un kilo de noyaux de cerises — Valentine me mĂąchait, pour ainsi dire, la besogne, en mangeant la chair et en me tendant les noyaux — et trois poissons rouges, que nous Ă©tions allĂ©s pĂȘcher dans l'aquarium de son professeur de musique. Dieu sait ce que les femmes m'ont fait avaler dans ma vie, mais je n'ai jamais connu une nature aussi insatiable. C'Ă©tait une Messaline doublĂ©e d'une ThĂ©odora de Byzance. AprĂšs cette expĂ©rience, on peut dire que je connaissais tout de l'amour. Mon Ă©ducation Ă©tait faite. Je n'ai fait, depuis, que continuer sur ma lancĂ©e. Mon adorable Messaline n'avait que huit ans, mais son exigence physique dĂ©passait tout ce qu'il me fut donnĂ© de connaĂźtre au cours de mon existence. Elle courait devant moi, dans la cour, me dĂ©signait du doigt tantĂŽt un tas de feuilles, tantĂŽt du sable, ou un vieux bouchon, et je m'exĂ©cutais sans murmurer. Encore bougrement heureux d'avoir pu ĂȘtre utile. A un moment, elle s'Ă©tait mise Ă  cueillir un bouquet de marguerites, que je voyais grandir dans sa main avec apprĂ©hension — mais je mangeai les marguerites aussi, sous son oeil attentif — elle savait dĂ©jĂ  que les hommes essayent toujours de tricher, dans ces jeux-lĂ  — oĂč je cherchais en vain une lueur d'admiration. Sans une marque d'estime ou de gratitude, elle repartit en sautillant, pour revenir, au bout d'un moment, avec quelques escargots qu'elle me tendit dans le creux de la main. Je mangeai humblement les escargots, coquille et tout. A cette Ă©poque, on n'apprenait encore rien aux enfants sur le mystĂšre des sexes et j'Ă©tais convaincu que c'Ă©tait ainsi qu'on faisait l'amour. J'avais probablement raison. Le plus triste Ă©tait que je n'arrivais pas Ă  l'impressionner. J'avais Ă  peine fini les escargots qu'elle m'annonçait nĂ©gligemment : — Josek a mangĂ© dix araignĂ©es pour moi et il s'est arrĂȘtĂ© seulement parce que maman nous a appelĂ©s pour le thĂ©. Je frĂ©mis. Pendant que j'avais le dos tournĂ©, elle me trompait avec mon meilleur ami. Mais j'avalai cela aussi. Je commençais Ă  avoir l'habitude. (La promesse de l'aube, ch.XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Outre les diffĂ©rentes formes de propagande dont il a Ă©tĂ© question dans ce chapitre, il faut encore en mentionner une autre qui semble tout Ă  fait spĂ©ciale au thĂ©osophisme et Ă  quelques sectes amĂ©ricaines qui lui sont plus ou moins apparentĂ©es : c’est ce qu’on appelle la « propagande mentale ». Voici comment Mme Besant explique ce qu’il faut entendre par lĂ  : « Un groupe d’hommes qui ont des convictions communes, un groupe de thĂ©osophes, par exemple, peuvent contribuer dans une large mesure Ă  rĂ©pandre les idĂ©es thĂ©osophiques dans leur entourage immĂ©diat, s’ils s’entendent pour consacrer, en mĂȘme temps, dix minutes par jour Ă  la mĂ©ditation de quelque enseignement thĂ©osophique. Il n’est pas nĂ©cessaire que leurs personnes soient rĂ©unies en un mĂȘme lieu, pourvu que leurs esprits soient unis. Supposons un petit groupe ayant dĂ©cidĂ© de mĂ©diter sur la rĂ©incarnation dix minutes par jour, Ă  une heure convenue, pendant trois ou six mois. Des formes-pensĂ©es trĂšs puissantes viendraient assaillir en foule la rĂ©gion choisie, et l’idĂ©e de rĂ©incarnation pĂ©nĂ©trerait dans un nombre considĂ©rable d’esprits. On s’informerait, on chercherait des livres sur le sujet, et une confĂ©rence sur la question, aprĂšs une prĂ©paration de ce genre, attirerait un public trĂšs avide d’informations et trĂšs intĂ©ressĂ© Ă  l’avance. Un progrĂšs hors de proportion avec les moyens physiques employĂ©s se rĂ©alise partout oĂč des hommes et des femmes s’entendent sĂ©rieusement au sujet de cette propagande mentale » (Le Pouvoir de la PensĂ©e, sa maĂźtrise et sa culture, pp. 178-179). Fait important Ă  noter, c’est Ă  des pratiques de ce genre que se rattache l’origine de la fameuse coutume des « minutes de silence », qui a Ă©tĂ© importĂ©e en Europe par les AmĂ©ricains, et qui est devenue, depuis la guerre, un des principaux Ă©lĂ©ments de presque toutes les commĂ©morations officielles ; il y aurait d’ailleurs beaucoup Ă  dire, d’une façon plus gĂ©nĂ©rale, sur les dĂ©viations pseudo-religieuses inhĂ©rentes Ă  l’espĂšce de « culte civique » dont cette coutume fait partie.
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René Guénon (Theosophy: History of a Pseudo-Religion (Collected Works of Rene Guenon))
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Ainsi, j'avais appris comment mon pays avait Ă©tĂ© conquis par la France. On ne m'en avait jamais parlĂ©. Ce n'Ă©tait pas que nos aĂźnĂ©s voulaient dissimuler ce pan de notre histoire peu glorieux mais ils en Ă©taient ignorants. Un coup d'Ă©ventail. Le dey Hussein d'Alger - sorte d'administrateur -, qui gĂ©rait l'AlgĂ©rie pour le compte de l'empire ottoman, avait exigĂ© du reprĂ©sentant du roi Charles X qu'il honore la dette de son pays. À l'Ă©poque, l'AlgĂ©rie Ă©tait le premier exportateur de cĂ©rĂ©ales pour la France. Le reprĂ©sentant de Charles X avait mĂ©prisĂ© Hussein, arguant qu'un sous-fifre ne donnait pas d'ordre au roi de France. Hussein, humiliĂ© et ridiculisĂ© devant sa cour, l'avait souffletĂ© trois fois avec son Ă©ventail. Quelques mois plus tard, Charles X envoyait son armada corriger la piĂštre armĂ©e du Dey Hussein. Battu sans livrer combat, il avait Ă©tĂ© chassĂ© comme un malpropre d'Alger. Quatre-vingt-dix ans plus tard, des hommes comme moi se retrouvaient Ă  porter l'uniforme pour dĂ©fendre cette France qui nous avait mis Ă  genoux.
