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Parfois, tu rĂȘves que le sommeil est une morte lente qui te gagne, une anestĂ©sie douce et terrible Ă la fois, une nĂ©crose heureuse : le froid monte le long de tes jambes, le long de tes bras, monte lentement, t'engourdit, t'annihile.
Ton orteil est une montagne lointaine, ta jambe un fleuve, ta joue est ton oreiller, tu loges tout entier dans ton pouce, tu fonds, tu coules comme du sable, comme du mercure.
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Georges Perec (Un homme qui dort)
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Le tumultueux torrent qui descend des montagnes va se perdre dans les ravins, mais la plus modeste goutte de rosée est aspirée par le soleil qui l'élÚve jusqu'aux étoiles.
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Saadi (ŰšÙŰłŰȘŰ§Ù ŰłŰčŰŻÛ)
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Les montagnes jouent Ă front renversĂ©. Les reflets sont plus beaux que la rĂ©alitĂ©. L'eau fĂ©conde l'image de sa profondeur, de son mystĂšre. La vibration Ă la surface situe la vision aux lisiĂšres du rĂȘve.
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Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
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Je voudrais ĂȘtre un huard, amoureux et paternel, nageant Ă la surface tranquille dâun lac profondĂ©ment sauvage, Ă la tombĂ©e de la nuit, entre deux montagnes dont les crans arrondis viennent plonger dans lâeau noire.
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Serge Bouchard (Les Yeux tristes de mon camion (French Edition))
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Le savoir des Ă©coles se borne Ă enseigner le "comment". C'est un savoir Ă©parpillĂ©, sans unitĂ© et sans direction. Ce n'est pas un chemin qui conduit vers le sommet de la montagne d'oĂč l'on pourra voir l'horizon et comprendre dans tous ses dĂ©tails l'ordonnance du paysage, c'est une plaine de sable dont on propose Ă l'homme d'Ă©tudier chaque grain. Ce savoir ne peut donner naissance qu'Ă une sociĂ©tĂ© de technique, sans sagesse et sans raison, aussi absurde et dangereuse dans son comportement qu'un camion-citerne lancĂ© sans conducteur sur une autoroute en pente.
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René Barjavel
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L'histoire des thĂ©ologies nous montre que les chefs religieux ont toujours affirmĂ© qu'au moyen de rituels, que par des rĂ©pĂ©titions de priĂšres ou de mantras, que par l'imitation de certains comportements, par le refoulement des dĂ©sirs, par des disciplines mentales et la sublimation des passions, que par un frein, imposĂ© aux appĂ©tits, sexuels et autres, on parvient aprĂšs s'ĂȘtre suffisamment torturĂ© l'esprit et le corps, Ă trouver un quelque-chose qui transcende cette petite vie.
Voilà ce que des millions de personnes soi-disant religieuses ont fait au cours des ùges ; soit en s'isolant, en s'en allant dans un désert, sur une montagne ou dans une caverne ; soit en errant de village en village avec un bol de mendiant ; ou bien en se réunissant en groupes, dans des monastÚres, en vue de contraindre leur esprit à se conformer à des modÚles établis.
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J. Krishnamurti (Freedom from the Known)
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- Offre ton identité au Conseil, jeune apprentie.
La voix Ă©tait douce, lâordre sans appel.
- Je mâappelle Ellana Caldin.
- Ton Ăąge.
Ellana hĂ©sita une fraction de seconde. Elle ignorait son Ăąge exact, se demandait si elle nâavait pas intĂ©rĂȘt Ă se vieillir. Les apprentis quâelle avait discernĂ©s dans lâassemblĂ©e Ă©taient tous plus ĂągĂ©s quâelle, le Conseil ne risquait-il pas de la considĂ©rer comme une enfant ? Les yeux noirs dâEhrlime fixĂ©s sur elle la dissuadĂšrent de chercher Ă la tromper.
- Jâai quinze ans.
Des murmures Ă©tonnĂ©s sâĂ©levĂšrent dans son dos.
Imperturbable, Ehrlime poursuivit son interrogatoire.
- Offre-nous le nom de ton maĂźtre.
- Jilano AlhuĂŻn.
Les murmures, qui sâĂ©taient tus, reprirent. Plus marquĂ©s, Ehrlime leva une main pour exiger un silence quâelle obtint immĂ©diatement.
- Jeune Ellana, je vais te poser une sĂ©rie de questions. A ces questions, tu devras rĂ©pondre dans lâinstant, sans rĂ©flĂ©chir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours dâeau, la source est ton Ăąme. Câest en remontant tes mots jusquâĂ ton Ăąme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prĂȘte ?
- Oui.
Une esquisse de sourire traversa le visage ridĂ© dâEhrlime.
- Quây a-t-il au sommet de la montagne ?
- Le ciel.
- Que dit le loup quand il hurle ?
- Joie, force et solitude.
- Ă qui sâadresse-t-il ?
- Ă la lune.
- OĂč va la riviĂšre ?
LâanxiĂ©tĂ© dâEllana sâĂ©tait dissipĂ©e. Les questions dâEhrlime Ă©taient trop imprĂ©vues, se succĂ©daient trop rapidement pour quâelle ait dâautre solution quây rĂ©pondre ainsi quâon le lui avait demandĂ©. Impossible de tricher. Cette Ă©vidence se transforma en une onde paisible dans laquelle elle sâimmergea, laissant Ehrlime remonter le cours de ses mots jusquâĂ son Ăąme, puisque câĂ©tait ce quâelle dĂ©sirait.
- Remplir la mer.
- Ă qui la nuit fait-elle peur ?
- Ă ceux qui attendent le jour pour voir.
- Combien dâhommes as-tu dĂ©jĂ tuĂ©s ?
- Deux.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Je suis moi.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Vent.
- MĂ©ritaient-ils la mort ?
- Je lâignore.
- Es-tu ombre ou lumiĂšre ?
- Je suis moi.
- Es-tu ombre ou lumiĂšre ?
- Les deux.
- OĂč se trouve la voie du marchombre ?
- En moi.
Ellana sâexprimait avec aisance, chaque rĂ©ponse jaillissant dâelle naturellement, comme une expiration aprĂšs une inspiration. FluiditĂ©. Le sourire sur le visage dâEhrlime Ă©tait revenu, plus marquĂ©, et une pointe de jubilation perçait dans sa voix ferme.
- Que devient une larme qui se brise ?
- Une poussiĂšre dâĂ©toiles.
- Que fais-tu devant une riviĂšre que tu ne peux pas traverser ?
- Je la traverse.
- Que devient une Ă©toile qui meurt ?
- Un rĂȘve qui vit.
- Offre-moi un mot.
- Silence.
- Un autre.
- Harmonie.
- Un dernier.
- Fluidité.
- Lâours et lâhomme se disputent un territoire. Qui a raison ?
- Le chat qui les observe.
- Marie tes trois mots.
- Marchombre.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous ĂȘtes si jolies mais la barque s'Ă©loigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Or des vergers fleuris se figeaient en arriĂšre
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupiÚres
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traßnée par un ùne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
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Guillaume Apollinaire (Alcools)
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Il revoyait en souvenir la jolie citĂ© claire, dĂ©gringolant, comme une cascade de maisons plates, du haut de sa montagne dans la mer, mais il ne trouvait plus un mot pour exprimer ce quâil avait vu, ce quâil avait senti.
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Guy de Maupassant (Bel-Ami)
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Pendant que madame de RĂȘnal Ă©tait en proie Ă ce qu'a de plus cruel la passion terrible dans laquelle le hasard l'avait engagĂ©e, Julien poursuivait son chemin gaĂźment au milieu des plus beaux aspects que puissent prĂ©senter les scĂšnes de montagnes.
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Stendhal (Le Rouge et le Noir)
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Un jour le MeschacebĂ©, encore assez prĂšs de sa source, se lassa de n'ĂȘtre qu'un limpide ruisseau. Il demande des neiges aux montagnes, des eaux aux torrents, des pluies aux tempĂȘtes, il franchit ses rives, et dĂ©sole ses bords charmants. L'orgueilleux ruisseau s'applaudit d'abord de sa puissance; mais voyant que tout devenait dĂ©sert sur son passage; qu'il coulait, abandonnĂ© dans la solitude; que ses eaux Ă©taient toujours troublĂ©es, il regretta l'humble lit que lui avait creusĂ© la nature, les oiseaux, les fleurs, les arbres et les ruisseaux, jadis modestes compagnons de son paisible cours.
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François-René de Chateaubriand
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Les hommes mĂ©connaissent bien des choses. Une jeune fille prĂ©fĂ©rera toujours un homme malheureux, parce que toute jeune fille est tentĂ©e par un amour actif⊠Tu comprends ? Actif ! Les hommes sont trop occupĂ©s, lâamour pour eux est une chose de troisiĂšme plan. Bavarder avec sa femme, se promener avec elle au jardin, verser quelques larmes sur sa tombe â câest tout. Et pour nous, lâamour est la vie mĂȘme. Je tâaime, cela signifie que je cherche Ă dissiper ta tristesse, que je veux te suivre au bout du monde⊠Tu escalades une montagne, je lâescalade avec toi, tu descends dans un ravin, je descends avec toi.
