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Au royaume qui est le nôtre, nous ne connaissons aucune distinction de rang, d'honneur, d'âge ou de force. Ce qui nous est commun, c'est un corps en proie à l'insoutenable torture de brûlants désirs, un coeur souffrant à la folie de la solitude. Ces cœurs affolés deviennent à minuit comme des bêtes féroces échappées de leur cage qui se lancent à la poursuite de leur proie toutes griffes dehors. A la lueur de la lune rougeoyante nous ressemblons à des somnambules, marchant sur l'ombre des uns et des autres, entamant une course insensée autour du bassin, sans trêve ni repos, tournant et retournant à la poursuite de l'énorme monstre de ce cauchemar jamais achevé d'amour et de désir.
Dans les ténèbres, je posai le pied sur les marches de la terrasse qui surplombait le bassin et entrai dans le rang comme saisi d'une transe hypnotique ; sans le vouloir, je tournai autour de la pièce d'eau, encore et encore. Dans le noir, je vis défiler des paires d'yeux assoiffés d'espoir, enflammés de désir, consumés d'angoisse et de peur, comme autant de lucioles se heurtant les unes aux autres.
Si épaisse, si sombre que fut la nuit, je sentis avec acuité un regard qui se portait chaque fois sur mon visage, telle une comète qui m'aurait heurté de plein fouet et brûlé la face. Je me sentis mal à l'aise, mon coeur palpitait, mais je n'avais aucun moyen d'éviter ces yeux. Le regard pénétrant se montrait si soutenu, si pressant, comme s'il attendait de moi le salut, comme s'il me suppliait pour je ne sais quoi.
~ p 33-34
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