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Tous les soirs, le président reçoit une longue note confidentielle qui dit les drames, les dangers et les dérives de la société française. On ne ressort pas indemne d’une telle lecture… Le poids de la responsabilité vous tombe dessus. "Vous avez le singe sur l’épaule", dit Emmanuel Macron. Il est au cœur de ce mistigri tragique, il subit la mort, il peut la donner.
La nuit tombe deux fois. Il est tard, généralement, quand le chef de l’État se plonge dans un amas de notes, des dizaines de pages qui disent tout de la noirceur humaine. Ici, des attentats sont déjoués, y compris en 2019 à deux pas de l’Élysée, opération fomentée par des terroristes en herbe – l’un des auteurs putatifs est âgé de dix-sept ans. Là , des Tchétchènes, accompagnés d’un imam, règlent leurs comptes dès que leur commerce est menacé. Précisons qu’il s’agit de drogue. La Côte d’Azur accueille de nouveaux touristes : après la mafia russe, les Nigérians goûtent la baie des Anges. Le crime est global, le crime est local, les faits divers sordides. Une grand-mère violée par des migrants, ça frappe…
Les informations viennent de la Direction générale de la sécurité intérieure, du service central du Renseignement territorial, de la préfecture de police de Paris, de la Division du renseignement de la gendarmerie nationale. La bureaucratie française a du bon… L’impeccable présentation de ces notes, sa régularité, sa monotonie presque, permettent de créer de la distance entre la violence et la raison qu’il faut garder à la tête de l’État. Chaque jour, le président reçoit une synthèse de documents avec un titre, un résumé logé dans un cartouche et une analyse étayée. La livraison du week-end couvre le samedi et le dimanche. Dans le bureau voisin, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, est destinataire d’un dossier identique. Il arrive aux deux hommes d’échanger dans la foulée, comme pour se partager un fardeau.
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"Si ces notes étaient publiées dans la presse… ", relève l’un de ceux qui les ont reçues. Comment ne pas céder à l’effet de loupe, comment garder l’âme sereine, préserver une forme de recul ? Bernard Cazeneuve, qui avait accès aux mêmes informations lorsqu’il était à Beauvau, écrit dans son livre À l’épreuve de la violence : "La question n’est plus de savoir si les éléments se déchaîneront, ou si par miracle nous serons épargnés, mais bien de deviner quand le tonnerre grondera, après que la foudre se sera abattue sur nous.
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