Homme De Ma Vie Quotes

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J'ai connu et je connais encore, dans ma vie, des bonheurs inouĂŻs. Depuis mon enfance, par exemple, j'ai toujours aimĂ© les concombres salĂ©s, pas les cornichons, mais les concombres, les vrais, les seuls et uniques, ceux qu'on appelle concombres Ă  la russe. J'en ai toujours trouvĂ© partout. Souvent, je m'en achĂšte une livre, je m'installe quelque part au soleil, au bord de la mer, ou n'importe oĂč, sur un trottoir ou sur un banc, je mords dans mon concombre et me voilĂ  complĂštement heureux. Je reste lĂ , au soleil, le cƓur apaisĂ©, en regardant les choses et les hommes d'un Ɠil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'ĂȘtre vĂ©cue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner Ă  ce qu'on aime avec un abandon total de soi.
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Telle est la vie des hommes. Quelques joies, trÚs vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants.
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Marcel Pagnol (Le chĂąteau de ma mĂšre (Souvenirs d'enfance, #2))
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J'ai lu le DeuxiĂšme Sexe. Simone expliquait que si les femmes faisaient pipi debout, leur conception de la vie changerait. Alors j'ai essayĂ©. Ça coulait lĂ©gĂšrement sur ma jambe gauche. C'Ă©tait un peu dĂ©goutant. Assise, c'Ă©tait bien plus simple. De pus, en tant qu'iranienne, avant d'uriner comme un homme, il fallait que j'apprenne Ă  devenir une femme libĂ©rĂ©e et Ă©mancipĂ©e.
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Marjane Satrapi (Persepolis, Volume 3)
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Je n'ai jamais cessé, tout au long de ma vie, de rechercher l'aide d'un homme. Je l'ai trouvée souvent et, plus souvent encore, elle m'a fait défaut.
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Elizabeth Hardwick (Sleepless Nights)
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Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaßtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant aprÚs moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitÎt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Étrange Pays dans mon pays lui-mĂȘme)
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J'Ă©tais bien. Je regardais les miens. Je pouvais sentir battre leur cƓur et respirer leur souffle. AuprĂšs d'eux je me sentais en paix. J'avais le sentiment qu'ils protĂ©geaient ma vie, tous les trois Ă  leur façon. Je voulais qu'ils sachent Ă  quel point je les aimais.
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Jean-Paul Dubois (Tous les hommes n'habitent pas le monde de la meme facon)
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Ma propre vie ne me préoccupait plus : je pouvais de nouveau penser au reste des hommes.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Elle se mordit la langue quand Thorn pressa sa bouche contre la sienne. Sur le moment, elle ne comprit plus rien. Elle sentit sa barbe lui piquer le menton, son odeur de dĂ©sinfectant lui monter Ă  la tĂȘte, mais la seule pensĂ©e qui la traversa, stupide et Ă©vidente, fut quenelle avait une botte plantĂ©e dans son tibia. Elle voulut se reculer; Thorn l’en empĂȘcha. Il referma ses mains de part et d’autre de son visage, les doigts dans ses cheveux, prenant appui sur sa nuque avec une urgence qui les dĂ©sĂ©quilibra tous les deux. La bibliothĂšque dĂ©versa une pluie de documents sur eux. Quand Thorn s’écarte finalement, le souffle court, ce fut pour clouer un regard de fer dans ses lunettes. - je vous prĂ©viens. Les mots que vous m’avez dits, je ne vous laisserai pas revenir dessus. Sa voix Ă©tait Ăąpre, mais sous l’autoritĂ© des paroles il y avait comme une fĂȘlure. OphĂ©lie pouvait percevoir le pouls prĂ©cipitĂ© des mains qu’il appuyait maladroitement sur ses joues. Elle devait reconnaĂźtre que son propre cƓur jouait Ă  la balançoire. Thorn Ă©tait sans doute l’homme le plus dĂ©concertant qu’elle avait jamais rencontrĂ©, mais il l’a faisait se sentir formidablement vivante. - je vous aime, rĂ©pĂ©ta-y-elle d’un ton inflexible. C’est ce que j’aurais du vous rĂ©pondre quand vous vouliez connaĂźtre la raison de ma prĂ©sence Ă  Babel c’est ce que j’en aurais du vous rĂ©pondre chaque fois que vous vouliez savoir ce que j’en avais vraiment Ă  vous dire. Bien sĂ»r que je dĂ©sire percer les mystĂšres de Dieu et reprendre le contrĂŽle de ma vie, mais... vous faites partie de ma vie, justement. Je vous ai traitĂ© d’égoĂŻste et Ă  aucun moment je ne me suis mise, moi, Ă  votre place. Je vous demande pardon. 
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Christelle Dabos (La MĂ©moire de Babel (La Passe-Miroir, #3))
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Méfie-toi, ma fille, tous les hommes de ce pays sont des monstres pour les femmes. Ils sont obsédés par les apparences, ils sont ligotés par les coutumes, ils sont rongés par Dieu, ils sont bouffés par leurs mÚres, ils sont taraudés par le fric, ils passent leur vie à offrir sur un plateau leur cul au bon Dieu, ils ouvrent leur braguette comme on arme une mitraillette, ils lùchent leur sexe sur les femmes, comme on lùche des pitbulls. Quels chiens !" (p.10)
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Darina Al-Joundi (The Day Nina Simone Stopped Singing)
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Tu veux que je te dise ? Je ne me suis jamais sentie aussi bien avec un homme de toute ma vie. Je ne savais meme pas que l'on pouvait Ă©prouver ce genre de sentiment pour quelqu'un ! Je ne savais pas que la passion Ă©tait compatible avec l'admiration, l'humour et la tendresse....
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La fille de papier - Guillaume Musso
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Mes amis, j'Ă©cris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fiertĂ© de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir Ă©tĂ© choisi et apprĂ©ciĂ© par vous, et que notre amitiĂ© fut sans doute la plus belle Ɠuvre de ma vie. C'est Ă©trange, l'amitiĂ©. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitiĂ©. L'amitiĂ©, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en dĂ©clarations, en poĂšmes, en lettres. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les dĂ©mangeaisons de peau. En mourant, c'est Ă  ce grand mystĂšre silencieux que je songe et je lui rends hommage. Mes amis, je vous ai vus mal rasĂ©s, crottĂ©s, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de pĂ©ter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessĂ© de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu Ă  une femme de m'imposer toutes ses misĂšres, je l'aurais quittĂ©e, insultĂ©e, rĂ©pudiĂ©e. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnĂ©rables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la sĂ©duction. Ils jouent un rĂŽle. Pire, ils cherchent chacun le beau rĂŽle. ThĂ©Ăątre. ComĂ©die. Mensonge. Il n'y a pas de sĂ©curitĂ© en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut ĂȘtre aimĂ© tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge rĂ©ussi et constamment renouvelĂ©. Une amitiĂ©, c'est une vĂ©ritĂ© qui s'impose. L'amitiĂ© est nue, l'amour fardĂ©. Mes amis, je vous aime donc tels que vous ĂȘtes.
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Éric-Emmanuel Schmitt (La Part de l'autre)
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Si j'avais dĂ©couvert la nation algĂ©rienne, je serais nationaliste, et je n'en rougirais pas comme d'un crime. Les hommes morts pour l'idĂ©al patriotique sont journellement honorĂ©s et respectĂ©s. Ma vie ne vaut pas plus que la leur. Et cependant, je ne mourrai pas pour la patrie algĂ©rienne, parce que cette patrie n'existe pas. Je ne l'ai pas dĂ©couverte. J'ai interrogĂ© l'histoire, j'ai interrogĂ© les vivants et les morts, j'ai visitĂ© les cimetiĂšres, personne ne m'en a parlĂ©...On ne bĂątit pas sur du vent. Nous avons Ă©cartĂ©, une fois pour toute, les nuĂ©es et les chimĂšres pour lier dĂ©finitivement notre avenir Ă  celui de l'Ɠuvre française dans ce pays. [23 fĂ©vrier 1936, journal L'Entente]
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Ferhat Abbas
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Pendant toute la durĂ©e de ma vie, j'ai constamment trouvĂ© ma place occupĂ©e, peut-ĂȘtre parce que je cherchais cette place oĂč je n'aurais pas dĂ» le faire.
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Ivan Turgenev (Journal d'un homme de trop (French Edition))
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— Il faut ĂȘtre juste, lui dis-je ; il y a des millions d'hommes qui sont assujetis au travail physique, — Bien, qu'ils le soient S C'est qu'ils ne savent pas faire autre chose ; n'importe qui, mĂȘme un imbĂ©cile fini et un malfaiteur, peut s'occuper de travail physique ; ce travail est le propre de l'esclave et du barbare, tandis que le feu sacrĂ© n'est donnĂ© qu'Ă  peu de personnes !
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Anton Chekhov
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Elle devait partir, suivre son propre chemin. Grandir. Mais auparavant, elle voulait lui parler. Lui dire. Ces phrases qu'elle avait si souvent Ă©touffĂ©es : « Tu m'as sauvĂ©e, Jilano AlhuĂŻn. Tu m'as tirĂ©e de la nuit, tu m'as offert un toit, une protection, une prĂ©sence. Tu m'as rĂ©conciliĂ©e avec la vie, avec les hommes, avec moi-mĂȘme et, lorsque j'ai Ă©tĂ© guĂ©rie, tu t'es ouvert pour que je puise en toi, pour que je comble mes vides, pour que j'avance. Toujours plus loin. Ce que je sais, ce que je suis, je te le dois. Non, c'est plus que cela. Je te dois tout, Jilano AlhuĂŻn. Tout. » Il lui barra les lĂšvres d'un doigt avant qu'elle ait prononcĂ© le moindre mot. — C'est moi qui te remercie, Ellana. Pour la lumiĂšre et le sens dont tu as parĂ© ma vie. Le reste n'a aucune importance.
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Pierre Bottero (Ellana, l'Envol (Le Pacte des MarchOmbres, #2))
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J’ai toujours pensĂ© que l’homme naĂźt avec des goĂ»ts absolus et avec tous les germes de son caractĂšre futur ; son but est prĂ©cisĂ©ment de rĂ©aliser son caractĂšre. Tout le mal vient de ce que les circonstances mettent parfois des obstacles Ă  cette rĂ©alisation. Je passais en revue toutes mes mauvaises actions, tous les actes qui autrefois troublaient ma conscience, et je pus constater que tous provenaient du dĂ©saccord entre mon caractĂšre et la vie que j’ai menĂ©e.
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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Toute ma vie, j'ai été habitué à ce que les autres se trompent sur mon compte. C'est le lot de tout homme public. Il lui faut une solide cuirasse; car s'il fallait donner des explications pour se justifier quand on se méprend sur vos intentions, la vie deviendrait insupportable. Je me suis fait une rÚgle de ne jamais intervenir pour rectifier ce genre d'erreur, à moins que ne l'exige la cause que je défends. Ce principe m'a épargné bien du temps et bien des tracas.
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Mahatma Gandhi (Non-Violent Resistance (Satyagraha))
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C'est drĂŽle, la vie, il y a parfois de toutes petites dĂ©cisions qui ont des consĂ©quences incroyables sur le cours de votre existence. Et, des annĂ©es plus tard, on se demande comment elle se serait dĂ©roulĂ©e si l'on n'avait pas pris, Ă  l'Ă©poque, cette toute petite dĂ©cision mais une autre ... Combien d'occasions de ce genre avais-je ainsi laissĂ© passer sans mĂȘme le savoir ? Combien de fois, dans les milliers de petits croisements de ma vie, avais-je optĂ© malencontreusement pour le chemin banal, alors que l'autre se serait avĂ©rĂ© merveilleux ?
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Laurent Gounelle (L'homme qui voulait ĂȘtre heureux)
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Et Ă  prĂ©sent, faites le calcul, dit le professeur Wagner. — En travaillant avec mes deux hĂ©misphĂšres cĂ©rĂ©braux, je double ma production. En travaillait vingt-quatre heures au lieu de huit, je triple mon temps de travail. Cela signifie que je travaille pour six, et, de plus, sans aucun dommage pour la santĂ©. Par consĂ©quent, pour trente ans de travail dans sa vie, un homme sera en mesure d’effectuer le travail de cent quatre-vingt annĂ©es. Pour le dire encore autrement, Ă  chaque demi-siĂšcle, l’humanitĂ© avancera autant sur la route du progrĂšs qu’en trois siĂšcles !!
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Alexandre BeliaĂŻev (L'homme qui ne dormait pas)
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Je me suis endormie pour la derniĂšre fois de ma vie. Et Ă  mon rĂ©veil, il y avait un homme avec un pistolet. Il a tuĂ© mes parents. Il a tuĂ© ma sƓur. Il a tentĂ© de me tuer. Et les RenĂ©gats ne sont pas venus
 AprĂšs, chaque fois que je voulais m’endormir, je revivais toute la scĂšne. Alors un beau jour, j’ai arrĂȘtĂ© d’essayer.
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Marissa Meyer (Renegades (Renegades, #1))
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DerriÚre mes lunettes fumées, je la contemple, étendue sur una chaise longue, un bras replié sous la nuque. Elle se farde à peine, ses cheveux sont ni trÚs fins, ni trÚs réguliers. Je ne la trouve ni gentille, ni délicieuse, ni charmante et elle n'es pas mon amie. Je voudrais simplement l'avoir avec moi le reste de ma vie.
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Fred Kassak (L'homme qui voulait tuer Georges)
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L'Amour qui n'est pas un mot Mon Dieu jusqu'au dernier moment Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme Comment se pourrait-il comment Comment se pourrait-il qu'on aime Ou comment nommer ce tourment Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habitĂ© par le chant Elsa mon amour ma jeunesse O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenĂȘtres Tu me rends la caresse d'ĂȘtre Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaĂźtre Notre histoire jusqu'Ă  la fin C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble Que la lumiĂšre sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme Ă  son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble M'habituer m'habituer Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme Peut-on s'habituer aux flammes Elles vous ont avant tuĂ© Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme S'ils s'habituaient aux nuĂ©es Pour la premiĂšre fois ta bouche Pour la premiĂšre fois ta voix D'une aile Ă  la cime des bois L'arbre frĂ©mit jusqu'Ă  la souche C'est toujours la premiĂšre fois Quand ta robe en passant me touche Prends ce fruit lourd et palpitant Jettes-en la moitiĂ© vĂ©reuse Tu peux mordre la part heureuse Trente ans perdus et puis trente ans Au moins que ta morsure creuse C'est ma vie et je te la tends Ma vie en vĂ©ritĂ© commence Le jour que je t'ai rencontrĂ©e Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce Ă  ma dĂ©mence Et qui m'as montrĂ© la contrĂ©e Que la bontĂ© seule ensemence Tu vins au coeur du dĂ©sarroi Pour chasser les mauvaises fiĂšvres Et j'ai flambĂ© comme un geniĂšvre A la NoĂ«l entre tes doigts Je suis nĂ© vraiment de ta lĂšvre Ma vie est Ă  partir de toi
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Louis Aragon
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Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sĂ©vĂšres. Le paysage se rĂ©vĂšle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La prĂ©sence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquĂȘte qui rend jouissance des choses. Il fait -33°. Le camion s'est fondu Ă  la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Être seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grĂ©sil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'Ă©carte les bras, tends mon visage au vide glacĂ© et rentre au chaud. J'ai atteint le dĂ©barcadĂšre de ma vie. Je vais enfin savoir si j'ai une vie intĂ©rieure.
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Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
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Qu’un poĂšte Ă©lĂšve la voix, qu’un musicien saisisse son violon, qu’un peintre ou qu’un sculpteur surprenne et fixe les raisons de la vie, qu’un vĂ©ritable crĂ©ateur surgisse en quelque endroit du globe, et je dis que ma patrie est lĂ  mĂȘme oĂč cet homme respire, je dis que ma patrie est en tout lieu que je peux connaĂźtre et chĂ©rir Ă  travers l’ñme d’un poĂšte.