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Akli Tadjer (d'Amour et de Guerre)
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Les hommes avaient cette odeur et je l'absorbais en touchant les algues, les flotteurs en liĂšge, les nasses. Alors, pas de savon ni de shampoing, c'Ă©taient la mer et le sable bouillant qui s'occupaient de nettoyer le corps. Les cils jaunissaient, les cheveux se dĂ©coloraient en blond, la peau prenait la consistance d'une gousse de caroube. La libertĂ© Ă©tait de s'Ă©paissir, d'avoir une Ă©corce qui grouillait de poils jaunes. L'Ăźle apprenait Ă  ĂȘtre une bĂȘte pour soi, elle donnait au cours la force d'une frontiĂšre. [...] Loin de son rayon, je suis un Ă©tranger. La derniĂšre saison Ă  l’ñge de dix-sept ans environ, avant de me dĂ©tacher de tout, une fille observait mes grains de beautĂ© et y voyait des constellations. Elle appelait ma peau du nom d'un ciel du Sud et un soir, aprĂšs beaucoup de mer, elle l'a embrassĂ©e en disant plus Ă  elle qu'Ă  moi-mĂȘme: "Comme elles sont salĂ©es tes Ă©toiles.
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Erri De Luca (Il piĂč e il meno)
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La premiĂšre fois que j’ai eu affaire Ă  la pleine conscience, ça m’a vraiment mis le stress. Ma femme, Katharina, voulait m’obliger Ă  me dĂ©tendre. Pour que je travaille sur mon manque de disponibilitĂ©, de fiabilitĂ© et mes valeurs tordues. Pour redonner une chance Ă  notre mariage. Elle voulait rĂ©cupĂ©rer le jeune homme Ă©quilibrĂ©, ambitieux et plein d’idĂ©aux dont elle Ă©tait tombĂ©e amoureuse dix ans plus tĂŽt. Si, Ă  un moment quelconque, j’avais osĂ© dire Ă  ma femme que j’aurais bien aimĂ© moi aussi retrouver le corps dont j’étais tombĂ© amoureux dix ans avant, notre mariage se serait terminĂ© lĂ . Avec raison, Ă©videmment. Le temps peut bien sĂ»r laisser des traces sur le corps d’une femme. Mais pas sur l’ñme d’un homme, apparemment. Du coup, au lieu que ma femme aille chez le chirurgien esthĂ©tique avec son corps, j’ai emmenĂ© mon Ăąme Ă  un entraĂźnement Ă  la pleine conscience.
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Karsten Dusse (Achtsam morden (Achtsam morden #1))
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Le regard de Cadenat se voila. — Oui. Nous nous sommes connus Ă  la Foire du livre de Londres il y a cinq ans. Elle la couvrait pour son blog, et moi, quoique retraitĂ©, j’étais au stand de ma maison d’édition. Nous nous sommes liĂ©s tout de suite. Vous me direz : que peuvent donc avoir en commun un homme de soixante-dix ans passĂ©s et une femme de mĂȘme pas trente ans ? Les livres bien sĂ»r ! Il n’y a pas d’ñge pour ça. Nous avons causĂ© littĂ©rature, poĂ©sie, et peu Ă  peu la conversation a glissĂ© vers les voyages. Les vrais, pas ceux de papier. J’ai mentionnĂ© que j’avais une maison en GrĂšce oĂč je passais mes vacances et elle m’a demandĂ© de la dĂ©crire. Sa voix se brisa sous le poids du souvenir. — Elle m’a dit « Ça ressemble au paradis »
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Christos Markogiannakis (ΜυΞÎčστόρηΌα ΌΔ ÎșλΔÎčÎŽÎŻ)
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Parmi les évacués, il y a bizarrement beaucoup d'épouses d'employés du comité du parti de la ville de Kiev. Au début, elles étaient fortes et solides. [...] Six mois plus tard, je ne la reconnaissais plus : sans aucun bain de Narzan, elle a maigri d'au moins dix kilos. [...] Que mangeaient-elles à Kiev alors ?
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Aleksandr Pavlovic Cudakov (Anton)
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ï»żLes anonymes (R.J. Ellory) - Votre surlignement sur la page 565 | emplacement 8658-8662 | AjoutĂ© le lundi 12 janvier 2015 00:23:27 s’empara de nouveau de sa liste, cette feuille de papier qui dĂ©voilait un paysage plus horrible que tout ce qu’il aurait pu imaginer. Des dizaines d’initiales et de dates d’assassinats derriĂšre lesquelles il avait du mal Ă  dĂ©celer un seul et unique mobile. Pourtant, ça s’était dĂ©jĂ  vu dans le passĂ©. La mort de soixante-quatre tĂ©moins essentiels aprĂšs l’assassinat de John Kennedy. Des accidents de voiture. Des chutes malencontreuses. Des suicides. Des crises cardiaques. Le tout en l’espace de dix-huit mois. Or voilĂ  qu’il se retrouvait face Ă  une affaire d’une ampleur similaire. ==========
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Anonymous
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AprĂšs nous ĂȘtre servis de la supputation adoptĂ©e par les Grecs, il nous faut, pour exposer le tableau des plus longues sĂ©ries d'annĂ©es, nous aider aussi de la chronologie adoptĂ©e par les barbares. Depuis Adam jusqu'au dĂ©luge ils comptent deux mille cent quarante-huit ans quatre jours. Depuis Sem jusqu'Ă  Abraham, douze cent cinquante ans. Depuis Isaac jusqu'au partage de la terre promise, six cent seize ans. Depuis les juges jusqu'Ă  Samuel, quatre cent soixante trois ans sept mois. Aux juges succĂšde le gouvernement royal, qui dure cinq cent soixante-douze ans six mois dix jours. AprĂšs les rois de Juda s'Ă©lĂšve l'empire des Perses qui dure deux cent trente-cinq ans. AprĂšs l'empire des Perses, l'empire des MacĂ©doniens, qui depuis Alexandre jusqu'Ă  la mort d'Antoine, reprĂ©sente un total de trois cent douze ans et dix-huit jours. Viennent ensuite les empereurs Romains ; et depuis Auguste jusqu'Ă  la mort de Commode, deux cent vingt-deux ans se sont Ă©coulĂ©s. Depuis la fin de la captivitĂ© de soixante-dix ans et du retour des Juifs dans leur patrie, jusqu'Ă  la nouvelle servitude qui les frappa sous le rĂšgne de Vespasien, on compte quatre cent dix ans. Enfin, depuis Vespasien jusqu'Ă  la mort de Commode, cent vingt et un ans, six mois vingt-quatre jours.
