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Il ne s'agit pas ici de faire le procès, encore moins l'éloge de la colonisation européenne de l'Afrique, mais simplement de marquer que cette colonisation comporte, comme presque tous les phénomènes qui résultent des chocs de civilisation, un actif et un passif culturels. Ce n'est pas prendre la défense de la colonisation, de ses laideurs, voire de ses atrocités ou de ses indéniables bouffonneries (achat de vastes territoires contre quelques rouleaux d'étoffe ou un peu d'alcool), que d'admettre que le choc en a été souvent décisif et même finalement bénéfique pour les structures sociales, économiques et culturelles des peuples noirs colonisés. En fait, ç'a été, au lendemain de l'acte final du Congrès de Berlin (1885), la dernière très grande aventure de l'expansion européenne. Et si cette mise sous tutelle tardive a été de brève durée (moins d'un siècle), la rencontre s'est faite à vive allure, alors que l'Europe et l'économie mondiale se trouvaient en plein essor. C'est une société industrielle adulte, exigeante, disposant de moyens modernes d'action et de communication, qui a heurté et investi le monde noir. Et celui-ci est réceptif, plus mobile que les ethnographes ne le supposaient hier encore, capable de saisir des objets et des formes que l'Occident lui propose et, surtout, de les réinterpréter, de les charger de sens nouveau, de les lier, chaque fois que la chose est possible, aux impératifs de sa culture traditionnelle. [...] En parlant d'un certain actif de la colonisation, nous ne pensons pas à ces biens purement matériels, routes, voies ferrées, ports, barrages, à ces mises en marche d'exploitations du sol et du sous-sol que les colonisateurs ont installés dans des buts hautement intéressés. Ce legs, aussi important qu'il paraisse parfois, serait de peu d'utilité et éminemment périssable si les héritiers n'avaient aussi acquis, au cours de la pénible épreuve de la colonisation, de quoi leur en permettre aujourd'hui l’utilisation rationnelle. L'enseignement, un certain niveau de la technique, de l'hygiène, de la médecine, de l'administration publique, sont les meilleurs biens légués par les colonisateurs, la contrepartie positive aux destructions opérées par le contact européen dans les vielles habitudes tribales, familiales, sociales, sur lesquelles reposaient toute l'organisation et toute la culture.
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