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Georges Duhamel (La missione del poeta)
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Quand je considĂšre ma vie, je suis Ă©pouvantĂ© de la trouver informe. L'existence des hĂ©ros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flĂšche. Et la plupart des hommes aiment Ă  rĂ©sumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une rĂ©crimination ; leur mĂ©moire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes... Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ  composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ça et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă  s'exprimer et Ă  se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă  moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă  peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Je me mis dĂšs lors Ă  lire avec aviditĂ© et bientĂŽt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations rĂ©centes, tous les Ă©lans encore vagues de mon adolescence qui s’élevaient dans mon Ăąme d’une façon si troublante et qui Ă©taient provoquĂ©s par mon dĂ©veloppement si prĂ©coce, tout cela, soudainement, se prĂ©cipita dans une direction, parut se satisfaire complĂštement de ce nouvel aliment et trouver lĂ  son cours rĂ©gulier. BientĂŽt mon cƓur et ma tĂȘte se trouvĂšrent si charmĂ©s, bientĂŽt ma fantaisie se dĂ©veloppa si largement, que j’avais l’air d’oublier tout ce qui m’avait entourĂ©e jusqu’alors. Il semblait que le sort lui mĂȘme m’arrĂȘtĂąt sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, Ă  laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de m’abandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur d’oĂč je pouvais contempler l’avenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinĂ©e Ă  vivre tout cet avenir en l’apprenant d’abord par les livres ; de vivre dans les rĂȘves, les espoirs, la douce Ă©motion de mon esprit juvĂ©nile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que j’avais appris et vĂ©cu jusqu’à ce jour Ă©tait si noble, si austĂšre, qu’une page impure ou mauvaise n’eĂ»t pu dĂ©sormais me sĂ©duire. Mon instinct d’enfant, ma prĂ©cocitĂ©, tout mon passĂ© veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience m’éclairait toute ma vie passĂ©e. En effet, presque chacune des pages que je lisais m’était dĂ©jĂ  connue, semblait dĂ©jĂ  vĂ©cue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ©es. Et comment pouvais-je ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ©e jusqu’à l’oubli du prĂ©sent, jusqu’à l’oubli de la rĂ©alitĂ©, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois d’une mĂȘme destinĂ©e, le mĂȘme esprit d’aventure qui rĂšgnent sur la vie de l’homme, mais qui dĂ©coulent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! C’est cette loi que je soupçonnais, que je tĂąchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait l’air de me prĂ©venir, comme s’il y avait en mon Ăąme quelque chose de prophĂ©tique, et chaque jour l’espoir grandissait, tandis qu’en mĂȘme temps croissait de plus en plus mon dĂ©sir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, ma fantaisie l’emportait sur mon impatience, et, en vĂ©ritĂ©, je n’étais trĂšs hardie qu’en rĂȘve ; dans la rĂ©alitĂ©, je demeurais instinctivement timide devant l’avenir.
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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J'ai regardĂ© Ă  ma montre, et j'ai calculĂ© combien de temps il me restait Ă  vivre ; j'ai vu que j'avais encore une heure Ă  peine. Il me reste assez de papier sur ma table pour retracer Ă  la hĂȘte tous les souvenirs de ma vie et toutes les circonstances qui ont influĂ© sur cet enchaĂźnement stupide et logique de jours et de nuits , de larmes et de rires, qu'on a coutume d'appeler l'existence d'un homme.
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Gustave Flaubert (La derniÚre heure : Conte philosophique inachevé)
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Elle se mordit la langue quand Thorn pressa sa bouche contre la sienne. Sur le moment, elle ne comprit plus rien. Elle sentit sa barbe lui piquer le menton, son odeur de dĂ©sinfectant lui monter Ă  la tĂȘte, mais la seule pensĂ©e qui la traversa, stupide et Ă©vidente, fut quenelle avait une botte plantĂ©e dans son tibia. Elle voulut se reculer; Thorn l’en empĂȘcha. Il referma ses mains de part et d’autre de son visage, les doigts dans ses cheveux, prenant appui sur sa nuque avec une urgence qui les dĂ©sĂ©quilibra tous les deux. La bibliothĂšque dĂ©versa une pluie de documents sur eux. Quand Thorn s’écarte finalement, le souffle court, ce fut pour clouer un regard de fer dans ses lunettes. - je vous prĂ©viens. Les mots que vous m’avez dits, je ne vous laisserai pas revenir dessus. Sa voix Ă©tait Ăąpre, mais sous l’autoritĂ© des paroles il y avait comme une fĂȘlure. OphĂ©lie pouvait percevoir le pouls prĂ©cipitĂ© des mains qu’il appuyait maladroitement sur ses joues. Elle devait reconnaĂźtre que son propre cƓur jouait Ă  la balançoire. Thorn Ă©tait sans doute l’homme le plus dĂ©concertant qu’elle avait jamais rencontrĂ©, mais il l’a faisait se sentir formidablement vivante. - je vous aime, rĂ©pĂ©ta-y-elle d’un ton inflexible. C’est ce que j’aurais du vous rĂ©pondre quand vous vouliez connaĂźtre la raison de ma prĂ©sence Ă  Babel c’est ce que j’en aurais du vous rĂ©pondre chaque fois que vous vouliez savoir ce que j’en avais vraiment Ă  vous dire. Bien sĂ»r que je dĂ©sire percer les mystĂšres de Dieu et reprendre le contrĂŽle de ma vie, mais... vous faites partie de ma vie, justement. Je vous ai traitĂ© d’égoĂŻste et Ă  aucun moment je ne me suis mise, moi, Ă  votre place. Je vous demande pardon. 
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Dabos Christelle
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Ma vie est un rouage montĂ© qui tourne rĂ©guliĂšrement. Ce que je fais aujourd’hui, je le ferai demain, je l’ai fait hier. J’ai Ă©tĂ© le mĂȘme homme il y a dix ans. Il s’est trouvĂ© que mon organisation est un systĂšme ; le tout sans parti pris de soi-mĂȘme, par la pente des choses qui fait que l’ours blanc habite les glaces et que le chameau marche sur le sable. Je suis un homme-plume. Je sens par elle, Ă  cause d’elle, par rapport Ă  elle et beaucoup plus avec elle.
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Gustave Flaubert (GUSTAVE FLAUBERT: Correspondance - Tome 2 -1851-1858 (French Edition))
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Lorsque j'avais perdu ma mĂšre, il m'avait fallu l'aide d'un gĂ©ant de 4 mĂštres 50 pour commencer a aller mieux. Je suis un sous-douĂ© du deuil. La peau a l'intĂ©rieur de mon cerveau est constellĂ©e de bleus qui ne s'effacent jamais. Je suis un homme-grenier. Je garde tout. Si on plantait une camĂ©ra au cƓur de ma mĂ©moire, on pourrait reconstituer ma vie, comme dans un studio de cinĂ©ma. De la joie sauvage a la colĂšre noire en passant par la frĂ©quence d'un battement de cils, tout est intact.
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Mathias Malzieu (Le plus petit baiser jamais recensé)
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Il Ă©tait le porteur de la mĂ©moire de mon premier monde. Agiter le sucre dans sa tasse de cafĂ© pour qu’il fonde plus vite, couper ses spaghettis, dĂ©tailler une pomme en petits morceaux piquĂ©s ensuite au bout du couteau, autant de gestes oubliĂ©s que je retrouvais en lui, de façon troublante. J’avais de nouveau dix, quinze ans, et j’étais Ă  table avec ma famille, mes cousins, dont il avait la peau blanche, les pommettes rouges des Normands. Il Ă©tait le passĂ© incorporĂ©. Avec lui je parcourais tous les Ăąges de la vie, ma vie.
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Annie Ernaux (Le jeune homme)
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J'ai su, moi, depuis le jour oĂč le destin mĂĄ envoyĂ© un Barba Yani, vendeur de salep et Ăąme divine, j'ai su qu'il doit se considĂ©rer comme heureux, l'homme qui a eu la chance de rencontrer dans sa vie un Barba Yani. Je n'en ai jamais rencontrĂ© qu'un seul, lui. Mais il m'a suffi pour supporter la vie, et, souvent, la bĂ©nir, chanter ses louanges. Car la bontĂ© d'un seul homme est plus puissante que la mĂ©chancetĂ© de mille; le mal meurt en mĂȘme temps que celui qui l'a exercĂ©; le bien continue Ă  rayonner aprĂšs la disparition du juste.
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Panait Istrati
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Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe Ă  ma vie, c’est comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus qu’elle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je nĂ© dans une Ă©poque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes d’un grand jeu de hasard ? Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimĂ© ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos riviĂšres, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimĂ© ĂȘtre tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretuĂ©s. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dĂ©vorĂ© d’autres, les ont Ă©ventrĂ©s, violĂ©s, souillĂ©s. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphĂ© de ce qui est sale. Pourquoi ai-je dĂ», comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes Ă©paules et qui ne me concernait pas? Qui a donc dĂ©cidĂ© de venir fouiller mon obscure existence, de dĂ©terrer ma maigre tranquillitĂ©, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, s’Il existe, s’Il existe vraiment, qu’Il se cache. Qu’Il pose Ses deux mains sur Sa tĂȘte, et qu’Il la courbe. Peut-ĂȘtre, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d’hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd’hui je sais aussi qu’Il n'est pas digne de la plupart d’entre nous, et que si la crĂ©ature a pu engendrer l’horreur c’est uniquement parce que son CrĂ©ateur lui en a soufflĂ© la recette.
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Philippe Claudel (Brodeck)
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Je m'étonne encore une fois de la nudité de la vie des hommes : les douches toutes ouvertes, les corps exposées à l'inspection et à la comparaison, l'affichage public des parties privées. dans quel but ? A quel souci de se rassurer cela correspond-il ? Exhiber sa carte, regardez, tous, tous est en ordre, je suis à ma place. Pourquoi les femmes n'ont-elles pas à se prouver entre elles qu'elles sont bien des femmes ? Une maniÚre de déboutonnage, de simple vérification de la fente de l'entre-cuisse, tout aussi désinvolte. Un reniflage de chien.
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Margaret Atwood (The Handmaid's Tale: The Graphic Novel)
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L'Horloge Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi! Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi Se planteront bientĂŽt comme dans une cible; Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dĂ©vore un morceau du dĂ©lice A chaque homme accordĂ© pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois, Et j'ai pompĂ© ta vie avec ma trompe immonde! Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor! (Mon gosier de mĂ©tal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folĂątre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lĂącher sans en extraire l'or! Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, Ă  tout coup! c'est la loi. Le jour dĂ©croĂźt; la nuit augmente; souviens-toi! Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide. TantĂŽt sonnera l'heure oĂč le divin Hasard, OĂč l'auguste Vertu, ton Ă©pouse encor vierge, OĂč le repentir mĂȘme (oh! la derniĂšre auberge!), OĂč tout te dira: Meurs, vieux lĂąche! il est trop tard!
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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Jesentais que j’agissais ridiculement et que par ma folie j’offensais Ă  jamais, mortellement, un homme plein de bontĂ© pour moi ; je me rendais compte que je brisais ma vie, mais que m’importait l’amitiĂ©, que m’importait l’existence, au prix de l’impatience que j’avais de sentir encore une fois tes lĂšvres et d’entendre monter vers moi tes paroles de tendresse? C’est ainsi que je t’ai aimĂ©; je peux le dire, Ă  prĂ©sent que tout est passĂ©, que tout est fini. Et je crois que si tu m’appelais sur mon lit de mort, je trouverais encore la force de me lever et d’aller te rejoindre.
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Stefan Zweig (Letter from an Unknown Woman and Other Stories)
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Je connais trop le monde, ma chÚre, pour vouloir me mettre à la discrétion d'un homme trop supérieur. Sachez qu'il faut se laisser faire la cour par eux, mais les épouser! c'est une faute. Nous autres femmes, nous devons admirer les hommes de génie, en jouir comme d'un spectacle, mais vivre avec eux! jamais. Fi donc! c'est vouloir prendre plaisir à regarder les machines de l'Opéra, au lieu de rester dans une loge, à y savourer ses brilliant illusions. Mais chez vous, ma pauvre enfant, le mal est arrivé, n'est-ce-pas? Eh bien! il faut essayer de vous armer contre la tyrannie.
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Honoré de Balzac (La Maison du Chat-qui-pelote : et autres scÚnes de la vie privée)
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Qui pourrait Ă©crire le dialogue des saints? Un Shakespeare frappĂ© d'innocence ou un Dostoievski exilĂ© dans quelque SibĂ©rie cĂ©leste. Toute ma vie je roderai dans les parages des saints...Il fut un temps oĂč l'on pouvait s'adresser n'importe quand Ă  un Dieu accueillant qui entrerrait vos soupirs dans son nĂ©ant. Inconsoles, nous le sommes aujourd'hui faute d'avoir Ă  qui confesser nos tourments. Comment douter que ce monde ait Ă©tĂ© autrefois en Dieu? L'Histoire se partage entre un autrefois oĂč les hommes se sentaient attirĂ©s par le nĂ©ant vibrant de la DivinitĂ© et un aujourd'hui oĂč le rien du monde est privĂ© de souffle divin.
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Emil M. Cioran (Tears and Saints)
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Cette sociĂ©tĂ©, que j'ai remarquĂ©e la premiĂšre dans ma vie, est aussi la premiĂšre qui ait disparu Ă  mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bĂ©nĂ©diction, le rendre peu Ă  peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mĂšre forcĂ©e de renoncer Ă  son quadrille, faute des partners accoutumĂ©s; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour oĂč mon aĂŻeule tomba la derniĂšre. Elle et sa sƓur s'Ă©taient promis de s'entre-appeler aussitĂŽt que l'une aurait devancĂ© l'autre; elles se tinrent parole, et madame de BedĂ©e ne survĂ©cut que peu de mois Ă  mademoiselle de Boisteilleul. Je suis peut-ĂȘtre le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existĂ©. Vingt fois, depuis cette Ă©poque, j'ai fait la mĂȘme observation; vingt fois des sociĂ©tĂ©s se sont formĂ©es et dissoutes autour de moi. Cette impossibilitĂ© de durĂ©e et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'Ă©tend de lĂ  sur notre maison, me ramĂšnent sans cesse Ă  la nĂ©cessitĂ© de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fiĂšvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chĂšre! car comment abandonner sans dĂ©sespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir Ă©ternellement sur son cƓur?
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François-René de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)
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Tu veux rester propre. Tu crois que tu es arrivĂ© couvert de savon et tu crois que tu repartiras couvert de savon, et entre-temps tu ne veux pas risquer de puer, mĂȘme cinq minutes." Il me saisit par le col de ma chemise, Ă  la fois violent et tendre, souple et du comme l'acier ; la salive sortait de ses lĂšvres, ses yeux Ă©taient baignĂ©s de larmes, mais les os de son visage saillaient et les muscles de ses bras, de son cou, Ă©taient agitĂ©s d'un tremblement. "Tu veux quitter Giovanni parce qu'avec lui tu pues. Tu veux mĂ©priser Giovanni parce qu'il n'a pas peur de la puanteur de l'amour. Tu veux le tuer au nom de toute ta sale petit morale hypocrite. C'est toi...toi qui est immoral. Tu es de loin l'homme le plus immoral que j'aie jamais rencontrĂ© de ma vie.
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James Baldwin (Giovanni’s Room)
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Wafa a peur, parfois, de vieillir dans un de ce parcs. De sentir ce genoux craquer sur ce vieux bancs gelĂ©s, de n'avoir mĂȘme plus la force de soulever un enfant. Alphonse va grandir. Il ne remettra plus les pieds dans un square, un aprĂšs-midi d'hiver. Il ira au soleil. Il prendra des vacances. Peut-ĂȘtre mĂȘme qu'un jouril dormira dans une des chambres du Grand HĂŽtel, oĂč elle massait les hommes. Lui, qu'elle a Ă©levĂ©, il se fera servir par une de ses soeurs ou un de ses cousins, sur la terrasse pavĂ©e de carreaux jaunes et bleus. "Tu vois, tout se retourne et tout s'inverse. Son enfance et ma vieillesse. Ma jeunesse et sa vie d'homme. Le destin est vicieux comme un reptile, il s'arrange toujours pour nous pousser du mauvais cĂŽtĂ© de la rampe." La pluie tombe. Il faut rentrer.