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Clement of Alexandria (Miscellanies (Stromata))
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Il n'est pas hors de propos, je crois, pour bien Ă©tablir l'Ă©poque oĂč le Sauveur est nĂ©, d'exposer maintenant l'histoire chronologique des empereurs romains. Auguste rĂ©gna quarante-trois ans, TibĂšre vingt-deux ans, CaĂŻus quatre ans, Claude quatorze ans, NĂ©ron quatorze ans, Galba un an, Vespasien dix ans, Titus trois ans, Domitien quinze ans, Nerva un an, Trajan dix-neuf ans, Adrien vingt et un ans, et Antonin vingt et un ans. Puis le rĂ©gne de Marc-AurĂšle, surnommĂ© Antonin, et celui de Commode, donnent ensemble trente-deux ans. Depuis Auguste jusqu'Ă  Commode il s'est donc Ă©coulĂ© deux cent vingt-deux ans, et depuis Adam jusqu'Ă  la mort de Commode, cinq mille sept cent quatre-vingt-quatre ans deux mois douze jours.
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Clement of Alexandria (Miscellanies (Stromata))
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Car, si l'on rĂ©unit les deux premiĂšres annĂ©es de ce rĂšgne aux dix-sept mois et huit jours Ă©coulĂ©s pendant les rĂšgnes de Galba, d'Othon et de Vitellius, on obtient de la sorte trois ans et six mois, qui reprĂ©sentent la moitiĂ© de la semaine dont parle le prophĂšte Daniel. En effet, il a dit qu'il s'Ă©coulerait deux mille trois cents jours, depuis l'Ă©poque oĂč NĂ©ron jetterait l'abomination dans la ville sainte, jusqu'Ă  la destruction de cette ville. C'est ce que marquent ces paroles de l'Écriture : « Jusques Ă  quand la vision et l'abolition du sacrifice, et la dĂ©solation du pĂ©chĂ© commis? Jusques Ă  quand sera foulĂ© aux pieds le sanctuaire et sa force? Et il lui dit : Jusqu'au soir et au matin, deux mille et trois cents jours, et le sanctuaire sera dĂ©truit. »
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Clement of Alexandria (Miscellanies (Stromata))
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Parce que moi, je vais toujours aux rendez-vous. De toute ma vie, je n'en ai pas ratĂ© un seul. J'aime dĂ©couvrir la personne qui m'attend ou que j'attends. Sa lĂ©gĂšre inquiĂ©tude qui s'Ă©vapore Ă  la seconde oĂč je parais. Pour rien au monde je ne manquerais l'Ă©vaporation d'une inquiĂ©tude.
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Pierre Charras (Dix-neuf secondes)
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L'inconvĂ©nient majeur de la liaison passagĂšre, du point de vue de l'Ă©conomie sexuelle, c'est qu'elle ne permet pas une adaptation sensuelle des partenaires aussi complĂšte que la liaison durable, ni par consĂ©quent une satisfaction sexuelle aussi complĂšte. Du point de vue de l'Ă©conomie sexuelle, c'est lĂ  l'objection sĂ©rieuse Ă  la liaison passagĂšre et le meilleur argument en faveur de liaison durable. Les champions du mariage pousseront ici un soupir d'aise, croyant pouvoir rĂ©introduire frauduleusement le moralisme monogamique. Mais nous serons obligĂ©s de les dĂ©cevoir Ă  nouveau : quand nous parlons de liaison durable, nous ne fixons pas de limites de temps ; du point de vue de l'Ă©conomie sexuelle, il se peut que cet liaison dure des semaines, des mois, deux ans ou dix ans ; et nous ne disons pas non plus que cette relation doit ou devrait ĂȘtre monogamique ; car nous ne fixons pas de normes. (p. 193)
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Wilhelm Reich (The Sexual Revolution: Toward a Self-governing Character Structure)
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À dix-sept ans, je voyais juste l'hostie de consommation dans la vie. Accumuler, accumuler, se faire croire qu'on vit en marquant son territoire de toutes les merdes que la sociĂ©tĂ© de consommation nous prĂ©sente comme essentielles. Pour moi, Ă  ce moment-lĂ , j'avais l'impression que la seule maniĂšre de contourner ça, c'Ă©tait de devenir nomade.
