L'homme De Ma Vie Quotes

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Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant aprÚs moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitÎt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Étrange Pays dans mon pays lui-mĂȘme)
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Elle se mordit la langue quand Thorn pressa sa bouche contre la sienne. Sur le moment, elle ne comprit plus rien. Elle sentit sa barbe lui piquer le menton, son odeur de dĂ©sinfectant lui monter Ă  la tĂȘte, mais la seule pensĂ©e qui la traversa, stupide et Ă©vidente, fut quenelle avait une botte plantĂ©e dans son tibia. Elle voulut se reculer; Thorn l’en empĂȘcha. Il referma ses mains de part et d’autre de son visage, les doigts dans ses cheveux, prenant appui sur sa nuque avec une urgence qui les dĂ©sĂ©quilibra tous les deux. La bibliothĂšque dĂ©versa une pluie de documents sur eux. Quand Thorn s’écarte finalement, le souffle court, ce fut pour clouer un regard de fer dans ses lunettes. - je vous prĂ©viens. Les mots que vous m’avez dits, je ne vous laisserai pas revenir dessus. Sa voix Ă©tait Ăąpre, mais sous l’autoritĂ© des paroles il y avait comme une fĂȘlure. OphĂ©lie pouvait percevoir le pouls prĂ©cipitĂ© des mains qu’il appuyait maladroitement sur ses joues. Elle devait reconnaĂźtre que son propre cƓur jouait Ă  la balançoire. Thorn Ă©tait sans doute l’homme le plus dĂ©concertant qu’elle avait jamais rencontrĂ©, mais il l’a faisait se sentir formidablement vivante. - je vous aime, rĂ©pĂ©ta-y-elle d’un ton inflexible. C’est ce que j’aurais du vous rĂ©pondre quand vous vouliez connaĂźtre la raison de ma prĂ©sence Ă  Babel c’est ce que j’en aurais du vous rĂ©pondre chaque fois que vous vouliez savoir ce que j’en avais vraiment Ă  vous dire. Bien sĂ»r que je dĂ©sire percer les mystĂšres de Dieu et reprendre le contrĂŽle de ma vie, mais... vous faites partie de ma vie, justement. Je vous ai traitĂ© d’égoĂŻste et Ă  aucun moment je ne me suis mise, moi, Ă  votre place. Je vous demande pardon. 
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Christelle Dabos (La MĂ©moire de Babel (La Passe-Miroir, #3))
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Mes amis, j'Ă©cris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fiertĂ© de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir Ă©tĂ© choisi et apprĂ©ciĂ© par vous, et que notre amitiĂ© fut sans doute la plus belle Ɠuvre de ma vie. C'est Ă©trange, l'amitiĂ©. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitiĂ©. L'amitiĂ©, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en dĂ©clarations, en poĂšmes, en lettres. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les dĂ©mangeaisons de peau. En mourant, c'est Ă  ce grand mystĂšre silencieux que je songe et je lui rends hommage. Mes amis, je vous ai vus mal rasĂ©s, crottĂ©s, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de pĂ©ter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessĂ© de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu Ă  une femme de m'imposer toutes ses misĂšres, je l'aurais quittĂ©e, insultĂ©e, rĂ©pudiĂ©e. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnĂ©rables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la sĂ©duction. Ils jouent un rĂŽle. Pire, ils cherchent chacun le beau rĂŽle. ThĂ©Ăątre. ComĂ©die. Mensonge. Il n'y a pas de sĂ©curitĂ© en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut ĂȘtre aimĂ© tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge rĂ©ussi et constamment renouvelĂ©. Une amitiĂ©, c'est une vĂ©ritĂ© qui s'impose. L'amitiĂ© est nue, l'amour fardĂ©. Mes amis, je vous aime donc tels que vous ĂȘtes.
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Éric-Emmanuel Schmitt (La Part de l'autre)
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J’ai toujours pensĂ© que l’homme naĂźt avec des goĂ»ts absolus et avec tous les germes de son caractĂšre futur ; son but est prĂ©cisĂ©ment de rĂ©aliser son caractĂšre. Tout le mal vient de ce que les circonstances mettent parfois des obstacles Ă  cette rĂ©alisation. Je passais en revue toutes mes mauvaises actions, tous les actes qui autrefois troublaient ma conscience, et je pus constater que tous provenaient du dĂ©saccord entre mon caractĂšre et la vie que j’ai menĂ©e.
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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C'est drĂŽle, la vie, il y a parfois de toutes petites dĂ©cisions qui ont des consĂ©quences incroyables sur le cours de votre existence. Et, des annĂ©es plus tard, on se demande comment elle se serait dĂ©roulĂ©e si l'on n'avait pas pris, Ă  l'Ă©poque, cette toute petite dĂ©cision mais une autre ... Combien d'occasions de ce genre avais-je ainsi laissĂ© passer sans mĂȘme le savoir ? Combien de fois, dans les milliers de petits croisements de ma vie, avais-je optĂ© malencontreusement pour le chemin banal, alors que l'autre se serait avĂ©rĂ© merveilleux ?
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Laurent Gounelle (L'homme qui voulait ĂȘtre heureux)
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Et Ă  prĂ©sent, faites le calcul, dit le professeur Wagner. — En travaillant avec mes deux hĂ©misphĂšres cĂ©rĂ©braux, je double ma production. En travaillait vingt-quatre heures au lieu de huit, je triple mon temps de travail. Cela signifie que je travaille pour six, et, de plus, sans aucun dommage pour la santĂ©. Par consĂ©quent, pour trente ans de travail dans sa vie, un homme sera en mesure d’effectuer le travail de cent quatre-vingt annĂ©es. Pour le dire encore autrement, Ă  chaque demi-siĂšcle, l’humanitĂ© avancera autant sur la route du progrĂšs qu’en trois siĂšcles !!
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Alexandre BeliaĂŻev (L'homme qui ne dormait pas)
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DerriÚre mes lunettes fumées, je la contemple, étendue sur una chaise longue, un bras replié sous la nuque. Elle se farde à peine, ses cheveux sont ni trÚs fins, ni trÚs réguliers. Je ne la trouve ni gentille, ni délicieuse, ni charmante et elle n'es pas mon amie. Je voudrais simplement l'avoir avec moi le reste de ma vie.
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Fred Kassak (L'homme qui voulait tuer Georges)
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Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sĂ©vĂšres. Le paysage se rĂ©vĂšle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La prĂ©sence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquĂȘte qui rend jouissance des choses. Il fait -33°. Le camion s'est fondu Ă  la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Être seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grĂ©sil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'Ă©carte les bras, tends mon visage au vide glacĂ© et rentre au chaud. J'ai atteint le dĂ©barcadĂšre de ma vie. Je vais enfin savoir si j'ai une vie intĂ©rieure.
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Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
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Je me mis dĂšs lors Ă  lire avec aviditĂ© et bientĂŽt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations rĂ©centes, tous les Ă©lans encore vagues de mon adolescence qui s’élevaient dans mon Ăąme d’une façon si troublante et qui Ă©taient provoquĂ©s par mon dĂ©veloppement si prĂ©coce, tout cela, soudainement, se prĂ©cipita dans une direction, parut se satisfaire complĂštement de ce nouvel aliment et trouver lĂ  son cours rĂ©gulier. BientĂŽt mon cƓur et ma tĂȘte se trouvĂšrent si charmĂ©s, bientĂŽt ma fantaisie se dĂ©veloppa si largement, que j’avais l’air d’oublier tout ce qui m’avait entourĂ©e jusqu’alors. Il semblait que le sort lui mĂȘme m’arrĂȘtĂąt sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, Ă  laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de m’abandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur d’oĂč je pouvais contempler l’avenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinĂ©e Ă  vivre tout cet avenir en l’apprenant d’abord par les livres ; de vivre dans les rĂȘves, les espoirs, la douce Ă©motion de mon esprit juvĂ©nile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que j’avais appris et vĂ©cu jusqu’à ce jour Ă©tait si noble, si austĂšre, qu’une page impure ou mauvaise n’eĂ»t pu dĂ©sormais me sĂ©duire. Mon instinct d’enfant, ma prĂ©cocitĂ©, tout mon passĂ© veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience m’éclairait toute ma vie passĂ©e. En effet, presque chacune des pages que je lisais m’était dĂ©jĂ  connue, semblait dĂ©jĂ  vĂ©cue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ©es. Et comment pouvais-je ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ©e jusqu’à l’oubli du prĂ©sent, jusqu’à l’oubli de la rĂ©alitĂ©, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois d’une mĂȘme destinĂ©e, le mĂȘme esprit d’aventure qui rĂšgnent sur la vie de l’homme, mais qui dĂ©coulent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! C’est cette loi que je soupçonnais, que je tĂąchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait l’air de me prĂ©venir, comme s’il y avait en mon Ăąme quelque chose de prophĂ©tique, et chaque jour l’espoir grandissait, tandis qu’en mĂȘme temps croissait de plus en plus mon dĂ©sir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, ma fantaisie l’emportait sur mon impatience, et, en vĂ©ritĂ©, je n’étais trĂšs hardie qu’en rĂȘve ; dans la rĂ©alitĂ©, je demeurais instinctivement timide devant l’avenir.