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Anton Chekhov (Ivanov (Plays for Performance Series))
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Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sĂ©vĂšres. Le paysage se rĂ©vĂšle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La prĂ©sence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquĂȘte qui rend jouissance des choses.
Il fait -33°. Le camion s'est fondu Ă la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Ătre seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grĂ©sil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'Ă©carte les bras, tends mon visage au vide glacĂ© et rentre au chaud.
J'ai atteint le débarcadÚre de ma vie.
Je vais enfin savoir si j'ai une vie intérieure.
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Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
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Quand je considÚre ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flÚche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes...
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ăa et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă s'exprimer et Ă se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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En effet, c'est une impression gĂ©nĂ©rale qu'Ă©prouvent tous les hommes, quoiqu'ils ne l'observent pas tous, que sur les hautes montagnes, oĂč l'air est pur et subtil, on se sent plus de facilitĂ© dans la respiration, plus de lĂ©gĂšretĂ© dans le corps, plus de sĂ©rĂ©nitĂ© dans l'esprit; les plaisirs y sont moins ardents, les passions plus modĂ©rĂ©es. (...) Il semble qu'en s'Ă©levant au-dessus du sĂ©jour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres, et qu'Ă mesure qu'on approche des rĂ©gions Ă©thĂ©rĂ©es, l'Ăąme contracte quelque chose de leur inaltĂ©rable puretĂ©. On y est grave sans mĂ©lancolie, paisible sans indolence, content d'ĂȘtre et de penser : tous les dĂ©sirs trop vifs s'Ă©moussent, ils perdent cette pointe aiguĂ« qui les rend douloureux ; ils ne laissent au fond du cĆur qu'une Ă©motion lĂ©gĂšre et douce...
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Jean-Jacques Rousseau (Julie ou la Nouvelle HĂ©loĂŻse (French Edition))
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Mais quelle Ă©trange leçon de gĂ©ographie je reçus lĂ ! Guillaumet ne m'enseignait pas l'Espagne; il me faisait de l'Espagne une amie. Il ne me parlait ni d'hydrographie, nie de populations, ni de cheptel. Il ne me parlait pas de Guadix, mais des trois orangers qui, prĂšs de Guadix, bordent un champ : " MĂ©fie-toi d'eux, marque-les sur ta carte... " Et les trois orangers y tenaient dĂ©sormais plus de place que la Sierra Nevada. Il ne me parlait pas de Lorca, mais d'une simple ferme prĂšs de Lorca. D'une ferme vivante. Et de son fermier. Et de sa fermiĂšre. Et ce couple prenait, perdu dans l'espace, Ă quinze cents kilomĂštres de nous, une importance dĂ©mesurĂ©e. Bien installĂ©s sur le versant de leur montagne, pareils Ă des gardiens de phare, ils Ă©taient prĂȘts, sous leur Ă©toiles, Ă porter secours Ă des hommes.
(Terre des Hommes, ch. I)
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Antoine de Saint-Exupéry
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Je suis un de ces ĂȘtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'Ă ce jour, aucun homme ne s'est trouvĂ© dans une position semblable Ă la mienne. Les royaumes des rois sont limitĂ©s, soit par des montagnes, soit par des riviĂšres, soit par un changement de mĆurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, Ă moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni Italien, ni Français, ni Indou, ni AmĂ©ricain, ni Espagnol: je suis cosmopolite.
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Alexandre Dumas (The Son of Monte-Cristo; Volume I)
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On doit tous ĂȘtre pareils. Nous ne naissons pas libres et Ă©gaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend Ă©gaux. Chaque homme doit ĂȘtre l'image de l'autre, comme ça, tout le monde est content; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion ! Un livre est un fusil chargĂ© dans la maison d'Ă cĂŽtĂ©. BrĂ»lons-le. DĂ©chargeons l'arme. Battons en brĂšche l'esprit humain. Qui sait qui pourrait ĂȘtre la cible de l'homme cultivĂ© ?
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Ray Bradbury (Fahrenheit 451)
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Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe Ă ma vie, câest comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus quâelle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je nĂ© dans une Ă©poque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes dâun grand jeu de hasard ?
Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimĂ© ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos riviĂšres, tout cela mâaurait suffi. Jâaurais aimĂ© ĂȘtre tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretuĂ©s. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres dâHistoire. Certains en ont dĂ©vorĂ© dâautres, les ont Ă©ventrĂ©s, violĂ©s, souillĂ©s. Et ce qui est juste nâa pas toujours triomphĂ© de ce qui est sale.
Pourquoi ai-je dĂ», comme des milliers dâautres hommes, porter une croix que je nâavais pas choisie, endurer un calvaire qui nâĂ©tait pas fait pour mes Ă©paules et qui ne me concernait pas? Qui a donc dĂ©cidĂ© de venir fouiller mon obscure existence, de dĂ©terrer ma maigre tranquillitĂ©, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, sâIl existe, sâIl existe vraiment, quâIl se cache. QuâIl pose Ses deux mains sur Sa tĂȘte, et quâIl la courbe. Peut-ĂȘtre, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup dâhommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourdâhui je sais aussi quâIl n'est pas digne de la plupart dâentre nous, et que si la crĂ©ature a pu engendrer lâhorreur câest uniquement parce que son CrĂ©ateur lui en a soufflĂ© la recette.
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Philippe Claudel (Brodeck)
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Accroche-toi Ă tes rĂȘves et fonce. Ne lĂąche pas. Remonte mille fois la montagne s'il le faut, puisque tu es si sĂ»re que c'est de l'autre cĂŽtĂ© que tu dois aller. Peut-ĂȘtre que ce sera de l'autre cĂŽtĂ© de l'autre cĂŽtĂ©, derriĂšre la montagne qui se trouve derriĂšre la montagne. Qu'importe. Ne lĂąche pas, c'est lĂ -bas que poussent tes rĂȘves, sur le fil de l'horizon. Tu as peur ? Alors crie, hurle, chante Ă tue-tĂȘte. Va chercher cette gorgĂ©e d'air qui te manque. Ce feu qui te dĂ©vore, qui court dans tes veines, tu le sens ? Cette Ă©nergie qui couve en toi, cette impatience dans chacun de tes gestes ? Bien sĂ»r que tu le sens. Accepte ce feu. Fais-en ton moteur.
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Manon Fargetton (Ă quoi rĂȘvent les Ă©toiles)
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En cette perpétuelle bataille que l'on appelle vivre, on cherche à établir
un code de comportement adapté à la société, communiste ou prétendument
libre, dans laquelle on a été élevé.
Nous obéissons à certaines rÚgles de conduite, en tant qu'elles sont
parties intégrantes de notre tradition, hindoue, islamique, chrétienne ou
autre. Nous avons recours Ă autrui pour distinguer la bonne et la mauvaise
façon d'agir, la bonne et la mauvaise façon de penser. En nous y
conformant, notre action et notre pensée deviennent mécaniques, nos réactions
deviennent automatiques. Nous pouvons facilement le constater
en nous-mĂȘmes.
Depuis des siĂšcles, nous nous faisons alimenter par nos maĂźtres, par
nos autorités, par nos livres, par nos saints, leur demandant de nous révéler
tout ce qui existe au-delĂ des collines, au-delĂ des montagnes, audelĂ
de la Terre. Si leurs récits nous satisfont, c'est que nous vivons de
mots et que notre vie est creuse et vide : une vie, pour ainsi dire de « seconde
main ». Nous avons vécu de ce que l'on nous a dit, soit à cause de
nos tendances, de nos inclinations, soit parce que les circonstances et le
milieu nous y ont contraints. Ainsi, nous sommes la résultante de toutes
sortes d'influences et il n'y a rien de neuf en nous, rien que nous ayons
dĂ©couvert par nous-mĂȘmes, rien d'originel, de non corrompu, de clair.
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J. Krishnamurti
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Depuis, plus personne ne parle du 27eme battalion. Pourtant, refusant de rejoindre le ciel, les fantÎmes, les demons nés de cette défaite continuent à errer parmi les buissons, à l'orée de la jungle, sur les rives du ruisseau. On a donné à ce coin de jungle perdu dans les brumes empoisonnées le nom effrayant de "terre des Ames hurlantes". De temps en temps, à l'occasion des cérémonies de l'enfer les morts se rassemblent sur cette langue de terre comme pour la revue des troupes. On peut entendre leurs voix dans le murmure du ruisseau, les plaintes étouffées, lancinantes de la jungle la nuit, les hurlements du vent à travers les gorges des montagnes. On peut les entendre, les comprendre.
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BáșŁo Ninh (The Sorrow of War)
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Je rĂȘve d'un homme qui aime les vieux groupes de rock que plus personne n'Ă©coute. Qui me laissera dormir avec mon tee-shirt trouĂ© que j'adore et mes collants en laine. Qui se rĂ©veillera Ă quatre heures du matin pour arroser l'olivier parce qu'il saura que j'oublie toujours de le faire. Qui autorisera les animaux Ă boire des cafĂ©s. Qui m'achĂštera des frites. Qui ne s'ennuiera jamais. Qui aura lu Miller, Salinger et Desnos. Et aussi Kateb, Mammeri et Mahfouz. Qui, Ă l'aube, prendra un train avec moi sans en connaitre la distination. Qui se fichera que les yaourts soient pĂ©rimĂ©s depuis la veille. Qui saura se mettre en colĂšre et rire en mĂȘme temps. Qui chantera faux. Qui aimera la mer et la campagne et peut-ĂȘtre mĂȘme la montagne, aussi.
