Mes Filles Quotes

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Les hommes savent les désastres que certains mots déclenchent dans le coeur des filles ; et nous, pauvres idiotes, nous pùmons et tombons dans le piége, excitées qu'un homme nous en ait enfin tendu un
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Grégoire Delacourt (La liste de mes envies)
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Mon Dieu, que vous ĂȘtes vulgaire ! Pour moi, un de mes Ă©tonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi.
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MoliĂšre (Oeuvres ComplĂštes - Tome I)
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DĂ©jĂ  le souvenir de ce que j'ai Ă©crit s'efface. Je ne sais pas ce qu'est ce texte. MĂȘme ce que je poursuivais en Ă©crivant le livre s'est dissous. J'ai retrouvĂ© dans mes papiers une sorte de note d'intention : Explorer le gouffre entre l'effarante rĂ©alitĂ© de ce qui arrive, au moment oĂč ça arrive et l'Ă©trange irrĂ©alitĂ© que revĂȘt, des annĂ©es aprĂšs, ce qui est arrivĂ©.
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Annie Ernaux (Mémoire de fille)
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Il fallait que j'arrĂȘte mes efforts vains pour recevoir l'assentiment de mes parents... MĂȘme si les choses ne sont pas dĂ©roulĂ©es trĂšs bien par le passĂ©, j'ai comme le sentiment qu'Ă  partir de maintenant, ça devrait aller mieux. Comment je peux vivre ma propre vie si je me soucie trop d'ĂȘtre une fille modĂšle ?
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Kabi Nagata (My Lesbian Experience with Loneliness)
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La vie me fait moins peur.Vous pouvez m'attaquer, vous pouvez me juger, vous pouvez me ruiner. J'aurau toujours à portée de main un vieux bic mùchouillé et un bloc-notes froissé. Mes seules armes. A la fois dérisoires et puissantes. Les seules sur lesquelles j'ai toujours pu compter pour m'aider à traverser la nuit.
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Guillaume Musso (La jeune fille et la nuit)
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Et qu'as-tu à donner, pauvre démon ? L'esprit d'un homme en ses hautes inspirations fut-il jamais conçu par tes pareils ? Tu n'as que des aliments qui ne rassasient pas ; de l'or pùle, qui sans cesse s'écoule des mains comme le vif-argent; un jeu auquel on ne gagne jamais ; une fille qui jusque dans mes bras fait les yeux doux à mon voisin ; l'honneur, belle divinité qui s'évanouit comme un météore.
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Johann Wolfgang von Goethe (Faust)
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[...] Les natures du genre de la tienne, les hommes douĂ©s de sens dĂ©licats, ceux qui ont de l'Ăąme, les poĂštes, ceux pour qui toute la vie est amour nous sont presque toujours supĂ©rieurs, Ă  nous, chez qui domine l'intellect. Vous ĂȘtes, par votre origine, du cĂŽtĂ© de la mĂšre. Vous vivez dans la plĂ©nitude de l'ĂȘtre. La force de l'amour, la capacitĂ© de vivre intensĂ©ment les choses est votre lot. Nous autres, hommes d'intellect, bien que nous ayons l'air souvent de vous diriger et de vous gouverner, nous ne vivons pas dans l'intĂ©gritĂ© de l'ĂȘtre, nous vivons dans les abstractions. A vous la plĂ©nitude de la vie, le suc des fruits, Ă  vous le jardin de l'amour, le beau pays de l'art. Vous ĂȘtes chez vous sur terre, nous dans le monde des idĂ©es. Vous courez le risque de sombrer dans la sensualitĂ©, nous d'Ă©touffer dans le vide. Tu es artiste, je suis penseur. Tu dors sur le cƓur d'une mĂšre, je veille dans le dĂ©sert. Moi, c'est le soleil qui m'Ă©claire, pour toi brillent la lune et les Ă©toiles. Ce sont des jeunes filles qui hantent tes rĂȘves; moi, ce sont mes Ă©coliers... (p. 54-55)
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Hermann Hesse (Narcissus and Goldmund)
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finalement, Ă©perdu d'amour et au comble de la frĂ©nĂ©sie Ă©rotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc. — Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sĂ»r qu'elle le voulait, voyons! C'Ă©tait une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire. — Tu vas le manger cru ? — Oui. J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondĂ©ment, soufflant un peu, entre les bouchĂ©es, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'Ă  ce qu'une sueur froide me montĂąt au front. Je continuai mĂȘme un peu au-delĂ , serrant les dents, luttant contre la nausĂ©e, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon mĂ©tier d'homme. Je fus trĂšs malade, on me transporta Ă  l'hĂŽpital, ma mĂšre sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'Ă©tais trĂšs fier de moi. Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Éducation europĂ©enne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire. Pendant longtemps, Ă  travers mes pĂ©rĂ©grinations, j'ai transportĂ© avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamĂ© au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier Ă©tait toujours lĂ , Ă  portĂ©e de la main. J'Ă©tais toujours prĂȘt Ă  m'y attabler, Ă  donner, une fois de plus, le meilleur de moi-mĂȘme. Ça ne s'est pas trouvĂ©. Finalement, j'ai abandonnĂ© le soulier quelque part derriĂšre moi. On ne vit pas deux fois. (La promesse de l'aube, ch. XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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C'est pour cette raison que je suis devenue une putain, a-t-elle expliquĂ© en continuant Ă  dessiner. J'avais tellement peur d'ĂȘtre envoyĂ©e Ă  l'asile. Je couchais avec tous les hommes que je pouvais trouver. On n'essaie pas de guĂ©rir une femme qui couche avec des hommes. On la paie. Le plus drĂŽle, c'Ă©tait que mes parents, ça les dĂ©rangeait pas que j'aille avec des dizaines et des dizaines d'hommes. Ils trouvaient ça moins honteux que d'aller avec une fille. (...) Ne laisse pas un telle chose t'arriver, Betty. N'aie pas peur d'ĂȘtre toi-mĂȘme. Faut pas que tu vives aussi longtemps pour t'apercevoir Ă  la fin que tu n'as pas vĂ©cu du tout.
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Tiffany McDaniel, Betty
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Le Roi des Aulnes Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ? C'est le pĂšre avec son enfant ; Il serre le petit garçon dans son bras, Il le serre bien, il lui tient chaud. « Mon fils, pourquoi caches-tu avec tant d'effroi ton visage ? — PĂšre, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ? Le Roi des Aulnes avec sa traĂźne et sa couronne ? — Mon fils, c'est un banc de brouillard. — Cher enfant, viens, pars avec moi ! Je jouerai Ă  de trĂšs beaux jeux avec toi, Il y a de nombreuses fleurs de toutes les couleurs sur le rivage, Et ma mĂšre possĂšde de nombreux habits d'or. — Mon pĂšre, mon pĂšre, et n'entends-tu pas, Ce que le Roi des Aulnes me promet Ă  voix basse ? — Sois calme, reste calme, mon enfant ! C'est le vent qui murmure dans les feuilles mortes. — Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ? Mes filles s'occuperont bien de toi Mes filles mĂšneront la ronde toute la nuit, Elles te berceront de leurs chants et de leurs danses. — Mon pĂšre, mon pĂšre, et ne vois-tu pas lĂ -bas Les filles du Roi des Aulnes dans ce lieu sombre ? — Mon fils, mon fils, je vois bien : Ce sont les vieux saules qui paraissent si gris. — Je t'aime, ton joli visage me charme, Et si tu ne veux pas, j'utiliserai la force. — Mon pĂšre, mon pĂšre, maintenant il m'empoigne ! Le Roi des Aulnes m'a fait mal ! » Le pĂšre frissonne d'horreur, il galope Ă  vive allure, Il tient dans ses bras l'enfant gĂ©missant, Il arrive Ă  grand-peine Ă  son port ; Dans ses bras l'enfant Ă©tait mort.