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Elle se mordit la langue quand Thorn pressa sa bouche contre la sienne. Sur le moment, elle ne comprit plus rien. Elle sentit sa barbe lui piquer le menton, son odeur de dĂ©sinfectant lui monter Ă  la tĂȘte, mais la seule pensĂ©e qui la traversa, stupide et Ă©vidente, fut quenelle avait une botte plantĂ©e dans son tibia. Elle voulut se reculer; Thorn l’en empĂȘcha. Il referma ses mains de part et d’autre de son visage, les doigts dans ses cheveux, prenant appui sur sa nuque avec une urgence qui les dĂ©sĂ©quilibra tous les deux. La bibliothĂšque dĂ©versa une pluie de documents sur eux. Quand Thorn s’écarte finalement, le souffle court, ce fut pour clouer un regard de fer dans ses lunettes. - je vous prĂ©viens. Les mots que vous m’avez dits, je ne vous laisserai pas revenir dessus. Sa voix Ă©tait Ăąpre, mais sous l’autoritĂ© des paroles il y avait comme une fĂȘlure. OphĂ©lie pouvait percevoir le pouls prĂ©cipitĂ© des mains qu’il appuyait maladroitement sur ses joues. Elle devait reconnaĂźtre que son propre cƓur jouait Ă  la balançoire. Thorn Ă©tait sans doute l’homme le plus dĂ©concertant qu’elle avait jamais rencontrĂ©, mais il l’a faisait se sentir formidablement vivante. - je vous aime, rĂ©pĂ©ta-y-elle d’un ton inflexible. C’est ce que j’aurais du vous rĂ©pondre quand vous vouliez connaĂźtre la raison de ma prĂ©sence Ă  Babel c’est ce que j’en aurais du vous rĂ©pondre chaque fois que vous vouliez savoir ce que j’en avais vraiment Ă  vous dire. Bien sĂ»r que je dĂ©sire percer les mystĂšres de Dieu et reprendre le contrĂŽle de ma vie, mais... vous faites partie de ma vie, justement. Je vous ai traitĂ© d’égoĂŻste et Ă  aucun moment je ne me suis mise, moi, Ă  votre place. Je vous demande pardon. 
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Dabos Christelle
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J'ai su, moi, depuis le jour oĂč le destin mĂĄ envoyĂ© un Barba Yani, vendeur de salep et Ăąme divine, j'ai su qu'il doit se considĂ©rer comme heureux, l'homme qui a eu la chance de rencontrer dans sa vie un Barba Yani. Je n'en ai jamais rencontrĂ© qu'un seul, lui. Mais il m'a suffi pour supporter la vie, et, souvent, la bĂ©nir, chanter ses louanges. Car la bontĂ© d'un seul homme est plus puissante que la mĂ©chancetĂ© de mille; le mal meurt en mĂȘme temps que celui qui l'a exercĂ©; le bien continue Ă  rayonner aprĂšs la disparition du juste.
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Panait Istrati
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Tu veux rester propre. Tu crois que tu es arrivĂ© couvert de savon et tu crois que tu repartiras couvert de savon, et entre-temps tu ne veux pas risquer de puer, mĂȘme cinq minutes." Il me saisit par le col de ma chemise, Ă  la fois violent et tendre, souple et du comme l'acier ; la salive sortait de ses lĂšvres, ses yeux Ă©taient baignĂ©s de larmes, mais les os de son visage saillaient et les muscles de ses bras, de son cou, Ă©taient agitĂ©s d'un tremblement. "Tu veux quitter Giovanni parce qu'avec lui tu pues. Tu veux mĂ©priser Giovanni parce qu'il n'a pas peur de la puanteur de l'amour. Tu veux le tuer au nom de toute ta sale petit morale hypocrite. C'est toi...toi qui est immoral. Tu es de loin l'homme le plus immoral que j'aie jamais rencontrĂ© de ma vie.
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James Baldwin (Giovanni’s Room)
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Quand je vis avec mes semblables, ma pensĂ©e s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider Ă  vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nĂ©cessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon Ă  rien, j'Ă©prouve le besoin de vivre avec ce moi intĂ©rieur qui s'identifie Ă  la nature et au rĂȘve de la vie dans l'Ă©ternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent dĂ©lirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mĂȘmes sont tourmentĂ©s d'un besoin d'existence qui nous empĂȘche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. DĂšs qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire Ă  tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit cĂ©der Ă  cette sauvage logique de la faim et de l'amour. OĂč donc trouver, oĂč donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? HĂ©las, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassĂ©rĂ©nement inexplicable. LĂ , nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une rĂ©gion d'idĂ©es oĂč il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mĂȘmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'ĂȘtre.
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George Sand (Le dernier amour)
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En chinois, le mot n'a presque jamais de sens absolument dĂ©fini et limitĂ© ; le sens rĂ©sulte trĂšs gĂ©nĂ©ralement de la position dans la phrase, mais avant tout de son emploi dans tel ou tel livre plus ancien et de l'interprĂ©tation admise dans ce cas. Ici, point de « racines » au-delĂ  desquelles on n'atteint plus et qui justifient le sens des dĂ©rivĂ©s dans les divers idiomes ou dialectes d'une mĂȘme famille ; le mot n'a de valeur que par ses acceptions traditionnelles. On n'a pas, Ă  ma connaissance, tirĂ© tout le parti possible de cette particularitĂ© de la langue chinoise, au point de vue de l'Ă©tude et de la recherche de la nature rĂ©elle du langage humain. Le mot chinois nous apparaĂźt «comme si», expression naturelle et spontanĂ©e d'une pensĂ©e abstraite Ă©trangĂšre aux circonstances et aux conditions de la vie animale de l'homme, celui-ci, saisissant dans cette pensĂ©e un rapport avec les circonstances et les conditions de sa vie, avait empruntĂ© le son de cette expression pour crĂ©er sa parole raisonnĂ©e.
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Paul-Louis-FĂ©lix Philastre (Le Yi king)
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Cette qualitĂ© de la joie n’est-elle pas le fruit le plus prĂ©cieux de la civilisation qui est nĂŽtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matĂ©riels. Mais nous ne sommes pas un bĂ©tail Ă  l’engrais. La prospĂ©ritĂ© et le confort ne sauraient suffire Ă  nous combler. Pour nous qui fĂ»mes Ă©levĂ©s dans le culte du respect de l’homme, pĂšsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fĂȘtes merveilleuses
 Respect de l’homme ! Respect de l’homme !