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LeĂŻla Slimani (The Perfect Nanny)
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Dans ce silence de la mort, toute ma vie se dĂ©roula comme une chose inĂ©vitable, terrible par sa sĂ©vĂšre logique. Je ne voyais pas de faits distincts, mais une ligne droite qui allait du jour de ma naissance au soir d’aujourd’hui. Elle ne pouvait aller plus loin : c’était clair. Mais j’ai dĂ©jĂ  dit que, deux mois avant, j’avais senti l’approche de la mort, et tous les hommes la sentent de mĂȘme. Le pressentiment a son rĂŽle dans la vie de chacun de nous, et il ne déçoit pas. Le poĂšte parle avec une admirable justesse quand il dit : « Les Ă©vĂ©nements futurs jettent une ombre devant eux. » Si les hommes se plaignent quelquefois d’avoir Ă©tĂ© trompĂ©s par le pressentiment, c’est parce que leurs sensations leur restent obscures : toujours ils dĂ©sirent ou apprĂ©hendent, et ils prennent leur peur ou leur espoir pour le pressentiment.
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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Quand je vis avec mes semblables, ma pensĂ©e s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider Ă  vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nĂ©cessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon Ă  rien, j'Ă©prouve le besoin de vivre avec ce moi intĂ©rieur qui s'identifie Ă  la nature et au rĂȘve de la vie dans l'Ă©ternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent dĂ©lirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mĂȘmes sont tourmentĂ©s d'un besoin d'existence qui nous empĂȘche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. DĂšs qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire Ă  tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit cĂ©der Ă  cette sauvage logique de la faim et de l'amour. OĂč donc trouver, oĂč donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? HĂ©las, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassĂ©rĂ©nement inexplicable. LĂ , nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une rĂ©gion d'idĂ©es oĂč il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mĂȘmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'ĂȘtre.
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George Sand (Le dernier amour)
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Bien que Terron fĂ»t un homme qu'apparemment je ne pouvais appeler autrement qu'un fanatique religieux ; bien qu'il menĂąt sa vie d'une maniĂšre qui m'Ă©tait encore plus Ă©trangĂšre que celle de M. Mann ; et bien que souvent je fusse arrivĂ© Ă  conclure, presque contre ma volontĂ©, qu'il n'Ă©tait qu'un arnaqueur rusĂ© de campagne en train d'exploiter mon curieux mĂ©lange de culpabilitĂ© (le raciste amĂ©ricain en moi) et d'amour pour l'Ă©sotĂ©rique (l'intellectuel branchĂ© en moi), il semblait malgrĂ© tout capable de me prĂ©voir, de connaĂźtre bien plus prĂ©cisĂ©ment que le vieil homme mes besoins, mes questions et mes inquiĂ©tudes. De fait, c'Ă©tait cette capacitĂ© d'anticiper sur moi et le bien-ĂȘtre qu'elle me procurait qui me ramenaient sans cesse Ă  croire qu'il Ă©tait en train de me rouler. En tant que vieux puritain, je me devais de me mĂ©fier de tout ce qui m'apportait du bien-ĂȘtre. (p. 201)
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Russell Banks (Book of Jamaica)
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L'objet de leur discussion aperçut alors son reflet, comme elles auraient pu elles aussi le voir, dans un miroir Ă  cadre dorĂ© sur le mur opposĂ© : une silhouette Ă©trange, contorsionnĂ©e, une jambe enroulĂ©e sur l'autre, la main droite serrĂ©e dans la gauche, et une tĂȘte hirsute inclinĂ©e sur le cĂŽtĂ©. L'angle de vue effaçait le reste de la piĂšce et il donnait l'impression d'ĂȘtre seul au centre d'une immensitĂ© blanche. Un paysage de neige givrĂ© sur lequel tombaient les rayons du soleil. L'Ă©tĂ© arctique : rien ne bouge, rien ne vit et le ciel est dĂ©gagĂ©. Ce n'est pas moi, pensa-t-il. Et pourtant, si. Tout Ă©tait faux Ă  propos de cet homme. Jamais son reflet ne montrerait la vĂ©ritĂ© qu'il avait en vie de crier tout haut. (
) Alors qu'il avait cru pouvoir crier, une toute petite voix s'Ă©chappa de lui. ‘J'ai aimĂ©, leur dit-il. Ce qui signifie que j'ai vĂ©cu. A ma maniĂšre.’ Il n'y avait rien Ă  ajouter.
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Damon Galgut (Arctic Summer)
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Je sais que tout ce que tu dis, ĂŽ mon Ăąme, est aussi ma pensĂ©e. Mais j'en tiens Ă  peine compte dans ma vie. L'Ăąme dit : "Comment alors, dis-moi, crois-tu que tes pensĂ©e puissent t'aider ?" Je voudrais toujours exciper du fait que je suis un homme, juste un homme qui est faible et ne fait pas toujours de son mieux. Mais l'Ăąme dit : "Est-ce lĂ  ce que tu penses du fait d'ĂȘtre homme ?" Tu s dure, mon Ăąme, mais tu as raison. Comme nous nous montrons peu habiles quand il s'agit de vivre ! Nous devrions pousser comme un arbre qui ne connaĂźt pas non plus sa loi. Mais nous nous ligotons avec des intentions, sans tenir compte du fait que toute intention restreint, voir mĂȘme exclut la vie. Nous croyons pouvoir, grĂące Ă  une intention, Ă©clairer une obscuritĂ© et, ce faisant, nous passons Ă  cĂŽtĂ© de la lumiĂšre. Comment pouvons-nous avoir l'outrecuidance de vouloir savoir d'avance d'ou nous viendra la lumiĂšre ? (p. 170)
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C.G. Jung (The Red Book: Liber Novus)
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« Écoute, Egor PĂ©trovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton dĂ©sespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accĂšs de tristesse, tu dis que tu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as racontĂ© ta vie d’autrefois. À cette Ă©poque aussi le dĂ©sespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette Ă©poque aussi, ton premier maĂźtre, cet homme Ă©trange, dont tu m’as tant parlĂ©, a Ă©veillĂ© en toi, pour la premiĂšre fois, l’amour de l’art et a devinĂ© ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriĂ©taire, et tu ne savais toi-mĂȘme ce que tu dĂ©sirais. Ton maĂźtre est mort trop tĂŽt. Il t’a laissĂ© seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliquĂ© toimĂȘme. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinĂ©s, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haĂŻ tout ce qui t’entourait alors. Tes six annĂ©es de misĂšre ne sont pas perdues. Tu as travaillĂ©, pensĂ©, tu as reconnu et toi-mĂȘme et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus enviĂ© que le mien t’est rĂ©servĂ©. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne mĂȘme la dixiĂšme partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriĂ©taire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvretĂ©, la misĂšre ? Mais la pauvretĂ© et la misĂšre forment l’artiste. Elles sont insĂ©parables des dĂ©buts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaĂźtre. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignitĂ©, et surtout la bĂȘtise t’opprimeront plus fortement que la misĂšre. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tĂącheront de regarder avec mĂ©pris ce qui s’est Ă©laborĂ© en toi au prix d’un pĂ©nible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relĂšveront chacune de tes fautes. Ils te montreront prĂ©cisĂ©ment ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et mĂ©prisant ils fĂȘteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent Ă  tort. Il t’arrivera d’offenser une nullitĂ© qui a de l’amour-propre, et alors malheur Ă  toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront Ă  coups d’épingles. Moi mĂȘme, je commence Ă  Ă©prouver tout cela. Prends donc des forces dĂšs maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne nĂ©glige pas les besognes grossiĂšres, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicitĂ© ; tu ruses trop, tu rĂ©flĂ©chis trop, tu fais trop travailler ta tĂȘte. Tu es audacieux en paroles et lĂąche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-ĂȘtre arriveras-tu au but. Sinon, va quand mĂȘme au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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En chinois, le mot n'a presque jamais de sens absolument dĂ©fini et limitĂ© ; le sens rĂ©sulte trĂšs gĂ©nĂ©ralement de la position dans la phrase, mais avant tout de son emploi dans tel ou tel livre plus ancien et de l'interprĂ©tation admise dans ce cas. Ici, point de « racines » au-delĂ  desquelles on n'atteint plus et qui justifient le sens des dĂ©rivĂ©s dans les divers idiomes ou dialectes d'une mĂȘme famille ; le mot n'a de valeur que par ses acceptions traditionnelles. On n'a pas, Ă  ma connaissance, tirĂ© tout le parti possible de cette particularitĂ© de la langue chinoise, au point de vue de l'Ă©tude et de la recherche de la nature rĂ©elle du langage humain. Le mot chinois nous apparaĂźt «comme si», expression naturelle et spontanĂ©e d'une pensĂ©e abstraite Ă©trangĂšre aux circonstances et aux conditions de la vie animale de l'homme, celui-ci, saisissant dans cette pensĂ©e un rapport avec les circonstances et les conditions de sa vie, avait empruntĂ© le son de cette expression pour crĂ©er sa parole raisonnĂ©e.
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Paul-Louis-FĂ©lix Philastre (Le Yi king)
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Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardĂ©s et Ă©reintĂ©s. Pendant quelques heures, nous possĂ©derons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-mĂȘme. Enfin ! il m’est donc permis de me dĂ©lasser dans un bain de tĂ©nĂšbres ! D’abord, un double tour Ă  la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me sĂ©parent actuellement du monde. Horrible vie ! Horrible ville ! ...MĂ©content de tous et mĂ©content de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimĂ©s, Ăąmes de ceux que j’ai chantĂ©s, fortifiez-moi, soutenez-moi, Ă©loignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grĂące de produire quelques beaux vers qui me prouvent Ă  moi-mĂȘme que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas infĂ©rieur Ă  ceux que je mĂ©prise !
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Charles Baudelaire (Petits poĂšmes en prose ; Les paradis artificiels)
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Et puis, le manque est arrivĂ©, dans le moment oĂč je m’y attendais le moins, il est arrivĂ© alors que j’avais presque fini par croire Ă  mon amnĂ©sie. C’est terrible, la morsure du manque. Ça frappe sans prĂ©venir, l’attaque est sournoise tout d’abord, on ressent juste une vive douleur qui disparaĂźt presque dans la foulĂ©e, c’est bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitĂŽt, on considĂšre que l’attaque est passĂ©e, on n’est mĂȘme pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on n’a pas eu le temps de s’inquiĂ©ter, c’est parti si vite, on se sent dĂ©jĂ  beaucoup mieux, on se sent mĂȘme parfaitement bien, tout de mĂȘme on garde un souvenir dĂ©sagrĂ©able de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y rĂ©ussit, la vie continue, le monde nous appelle, l’urgence commande. Et puis, ça revient, le jour d’aprĂšs, l’attaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un mĂ©chant rictus, on se dit : quelque chose est Ă  l'Ɠuvre Ă  l’intĂ©rieur, on pense Ă  ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers gĂ©nĂ©ralisĂ©s jusque-lĂ  insoupçonnables, on Ă©prouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment. Et puis, le mal devient lancinant, il s’installe comme un intrus qu’on n’est pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend qu’on ne s’en dĂ©barrassera pas, qu’on est foutu. Oui, un jour, le manque est arrivĂ©. Le manque de lui. Au dĂ©but, j’ai fait comme si je ne m’en rendais pas compte, le traitant par l’indiffĂ©rence, par le mĂ©pris, je me savais plus fort que lui, j’étais en mesure de le dominer, de l’éliminer, c’était juste une question de volontĂ© ou de temps, je n’étais pas le genre Ă  me laisser abattre par quelque chose d’aussi tĂ©nu, d’aussi risible. Et puis, il m’a fallu me rendre Ă  l’évidence : ce match, je n’étais pas en train de le gagner, j’allais peut-ĂȘtre mĂȘme le perdre, et je ne possĂ©dais pas le moyen d’échapper Ă  cette dĂ©route et plus je luttais, plus je cĂ©dais du terrain ; plus je niais la rĂ©alitĂ©, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaĂźtre : j’étais dĂ©vorĂ© par ça, le manque de lui.
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Philippe Besson (Un homme accidentel)
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«DĂ©pĂȘchez-vous, bande d’ordures!» ArrivĂ©s au fossĂ©, nous nous mĂźmes au travail. Sous les coups de pioche, la terre gelĂ©e craquait et les Ă©tincelles jaillissaient. Les hommes Ă©taient silencieux, comme enveloppĂ©s dans une sorte de torpeur. J’étais toujours accrochĂ© Ă  l’image de ma femme. Une idĂ©e me vint Ă  l’esprit: Ă©tait-elle toujours en vie? Je ne savais qu’une chose: l’amour va bien au-delĂ  de l’ĂȘtre physique. Il atteint son sens le plus fort dans l’ĂȘtre spirituel. Que la personne soit prĂ©sente ou non semble avoir peu d’importance. Je ne savais pas si ma femme Ă©tait toujours en vie, et je n’avais aucun moyen de le savoir (nous ne pouvions ni envoyer ni recevoir de courrier); mais cela n’avait aucune importance. Je n’avais pas besoin de le savoir. Rien ne pouvait me dĂ©tourner de mon amour, de mes pensĂ©es et de l’image de ma bien-aimĂ©e. Si l’on m’avait appris, Ă  ce moment-lĂ , qu’elle Ă©tait morte, je ne crois pas que j’aurais cessĂ© pour autant de contempler son image, ou que ma conversation avec elle aurait Ă©tĂ© moins vivante. «Pose-moi comme un sceau sur ton cƓur, car l’amour est plus fort que la mort.»
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Viktor E. Frankl (Man’s Search for Meaning)
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Mon esprit Ă©tait tout entier habitĂ© par le souvenir de ma femme. Je l’imaginais avec une prĂ©cision incroyable. Je la voyais. Elle me rĂ©pondait, me souriait, me regardait tendrement; son regard Ă©tait lumineux, aussi lumineux que le soleil qui se levait. J’avais enfin dĂ©couvert la vĂ©ritĂ©, la vĂ©ritĂ© telle qu’elle est proclamĂ©e dans les chants des poĂštes et dans les sages paroles des philosophes: l’amour est le plus grand bien auquel l’ĂȘtre humain peut aspirer. Je comprenais enfin le sens de ce grand secret de la poĂ©sie et de la pensĂ©e humaine: l’ĂȘtre humain trouve son salut Ă  travers et dans l’amour. Je me rendais compte qu’un homme Ă  qui il ne reste rien peut trouver le bonheur, mĂȘme pour de brefs instants, dans la contemplation de sa bien-aimĂ©e. Lorsqu’un homme est extrĂȘmement affligĂ©, lorsqu’il ne peut plus agir de maniĂšre positive, lorsque son seul mĂ©rite consiste peut-ĂȘtre Ă  endurer ses souffrances avec dignitĂ©, il peut Ă©prouver des sentiments de plĂ©nitude en contemplant l’image de sa bien-aimĂ©e. Pour la premiĂšre fois de ma vie, je comprenais le sens de cette parole: «Les anges sont perdus dans l’éternelle contemplation d’une gloire infinie.»
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Viktor E. Frankl
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Cette qualitĂ© de la joie n’est-elle pas le fruit le plus prĂ©cieux de la civilisation qui est nĂŽtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matĂ©riels. Mais nous ne sommes pas un bĂ©tail Ă  l’engrais. La prospĂ©ritĂ© et le confort ne sauraient suffire Ă  nous combler. Pour nous qui fĂ»mes Ă©levĂ©s dans le culte du respect de l’homme, pĂšsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fĂȘtes merveilleuses
 Respect de l’homme ! Respect de l’homme !
