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Si il y avait bien une chose que l'Occupation nous avait apprise, c'était à nous taire. A ne jamais montrer ce que nous pensions du IIIème Reich et de cette guerre. Nous n'étions que des détenus dans nos propres maisons, dans notre pays. Plus libres d'avoir une opinion. Parce que même nos pensées pouvaient nous enchaîner.
Ce soir, je l'avais oublié.
Pourtant il ne m'arrêta pas. Il ne me demanda pas de le suivre pour un petit interrogatoire. Après tout, il n'y avait que les résistants pour tenir un discours si tranché, non? Il n'y avait qu'eux pour oser dire de telles choses devant un caporal de la Wehrmacht. Alors pourquoi me tendit-il simplement sa fourche? Puisque la mienne était inutilisable...
J'hésitai à la prendre.
Quand je le fis, il refusa de la lâcher.
Nous restâmes là , une seconde. Nos mains se frôlant sur le manche en bois et nos regards accrochés.
- Je ne suis pas innocent c'est vrai, m'avoua-t-il. Je ne le serai jamais plus et je devrai vivre avec toutes mes fautes. J'ai tué, je tuerai sans doute encore. J'ai blessé et je blesserai encore. J'ai menti et je mentirai encore. Non, c'est vrai, il n'y a plus rien d'innocent en moi. Mais je l'ai été. Au début. Avant la guerre. Je l'étais vraiment, vous savez. Innocent.
Sa voix n'Ă©tait qu'un murmure.
- Pourquoi me dites-vous ça?
- Pour que vous le sachiez.
- Mais pourquoi? demandai-je encore.
Il recula d'un pas.
- Bonne soirée, monsieur Lambert, dit-il sans me répondre.
Il quitta les écuries sans un bruit. Aussi discrètement qu'il était arrivé.
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