 LĂ  est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-mĂȘme ; il refuse les contradictions crĂ©atrices, ruine tout espoir d’ascension, et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitiĂšre. L’ordre pour l’ordre chĂątre l’homme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-mĂȘme. La vie crĂ©e l’ordre, mais l’ordre ne crĂ©e pas la vie. Il nous semble, Ă  nous, bien au contraire, que notre ascension n’est pas achevĂ©e, que la vĂ©ritĂ© de demain se nourrit de l’erreur d’hier, et que les contradictions Ă  surmonter sont le terreau mĂȘme de notre croissance. Nous reconnaissons comme nĂŽtres ceux mĂȘmes qui diffĂšrent de nous. Mais quelle Ă©trange parenté ! elle se fonde sur l’avenir, non sur le passĂ©. Sur le but, non sur l’origine. Nous sommes l’un pour l’autre des pĂšlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le mĂȘme rendez-vous. Mais voici qu’aujourd’hui le respect de l’homme, condition de notre ascension, est en pĂ©ril. Les craquements du monde moderne nous ont engagĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. Les problĂšmes sont incohĂ©rents, les solutions contradictoires. La vĂ©ritĂ© d’hier est morte, celle de demain est encore Ă  bĂątir. Aucune synthĂšse valable n’est entrevue, et chacun d’entre nous ne dĂ©tient qu’une parcelle de la vĂ©ritĂ©. Faute d’évidence qui les impose, les religions politiques font appel Ă  la violence. Et voici qu’à nous diviser sur les mĂ©thodes, nous risquons de ne plus reconnaĂźtre que nous nous hĂątons vers le mĂȘme but. Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une Ă©toile, s’il se laisse trop absorber par ses problĂšmes d’escalade, risque d’oublier quelle Ă©toile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisiĂšre de cathĂ©drale, Ă  se prĂ©occuper trop Ăąprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu. Ainsi, Ă  m’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’ĂȘtre au service d’une Ă©vidence spirituelle. Nous avons goĂ»tĂ©, aux heures de miracle, une certaine qualitĂ© des relations humaines : lĂ  est pour nous la vĂ©ritĂ©. Quelle que soit l’urgence de l’action, il nous est interdit d’oublier, faute de quoi cette action demeurera stĂ©rile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de l’homme. Pourquoi nous haĂŻrions-nous Ă  l’intĂ©rieur d’un mĂȘme camp ? Aucun d’entre nous ne dĂ©tient le monopole de la puretĂ© d’intention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route qu’un autre a choisie. Je puis critiquer les dĂ©marches de sa raison. Les dĂ©marches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de l’Esprit, s’il peine vers la mĂȘme Ă©toile. Respect de l’Homme ! Respect de l’Homme !
 Si le respect de l’homme est fondĂ© dans le cƓur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le systĂšme social, politique ou Ă©conomique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde d’abord dans la substance. Elle est d’abord, dans l’homme, dĂ©sir aveugle d’une certaine chaleur. L’homme ensuite, d’erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
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Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
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« Norbert de Varenne parlait d’une voix claire, mais retenue, qui aurait sonnĂ© dans le silence de la nuit s’il l’avait laissĂ©e s’échapper. Il semblait surexcitĂ© et triste, d’une de ces tristesses qui tombent parfois sur les Ăąmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelĂ©e. Il reprit : « Qu’importe, d’ailleurs, un peu plus ou un peu moins de gĂ©nie, puisque tout doit finir ! » Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cƓur gai, ce soir-lĂ , dit, en souriant : « Vous avez du noir, aujourd’hui, cher maĂźtre. » Le poĂšte rĂ©pondit. « J’en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques annĂ©es. La vie est une cĂŽte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre Ăąge, on est joyeux. On espĂšre tant de choses, qui n’arrivent jamais d’ailleurs. Au mien, on n’attend plus rien... que la mort. » Duroy se mit Ă  rire : « Bigre, vous me donnez froid dans le dos. » Norbert de Varenne reprit : « Non, vous ne me comprenez pas aujourd’hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. » « Il arrive un jour, voyez- vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, oĂč c’est fini de rire, comme on dit, parce que derriĂšre tout ce qu’on regarde, c’est la mort qu’on aperçoit. » « Oh ! vous ne comprenez mĂȘme pas ce mot-lĂ , vous, la mort. À votre Ăąge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. » « Oui, on le comprend tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi ni Ă  propos de quoi, et alors tout change d’aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bĂȘte rongeuse. Je l’ai sentie peu Ă  peu, mois par mois, heure par heure, me dĂ©grader ainsi qu’une maison qui s’écroule. Elle m’a dĂ©figurĂ© si complĂštement que je ne me reconnais pas. Je n’ai plus rien de moi, de moi l’homme radieux, frais et fort que j’étais Ă  trente ans. Je l’ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et mĂ©chante ! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une Ăąme dĂ©sespĂ©rĂ©e qu’elle enlĂšvera bientĂŽt aussi. » « Oui, elle m’a Ă©miettĂ©, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon ĂȘtre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hĂąte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rĂȘver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir ! » » (de « Bel-Ami » par Guy de Maupassant)
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Guy de Maupassant
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Je me trouvais en quelque lieu vague et trouble... Je dis « lieu » par habitude, car maintenant toute conception de distance et de durĂ©e Ă©tait abolie pour moi, et je ne puis dĂ©terminer combien de temps je restai en cet Ă©tat. Je n’entendais rien, ne voyais rien, je pensais seulement et avec force et persistance. Le grand problĂšme qui m’avait tourmentĂ© toute ma vie Ă©tait rĂ©solu : la mort n’existe pas, la vie est infinie. J’en Ă©tais convaincu bien avant ; mais jadis je ne pouvais formuler clairement ma conviction : elle se basait sur cette seule considĂ©ration que, astreinte Ă  des limites, la vie n’est qu’une formidable absurditĂ©. L’homme pense ; il perçoit ce qui l’entoure, il souffre, jouit et disparaĂźt ; son corps se dĂ©compose et fournit ses Ă©lĂ©ments Ă  des corps en formation : cela, chacun le peut constater journellement, mais que devient cette force apte Ă  se connaĂźtre soi-mĂȘme et Ă  connaĂźtre le monde qui l’entoure ? Si la matiĂšre est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipĂąt sans traces, et, si elle disparaĂźt, d’oĂč venait-elle et quel est le but de cette apparition Ă©phĂ©mĂšre ? Il y avait lĂ  des contradictions que je ne pouvais admettre. Maintenant je sais, par ma propre expĂ©rience, que la conscience persiste, que je n’ai pas cessĂ© et probablement ne cesserai jamais de vivre. Voici que derechef m’obsĂšdent ces terribles questions : si je ne meurs pas, si je reviens toujours sur la terre, quel est le but de ces existences successives, Ă  quelles lois obĂ©issent-elles et quelle fin leur est assignĂ©e ? Il est probable que je pourrais discerner cette loi et la comprendre si je me rappelais mes existences passĂ©es, toutes, ou du moins quelques-unes ; mais pourquoi l’homme est-il justement privĂ© de ce souvenir ? pourquoi est-il condamnĂ© Ă  une ignorance Ă©ternelle, si bien que la conception de l’immortalitĂ© ne se prĂ©sente Ă  lui que comme une hypothĂšse, et si cette loi inconnue exige l’oubli et les tĂ©nĂšbres, pourquoi dans ces tĂ©nĂšbres, d’étranges lumiĂšres apparaissent-elles parfois, comme il m’est arrivĂ© quand je suis entrĂ© au chĂąteau de La Roche-Maudin ? De toute ma volontĂ©, je me cramponnais Ă  ce souvenir comme le noyĂ© Ă  une Ă©pave ; il me semblait que si je me rappelais clairement et exactement ma vie dans ce chĂąteau je comprendrais tout le reste. Maintenant qu’aucune sensation du dehors ne me distrayait, je m’abandonnais aux houles du souvenir, inerte et sans pensĂ©e pour ne pas gĂȘner leur mouvement, et tout Ă  coup, du fond de mon Ăąme comme des brumes d’un fleuve, commençaient Ă  s’élever de fugaces figures humaines ; des mots au sens effacĂ© rĂ©sonnaient, et dans tous ces souvenirs Ă©taient des lacunes... Les visages Ă©taient vaporeux, les paroles Ă©taient sans lien, tout Ă©tait dĂ©cousu......