 LĂ  est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-mĂȘme ; il refuse les contradictions crĂ©atrices, ruine tout espoir d’ascension, et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitiĂšre. L’ordre pour l’ordre chĂątre l’homme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-mĂȘme. La vie crĂ©e l’ordre, mais l’ordre ne crĂ©e pas la vie. Il nous semble, Ă  nous, bien au contraire, que notre ascension n’est pas achevĂ©e, que la vĂ©ritĂ© de demain se nourrit de l’erreur d’hier, et que les contradictions Ă  surmonter sont le terreau mĂȘme de notre croissance. Nous reconnaissons comme nĂŽtres ceux mĂȘmes qui diffĂšrent de nous. Mais quelle Ă©trange parenté ! elle se fonde sur l’avenir, non sur le passĂ©. Sur le but, non sur l’origine. Nous sommes l’un pour l’autre des pĂšlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le mĂȘme rendez-vous. Mais voici qu’aujourd’hui le respect de l’homme, condition de notre ascension, est en pĂ©ril. Les craquements du monde moderne nous ont engagĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. Les problĂšmes sont incohĂ©rents, les solutions contradictoires. La vĂ©ritĂ© d’hier est morte, celle de demain est encore Ă  bĂątir. Aucune synthĂšse valable n’est entrevue, et chacun d’entre nous ne dĂ©tient qu’une parcelle de la vĂ©ritĂ©. Faute d’évidence qui les impose, les religions politiques font appel Ă  la violence. Et voici qu’à nous diviser sur les mĂ©thodes, nous risquons de ne plus reconnaĂźtre que nous nous hĂątons vers le mĂȘme but. Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une Ă©toile, s’il se laisse trop absorber par ses problĂšmes d’escalade, risque d’oublier quelle Ă©toile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisiĂšre de cathĂ©drale, Ă  se prĂ©occuper trop Ăąprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu. Ainsi, Ă  m’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’ĂȘtre au service d’une Ă©vidence spirituelle. Nous avons goĂ»tĂ©, aux heures de miracle, une certaine qualitĂ© des relations humaines : lĂ  est pour nous la vĂ©ritĂ©. Quelle que soit l’urgence de l’action, il nous est interdit d’oublier, faute de quoi cette action demeurera stĂ©rile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de l’homme. Pourquoi nous haĂŻrions-nous Ă  l’intĂ©rieur d’un mĂȘme camp ? Aucun d’entre nous ne dĂ©tient le monopole de la puretĂ© d’intention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route qu’un autre a choisie. Je puis critiquer les dĂ©marches de sa raison. Les dĂ©marches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de l’Esprit, s’il peine vers la mĂȘme Ă©toile. Respect de l’Homme ! Respect de l’Homme !
 Si le respect de l’homme est fondĂ© dans le cƓur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le systĂšme social, politique ou Ă©conomique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde d’abord dans la substance. Elle est d’abord, dans l’homme, dĂ©sir aveugle d’une certaine chaleur. L’homme ensuite, d’erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
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Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
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- Eh bien... je ne suis pas sĂ»r de pourvoir l'expliquer, mais je viens de me rendre compte que j'avais vĂ©cu plus longtemps que mon pĂšre, ce Ă  quoi je ne m'Ă©tais jamais attendu. C'est juste que... cela me fait bizarre, c'est tout. Toi qui as perdu ta mĂšre si jeune, tu n'y penses jamais ? - Si. Mon visage Ă©tait enfoui contre son torse, ma voix se perdant dans les plis de sa chemise. - ... Autrefois, quand j'Ă©tais jeune. C'est comme partir en voyage sans carte. Sa main dans mon dos s'arrĂȘta un instant. - Oui, c'est ça. Je savais plus ou moins ce que signifiait ĂȘtre un homme trentenaire, quadragĂ©naire... mais maintenant ? Il Ă©mit un petit bruit, un mĂ©lange d'amusement et de perplexitĂ©. - Il faut s'inventer soit-mĂȘme, dis-je doucement. On regarde les autres femmes, ou les autres hommes. On essaie leur vie pour voir si elle nous va. Puis, on cherche Ă  l'intĂ©rieur de soi ce qu'on ne trouve pas ailleurs. Et on se demande toujours... toujours... si on a fait ce qu'il fallait. Sa main Ă©tait lourde et chaude dans mon dos. Il sentit les larmes qui s'Ă©taient brusquement mises Ă  couler du coin de mes yeux sur sa chemise. Son autre main se posa sur ma tĂȘte et caressa mes cheveux. - Oui, c'est ça, rĂ©pĂ©ta-t-il tout doucement.
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Diana Gabaldon (La Croix de feu / Le Temps des rĂȘves (Le Cercle de Pierre #5-6))
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Et toujours ces questions si naturelles, anodines en apparence, ça marche toujours avec lui ? Est-ce que tu comptes te marier ? La dĂ©solation de mes parents devant une situation incertaine, "on aimerait bien savoir oĂč ça va te mener tout ça". ObligĂ© que l'amour mĂšne quelque part. Leur peine sourde aussi. Ce serait tellement plus agrĂ©able, plus tranquille pour eux de voir se dĂ©rouler l'histoire habituelle, les faire-part dans le journal, les questions auxquelles on rĂ©pond avec fiertĂ©, un jeune homme de Bordeaux, bientĂŽt professeur, l'Ă©glise, la mairie, le mĂ©nage qui se "monte", les petits-enfants. Je les prive des espĂ©rances traditionnelles. L'affolement de ma mĂšre quand elle apprend, tu couches avec, si tu continues tu vas gĂącher ta vie. Pour elle, je suis en train de me faire rouler, des tonnes de romans qui ressortent, filles sĂ©duites qu'on n'Ă©pouse pas, abandonnĂ©es avec un mĂŽme. Un combat tannant toutes les semaines entre nous deux. Je ne sais pas encore qu'au moment oĂč l'on me pousse Ă  liquider ma libertĂ©, ses parents Ă  lui jouent un scĂ©nario tout aussi traditionnel mais inverse, "tu as bien le temps d'avoir un fil Ă  la patte, ne te laisse pas mettre le grappin dessus !", bien chouchoutĂ©e la libertĂ© des mĂąles.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Oui, la vie m’a traversĂ©e, je n’ai pas rĂȘvĂ©, ces hommes, des milliers, dans mon lit, dans ma bouche, je n’ai rien inventĂ© de leur sperme sur moi, sur ma figure, dans mes yeux, j’ai tout vu et ça continue encore, tous les jours ou presque, des bouts d’homme, leur queue seulement, des bouts de queue qui s’émeuvent pour je ne sais quoi car ce n’est pas de moi qu’ils bandent, ça n’a jamais Ă©tĂ© de moi, c’est de ma putasserie, du fait que je suis lĂ  pour ça, les sucer, les sucer encore, ces queues qui s’enfilent les unes aux autres comme si j’allais les vider sans retour, faire sortir d’elles une fois pour toutes ce qu’elles ont à dire, et puis de toute façon je ne suis pour rien dans ces Ă©panchements, ça pourrait ĂȘtre une autre, mĂȘme pas une putain mais une poupĂ©e d’air, une parcelle d’image cristallisĂ©e, le point de fuite d’une bouche qui s’ouvre sur eux tandis qu’ils jouissent de l’idĂ©e qu’ils se font de ce qui fait jouir, tandis qu’ils s’affolent dans les draps en faisant apparaĂźtre çà et là un visage grimaçant, des mamelons durcis, une fente trempĂ©e et agitĂ©e de spasmes, tandis qu’ils tentent de croire que ces bouts de femme leur sont destinĂ©s et qu’ils sont les seuls à savoir les faire parler, les seuls à pouvoir les faire plier sous le dĂ©sir qu’ils ont de les voir plier.
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Nelly Arcan (Putain)
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« Norbert de Varenne parlait d’une voix claire, mais retenue, qui aurait sonnĂ© dans le silence de la nuit s’il l’avait laissĂ©e s’échapper. Il semblait surexcitĂ© et triste, d’une de ces tristesses qui tombent parfois sur les Ăąmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelĂ©e. Il reprit : « Qu’importe, d’ailleurs, un peu plus ou un peu moins de gĂ©nie, puisque tout doit finir ! » Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cƓur gai, ce soir-lĂ , dit, en souriant : « Vous avez du noir, aujourd’hui, cher maĂźtre. » Le poĂšte rĂ©pondit. « J’en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques annĂ©es. La vie est une cĂŽte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre Ăąge, on est joyeux. On espĂšre tant de choses, qui n’arrivent jamais d’ailleurs. Au mien, on n’attend plus rien... que la mort. » Duroy se mit Ă  rire : « Bigre, vous me donnez froid dans le dos. » Norbert de Varenne reprit : « Non, vous ne me comprenez pas aujourd’hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. » « Il arrive un jour, voyez- vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, oĂč c’est fini de rire, comme on dit, parce que derriĂšre tout ce qu’on regarde, c’est la mort qu’on aperçoit. » « Oh ! vous ne comprenez mĂȘme pas ce mot-lĂ , vous, la mort. À votre Ăąge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. » « Oui, on le comprend tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi ni Ă  propos de quoi, et alors tout change d’aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bĂȘte rongeuse. Je l’ai sentie peu Ă  peu, mois par mois, heure par heure, me dĂ©grader ainsi qu’une maison qui s’écroule. Elle m’a dĂ©figurĂ© si complĂštement que je ne me reconnais pas. Je n’ai plus rien de moi, de moi l’homme radieux, frais et fort que j’étais Ă  trente ans. Je l’ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et mĂ©chante ! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une Ăąme dĂ©sespĂ©rĂ©e qu’elle enlĂšvera bientĂŽt aussi. » « Oui, elle m’a Ă©miettĂ©, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon ĂȘtre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hĂąte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rĂȘver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir ! » » (de « Bel-Ami » par Guy de Maupassant)
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Guy de Maupassant
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Je me trouvais en quelque lieu vague et trouble... Je dis « lieu » par habitude, car maintenant toute conception de distance et de durĂ©e Ă©tait abolie pour moi, et je ne puis dĂ©terminer combien de temps je restai en cet Ă©tat. Je n’entendais rien, ne voyais rien, je pensais seulement et avec force et persistance. Le grand problĂšme qui m’avait tourmentĂ© toute ma vie Ă©tait rĂ©solu : la mort n’existe pas, la vie est infinie. J’en Ă©tais convaincu bien avant ; mais jadis je ne pouvais formuler clairement ma conviction : elle se basait sur cette seule considĂ©ration que, astreinte Ă  des limites, la vie n’est qu’une formidable absurditĂ©. L’homme pense ; il perçoit ce qui l’entoure, il souffre, jouit et disparaĂźt ; son corps se dĂ©compose et fournit ses Ă©lĂ©ments Ă  des corps en formation : cela, chacun le peut constater journellement, mais que devient cette force apte Ă  se connaĂźtre soi-mĂȘme et Ă  connaĂźtre le monde qui l’entoure ? Si la matiĂšre est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipĂąt sans traces, et, si elle disparaĂźt, d’oĂč venait-elle et quel est le but de cette apparition Ă©phĂ©mĂšre ? Il y avait lĂ  des contradictions que je ne pouvais admettre. Maintenant je sais, par ma propre expĂ©rience, que la conscience persiste, que je n’ai pas cessĂ© et probablement ne cesserai jamais de vivre. Voici que derechef m’obsĂšdent ces terribles questions : si je ne meurs pas, si je reviens toujours sur la terre, quel est le but de ces existences successives, Ă  quelles lois obĂ©issent-elles et quelle fin leur est assignĂ©e ? Il est probable que je pourrais discerner cette loi et la comprendre si je me rappelais mes existences passĂ©es, toutes, ou du moins quelques-unes ; mais pourquoi l’homme est-il justement privĂ© de ce souvenir ? pourquoi est-il condamnĂ© Ă  une ignorance Ă©ternelle, si bien que la conception de l’immortalitĂ© ne se prĂ©sente Ă  lui que comme une hypothĂšse, et si cette loi inconnue exige l’oubli et les tĂ©nĂšbres, pourquoi dans ces tĂ©nĂšbres, d’étranges lumiĂšres apparaissent-elles parfois, comme il m’est arrivĂ© quand je suis entrĂ© au chĂąteau de La Roche-Maudin ? De toute ma volontĂ©, je me cramponnais Ă  ce souvenir comme le noyĂ© Ă  une Ă©pave ; il me semblait que si je me rappelais clairement et exactement ma vie dans ce chĂąteau je comprendrais tout le reste. Maintenant qu’aucune sensation du dehors ne me distrayait, je m’abandonnais aux houles du souvenir, inerte et sans pensĂ©e pour ne pas gĂȘner leur mouvement, et tout Ă  coup, du fond de mon Ăąme comme des brumes d’un fleuve, commençaient Ă  s’élever de fugaces figures humaines ; des mots au sens effacĂ© rĂ©sonnaient, et dans tous ces souvenirs Ă©taient des lacunes... Les visages Ă©taient vaporeux, les paroles Ă©taient sans lien, tout Ă©tait dĂ©cousu......
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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Cette sociĂ©tĂ©, que j'ai remarquĂ©e la premiĂšre dans ma vie, est aussi la premiĂšre qui ait disparu Ă  mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bĂ©nĂ©diction, le rendre peu Ă  peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mĂšre forcĂ©e de renoncer Ă  son quadrille, faute des partners accoutumĂ©s; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour oĂč mon aĂŻeule tomba la derniĂšre. Elle et sa sƓur s'Ă©taient promis de s'entre-appeler aussitĂŽt que l'une aurait devancĂ© l'autre; elles se tinrent parole, et madame de BedĂ©e ne survĂ©cut que peu de mois Ă  mademoiselle de Boisteilleul. Je suis peut-ĂȘtre le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existĂ©. Vingt fois, depuis cette Ă©poque, j'ai fait la mĂȘme observation; vingt fois des sociĂ©tĂ©s se sont formĂ©es et dissoutes autour de moi. Cette impossibilitĂ© de durĂ©e et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'Ă©tend de lĂ  sur notre maison, me ramĂšnent sans cesse Ă  la nĂ©cessitĂ© de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fiĂšvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chĂšre! car comment abandonner sans dĂ©sespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir Ă©ternellement sur son cƓur? 
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François-René de Chateaubriand (Memoires D'Outre Tombe Lu Par Daniel Mesguich)
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J’ai essayĂ© plus d’une fois, comme tous mes amis, de m’enfermer dans un systĂšme pour y prĂȘcher Ă  mon aise. Mais un systĂšme est une espĂšce de damnation qui nous pousse Ă  une abjuration perpĂ©tuelle ; il en faut toujours inventer un autre, et cette fatigue est un cruel chĂątiment. Et toujours mon systĂšme Ă©tait beau, vaste, spacieux, commode, propre et lisse surtout ; du moins il me paraissait tel. Et toujours un produit spontanĂ©, inattendu, de la vitalitĂ© universelle venait donner un dĂ©menti Ă  ma science enfantine et vieillotte, fille dĂ©plorable de l’utopie. J’avais beau dĂ©placer ou Ă©tendre le criterium, il Ă©tait toujours en retard sur l’homme universel, et courait sans cesse aprĂšs le beau multiforme et versicolore, qui se meut dans les spirales infinies de la vie. CondamnĂ© sans cesse Ă  l’humiliation d’une conversion nouvelle, j’ai pris un grand parti. Pour Ă©chapper Ă  l’horreur de ces apostasies philosophiques, je me suis orgueilleusement rĂ©signĂ© Ă  la modestie : je me suis contentĂ© de sentir ; je suis revenu chercher un asile dans l’impeccable naĂŻvetĂ©. J’en demande humblement pardon aux esprits acadĂ©miques de tout genre qui habitent les diffĂ©rents ateliers de notre fabrique artistique. C’est lĂ  que ma conscience philosophique a trouvĂ© le repos ; et, au moins, je puis affirmer, autant qu’un homme peut rĂ©pondre de ses vertus, que mon esprit jouit maintenant d’une plus abondante impartialitĂ©.