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Charles Nodier
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Ecoutez, que vous importe Ă  vous que je meure assassiné  ? ĂȘtes-vous mon ami  ? ĂȘtes-vous un homme  ? avez-vous un coeur ?... Non, vous ĂȘtes mĂ©decin  !... Eh bien, je vous dis : « Non, ma fille ne sera pas traĂźnĂ©e par moi aux mains du bourreau  !... » Ah  ! voilĂ  une idĂ©e qui me dĂ©vore, qui me pousse comme un insensĂ© Ă  creuser ma poitrine avec mes ongles  !... Et si vous vous trompiez, docteur  ! si c'Ă©tait un autre que ma fille  ! Si, un jour, je venais, pĂąle comme un spectre, vous dire : Assassin  ! tu as tuĂ© ma fille... Tenez, si cela arrivait, je suis chrĂ©tien , monsieur d'Avrigny, et cependant je me tuerais  ! – C'est bien, dit le docteur aprĂšs un instant de silence, j 'attendrai. » Villefort le regarda comme s'il doutait encore de ses paroles.« Seulement, continua M. d'Avrigny d'une voix lente et solennelle, si quelque personne
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Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo)
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Vallja e Yjeve YjtĂ«-e ndezur si fingjill, QĂ« vĂ«rtiten palĂ«-palĂ«, Prej mosgjĂ«je zunĂ« fill Plot me jetĂ«-e mall tĂ« valĂ«. ZunĂ« fill me dashuri QĂ« kur bota zu tĂ« ngjizet, Pa sikush pĂ«r shok tĂ« ti PĂ«rvĂ«lohet edhe ndizet. Ndizet ças edhe pĂ«r ças, E si kurrĂ« s'ka tĂ« shuar, Pa pushim i vete pas Me njĂ« sulm tĂ« llaftaruar. E si kurrĂ« nuku mund Ylli yllin qĂ« t'a kapĂ« Rrotull qiejve pa fund VenĂ«-e-vinĂ«-e-venĂ« prapĂ«... ....................................... ....................................... ....................................... ....................................... Do tĂ« venĂ« fluturim Kudo janĂ«-e kudo s'janĂ«, NĂ«pĂ«r qjell qĂ« s'ka mbarim, As fillim, as fund, as anĂ«. Kur mi tĂ«, kur nĂ«nĂ« tĂ«, Kur me hire-e kur pa hire, Do pĂ«rĂ«ajnĂ« gjithĂ«njĂ« HapĂ«sirĂ«...shkretĂ«tire... Ata ikin varg-e-varg Me njĂ« etje tĂ« pashuar: SesĂ  fellĂ«-e sesĂ  larg Shoq me shoq u pat larguar!... KĂčsh j-u fali-aq dĂ«shĂ«rim, Dh'aqĂ« zjarr e aqĂ« flakĂ«, Dh'i gatoj me aq durim YjtĂ«-e lum e varfanjakĂ«? Se do njĂ«, si pĂ«r çudi, Ku prej syresh rreh tĂ« ftohet, Shoq i vet, nga mall'i ti, MĂ« me zjarr zĂ« pĂ«rvĂ«lohet... Dh'i vjen qark mĂ« me vĂ«rtik E me dhembje mĂ« tĂ« nxehtĂ«, E si ik...si gjithĂ« ik... E pushton me zjarr tĂ« vetĂ«: Sa mĂ« pak e shmbĂ«llen: Aq mĂ« shumĂ«-e ndjek dĂ«shira... Pa nga malli qĂ« s'e gjen, Dridhet gjithĂ« hapĂ«sira. ...Kur po ja! Se qĂ« pĂ«rtej Ndriten erĂ«rat nga pakĂ«: Yll-i çdukur nĂ«pĂ«r qiej VetĂ«tiu e mori flakĂ«: J-a pat shtĂ«nĂ« me njĂ« ças, Mun nĂ« mes nĂ« kraharuar, Shoq' i vet q'i sillej pĂ s Me njĂ« sulm tĂ« llaftaruar; Q'e kish flakĂ«n mun nĂ« gji, Q'e zhuritte dashurija, qĂ« çkĂ«lqente me zili Rrotull rrezeve tĂ« tija. Yll i mjerĂ« e yll i lum! Yll i lum e yll i mjerĂ«! Sapo drita t'u pĂ«rgjum, Sheh njĂ« shoq nĂ«pĂ«r skĂ«terĂ«; Ay vin... e gjith vin..., Gjith mĂ« pranĂ«... -e gjith mĂ« pranĂ«...- SesĂ  ndrin e vetĂ«tin!... SesĂ  ndjen njĂ« gas pa anĂ«!... Sesa ndritesh pĂ«rsĂ«ri! SesĂŹ ndizesh pĂ«rsĂ«pari! SesĂŹ djek me dashuri Posi yll margaritari!... Dashuri! Heu! Mall i ri! Dashuri! kĂ«ng' e durimit! Ti liri! Ti robĂ«ri! Ti valim i shkrepĂ«timit!
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Lasgush Poradeci
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Ainsi, pour la première fois, ma tristesse n’était plus considérée comme une faute punissable mais comme un mal involontaire qu’on venait de reconnaître officiellement, comme un état nerveux dont je n’étais pas responsable ; j’avais le soulagement de n’avoir plus à mêler de scrupules à l’amertume de mes larmes, je pouvais pleurer sans péché. Je n’étais pas non plus médiocrement fier vis-à-vis de Françoise de ce retour des choses humaines, qui, une heure après que maman avait refusé de monter dans ma chambre et m’avait fait dédaigneusement répondre que je devrais dormir, m’élevait à la dignité de grande personne et m’avait fait atteindre tout d’un coup à une sorte de puberté du chagrin, d’émancipation des larmes. J’aurais dû être heureux : je ne l’étais pas. Il me semblait que ma mère venait de me faire une première concession qui devait lui être douloureuse, que c’était une première abdication de sa part devant l’idéal qu’elle avait conçu pour moi, et que pour la première fois, elle, si courageuse, s’avouait vaincue.
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Marcel Proust (Du cĂŽtĂ© de chez Swann / À l'ombre des jeunes filles en fleurs / Le CĂŽtĂ© de Guermantes)
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Et toujours ces questions si naturelles, anodines en apparence, ça marche toujours avec lui ? Est-ce que tu comptes te marier ? La dĂ©solation de mes parents devant une situation incertaine, "on aimerait bien savoir oĂč ça va te mener tout ça". ObligĂ© que l'amour mĂšne quelque part. Leur peine sourde aussi. Ce serait tellement plus agrĂ©able, plus tranquille pour eux de voir se dĂ©rouler l'histoire habituelle, les faire-part dans le journal, les questions auxquelles on rĂ©pond avec fiertĂ©, un jeune homme de Bordeaux, bientĂŽt professeur, l'Ă©glise, la mairie, le mĂ©nage qui se "monte", les petits-enfants. Je les prive des espĂ©rances traditionnelles. L'affolement de ma mĂšre quand elle apprend, tu couches avec, si tu continues tu vas gĂącher ta vie. Pour elle, je suis en train de me faire rouler, des tonnes de romans qui ressortent, filles sĂ©duites qu'on n'Ă©pouse pas, abandonnĂ©es avec un mĂŽme. Un combat tannant toutes les semaines entre nous deux. Je ne sais pas encore qu'au moment oĂč l'on me pousse Ă  liquider ma libertĂ©, ses parents Ă  lui jouent un scĂ©nario tout aussi traditionnel mais inverse, "tu as bien le temps d'avoir un fil Ă  la patte, ne te laisse pas mettre le grappin dessus !", bien chouchoutĂ©e la libertĂ© des mĂąles.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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La jalousie ne m'est pas un sentiment inconnu, il est nĂ©anmoins trĂšs Ă©loignĂ© de moi. Je ne connais pas la possessivitĂ©, n'estimant pas qu'on dispose de prĂ©rogatives sur les ĂȘtres, je ne suis pas Ă  l'aise avec la notion mĂȘme de propriĂ©tĂ©. Je respecte au plus haut point la libertĂ© de chacun (probablement parce que je ne supporterais pas qu'on entame la mienne). Je suis capable aussi, me semble-t-il, de discernement, et mĂȘme de dĂ©tachement. En tout cas, ce sont des qualitĂ©s qu'on m'attribue, mĂȘme Ă  cet Ăąge-lĂ . GĂ©nĂ©ralement, je ne me comporte pas en envieux et j'ai toujours trouvĂ© avilissante l'agressivitĂ© hideuse des mĂ©gĂšres. Sauf que tous mes beaux principes s'Ă©croulent en une seconde, la seconde de la jeune fille sautant au cou de Thomas. Parce que cette scĂšne tĂ©moigne d'une vie vĂ©cue en dehors de moi. Et me renvoie au vide, Ă  l'inexistence de la façon la plus cruelle. Parce qu'elle montre ce qui m'est dissimulĂ© habituellement. Parce qu'elle raconte le charme du garçon tĂ©nĂ©breux et le nombre des tentatives qui doivent se produire afin de s'en approcher. Parce qu'elle offre une alternative au garçon dĂ©boussolĂ©, tiraillĂ©. En rĂ©alitĂ©, je ne supporte pas l'idĂ©e qu'on pourrait me le ravir. Que je pourrais le perdre. Je dĂ©couvre –  pauvre imbĂ©cile  – la morsure du sentiment amoureux.
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Philippe Besson (« ArrĂȘte avec tes mensonges »)
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Papa-bobo prĂ©cipitĂ© avec inquiĂ©tude sur mon genou saignant, qui va chercher les mĂ©dicaments et s'installera des heures au chevet de mes varicelle, rougeole et coqueluche pour me lire Les Quatre Filles du docteur March ou jouer au pendu. Papa-enfant, "tu es plus bĂȘte qu'elle", dit-elle. Toujours prĂȘt Ă  m'emmener Ă  la foire, aux films de Fernandel, Ă  me fabriquer une paire d'Ă©chasses et Ă  m'initier Ă  l'argot d'avant la guerre, pĂ©pĂ©dĂ©ristal et autres cezigue pĂąteux qui me ravissent. Papa indispensable pour me conduire Ă  l'Ă©cole et m'attendre midi et soir, le vĂ©lo Ă  la main, un peu Ă  l'Ă©cart de la cohue des mĂšres, les jambes de son pantalon resserrĂ©es en bas par des pinces en fer. AffolĂ© par le moindre retard. AprĂšs, quand je serai assez grande pour aller seule dans les rues, il guettera mon retour. Un pĂšre dĂ©jĂ  vieux Ă©merveillĂ© d'avoir une fille. LumiĂšre jaune fixe des souvenirs, il traverse la cour, tĂȘte baissĂ©e Ă  cause du soleil, une corbeille sous le bras. J'ai quatre ans, il m'apprend Ă  enfiler mon manteau en retenant les manches de mon pull-over entre mes poings pour qu'elles ne boulichonnent pas en haut des bras. Rien que des images de douceur et de sollicitude. Chefs de famille sans rĂ©plique, grandes gueules domestiques, hĂ©ros de la guerre ou du travail, je vous ignore, j'ai Ă©tĂ© la fille de cet homme-lĂ .