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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J’ai essayĂ© plus d’une fois, comme tous mes amis, de m’enfermer dans un systĂšme pour y prĂȘcher Ă  mon aise. Mais un systĂšme est une espĂšce de damnation qui nous pousse Ă  une abjuration perpĂ©tuelle ; il en faut toujours inventer un autre, et cette fatigue est un cruel chĂątiment. Et toujours mon systĂšme Ă©tait beau, vaste, spacieux, commode, propre et lisse surtout ; du moins il me paraissait tel. Et toujours un produit spontanĂ©, inattendu, de la vitalitĂ© universelle venait donner un dĂ©menti Ă  ma science enfantine et vieillotte, fille dĂ©plorable de l’utopie. J’avais beau dĂ©placer ou Ă©tendre le criterium, il Ă©tait toujours en retard sur l’homme universel, et courait sans cesse aprĂšs le beau multiforme et versicolore, qui se meut dans les spirales infinies de la vie. CondamnĂ© sans cesse Ă  l’humiliation d’une conversion nouvelle, j’ai pris un grand parti. Pour Ă©chapper Ă  l’horreur de ces apostasies philosophiques, je me suis orgueilleusement rĂ©signĂ© Ă  la modestie : je me suis contentĂ© de sentir ; je suis revenu chercher un asile dans l’impeccable naĂŻvetĂ©. J’en demande humblement pardon aux esprits acadĂ©miques de tout genre qui habitent les diffĂ©rents ateliers de notre fabrique artistique. C’est lĂ  que ma conscience philosophique a trouvĂ© le repos ; et, au moins, je puis affirmer, autant qu’un homme peut rĂ©pondre de ses vertus, que mon esprit jouit maintenant d’une plus abondante impartialitĂ©.
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Charles Baudelaire (Curiosités Esthétiques: Salon 1845-1859 (French Edition))
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Mais les signes de ce qui m'attendait rĂ©ellement, je les ai tous nĂ©gligĂ©s. Je travaille mon diplĂŽme sur le surrĂ©alisme Ă  la bibliothĂšque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-ĂȘtre mes derniĂšres semaines de fille seule, libre d'aller oĂč je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans ĂȘtre dĂ©rangĂ©e. Je vais perdre dĂ©finitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublĂ©, Ă  deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drĂŽle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idĂ©es de fille unique, Ă©gocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal Ă©levĂ©e au fond. Un jour, il a du travail, il est fatiguĂ©, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se prĂ©cipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hĂ©sitation, comme si elles avaient dans la tĂȘte toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-ĂȘtre, pour quatre personnes ou plus aux goĂ»ts diffĂ©rents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmĂ©e par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarchĂ©. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il Ă©tait en train d'Ă©couter de la musique. Il a tout dĂ©ballĂ© avec un plaisir de gamin. Les poires Ă©taient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournĂ©s au restau universitaire, j'ai oubliĂ©. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai Ă©touffĂ©s. SublimĂ©s. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de libertĂ©, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du mĂ©nage, un peu. Et alors, tu renĂącles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles rĂ©ussissent Ă  tout "concilier", sourire aux lĂšvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libĂ©rĂ©e de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'Ă©quilibre. L'homme, l'Ă©paule solide, anti-mĂ©taphysique, dissipateur d'idĂ©es tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons mĂȘme disparaĂźtront, je ris forcĂ©ment, obscurĂ©ment j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est Ă©goĂŻste et qu'il ne s'intĂ©resse guĂšre Ă  ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient Ă  mon secours : "Tous les hommes sont Ă©goĂŻstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altĂ©ritĂ©", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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LE SYLLABUS Tout en mangeant d'un air effarĂ© vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bontĂ© qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aĂŻeul d'ĂȘtre tendre Et du ciel d'ĂȘtre bleu. N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fĂąchĂ©, je gronde, Non contre vous. HĂ©las, enfants, dans ce vil monde, Le prĂȘtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbĂ©ciles Qui passe en ce moment. Les prĂȘtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frĂšre, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumiĂšre; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumiĂšre; Et d'eux, c'est la noirceur. J'aime une petitesse et je dĂ©teste l'autre; Je hais leur bĂ©gaiement et j'adore le vĂŽtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, Ă©coutant ce que dit l'Ăąme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux Ă©toilĂ©s. Car vous Ă©tiez hier, ĂŽ doux parleurs Ă©tranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, Ă  moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y vais. Ce que vous dites sort du firmament austĂšre; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix oĂč rien n'insulte, oĂč rien ne blĂąme, OĂč rien ne mord, s'ajoute au vaste Ă©pithalame Des bois mystĂ©rieux. Ce doux balbutiement me plaĂźt, je le prĂ©fĂšre; Car j'y sens l'idĂ©al; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forĂȘts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'Ă©coute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte Ă  goutte Au fond des antres frais. Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la mĂȘme langue Ă  l'Ăąme inassouvie; En bas nous Ă©touffons; Mais rĂȘver, c'est planer dans les apothĂ©oses, C'est comprendre; et les nids disent les mĂȘmes choses Que les tombeaux profonds. Les prĂȘtres vont criant: AnathĂšme ! anathĂšme ! Mais la nature dit de toutes parts: Je t'aime ! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie Ă©clore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'Ăąme n'a d'amour. J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmĂ©es; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumĂ©es, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fĂȘte immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits enfants.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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À huit heures et demie du soir, deux tables Ă©taient dressĂ©es. La jolie madame des Grassins avait rĂ©ussi Ă  mettre son fils Ă  cĂŽtĂ© d’EugĂ©nie. Les acteurs de cette scĂšne pleine d’intĂ©rĂȘt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolĂ©s, chiffrĂ©s, et de jetons en verre bleu, semblaient Ă©couter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numĂ©ro sans faire une remarque ; mais tous pensaient aux millions de monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraĂźche de madame des Grassins, la tĂȘte martiale du banquier, celle d’Adolphe, le prĂ©sident, l’abbĂ©, le notaire, et se disait intĂ©rieurement : − Ils sont lĂ  pour mes Ă©cus. Ils viennent s’ennuyer ici pour ma fille. HĂ© ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-lĂ  me servent de harpons pour pĂȘcher ! Cette gaietĂ© de famille, dans ce vieux salon gris, mal Ă©clairĂ© par deux chandelles ; ces rires, accompagnĂ©s par le bruit du rouet de la grande Nanon, et qui n’étaient sincĂšres que sur les lĂšvres d’EugĂ©nie ou de sa mĂšre ; cette petitesse jointe Ă  de si grands intĂ©rĂȘts ; cette jeune fille qui, semblable Ă  ces oiseaux victimes du haut prix auquel on les met et qu’ils ignorent, se trouvait traquĂ©e, serrĂ©e par des preuves d’amitiĂ© dont elle Ă©tait la dupe ; tout contribuait Ă  rendre cette scĂšne tristement comique. N’est-ce pas d’ailleurs une scĂšne de tous les temps et de tous les lieux, mais ramenĂ©e Ă  sa plus simple expression ? La figure de Grandet exploitant le faux attachement des deux familles, en tirant d’énormes profits, dominait ce drame et l’éclairait. N’était-ce pas le seul dieu moderne auquel on ait foi, l’Argent dans toute sa puissance, exprimĂ© par une seule physionomie ? Les doux sentiments de la vie n’occupaient lĂ  qu’une place secondaire, ils animaient trois cƓurs purs, ceux de Nanon, d’EugĂ©nie et sa mĂšre. Encore, combien d’ignorance dans leur naĂŻvetĂ© ! EugĂ©nie et sa mĂšre ne savaient rien de la fortune de Grandet, elles n’estimaient les choses de la vie qu’à la lueur de leurs pĂąles idĂ©es, et ne prisaient ni ne mĂ©prisaient l’argent, accoutumĂ©es qu’elles Ă©taient Ă  s’en passer. Leurs sentiments, froissĂ©s Ă  leur insu mais vivaces, le secret de leur existence, en faisaient des exceptions curieuses dans cette rĂ©union de gens dont la vie Ă©tait purement matĂ©rielle. Affreuse condition de l’homme ! il n’y a pas un de ses bonheurs qui ne vienne d’une ignorance quelconque. Au moment oĂč madame Grandet gagnait un lot de seize sous, le plus considĂ©rable qui eĂ»t jamais Ă©tĂ© pontĂ© dans cette salle, et que la grande Nanon riait d’aise en voyant madame empochant cette riche somme, un coup de marteau retentit Ă  la porte de la maison, et y fit un si grand tapage que les femmes sautĂšrent sur leurs chaises.