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Charles Baudelaire (Curiosités Esthétiques: Salon 1845-1859 (French Edition))
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Mais les signes de ce qui m'attendait rĂ©ellement, je les ai tous nĂ©gligĂ©s. Je travaille mon diplĂŽme sur le surrĂ©alisme Ă  la bibliothĂšque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-ĂȘtre mes derniĂšres semaines de fille seule, libre d'aller oĂč je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans ĂȘtre dĂ©rangĂ©e. Je vais perdre dĂ©finitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublĂ©, Ă  deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drĂŽle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idĂ©es de fille unique, Ă©gocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal Ă©levĂ©e au fond. Un jour, il a du travail, il est fatiguĂ©, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se prĂ©cipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hĂ©sitation, comme si elles avaient dans la tĂȘte toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-ĂȘtre, pour quatre personnes ou plus aux goĂ»ts diffĂ©rents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmĂ©e par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarchĂ©. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il Ă©tait en train d'Ă©couter de la musique. Il a tout dĂ©ballĂ© avec un plaisir de gamin. Les poires Ă©taient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournĂ©s au restau universitaire, j'ai oubliĂ©. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai Ă©touffĂ©s. SublimĂ©s. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de libertĂ©, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du mĂ©nage, un peu. Et alors, tu renĂącles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles rĂ©ussissent Ă  tout "concilier", sourire aux lĂšvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libĂ©rĂ©e de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'Ă©quilibre. L'homme, l'Ă©paule solide, anti-mĂ©taphysique, dissipateur d'idĂ©es tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons mĂȘme disparaĂźtront, je ris forcĂ©ment, obscurĂ©ment j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est Ă©goĂŻste et qu'il ne s'intĂ©resse guĂšre Ă  ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient Ă  mon secours : "Tous les hommes sont Ă©goĂŻstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altĂ©ritĂ©", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Mais un soir que j'Ă©tois assis prĂšs de la tombe oĂč reposent LĂ©once et Delphine, tout Ă  coup un remords s'Ă©leva dans le fond de mon coeur, et je me reprochai d'avoir regardĂ© leur destinĂ©e comme la plus funeste de toutes. Peut-ĂȘtre dans ce moment, mes amis, touchĂ©s de mes regrets, vouloient-ils me consoler, cherchoient-ils Ă  me faire connoĂźtre qu'ils Ă©toient heureux, qu'ils s'aimoient, et que l'Être-suprĂȘme ne les avoit point abandonnĂ©s, puisqu'il n'avoit pas permis qu'ils survĂ©cussent l'un Ă  l'autre. Je passai la nuit Ă  rĂȘver sur le sort des hommes; ces heures furent les plus dĂ©licieuses de ma vie, et cependant le sentiment de la mort les a remplies tout entiĂšres; mais je n'en puis douter, du haut du ciel mes amis dirigeoient mes mĂ©ditations; ils Ă©cartoient de moi ces fantĂŽmes de l'imagination qui nous font horreur du terme de la vie; il me sembloit qu'au clair de la lune, je voyois leurs ombres lĂ©gĂšres passer Ă  travers les feuilles sans les agiter; une fois je leur ai demandĂ© si je ne ferois pas mieux de les rejoindre, s'il n'Ă©toit pas vrai que sur cette terre les Ăąmes fiĂšres et sensibles n'avoient rien Ă  attendre que des douleurs succĂ©dant Ă  des douleurs; alors il m'a semblĂ© qu'une voix, dont les sons se mĂȘloient au souffle du vent, me disoit :—Supporte la peine, attends la nature, et fais du bien aux hommes.— J'ai baissĂ© la tĂȘte, et je me suis rĂ©signĂ©; mais, avant de quitter ces lieux, j'ai Ă©crit, sur un arbre voisin de la tombe de mes amis, ce vers, la seule consolation des infortunĂ©s que la mort a privĂ© des objets de leur affection: On ne me rĂ©pond pas, mais peut-ĂȘtre on m'entend.»
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Madame de Staël (Delphine)
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Depuis que j'ai doue ans, et depuis qu'elle est une terreur, la mort est une marotte. J'en ignorais l'existence jusqu'Ă  ce qu'un camarade de classe, le petit BonnecarĂšre, m'envoyĂąt au cinĂ©ma le Styx, oĂč l'on s'asseyait Ă  l'Ă©poque dans des cercueils, voir L'enterrĂ© vivant, un film de Roger Corman tirĂ© d'un conte 'Edgar Allan Poe. La dĂ©couverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d'un homme qui hurle d'impuissance Ă  l'intĂ©rieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs de les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon pĂšre de me cĂ©der le crĂąne qui avait accompagnĂ© ses Ă©tudes de mĂ©decine, m'hypnotisant de films d'Ă©pouvante et commençant Ă  Ă©crire, sous le pseudonyme d'Hector Lenoir, un conte qui racontair les affres d'un fantĂŽmr rnchaĂźnĂ© dans les oubliettes du chĂąteau des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu'aux stories sĂ©lectionnĂ©es par Hitschcock, errant dans les cimetiĂšres et Ă©trennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d'enants, me dĂ©plaçant jusqu'Ă  Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillĂ©s comme Anthony Perkins dans Psychose, la mort me semblait horriblement belle, fĂ©eriquement atroce, et puis je pris en grippe son bric-Ă -brac, remisai le crĂąne de l'Ă©tudiant de mĂ©decine, fuis les cimetiĂšres comme la peste, j'Ă©tais passĂ© Ă  un autre stade de l'amour de la mort, comme imprĂ©gnĂ© par elle au plus profond je n'avais plus besoin de son dĂ©corum mais d'une intimitĂ© plus grande avec elle, je continuais inlassablement de quĂ©rir son sentiment, le plus prĂ©cieux et le plus haĂŻssable d'entre tous, sa peur et sa convoitise.
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HervĂ© Guibert (À l'ami qui ne m'a pas sauvĂ© la vie)
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Si l’humanitĂ© s’est Ă©cartĂ©e des conditions initiales dont je parlais, si elle a renoncĂ©, sans le savoir et sans le vouloir, Ă  la stabilitĂ© Ă  laquelle elle pouvait tendre, on pouvait supposer qu’étant arrivĂ©e Ă  un certain niveau, elle s’y serait stabilisĂ©e, comme les abeilles ont pu se stabiliser (elles ont trouvĂ© certains procĂ©dĂ©s de construction, d’accumulation des rĂ©serves), et demeurer en cet Ă©tat indĂ©finiment, comme il semble que les abeilles y soient demeurĂ©es, nous aurions pu arriver Ă  concevoir une humanitĂ© comme une fourmiliĂšre ou une ruche d’abeilles. Pas du tout. Elle n’a cessĂ© de s’écarter de son bien-ĂȘtre, le bien-ĂȘtre n’a pas suffi Ă  l’humanitĂ©. HĂ©las ! dans bien des cas on pourrait se lamenter Ă  ce sujet et pleurer, mais il s’est trouvĂ© toujours que les hommes se soient Ă©cartĂ©s de la norme dĂ©jĂ  Ă©tablie, que des hommes, des penseurs par exemple aient spĂ©culĂ© assez pour trouver que la stabilitĂ© acquise Ă©tait une stabilitĂ© insuffisante, trĂšs insuffisante. C’est pourquoi j’ai pu prononcer dans ma derniĂšre leçon ce mot de l’aventure qui m’a paru rĂ©sumer la vie humaine dans son ensemble. L’aventure... c’est-Ă -dire ce fait qu’il y a eu un changement qui a toujours etendu Ă  repousser, Ă  nier, Ă  ruiner les conditions d’existence, mĂȘme favorables, mĂȘme satisfaisantes pour la majoritĂ© des individus, et qui a tendu Ă  dĂ©truire cet ordre-lĂ , Ă  le renverser. J’avais associĂ© Ă  ce mot-lĂ  le mot le plus connu de progrĂšs, mais je prĂ©fĂšre celui d’aventure, et je vais vous dire pourquoi le terme de progrĂšs, que j’ai essayĂ© de prĂ©ciser en le ramenant Ă  ce qui est observable, progrĂšs que j’ai dĂ©fini par l’accroissement de prĂ©cision dans les mesures marquĂ©es par les dĂ©cimales qu’on peut calculer et observer : progrĂšs dans l’acquisition des moyens d’action, progrĂšs de puissance mĂ©canique, nombre de chevaux-vapeur par tĂȘte Ă  telle Ă©poque, progrĂšs dans les automatismes sociaux, par consĂ©quent progrĂšs qui permet de commander beaucoup plus d’élĂ©ments humains ou matĂ©riels Ă  l’aide d’un plus petit effort, diminution de l’effort Ă  accomplir. Tout ceci est parfaitement observable, ce ne sont pas des chimĂšres. On a ajoutĂ© Ă  cela une vĂ©ritable religion du progrĂšs, qui fait croire que, quoi qu’il en soit aprĂšs bien des aventures, beaucoup d’expĂ©riences, l’humanitĂ© marche toujours vers une amĂ©lioration de son sort.
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Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
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Maldoror, Ă©coute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence Ă©gale Ă  la tienne. Un jour, tu m’appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n’ai pas dĂ©menti la confiance que tu m’avais vouĂ©e. Je ne suis qu’un simple habitant des roseaux, c’est vrai ; mais, grĂące Ă  ton propre contact, ne prenant que ce qu’il y avait de beau en toi, ma raison s’est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l’abĂźme. Ceux qui s’intitulent tes amis te regardent, frappĂ©s de consternation, chaque fois qu’ils te rencontrent, pĂąle et voĂ»tĂ©, dans les thĂ©Ăątres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu’il porte son maĂźtre-fantĂŽme, enveloppĂ© dans un long manteau noir. Abandonne ces pensĂ©es, qui rendent ton cƓur vide comme un dĂ©sert ; elles sont plus brĂ»lantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t’en aperçois pas, et que tu crois ĂȘtre dans ton naturel, chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensĂ©es, quoique pleines d’une infernale grandeur. Malheureux ! qu’as-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ô triste reste d’une intelligence immortelle, que Dieu avait crĂ©Ă©e avec tant d’amour ! Tu n’as engendrĂ© que des malĂ©dictions, plus affreuses que la vue de panthĂšres affamĂ©es ! Moi, je prĂ©fĂ©rerais avoir les paupiĂšres collĂ©es, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassinĂ© un homme, que ne pas ĂȘtre toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractĂšre qui m’étonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dĂ©rision ceux qui l’habitent, Ă©pave pourrie, ballottĂ©e par le scepticisme ? Si tu ne t’y plais pas, il faut retourner dans les sphĂšres d’oĂč tu viens. Un habitant des citĂ©s ne doit pas rĂ©sider dans les villages, pareil Ă  un Ă©tranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphĂšres plus spacieuses que la nĂŽtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons mĂȘme pas concevoir. Eh bien, va-t’en !
 retire-toi de ce sol mobile !
 montre enfin ton essence divine, que tu as cachĂ©e jusqu’ici ; et, le plus tĂŽt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphĂšre, que nous n’envions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu Ă  reconnaĂźtre si tu es un homme ou plus qu’un homme ! Adieu donc ; n’espĂšre plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour l’éternitĂ©, afin d’implorer ton pardon !
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Comte de Lautréamont
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LE SYLLABUS Tout en mangeant d'un air effarĂ© vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bontĂ© qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aĂŻeul d'ĂȘtre tendre Et du ciel d'ĂȘtre bleu. N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fĂąchĂ©, je gronde, Non contre vous. HĂ©las, enfants, dans ce vil monde, Le prĂȘtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbĂ©ciles Qui passe en ce moment. Les prĂȘtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frĂšre, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumiĂšre; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumiĂšre; Et d'eux, c'est la noirceur. J'aime une petitesse et je dĂ©teste l'autre; Je hais leur bĂ©gaiement et j'adore le vĂŽtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, Ă©coutant ce que dit l'Ăąme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux Ă©toilĂ©s. Car vous Ă©tiez hier, ĂŽ doux parleurs Ă©tranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, Ă  moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y vais. Ce que vous dites sort du firmament austĂšre; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix oĂč rien n'insulte, oĂč rien ne blĂąme, OĂč rien ne mord, s'ajoute au vaste Ă©pithalame Des bois mystĂ©rieux. Ce doux balbutiement me plaĂźt, je le prĂ©fĂšre; Car j'y sens l'idĂ©al; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forĂȘts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'Ă©coute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte Ă  goutte Au fond des antres frais. Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la mĂȘme langue Ă  l'Ăąme inassouvie; En bas nous Ă©touffons; Mais rĂȘver, c'est planer dans les apothĂ©oses, C'est comprendre; et les nids disent les mĂȘmes choses Que les tombeaux profonds. Les prĂȘtres vont criant: AnathĂšme ! anathĂšme ! Mais la nature dit de toutes parts: Je t'aime ! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie Ă©clore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'Ăąme n'a d'amour. J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmĂ©es; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumĂ©es, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fĂȘte immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits enfants.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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À huit heures et demie du soir, deux tables Ă©taient dressĂ©es. La jolie madame des Grassins avait rĂ©ussi Ă  mettre son fils Ă  cĂŽtĂ© d’EugĂ©nie. Les acteurs de cette scĂšne pleine d’intĂ©rĂȘt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolĂ©s, chiffrĂ©s, et de jetons en verre bleu, semblaient Ă©couter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numĂ©ro sans faire une remarque ; mais tous pensaient aux millions de monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraĂźche de madame des Grassins, la tĂȘte martiale du banquier, celle d’Adolphe, le prĂ©sident, l’abbĂ©, le notaire, et se disait intĂ©rieurement : − Ils sont lĂ  pour mes Ă©cus. Ils viennent s’ennuyer ici pour ma fille. HĂ© ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-lĂ  me servent de harpons pour pĂȘcher ! Cette gaietĂ© de famille, dans ce vieux salon gris, mal Ă©clairĂ© par deux chandelles ; ces rires, accompagnĂ©s par le bruit du rouet de la grande Nanon, et qui n’étaient sincĂšres que sur les lĂšvres d’EugĂ©nie ou de sa mĂšre ; cette petitesse jointe Ă  de si grands intĂ©rĂȘts ; cette jeune fille qui, semblable Ă  ces oiseaux victimes du haut prix auquel on les met et qu’ils ignorent, se trouvait traquĂ©e, serrĂ©e par des preuves d’amitiĂ© dont elle Ă©tait la dupe ; tout contribuait Ă  rendre cette scĂšne tristement comique. N’est-ce pas d’ailleurs une scĂšne de tous les temps et de tous les lieux, mais ramenĂ©e Ă  sa plus simple expression ? La figure de Grandet exploitant le faux attachement des deux familles, en tirant d’énormes profits, dominait ce drame et l’éclairait. N’était-ce pas le seul dieu moderne auquel on ait foi, l’Argent dans toute sa puissance, exprimĂ© par une seule physionomie ? Les doux sentiments de la vie n’occupaient lĂ  qu’une place secondaire, ils animaient trois cƓurs purs, ceux de Nanon, d’EugĂ©nie et sa mĂšre. Encore, combien d’ignorance dans leur naĂŻvetĂ© ! EugĂ©nie et sa mĂšre ne savaient rien de la fortune de Grandet, elles n’estimaient les choses de la vie qu’à la lueur de leurs pĂąles idĂ©es, et ne prisaient ni ne mĂ©prisaient l’argent, accoutumĂ©es qu’elles Ă©taient Ă  s’en passer. Leurs sentiments, froissĂ©s Ă  leur insu mais vivaces, le secret de leur existence, en faisaient des exceptions curieuses dans cette rĂ©union de gens dont la vie Ă©tait purement matĂ©rielle. Affreuse condition de l’homme ! il n’y a pas un de ses bonheurs qui ne vienne d’une ignorance quelconque. Au moment oĂč madame Grandet gagnait un lot de seize sous, le plus considĂ©rable qui eĂ»t jamais Ă©tĂ© pontĂ© dans cette salle, et que la grande Nanon riait d’aise en voyant madame empochant cette riche somme, un coup de marteau retentit Ă  la porte de la maison, et y fit un si grand tapage que les femmes sautĂšrent sur leurs chaises.