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Mon pĂšre, AndrĂ© PĂ©trovitch Grineff, aprĂšs avoir servi dans sa jeunesse sous le comte Munich, avait quittĂ© l’état militaire en 17
 avec le grade de premier major. Depuis ce temps, il avait constamment habitĂ© sa terre du gouvernement de Simbirsk, oĂč il Ă©pousa Mlle Avdotia, 1ere fille d’un pauvre gentilhomme du voisinage. Des neuf enfants issus de cette union, je survĂ©cus seul ; tous mes frĂšres et sƓurs moururent en bas Ăąge. J’avais Ă©tĂ© inscrit comme sergent dans le rĂ©giment SĂ©mĂ©nofski par la faveur du major de la garde, le prince B
, notre proche parent. Je fus censĂ© ĂȘtre en congĂ© jusqu’à la fin de mon Ă©ducation. Alors on nous Ă©levait autrement qu’aujourd’hui. DĂšs l’ñge de cinq ans je fus confiĂ© au piqueur SavĂ©liitch, que sa sobriĂ©tĂ© avait rendu digne de devenir mon menin. GrĂące Ă  ses soins, vers l’ñge de douze ans je savais lire et Ă©crire, et pouvais apprĂ©cier avec certitude les qualitĂ©s d’un lĂ©vrier de chasse. À cette Ă©poque, pour achever de m’instruire, mon pĂšre prit Ă  gages un Français, M. BeauprĂ©, qu’on fit venir de Moscou avec la provision annuelle de vin et d’huile de Provence. Son arrivĂ©e dĂ©plut fort Ă  SavĂ©liitch. « Il semble, grĂące Ă  Dieu, murmurait-il, que l’enfant Ă©tait lavĂ©, peignĂ© et nourri. OĂč avait-on besoin de dĂ©penser de l’argent et de louer un moussiĂ©, comme s’il n’y avait pas assez de domestiques dans la maison ? »
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Alexander Pushkin (The Captain's Daughter)
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J’ai essayĂ© plus d’une fois, comme tous mes amis, de m’enfermer dans un systĂšme pour y prĂȘcher Ă  mon aise. Mais un systĂšme est une espĂšce de damnation qui nous pousse Ă  une abjuration perpĂ©tuelle ; il en faut toujours inventer un autre, et cette fatigue est un cruel chĂątiment. Et toujours mon systĂšme Ă©tait beau, vaste, spacieux, commode, propre et lisse surtout ; du moins il me paraissait tel. Et toujours un produit spontanĂ©, inattendu, de la vitalitĂ© universelle venait donner un dĂ©menti Ă  ma science enfantine et vieillotte, fille dĂ©plorable de l’utopie. J’avais beau dĂ©placer ou Ă©tendre le criterium, il Ă©tait toujours en retard sur l’homme universel, et courait sans cesse aprĂšs le beau multiforme et versicolore, qui se meut dans les spirales infinies de la vie. CondamnĂ© sans cesse Ă  l’humiliation d’une conversion nouvelle, j’ai pris un grand parti. Pour Ă©chapper Ă  l’horreur de ces apostasies philosophiques, je me suis orgueilleusement rĂ©signĂ© Ă  la modestie : je me suis contentĂ© de sentir ; je suis revenu chercher un asile dans l’impeccable naĂŻvetĂ©. J’en demande humblement pardon aux esprits acadĂ©miques de tout genre qui habitent les diffĂ©rents ateliers de notre fabrique artistique. C’est lĂ  que ma conscience philosophique a trouvĂ© le repos ; et, au moins, je puis affirmer, autant qu’un homme peut rĂ©pondre de ses vertus, que mon esprit jouit maintenant d’une plus abondante impartialitĂ©.
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Charles Baudelaire (Curiosités Esthétiques: Salon 1845-1859 (French Edition))
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Mais les signes de ce qui m'attendait rĂ©ellement, je les ai tous nĂ©gligĂ©s. Je travaille mon diplĂŽme sur le surrĂ©alisme Ă  la bibliothĂšque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-ĂȘtre mes derniĂšres semaines de fille seule, libre d'aller oĂč je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans ĂȘtre dĂ©rangĂ©e. Je vais perdre dĂ©finitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublĂ©, Ă  deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drĂŽle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idĂ©es de fille unique, Ă©gocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal Ă©levĂ©e au fond. Un jour, il a du travail, il est fatiguĂ©, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se prĂ©cipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hĂ©sitation, comme si elles avaient dans la tĂȘte toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-ĂȘtre, pour quatre personnes ou plus aux goĂ»ts diffĂ©rents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmĂ©e par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarchĂ©. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il Ă©tait en train d'Ă©couter de la musique. Il a tout dĂ©ballĂ© avec un plaisir de gamin. Les poires Ă©taient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournĂ©s au restau universitaire, j'ai oubliĂ©. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai Ă©touffĂ©s. SublimĂ©s. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de libertĂ©, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du mĂ©nage, un peu. Et alors, tu renĂącles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles rĂ©ussissent Ă  tout "concilier", sourire aux lĂšvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libĂ©rĂ©e de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'Ă©quilibre. L'homme, l'Ă©paule solide, anti-mĂ©taphysique, dissipateur d'idĂ©es tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons mĂȘme disparaĂźtront, je ris forcĂ©ment, obscurĂ©ment j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est Ă©goĂŻste et qu'il ne s'intĂ©resse guĂšre Ă  ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient Ă  mon secours : "Tous les hommes sont Ă©goĂŻstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altĂ©ritĂ©", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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On veut confondre de tels hommes avec les torĂ©adors ou les joueurs. On vante leur mĂ©pris de la mort. Mais je me moque bien du mĂ©pris de la mort. S’il ne tire pas ses racines d’une responsabilitĂ© acceptĂ©e, il n’est que signe de pauvretĂ© ou d’excĂšs de jeunesse. J’ai connu un suicidĂ© jeune. Je ne sais plus quel chagrin d’amour lavait poussĂ© Ă  se tirer soigneusement une balle dans le cƓur. Je ne sais Ă  quelle tentation littĂ©raire il avait cĂ©dĂ© en habillant ses mains de gants blancs, mais je me souviens d’avoir ressenti en face de cette triste parade une impression non de noblesse mais de misĂšre. Ainsi, derriĂšre ce visage aimable, sous ce crĂąne d’homme, il n’y avait rien eu, rien. Sinon l’image de quelque sotte petite fille semblable Ă  d’autres. Face Ă  cette destinĂ©e maigre, je me rappelai une vraie mort d’homme. Celle d’un jardinier, qui me disait « Vous savez.., parfois je suais quand je bĂȘchais. Mon rhumatisme me tirait la jambe, et je pestais contre cet esclavage. Eh bien, aujourd’hui, je voudrais bĂȘcher, bĂȘcher dans la terre. BĂȘcher ça me paraĂźt tellement beau ! On est tellement libre quand on bĂȘche ! Et puis, qui va tailler aussi mes arbres ? » Il laissait une terre en friche. Il laissait une planĂšte en friche. Il Ă©tait liĂ© d’amour Ă  toutes les terres et Ă  tous les arbres de la terre. C’était lui le gĂ©nĂ©reux, le prodigue, le grand seigneur !  C’était lui, comme Guillaumet, l’homme courageux, quand il luttait au nom de sa CrĂ©ation, contre la mort.
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Antoine de Saint-Exupéry (Terre des hommes (French Edition))
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PEER GYNT L'Ăąme, souffle et lumiĂšre du verbe, te viendra plus tard, ma fille Quand, en lettres d'or, sur le fond rose de l'Orient, apparaĂźtront ces mots : Voici le jour, alors commenceront les leçons ; ne crains rien, tu seras instruite. Mais je serais un sot de vouloir, dans le calme de cette tiĂšde nuit,me parer de quelques baillons d'un vieux savoir usĂ©, pour te traiter en maĂźtre d'Ă©cole. AprĂšs tout, le principal, quand on y rĂ©flĂ©chit, ce n'est point l'Ăąme, c'est le cƓur. ANITRA Parle seigneur. Quand tu parles, il me semble voir comme des lueurs d'opale. PBER GYNT La raison poussĂ©e Ă  l'excĂšs est de la bĂȘtise. La poltronnerie s'Ă©panouit en cruautĂ©. L'exagĂ©ration de la vĂ©ritĂ©, c'est de la sagesse Ă  l'envers. Oui, mon enfant, le diable m'emporte s'il n'y a pas de par le monde des ĂȘtres gavĂ©s d'Ăąme qui n'en ont que plus de peine Ă  voir clair. J'ai connu un individu de cette sorte, une vraie perle pourtant, qui a manquĂ© son but et perdu la boussole. Vois-tu ce dĂ©sert qui entoure l'oasis? Je n'aurais qu'Ă  agiter mon turban pour que les flots de l'OcĂ©an en comblassent toute l'Ă©tendue. Mais je serais un imbĂ©cile de crĂ©er ainsi des continents et des mers nouvelles. Sais-tu, ce que c'est que de vivre? ANITRA Enseigne-le-moi. PEER GYNT C'est planer au-dessus du temps qui coule, en descendre le courant sans se mouiller les pieds, et sans jamais rien perdre de soi-mĂȘme. Pour ĂȘtre celui qu'on est, ma petite amie, il faut la force de l'Ăąge! Un vieil aigle perd son piumage, une vieille rosse son allure, une vieille commĂšre ses dents. La peau se ride, et l'Ăąme aussi. Jeunesse ! jeunesse ! Par toi je veux rĂ©gner non sur les palmes et les vignes de quelque Gyntiana, mais sur la pensĂ©e vierge d'une femme dont je serai le sultan ardent et vigoureux. Je t'ai fait, ma petite, la grĂące de te sĂ©duire, d'Ă©lire ton cƓur pour y fonder un kalifat nouveau. Je veux ĂȘtre le maĂźtre de tes soupirs. Dans mon royaume, j'introduirai le rĂ©gime absolu. Nous sĂ©parer sera la mort... pour toi, s'entend. Pas une fibre, pas une parcelle de toi qei ne m'appartienne. Ni oui, ni non, tu n'auras d'autre volontĂ© que la mienne. Ta chevelure, noire comme la nuit, et tout ce qui, chez toi, est doux Ă  nommer, s'inclinera devant mon pouvoir souverain. Ce seront mes jardins de Babylone.