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Kaouther Adimi (Des pierres dans ma poche)
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Voisine
Je peux rester des aprĂšs-midi entiers Ă regarder cette fille, cachĂ© derriĂšre mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut Ă©crire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenĂȘtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle Ă©coute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frĂšres et sĆurs, si elle met la radio quand elle se lĂšve le matin, si elle prĂ©fĂšre l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de prĂšs. Je me demande si elle s'Ă©pile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goĂ»t. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pĂ©trole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda ? Je me demande Ă quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapĂ©, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pĂšse d'ĂȘtre seule ? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie ? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui ? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle ? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne Ă sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle ? Si ça se trouve, elle n'a aucun intĂ©rĂȘt, cette fille.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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L'isolement
Souvent sur la montagne, Ă l'ombre du vieux chĂȘne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promĂšne au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues Ă©cumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
LĂ le lac immobile Ă©tend ses eaux dormantes
OĂč l'Ă©toile du soir se lĂšve dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flÚche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrĂȘte, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mĂȘle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon ùme indifférente
N'Ă©prouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'Ă©chauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud Ă l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense Ă©tendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumiĂšres,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forĂȘts, solitudes si chĂšres,
Un seul ĂȘtre vous manque, et tout est dĂ©peuplĂ© !
Que le tour du soleil ou commence ou s'achĂšve,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lĂšve,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriĂšre,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien Ă l'immense univers.
Mais peut-ĂȘtre au-delĂ des bornes de sa sphĂšre,
Lieux oĂč le vrai soleil Ă©claire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rĂȘvĂ© paraĂźtrait Ă mes yeux !
LĂ , je m'enivrerais Ă la source oĂč j'aspire ;
LĂ , je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute ùme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne pußs-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'Ă©lancer jusqu'Ă toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand lĂ feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'Ă©lĂšve et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesniĆĄtva)
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Qu'un homme vienne nous tenir ce langage : Mortels, je vous annonce la volontĂ© du TrĂšs-Haut ; reconnaissez Ă ma voix celui qui m'envoie ; j'ordonne au soleil de changer sa course, aux Ă©toiles de former un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'Ă©lever, Ă la terre de prendre un autre aspect. Ă ces merveilles, qui ne reconnaĂźtra pas Ă l'instant le maĂźtre de la nature ! Elle n'obĂ©it point aux imposteurs ; leurs miracles se font dans des carrefours, dans des dĂ©serts, dans des chambres ; et c'est lĂ qu'ils ont bon marchĂ© d'un petit nombre de spectateurs dĂ©jĂ disposĂ©s Ă tout croire. Qui est-ce qui m'osera dire combien il faut de tĂ©moins oculaires pour rendre un prodige digne de foi ? Si vos miracles, faits pour prouver votre doctrine, ont eux-mĂȘmes besoin d'ĂȘtre prouvĂ©s, de quoi servent-ils ? autant valait n'en point faire.
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Jean-Jacques Rousseau (Emile, or On Education)
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Nous avons donc rejoint la communautĂ© des nomades qui se dĂ©placent sur les routes pendant le temps des FĂȘtes pour « aller en visite » dans la parentĂ©. Comme tous ces nomades au long cours, afin de parcourir les 380 kilomĂštres qui sĂ©parent Huberdeau de QuĂ©bec, il nous a fallu franchir des montagnes de misĂšre, une tempĂȘte de neige de 45 centimĂštres, des autoroutes fermĂ©es, des bouchons pĂ©riurbains, des carambolages, de la poudrerie latĂ©rale, une visibilitĂ© nulle sur chaussĂ©e enneigĂ©e, le vent glacial, la routine, quoi⊠FatiguĂ©s de la longue route oĂč le temps hivernal avait si bien sĂ©vi, nous devions maintenant sortir les bagages et les cadeaux empilĂ©s dans la voiture comme le matĂ©riel hĂ©tĂ©roclite accumulĂ© dans les charriots des pionniers au temps de la piste de lâOregon : voilĂ que nous installions nos pĂ©nates pour quelques jours dans une maison qui nâĂ©tait pas la nĂŽtre.
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Serge Bouchard (Les Yeux tristes de mon camion (French Edition))
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Il eut soudain envie d'abandonner ses projets, de sortir dans la nuit et de partir. Il allait traverser les montagnes enneigĂ©es, sans s'arrĂȘter, et parcourir les cents lieus qui le sĂ©paraient de l'Auvergne, et lĂ -bas se rĂ©fugier dans sa vieille caverne et s'y endormir pour ne jamais se rĂ©veiller. Mais il n'en fit rien. Il resta assis et ne cĂ©da pas, parce que c'Ă©tait chez lui une envie ancienne, de partir et de se rĂ©fugier dans sa caverne. Il connaissait cela. Ce qu'en revanche il ne connaissait pas encore, c'Ă©tait de possĂ©der un parfum humain, aussi magnifique que le parfum de la jeune fille derriĂšre le mur. Et quoiqu'il sĂ»t devoir payer cruellement la possession de ce parfum de sa perte ultĂ©rieure, cette possession et cette perte lui parurent plus dĂ©sirables que de renoncer abruptement Ă l'une comme Ă l'autre. Car il avait passĂ© sa vie Ă renoncer. Tandis que jamais encore il n'avait possĂ©dĂ© et perdu.
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Patrick SĂŒskind (Perfume: The Story of a Murderer)
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Le tunnel qui mĂšne au centre-ville, il a vraiment un truc. Quand il fait nuit, c'est splendide. Tout simplement splendide. D'abord, t'es de l'autre cĂŽtĂ© de la montagne et il fait sombre, et la radio est Ă fond. DĂšs que tu entres dans le tunnel, le vent disparaĂźt d'un coup et tu plisses les yeux Ă cause des lumiĂšres au-dessus de toi. Quand tu t'habitues Ă la lumiĂšre, tu peux voir le bout du tunnel au loin, et pendant ce temps, comme les ondes passent plus, le son de la radio faiblit. Alors tu te retrouves au milieu du tunnel au loin et tout devient trĂšs calme, comme un rĂȘve. Tu vois le bout qui se rapproche et t'as qu'une envie, c'est d'y arriver. Et finalement, juste au moment oĂč tu penses que tu l'atteindras jamais, tu vois la sortie devant toi. Et le vent t'attend. Et tu sors du tunnel Ă toute vitesse, pour te retrouver sur le pont. Et elle est lĂ . La ville. Un million de lumiĂšres et d'immeubles, et tout Ă l'air aussi excitant que la premiĂšre fois oĂč tu l'as vue. C'est vraiment une belle entrĂ©e en scĂšne.
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Stephen Chbosky (The Perks of Being a Wallflower)
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Qui vous le dit, quâelle (la vie) ne vous attend pas ? Certes, elle continue, mais elle ne vous oblige pas Ă suivre le rythme. Vous pouvez bien vous mettre un peu entre parenthĂšses pour vivre ce deuil⊠accordez-vous le temps.
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Parce que Ò«a me fait plaisir. Parce que je sais aussi que lâentourage peut se montrer trĂšs discret dans pareille situation, et que de se changer les idĂ©es de temps en temps fait du bien. Parce que je sais que vous aimez la montagne et que vous nâiriez pas toute seule.
***
Oui. Si vous perdez une jambe, Ò«a se voit, les gens sont conciliants. Et encore, pas tous. Mais quand câest un morceau de votre cĆur qui est arrachĂ©, Ò«a ne se voit pas de lâextĂ©rieur, et câest au moins aussi douloureux⊠Ce nâest pas de la faute des gens. Ils ne se fient quâaux apparences. Il faut gratter pour voir ce quâil y a au fond. Si vous jetez une grosse pierre dans une mare, elle va faire des remous Ă la surface. Des gros remous d'abord, qui vont gifler les rives, et puis des remous plus petits, qui vont finir par disparaĂźtre. Peu Ă peu, la surface redevient lisse et paisible. Mais la grosse pierre est quand mĂȘme au fond. La grosse pierre est quand mĂȘme au fond.
***
La vie sâapparente Ă la mer. Il y a les bruit des vagues, quand elles sâabattent sur la plage, et puis le silence dâaprĂšs, quand elles se retirent. Deux mouvement qui se croissent et sâentrecoupent sans discontinuer. Lâun est rapide, violent, lâautre est doux et lent. Vous aimeriez vous retirer, dans le mĂȘme silence des vagues, partir discrĂštement, vous faire oublier de la vie. Mais dâautres vague arrivent et arriveront encore et toujours. Parce que câest Ò«a la vie⊠Câest le mouvement, câest le rythme, le fracas parfois, durant la tempĂȘte, et le doux clapotis quand tout est calme. Mais le clapotis quand mĂȘme Un bord de mer n'est jamais silencieux, jamais. La vie non plus, ni la vĂŽtre, ni la mienne. Il y a les grains de sables exposĂ©s aux remous et ceux protĂ©gĂ©s en haut de la plage. Lesquels envier? Ce n'est pas avec le sable d'en haut, sec et lisse, que l'on construit les chĂąteaux de sable, c'est avec celui qui fraye avec les vagues car ses particules sont coalescentes. Vous arriverez Ă reconstruire votre chĂąteau, vous le construirez avec des grains qui vous ressemblent, qui ont aussi connu les dĂ©ferlantes de la vie, parce qu'avec eux, le ciment est solide..