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre d’une pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu d’une foule Ă©trangĂšre, tout Ă  fait Ă©trangĂšre Ă  mes sentiments, je n’ai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cƓur in’ait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e m’a saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, c’est le premier instant de bonheur que je retrouve. Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cƓur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ  comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce n’est pas une illusion d’optique. Je m’en amuse, ou plutĂŽt on s’amuse de moi comme d’une ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet d’aller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je m’oublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha. Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne l’ai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes s’est Ă©vanoui ; l’enchantement qui, le matin, m’arrachait au sommeil a fui loin de moi. Je n’ai trouvĂ© ici qu’une femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si l’on peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ  qui fait de jolis compliments ! » Cela n’est pas tout Ă  fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; j’ai beaucoup d’esprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finement
. «Ni mentir, ajouterez-vous, car l’un ne va pas sans l’autre, entendez-vous ?
 » Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup d’ñme, on le voit d’abord Ă  la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă  charge ; il ne satisfait aucun des vƓux de son cƓur. Elle aspire Ă  sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă  vous, Charlotte ! Que de fois n’est-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !
 Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime. Oh ! si j’étais assis Ă  vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante ! Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; l’orage est passĂ© ; et moi
. il faut que je rentre dans ma cage
. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?
 Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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je lui tendis les trois pommes vertes que je venais de voler dans le verger. Elle les accepta et m'annonça, comme en passant : — Janek a mangĂ© pour moi toute sa collection de timbres-poste. C'est ainsi que mon martyre commença. Au cours des jours qui suivirent, je mangeai pour Valentine plusieurs poignĂ©es de vers de terre, un grand nombre de papillons, un kilo de cerises avec les noyaux, une souris, et, pour finir, je peux dire qu'Ă  neuf ans, c'est-Ă -dire bien plus jeune que Casanova, je pris place parmi les plus grands amants de tous les temps, en accomplissant une prouesse amoureuse que personne, Ă  ma connaissance, n'est jamais venu Ă©galer. Je mangeai pour ma bien-aimĂ©e un soulier en caoutchouc. Ici, je dois ouvrir une parenthĂšse. Je sais bien que, lorsqu'il s'agit de leurs exploits amoureux, les hommes ne sont que trop portĂ©s Ă  la vantardise. A les entendre, leurs prouesses viriles ne connaissent pas de limite, et ils ne vous font grĂące d'aucun dĂ©tail. Je ne demande donc Ă  personne de me croire lorsque j'affirme que, pour ma bien-aimĂ©e, je consommai encore un Ă©ventail japonais, dix mĂštres de fil de coton, un kilo de noyaux de cerises — Valentine me mĂąchait, pour ainsi dire, la besogne, en mangeant la chair et en me tendant les noyaux — et trois poissons rouges, que nous Ă©tions allĂ©s pĂȘcher dans l'aquarium de son professeur de musique. Dieu sait ce que les femmes m'ont fait avaler dans ma vie, mais je n'ai jamais connu une nature aussi insatiable. C'Ă©tait une Messaline doublĂ©e d'une ThĂ©odora de Byzance. AprĂšs cette expĂ©rience, on peut dire que je connaissais tout de l'amour. Mon Ă©ducation Ă©tait faite. Je n'ai fait, depuis, que continuer sur ma lancĂ©e. Mon adorable Messaline n'avait que huit ans, mais son exigence physique dĂ©passait tout ce qu'il me fut donnĂ© de connaĂźtre au cours de mon existence. Elle courait devant moi, dans la cour, me dĂ©signait du doigt tantĂŽt un tas de feuilles, tantĂŽt du sable, ou un vieux bouchon, et je m'exĂ©cutais sans murmurer. Encore bougrement heureux d'avoir pu ĂȘtre utile. A un moment, elle s'Ă©tait mise Ă  cueillir un bouquet de marguerites, que je voyais grandir dans sa main avec apprĂ©hension — mais je mangeai les marguerites aussi, sous son oeil attentif — elle savait dĂ©jĂ  que les hommes essayent toujours de tricher, dans ces jeux-lĂ  — oĂč je cherchais en vain une lueur d'admiration. Sans une marque d'estime ou de gratitude, elle repartit en sautillant, pour revenir, au bout d'un moment, avec quelques escargots qu'elle me tendit dans le creux de la main. Je mangeai humblement les escargots, coquille et tout. A cette Ă©poque, on n'apprenait encore rien aux enfants sur le mystĂšre des sexes et j'Ă©tais convaincu que c'Ă©tait ainsi qu'on faisait l'amour. J'avais probablement raison. Le plus triste Ă©tait que je n'arrivais pas Ă  l'impressionner. J'avais Ă  peine fini les escargots qu'elle m'annonçait nĂ©gligemment : — Josek a mangĂ© dix araignĂ©es pour moi et il s'est arrĂȘtĂ© seulement parce que maman nous a appelĂ©s pour le thĂ©. Je frĂ©mis. Pendant que j'avais le dos tournĂ©, elle me trompait avec mon meilleur ami. Mais j'avalai cela aussi. Je commençais Ă  avoir l'habitude. (La promesse de l'aube, ch.XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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J’ai fait ma visite au lieu natal avec toute la piĂ©tĂ© d’un pĂšlerin, et bien des sentiments inattendus m’ont saisi. Je fis arrĂȘter prĂšs du grand tilleul qui se trouve Ă  un quart de lieue de la ville du cĂŽtĂ© de S
 ; je quittai la voiture, et je l’envoyai en avant, afin de cheminer Ă  pied et de savourer Ă  mon grĂ© chaque souvenir, dans toute sa vie et sa nouveautĂ©. Je m’arrĂȘtai sous le tilleul, qui avait Ă©tĂ©, dans mon enfance, le but et le terme de mes promenades. Quelle diffĂ©rence ! Alors, dans une heureuse ignorance, je m’élançais avec ardeur vers ce monde inconnu, oĂč j’espĂ©rais pour mon cƓur tant de nourriture, tant de jouissances, qui devaient combler et satisfaire l’ardeur de mes dĂ©sirs. Maintenant, j’en reviens de ce vaste monde
. O mon ami, avec combien d’espĂ©rances déçues, avec combien de plans renversĂ©s !
 Les voilĂ  devant moi les montagnes qui mille fois avaient Ă©tĂ© l’objet de mes vƓux. Je pouvais rester des heures assis Ă  cette place, aspirant Ă  franchir ces hauteurs, Ă©garant ma pensĂ©e au sein des bois et des vallons, qui s’offraient Ă  mes yeux dans un gracieux crĂ©puscule, et, lorsqu’au moment fixĂ© il me fallait revenir, avec quel regret ne quittais-je pas cette place chĂ©rie !
 J’approchai de la ville : je saluai tous les anciens pavillons de jardin ; les nouveaux me dĂ©plurent, comme tous les changements qu’on avait faits. Je franchis la porte de la ville, et d’abord je me retrouvai tout Ă  fait. Mon ami, je ne veux pas m’arrĂȘter au dĂ©tail : autant il eut de charme pour moi, autant il serait monotone dans le rĂ©cit. J’avais rĂ©solu de me loger sur la place, tout Ă  cĂŽtĂ© de notre ancienne maison. Je remarquai, sur mon passage, que la chambre d’école, oĂč une bonne vieille femme avait parquĂ© notre enfance, s’était transformĂ©e en une boutique de dĂ©tail. Je me rappelai l’inquiĂ©tude, les chagrins, l’étourdissement, l’angoisse que j’avais endurĂ©s dans ce trou
. Je ne pouvais faire un pas qui ne m’offrĂźt quelque chose de remarquable. Un pĂšlerin ne trouve pas en terre sainte autant de places consacrĂ©es par de religieux souvenirs, et je doute que son ame soit aussi remplie de saintes Ă©motions
. Encore un exemple sur mille : je descendis le long de la riviĂšre, jusqu’à une certaine mĂ©tairie. C’était aussi mon chemin autrefois, et la petite place oĂč les enfants s’exerçaient Ă  qui ferait le plus souvent rebondir les pierres plates Ă  la surface de l’eau. Je me rappelai vivement comme je m’arrĂȘtais quelquefois Ă  suivre des yeux le cours de la riviĂšre ; avec quelles merveilleuses conjectures je l’accompagnais ; quelles Ă©tranges peintures je me faisais des contrĂ©es oĂč elle allait courir ; comme je trouvais bientĂŽt les bornes de mon imagination, et pourtant me sentais entraĂźnĂ© plus loin, toujours plus loin, et finissais par me perdre dans la contemplation d’un vague lointain
. Mon ami, aussi bornĂ©s, aussi heureux, Ă©taient les vĂ©nĂ©rables pĂšres du genre humain ; aussi enfantines, leurs impressions, leur poĂ©sie. Quand Ulysse parle de la mer immense et de la terre infinie, cela est vrai, humain, intime, saisissant et mystĂ©rieux. Que me sert maintenant de pouvoir rĂ©pĂ©ter, avec tous les Ă©coliers, qu’elle est ronde ? Il n’en faut Ă  l’homme que quelques mottes pour vivre heureux dessus, et moins encore pour dormir dessous

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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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ROMÉO. — Elle parle : oh, parle encore, ange brillant ! car lĂ  oĂč tu es, au-dessus de ma tĂȘte, tu me parais aussi splendide au sein de cette nuit que l’est un messager ailĂ© du ciel aux-regards Ă©tonnĂ©s des mortels ; lorsque rejetant leurs tĂȘtes en arriĂšre, on ne voit plus que le blanc de leurs yeux, tant leurs prunelles sont dirigĂ©es-en haut pour le contempler, pendant qu’il chevauche sur les nuages Ă  la marche indolente et navigue sur le sein de l’air. JULIETTE. — Ô RomĂ©o, RomĂ©o ! pourquoi es-tu RomĂ©o ? Renie ton pĂšre, ou rejette ton nom ; ou si tu ne veux pas, lie-toi seulement par serment Ă  mon amour, et je ne serai pas plus longtemps une Capulet. ROMÉO, Ă  part. — En entendrai-je davantage, ou rĂ©pondrai-je Ă  ce qu’elle rient de dire JULIETTE. — C’est ton nom seul qui est mon ennemi. AprĂšs tout tu es toi-mĂȘme, et non un Montaigu. Qu’est-ce qu’un Montaigu ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un, visage, ni toute autre partie du corps appartenant Ă  un homme. Oh ! porte un autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? La fleur que nous nommons la rose, sentirait tout aussi bon sous un autre nom ; ainsi RomĂ©o, quand bien mĂȘme il ne serait pas appelĂ© RomĂ©o, n’en garderait pas moins la prĂ©cieuse perfection : qu’il possĂšde. Renonce Ă  ton nom RomĂ©o, et en place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi toute entiĂšre. ROMÉO. — Je te prends au mot : appelle-moi seulement : ton amour, et je serai rebaptisĂ©, et dĂ©sormais je ne voudrai plus ĂȘtre RomĂ©o. JULIETTE. — Qui es-tu, toi qui, protĂ©gĂ© par la nuit, viens ainsi surprendre les secrets de mon Ăąme ? ROMÉO. — Je ne sais de quel nom me servir pour te dire qui je suis : mon nom, chĂšre sainte, m’est odieux Ă  moi-mĂȘme, parce qu’il t’est ennemi ; s’il Ă©tait Ă©crit, je dĂ©chirerais le mot qu’il forme. JULIETTE. — Mes oreilles n’ont pas encore bu cent paroles de cette voix, et cependant j’en reconnais le son n’es-tu pas RomĂ©o, et un Montaigu ? ROMÉO. — Ni l’un, ni l’autre, belle vierge, si l’un ou l’autre te dĂ©plaĂźt. JULIETTE. — Comment es-tu venu ici, dis-le-moi, et pourquoi ? Les murs du jardin sont Ă©levĂ©s et difficiles Ă  escalader, et considĂ©rant qui tu es, cette place est mortelle pour toi, si quelqu’un de mes parents t’y trouve. ROMÉO. — J’ai franchi ces murailles avec les ailes lĂ©gĂšres de l’amour, car des limites de pierre ne peuvent arrĂȘter l’essor de l’amour ; et quelle chose l’amour peut-il oser qu’il ne puisse aussi exĂ©cuter ? tes parents ne me, sont donc pas un obstacle. JULIETTE. — S’ils te voient, ils t’assassineront. ROMÉO. — HĂ©las ! il y a plus de pĂ©rils, dans tes yeux que dans vingt de leurs Ă©pĂ©es : veuille seulement abaisser un doux regard sĂ»r moi, et je suis cuirassĂ© contre leur inimitiĂ©. JULIETTE. — Je ne voudrais pas, pour le monde entier, qu’ils te vissent ici. ROMÉO. — J’ai le manteau de la nuit pour me dĂ©rober Ă  leur vue et d’ailleurs, Ă  moins que tu ne m’aimes, ils peuvent me trouver, s’ils veulent : mieux vaudrait que leur haine mĂźt fin Ă  ma vie, que si ma mort Ă©tait retardĂ©e, sans que j’eusse ton amour ; JULIETTE. — Quel est celui qui t’a enseignĂ© la direction de cette place ? ROMÉO. — C’est l’Amour, qui m’a excitĂ© Ă  la dĂ©couvrir ; il m’a prĂȘtĂ© ses conseils, et je lui ai prĂȘtĂ© mes yeux. Je ne suis pas pilote ; cependant fusses-tu aussi Ă©loignĂ©e que le vaste rivage baignĂ© par la plus lointaine nier, je m’aventurerais pour une marchandise telle que toi.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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JULIETTE.—Oh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la libertĂ©. Terre vile, rends-toi Ă  la terre; que tout mouvement s’arrĂȘte, et qu’une mĂȘme biĂšre presse de son poids et RomĂ©o et toi. LA NOURRICE.—O Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que j’eusse! O aimable Tybalt, honnĂȘte cavalier, faut-il que j’aie vĂ©cu pour te voir mort! JULIETTE.—Quelle est donc cette tempĂȘte qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? RomĂ©o est-il tuĂ©, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chĂ©ri et mon Ă©poux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-lĂ  sont morts? LA NOURRICE.—Tybalt est mort, et RomĂ©o est banni: RomĂ©o, qui l’a tuĂ©, est banni. JULIETTE.—O Dieu! la main de RomĂ©o a-t-elle versĂ© le sang de Tybalt? LA NOURRICE.—Il l’a fait, il l’a fait! O jour de malheur! il l’a fait! JULIETTE.—O coeur de serpent cachĂ© sous un visage semblable Ă  une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angĂ©lique dĂ©mon, corbeau couvert des plumes d’une colombe, agneau transportĂ© de la rage du loup, mĂ©prisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais Ă  juste titre, damnable saint, traĂźtre plein d’honneur! O nature, qu’allais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de l’ñme d’un dĂ©mon? Jamais livre contenant une aussi infĂąme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais? LA NOURRICE.—Il n’y a plus ni sincĂ©ritĂ©, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! oĂč est mon valet? Donnez-moi un peu d’aqua vité
.. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit Ă  RomĂ©o! JULIETTE.—Maudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il n’est pas nĂ© pour la honte: la honte rougirait de s’asseoir sur son front; c’est un trĂŽne oĂč on peut couronner l’honneur, unique souverain de la terre entiĂšre. Oh! quelle brutalitĂ© me l’a fait maltraiter ainsi? LA NOURRICE.—Quoi! vous direz du bien de celui qui a tuĂ© votre cousin? JULIETTE.—Eh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre Ă©poux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je l’ai ainsi dĂ©chirĂ©? Mais pourquoi, traĂźtre, as-tu tuĂ© mon cousin? Ah! ce traĂźtre de cousin a voulu tuer mon Ă©poux.—Rentrez, larmes insensĂ©es, rentrez dans votre source; c’est au malheur qu’appartient ce tribut que par mĂ©prise vous offrez Ă  la joie. Mon Ă©poux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon Ă©poux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleurĂ©-je? Ah! c’est qu’il y a lĂ  un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui m’a assassinĂ©e.—Je voudrais bien l’oublier; mais, ĂŽ ciel! il pĂšse sur ma mĂ©moire comme une offense digne de la damnation sur l’ñme du pĂ©cheur. Tybalt est mort, et RomĂ©o est
.. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tuĂ© pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt Ă©tait un assez grand malheur, tout eĂ»t-il fini lĂ ; ou si les cruelles douleurs se plaisent Ă  marcher ensemble, et qu’il faille nĂ©cessairement que d’autres peines les accompagnent, pourquoi, aprĂšs m’avoir dit: «Tybalt est mort,» n’a-t-elle pas continuĂ©: «ton pĂšre aussi, ou ta mĂšre, ou tous les deux?» cela eĂ»t excitĂ© en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arriĂšre-garde qui a suivi la mort de Tybalt, RomĂ©o est banni; par ce seul mot, pĂšre, mĂšre, Tybalt, RomĂ©o, Juliette, tous sont assassinĂ©s, tous morts. RomĂ©o banni! Il n’y a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort qu’apporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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Les deux femmes, vĂȘtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sƓur, elles jetĂšrent dessus des fleurs et de l’eau bĂ©nite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeĂątre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumĂšrent deux petites bougies qui Ă©taient sur la table de nuit, s’agenouillĂšrent et me dirent de prier comme elles. Je priai, oh ! bien fort, le plus qu’il m’était possible ! mais rien
 LĂ©lia ne remuait pas ! Je fus longtemps ainsi agenouillĂ©, la tĂȘte sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me dĂ©chirant l’ñme avec des priĂšres et des vƓux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indĂ©cises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, Ă  une place, une forme ronde qui devait ĂȘtre La tĂȘte, et plus bas une autre qui semblait ĂȘtre les pieds. Je croyais, moi, pauvre naĂŻf enfant, je croyais que la priĂšre pouvait rendre la vie Ă  un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur ! Oh ! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passĂ©e Ă  prier sur un cadavre, Ă  pleurer, Ă  vouloir faire renaĂźtre le nĂ©ant ! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, Ă  la lueur de deux cierges mortuaires, entourĂ© de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vĂ©nales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scĂšne de dĂ©sespoir et de deuil vous remplit le cƓur : enfant, de tristesse et d’amertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de dĂ©sespoir ! Le jour arriva. Mais quand le jour commença Ă  paraĂźtre, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient Ă  mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissĂšrent seul. Je courus aprĂšs elles, et me traĂźnant Ă  leurs pieds, m’attachant Ă  leurs vĂȘtements : — Ma sƓur ! leur dis-je, eh bien, ma sƓur ! oui, LĂ©lia ! oĂč est-elle ? Elles me regardĂšrent Ă©tonnĂ©es. — Ma sƓur ! vous m’avez dit de prier, j’ai priĂ© pour qu’elle revienne, vous m’avez trompĂ© ! — Mais c’était pour son Ăąme ! Son Ăąme ? Qu’est-ce que cela signifiait ? On m’avait souvent parlĂ© de Dieu, jamais de l’ñme. Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eĂ»t demandĂ© ce qu’il Ă©tait, eh bien, j’aurais pris La linotte de LĂ©lia, et, lui brisant la tĂȘte entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais l’ñme ? l’ñme ? qu’est-ce cela ? J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allĂšrent sans me rĂ©pondre. Son Ăąme ! eh bien, elles m’ont trompĂ©, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était LĂ©lia, LĂ©lia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; c’était Lelia, ma belle petite sƓur aux grands yeux bleus, LĂ©lia qui m’embrassait le soir aprĂšs sa poupĂ©e, aprĂšs son mouton chĂ©ri, aprĂšs sa linotte. Pauvre sƓur ! c’était toi que je demandais Ă  grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me rĂ©pondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as priĂ© non pour elle, mais tu as priĂ© pour son Ăąme ! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue Ă©trangĂšre ; tu as priĂ© pour un souffle, pour un mot, pour le nĂ©ant, pour son Ăąme enfin ! » Son Ăąme, son Ăąme, je la mĂ©prise, son Ăąme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait Ă  moi, son Ăąme ? savez-vous ce que c’est que son Ăąme ? Mais c’est son corps que je veux ! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin ! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela. Ces femmes m’ont trompĂ©, eh bien, je les ai maudites. Cette malĂ©diction est retombĂ©e sur moi, philosophe imbĂ©cile qui ne sais pas comprendre un mot sans L’épeler, croire Ă  une Ăąme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au PromĂ©thĂ©e d’Eschyle, je brave les coups et que je mĂ©prise trop pour blasphĂ©mer.