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Michel Vézina (La machine à orgueil)
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L'idĂ©e commune que les bonnes habitudes qui ne nous ont pas Ă©tĂ© inculquĂ©es de force dans notre prime enfance ne peuvent se dĂ©velopper en nous plus tard dans la vie est une idĂ©e avec laquelle nous avons Ă©tĂ© Ă©levĂ©s et que nous acceptons aveuglĂ©ment, tout simplement parce qu'elle n'a jamais Ă©tĂ© contestĂ©e. Pour ma part, je la renie. La libertĂ© est nĂ©cessaire Ă  l'enfant parce que seule la libertĂ© peut lui permettre de grandir naturellement -- de la bonne façon. Je vois les rĂ©sultats de l'asservissement dans mes nouveaux Ă©lĂšves en provenance d'Ă©coles secondaires de toutes sortes. Ils ne sont qu'un tas d'hypocrites, avec une fausse politesse et des maniĂšres affectĂ©es. Leur rĂ©action devant la libertĂ© est rapide et exaspĂ©rante. Pendant les deux premiĂšres semaines ils tiennent les portes pour laisser passer leurs professeurs, ils m'appellent "Monsieur" et se lavent soigneusement. Ils regardent dans ma direction avec respect, ce que je reconnais facilement comme de la crainte. AprĂšs quelques semaines de libertĂ©, ils montrent leur vrai visage. Ils deviennent impudents, sans maniĂšres, crasseux. Ils font toutes les choses qui leur ont Ă©tĂ© dĂ©fendues dans le passĂ© : ils jurent, ils fument, ils cassent des objets. Et pendant tout ce temps ils ont une expression polie et fausse dans les yeux et dans la voix. Il leur faut dix mois pour perdre leur hypocrisie. AprĂšs cela ils perdent leur dĂ©fĂ©rence envers ce qu'ils regardaient auparavant comme l'autoritĂ©. Au bout de dix mois environ, ce sont des enfants naturels et sains qui disent ce qu'ils pensent, sans rougir, ni haĂŻr. Quand un enfant grandit librement dĂšs son jeune Ăąge, il n'a pas besoin de traverser ce stade de mensonge et de comĂ©die. La chose la plus frappante Ă  Summerhill, c'est la sincĂ©ritĂ© de ses Ă©lĂšves. La question de sincĂ©ritĂ© dans la vie et vis-Ă -vis de la vie est primordiale. C'est ce qu'il y a de plus primordial au monde. Chacun rĂ©alise la valeur de la sincĂ©ritĂ© de la part de nos politiciens (tel est l'optimisme du monde), de nos juges, de nos magistrats, de nos professeurs, de nos mĂ©decins. Cependant, nous Ă©duquons nos enfants de telle façon qu'ils n'osent ĂȘtre sincĂšres. (p. 154-155)
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A.S. Neill (Summerhill: A Radical Approach to Child Rearing)
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Le désir est pour moi une bonne mesure de la vitalité d'un couple. Son absence n'est absolument due ni à l'habitude ni à ce qu'on aurait "fait le tour de la question" en dix ans, encore moins à ce qu'on se connaisse trop. La réalité est plus on se connaßt, plus on se découvre, plus on a confiance l'un dans l'autre, plus on explore de nouveaux espaces. [
] Les sentiments d'injustice, les frustrations, les sentiments croisés de culpabilités, de honte, les colÚres non exprimées et, plus généralement, tous les non-dits sont bien davantage à la source de l'effondrement de la vie sexuelle qu'une prétendue usure. Tout déséquilibre de la loi de réciprocité, tout ce qui crée un décalage dans l'investissement de l'un ou de l'autre est susceptible d'altérer la qualité de l'intimité, donc le désir. (p. 62)
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Isabelle Filliozat (Un zeste de conscience dans la cuisine)
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Ce sont des gosses en Ă©chec scolaire, m'explique-t-il, la mĂšre est seule le plus souvent, certains ont dĂ©jĂ  eu des ennuis avec la police, ils ne veulent pas entendre parler des adultes, ils se retrouvent dans des classes relais, quelque chose comme tes classes amĂ©nagĂ©es des annĂ©es soixante-dix, je suppose. Je prends les caĂŻds, les petits chefs de quinze ou seize ans, je les isole provisoirement du groupe, parce que c'est le groupe qui les tue, toujours, il les empĂȘche des e constituer, je leur colle une camĂ©ra dans les mains et je leur confie un de leurs potes Ă  interviewer, un gars qu'ils choisissent eux-mĂȘmes. Ils font l'interview seuls dans un coin, loin des regards, ils reviennent, et nous visionnons le film tous ensemble, avec le groupe, cette fois. Ça ne rate jamais : l'interviewĂ© joue la comĂ©die habituelle devant l'objectif, et celui qui filme entre dans son jeu. Ils font les mariolles, ils en rajoutent sur leur accent, ils roulent des mĂ©caniques dans leur vocabulaire de quatre sous en gueulant le plus fort possible, comme moi quand j'Ă©tais mĂŽme, ils en font des caisses, comme s'ils s'adressaient au groupe, comme si le seul spectateur possible, c'Ă©tait le groupe, et pendant la projection leurs copains se marrent. Je projette le film une deuxiĂšme, une troisiĂšme, une quatriĂšme fois. Les rires s'espacent, deviennent moins assurĂ©s. L'intervieweur et l'interviewĂ© sentent monter quelque chose de bizarre, qu'ils n'arrivent pas Ă  identifier. À la cinquiĂšme ou Ă  la sixiĂšme projection, une vraie gĂȘne s'installe entre leur public et eux. À la septiĂšme ou Ă  la huitiĂšme (je t'assure, il m'est arrivĂ© de projeter neuf fois le mĂȘme film !), ils ont tous compris, sans que je le leur explique, que ce qui remonte Ă  la surface de ce film, c'est la frime, le ridicule, le faux, leur comĂ©die ordinaire, leurs mimiques de groupe, toutes leurs Ă©chappatoires habituelles, et que ça n'a pas d'intĂ©rĂȘt, zĂ©ro, aucune rĂ©alitĂ©. Quand ils ont atteint ce stade de luciditĂ©, j'arrĂȘte les projections et je les renvoie avec la camĂ©ra refaire l'interview, sans explication supplĂ©mentaire. Cette fois on obtient quelque chose de plus sĂ©rieux, qui a un rapport avec leur vie rĂ©elle ; ils se prĂ©sentent, ils disent leur nom, leur prĂ©nom, ils parlent de leur famille, de leur situation scolaire, il y ades silences, ils cherchent leurs mots, on les voit rĂ©flĂ©chir, celui qui rĂ©pond autant que celui qui questionne, et, petit Ă  petit, on voit apparaĂźtre l'adolescence chez ces adolescents, ils cessent d'ĂȘtre des jeunes quis 'amusent Ă  faire peur, ils redeviennent des garçons et des filles ed leur Ăąge, quinze ans, seize ans, leur adolescence traverse leur apparence, elle s'impose, leurs vĂȘtements, leurs casquettes redeviennent des accessoires, leur gestuelle s'attĂ©nue, instinctivement celui qui filme resserre le cadre, il zoome, c'est leur visage qui compte maintenant, on dirait que l'interviewer Ă©coute le visage de l'autre, et sur ce visage, ce qui apparaĂźt, c'est l'effort de comprendre, comme s'ils s'envisageaient pour la premiĂšre fois tels qu'ils sont : lis font connaissance avec la complexitĂ©. (p. 236-237)
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Daniel Pennac (Chagrin d'école)
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Mais il y a une chose que je vais vous dire ; ça devrait pas exister. Je le dis comme je le pense. Je comprendrai jamais pourquoi l’avortement, c’est seulement autorisĂ© pour les jeunes et pas pour les vieux. Moi je trouve que le type en AmĂ©rique qui a battu le record du monde comme lĂ©gume, c’est encore pire que JĂ©sus parce qu’il est restĂ© sur sa croix dix-sept ans et des poussiĂšres. Moi je trouve qu’il n’y a pas plus dĂ©gueulasse que d’enfoncer la vie de force dans la gorge des gens qui ne peuvent pas se dĂ©fendre et qui ne veulent plus servir.