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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J’ai fait ma visite au lieu natal avec toute la piĂ©tĂ© d’un pĂšlerin, et bien des sentiments inattendus m’ont saisi. Je fis arrĂȘter prĂšs du grand tilleul qui se trouve Ă  un quart de lieue de la ville du cĂŽtĂ© de S
 ; je quittai la voiture, et je l’envoyai en avant, afin de cheminer Ă  pied et de savourer Ă  mon grĂ© chaque souvenir, dans toute sa vie et sa nouveautĂ©. Je m’arrĂȘtai sous le tilleul, qui avait Ă©tĂ©, dans mon enfance, le but et le terme de mes promenades. Quelle diffĂ©rence ! Alors, dans une heureuse ignorance, je m’élançais avec ardeur vers ce monde inconnu, oĂč j’espĂ©rais pour mon cƓur tant de nourriture, tant de jouissances, qui devaient combler et satisfaire l’ardeur de mes dĂ©sirs. Maintenant, j’en reviens de ce vaste monde
. O mon ami, avec combien d’espĂ©rances déçues, avec combien de plans renversĂ©s !
 Les voilĂ  devant moi les montagnes qui mille fois avaient Ă©tĂ© l’objet de mes vƓux. Je pouvais rester des heures assis Ă  cette place, aspirant Ă  franchir ces hauteurs, Ă©garant ma pensĂ©e au sein des bois et des vallons, qui s’offraient Ă  mes yeux dans un gracieux crĂ©puscule, et, lorsqu’au moment fixĂ© il me fallait revenir, avec quel regret ne quittais-je pas cette place chĂ©rie !
 J’approchai de la ville : je saluai tous les anciens pavillons de jardin ; les nouveaux me dĂ©plurent, comme tous les changements qu’on avait faits. Je franchis la porte de la ville, et d’abord je me retrouvai tout Ă  fait. Mon ami, je ne veux pas m’arrĂȘter au dĂ©tail : autant il eut de charme pour moi, autant il serait monotone dans le rĂ©cit. J’avais rĂ©solu de me loger sur la place, tout Ă  cĂŽtĂ© de notre ancienne maison. Je remarquai, sur mon passage, que la chambre d’école, oĂč une bonne vieille femme avait parquĂ© notre enfance, s’était transformĂ©e en une boutique de dĂ©tail. Je me rappelai l’inquiĂ©tude, les chagrins, l’étourdissement, l’angoisse que j’avais endurĂ©s dans ce trou
. Je ne pouvais faire un pas qui ne m’offrĂźt quelque chose de remarquable. Un pĂšlerin ne trouve pas en terre sainte autant de places consacrĂ©es par de religieux souvenirs, et je doute que son ame soit aussi remplie de saintes Ă©motions
. Encore un exemple sur mille : je descendis le long de la riviĂšre, jusqu’à une certaine mĂ©tairie. C’était aussi mon chemin autrefois, et la petite place oĂč les enfants s’exerçaient Ă  qui ferait le plus souvent rebondir les pierres plates Ă  la surface de l’eau. Je me rappelai vivement comme je m’arrĂȘtais quelquefois Ă  suivre des yeux le cours de la riviĂšre ; avec quelles merveilleuses conjectures je l’accompagnais ; quelles Ă©tranges peintures je me faisais des contrĂ©es oĂč elle allait courir ; comme je trouvais bientĂŽt les bornes de mon imagination, et pourtant me sentais entraĂźnĂ© plus loin, toujours plus loin, et finissais par me perdre dans la contemplation d’un vague lointain
. Mon ami, aussi bornĂ©s, aussi heureux, Ă©taient les vĂ©nĂ©rables pĂšres du genre humain ; aussi enfantines, leurs impressions, leur poĂ©sie. Quand Ulysse parle de la mer immense et de la terre infinie, cela est vrai, humain, intime, saisissant et mystĂ©rieux. Que me sert maintenant de pouvoir rĂ©pĂ©ter, avec tous les Ă©coliers, qu’elle est ronde ? Il n’en faut Ă  l’homme que quelques mottes pour vivre heureux dessus, et moins encore pour dormir dessous

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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Mon monde, ma responsabilité.
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Abhijit Naskar (AƟkanjali: The Sufi Sermon)
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Je soulĂšve donc de mes Ă©paules le fardeau du temps et, par la mĂȘme occasion, celui des performances que l'on exige de moi. Ma vie n'est pas quelque chose que l'on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n'est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche Ă  atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n'accomplit pas de performance : ce qui est parfait Ɠuvre en Ă©tat de repos. Il est absurde de prĂ©tendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait- mais en conservant sa libertĂ©. Il est Ă©galement absurde de prĂ©tendre que l'homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il Ă©crit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L'important est qu'il fasse ce qu'il fait en toute libertĂ© et en pleine conscience de ce que, comme tout autre dĂ©tail de la crĂ©ation, il est une fin en soi. Il repose en lui-mĂȘme comme une pierre sur le sable.
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Stig Dagerman (Il nostro bisogno di consolazione)
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Race stupide et idiote ! Tu te repentiras de te conduire ainsi. C’est moi qui te le dis. Tu t’en repentiras, va ! tu t’en repentiras. Ma poĂ©sie ne consistera qu’à attaquer, par tous les moyens, l’homme, cette bĂȘte fauve, et le CrĂ©ateur, qui n’aurait pas dĂ» engendrer une pareille vermine. Les volumes s’entasserons sur les volumes, jusqu’à la fin de ma vie, et, cependant, l’on n’y verra que cette seule idĂ©e, toujours prĂ©sente Ă  ma conscience !
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Comte de Lautréamont
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Je n’en mourus pas. Mais quand ma voix se tut et de vis la terre refermĂ©e, je voulus la refaire surgir du nĂ©ant, rappeler Ă  la vie le hideux vieillard, permettre Ă  son existence de se poursuivre mĂȘme si son ĂȘtre ne pouvais pas vivre. Il mĂ©ritait de mourir, sauf que rien ne mĂ©rite la mort, et j’aurais pu devenir fou en cet instant, partagĂ© entre le besoin de ramener Ă  la vie l’homme et la maison, et la certitude que leur destruction Ă©tait nĂ©cessaire.
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Orson Scott Card (A Planet Called Treason)
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Pour moi, une nouvelle vie commençait, et, dorĂ©navant, ce serait ma vie, fruit de mes dĂ©cisions, de mes choix, de ma volontĂ©. Adieu les doutes, les hĂ©sitations, les peurs d'ĂȘtre jugĂ©, de ne pas ĂȘtre capable, de ne pas ĂȘtre aimĂ©. Je vivrai chaque instant en conscience, en accord avec moi-mĂȘme et avec mes valeurs. Je resterai altruiste, mais en gardant Ă  l'esprit que le premier cadeau Ă  faire aux autres est mon Ă©quilibre. J'accepterai les difficultĂ©s comme des Ă©preuves Ă  passer, des cadeaux que m'offre la vie pour apprendre ce que je dois apprendre afin d'Ă©voluer. Je ne serai plus victime des Ă©vĂ©nements, mais acteur d'un jeu dont les rĂšgles se dĂ©couvrent au fur et Ă  mesure, et dont la finalitĂ© gardera toujours une part de mystĂšre.