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Gustave Flaubert (La derniÚre heure : Conte philosophique inachevé)
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Te voilĂ  bien fier, hein ? Oui, je sers un fou, Mais toi, qui sers-tu ? La vertu ? je vais te dire ce que j'en pense. Je suis nĂ© esclave. Alors, l'air de la vertu, honnĂȘte homme, je l'ai d'abord dansĂ© sous le fouet. CaĂŻus, lui, ne m'a pas fait de discours. Il m'a affranchi et pris dans son palais. C'est ainsi que j'ai pu vous regarder, vous les vertueux. Et j'ai vit que vous aviez sale mine et pauvre odeur, l'odeur fade de ceux qui n'ont jamais rien souffert ni risquĂ©. J'ai vu les dra-pĂ©s nobles, mais l'usure au coeur, le visage avare, la main fuyante. Vous, des juges ? Vous qui tenez boutique de vertu, qui rĂȘvez de sĂ©curitĂ© comme la jeune fille rĂȘve d'amour, quiallez pourtant mourir dans l'effroi sans mĂȘme savoir que vous avez menti toute votre vie, vous vous mĂȘleriez de juger celui qui a souffert sans compter, et qui saigne tous les jours de mille nouvelles blessures ? Vous me frapperez avant, sois-en sĂ»r ! MĂ©prise l'esclave, Cherea ! Il est au-dessus de ta vertu puisqu'il peut encore aimer ce maĂźtre mi-sĂ©rable qu'il dĂ©fendra contre vos nobles mensonges, vos bouches parjures...
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Albert Camus (Caligula)
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C'est-Ă -dire que vous ne soupçonniez pas qu'il y eĂ»t d'autre nourriture que le lait qui est cependant une nourriture aussi substantielle que les autres. Car le Verbe est tour Ă  tour doux et fluide comme le lait, tour Ă  tour 33 compacte et resserrĂ© comme les autres aliments. En y rĂ©flĂ©chissant bien, nous comparerons le lait Ă  la prĂ©dication de la parole divine qui coule et se rĂ©pand de tous cĂŽtĂ©s, et la nourriture solide Ă  la foi qui, aidĂ©e de l'instruction, devient le fondement inĂ©branlable de toutes nos actions. Par cette nourriture, notre Ăąme se change pour ainsi dire en un corps ferme et solide. Telle est la nourriture dont le Seigneur nous parle dans l'Ă©vangile selon saint Jean, lorsqu'il nous dit : « Mangez ma chair et buvez mon sang. » Cette nourriture est l'image Ă©vidente de la foi et de la promesse. Par ce breuvage et cet aliment, l'Église, semblable Ă  un homme formĂ© de plusieurs membres, est arrosĂ©e et solidifiĂ©e. Elle nourrit son corps et son Ăąme : son corps, de foi; son Ăąme, d'espĂ©rance. Elle devient comme le Seigneur, qui est un composĂ© de chair et de sang. L'espĂ©rance est le sang de la foi, c'est elle qui l'anime et la fait vivre dans notre Ăąme. DĂ©truisez l'espĂ©rance, la vie de la foi s'Ă©teint comme celle d'un homme qui perd son sang.
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Clement of Alexandria (Le PĂ©dagogue, Tome 1)
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Et vous ne dĂ©sirez rien ? — Non. — Et vous ne regrettez rien ? — Ni regret ni dĂ©sir. J'ai arrangĂ© ma vie. — Ce qu'arrangent les hommes, dit Claude, les choses le dĂ©rangent. — Je suis un philosophe pyrrhonien, rĂ©pondit Gringoire, et je tiens tout en Ă©quilibre. — Et comment la gagnez-vous, votre vie ? — Je fais encore çà et lĂ  des Ă©popĂ©es et des tragĂ©dies ; mais ce qui me rapporte le plus, c'est l'industrie que vous me connaissez, mon maĂźtre. Porter des pyramides de chaises sur mes dents. — Le mĂ©tier est grossier pour un philosophe. — C'est encore de l'Ă©quilibre, dit Gringoire. Quand on a une pensĂ©e, on la retrouve en tout. — Je le sais, rĂ©pondit l'archidiacre. AprĂšs un silence, le prĂȘtre reprit : — Vous ĂȘtes nĂ©anmoins assez misĂ©rable ? — MisĂ©rable, oui ; malheureux, non.
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Victor Hugo
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Je sais aussi que quand votre fils de cinq mois se rĂ©veille Ă  deux heures du matin et pleure avec persistance sans raison apparente vous ne l'aimez pas beaucoup Ă  ce moment-lĂ . Soyez tranquille, il a une raison pour pleurer, mĂȘme si vous ne la dĂ©couvrez pas immĂ©diatement. Si vous ĂȘtes irritĂ©, tĂąchez de ne pas le montrer. La voix d'un homme est plus terrifiante pour un enfant que celle d'une femme et vous ne savez pas quelle peur permanente vous pouvez laisser s'infiltrer dans un bĂ©bĂ© un criant trĂšs fort au mauvais moment. "Ne prenez pas le bĂ©bĂ© dans votre lit", dit le manuel d'instructions aux parents. Oubliez-le. Donnez Ă  votre bĂ©bĂ© autant de baisers et de caresses que vous pouvez. Ne vous servez pas de vos enfants pour vous enorgueillir. Soyez aussi prudent pour louer que pour blĂąmer. C'est mauvais de chanter les louanges d'un enfant en sa prĂ©sence. Oui, bien sĂ»r, Mary travaille trĂšs bien. PremiĂšre de sa classe ce mois-ci. C'est une enfant intelligente. Non pas que vous ne devez pas faire d'Ă©loges Ă  votre enfant. Il est bon de dire Ă  votre fils : "C'est un bien joli cerf-volant que tu as fait lĂ ", mais les Ă©loges au service des autres sont inutiles. Les jeunes oies dressent le cou aussi bien que les cygnes quand on les admire. Par contre, si votre enfant ne rĂ©ussit pas ce qu'il fait, n'enfoncez pas le couteau dans la plaie. MĂȘme si le carnet de notes n'est pas bon, ne dites rien. Et si Billy rentre en pleurant parce qu'il a Ă©tĂ© vaincu dans une bataille avec les copains, ne lui dites pas qu'il est une mauviette. Si jamais vous dites "Quand j'avais ton Ăąge
" vous faites une grande erreur. En somme, acceptez votre enfant tel qu'il est et retenez-vous d'essayer de le faire vous ressembler. Ma devise pour la maison, en toute circonstance, c'est Pour l'amour du ciel, laissez les gens vivre leur vie. C'est une attitude qui sied Ă  toutes les situations. C'est la seule attitude qui encourage la tolĂ©rance. On apprend aux enfants Ă  ĂȘtre tolĂ©rants en leur montrant de la tolĂ©rance. (p. 168-169)
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A.S. Neill (Summerhill: A Radical Approach to Child Rearing)
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Aujourd'hui, mes amis, en Ă©voquant Helen devant vous, je suis Ă  la fois dĂ©sespĂ©rĂ© de l'avoir perdue, et reconnaissant de l'avoir cĂŽtoyĂ©e. Nous n'apprivoisons pas assez la mort. N'oublions pas qu'elle est inhĂ©rente Ă  la vie. Il faut parler des disparus pour qu'ils restent vivants. Si, par pudeur, on Ă©vite d'Ă©voquer leur mĂ©moire, alors on les enterre pour de bon. Il y a quelques semaines, j'ai eu le bonheur de retrouver les Gahalowood en Floride. Nous avons dinĂ© chez mon oncle Saul, qui est un homme cher Ă  mon cƓur. J'ai Ă©tĂ© trĂšs heureux que mon oncle rencontre Helen. Et, si vous me le permettez, je voudrais le citer ici, et reprendre les mots qu'il a prononcĂ©s Ă  l'enterrement de ma tante Anita : « La grande faiblesse de la mort, c'est qu'elle ne peut venir Ă  bout que de la matiĂšre. Elle ne peut rien contre les souvenirs et les sentiments. Au contraire, elle les ravive et les ancre en nous pour toujours, comme pour se faire pardonner en nous disant : C'est vrai, je vous enlĂšve beaucoup, mais regardez tout ce que je vous laisse. »
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Joël Dicker (L'Affaire Alaska Sanders)
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Mais la description de ces conquĂȘtes n’aurait que peu d’intĂ©rĂȘt sans l’histoire des hommes et des femmes qui les ont rĂ©alisĂ©es. La recherche scientifique est un travail cumulatif et collectif, transcendant les gĂ©nĂ©rations et mĂȘme le champ limitĂ© des chercheurs professionnels. C’est pour cette raison que j’ai essayĂ© d’écrire un livre qui ne traite pas seulement de l’astronomie, mais aussi des astronomes. J'ai recherchĂ© les histoires de ceux qui sont arrivĂ©s Ă  un pas de la ligne d'arrivĂ©e et qui, par manque de chance, se sont arrĂȘtĂ©s plus tĂŽt, ou de ceux qui ont obstinĂ©ment insistĂ© sur des idĂ©es qui n'Ă©taient pas comprises, voire fausses. Sans leurs efforts et leurs frustrations, nous ne serions pas lĂ  pour parler des 6 000 planĂštes connues de la galaxie
 et de toutes les autres que nous dĂ©couvrirons. Et depuis que j'ai eu l'opportunitĂ© d'ĂȘtre astronome Ă  une Ă©poque si heureuse, ma vie personnelle s'est mĂȘlĂ©e Ă  l'histoire scientifique de ces annĂ©es, et donc en quelques pages, le lecteur trouvera Ă©galement certaines de mes questions et de mes expĂ©riences.