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Henrik Ibsen (Peer Gynt)
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À huit heures et demie du soir, deux tables Ă©taient dressĂ©es. La jolie madame des Grassins avait rĂ©ussi Ă  mettre son fils Ă  cĂŽtĂ© d’EugĂ©nie. Les acteurs de cette scĂšne pleine d’intĂ©rĂȘt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolĂ©s, chiffrĂ©s, et de jetons en verre bleu, semblaient Ă©couter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numĂ©ro sans faire une remarque ; mais tous pensaient aux millions de monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraĂźche de madame des Grassins, la tĂȘte martiale du banquier, celle d’Adolphe, le prĂ©sident, l’abbĂ©, le notaire, et se disait intĂ©rieurement : − Ils sont lĂ  pour mes Ă©cus. Ils viennent s’ennuyer ici pour ma fille. HĂ© ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-lĂ  me servent de harpons pour pĂȘcher ! Cette gaietĂ© de famille, dans ce vieux salon gris, mal Ă©clairĂ© par deux chandelles ; ces rires, accompagnĂ©s par le bruit du rouet de la grande Nanon, et qui n’étaient sincĂšres que sur les lĂšvres d’EugĂ©nie ou de sa mĂšre ; cette petitesse jointe Ă  de si grands intĂ©rĂȘts ; cette jeune fille qui, semblable Ă  ces oiseaux victimes du haut prix auquel on les met et qu’ils ignorent, se trouvait traquĂ©e, serrĂ©e par des preuves d’amitiĂ© dont elle Ă©tait la dupe ; tout contribuait Ă  rendre cette scĂšne tristement comique. N’est-ce pas d’ailleurs une scĂšne de tous les temps et de tous les lieux, mais ramenĂ©e Ă  sa plus simple expression ? La figure de Grandet exploitant le faux attachement des deux familles, en tirant d’énormes profits, dominait ce drame et l’éclairait. N’était-ce pas le seul dieu moderne auquel on ait foi, l’Argent dans toute sa puissance, exprimĂ© par une seule physionomie ? Les doux sentiments de la vie n’occupaient lĂ  qu’une place secondaire, ils animaient trois cƓurs purs, ceux de Nanon, d’EugĂ©nie et sa mĂšre. Encore, combien d’ignorance dans leur naĂŻvetĂ© ! EugĂ©nie et sa mĂšre ne savaient rien de la fortune de Grandet, elles n’estimaient les choses de la vie qu’à la lueur de leurs pĂąles idĂ©es, et ne prisaient ni ne mĂ©prisaient l’argent, accoutumĂ©es qu’elles Ă©taient Ă  s’en passer. Leurs sentiments, froissĂ©s Ă  leur insu mais vivaces, le secret de leur existence, en faisaient des exceptions curieuses dans cette rĂ©union de gens dont la vie Ă©tait purement matĂ©rielle. Affreuse condition de l’homme ! il n’y a pas un de ses bonheurs qui ne vienne d’une ignorance quelconque. Au moment oĂč madame Grandet gagnait un lot de seize sous, le plus considĂ©rable qui eĂ»t jamais Ă©tĂ© pontĂ© dans cette salle, et que la grande Nanon riait d’aise en voyant madame empochant cette riche somme, un coup de marteau retentit Ă  la porte de la maison, et y fit un si grand tapage que les femmes sautĂšrent sur leurs chaises.
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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Quand on me retrouvera, les yeux brĂ»lĂ©s on imaginera que j'ai beaucoup appelĂ© et beaucoup souffert. Mais les Ă©lans, mais les regrets, mais les tendres souffrances, ce sont encore des richesses. Et moi je n'ai plus de richesses. Les fraĂźches jeunes filles, au soir de leur premier amour, connaissent le chagrin et pleurent. Le chagrin est liĂ© aux frĂ©missements de la vie. Et moi je n'ai plus de richesses. Les fraĂźches jeunes filles, au soir de leur premier amour, connaissent le chagrin et pleurent. Le chagrin est liĂ© aux frĂ©missements de la vie. Et moi je n'ai plus de chagrin. Le dĂ©sert, c'est moi. Je ne forme plus de salive, mais je ne forme plus, non plus, les images douces vers lesquelles j'aurais pu gĂ©mir. Le soleil a sĂ©chĂ© en moi la source des larmes. [...] Je regarde PrĂ©vot. Il est frappĂ© du mĂȘme Ă©tonnement que moi, mais il ne comprend pas non plus ce qu'il Ă©prouve. [...] Nous sommes sauvĂ©s, il y a des traces dans le sable !... Ah ! nous avions perdu la piste de l'espĂšce humaine, nous Ă©tions retranchĂ©s d'avec la tribu, nous nous Ă©tions retrouvĂ©s seuls au monde, oubliĂ©s par une migration universelle, et voici que nous dĂ©couvrons, imprimĂ©s dans le sable, les pieds miraculeux de l'homme. [...] Et cependant, nous ne sommes point sauvĂ©s encore. Il ne nous suffit pas d'attendre. Dans quelques heures, on ne pourra plus nous secourir. La marche de la soif, une fois la toux commencĂ©e, est trop rapide. Et notre gorge. Mais je crois en cette caravane, qui se balance quelque part, dans le dĂ©sert. Nous avons donc marchĂ© encore, et tout Ă  coup j'ai entendu le chant du coq. Guillaumet m'avait dit : « Vers la fin, j'entendais des coqs dans les Andes. J'entendais aussi des chemins de fer. » Je me souviens de son rĂ©cit Ă  l'instant mĂȘme oĂč le coq chante et je me dis : « Ce sont mes yeux qui m'ont trompĂ© d'abord. C'est sans doute l'effet de la soif. Mes oreilles ont mieux rĂ©sistĂ©. » Mais PrĂ©vot m'a saisi par le bras : « Vous avez entendu ? - Quoi ? - Le coq ! - Alors... Alors... » Alors, bien sĂ»r, imbĂ©cile, c'est la vie... J'ai eu une derniĂšre hallucination : celle de trois chiens qui se poursuivaient. PrĂ©vot, qui regardait aussi, n'a rien vu. Mais nous sommes deux Ă  tendre les bras vers ce BĂ©douin. Nous sommes deux Ă  user vers lui tout le souffle de nos poitrines. Nous sommes deux Ă  rire de bonheur !... Mais nos voix ne portent pas Ă  trente mĂštres. Nos cordes vocales sont dĂ©jĂ  sĂšches. Nous nous parlions tout bas l'un Ă  l'autre, et nous ne l'avions mĂȘme pas remarquĂ© ! Mais ce BĂ©douin et son chameau, qui viennent de se dĂ©masquer de derriĂšre le tertre, voilĂ  que lentement, lentement, ils s'Ă©loignent. Peut-ĂȘtre cet homme est-il seul. Un dĂ©mon cruel nous l'a montrĂ© et le retire... Et nous ne pourrions plus courir ! Un autre Arabe apparaĂźt de profil sur la dune. Nous hurlons, mais tout bas. Alors, nous agitons les bras et nous avons l'impression de remplir le ciel de signaux immenses. Mais ce BĂ©douin regarde toujours vers la droite... Et voici que, sans hĂąte, il a amorcĂ© un quart de tour. À la seconde mĂȘme oĂč il se prĂ©sentera de face, tout sera accompli. À la seconde mĂȘme oĂč il regardera vers nous, il aura dĂ©jĂ  effacĂ© en nous la soif, la mort et les mirages. Il a amorcĂ© un quart de tour qui, dĂ©jĂ , change le monde. Par un mouvement de son seul buste, par la promenade de son seul regard, il crĂ©e la vie, et il me paraĂźt semblable Ă  un dieu... C'est un miracle... Il marche vers nous sur le sable, comme un dieu sur la mer... L'Arabe nous a simplement regardĂ©s. Il a pressĂ©, des mains, sur nos Ă©paules, et nous lui avons obĂ©i. Nous nous sommes Ă©tendus. Il n'y a plus ici ni races, ni langages, ni divisions. Il y a ce nomade pauvre qui a posĂ© sur nos Ă©paules des mains d'archange.
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Antoine de Saint-Exupéry
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Les hommes avaient cette odeur et je l'absorbais en touchant les algues, les flotteurs en liĂšge, les nasses. Alors, pas de savon ni de shampoing, c'Ă©taient la mer et le sable bouillant qui s'occupaient de nettoyer le corps. Les cils jaunissaient, les cheveux se dĂ©coloraient en blond, la peau prenait la consistance d'une gousse de caroube. La libertĂ© Ă©tait de s'Ă©paissir, d'avoir une Ă©corce qui grouillait de poils jaunes. L'Ăźle apprenait Ă  ĂȘtre une bĂȘte pour soi, elle donnait au cours la force d'une frontiĂšre. [...] Loin de son rayon, je suis un Ă©tranger. La derniĂšre saison Ă  l’ñge de dix-sept ans environ, avant de me dĂ©tacher de tout, une fille observait mes grains de beautĂ© et y voyait des constellations. Elle appelait ma peau du nom d'un ciel du Sud et un soir, aprĂšs beaucoup de mer, elle l'a embrassĂ©e en disant plus Ă  elle qu'Ă  moi-mĂȘme: "Comme elles sont salĂ©es tes Ă©toiles.