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Laurent Gounelle (L'homme qui voulait ĂȘtre heureux)
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Chant de la Nouvelle-France La Nouvelle-France est un art d'amour, pas une tache de haine et d'ignorance. La Nouvelle-France est une terre de promesses, pas une terre d'indifférence. La Nouvelle-France est une France meilleure, on n'a plus soif de sang. Nous travaillons ensemble sans division, pour faire partie intégrante du monde. Le Hijab, l'habit, le turban, tous égaux - Ce qui est inacceptable, c'est l'intolérance. Les mesures primitives sont inutiles, Le caractÚre triomphe en Nouvelle-France. La Nouvelle-France est un art d'aimer, hors de portée des singes haineux. La Nouvelle-France est célébration de la vie, pas une validation de préjugés ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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Hymne du Nouveau Canada Le Nouveau-Canada est un art d'amour, pas une tache de haine et d'ignorance. Le Nouveau Canada est une terre de promesses et non une terre d’indiffĂ©rence. Le Nouveau Canada est un Canada meilleur, Notre vrai Nord est l’amour. Nous travaillons ensemble sans division, pour faire partie intĂ©grante du monde. Le Hijab, l'habit, le turban, tous Ă©gaux - Ce qui est inacceptable, c'est l'intolĂ©rance. Le caractĂšre triomphe au Nouveau-Canada, Les traditions primitives sont insignifiantes. Le Nouveau-Canada est un art d'aimer, hors de portĂ©e des singes haineux. Le Nouveau-Canada est cĂ©lĂ©bration de la vie, pas une validation de prĂ©jugĂ©s ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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Un soir de juin, Ubac n'a pas voulu dormir dans la maison. Ca ne lui arrive jamais. Habituellement, il se love dans le hall d'entrĂ©e, merveille de vigie. Ce soir-lĂ , il n'en Ă©tait pas question. Il s'est Ă©tendu au bout de la terrasse, loin des murs, loin du chĂątaignier, loin de l'homme. Je l'ai appelĂ©, il m'a ignorĂ©, je pensai qu'il avait trop chaud Ă  l'intĂ©rieur. Cette nuit-lĂ , la terre a tremblĂ©, nous rĂ©veillant Mathilde et moi, je jetai un Ɠil dehors, Ubac dormait paisiblement. "2,6 sur l'Ă©chelle de Richter" titrait au matin Le DauphinĂ© LibĂ©rĂ©, c'est un petit score, mais de dedans, c'est assez. A Ă©tudier de prĂšs nos talents de maçons, ce chien avait sans doute Ă©mis quelques doutes quant Ă  la tenue du bĂąti. Trois ans plus tard aprĂšs des centaines de nuits Ă  nouveau dans l'entrĂ©e, Ubac rejoua la scĂšne, n'envisageant sa nuit qu'en compagnie des Ă©toiles. En plaisantant, Mathilde dit: "Compagnons, tenons-nous prĂȘts, la terre va trembler cette nuit !" Le lendemain, Le DauphinĂ© affichait un 3 plus flatteur, et quelques granges centenaires avaient abdiquĂ©. Il savait. Ce chien Ă  la vie douillette serait donc de la trempe des Ă©lĂ©phants de Yala flairant fuyant le tsunami ? Qui lui a dit ?
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CĂ©dric Sapin-Defour (Son odeur aprĂšs la pluie)
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Le Nouveau-Canada est un art d'aimer, hors de portée des singes haineux. Le Nouveau-Canada est célébration de la vie, pas une validation de préjugés ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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Mes racines sont ancrĂ©es dans l’humanitĂ© et non dans une culture ou une nation. Le Cosmos parcourt mes corpuscules, Ma vie est un appel Ă  l'expansion.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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La Nouvelle-France est un art d'aimer, hors de portée des singes haineux. La Nouvelle-France est célébration de la vie, pas une validation de préjugés ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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Mon peuple fantĂŽme (poĂšme d'Ilarie Voronca) Entre mer et terre. Entre pierres et ciel. Avec le pain jaune de la route. Avec le vin rouillĂ© de la forĂȘt VoilĂ  mon ouvrage accompli. Et les outils de travail Sont devenus des instruments de musique. C’est ainsi Qu’à travers la flamme de la mĂ©moire les objets se changent en paroles. Sur le promontoire, ici, dernier vestige de l’homme. Rencontre. Le vent jette dans l’écume ses Ă©pĂ©es d’eaux. Solitude coupĂ©e gĂ©omĂ©triquement par les oiseaux Qu’ici donc les visages de la vie se montrent. Le soleil tombĂ© dans mon Ɠil salĂ©. Face Aux algues chevelues et aux cortĂšges de poissons Mon visage fĂȘlĂ© par le vent comme le bord d’une tasse, Sur mes lĂšvres serrĂ©es : aube ou crĂ©puscule comme un son. Sans filets, sans armes De chasse. CollĂ© aux rochers. Vers le Sud Les aigles d’écumes. Seul avec mon travail accompli entre terre et larmes. Les cannes Ă  pĂȘche sont devenues des harpes. Les fusils des flĂ»tes. Mais le cƓur est la barque Ă©ternelle d’Ulysse Qui touche dans son rĂȘve tant d’üles, Dans les veines, de nouveaux archipels surgissent, Une parole, un rire, font naĂźtre une ville. LĂ  sur le promontoire j’attendais ces passages D’üles : oiseaux Ă©tranges jaillis d’entre les cordes Je te reconnaĂźtrai fantĂŽme entre ces bĂąches Des terres nomades. LĂ  prĂšs du Peuple Ă©tranger dont la patrie est morte Est ma place. LĂ  sur l’Ile fantĂŽme Je viendrai avec mes instruments de musique. Avec ma journĂ©e accomplie. Temps d’exil ? Non. Fuite Ă  travers les glaciers du sommeil ? Non. Le ver de la souffrance tordu dans la pomme de cette blessure. Mais jusqu’alors : sans armes, sans outils, sur cette Pierre : extrĂȘme limite du continent Entre rochers et flots qui rejettent Le lait blanc de l’écume jusqu’à ma faim, jusqu’au vent, Ici. Loin de l’homme implacable. Loin Des distributeurs de terre. Sans retour. Sans fuite. La voix oubliĂ©e en moi comme une lettre dans un livre J’attends mon peuple fantĂŽme, mon Ăźle-fantĂŽme.
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Ilarie Voronca
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La flĂ»te Je n'Ă©tais qu'une plante inutile, un roseau. Aussi je vĂ©gĂ©tais, si frĂȘle, qu'un oiseau En se posant sur moi pouvait briser ma vie. Maintenant je suis flĂ»te et l'on me porte envie. Car un vieux vagabond, voyant que je pleurais, Un matin en passant m'arracha du marais, De mon coeur, qu'il vida, fit un tuyau sonore, Le mit sĂ©cher un an, puis, le perçant encore, Il y fixa la gamme avec huit trous Ă©gaux ; Et depuis, quand sa lĂšvre aux souffles musicaux Éveille les chansons au creux de mon silence, Je tressaille, je vibre, et la note s'Ă©lance ; Le chapelet des sons va s'Ă©grenant dans l'air ; On dirait le babil d'une source au flot clair ; Et dans ce flot chantant qu'un vague Ă©cho rĂ©pĂšte Je sais noyer le cƓur de l'homme et de la bĂȘte.
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Jean Richepin (La Chanson Des Gueux (French Edition))
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VoilĂ  Ă  quoi je pensais, tandis que je marchais pour rentrer chez moi, lĂ©gĂšrement ivre, aprĂšs avoir quittĂ© L. devant le bar oĂč nous avions bu un troisiĂšme verre. Nous avions bien ri, elle et moi, au fond de la salle, car finalement la conversation avait dĂ©viĂ© sur nos passions adolescentes, avant Barthes et toute la clique, Ă  l’époque oĂč nous accrochions des posters dans notre chambre. J'avais racontĂ© Ă  L. les deux annĂ©es durant lesquelles, vers l'Ăąge de seize ans, j'avais contractĂ© puis developpĂ© une cristallisation spectaculaire sur la personne d'Ivan Lendl, un joueur de tennis tchĂ©coslovaque au physique ingrat dont je percevais la beautĂ© obscure et saisissante, au point que je m'Ă©tais abonnĂ©e Ă  Tennis Magazine (moi que je n'avais jamais touchĂ© une raquette de ma vie) et avais passĂ© des heures devant les retransmissions televisĂ©es du tournoi de Roland Garros et Wimbledon au lieu de rĂ©viser mon bac. L. Ă©tais sidĂ©rĂ©e. Elle aussi l'avait adorĂ©! C'Ă©tait bien la premiĂšre fois que je rencontrais quelqu'un qui avait aimĂ© Ivan Lendl, l'un des joueurs les plus detestĂ©s de l'histoire du tennis, sans doute Ă  cause de son visage austĂšre que rien ne pouvait dĂ©rider, et de son jeu de fond de court, mĂ©thodique et rĂ©barbatif. Selon toute vraisemblance, c'est d'ailleurs pour ces raisons, parce qu'il Ă©tait si grand, maigre et incompris, que je l'ai tant aimĂ©. À la mĂȘme Ă©poque, oui, exactement, L. avait suivi tous les matchs d'Ivan Lendl, elle s'en souvenait parfaitement, notamment de cette fameuse finale de Roland Garros jouĂ©e contre John McEnroe, que Lendl avait gagnĂ© Ă  l'issue d'un combat d'une rare intensitĂ© dramatique. Les images l'avaient alors montrĂ© victorieux, dĂ©figurĂ© pour l'Ă©puisement, et pour la premiĂšre fois le monde entier avait dĂ©couvert son sourire. L. Ă©tait incollable, se souvenait de tous les dĂ©tails de la vie et de la carriĂšre d'Ivan Lendl que j'avais pour ma part oubliĂ©s. C'Ă©tait incroyable, plus de vingt ans aprĂšs, de nous imaginer toutes les deux hypnotisĂ©es devant nos postes de tĂ©levision, elle en banlieue parisienne et mois dans un village de Normandie, souhaitant l'une et l'autre avec la mĂȘme ardeur le sacre de l'homme de l'Est. L. savait auusi ce qu’Ivan Lendl Ă©tait devenu, elle avait suivi tout cela de trĂšs prĂšs, sa carriĂšre comme sa vie privĂ©e. Ivan Lendl Ă©tait mariĂ© et pĂšre de quatre enfants, vivait aux Ètats-Unis, entraĂźnait de jeunes joueurs de tennis et s’était fait refaire les dents. L. dĂ©plorait ce dernier point, la disparition du sourire tchĂ©coslovaque (dents rangĂ©es de maniĂšre inĂ©gale dont on devinait le chevauchement) au profit d’un sourire amĂ©ricain (dents fausses parfaitement alignĂ©es, d’un blanc Ă©clatant), selon elle, il y avait perdu tout son charme, je n’avais qu’à vĂ©rifier sur Internet si je ne la croyais pas. C’était un drĂŽle de coĂŻncidence. Un point commun parmi d’autres, qui nous rapprochait.