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Giovanni Covone (Altre Terre: Viaggio alla scoperta di pianeti extrasolari (Italian Edition))
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Me voici donc prĂȘt Ă  me libĂ©rer de mes anciens attachements pour pouvoir me consacrer pleinement Ă  la recherche du bien suprĂȘme. Un doute pourtant me retient
 Ce choix n’est-il pas dangereux ? Les plaisirs, les richesses et les honneurs ne sont certes pas des biens suprĂȘmes, mais au moins, ils existent
 Ce sont des biens certains. Alors que ce bien suprĂȘme qui est censĂ© me combler en permanence de joie n’est pour l’instant qu’une supposition de mon esprit
 Ne suis-je pas en train de m’engager dans une voie pĂ©rilleuse ? Non : Ă  la rĂ©flexion je vois bien que je ne cours aucun risque en changeant de vie : c’est au contraire en continuant Ă  vivre comme avant que je courrais le plus grand danger. Car l’attachement aux biens relatifs est un mal certain puisque aucun d’eux ne peut m’apporter le bonheur !!! Au contraire, la recherche des moyens du bonheur est un bien certain : elle seule peut m’offrir la possibilitĂ© d’ĂȘtre un jour rĂ©ellement heureux, ou au moins plus heureux
 Le simple fait de comprendre cela me dĂ©termine Ă  prendre dĂ©finitivement et fermement la rĂ©solution de me dĂ©tacher immĂ©diatement de la recherche des plaisirs, des richesses et des honneurs, pour me consacrer en prioritĂ© Ă  la crĂ©ation de mon bonheur, c’est-Ă -dire Ă  la culture des joies les plus solides et les plus durables, par la recherche des biens vĂ©ritables. Au moment mĂȘme oĂč cette pensĂ©e jaillit, je sens apparaĂźtre en moi un immense sentiment d’enthousiasme, une sorte de libĂ©ration de mon esprit. J’éprouve un incroyable soulagement, comme si j’avais attendu ce moment toute ma vie. Une joie toute nouvelle vient de se lever en moi, une joie que je n’avais jamais ressentie auparavant : la joie de la libertĂ© que je viens d’acquĂ©rir en dĂ©cidant de ne vivre dĂ©sormais que pour crĂ©er mon bonheur. J’ai l’impression d’avoir Ă©chappĂ© Ă  immense danger
 Comme si je me trouvais Ă  prĂ©sent en sĂ©curitĂ© sur le chemin du salut
 Car mĂȘme si je ne suis pas encore sauvĂ©, mĂȘme si je ne sais pas encore en quoi consistent exactement ces biens absolus, ni mĂȘme s’il existe rĂ©ellement un bien suprĂȘme, je me sens dĂ©jĂ  sauvĂ© d’une vie insensĂ©e, privĂ©e d’enthousiasme et vouĂ©e Ă  une Ă©ternelle insatisfaction
 J’ai un peu l’impression d’ĂȘtre comme ces malades qui sont proches d’une mort certaine s’ils ne trouvent pas un remĂšde, n’ayant pas d’autre choix que de rassembler leurs forces pour chercher ce remĂšde sauveur. Comme eux je ne suis certes pas certain de le dĂ©couvrir, mais comme eux, je ne peux pas faire autrement que de placer toute mon espĂ©rance dans sa quĂȘte. Je l’ai maintenant compris avec une totale clartĂ©, les plaisirs, les richesses et l’opinion d’autrui sont inutiles et mĂȘme le plus souvent nĂ©fastes pour ĂȘtre dans le bonheur. Mieux : je sais Ă  prĂ©sent que mon dĂ©tachement Ă  leur Ă©gard est ce qu’il y a de plus nĂ©cessaire dans ma vie, si je veux pouvoir vivre un jour dans la joie. Du reste, que de maux ces attachements n’ont-ils pas engendrĂ© sur la Terre, depuis l’origine de l’humanitĂ© ! N’est-ce pas toujours le dĂ©sir de les possĂ©der qui a dressĂ© les hommes les uns contre les autres, engendrant la violence, la misĂšre et mĂȘme parfois la mort des hommes qui les recherchaient, comme en tĂ©moigne chaque jour encore le triste spectacle de l’humanitĂ© ? N’est-ce pas l’impuissance Ă  se dĂ©tacher de ces faux biens qui explique le malheur qui rĂšgne presque partout sur le Terre ? Au contraire, chacun peut voir que les sociĂ©tĂ©s et les familles vraiment heureuses sont formĂ©es d’ĂȘtres forts, paisibles et doux qui passent leur vie Ă  construire leur joie et celle des autres sans accorder beaucoup d’importance ni aux plaisirs, ni aux richesses, ni aux honneurs

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Bruno Giuliani
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Mon monde, ma responsabilité.
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Abhijit Naskar (AƟkanjali: The Sufi Sermon)
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Je soulĂšve donc de mes Ă©paules le fardeau du temps et, par la mĂȘme occasion, celui des performances que l'on exige de moi. Ma vie n'est pas quelque chose que l'on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n'est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche Ă  atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n'accomplit pas de performance : ce qui est parfait Ɠuvre en Ă©tat de repos. Il est absurde de prĂ©tendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait- mais en conservant sa libertĂ©. Il est Ă©galement absurde de prĂ©tendre que l'homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il Ă©crit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L'important est qu'il fasse ce qu'il fait en toute libertĂ© et en pleine conscience de ce que, comme tout autre dĂ©tail de la crĂ©ation, il est une fin en soi. Il repose en lui-mĂȘme comme une pierre sur le sable.
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Stig Dagerman (Il nostro bisogno di consolazione)
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Race stupide et idiote ! Tu te repentiras de te conduire ainsi. C’est moi qui te le dis. Tu t’en repentiras, va ! tu t’en repentiras. Ma poĂ©sie ne consistera qu’à attaquer, par tous les moyens, l’homme, cette bĂȘte fauve, et le CrĂ©ateur, qui n’aurait pas dĂ» engendrer une pareille vermine. Les volumes s’entasserons sur les volumes, jusqu’à la fin de ma vie, et, cependant, l’on n’y verra que cette seule idĂ©e, toujours prĂ©sente Ă  ma conscience !
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Comte de Lautréamont
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On s’égare parfois, on doute de l’évidence, mĂȘme quand on a dĂ©couvert les secrets d’une bonne vie. Ma solution, bien sĂ»r, ce n’est pas l’idĂ©al. Mais quand on n’aime pas sa vie, quand on sait qu’il faut en changer, on n’a pas le choix, n’est-ce pas ? Que faire pour ĂȘtre un autre ? Impossible. Il faudrait n’ĂȘtre plus personne, s’oublier pour quelqu’un, une fois, au moins. Mais comment ? Ne m’accablez pas trop. Je suis comme ce vieux mendiant qui ne voulait pas lĂącher ma main, un jour, Ă  la terrasse d’un cafĂ© : « Ah ! monsieur, disait-il, ce n’est pas qu’on soit mauvais homme, mais on perd la lumiĂšre. » Oui, nous avons perdu la lumiĂšre, les matins, la sainte innocence de celui qui se pardonne Ă  lui-mĂȘme.
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Albert Camus (The Fall)
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Alors, la sensation du Paradis descend des cieux. Et j’ai conscience de vivre un moment inoubliable de ma vie — cette conscience que trĂšs souvent nous atteignons aprĂšs que le moment magique est passĂ©. Je suis lĂ  tout entier, sans passĂ©, sans avenir, entiĂšrement concentrĂ© sur cette matinĂ©e, sur la musique des pattes des chevaux, sur la douceur du vent qui caresse mon corps, sur la grĂące inattendue de contempler le ciel, la terre et les hommes.
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Paulo Coelho (The Zahir)
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D'un bout du monde Ă  l'autre, d'un bout Ă  l'autre du temps, rien que des hommes qui tournent en rond, gardiens et gardĂ©s, qui s'emplissent et qui se vident. Ils ne savent pas pourquoi on les a fichus lĂ . Ils s'imaginent qu'ils payent pour une faute. Que c'est Ă  cause du bon Dieu. Ils n'osent pas s'avouer que c'est Ă  cause de rien du tout. Et pourtant c'est bien plus beau ainsi, bien plus terrible. L'Histoire apparaĂźt enfin dans sa gratuitĂ© absolue, dans son inconcevable cruautĂ©. On peut se dĂ©fendre avec des mots, des thĂ©ories. Mais c'est tricher. Beuret triche quand il parle du sens de la vie. Ça n'a pas de sens, le sens de la vie. Je ne veux pas tricher. J'ai fait ça toute ma vie. J'en ai assez. Je ne veux plus me dĂ©fendre contre cette Ă©vidence dĂ©chirante de l'absurditĂ©. On a construit aussi des philosophies lĂ -dessus. Je sais. Mais j'en ai assez des philosophies, L'absurditĂ©, ça ne se dĂ©montre pas, ça ne se raisonne pas, ça ne sert pas Ă  faire des confĂ©rences ou des articles dans les revues. On l'Ă©prouve dans tout son ĂȘtre. C'est une rĂ©vĂ©lation vivante qui, Ă  de certains moments intenses, emporte tout.
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Georges Hyvernaud (La Peau et les Os)
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Comme s'il était arrivé au bout de sa science et de sa bonne volonté, Céleste s'est alors retourné vers moi. Il m'a semblé que ses yeux brillaient et que ses lÚvres tremblaient. Il avait l'air de me demander ce qu'il pouvait encore faire. Moi, je n'ai rien dit, je n'ai fait aucun geste, mais c'est la premiÚre fois de ma vie que j'ai eu envie d'embrasser un homme.
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Albert Camus (The Stranger)
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Je n’en mourus pas. Mais quand ma voix se tut et de vis la terre refermĂ©e, je voulus la refaire surgir du nĂ©ant, rappeler Ă  la vie le hideux vieillard, permettre Ă  son existence de se poursuivre mĂȘme si son ĂȘtre ne pouvais pas vivre. Il mĂ©ritait de mourir, sauf que rien ne mĂ©rite la mort, et j’aurais pu devenir fou en cet instant, partagĂ© entre le besoin de ramener Ă  la vie l’homme et la maison, et la certitude que leur destruction Ă©tait nĂ©cessaire.
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Orson Scott Card (A Planet Called Treason)
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Partir. Mon coeur bruissait de gĂ©nĂ©rositĂ©s emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais Ă  ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : «J'ai longtemps errĂ© et je reviens vers la hideur dĂ©sertĂ©es de vos plaies ». Je viendrais Ă  ce pays mien et je lui dirais : « Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerais ». Et je lui dirai encore : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la libertĂ© de celles qui s'affaissent au cachot du dĂ©sespoir. » Et venant je me dirais Ă  moi mĂȘme : « Et surtout mon corps aussi bien que mon Ăąme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stĂ©rile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »
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Aimé Césaire
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Pour moi, une nouvelle vie commençait, et, dorĂ©navant, ce serait ma vie, fruit de mes dĂ©cisions, de mes choix, de ma volontĂ©. Adieu les doutes, les hĂ©sitations, les peurs d'ĂȘtre jugĂ©, de ne pas ĂȘtre capable, de ne pas ĂȘtre aimĂ©. Je vivrai chaque instant en conscience, en accord avec moi-mĂȘme et avec mes valeurs. Je resterai altruiste, mais en gardant Ă  l'esprit que le premier cadeau Ă  faire aux autres est mon Ă©quilibre. J'accepterai les difficultĂ©s comme des Ă©preuves Ă  passer, des cadeaux que m'offre la vie pour apprendre ce que je dois apprendre afin d'Ă©voluer. Je ne serai plus victime des Ă©vĂ©nements, mais acteur d'un jeu dont les rĂšgles se dĂ©couvrent au fur et Ă  mesure, et dont la finalitĂ© gardera toujours une part de mystĂšre.
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Laurent Gounelle (L'homme qui voulait ĂȘtre heureux)
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Je regarde : pas une de ces collines autour de moi qui ne se peuple d’anciennes prĂ©sences oĂč je puisais chaque fois la mĂȘme angoisse et le mĂȘme apaisement. [
] Un seul appel et les voici tous autour de moi, ces hommes qu’au long des annĂ©es j’ai rejoints dans leur solitude passagĂšre pour les mieux interroger sous la vivante lumiĂšre des saisons. « Qui es-tu ? » demandais-je au faucheur, au laboureur, au herseur, au moissonneur, Ă  demi submergĂ© d’épis — ces taches au loin blanches, fauves, ou bleues perdues dans l’immense paysage — et tous Ă  ma question silencieuse ont donnĂ© la rĂ©ponse la plus simple, la plus belle qui se puisse : « Je suis ». Mais avec eux le pays tout entier rĂ©pondait aussi et sa rĂ©ponse Ă©tait la mĂȘme. Car je le sais enfin, un perpĂ©tuel et profond Ă©change le lie Ă  chacun d’eux. Le ciel d’aoĂ»t se fanerait comme une fleur de lin s’il ne reprenait vie Ă  leur regard, le vent retomberait comme un oiseau mort s’il ne devenait leur souffle. (« Campagne perdue », in « Écrits », vol. 3, 1978, pp. 196 - 198)
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Gustave Roud
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Chant de la Nouvelle-France La Nouvelle-France est un art d'amour, pas une tache de haine et d'ignorance. La Nouvelle-France est une terre de promesses, pas une terre d'indifférence. La Nouvelle-France est une France meilleure, on n'a plus soif de sang. Nous travaillons ensemble sans division, pour faire partie intégrante du monde. Le Hijab, l'habit, le turban, tous égaux - Ce qui est inacceptable, c'est l'intolérance. Les mesures primitives sont inutiles, Le caractÚre triomphe en Nouvelle-France. La Nouvelle-France est un art d'aimer, hors de portée des singes haineux. La Nouvelle-France est célébration de la vie, pas une validation de préjugés ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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Hymne du Nouveau Canada Le Nouveau-Canada est un art d'amour, pas une tache de haine et d'ignorance. Le Nouveau Canada est une terre de promesses et non une terre d’indiffĂ©rence. Le Nouveau Canada est un Canada meilleur, Notre vrai Nord est l’amour. Nous travaillons ensemble sans division, pour faire partie intĂ©grante du monde. Le Hijab, l'habit, le turban, tous Ă©gaux - Ce qui est inacceptable, c'est l'intolĂ©rance. Le caractĂšre triomphe au Nouveau-Canada, Les traditions primitives sont insignifiantes. Le Nouveau-Canada est un art d'aimer, hors de portĂ©e des singes haineux. Le Nouveau-Canada est cĂ©lĂ©bration de la vie, pas une validation de prĂ©jugĂ©s ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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Un soir de juin, Ubac n'a pas voulu dormir dans la maison. Ca ne lui arrive jamais. Habituellement, il se love dans le hall d'entrĂ©e, merveille de vigie. Ce soir-lĂ , il n'en Ă©tait pas question. Il s'est Ă©tendu au bout de la terrasse, loin des murs, loin du chĂątaignier, loin de l'homme. Je l'ai appelĂ©, il m'a ignorĂ©, je pensai qu'il avait trop chaud Ă  l'intĂ©rieur. Cette nuit-lĂ , la terre a tremblĂ©, nous rĂ©veillant Mathilde et moi, je jetai un Ɠil dehors, Ubac dormait paisiblement. "2,6 sur l'Ă©chelle de Richter" titrait au matin Le DauphinĂ© LibĂ©rĂ©, c'est un petit score, mais de dedans, c'est assez. A Ă©tudier de prĂšs nos talents de maçons, ce chien avait sans doute Ă©mis quelques doutes quant Ă  la tenue du bĂąti. Trois ans plus tard aprĂšs des centaines de nuits Ă  nouveau dans l'entrĂ©e, Ubac rejoua la scĂšne, n'envisageant sa nuit qu'en compagnie des Ă©toiles. En plaisantant, Mathilde dit: "Compagnons, tenons-nous prĂȘts, la terre va trembler cette nuit !" Le lendemain, Le DauphinĂ© affichait un 3 plus flatteur, et quelques granges centenaires avaient abdiquĂ©. Il savait. Ce chien Ă  la vie douillette serait donc de la trempe des Ă©lĂ©phants de Yala flairant fuyant le tsunami ? Qui lui a dit ?
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CĂ©dric Sapin-Defour (Son odeur aprĂšs la pluie)
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Le Nouveau-Canada est un art d'aimer, hors de portée des singes haineux. Le Nouveau-Canada est célébration de la vie, pas une validation de préjugés ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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Mes racines sont ancrĂ©es dans l’humanitĂ© et non dans une culture ou une nation. Le Cosmos parcourt mes corpuscules, Ma vie est un appel Ă  l'expansion.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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La Nouvelle-France est un art d'aimer, hors de portée des singes haineux. La Nouvelle-France est célébration de la vie, pas une validation de préjugés ruineux.
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Abhijit Naskar (L'humain Impossible: Cent Sonnets pour Ma Famille Mondiale (French Edition))
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J’ai compris que si, moi, je leur donnais beaucoup de place dans ma vie, je n’étais pas leur prioritĂ©.
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Pauline Harmange (Moi les hommes, je les déteste)
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Jamais il ne commence une phrase par : La vie, tu verras 
 Je ne tiens de lui aucune parole de sagesse, aucune recommandation sur l’avenir, aucun cadeau de son expĂ©rience. Je ne l’entends pas m’encourager Ă  faire mes premiers pas ni Ă  tenir en Ă©quilibre sur un vĂ©lo. Il ne m’apprend ni Ă  ma raser ni Ă  planter un clou. Certes, j’entends parler ici ou lĂ  des principes fondateurs d’une vie d’homme, des bienfaits du travail, des vertus de la patience et des commandements de l’honnĂȘtetĂ©, mais comment les faire siens si aucun ĂȘtre de confiance ne vous les souffle Ă  l’oreille comme un secret dont vous ĂȘtes l’unique destinataire ? MĂȘme l’idiot, le taiseux, l’égocentrique, le poĂšte ou le tyran, quelles que soient ses valeurs, se sent investi du devoir de les transmettre. Je me serais contentĂ© d’un peu de sens commun, d’un poncif, d’un dicton populaire. MĂȘme un proverbe napolitain aurait fait l’affaire.
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Tonino Benacquista (Porca miseria)