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Erri De Luca (Il piĂč e il meno)
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Q did his disappearing act again, turning music so loud, lyrics corroded my fierce decision to leave. French laments full of regret and self-loathing throbbed through the speakers:     Mes besoins sont ma dĂ©faite. Je suis un monstre dans une peau humaine. My needs are my downfall. I’m a monster in human skin.   I hated the songs. Soft songs made Q seem human, living with mistakes and anguish, just like the rest of us. I preferred the raging songs. Ones with a heavy beat, heating my blood, filling me with energy to escape.     Et je vais prendre ce que je veux et payer mon propre dĂ©sir. Cauchemars de ma solitude. L'obscuritĂ© pour un ami. And I'll take what I want and pay for my own desires. Nightmares for my loneliness. The darkness for a friend.
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Pepper Winters (Tears of Tess (Monsters in the Dark, #1))
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Depuis vingt ans, je note « 58 » dans mes projets de livre. C’est le texte toujours manquant. Toujours remis. Le trou inqualifiable.
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Annie Ernaux (Mémoire de fille)
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En avançant dans l’écoute [d’un enregistrement d’une rĂ©union qui s’était tenue chez François] cependant j’ai commencĂ© Ă  faire la grimace. Du haut de mes trente-quatre ans, forte de mes lectures, de mon Ă©criture, baignĂ©e dans l’ùre post #metoo, l’ambiance m’est enfin apparue dans ce qu’elle avait de violent. Cette culture de la vanne bien placĂ©e, des rires gras, des piques incessantes, ne faisait aucune place Ă  un partage sincĂšre d’émotions. L’ironie Ă©tait partout, Ă©puisante. Dans les accents de ma voix j’ai reconnu le contentement, le si pathĂ©tique contentement, que je ressentais Ă  chaque fois que je parvenais avec l’une de mes rĂ©pliques Ă  tirer quelques Ă©clats de rire. J’ai reconnu la fiertĂ© que j’avais d’ĂȘtre cette jeune fille qui se fait sa place au milieu des hommes. Ça m’a frappĂ©, la façon que j’avais de m’occuper, seule, du bien-ĂȘtre de tous, « quelqu’un veut quelque chose Ă  boire ? », de l’avancement du repas, « Vincent, tu peux mettre la table ? ». Oh c’était subtile, ils ne restaient pas tous assis le cul sur leur chaise, sinon ça aurait Ă©tĂ© trop remarquable et je me serais insurgĂ©e, mais c’était en mĂȘme temps tout Ă  fait flagrant. Je ne parle mĂȘme pas des autres fonctions que je ne remplissais, la naĂŻve, la bourgeoise, sans que je ne me prenne jamais au sĂ©rieux, ni que d’autres le fassent Ă  ma place. Pendant que j’écoutais cette version plus jeune de moi-mĂȘme se tordre pour occuper la place qu’elle Ă©tait si avide de se faire, je me suis rendu compte d’une chose Ă©tonnante. Je ressentais pour elle de la pitiĂ©. Mieux : de l’indulgence. Pour la premiĂšre fois, je sentais la domination masculine, non comme quelque chose ayant une existence extĂ©rieure Ă  moi, apprĂ©hendĂ©e seulement par la raison, mais comme quelque chose dont j’avais fait l’expĂ©rience. Le fĂ©minisme m’était entrĂ© dans le corps. Ce qui valait pour ma place Ă  Fakir valait aussi pour ma relation avec François, et dans ce domaine-lĂ  aussi, la duretĂ© avec laquelle je m’étais jugĂ©e moi-mĂȘme a disparu. (p. 85-86)
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Johanna Silva (L'amour et la révolution)
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– Quand on est jeune, on choisit pas. – Je sais pas si c'est une question de jeunesse ou de conformisme. À vingt-sept ans, il me semble que je commence seulement Ă  prendre mes propres dĂ©cisions. – Y en a qui s'en rendent compte pas mal plus tard que toi. Parfois ça prend un dĂ©clic... un choc... – Oui... ou une rencontre.
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Manon Desveaux (La fille dans l'écran)
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Je n'en peux plus. Mes pieds se sont ensanglantés dans le voyage de la vie. Les ailes de mon ùme se sont brûlées dans la fournaise des désirs. Je n'en peux plus. Des gouttes de sang marquent mon passage sur la terre. Et il est infini le royaume des désirs, Î mon Elue, infini le sentier des plaintes. Et mon ùme a vu beaucoup de choses et est devenue aveugle. Aveugle, sans bùton, pliant sous le poids de la douleur de toute ma lignée, chassé de ma Patrie, criminel avant de naßtre je me suis traßné jusqu'à Tes genoux. Oh Antigone de mon ùme éparpille les cheveux blonds sur mes pieds pour en essuyer le sang. Donne-moi Ta main, Î fille de ma souffrance, pour me conduire, moi, l'aveugle. ~ P 67
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Nikos Kazantzakis (Le lys et le serpent)
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La Jeune Fille: Va-t'en, ah, va-t'en! Disparais, odieux squelette! Je suis encore jeune, disparais! Et ne me touche pas! » La Mort: Donne-moi la main, douce et belle créature! Je suis ton amie, tu n'as rien à craindre. Laisse-toi faire! N'aie pas peur Viens sagement dormir dans mes bras
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Matthias Claudius
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— Tu ne vas pas me faire croire que tu sais allumer un feu de cheminĂ©e? s'amusa Billie. — Bien sĂ»r que si ! rĂ©pondis-je vexĂ©. — TrĂšs bien, vas-y, homme, je te regarde avec mes yeux admiratifs de femme soumise.
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Guillaume Musso (La fille de papier)
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« Ma prise de conscience date de 1942 et de la promulgation des lois antijuives par l’Etat français. J’étais alors professeure de lettres au lycĂ©e de jeunes filles d’Oran, en AlgĂ©rie. J’ai Ă©tĂ© totalement choquĂ©e par la tranquillitĂ© avec laquelle ces lois antisĂ©mites ont Ă©tĂ© acceptĂ©es et mises en Ɠuvre par mes collĂšgues. »
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Christiane Faure
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Elles voudraient savoir, mes filles. Avoir un sol dans lequel s'enraciner. Ne pas s'enfoncer dans les sables mouvants de l'incertitude.
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Jean-Philippe Blondel (Le Baby Sitter)
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La rue Rossini coude et la soucoupe est verte OĂč gĂźt dĂ©chirĂ© le ticket de mon cafĂ© CrĂšme. Le ciel de juin gribouille est en reflet DĂ©trempĂ© dan la vitre d'une chambre ouverte Au-dessus du magasin d'antiquitĂ©s. Certes L'air Ă©tat doux, le matin calme, je pourrais Lire, penser, rĂȘver ; je prĂ©fĂšre en parfait Sans-gĂȘne Ă©couter mes voisins, l'oreille traĂźtre. La bele fille brune a dit, levant ses bras Bruns, nus, aux creux fournis de touffes Ă  promesses "Mais je suis un humain, je ne suis pas un chat !" Son interlocuteur en semble assez perplexe (Les conversations ont textes et sous-textes) : "Tu derais dire "chatte"." Elle ne rĂ©pond pas.
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Jacques Roubaud (The Form of a City Changes Faster, Alas, Than the Human Heart)
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Qui Ă©taient-ils, mes Ă©lĂšves ? Pour un certain nombre d'entre eux le genre d'Ă©lĂšve que j'avais Ă©tĂ© Ă  leur Ăąge et qu'on trouve un peu partout dans les boĂźtes oĂč Ă©chouent les garçons et les filles Ă©liminĂ©s par les lycĂ©es honorables. Beaucoup redoublaient et se tenaient en piĂštre estime. D'autres se sentaient simplement Ă  cĂŽtĂ©, hors du "systĂšme". Certains avaient perdu jusqu'au vertige le sens de l'effort, de la durĂ©e, de la contrainte, bref du travail ; ils laissaient tout bonnement aller la vie, s'adonnant, Ă  partir des annĂ©es quatre-vingt, Ă  une consommation effrĂ©nĂ©e, ne sachant point user d'eux-mĂȘmes et ne mettant leur ĂȘtre que dans ce qui Ă©tait Ă©tranger Ă  eux (la rĂ©flexion de Rousseau, transposĂ©e au plan matĂ©riel, ne les avait pas laissĂ©s indiffĂ©rents). (p. 166)
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Daniel Pennac (Chagrin d'école)
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Jusqu'à mes quatorze ans, j'ai divisé l'humanité en trois catégories : les femmes, les petites filles et les ridicules. [p. 102]
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Amélie Nothomb (Le Sabotage amoureux)
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Prononcez vous-mĂȘme les mots qui, depuis des annĂ©es, n'ont cessĂ© de retentir dans mes nuits, et que je dirai enfin par votre bouche : « O jeune fille, jette-toi encore dans l'eau pour que j'aie une seconde fois la chance de nous sauver tous les deux ! » Une seconde fois, hein, quelle imprudence ! Supposez, cher maĂźtre, qu'on nous prenne au mot ? Il faudrait s'exĂ©cuter. Brr...! l'eau est si froide ! Mais rassurons-nous ! Il est trop tard, maintenant, il sera toujours trop tard. Heureusement !
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Albert Camus (La Chute)
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Je me souviens que, petite, on me disait de « me baisser comme il faut pour balayer, comme une fille ». Ce qui signifiait que balayer Ă©tait un truc de fille. J’aurais prĂ©fĂ©rĂ© qu’on me dise simplement : « baisse-toi et balaie comme il faut, parce que le sol sera plus propre ainsi. » Et j’aurais prĂ©fĂ©rĂ© qu’on dise la mĂȘme chose Ă  mes frĂšres.