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Delphine de Vigan (D'aprĂšs une histoire vraie)
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Un ami Ă  qui je racontais ma mĂ©saventure m’a dit en riant : « Ça t’apprendra Ă  admirer des fascistes. » C’était expĂ©ditif et, je crois, juste. Herzog, capable d’une vibrante compassion pour un aborigĂšne sourd-muet ou un vagabond schizophrĂšne, considĂ©rait un jeune cinĂ©phile Ă  lunettes comme une punaise mĂ©ritant d’ĂȘtre moralement Ă©crabouillĂ©e, et j’étais quant Ă  moi le client idĂ©al pour me faire traiter de la sorte. Il me semble qu’on touche lĂ  quelque chose qui est le nerf du fascisme. Si on le dĂ©nude, ce nerf, que trouve-t-on ? En Ă©tant radical, une vision du monde Ă©videmment scandaleuse : ĂŒbermenschen et untermenschen, Aryens et Juifs, d’accord, mais ce n’est pas de cela que je veux parler. Je ne veux parler ni de nĂ©onazis, ni d’extermination des prĂ©sumĂ©s infĂ©rieurs, ni mĂȘme de mĂ©pris affichĂ© avec la robuste franchise de Werner Herzog, mais de la façon dont chacun de nous s’accommode du fait Ă©vident que la vie est injuste et les hommes inĂ©gaux : plus ou moins beaux, plus ou moins douĂ©s, plus ou moins armĂ©s pour la lutte. Nietzsche, Limonov et cette instance en nous que j’appelle le fasciste disent d’une mĂȘme voix : « C’est la rĂ©alitĂ©, c’est le monde tel qu’il est. » Que dire d’autre ? Ce serait quoi, le contre-pied de cette Ă©vidence ? « On sait trĂšs bien ce que c’est, rĂ©pond le fasciste. Ça s’appelle le pieux mensonge, l’angĂ©lisme de gauche, le politiquement correct, et c’est plus rĂ©pandu que la luciditĂ©. » Moi, je dirais : le christianisme. L’idĂ©e que, dans le Royaume, qui n’est certainement pas l’au-delĂ  mais la rĂ©alitĂ© de la rĂ©alitĂ©, le plus petit est le plus grand. Ou bien l’idĂ©e, formulĂ©e dans un sutra bouddhiste que m’a fait connaĂźtre mon ami HervĂ© Clerc, selon laquelle « l’homme qui se juge supĂ©rieur, infĂ©rieur ou mĂȘme Ă©gal Ă  un autre homme ne comprend pas la rĂ©alitĂ© »
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Emmanuel CarrĂšre (Limonov)
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Je ne voulais pas que ma vie soit rĂ©glĂ©e d’avance ou dĂ©cidĂ©e par d’autres. Si, Ă  six heures du matin, j’avais envie de faire l’amour, je voulais prendre le temps de le faire sans regarder ma montre. Je voulais vivre ma vie sans heure, considĂ©rant que la premiĂšre contrainte de l’homme a vu le jour Ă  l’instant oĂč il s’est mis Ă  calculer le temps. Toutes les phrases usuelles de la vie courante me rĂ©sonnaient dans la tĂȘte : Pas le temps de
 ! Arriver Ă  temps
 ! Gagner du temps
 ! Perdre son temps
 ! Moi, je voulais avoir « le temps de vivre » et la seule façon d’y arriver Ă©tait de ne pas en ĂȘtre l’esclave. Je savais l’irrationalisme de ma thĂ©orie, qui Ă©tait inapplicable pour fonder une sociĂ©tĂ©. Mais qu’était-elle, cette sociĂ©tĂ© avec ses beaux principes et ses lois ?
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Jacques Mesrine
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Quelqu'un de la caravane s'Ă©tait mis en tĂȘte que Kanjiroba Ă©tait la rĂ©incarnation d'un moine pĂ©cheur condamnĂ© dans une autre vie Ă  errer sur les plateaux. Pour ma part, je ne considĂ©rais pas un animal comme une forme de vie infĂ©rieure Ă  l'homme, au contraire: qui d'autre aurait pu vivre en libertĂ© au milieu de ces montagnes, Ă  part un griffon, un mouton bleu, un lĂ©opard des neiges, un chien ?
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Paolo Cognetti
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Comment dois-je faire pour me supprimer, mieux, comment dois-je faire pour supprimer en moi les diffĂ©rentes formes de folie tout en demeurant lucide et compatissant, patient et crĂ©atif, et survivre? J’ai mes idĂ©es Ă  moi, mais qui est-ce qui les Ă©coute? MĂȘme pas les pierres, parce que ces idĂ©es que j’ai, elles ne passent pas Ă  ma bouche. C’est parce que je la ferme que je mange mon pain, que je suis encore en vie. Je ravale tout ce que je pense. Avec mes yeux de chien face Ă  la mer. Tremblant, le corps malade. CambrĂ©, les flancs maigres, je repĂšre un poisson parmi de s bouts de bois. L’épine dorsale, la queue. Je regarde la mer mais je n’en sais pas le nom. Je reste debout, tout tordu, et ce que je ressens, de mĂȘme je ne sais pas quel en est le nom. Je sens mon corps de chien. Je ne sais rien du monde ni de la mer en face de moi. Je me couche parce que mon corps de chien l’exige. J’ai dans la gorge un aboiement, un gentil hurlement. J’essai de l’expulser mais l’homme-chien sait que je suis mourant et que je ne serai jamais entendu.