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« Tu ne sais jamais Ă quel point tu es fort jusquâau jour oĂč ĂȘtre fort reste la seule option. » Câest Bob Marley qui a dit Ò«a.
***
Manon ne referme pas violemment la carte du restaurant. Elle nâĂ©prouve pas le besoin quâil lui lise le menu pour quâelle ne voie pas le prix, et elle trouvera Ă©gal que chaque bouchĂ©e vaille cinq euros. Manon profite de la vie. Elle accepte lâinvitation avec simplicitĂ©. Elle dĂ©fend la place des femmes sans ĂȘtre une fĂ©ministe acharnĂ©e et cela ne lui viendrait mĂȘme pas Ă lâidĂ©e de payer sa part. Dâabord, parce quâelle sait que Paul sâen offusquerait, ensuite, parce quâelle aime ces petites marques de galanterie, quâelle regrette de voir disparaĂźtre avec lâĂ©volution dâune sociĂ©tĂ© en pertes de repĂšres.
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AgnĂšs Ledig (Juste avant le bonheur)
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NikĂ©, aprĂšs quelques minutes dâescalade, abandonna la compĂ©tition pour admirer les fleurs sauvages qui diapraient la montagne comme une mosaĂŻque.
âŠSi elle tressait une guirlande ?
Elle leva vers Nicias, qui continuait lâascension, son visage lisse comme une olive, ou brillait un regard malicieux :
â Quand tu seras en haut, ne tâenvole pas !
Le garçon sâarrĂȘta :
â Tu ne joues plus ?
â Je prĂ©fĂšre cueillir des fleurs pour ArtĂ©mis.
â La statue de la dĂ©esse ?
â Oui.
Sur le mont Mangone, giroflĂ©es, asphodĂšles, mauves, gĂ©raniums, Ćillets, marjolaines, absinthes, croissaient Ă plaisir. Lâair surchauffĂ© entĂȘtait comme une cassolette.
Niké, les bras surchargés, pensa :
« Ce nâest pas Ă©tonnant que les chiens perdent la trace du gibier quand ils sont en montagne⊠»
Elle hĂ©sita Ă cueillir les ombelles du sĂ©linon en pensant que la plante sĂ©crĂ©tait un suc qui Ă©tait un poison pour les oiseaux. Or, ArtĂ©mis trĂŽnait dans un bois oĂč chardonnerets, pinsons et serins Ă©taient nombreux. Sâils allaient picorer la guirlande ?
La fillette renonça au lĂ©ger nuage des ombelles pour lui prĂ©fĂ©rer une touffe de silĂšnes dâun rose dâaurore. La guirlande devenait ravissante.
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L.N. Lavolle (L'Otage de Rome)
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Cette qualitĂ© de la joie nâest-elle pas le fruit le plus prĂ©cieux de la civilisation qui est nĂŽtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matĂ©riels. Mais nous ne sommes pas un bĂ©tail Ă lâengrais. La prospĂ©ritĂ© et le confort ne sauraient suffire Ă nous combler. Pour nous qui fĂ»mes Ă©levĂ©s dans le culte du respect de lâhomme, pĂšsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fĂȘtes merveilleusesâŠ
Respect de lâhomme ! Respect de lâhomme !⊠LĂ est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-mĂȘme ; il refuse les contradictions crĂ©atrices, ruine tout espoir dâascension, et fonde pour mille ans, en place dâun homme, le robot dâune termitiĂšre. Lâordre pour lâordre chĂątre lâhomme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-mĂȘme. La vie crĂ©e lâordre, mais lâordre ne crĂ©e pas la vie.
Il nous semble, Ă nous, bien au contraire, que notre ascension nâest pas achevĂ©e, que la vĂ©ritĂ© de demain se nourrit de lâerreur dâhier, et que les contradictions Ă surmonter sont le terreau mĂȘme de notre croissance. Nous reconnaissons comme nĂŽtres ceux mĂȘmes qui diffĂšrent de nous. Mais quelle Ă©trange parentĂ©Â ! elle se fonde sur lâavenir, non sur le passĂ©. Sur le but, non sur lâorigine. Nous sommes lâun pour lâautre des pĂšlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le mĂȘme rendez-vous.
Mais voici quâaujourdâhui le respect de lâhomme, condition de notre ascension, est en pĂ©ril. Les craquements du monde moderne nous ont engagĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. Les problĂšmes sont incohĂ©rents, les solutions contradictoires. La vĂ©ritĂ© dâhier est morte, celle de demain est encore Ă bĂątir. Aucune synthĂšse valable nâest entrevue, et chacun dâentre nous ne dĂ©tient quâune parcelle de la vĂ©ritĂ©. Faute dâĂ©vidence qui les impose, les religions politiques font appel Ă la violence. Et voici quâĂ nous diviser sur les mĂ©thodes, nous risquons de ne plus reconnaĂźtre que nous nous hĂątons vers le mĂȘme but.
Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction dâune Ă©toile, sâil se laisse trop absorber par ses problĂšmes dâescalade, risque dâoublier quelle Ă©toile le guide. Sâil nâagit plus que pour agir, il nâira nulle part. La chaisiĂšre de cathĂ©drale, Ă se prĂ©occuper trop Ăąprement de la location de ses chaises, risque dâoublier quâelle sert un dieu. Ainsi, Ă mâenfermer dans quelque passion partisane, je risque dâoublier quâune politique nâa de sens quâĂ condition dâĂȘtre au service dâune Ă©vidence spirituelle. Nous avons goĂ»tĂ©, aux heures de miracle, une certaine qualitĂ© des relations humaines : lĂ est pour nous la vĂ©ritĂ©.
Quelle que soit lâurgence de lâaction, il nous est interdit dâoublier, faute de quoi cette action demeurera stĂ©rile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de lâhomme. Pourquoi nous haĂŻrions-nous Ă lâintĂ©rieur dâun mĂȘme camp ? Aucun dâentre nous ne dĂ©tient le monopole de la puretĂ© dâintention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route quâun autre a choisie. Je puis critiquer les dĂ©marches de sa raison. Les dĂ©marches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de lâEsprit, sâil peine vers la mĂȘme Ă©toile.
Respect de lâHomme ! Respect de lâHomme !⊠Si le respect de lâhomme est fondĂ© dans le cĆur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le systĂšme social, politique ou Ă©conomique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde dâabord dans la substance. Elle est dâabord, dans lâhomme, dĂ©sir aveugle dâune certaine chaleur. Lâhomme ensuite, dâerreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
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Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
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Un jour, avec des yeux vitreux, ma mĂšre me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dĂ©rision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, Ă la figure pĂąle et longue. MĂȘme, je te permets de te mettre devant la fenĂȘtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'Ă©prouve le besoin de l'infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'aprĂšs ce qu'on m'a dit. Ăa m'Ă©tonne... je croyais ĂȘtre davantage! Au reste, que m'importe d'oĂč je viens? Moi, si cela avait pu dĂ©pendre de ma volontĂ©, j'aurais voulu ĂȘtre plutĂŽt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempĂȘtes, et du tigre, Ă la cruautĂ© reconnue: je ne serais pas si mĂ©chant. Vous, qui me regardez, Ă©loignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonnĂ©. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arĂȘtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tĂȘte des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rĂŽde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellĂ©s par le vent des tempĂȘtes, isolĂ© comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flĂ©trie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intĂ©rieur des cheminĂ©es : il ne faut pas que les yeux soient tĂ©moins de la laideur que l'Etre suprĂȘme, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Il songea, une nouvelle fois, que, petit, un jour, il portait un lapin par les pattes de derriĂšre. C'Ă©tait en Sicile, les pattes Ă©taient attachĂ©es avec de la ficelle, il marchait Ă cĂŽtĂ© de son pĂšre, son pĂšre trimbalait un panier de pommes de terre, et il sentait que le sang s'accumulait dans la petite tĂȘte du lapin, le lapin Ă©tait juste dans la posture de Saint-Pierre le jour de sa mort, les yeux du lapin muet avait un vertige infini de souffrance et de terreur, il aurait suffi de mettre l'animal dans l'autre sens, la tĂȘte en haut, alors, au moins, avant la mort inĂ©vitable, il aurait cessĂ© de souffrir, mais il n'osa pas. Par consĂ©quent, lui, petit, dĂ©jĂ Ă©tait pris dans l'omertĂ du monde, dans cette complicitĂ© gĂ©nĂ©rale qui nous fait, en gros, accepter des mers et des montagnes de souffrance et de terreur, les reconnaitre pour lĂ©gitimes, nĂ©cessaires, bonnes, justes.