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Chimamanda Ngozi Adichie (Dear Ijeawele, or A Feminist Manifesto in Fifteen Suggestions)
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Dans les commentaires dĂ©lirants auxquels l'article de l'avocat donna lieu, devait revenir sous les formes les plus insolites la comparaison avec le sourire de la Joconde. MaĂźtre Homaire avait, entre autres, Ă©crit : « Dans le voile bleutĂ© du petit matin, confondu avec les voiles des noces, il Ă©manait de la mort d'Hadriana SiloĂ© une espĂšce d'envoĂ»tement sublunaire considĂ©rablement renforcĂ© par l'allĂ©gresse Ă©nigmatique des lĂšvres. Comme chez Mona Lisa, le charme du visage semblait pivoter sur lui-mĂȘme, complĂštement purifiĂ© des contingences consternantes du dĂ©cĂšs et portĂ© Ă  merveille Ă  l'incandescence intĂ©rieure qui sied Ă  l'Ă©ternelle beautĂ© fĂ©minine. » A la fin de 1946, Ă  mon arrivĂ©e Ă  Paris, je me prĂ©cipitai, haletant, au musĂ©e du Louvre, vers la cĂ©lĂšbre toile de Leonardo, comme au premier rendez-vous pris loin de Jacmel avec Nana SiloĂ©. J'en fus profondĂ©ment déçu. La Joconde Ă©tait bien le chef-d'Ɠuvre d'un peintre gĂ©nial, mais, comparĂ©e Ă  la jeune fille de mon souvenir, elle semblait plutĂŽt ricaner, sans aucun feu intĂ©rieur. Dans la trame de ma nostalgie inguĂ©rissable, Hadriana avait son maquillage de mariĂ©e intact ; la peau de son cou et de ses mains Ă©tait aussi lisse et fraĂźche qu'une mangue cueillie juste avant le lever du soleil. La mort avait donnĂ© Ă  sa beautĂ© un air de joyeuse profondeur comme si elle Ă©tait intĂ©rieurement absorbĂ©e par un rĂȘve plus prodigieux que la vie et la mort Ă  la fois. Sa bouche n'Ă©voquait pas un sourire lĂ©gendaire, mais un fruit Ă©clatant de fraĂźcheur auquel toute bouche assoiffĂ©e aurait voulu mordre jusqu'Ă  l'extase.
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RenĂ© Depestre (Hadriana dans tous mes rĂȘves (French Edition))
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C'Ă©tait l'automne. C'Ă©tait l'automne et c'Ă©tait la saison de la guerre. Te souviens tu de la guerre? Moi, de moins en moins. Mais je me souviens de l'automne. Je vois encore les brouillards sur les prĂ©s Ă  cĂŽtĂ© de la maison, e, au delĂ , les chĂȘne silencieux dans le crĂ©puscule. Les feuilles Ă©taient tombeĂ©s dupuis septembre. Elles brunissaient et m'Ă©vocaient alors l'esprit de ma jeunesse, et aussi l'esprit de temps. Souvent j'allais au bois. Je traversais les prĂ©s et je me perdais pour longtemps au dessous des branches, dans les ombres, parmi les feuilles. Une fois, avant d'entrer dans le bois, je me souviens qu'il y avait un cheval noir qui me fixait de loin. Il Ă©tait au fond du petit champ. J'imaginais qu'il me regardait, alors que probablement il dormait. Pourquoi pense je maintenant Ă  ce cheval? Je ne sais pas. Peut ĂȘtre pour la mĂȘme raison je pense Ă  tous ces mots j'ai Ă©crit au mĂȘme temps. J'ai gardĂ© la feuille oĂč j'avais notĂ© tout ce qui m'Ă©tait venu Ă  l'esprit. A l'Ă©poque, je croyais qu'ils m'appartenaient, mais maintenant, je sais qui j'avais tort. A chaque fois que les relis, je vois que je copiais seulement ce que quelqu'un m'avait racontĂ©. --N'aie pas peur. Je ne m'arrĂȘterai pas. Je dois dĂ©couvrir cette clairiĂšre. Et je ne m'arrĂȘterai pas tant que je ne l'aurais pas trouvĂ©e. Sais tu ce qui me pousse Ă  la chercher? Eh bien... personne. Ma femme est morte. Ma femme, ma fille et mon fils sont tous morts. Te souviens tu comment ils sont morts? Moi, de moins en moins. Je ne me souviens que du temps. Mes blessures ne sont plus mortelles, mais j'ai peur. J'ai peur de ne pas trouver cette clairiĂšre. Je suis restĂ© quelque temps Ă  regarder les ombres, les feuilles et les branches. Ensuite, quand j'ai quittĂ© le bois, je ne voyais que le brouillard autour de moi. Je ne pouvais voir ni la maison, ne les prĂ©s, seulement le brouillard. Et bien sĂ»r, le cheval noir avait disparu.
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Mark Z. Danielewski (House of Leaves)
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LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI) La disette a tuĂ© toute brise de vent. Le soleil s’est fondu et coulĂ© de partout. Le ciel est restĂ© vide et brĂ»lant Les seaux ne tirent des fontaines que de boue. Sur les bois frĂ©quemment feux, toujours feux Dansent sauvages, sataniques jeux. Je poursuis papa en route vers les buttes, Les chardons, les sapins m’écorchent sĂ©chĂ©s. Tous les deux commençons la poursuite des chĂšvres, La chasse d’la famine en montagnes de tout prĂšs. La soif m’accable. Bouillit sur la pierre Le fil d’eau filtrĂ© des ruisseaux. La tempe pĂšse l’épaule, comme si j’erre Une autre planĂšte, immense, Ă©trange, ennuyeux. Nous restons dans l’endroit oĂč encore retentissent Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux. Quand la lune s’élĂšve et le soleil se couche Ici viendront Ă  la fil s’abreuver Une par une, les biches. Je dis Ă  papa que j’ai soif. Il me fait signe de m’ taire. Enivrante eau. Comme tu t’agites limpide ! Je suis liĂ© par soif de cette ĂȘtre qui meurt À l’heure fixĂ© par loi et habitude. La vallĂ©e raisonne en bruissements flĂ©tris. Quel affreux crĂ©puscule flotte dans l’univers ! Le sang Ă  l’horizon. Ma poitrine rouge comme si J’ai essuyĂ© mes mains sur mon poitrail. Comme sur autel fougĂšres brĂ»lent en flammes violĂątres Et les Ă©toiles frappĂ©es parmi celles-ci miroitent. HĂ©las ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas Superbe offrande de mon noble bois ! Elle se monta sautant et s’arrĂȘta Scrutant les alentours avec de crainte Ses minces narines faisaient frĂ©mir l’eau Avec les cercles en cuivre errantes. Dans ses yeux moites brillait un certain indĂ©cis Je savais qu’elle aura mal, qu’elle va mourir. Il me semblait revivre un rĂ©cit Avec la biche, jadis une trĂšs belle fille. D’en haut, la pĂąle lumiĂšre, lunaire, Bruinait sur sa fourrure douces fleurs d’cerisier. HĂ©las ! comme je voudrais que pour la premiĂšre fois Le coup d’fusil d’papa va Ă©chouer. Mais les vallĂ©es rĂ©sonnent. Elle tombe Ă  genoux. Elle lĂšve sa tĂȘte, la tourne vers les Ă©toiles La dĂ©vala alors, en dĂ©clenchant sur eaux Fuyards tourbillons de perles noires. Un oiseau bleu bonda dans les rameaux La vie d’la biche vers l’espace attardĂ© Vola trĂšs lentement, en cris, comme en automne oiseaux Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagĂ©s. En chancelant je suis allĂ© pour lui fermer Ses yeux ombreux comme en engoisse veillĂ©s de cornes Silencieux et blanc j’ai tressailli quand l’pĂšre Me dit de tout son cƓur: “VoilĂ  de la viande !” “J’ai soif”, je dis. Papa m’incite Ă  m’abreuver. Enivrante eau, enveloppĂ© en brume ! Je suis liĂ© par soif de cette biche gaspillĂ©e A l’heure fixĂ©e par loi et par coutume
 Mais la loi nous est dĂ©serte, Ă©trangĂšre Quand la vie en nous trĂšs difficile s’anime Coutumes, compassions sont toutes dĂ©sertes Quand mĂȘme ma sƓur malade est une des victimes. La carabine d’ papa n’ Ă©mane que de fumĂ©e HĂ©las ! Sans vent s’empressent les feuillages en foule Papa prĂ©pare un feu tout effrayĂ© HĂ©las ! comme la forĂȘt se dĂ©nature ! De l’herbe, sans adresse, je prends en mains Une mince clochette d’un cliquetis argentin . Papa tire de la broche avec sa main Le cƓur de la chevreuil et ses chauds reins. C’est quoi le cƓur ?
 J’ai faim. Je veux vivre, j’ voudrais
 Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimĂ©e
 J’ai sommeil
 Comme il est haut le feu ! Et la forĂȘt sauvage ! Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mange
 1954 (cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
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Nicolae Labiß (Poezii (Biblioteca Eminescu) (Romanian Edition))
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Maman, j’ai tout acceptĂ©, j’ai toujours Ă©tĂ© de ton cĂŽtĂ©, je t’ai donnĂ© raison jusque dans tes injustices les plus flagrantes, j’ai supportĂ© ta jalousie parce que je comprenais que tu attendais davantage de l’existence, j’ai endurĂ© que tu m’en veuilles des compliments des autres et que tu me le fasses payer, j’ai tolĂ©rĂ© que tu montres ta tendresse Ă  mon frĂšre alors que tu ne m’en as jamais tĂ©moignĂ© une miette, mais lĂ , ce que tu fais devant moi, c’est mal. Une seule fois, tu m’as aimĂ©e, et j’ai su qu’il n’y avait rien de meilleur en ce monde. Je pensais que ce qui t’empĂȘchait de me manifester ton amour, c’était que je sois une fille. Or, Ă  prĂ©sent, sous mes yeux, l’ĂȘtre que tu arroses de l’amour le plus profond que tu aies jamais manifestĂ©, c’est une fille. Mon explication de l’univers s’écroule. Et je comprends que, tout simplement, tu m’aimes Ă  peine, tu m’aimes si peu que tu ne penses mĂȘme pas Ă  dissimuler un rien ta passion folle pour ce bĂ©bĂ©. La vĂ©ritĂ©, maman, c’est que s’il est une vertu qui te manque, c’est le tact.