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Émile Ajar (La vie devant soi)
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Je prends le globe du Damien et regarde longuement l’immense boucle tracĂ©e depuis le dĂ©part. Plymouth si prĂšs, dix mille milles Ă  peine vers le nord
 mais partir de Plymouth pour rentrer Ă  Plymouth, c’est devenu au fil du temps comme partir de nulle part pour aller nulle part. C’est formidable, ce petit globe que je tiens dans mes mains ! Et nous sommes seuls, mon bateau et moi. Seuls avec la mer immense pour nous tout seuls.
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Bernard Moitessier (The Long Way)
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Un jour, au debut des annees soixante-dix, pendant l'occupation russe du pays, tous les deux chasses de nos emplois, tous les deux en mauvaise sante, ma femme et moi sommes alles voir, dans un hopital de la banlieue de Prague, un grand medicin, ami de tous les opposants, un vieux sage juif, comme nous l'appelions, le professeur Smahel. Nous y avons rencontre E., un journaliste, lui aussi chasse de partout, lui aussi en mauvaise sante, et tous les quatre nous sommes restes longtemps a bavarder, heureux de l'atmosphere de sympathie mutuelle. Pour le retour, E. nous a pris dans sa voiture et s'est mis a parler de Bohumil Hrabal, alors le plus grand ecrivain tcheque vivant; d'une fantaisie sans bornes, feru d'experiences plebeiennes (ses romans sont peuples des gens les plus ordinaires), il etait tres lu et tres aime (toute la vague de la jeune cinematographie tcheque l'a adore comme son saint patron). Il etait profondement apolitique. Ce qui, dans un regime pour lequel 'tout etait politique', n'etait pas innocent: son apolitisme se moquait du monde ou sevissaient les ideologies. C'est pour cela qu'il s'est trouve pendant longtemps dans une relative disgrace (inutilisable qu'il etait pour tous les engagements officiels), mais c'est pour ce meme apolitisme (il ne s'est jamais engage contre le regime non plus) que, pendant l'occupation russe, on l'a laisse en paix et qu'il a pu, comme ci, comme ca, publier quelques livres. E. l'injuriait avec fureur: Comment peut-il accepter qu'on edite ses livres tandis que ses collegues sont interdits de publication? Comment peut-il cautionner ainsi le regime? Sans un seul mot de protestation? Son comportement est detestable et Hrabal est un collabo. J'ai reagi avec le meme fureur: Quelle absurdite de parler de collaboration si l'esprit des livres de Hrabal, leur humour, leur imagination sont le contraire meme de la mentalite qui nous gouverne et veut nous etouffer dans sa camisole de force? Le monde ou l'on peut lire Hrabal est tout a fait different de celui ou sa voix ne serait pas audible. Un seul livre de Hrabal rend un plus grand service aux gens, a leur liberte d'esprit, que nous tous avec nos gestes et nos proclamations protestataires! La discussion dans la voiture s'est vite transformee en querrelle haineuse. En y repensant plus tard, etonne par cette haine (authentique et parfaitement reciproque), je me suis dit: notre entente chez le medicin etait passagere, due aux circonstances historiques particulieres qui faisaient de nous des persecutes; notre desaccord, en revanche, etait fondamental et independant des circonstances; c'etait le desaccord entre ceux pour qui la lutte politique est superieure a la vie concrete, a l'art, a la pensee, et ceux pour qui le sens de la politique est d'etre au service de la vie concrete, de l'art, de la pensee. Ces deux attitudes sont, peut-etre, l'une et l'autre legitimes, mais l'une avec l'autre irreconciliables.
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Milan Kundera (Encounter)
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À trente ans, ce colosse au crĂąne rasĂ© en a dĂ©jĂ  passĂ© dix en prison et, comme il le dit joliment, « vit entourĂ© de crimes comme les habitants d’une forĂȘt vivent entourĂ©s d’arbres ». Cela ne l’empĂȘche pas d’ĂȘtre un homme paisible, d’humeur toujours joyeuse, en qui se mĂȘlent les traits du fol en Christ russe et de l’ascĂšte oriental. ÉtĂ© comme hiver, mĂȘme quand le thermomĂštre dans la cellule descend au-dessous de zĂ©ro, il est en short et tongs, il ne mange pas de viande, il ne boit pas de thĂ© mais de l’eau chaude et pratique d’impressionnants exercices de yoga. On l’ignore souvent, mais Ă©normĂ©ment de gens, en Russie, font du yoga : encore plus qu’en Californie, et cela dans tous les milieux. Pacha, trĂšs vite, repĂšre en « Édouard Veniaminovitch » un homme sage. « Des gens comme vous, lui assure-t-il, on n’en fait plus, en tout cas je n’en ai pas rencontrĂ©. » Et il lui apprend Ă  mĂ©diter. On s’en fait une montagne quand on n’a jamais essayĂ© mais c’est extrĂȘmement simple, en fait, et peut s’enseigner en cinq minutes. On s’assied en tailleur, on se tient le plus droit possible, on Ă©tire la colonne vertĂ©brale du coccyx jusqu’à l’occiput, on ferme les yeux et on se concentre sur sa respiration. Inspiration, expiration. C’est tout. La difficultĂ© est justement que ce soit tout. La difficultĂ© est de s’en tenir Ă  cela. Quand on dĂ©bute, on fait du zĂšle, on essaie de chasser les pensĂ©es. On s’aperçoit vite qu’on ne les chasse pas comme ça mais on regarde leur manĂšge tourner et, petit Ă  petit, on est un peu moins emportĂ© par le manĂšge. Le souffle, petit Ă  petit, ralentit. L’idĂ©e est de l’observer sans le modifier et c’est, lĂ  aussi, extrĂȘmement difficile, presque impossible, mais en pratiquant on progresse un peu, et un peu, c’est Ă©norme. On entrevoit une zone de calme. Si, pour une raison ou pour une autre, on n’est pas calme, si on a l’esprit agitĂ©, ce n’est pas grave : on observe son agitation, ou son ennui, ou son envie de bouger, et en les observant on les met Ă  distance, on en est un peu moins prisonnier. Pour ma part, je pratique cet exercice depuis des annĂ©es. J’évite d’en parler parce que je suis mal Ă  l’aise avec le cĂŽtĂ© new age, soyez zen, toute cette soupe, mais c’est si efficace, si bienfaisant, que j’ai du mal Ă  comprendre que tout le monde ne le fasse pas. Un ami plaisantait rĂ©cemment, devant moi, au sujet de David Lynch, le cinĂ©aste, en disant qu’il Ă©tait devenu complĂštement zinzin parce qu’il ne parlait plus que de la mĂ©ditation et voulait persuader les gouvernements de la mettre au programme dĂšs l’école primaire. Je n’ai rien dit mais il me semblait Ă©vident que le zinzin, lĂ -dedans, c’était mon ami, et que Lynch avait totalement raison.