Si l'on se mettait, par exemple, Ă souffrir pour un lapin, il faudrait, tout de suite, souffrir aussi pour les chevaux, les mouches, les rats, les vieillards. C'est pourquoi il avait continuĂ© Ă tenir l'animal Ă l'envers, par ses pattes ficelĂ©es, tout en sentant que le regret s'accumulait en lui, s'accumulait jusqu'Ă former un dĂ©pĂŽt pesant dans la tĂȘte de l'animal, enflammant ses yeux de sang et de terreur, mais l'omertĂ , dĂ©jĂ , Ă©tait la plus forte, la complicitĂ© taciturne des hommes entre eux, des ĂȘtres entre eux. Demandez Ă qui vous voudrez. Un lapin, pour un trajet donnĂ©, se porte la tĂȘte en bas, ficelĂ© par les pattes de derriĂšre, c'est la loi. Un bambin, sur un chemin, dans la grande Ăźle, dans la Sicile, il ne va pas, de lui-mĂȘme, accomplir la rĂ©volution, tourner l'animal dans l'autre sens, dans le sens du pardon, du bien-ĂȘtre, au risque de troubler le pas de son pĂšre, son pĂšre portait les pommes de terre.
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Jacques Audiberti (Le MaĂźtre De Milan)
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Les brumes sâĂ©paississent sur les cimes du Ć ar. Les versants se dressent face Ă Emina, implacables dans le jour dĂ©clinant. Les paroles de Feti ricochent en elle, par-dessus la musique quâil met plus fort dans la voiture. Elles traversent le scherzo du violon dont les volutes tournoient entre eux, alors quâils arrivent Ă Tetovo. Elles dissipent le sourd espoir qui lâa menĂ©e ici, au-delĂ du dĂ©sir de renouer avec le frĂšre dâYllka. Elle mesure lâampleur de son rĂȘve, de ce quâelle nâa dit Ă personne lĂ -bas en Allemagne. Ils auraient passĂ© leur bras autour de ses Ă©paules. Ils lâauraient entourĂ©e dâune affection mĂȘlĂ©e de pitiĂ©âŠ
Oui, dans lâoutremer des montagnes, elle croit apercevoir la trace dâYllka. Les empreintes fines dâun oiseau sur un sentier couvert de sable. Elles conduiraient Ă une maison de montagne qui sentirait le bois et le foin Ă la fin de lâĂ©tĂ©. Parce quâYllka se serait rĂ©fugiĂ©e quelque part ici. Elle y attendrait Emina, sa fille, Alija, son fils, depuis toutes ces annĂ©es. Elle-mĂȘme mue par la conviction que ses enfants finiront par la rejoindre. Car comment pourrait-elle savoir oĂč ils vivent aujourdâhui, si mĂȘme ils vivent encore ? Comment ? Et câest la raison de son silence. Il ne peut en ĂȘtre autrement. Preuve de vie ou de mort, Emina ne sâen ira pas dâici sans lâavoir obtenue.
« Je peux juste te parler dâelle. Celle quâelle fut ici. Ma sĆur, ta mĂšre⊠» Des mots qui lacĂšrent le ciel trĂšs loin au-dessus dâelle. Feti gare sa voiture le long de la rue bordĂ©e dâimmeubles. Sâil se trompait⊠Si Yllka nâavait pas pu le retrouver lui non plus ?
Les feuillages des arbres flamboient sur les trottoirs. Des traĂźnĂ©es couleur de fer assombrissent les nuages au-dessus des immeubles. Ils se creusent dâun vaste cratĂšre noirĂątre. Des choucas Ă©voluent par centaines sur la ville, alors que le soleil descend Ă lâhorizon. Ils sâinsinuent dans les invisibles couloirs ouverts par de secrĂštes turbulences. Leur vacarme secoue les airs, assourdit Emina. Elle est sur le point de flancher, rattrapĂ©e par le lieu et les cris des oiseaux.
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Cécile Oumhani (Le café d'Yllka)
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IV
-Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mĂšre parfois. Il faut leur donner tout, les cerises des bois, Les pommes du verger, les gĂąteaux de la table; S'ils entendent la voix des vaches dans l'Ă©table Du lait ! vite ! et leurs cris sont comme une forĂȘt De Bondy quand un sac de bonbons apparaĂźt. Les voilĂ maintenant qui rĂ©clament la lune ! Pourquoi pas ? Le nĂ©ant des gĂ©ants m'importune; Moi j'admire, Ă©bloui, la grandeur des petits. Ah ! l'Ăąme des enfants a de forts appĂ©tits, Certes, et je suis pensif devant cette gourmande Qui voit un univers dans l'ombre, et le demande. La lune ! Pourquoi pas ? vous dis-je. Eh bien, aprĂšs ? Pardieu ! si je l'avais, je la leur donnerais. C'est vrai, sans trop savoir ce qu'ils en pourraient faire, Oui, je leur donnerais, lune, ta sombre sphĂšre, Ton ciel, d'oĂč Swedenborg n'est jamais revenu, Ton Ă©nigme, ton puits sans fond, ton inconnu ! Oui, je leur donnerais, en disant: Soyez sages ! Ton masque obscur qui fait le guet dans les nuages, Tes cratĂšres tordus par de noirs aquilons, Tes solitudes d'ombre et d'oubli, tes vallons, Peut-ĂȘtre heureux, peut-ĂȘtre affreux, Ă©dens ou bagnes, Lune, et la vision de tes pĂąles montagnes. Oui, je crois qu'aprĂšs tout, des enfants Ă genoux Sauraient mieux se servir de la lune que nous; Ils y mettraient leurs voeux, leur espoir, leur priĂšre; Ils laisseraient mener par cette aventuriĂšre Leurs petits coeurs pensifs vers le grand Dieu profond. La nuit, quand l'enfant dort, quand ses rĂȘves s'en vont, Certes, ils vont plus loin et plus haut que les nĂŽtres. Je crois aux enfants comme on croyait aux apĂŽtres; Et quand je vois ces chers petits ĂȘtres sans fiel Et sans peur, dĂ©sirer quelque chose du ciel, Je le leur donnerais, si je l'avais. La sphĂšre Que l'enfant veut, doit ĂȘtre Ă lui, s'il la prĂ©fĂšre. D'ailleurs, n'avez-vous rien au delĂ de vos droits ? Oh ! je voudrais bien voir, par exemple, les rois S'Ă©tonner que des nains puissent avoir un monde ! Oui, je vous donnerais, anges Ă tĂȘte blonde, Si je pouvais, Ă vous qui rĂ©gnez par l'amour, Ces univers baignĂ©s d'un mystĂ©rieux jour, Conduits par des esprits que l'ombre a pour ministres, Et l'Ă©norme rondeur des planĂštes sinistres. Pourquoi pas  ? Je me fie Ă vous, car je vous vois, Et jamais vous n'avez fait de mal. Oui, parfois, En songeant Ă quel point c'est grand, l'Ăąme innocente, Quand ma pensĂ©e au fond de l'infini s'absente, Je me dis, dans l'extase et dans l'effroi sacrĂ©, Que peut-ĂȘtre, lĂ -haut, il est, dans l'IgnorĂ©, Un dieu supĂ©rieur aux dieux que nous rĂȘvĂąmes, Capable de donner des astres Ă des Ăąmes.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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Au reste, lâartifice paraissait Ă des Esseintes la marque distinctive du gĂ©nie de lâhomme.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a dĂ©finitivement lassĂ©, par la dĂ©goĂ»tante uniformitĂ© de ses paysages et de ses ciels, lâattentive patience des raffinĂ©s. Au fond, quelle platitude de spĂ©cialiste confinĂ©e dans sa partie, quelle petitesse de boutiquiĂšre tenant tel article Ă lâexclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et dâarbres, quelle banale agence de montagnes et de mers !
Il nâest, dâailleurs, aucune de ses inventions rĂ©putĂ©e si subtile ou si grandiose que le gĂ©nie humain ne puisse crĂ©er ; aucune forĂȘt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des dĂ©cors inondĂ©s de jets Ă©lectriques ne produisent ; aucune cascade que lâhydraulique nâimite Ă sây mĂ©prendre ; aucun roc que le carton-pĂąte ne sâassimile ; aucune fleur que de spĂ©cieux taffetas et de dĂ©licats papiers peints nâĂ©galent !
Ă nâen pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usĂ© la dĂ©bonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu oĂč il sâagit de la remplacer, autant que faire se pourra, par lâartifice.
Et puis, Ă bien discerner celle de ses Ćuvres considĂ©rĂ©e comme la plus exquise, celle de ses crĂ©ations dont la beautĂ© est, de lâavis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que lâhomme nâa pas, de son cĂŽtĂ©, fabriquĂ©, Ă lui tout seul, un ĂȘtre animĂ© et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beautĂ© plastique ? est-ce quâil existe, ici-bas, un ĂȘtre conçu dans les joies dâune fornication et sorti des douleurs dâune matrice dont le modĂšle, dont le type soit plus Ă©blouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptĂ©es sur la ligne du chemin de fer du Nord ?
Lâune, la Crampton, une adorable blonde, Ă la voix aiguĂ«, Ă la grande taille frĂȘle, emprisonnĂ©e dans un Ă©tincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorĂ©e, dont lâextraordinaire grĂące Ă©pouvante lorsque, raidissant ses muscles dâacier, activant la sueur de ses flancs tiĂšdes, elle met en branle lâimmense rosace de sa fine roue et sâĂ©lance toute vivante, en tĂȘte des rapides et des marĂ©es !