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AmĂ©lie Nothomb (Frappe-toi le cƓur)
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Ne sommes-nous pas tous semblables, parlant sans trĂȘve et Ă  personne, confrontĂ©s toujours aux mĂȘmes questions bien que nous connaissions d’avance les rĂ©ponses? Alors, racontez-moi, je vous prie, ce qui vous est arrivĂ© un soir sur les quais de la Seine et comment vous avez rĂ©ussi Ă  ne jamais risquer votre vie. Prononcez vous-mĂȘme les mots qui, depuis des annĂ©es, n’ont cessĂ© de retentir dans mes nuits, et que je dirai enfin par votre bouche: "Oh jeune fille, jette-toi encore dans l’eau pour que j’aie une seconde fois la chance de nous sauver tous les deux!" Une seconde fois, hein, quelle imprudence! Supposez, cher maĂźtre, qu’on nous prenne au mot? Il faudrait s’exĂ©cuter. Brr... l’eau est si froide! Mais rassurons- nous! Il est trop tard, maintenant, il sera toujours trop tard. Heureusement!
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Albert Camus (The Fall)
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Isabelle n’aimait pas la jouissance, mais Esther n’aimait pas l’amour, elle ne voulait pas ĂȘtre amoureuse, elle refusait ce sentiment d’exclusivitĂ©, de dĂ©pendance, et c’est toute sa gĂ©nĂ©ration qui le refusait avec elle. J’errais parmi eux comme une sorte de monstre prĂ©historique avec mes niaiseries romantiques, mes attachements, mes chaĂźnes. Pour Esther, comme pour toutes les jeunes filles de sa gĂ©nĂ©ration, la sexualitĂ© n’était qu’un divertissement plaisant, guidĂ© par la sĂ©duction et l’érotisme, qui n’impliquait aucun engagement sentimental particulier ; sans doute l’amour n’avait-il jamais Ă©tĂ©, comme la pitiĂ© selon Nietzsche, qu’une fiction inventĂ©e par les faibles pour culpabiliser les forts, pour introduire des limites Ă  leur libertĂ© et Ă  leur fĂ©rocitĂ© naturelles. Les femmes avaient Ă©tĂ© faibles, en particulier au moment de leurs couches, elles avaient eu besoin Ă  leurs dĂ©buts de vivre sous la tutelle d’un protecteur puissant, et Ă  cet effet elles avaient inventĂ© l’amour, mais Ă  prĂ©sent elles Ă©taient devenues fortes, elles Ă©taient indĂ©pendantes et libres, et elles avaient renoncĂ© Ă  inspirer comme Ă  Ă©prouver un sentiment qui n’avait plus aucune justification concrĂšte. Le projet millĂ©naire masculin, parfaitement exprimĂ© de nos jours par les films pornographiques, consistant Ă  ĂŽter Ă  la sexualitĂ© toute connotation affective pour la ramener dans le champ du divertissement pur, avait enfin, dans cette gĂ©nĂ©ration, trouvĂ© Ă  s’accomplir. Ce que je ressentais, ces jeunes gens ne pouvaient ni le ressentir, ni mĂȘme exactement le comprendre, et s’ils l’avaient pu ils en auraient Ă©prouvĂ© une espĂšce de gĂȘne, comme devant quelque chose de ridicule et d’un peu honteux, comme devant un stigmate de temps plus anciens. Ils avaient rĂ©ussi, aprĂšs des dĂ©cennies de conditionnement et d’efforts ils avaient finalement rĂ©ussi Ă  extirper de leur cƓur un des plus vieux sentiments humains, et maintenant c’était fait, ce qui avait Ă©tĂ© dĂ©truit ne pourrait se reformer, pas davantage que les morceaux d’une tasse brisĂ©e ne pourraient se rĂ©assembler d’eux-mĂȘmes, ils avaient atteint leur objectif : Ă  aucun moment de leur vie, ils ne connaĂźtraient l’amour. Ils Ă©taient libres
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Michel Houellebecq (La possibilité d'une ßle (French Edition))
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Et dĂšs que ma mĂšre s’est aperçue qu’il y poussait comme des petits boutons, elle m’a dit de cacher ça. Elle m’a dit de ne pas montrer cela aux hommes. MĂȘme pas Ă  mon pĂšre. Elle m’a donnĂ© une vielle chemise d’un de mes frĂšres. Elle m’a montrĂ© comment je devais m’asseoir. Et surtout baisser les yeux quand on m’adressait la parole. « Il n’y a que les filles sans pudeur et les Ă©voluĂ©es de Kigali qui regardent un homme en face », me rĂ©pĂ©tait-elle. Cela a dĂ» ĂȘtre la mĂȘme chose pour toi. Mais Ă  prĂ©sent nous devrions nous rĂ©jouir de voir notre sang chaque mois. Cela veut dire aussi que nous sommes des femmes, de vraies femmes qui aurons des enfants. Tu sais bien que, pour devenir de vraies femmes, il faut avoir des enfants. Quand on te marie, c’est ce qu’on attend de toi. Tu n’es rien dans ta nouvelle famille et pour ton mari, si tu n’as pas d’enfants. Il faut que tu aies des enfants, des garçons, surtout des garçons. C’est quand tu as des fils que tu es une vraie femme, une mĂšre, celle que l’on respecte.
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Scholastique Mukasonga (Our Lady of the Nile)
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La poĂ©sie est fille de la nuit. NOIRE. pou la voir il faut ou braquer sur elle une lampe de poche --- c'est pourquoi, figĂ©e dans sa surprise, elle apparaĂźt Ă  nombre de poĂštes comme une statue --- ou bien, fermer les teux por Ă©pouser la nuit. Invisibble, puisque noire dans le noir, pour se manifester Ă  nous, la poĂ©sie fera usage alors, de sa voix. Le poĂšte se laissera flĂ©chir par elle. Il ne s'Ă©tonnera plus lorque, confiante, cette voix, pour lui, prendra la forme d'une main: il lui tendra les siennes. [...] Le poĂšte est son poĂšme. Il incarne l'aventure offerte au langage. Il est, dans l'immense coquillage de l'univers, la tentative absurde et toujours renouvelĂ©e de l'huĂźtre, de perler l'infini. [...] Le mot hante le mot. Prisonnier des lettres qui le forment --- comme l'homme de son corps ou de sa condition --- une immense espĂ©rance, en pleine mer oisive, l'anime. Que de problĂšmes d'Ă©criture l'hostilitĂ© de l'Ă©quiĂĄge soulĂšve. Et d'abord celle de la communication, de la circulation des idĂ©es. Le mot est l'ennemi de l'idĂ©e. L'idĂ©e, c'est le pĂ©chĂ© originel. Le besoin de libertĂ© du mot grandit Ă  mesure que l'Ă©crivain prend conscience de son art. Il y a un appel Ă©mouvant, entĂȘtĂ© du mot. Le poĂšte y rĂ©pond, considĂšre essentiel son rĂ”le d'y rĂ©pondre. La libertĂ© y est en jeu. Il y a le mot pour mot Enfant en mal de croissance Il y a le mal du mot-enfant "Mon Dieu, faites qu'Ă  l'Ă©cole, demain, je sache orthographier 'ChrysanthĂšme'; qu'entre les diffĂ©rentes façons d'Ă©crire ce mot, je tombe sur la bonne. Mon Dieu, faites que les lettres qui le livrent me viennent en aide, que je n'en mette pas plus ni moins. Mon Dieu, faites que mon maĂźtre comprenne qu'il s'agit bien de la fleur qu'il affectionne et non de la pyxide dont je puis Ă  volontĂ© colorier la carcasse, denteler l'ombre et le fond des yeux et qui hante mes rĂȘveries." Il y a le mot-mĂ©lomane festival des passions Il y a le mot-musique clĂ© des rois Art de vivre dans la pierre il y a le mot-architecte [...] Le poĂšte est rivĂ© au poĂšme, comme le mot Ă  la mort du monde qui le projette
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Edmond JabĂšs (Je bĂątis ma demeure : PoĂšmes 1943-1957)
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Et qu’est-ce qui te fait penser que j’ai envie qu’on se remette ensemble ? Si ça se trouve, j’ai vĂ©cu une histoire torride avec un top-modĂšle en ton absence. — PremiĂšrement, mes informatrices infiltrĂ©es sur le campus m’ont tenue au courant de tes agissements, expliqua Lauren en plaquant son ventre contre celui de son petit ami. DeuxiĂšmement, quelle autre fille pourrait supporter une coupe de cheveux comme la tienne
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Robert Muchamore (Cherub - Mission 11 : Vandales)
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Mais cela ne dura pas. Son mal devint fĂ©roce, dĂ©chira sa mĂ©moire, la dĂ©vora, puis s'attaqua au noyau du prĂ©nom. Mon grand-pĂšre devint un mort hĂ©bĂ©tĂ©, vaincu par l'oubli, et c'est Hadjer, sa fille cadette, qui s'en occupa, et continua mĂȘme quand il ne sut plus qui elle Ă©tait. il mourut des annĂ©es plus tard, dans mes bras, Ă  une Ă©poque ou je ne savais pas encore contrer les dĂ©capitations par des rĂ©cits
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Kamel Daoud (Zabor ou Les Psaumes)
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Je n'ai jamais compris pourquoi certains de mes camarades de guerre en voulaient tellement aux femmes et aux jeunes filles qui regardaient du cĂŽtĂ© des soldats alliĂ©s. Mon Dieu, n'avait-on pas ressassĂ© des annĂ©es durant Ă  ces pauvres crĂ©atures que le hĂ©ros en uniforme, le beau mĂąle vainqueur devait ĂȘtre l'idĂ©al suprĂȘme de la femme. On leur avait appris: tout ce qui est allemand est vainqueur - et tout ce qui est vainqueur est allemand.