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Hilda Hilst
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En quatre bonds j’eus dĂ©gringolĂ© les marches de l’escalier de pierre. J’avais besoin de me purifier les poumons au grand air de la nuit : je volai d’une course, Ă  travers les landiers, jusqu’aux roches de l’extrĂȘme Pointe, et lĂ , couchĂ© sur le dos parmi le romarin, les bras en croix sous ma tĂȘte, avec, au-dessus de moi, le ruissellement infini de la Voie lactĂ©e, j’achevai de me prĂ©ciser Ă  moi-mĂȘme, mĂ©thodiquement, mathĂ©matiquement en quelque sorte, tout le dĂ©tail du plan de vengeance conçu Ă  KĂ©rudavel et dont j’avais, dans ma conversation avec ma femme, posĂ© les premiers jalons. Jamais je ne m’étais senti la pensĂ©e aussi Ă©nergiquement lucide. Il semblait que la vie de mon cƓur broyĂ© se fĂ»t rĂ©fugiĂ©e dans mon cerveau et qu’elle en dĂ©cuplĂąt les puissances. J’étais presque confondu de voir avec quelle aisance, quelle soliditĂ©, tous les fils de ma combinaison se tramaient et se nouaient comme de soi. Il m’en vint une espĂšce d’exaltation hĂ©roĂŻque, l’orgueil de l’homme qui non seulement n’est plus le jouet des Ă©vĂ©nements, mais, au contraire, les tient Ă  sa merci. En me relevant, j’aperçus par-delĂ  les courants du Raz, tout pailletĂ©s d’un scintillement d’astres, l’Ɠil vert de GorlĂ©bella qui me regardait. — Salut Ă  toi, m’écriai-je dans un accĂšs d’enthousiasme farouche, salut Ă  toi, nocturne Ă©meraude des mers du ponant, gardienne incorruptible du feu, image vivante de Vesta ! Tu sais si je t’ai consciencieusement servie. Parmi les hommes attachĂ©s Ă  ton culte, il n’en est pas un qui t’ait donnĂ© des gages plus forts de constance et de fidĂ©litĂ©. Je ne crois pas que tu aies Ă  me reprocher une seule dĂ©faillance. Deux annĂ©es durant, et bien qu’en proie aux pires obsessions de l’amour, j’ai montĂ© autour de toi une faction sacrĂ©e. Tu m’es tĂ©moin que jamais le sommeil ne m’a surpris Ă  mon poste. Tout mon honneur, je le mettais Ă  ce que ta flamme brĂ»lĂąt haut et clair et qu’elle resplendĂźt au loin, dans l’espace, multipliĂ©e par le rayonnement des prismes, comme la veilleuse des eaux immenses, comme la lampe de l’infini
 Si j’ai bien mĂ©ritĂ© de toi, le moment est proche oĂč tu vas pouvoir m’en rĂ©compenser. Te l’ai-je assez murmurĂ©, le nom de cette AdĂšle Ă  qui tu m’arrachais huit mois sur douze ! Te l’ai-je assez murmurĂ©, dis-moi, le jour, en astiquant tes dĂ©licats rouages, la nuit, pieusement assis Ă  mon banc de quart, ainsi qu’un cĂ©nobite dans sa stalle de chĂȘne, devant le maĂźtre-autel ! Confidente de mes souvenirs passionnĂ©s et de mes larmes, tu as vu de quel cƓur je l’idolĂątrais. Tandis que j’entretenais ta pure lumiĂšre sur les eaux, c’était comme si j’eusse attisĂ© en moi-mĂȘme l’ardeur dĂ©vorante dont cette femme m’avait embrasĂ©. Elle, cependant
 Mais que t’importe ! Apprends seulement ceci : comme tu fus associĂ©e Ă  mon amour, tu vas l’ĂȘtre Ă  ma haine. L’Ɠuvre de justice et de chĂątiment, c’est Ă  toi que je la rĂ©serve. La TrĂ©gorroise au front romanesque a souvent exprimĂ© le vƓu de dormir, bercĂ©e par les grandes voix du Raz, Ă  l’abri de tes murs inĂ©branlables : elle y dormira !
 Elle y dormira, cĂŽte Ă  cĂŽte avec son complice, d’un sommeil plus profond que les abĂźmes qui t’environnent, et tu flamboieras au-dessus de leur couche, tel qu’un cierge d’hymen, le plus beau qui se puisse rĂȘver Ă  des noces humaines, fĂ»t-ce Ă  des noces d’éternité !
 L’Ɠil vert clignota, comme en signe d’acquiescement, puis se voila d’une paupiĂšre d’ombre, enfin s’éteignit. Je n’attendis pas que l’Ɠil rouge commençùt de poindre, et, agitant une derniĂšre fois mon bonnet de peau dans la direction du phare : — A bientĂŽt, vieille GorlĂ©bella !
 Mes compliments au Louarn, jusqu’à ce que je lui serve le festin promis ! p157-p158
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Anatole Le Braz (Le Gardien du feu)
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En quatre bonds j’eus dĂ©gringolĂ© les marches de l’escalier de pierre. J’avais besoin de me purifier les poumons au grand air de la nuit : je volai d’une course, Ă  travers les landiers, jusqu’aux roches de l’extrĂȘme Pointe, et lĂ , couchĂ© sur le dos parmi le romarin, les bras en croix sous ma tĂȘte, avec, au-dessus de moi, le ruissellement infini de la Voie lactĂ©e, j’achevai de me prĂ©ciser Ă  moi-mĂȘme, mĂ©thodiquement, mathĂ©matiquement en quelque sorte, tout le dĂ©tail du plan de vengeance conçu Ă  KĂ©rudavel et dont j’avais, dans ma conversation avec ma femme, posĂ© les premiers jalons. Jamais je ne m’étais senti la pensĂ©e aussi Ă©nergiquement lucide. Il semblait que la vie de mon cƓur broyĂ© se fĂ»t rĂ©fugiĂ©e dans mon cerveau et qu’elle en dĂ©cuplĂąt les puissances. J’étais presque confondu de voir avec quelle aisance, quelle soliditĂ©, tous les fils de ma combinaison se tramaient et se nouaient comme de soi. Il m’en vint une espĂšce d’exaltation hĂ©roĂŻque, l’orgueil de l’homme qui non seulement n’est plus le jouet des Ă©vĂ©nements, mais, au contraire, les tient Ă  sa merci. En me relevant, j’aperçus par-delĂ  les courants du Raz, tout pailletĂ©s d’un scintillement d’astres, l’Ɠil vert de GorlĂ©bella qui me regardait. — Salut Ă  toi, m’écriai-je dans un accĂšs d’enthousiasme farouche, salut Ă  toi, nocturne Ă©meraude des mers du ponant, gardienne incorruptible du feu, image vivante de Vesta ! Tu sais si je t’ai consciencieusement servie. Parmi les hommes attachĂ©s Ă  ton culte, il n’en est pas un qui t’ait donnĂ© des gages plus forts de constance et de fidĂ©litĂ©. Je ne crois pas que tu aies Ă  me reprocher une seule dĂ©faillance. Deux annĂ©es durant, et bien qu’en proie aux pires obsessions de l’amour, j’ai montĂ© autour de toi une faction sacrĂ©e. Tu m’es tĂ©moin que jamais le sommeil ne m’a surpris Ă  mon poste. Tout mon honneur, je le mettais Ă  ce que ta flamme brĂ»lĂąt haut et clair et qu’elle resplendĂźt au loin, dans l’espace, multipliĂ©e par le rayonnement des prismes, comme la veilleuse des eaux immenses, comme la lampe de l’infini
 Si j’ai bien mĂ©ritĂ© de toi, le moment est proche oĂč tu vas pouvoir m’en rĂ©compenser. Te l’ai-je assez murmurĂ©, le nom de cette AdĂšle Ă  qui tu m’arrachais huit mois sur douze ! Te l’ai-je assez murmurĂ©, dis-moi, le jour, en astiquant tes dĂ©licats rouages, la nuit, pieusement assis Ă  mon banc de quart, ainsi qu’un cĂ©nobite dans sa stalle de chĂȘne, devant le maĂźtre-autel ! Confidente de mes souvenirs passionnĂ©s et de mes larmes, tu as vu de quel cƓur je l’idolĂątrais. Tandis que j’entretenais ta pure lumiĂšre sur les eaux, c’était comme si j’eusse attisĂ© en moi-mĂȘme l’ardeur dĂ©vorante dont cette femme m’avait embrasĂ©. Elle, cependant
 Mais que t’importe ! Apprends seulement ceci : comme tu fus associĂ©e Ă  mon amour, tu vas l’ĂȘtre Ă  ma haine. L’Ɠuvre de justice et de chĂątiment, c’est Ă  toi que je la rĂ©serve. La TrĂ©gorroise au front romanesque a souvent exprimĂ© le vƓu de dormir, bercĂ©e par les grandes voix du Raz, Ă  l’abri de tes murs inĂ©branlables : elle y dormira !
 Elle y dormira, cĂŽte Ă  cĂŽte avec son complice, d’un sommeil plus profond que les abĂźmes qui t’environnent, et tu flamboieras au-dessus de leur couche, tel qu’un cierge d’hymen, le plus beau qui se puisse rĂȘver Ă  des noces humaines, fĂ»t-ce Ă  des noces d’éternité !
 L’Ɠil vert clignota, comme en signe d’acquiescement, puis se voila d’une paupiĂšre d’ombre, enfin s’éteignit. Je n’attendis pas que l’Ɠil rouge commençùt de poindre, et, agitant une derniĂšre fois mon bonnet de peau dans la direction du phare : — A bientĂŽt, vieille GorlĂ©bella !
 Mes compliments au Louarn, jusqu’à ce que je lui serve le festin promis ! p157p158
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Anatole Le Braz (Le Gardien du feu)