Lâautre, lâEngerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, Ă©tranglĂ©s dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bĂȘte, Ă la criniĂšre Ă©chevelĂ©e de fumĂ©e noire, aux six roues basses et accouplĂ©es ; quelle Ă©crasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises !
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Joris-Karl Huysmans
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Au reste, lâartifice paraissait Ă des Esseintes la marque distinctive du gĂ©nie de lâhomme.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a dĂ©finitivement lassĂ©, par la dĂ©goĂ»tante uniformitĂ© de ses paysages et de ses ciels, lâattentive patience des raffinĂ©s. Au fond, quelle platitude de spĂ©cialiste confinĂ©e dans sa partie, quelle petitesse de boutiquiĂšre tenant tel article Ă lâexclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et dâarbres, quelle banale agence de montagnes et de mers !
Il nâest, dâailleurs, aucune de ses inventions rĂ©putĂ©e si subtile ou si grandiose que le gĂ©nie humain ne puisse crĂ©er ; aucune forĂȘt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des dĂ©cors inondĂ©s de jets Ă©lectriques ne produisent ; aucune cascade que lâhydraulique nâimite Ă sây mĂ©prendre ; aucun roc que le carton-pĂąte ne sâassimile ; aucune fleur que de spĂ©cieux taffetas et de dĂ©licats papiers peints nâĂ©galent !
Ă nâen pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usĂ© la dĂ©bonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu oĂč il sâagit de la remplacer, autant que faire se pourra, par lâartifice.
Et puis, Ă bien discerner celle de ses Ćuvres considĂ©rĂ©e comme la plus exquise, celle de ses crĂ©ations dont la beautĂ© est, de lâavis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que lâhomme nâa pas, de son cĂŽtĂ©, fabriquĂ©, Ă lui tout seul, un ĂȘtre animĂ© et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beautĂ© plastique ? est-ce quâil existe, ici-bas, un ĂȘtre conçu dans les joies dâune fornication et sorti des douleurs dâune matrice dont le modĂšle, dont le type soit plus Ă©blouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptĂ©es sur la ligne du chemin de fer du Nord ?
Lâune, la Crampton, une adorable blonde, Ă la voix aiguĂ«, Ă la grande taille frĂȘle, emprisonnĂ©e dans un Ă©tincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorĂ©e, dont lâextraordinaire grĂące Ă©pouvante lorsque, raidissant ses muscles dâacier, activant la sueur de ses flancs tiĂšdes, elle met en branle lâimmense rosace de sa fine roue et sâĂ©lance toute vivante, en tĂȘte des rapides et des marĂ©es !
Lâautre, lâEngerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, Ă©tranglĂ©s dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bĂȘte, Ă la criniĂšre Ă©chevelĂ©e de fumĂ©e noire, aux six roues basses et accouplĂ©es ; quelle Ă©crasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises !
Il nâest certainement pas, parmi les frĂȘles beautĂ©s blondes et les majestueuses beautĂ©s brunes, de pareils types de sveltesse dĂ©licate et de terrifiante force ; Ă coup sĂ»r, on peut le dire : lâhomme a fait, dans son genre, aussi bien que le Dieu auquel il croit.
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Joris-Karl Huysmans
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Jâai fait ma visite au lieu natal avec toute la piĂ©tĂ© dâun pĂšlerin, et bien des sentiments inattendus mâont saisi. Je fis arrĂȘter prĂšs du grand tilleul qui se trouve Ă un quart de lieue de la ville du cĂŽtĂ© de S⊠; je quittai la voiture, et je lâenvoyai en avant, afin de cheminer Ă pied et de savourer Ă mon grĂ© chaque souvenir, dans toute sa vie et sa nouveautĂ©. Je mâarrĂȘtai sous le tilleul, qui avait Ă©tĂ©, dans mon enfance, le but et le terme de mes promenades. Quelle diffĂ©rence ! Alors, dans une heureuse ignorance, je mâĂ©lançais avec ardeur vers ce monde inconnu, oĂč jâespĂ©rais pour mon cĆur tant de nourriture, tant de jouissances, qui devaient combler et satisfaire lâardeur de mes dĂ©sirs. Maintenant, jâen reviens de ce vaste mondeâŠ. O mon ami, avec combien dâespĂ©rances déçues, avec combien de plans renversĂ©s !⊠Les voilĂ devant moi les montagnes qui mille fois avaient Ă©tĂ© lâobjet de mes vĆux. Je pouvais rester des heures assis Ă cette place, aspirant Ă franchir ces hauteurs, Ă©garant ma pensĂ©e au sein des bois et des vallons, qui sâoffraient Ă mes yeux dans un gracieux crĂ©puscule, et, lorsquâau moment fixĂ© il me fallait revenir, avec quel regret ne quittais-je pas cette place chĂ©rie !⊠Jâapprochai de la ville : je saluai tous les anciens pavillons de jardin ; les nouveaux me dĂ©plurent, comme tous les changements quâon avait faits. Je franchis la porte de la ville, et dâabord je me retrouvai tout Ă fait. Mon ami, je ne veux pas mâarrĂȘter au dĂ©tail : autant il eut de charme pour moi, autant il serait monotone dans le rĂ©cit. Jâavais rĂ©solu de me loger sur la place, tout Ă cĂŽtĂ© de notre ancienne maison. Je remarquai, sur mon passage, que la chambre dâĂ©cole, oĂč une bonne vieille femme avait parquĂ© notre enfance, sâĂ©tait transformĂ©e en une boutique de dĂ©tail. Je me rappelai lâinquiĂ©tude, les chagrins, lâĂ©tourdissement, lâangoisse que jâavais endurĂ©s dans ce trouâŠ. Je ne pouvais faire un pas qui ne mâoffrĂźt quelque chose de remarquable. Un pĂšlerin ne trouve pas en terre sainte autant de places consacrĂ©es par de religieux souvenirs, et je doute que son ame soit aussi remplie de saintes Ă©motionsâŠ. Encore un exemple sur mille : je descendis le long de la riviĂšre, jusquâĂ une certaine mĂ©tairie. CâĂ©tait aussi mon chemin autrefois, et la petite place oĂč les enfants sâexerçaient Ă qui ferait le plus souvent rebondir les pierres plates Ă la surface de lâeau. Je me rappelai vivement comme je mâarrĂȘtais quelquefois Ă suivre des yeux le cours de la riviĂšre ; avec quelles merveilleuses conjectures je lâaccompagnais ; quelles Ă©tranges peintures je me faisais des contrĂ©es oĂč elle allait courir ; comme je trouvais bientĂŽt les bornes de mon imagination, et pourtant me sentais entraĂźnĂ© plus loin, toujours plus loin, et finissais par me perdre dans la contemplation dâun vague lointainâŠ. Mon ami, aussi bornĂ©s, aussi heureux, Ă©taient les vĂ©nĂ©rables pĂšres du genre humain ; aussi enfantines, leurs impressions, leur poĂ©sie. Quand Ulysse parle de la mer immense et de la terre infinie, cela est vrai, humain, intime, saisissant et mystĂ©rieux. Que me sert maintenant de pouvoir rĂ©pĂ©ter, avec tous les Ă©coliers, quâelle est ronde ? Il nâen faut Ă lâhomme que quelques mottes pour vivre heureux dessus, et moins encore pour dormir dessousâŠ
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Pour les hommes de lâĂąge dâor, monter une montagne, câĂ©tait rĂ©ellement sâapprocher du Principe; regarder un fleuve, câĂ©tait voir la PossibilitĂ© universelle en mĂȘme temps que lâĂ©coulement des formes.
De nos jours, gravir une montagne, â et il nây en a plus aucune qui soit a centre du monde »! â câest « vaincre » son sommet; lâascension nâest plus un acte spirituel, mais une profanation. Lâhomme, dans son aspect dâanimal humain, se fait Dieu. Les portes du Ciel, mystĂ©rieusement prĂ©sentes dans la nature, se ferment devant lui.
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Frithjof Schuon (Spiritual Perspectives and Human Facts)
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Un AlgĂ©rien vivant Ă Paris en 1962 Ă©tait un ĂȘtre traqĂ©. Tandis que les AlgĂ©riens se battaient contre l'armĂ©e française dans leurs montagnes et ds les villes europĂ©anisĂ©es d'Alger et d'Oran, des groupes terroristes paramilitaires tombaient sans discrimination sur les hommes et les femmes dans la capitale colonialiste, pour la simple raison qu'ils Ă©taient ou paraissaient ĂȘtre algĂ©riens.