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Emmanuel CarrĂšre (Limonov)
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La transparence de ces jours est impitoyable : je distingue brusquement mes yeux tournant le coin de la rue qui me regardent depuis des vitres, des eaux ou des miroirs, Ă  travers la pupille des pluies qui irriguent la solitude. J'y entrevois un tombeau ouvert vers lequel regarde avec curiositĂ© l'enfant d'autrefois restĂ© jusqu'Ă  ce jour mon alliĂ©, fixĂ© en moi Ă  l'Ăąge de huit ou dix ans pour refuser avec obstination le monde. Parfois tout s'arrĂȘte interdit, et alors on le voit : le mont Heniu, en face de la maison, continue Ă  fabriquer l'infini
 (Miroirs, p. 108)
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Dinu Flămùnd (5 poÚtes roumains : éclats)
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Cette fois-ci, c’est le destin, c’est moi, je la sauverai à nouveau. N’importe quand, à n’importe quelle heure. À partir de dix-neuf heures.
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P.D. Turner (We Will Meet Again at 7PM)
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Minuit dix, le 7 septembre 1969. J'ai vingt-neuf ans et demi, je pÚse 48 kilos. Je suis un junkie qui va se finir dans la montagne. Je ne suis ni heureux, ni malheureux, ni anxieux ni tourmenté. J'ai en moi la fatalité des Orientaux. Je ne me donne pas plus de trois semaines à vivre.
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Charles Duchaussois (Flash: ou le grand voyage)
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April aurait pu lui fournir davantage de dĂ©tails sur la triste situation de son amie. Elle aurait pu dire que le mari se trouvait Ă  Singapour en dĂ©placement professionnel, pour la signature d’un gros contrat. Qu’il y avait eu un dĂźner et qu’il avait abusĂ© d’une certaine liqueur dont il n’avait pas l’habitude. Et, pour finir, il y avait une consultante. Les deux s’étaient retrouvĂ©s dans la chambre du mari Ă  l’hĂŽtel. Il avait appelĂ© sa femme dix minutes aprĂšs pour tout lui avouer. Trois mois plus tard, la conversation tournait encore en boucle dans la tĂȘte d’April.
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Michelle Gable (L'appartement oublié)
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À dix-sept ans je commençai Ă  consigner notes, idĂ©es et vers dans un journal. BientĂŽt j’eus la conviction que la poĂ©sie Ă©tait mon Ă©lĂ©ment vital. Pendant des annĂ©es, j’écrivis de poĂšmes, de la prose poĂ©tique, des textes rythmĂ©s, quelques contes aussi. J’en confiai certains au tiroir, le reste fut offert Ă  la corbeille Ă  papier. De nombreux poĂštes et Ă©crivains ont comptĂ© pour moi, mais c’est Hölderlin et Kafka qui m’ont communiquĂ© les impulsions les plus durables. (p. 94)
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Rose AuslÀnder (Sans visa : Tout peut servir de motif et autres proses)
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Il Ă©tait une fois, il Ă©tait au temps jamais, car si n’était, point ne compterais ; du temps oĂč le peuplier portait des noix et l’osier des fleurs de pois et que les ours balourds se battaient Ă  coups de queue ; du temps oĂč loups et moutons se tenaient par le menton et se donnaient la bise ; oĂč les puces sautaient, ferrĂ©es de quatre-vingt-dix-neuf livres de fer Ă  chaque patte et se perdaient dans le bleu du ciel pour en rapporter des contes. Du temps oĂč les mouches signaient du doigt les parois, Plus menteur que moi celui qui n’y croit !
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Micaela Slăvescu (Contes roumains)
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Ces mots semblÚrent la décider. Elle soupira. "Tu me demandes, à moi qui ai des responsabilités importantes dans un couvent de quarante religieuses, dix novices et vingt-cinq serviteurs, avec une école, un hospice et une pharmacie, de tout quitter pour prendre soin d'une petite fille que je n'ai jamais vue?
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Ken Follett (World Without End (Kingsbridge, #2))
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Je peux te poser une question ? reprit-elle. C’était une interrogation qu’elle refoulait depuis dix ans et qui la torturait depuis trois mois. Mais la soirĂ©e qu’elle venait de passer, grĂące Ă  Marthe, au champagne et aussi Ă  Luc, lui donna le courage de se lancer : — Tu as trompĂ© Susannah ? Un long silence. Une seconde, deux, trois
 — J’attends, soupira-t-elle. — Ça m’étonne que tu me le demandes maintenant, dit-il lentement, d’une voix Ă©gale. On aurait pu rĂ©gler ce point dĂšs le dĂ©but, quand on s’est connus. — Oui, j’aurais dĂ» faire un audit prĂ©alable
 Tu as raison. Honte Ă  moi ! RĂ©ponds quand mĂȘme. — La cause de la fin de notre mariage n’a pas changĂ© depuis la premiĂšre fois que nous en avons parlĂ©. Susannah a eu une liaison avec mon meilleur ami et aucun des deux ne semblait dĂ©sireux d’arrĂȘter. Elle m’a mĂȘme dĂ©fiĂ© de l’empĂȘcher de continuer.
