“
LE SYLLABUS Tout en mangeant d'un air effaré vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bonté qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aïeul d'être tendre Et du ciel d'être bleu. N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fâché, je gronde, Non contre vous. Hélas, enfants, dans ce vil monde, Le prêtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbéciles Qui passe en ce moment. Les prêtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frère, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumière; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumière; Et d'eux, c'est la noirceur. J'aime une petitesse et je déteste l'autre; Je hais leur bégaiement et j'adore le vôtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, écoutant ce que dit l'âme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux étoilés. Car vous étiez hier, ô doux parleurs étranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, à moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y vais. Ce que vous dites sort du firmament austère; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix où rien n'insulte, où rien ne blâme, Où rien ne mord, s'ajoute au vaste épithalame Des bois mystérieux. Ce doux balbutiement me plaît, je le préfère; Car j'y sens l'idéal; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forêts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'écoute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte à goutte Au fond des antres frais. Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la même langue à l'âme inassouvie; En bas nous étouffons; Mais rêver, c'est planer dans les apothéoses, C'est comprendre; et les nids disent les mêmes choses Que les tombeaux profonds. Les prêtres vont criant: Anathème ! anathème ! Mais la nature dit de toutes parts: Je t'aime ! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie éclore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'âme n'a d'amour. J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmées; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumées, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fête immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits enfants.
”
”