A Paris, des bombes explosaient dans les cafés fréquentés par les Nord-Africains, des corps ensanglantés étaient découverts dans les rues sombres et des graffiti anti-algériens défiguraient les murs des immeubles et des stations de métro. Un aprÚs-midi, je me rendis à une manifestation qui avait lieu sur la place de la Sorbonne en faveur du peuple algérien. Quand les flics la dispersÚrent à coups de lances d'incendie à haute pression, ils se montrÚrent aussi vicieux que les flicsau cou rouge de Birmimgham qui avaient reçu les Marcheurs de la Paix avec des chiens et des lances d'incendie."
p.144
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Angela Y. Davis
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Et au loin, comme Frodon passait l'Anneau Ă son doigt et le revendiquait pour sien, mĂȘme dans les
Sammath Naur, coeur mĂȘme du royaume, la Puissance de Barad-dĂ»r fut Ă©branlĂ©e et la Tour trembla de ses fondations Ă son fier et ultime couronnement. Le Seigneur TĂ©nĂ©breux fut soudain averti de sa prĂ©sence, et son oeil, perçant toutes les ombres, regarda par-dessus la plaine la porte qu'il avait faite, l'ampleur de sa propre folie lui fut rĂ©vĂ©lĂ©e en un Ă©clair aveuglant et tous les stratagĂšmes de ses ennemis lui apparurent enfin Ă nu. Sa colĂšre s'embrasa en un feu dĂ©vorant, mais sa peur s'Ă©leva comme une vaste fumĂ©e noire pour l'Ă©touffer. Car il
connaissait le pĂ©ril mortel oĂč il Ă©tait et le fil auquel son destin Ă©tait maintenant suspendu.
Son esprit se libĂ©ra de toute sa politique et de ses trames de peur et de perfidie, de tous ses stratagĂšmes et de ses guerres, un frĂ©missement parcourut tout son royaume, ses esclaves flĂ©chirent, ses armĂ©es s'arrĂȘtĂšrent, et ses capitaines, soudain sans direction, hĂ©sitĂšrent et dĂ©sespĂ©rĂšrent. Car ils Ă©taient oubliĂ©s. Toute la pensĂ©e et toutes les fins de la Puissance qui les conduisait Ă©taient Ă prĂ©sent tournĂ©es avec une force irrĂ©sistible vers la Montagne. A son appel, vibrant avec un cri dĂ©chirant, volĂšrent en une derniĂšre course dĂ©sespĂ©rĂ©e les NazgĂ»l, les Chevaliers Servants de l'Anneau, qui, en un ouragan d'ailes, s'Ă©lançaient en direction du Sud, vers la Montagne du Destin.
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J.R.R. Tolkien
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Il en va des paysages comme des ĂȘtres ou des musiques qui nous bouleversent. Ils nous prĂ©cipitent au cĆur de nous-mĂȘmes et nous jettent bien au-delĂ d'eux dans un mouvement violent, douloureux, lumineux. On en revient diffĂ©rent et tout Ă©tonnĂ© d'avoir approchĂ© le feu qui ressemble si fort Ă la vĂ©ritĂ©, et que ce soit si simple. On sait qu'il faudra recommencer, ĂȘtre attentif, rĂ©ceptif, disponible parce que chaque instant et chaque Ă©motion tournent comme la lumiĂšre du jour.
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Jocelyne Gagliardi
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flĂąnerie
libre de courir
avec la montagne de croisées des chemins
dans mes bras
avec lâaigrette de pissenlit dans le cĆur
avec la plaie ouverte
de lâĆil retournĂ©, toujours retournĂ©
de sa tournée
sauvagerie impénétrable
ma tĂȘte est un chapeau de paille
dans lequel je ramasse le solstice dâĂ©tĂ©
et les pommes aigre-douces
qui flottent sur tes lĂšvres
je casse le cadenas de la camarde
avec le hurlement de bĂȘte dĂ©chaĂźnĂ©e
je jette les heures les journées les mois
les années entiÚres
dans le jardin oĂč
nous avons enfilĂ© sur nous lâĂąme
comme un t-shirt pas lavé.
***
drumeÈie
liber sÄ alerg
cu muntele de rÄscruci
Ăźn braÈe
cu puful de pÄpÄdie Ăźn inimÄ
cu rana deschisÄ
a ochiului Ăźntors mereu Ăźntors
din drum
sÄlbÄticie de nepÄtruns
capul meu e o pÄlÄrie de paie
Ăźn care adun solstiÈiul de varÄ
Èi merele acriÈoare
care plutesc pe buzele tale
sparg lacÄtul pieirii
cu urletul de jivinÄ-ncolÈitÄ
arunc orele zilele lunile
anii cu totul
Ăźn grÄdina unde
ne-am tras sufletul
ca un tricou nespÄlat pe noi.
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Daniel Marcu
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Nous illustrons la soif de liberté, l'individualisme, la bougeotte et nous nous retrouvons aujourd'hui comme ces porteurs d'une industrie associé aux hamburgers, blue-jeans et Marlboro. D'un cÎté, il y a les éleveurs, les cow-boys professionnels, les Indiens, les bergers, qui luttent pour préserver leur mode de vie. De l'autre, les ranches pour 'dudes' et les magasins d'articles western pour touristes, qui prospÚrent sur une image qu'ils contribuent à détruire. Nous faisons nos courses au Walmart du coin, le touriste ira compléter son déguisement de parfait cow-boy dans les magasins chic du centre-ville. Le tourisme ne peut pas sauver les cultures en voie de disparition. Au contraire, il les stérilise et les expédie dans les archives folkloriques.
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Pascal Wick (Journal d'un berger nomade)
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On sait ce qui fait tenir physiquement le béton : l'hydratation du ciment transforme ses phases silicatées en silicate de calcium hydraté, dont la structure assure la cohésion des granulats et la résistance du matériau. Mais qu'est-ce qui le fait tenir ontologiquement ?
Dit autrement, c'est quoi le monde du béton ?
Le ciment standardisé le plus commun, dit "Portland", a été mis au point au début du XIXe siÚcle. Il accompagne l'essor du capitalisme industriel. Hyper modulable, peu onéreux, facile de mise en oeuvre comme à détruire, les qualités du béton de ciment donnent depuis lors aux politiques et aménageurs une grande liberté pour configurer et reconfigurer l'espace. Et cette reconfiguration n'a pas cessé depuis que les humains s'agglomÚrent dans les villes, suivant en substance les mouvements de concentration du capital.
Le béton matérialise ce rapport dans des infrastructures dédiées à l'accélération des flux de marchandises, qu'il s'agisse d'information, d'énergie, de biens manufacturés, ou de travailleurs. Frets, entrepÎts de stockage, hubs de tri, transporteurs, data centers, fibre optique, plateformes "virtuelles" : les grands réseaux logistiques et informationnels synchronisent les métropoles entre elles sur la cadence du marché. Zébrant les territoires, cette couche dessine une pieuvre logistique faite de routes, ponts, tunnels connectant entrepÎts, ports et aéroports. N'ayant que faire des particularités des territoires traversés, au mépris de celles et ceux qui y habitent, la logistique trace tout droit à travers bourgs, champs, zones naturelles et montagnes. Les campagnes sont reléguées aux fonctions de voies de transit d'un cÎté, et en ressources alimentaires et énergétiques de l'autre.
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Les soulĂšvements de la terre (PremiĂšres secousses)
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(...) ces quelques lignes nous livrent peut-ĂȘtre le suprĂȘme message de la philosophie ismaĂ©lienne : " LâImam a dit : Je suis avec mes amis partout oĂč ils me cherchent, sur la montagne, dans la plaine et dans le dĂ©sert. Celui Ă qui j'ai rĂ©vĂ©lĂ© mon Essence, c'est-Ă -dire la connaissance mystique de moi-mĂȘme, celui-lĂ n'a pas besoin d'une proximitĂ© physique. Et c'est cela la Grande RĂ©surrection.
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Henry Corbin (History of Islamic Philosophy)
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(Vingt ans aprÚs la mort de son fils, perdu en montagne.) C'est une expérience inhumaine. Ce sont vos enfants qui doivent vous fermer les yeux. De toutes les épreuves de ma vie, qui en a été fertile, c'est celle dont j'ai émergé avec le plus de peine, mùchant et remùchant ma culpabilité. On devient comme un grand brûlé qui ne supporte plus aucun contact avec autrui. Ceux qui vous marquent de la compassion? Odieux: ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ceux qui feignent la bonne humeur pour vous remonter la moral? Indécent.
(...) La vie est la plus forte. La douleur qui demeure devient comme une bĂȘte apprivoisĂ©e aux griffes rognĂ©es mais, aujourd'hui encore, j'ai du mal Ă dire "mon fils" sans que ma gorge se noue.
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Laure Adler cite Françoise Giroud, dans Françoise, Grasset, 2011.
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Elles Ă©taient ces brebis qui cherchent refuge derriĂšre un rocher quand sĂ©vit la tempĂȘte. ArrivĂ©es dans un endroit inconnu qui leur offre un abri, elles s'attachent Ă retrouver sĂ©curitĂ© et chaleur. Elles savaient que le froid d'autrui viendrait de nouveau les transpercer et se nicher en elles. Aussi s'agissait-il de rĂ©pandre toute la chaleur que l'on avait pour pouvoir ensuite la rĂ©cupĂ©rer au dĂ©cuple. (...) A la maison, il leur Ă©tait interdit de se donner mutuellement la chaleur dont elles avaient besoin. Elles redevenaient des brebis effrayĂ©es perdues dans la montagne sauvage.