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Michelle Gable (L'appartement oublié)
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Il Ă©tait lĂ , dix kilos envolĂ©s, Ă  jeun, dĂ©plumĂ© et noueux. Les crocs limĂ©s. Que restait-il de lui ? La cendre, une force qui irait en s'amenuisant. Et des regrets pour finir. La maison avait Ă©tĂ© liquidĂ©e en un rien de temps. Les efforts du couple, vingt ans de sacrifices et de fins de mois acrobatiques, envolĂ©s. Le mobilier, les bibelots, les vĂȘtements qu'il avait fallu jeter. En plus, il avait fallu vendre vite, pour trois fois rien, et c'est la banque qui avait finalement emportĂ© le blĂ© pour finir d'Ă©ponger les dettes. Au moment du partage, le pĂšre en Ă©tait presque venu aux mains. Au fond, il n'avait pas tellement d'amis, pas vraiment de boulot et il dĂ©couvrait sur le tard que la maison n'Ă©tait mĂȘme pas Ă  lui et que toutes ces idĂ©es qu'il s'Ă©tait faites Ă©taient plus ou moins de la connerie. Il avait cru qu'il ramenait la paie, que c'Ă©tait chez lui, que c'Ă©tait sa femme, sa baraque, son gosse. Le notaire avait nettoyĂ© ces idĂ©es prĂ©conçues au bulldozer. Et deux ans plus tard, le pĂšre raquait encore pour les honoraires de cet avocat qui n'avait rien branlĂ©, Ă  part lui expliquer qu'il avait tort, que c'Ă©tait la loi qui dĂ©cidait. Dans ce monde de paperasse et de juristes, il n'y avait plus d'hommes. Que des arrangements.
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Nicolas Mathieu
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Venise, dix heures du soir (samedi) A bord de la VĂ©nus, Loyd autrichien. On est dĂ©jĂ  vraiment en Autriche ; le matelot qui m'a conduit Ă  ma cabine m'a demandĂ© : "Erste Klasse ? ..." Sur la table du salon oĂč j'Ă©cris, j'ai des journaux allemands tout autour de moi ; des vues du Tyrol, des visages d'actrices du Trianon-Theater de Berlin. Mon regard, promenĂ© au hasard, tombe sur un poĂšme : Blauer Forellenbach La VĂ©nus sous pression tremble toute : on sera demain matin Ă  sept heures Ă  Trieste. La promenade dans les petits coins du navire est toujours amusante ; c'est trĂšs propre et trĂšs brillant : tout luit, Ă  l'intĂ©rieur ; le vernis blanc des cabines, les bois et les glaces des salons, les branches mĂ©talliques des lampes. Des avis affichĂ©s font penser, rĂ©digĂ©s en grec, en serbe, en allemand, en italien, Ă  toute l'activitĂ© maritime de l'Adriatique. C'est l'Orient et l'Occident mĂȘlĂ©s. Et si l'on se sent en pays allemand au fond de ce steamer, on n'a qu'Ă  remonter sur le pont pour retrouver, tout prĂšs, l'Italie. Des gondoles approchent, chargĂ©es de passagers et de bagages : les faisceaux des becs Ă©lectriques au quai des Esclavons, allongeant des reflets blancs sur la lagune pareille Ă  du papier glacĂ© noir, Ă©clairent assez distinctement le Jardin Royal, le palais rose des Doges, la façade rouge du DaniĂ©li, et, en face, la Piazetta. L'embarquement se fait sans bruit ; les gondolent viennent frĂŽler le flanc du navire tournĂ© vers la ville, et les porteurs montent, sans cris, les grosses malles, le long du petit escalier qui pend sur l'eau. De Venise, toujours silencieuse, aucune rumeur ne vient, et les flots sont trop faibles et trop lents pour clapoter ... Pleine de chanteurs, une gondole s'arrĂȘte au bas de l'escalier volant. La lĂ©gĂšre musique italienne : les cordes pincĂ©es d'une mandoline, deux voix d'hommes et une voix de femme se mettent Ă  courir de ce brave petit pas alerte et tremblant que l'on connaĂźt si bien.
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Valery Larbaud (Journal)
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En attendant, bien des hommes restent des « menhirs ». Et le plus triste est peut-ĂȘtre que nous en arrivons Ă  Ă©rotiser leur froideur et leur mutisme, Ă  y voir du mystĂšre, de la profondeur, un trait viril et attirant. C’est ce qu’une de mes amies et moi avons baptisĂ© l’« effet Don Draper ». Au cours d’une conversation, nous avions essayĂ© de cerner ce qui rendait le hĂ©ros de la sĂ©rie Mad Men aussi sĂ©duisant, et nous Ă©tions arrivĂ©es Ă  cette conclusion : l’attitude de ces hommes est si frustrante que la moindre ouverture de leur part, le moindre Ă©change authentique, si timide et Ă©phĂ©mĂšre soit-il, sont vĂ©cus comme une Ă©piphanie bouleversante. Le gars vous grommelle trois mots un peu personnels et vous vous convulsez d’émotion sur la moquette, foudroyĂ©e par cet instant de communion sublime. De fait, certaines des scĂšnes les plus marquantes de Mad Men sont celles oĂč ce hĂ©ros barricadĂ© derriĂšre ses secrets laisse entrevoir ses sentiments, sa vulnĂ©rabilitĂ©, son Ăąme. Il se livre rarement Ă  ses Ă©pouses successives, Betty et Megan, femmes-trophĂ©es Ă  la beautĂ© spectaculaire avec lesquelles il entretient des relations convenues (et oppressives), mais plutĂŽt Ă  d’autres femmes : sa collaboratrice Peggy Olson75, ou Anna Draper, la veuve de l’homme dont il a usurpĂ© l’identitĂ©. Toutefois, si ce mĂ©canisme peut donner de splendides moments de tĂ©lĂ©vision, dans la vie, il encourage surtout les femmes Ă  repartir pour six mois, ou dix ans, de maltraitance psychologique, dans l’espoir – en gĂ©nĂ©ral vain – qu’un jour le miracle se reproduira et s’installera dans la durĂ©e pour devenir la normalitĂ©. On voit mieux combien cette situation est intenable si on transpose la disette Ă©motionnelle Ă  d’autres de nos besoins : certes, quand nous souffrons de la faim, un quignon de pain rassis peut prendre des allures de festin insensé ; quand nous mourons de soif, une gorgĂ©e d’eau croupie nous semble d’une fraĂźcheur merveilleuse. Pour autant, pouvons-nous nous condamner Ă  un rĂ©gime aussi pauvre et triste ? Pouvons-nous en faire un principe de vie, et nous priver des nourritures aussi variĂ©es que fabuleuses, des mille boissons dĂ©licieuses qui existent sur Terre ?