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Irmgard Keun (Ferdinand, der Mann mit dem freundlichen Herzen)
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Je crains de faire une attaque de panique et de ne pas réussir à la gérer. Je redoute de perdre connaissance et que mes filles se retrouvent seules. Je suis terrorisée à l'idée de ressentir ces symptÎmes terribles. Les symptÎmes de la peur. En fait j'ai peur d'avoir peur. J'ai peur de moi.
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Virginie Grimaldi (Il est grand temps de rallumer les étoiles)
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Je n'ai pas su leur apprendre la joie mais je les ai armées. Mes filles auront les maris que le jeu du pouvoir exige. Elles ne choisiront rien, hélas, mais quelque soit le sort qui leur est réservé, elles résisteront. Aujourd'hui je les considÚre sauvées car hors d'atteinte. Incapable de rire, mais le menton haut et les poings serrés. Est-ce une erreur de vouloir protéger ceux qu'on aime?
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Clara Dupont-Monod (La révolte)
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Les meubles que vous voyez ici, nous dit notre hÎte, sont vivants; tous vont marcher au moindre signe': Minsky fait ce signe, et la table s'avance; elle était dans un coin de la salle, elle vient se placer au milieu; cinq fauteuils se rangent également autour; deux lustres descendent du plafond et planent au milieu de la table! 'Cette méchanisme est simple', dit le géant, en nous faisant observer de prÚs la composition de ces meubles. 'Vous voyez que cette table, ces lustres, ces fauteuils, ne sont composés que de groupes de filles, artistement arrangés; mes plats vont se placer tout chauds sur les reins de ces créatures'.
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D. A. F. de Sade
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RĂ©flĂ©chissons. N'avais-je pas eu autrefois, sur une autre planĂšte, une enfance et une jeunesse? Qu'est-elle devenue cette planĂšte si ressemblante et en mĂȘme tempe si dissemblable Ă  la terre que je foule aujourd'hui ? En faisant un grand effort d'imagination, je pourrais peut-ĂȘtre me le rappeler. Ne l'ai-je pas dĂ©jĂ  fait plus d'une fois au cours de mes nuits sans sommeil ? Une lampe Ă  pĂ©trole, un feu au maigre panache de fumĂ©e s'Ă©parpillant paresseusement dans le prĂ©, le vent pourchassant de redoutables nuages sur un ciel encore inconnu. La peur de la vie qui nous attend quelque part au-delĂ  des montagnes et des forĂȘts ; un bourg indolent censĂ© exister Ă©ternellement jusqu'Ă  la prochaine guerre ; la priĂšre des grands-parents ; le beau chapelet enchanteur de pressentiments de tout ce qu'on ne comprenait pas encore ; un train sifflant toujours aux mĂȘmes heures de la journĂ©e ; l'amour pour une fille d'une planĂšte mystĂ©rieuse et lointaine, car Ă  cette Ă©poque toutes les jolies filles venaient d'ailleurs ; une bestiale, effrayante nostalgie du corps fĂ©minin oĂč Satan et l'ange blanc vivaient en mĂ©nage, et cette autre, d'une vie future et hors pair ; l'atmosphĂšre poignante des forĂȘts oĂč on allait flĂąner, l'inoubliable senteur de la giroflĂ©e sauvage et ces orages d'Ă©tĂ© qui annonçaient chaque annĂ©e la fin du monde prochaine ; ces tristesses et ces espoirs soudains et la face effrayante et magique de la lune Ă  la physionomie de dĂ©mon bon enfant. OĂč est-elle ma gentille petite planĂšte emmitouflĂ©e dans le chĂąle de mes joies, de mes peines fragiles d'antan. Elle vole peut-ĂȘtre comme une colombe au milieu des lointaines et hostiles galaxies ? À quoi bon m'ĂȘtre tant fatiguĂ© durant toutes ces annĂ©es ? Car tout m'Ă©tait fatigue, les peines et les joies de la vie. Les plus beaux levers de soleil me mettaient au supplice tout comme la possession d'une femme dĂ©sirĂ©e. Je recevais des mains du sort mes succĂšs passagers en en remerciant Dieu, mais ma tourmente Ă©tait lĂ . Elle Ă©tait lĂ  mĂȘme dans mes rĂȘves quand, me dĂ©tachant de cette terre, je voguais vers les Ăźles lointaines du paradis promis. Et je la devinais prĂ©sente chez tous les autres hommes, en dehors de ceux qui ne se tourmentent jamais. Mais ce qui me fatiguait le plus, c'Ă©tait la conscience de la banalitĂ© de tout ça. Tout a Ă©tĂ© dĂ©jĂ  dĂ©couvert et vĂ©cu par les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes, reproduit Ă  l'infini par la matrice gĂ©nĂ©tique. Le monde Ă©tait rempli de gĂ©missements en tout point semblables qui se mĂȘlaient en une seule lamentation pareille au piaillement du parlement des moineaux et rejoignaient le bruissement de l'espace interstellaire, cette musique geignarde du vieux cosmos. p308-310
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Tadeusz Konwicki (MaƂa apokalipsa)
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Zohra, ton crĂąne n'a pour sĂ©pulture que cette boĂźte rangĂ©e sur une Ă©tagĂšre. Selon la tradition de nos montagnes, ton corps de petite fille dĂ©funte aurait Ă©tĂ© lavĂ© et parfumĂ© Ă  l'eau de rose, recouvert ensuite d'un drap blanc brodĂ© d'or. Un taleb aurait rĂ©citĂ© toute la beautĂ© du Coran avec ses riviĂšres de vin, de miel et de lait. Par ces mots que je t'adresse comme une oraison funĂšbre, j'ai l'impression d'entendre l'appel du paradis qui coule dans mes veines, de retrouver mon nom ancestral, AĂŻt-Taleb. Zohra, tu n'auras pas d'ablutions, ni de bouquets de narcisse ou de myrte, pas mĂȘme de branches d'olivier. Parce que la religion du ProgrĂšs prĂ©fĂšre les cartons numĂ©rotĂ©s aux reliquaires, les mesures au mystĂšre, l'observation au souvenir.
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Xavier Le Clerc (Le pain des Français (French Edition))
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et il m'Ă©tait arrivĂ©, moi aussi quelques fois de trouver ça joli sur mes joues, alors que dans quelque nuit adolescente je pleurais d'avoir Ă©tĂ© laissĂ©e, par ce garçon que j'aimais et qui disait m'aimer aussi mais qui, de longues nuits entiĂšres me laissait sans nouvelles et pourquoi d'ailleurs avais-je tant besoin d'en avoir, pourquoi ne faisais-je pas autre chose bien sĂ»r, moi qui aimais, comme lui, beaucoup faire la fĂȘte, pourquoi dans ces moments-lĂ  rien ne pouvait apaiser le manque, et je ne crois pas que ce soit une question d'amour non, je ne crois pas que ce soit ça, l'amour, je crois que c'Ă©tait simplement le manque en tant que tel, ce manque qui nous constituait et faisait, de nos corps des puits sans fond oĂč nous-mĂȘmes nous nous perdions, tandis qu'il Ă©tait lui, si libre, qu'il avait appris tĂŽt cette libertĂ©-lĂ  de ne pas rĂ©pondre Ă  la fille qu'on aime, oh ne serait-ce qu'un instant pour lui dire, mon cƓur ne m'attends pas ce soir, et comme il ne rĂ©pond pas, elle attend, la fille, une libertĂ© Ă  cause de laquelle on risquait de se retrouver encore bien seule mĂȘme quand on Ă©tait dans leurs bras, mais puisque c'est si joli une jeune femme qui pleure, on en voit, beaucoup dans les films et je trouvais jolie ma propre rĂ©duction Ă  rien, mais j'ai trente ans dĂ©sormais et je ne veux plus pleurer pour rien dans le vide d'un manque que rien ne comblera
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Louise ChenneviĂšre (Pour Britney)
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Mes filles restent au monde sans moi, mais quoi ? mais comment ? comment feront-elles ? se dĂ©brouilleront-elles ? Ça fait des dĂ©cennies qu'elles se dĂ©brouillent mais je panique, je ne peux pas les laisser seules. Bien sĂ»r que oui puisqu'elles sont sƓurs. AprĂšs tout, ce sera comme sur les photos oĂč je n'apparais pas. Ceux qui m'ont connue m'y devineront, petite bulle ou courant d'air, on dirait tellement leur mĂšre, murmureront-ils. Elles vieilliront, leur peau se ridera, elles ressasseront leurs tracas au tĂ©lĂ©phone, elles m'Ă©voqueront certains jours, d'autres pas du tout. Elles se soucieront surtout de la suite, de leurs filles, Ă  moins qu'elles n'aient des garçons... Puis un matin, l'une recevra un coup de fil. Ce sera le numĂ©ro de l'autre mais ce ne sera pas sa voix, et lĂ , je ne peux pas... Cut.
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Nathalie Azoulai (Petit Ă©loge de nos sƓurs (French Edition))