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Mona Chollet (Réinventer l'amour: Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles)
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Comme sous la neige
 Comme sous la neige je m'ensable en poĂ©sie, Tel un mammouth sous les glaces Ă©ternelles. Je me soucie de moins en moins qu'un jour apprennent Mes descendants la route que j'ai faite. Que dix mille ans, peut-ĂȘtre dix millions Neige sur moi dĂ©sormais sans arrĂȘt ; Enclos dans le silence des grands amas blancs, Mes yeux ne peuvent plus chercher la lumiĂšre. Un soleil rajeuni enfoncera ses flĂšches Du feu dans la couche Ă©paisse, gĂ©ologique Et tout au plus si son rayon me brĂ»le Me souviendrais-je de quelque lignĂ©e gĂ©nĂ©alogique. Mais je ne serai qu'un parent Ă©loignĂ©, Difforme, lourd et trĂšs controversĂ©, De ceux qui sueront dans les temps Ă  venir Pour savoir ce que sont rythme, rime ou bien vers. Il se peut que je sois descendu des montagnes Pour m'arrĂȘter un jour Ă  mi-chemin. Et me voici tendu Ă  jamais, comme une cime, Vers l'Ă©ternitĂ©, implantĂ© dans la mort. (traduit du roumain par Irina Radu)
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Mihai Beniuc
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Une Ă©motion s’est emparĂ©e de moi lorsque, dans le jury de sĂ©lection organisĂ© par un ami, Andrei Șerban, crĂ©ateur de la cĂ©lĂšbre « Trilogie antique », a invitĂ© les candidats Ă  passer « de la parole aux chants : sous l’emprise de cette dĂ©couverte, le glissement rĂ©vĂ©lateur constitua l’objet de l’un des Ă©vĂ©nements les plus accomplis organisĂ©s dans les annĂ©es quatre-vingt-dix par l’AcadĂ©mie expĂ©rimentale des théùtres. [
] Les mots et les chants s’épousent et permettent le passage d’une rive Ă  l’autre en entraĂźnant le spectateur sur le fleuve de l’émotion suscitĂ©e par ce frottement, par l’incertitude du bord Ă  bord qui permet la traversĂ©e si subtilement pratiquĂ©e. (p. 153)
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Georges Banu (Le théùtre et l'esprit du temps)
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Parti de Iași un 23 mai, j'y retournai un mois plus tard–n'ayant, dans l'intervalle, pas mĂ©nagĂ© ma peine. Entre la poursuite des lectures que je jugeais indispensables, les appels aux amis et maintes tentatives d'Ă©tablir de nouveaux contacts, les semaines eurent tĂŽt fait de filer. À Bucarest, Dieu merci, on s'Ă©tait mis en quatre pour m'assister. Suite Ă  l'intercession de Dan Berindei, vice-prĂ©sident de l'AcadĂ©mie roumaine,
 trois professeurs d'histoire de l'universitĂ© Alexandru Ioan Cuza, de Iași, se dirent prĂȘts Ă  faire ma connaissance. Quant Ă  Ana Blandiana, poĂ©tesse, prĂ©sidente de la Fondation de l'acadĂ©mie civique et inlassable animatrice du mĂ©morial de Sighet, elle m'offrit d'approcher un confrĂšre Ă©crivain qui, sous peu, m'ouvrirait d'Ă©clairantes perspectives sur le climat intellectuel rĂ©gnant en ville dans le troisiĂšme quart du XIXe siĂšcle. Folles journĂ©es qui me virent zigzaguer d'un coin Ă  l'autre de la vie, entre la commĂ©moration des soixante-dix ans du pogrom, les assises d'un colloque international consacrĂ© aux journĂ©es meurtriĂšres des 28 et 30 juin 1941 et les rencontres desquelles risquait fort de dĂ©pendre la suite de mon entreprise ! Comment en rendre compte ? Pas facile–quand bien mĂȘme, c'est vrai, relativement au colloque, Ă  dĂ©faut de comprendre le roumain, mes stations au Centre d'histoire des Juifs et d'Ă©tudes hĂ©braĂŻques me laissent davantage d'impressions que de souvenirs prĂ©cis. Hormis, bien sĂ»r, le vif plaisir d'y avoir retrouvĂ© Felicia Waldman, celui d'avoir pu faire la connaissance du professeur Carol Iancu, auteur du magistral essai intitulĂ© "Les Juifs en Roumanie (1866–1919)", et l'intense Ă©motion que nous valut l'exposĂ© d'Avinoam Safran, le fils d'Alexandre Safran, c'est Ă©rudit issu d'une illustre lignĂ©e rabbinique, que le sort dĂ©signa pour devenir–le 4 fĂ©vrier 1940, Ă  seulement vingt-neuf ans–grand rabbin de Roumanie, et dont l'inouĂŻe dĂ©termination face au "Conducător" Antonescu arracha Ă  une mort programmĂ©e un nombre considĂ©rable de coreligionnaires. (p. 58–59)
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Jil Silberstein (Dor de Iași: imagini din Iașul vechi/ images du vieux Iaßi/ Images of Old Iaßi)
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Pour l’instant, c’est pas fameux lĂ  oĂč j’habite, chez une Roumaine, une vieille de soixante-dix ans, qui me prend les yeux de la tĂȘte pour le loyer. Et encore, c’est moins Ă©levĂ© que ce qu’on me prendrait ailleurs. Elle est toute seule et n’a plus personne au pays. Parfois, elle me dit qu’elle va me lĂ©guer sa maison par testament, d’autres fois, qu’elle veut contribuer, quand j’aurai envie de m’en payer une, et qu’elle m’aidera Ă  trouver moins cher. Elle est siphonnĂ©e, sĂ©nile, un coup elle veut se mettre en quatre pour moi, comme si j’étais son fils, un coup elle chipote sur le dernier cent et plus moyen de s’entendre avec elle
 (p. 195)
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Radu Aldulescu (L'amant de la veuve)