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HerbjĂžrg Wassmo (The House with the Blind Glass Windows)
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Alors que le grand U canalisait les eaux pour assĂ©cher les terres, il sâĂ©gara, contourna la mer du nord, et arriva, trĂšs loin, tout au septentrion, dans un pays sans vent ni pluie, sans animaux ni vĂ©gĂ©taux dâaucune sorte, un haut plateau bordĂ© de falaises abruptes, avec une montagne conique au centre. Dâun trou sans fond, au sommet du cĂŽne, jaillit une eau dâune odeur Ă©picĂ©e et dâun goĂ»t vineux, qui coule en quatre ruisseaux jusquâau bas de la montagne, et arrose tout le pays. La rĂ©gion est trĂšs salubre, ses habitants sont doux et simples. Tous habitent en commun, sans distinction dâĂąge ni de sexe, sans chefs, sans familles. Ils ne cultivent pas la terre, et ne sâhabillent pas. TrĂšs nombreux, ces hommes ne connaissent pas les joies de la jeunesse, ni les tristesses de la vieillesse. Ils aiment la musique, et chantent ensemble tout le long du jour. Ils apaisent leur faim en buvant de lâeau du geyser merveilleux, et rĂ©parent leurs forces par un bain dans ces mĂȘmes eaux. Ils vivent ainsi tous exactement cent ans, et meurent sans avoir jamais Ă©tĂ© malades. Jadis, dans sa randonnĂ©e vers le Nord, lâempereur Mou des Tcheou visita ce pays, et y resta trois ans. Quand il en fut revenu, le souvenir quâil en conservait, lui fit trouver insipides son empire, son palais, ses festins, ses femmes, et le reste. Au bout de peu de mois, il quitta tout pour y retourner. Koan-tchoung Ă©tant ministre du duc Hoan de Tsâi, lâavait presque dĂ©cidĂ© Ă conquĂ©rir ce pays. Mais Hien-pâeng ayant blĂąmĂ© le duc de ce quâil abandonnait Tsâi, si vaste, si peuplĂ©, si civilisĂ©, si beau, si riche, pour exposer ses soldats Ă la mort et ses feudaÂŹtaires Ă la tentation de dĂ©serter, et tout cela pour une lubie dâun vieillard, le duc Hoan renonça Ă lâentreprise, et redit Ă Koan-tchoung les paroles de Hien-pâeng. Koan-tchoung dit : Hien pâeng nâest pas Ă la hauteur de mes conceptions. Il est si entichĂ© de Tsâi, quâil ne voit rien au delĂ .
(Lieh-Zi, 5.5)
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Liezi (Lieh-tzu: A Taoist Guide to Practical Living (Shambhala Dragon Editions))
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- Georges, connais-tu Victor Hugo?
J'ai ouvert la bouche en grand. Le phalangiste a ajusté son arme, regard perdu dans le jour tombé.
- Tu connais?
"Demain, dĂšs l'aube, Ă l'heure oĂč blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends..." a récité le tueur.
J'ai tremblé à mon tour. Mon corps, sans retenue. J'ai pleuré. Tant pis. (...)
"J'irai par la forĂȘt, j'irai par la montagne,
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit".
Et puis il a tiré. Deux coups. Un troisiÚme, juste aprÚs. Cette fois sans trembler, sans que je sente rien venir. Son corps était raide de guerre. Mes larmes n'y ont rien fait. Ni la beauté d'Aurore, ni la fragilité de Louise, ni mon effroi. Il a tiré sur la ville, sur le souffle du vent. IL a tiré sur les lueurs d'espoir, sur la tristesse des hommes. Il a tiré sur moi, sur nous tous. Il a tiré sur l'or du soir qui tombe, le bouquet de houx vert et les bruyÚres en fleur.
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Sorj Chalandon (Le quatriĂšme mur)
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La mĂ©taphore, tout d'abord, ne relie pas seulement le corps humain Ă l'univers dans son ensemble, mais surtout Ă un pays, voire Ă un paysage : « le corps humain est l'image d'un pays (yi-jen tche chen, yi kouo tche siang) », disent les TaoĂŻstes du Moyen Age. Et, depuis l'Ă©poque Song, le corps humain a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© sous les apparences d'un paysage, avec des montagnes et des lacs, des forĂȘts et des habitats. Paysage ou pays qui constitue aussi un royaume, avec son administration : le cĆur est le prince, les autres viscĂšres ses ministres, le sang son peuple, etc.
Recherches sur le corps taoĂŻste 1976
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Kristofer Schipper
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« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais.
Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais.
Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.
Je dormirais peu, je rĂȘverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, Ă chaque minute nous perdons 60 secondes de lumiĂšre.
Je marcherais quand les autres s'arrĂȘteraient, je me rĂ©veillerais quand les autres dormiraient.
Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais à plat ventre au soleil, laissant à découvert pas seulement mon corps, mais aussi mon ùme.
Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'ĂȘtre amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'ĂȘtre amoureux ! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre Ă voler tout seul.
Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli.
J'ai appris tant de choses de vous les hommes⊠J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la maniÚre d'y arriver.
J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre pour la premiÚre fois, le doigt de son pÚre, avec son petit poing, il le tient pour toujours.
J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables Ă se relever.
J'ai appris tant de choses de vous, mais à la vérité cela ne me servira pas à grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir.
Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses.
Si je savais que c'est peut ĂȘtre aujourd'hui la derniĂšre fois que je te vois dormir, je t'embrasserais trĂšs fort et je prierais pour pouvoir ĂȘtre le gardien de ton Ăąme.
Si je savais que ce sont les derniers moments oĂč je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais dĂ©jĂ .
Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilitĂ© pour faire les choses bien, mais au cas oĂč elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais.
Le lendemain n'est sûr pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux.
C'est peut ĂȘtre aujourd'hui que tu vois pour la derniĂšre fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut ĂȘtre demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu Ă©tais trop occupĂ© pour accĂ©der Ă un de leur dernier dĂ©sir.
Garde ceux que tu aimes prĂšs de toi, dis-leur Ă l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais.
Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrÚtes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer.
Dis Ă tes amis et Ă ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi.
Monsieur Mårquez a terminé, disant : Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passé.
Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »
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Gabriel GarcĂa MĂĄrquez
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Je rĂȘve d'un homme qui aime les vieux groupes de rock que plus personne n'Ă©coute. Qui me laissera dormir avec mon tee-shirt trouĂ© que j'adore et mes collants en laine. Qui se rĂ©veillera Ă quatre heures du matin pour arroser l'olivier parce qu'il saura que j'oublie toujours de le faire. Qui autorisera les animaux Ă boire des cafĂ©s. Qui m'achĂštera des frites. Qui ne s'ennuiera jamais. Qui aura lu Miller, Salinger et Desnos. Et aussi Kateb, Mammeri et Mahfouz. Qui, Ă l'aube, prendra un train avec moi sans en connaitre la destination. Qui se fichera que les yaourts soient pĂ©rimĂ©s depuis la veille. Qui saura se mettre en colĂšre et rire en mĂȘme temps. Qui chantera faux. Qui aimera la mer et la campagne et peut-ĂȘtre mĂȘme la montagne, aussi.
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Kaouther Adimi (Des pierres dans ma poche)
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Quelle est donc cette foi qui dit Ă un homme qu'il doit quitter ses amis les plus proches, les plus sincĂšres, pour pouvoir aller vers Dieu? Parce que Dieu est lĂ -bas, dans la montagne, et pas ici, en ville? Parce que Dieu est au monastĂšre, et pas sur les chantiers, ni dans les bureaux? Si l'on croit en Dieu, on doit croire qu'il est partout ! [...] Ce qui m'exaspĂšre, c'est cette maniĂšre que l'on a aujourd'hui d'introduire la religion partout, et de tout justifier par elle. [...] On la met Ă toutes les sauces, et on croit la servir, alors qu'on est en train de la mettre au service de ses propres ambitions, ou de ses propres lubies.
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Amin Maalouf (ۧÙŰȘۧۊÙÙÙ)
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Jâen avais assez des affrontements et des discussions, et retourner dans cet endroit serein au sommet de la montagne me rĂ©jouissait davantage que la perspective de passer une autre journĂ©e dans la bibliothĂšque.
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Sarah J. Maas (Un Palais dâĂ©pines et de roses T2: Un Palais de colĂšre et de brume (Un Palais d'Ă©pines et de roses) (French Edition))
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Grande mer, toujours labourĂ©e, toujours vierge, ma religion avec la nuit ! Elle nous lave et nous rassasie dans ses sillons stĂ©riles, elle nous libĂšre et nous tient debout. Ă chaque vague, une promesse, toujours la mĂȘme. Que dit la vague ? Si je. devais mourir, entourĂ© de montagnes froides, ignorĂ© du monde, reniĂ© par les miens, Ă bout de forces enfin, la mer, au dernier moment, emplirait ma cellule, viendrait me soutenir au-dessus de moi-mĂȘme et m'aider Ă mourir sans haine.
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Albert Camus
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Dans la mer, dans la montagne, l'Autre peut s'incarner aussi parfaitement que chez la femme ; elles opposent Ă l'homme la mĂȘme resistance passive et imprĂ©vue qui lui permet de s'accomplir ; elles sont un refus Ă vaincre, une proie Ă possĂ©der. Si la mer et la montage sont femmes, c'est que la femme est aussi pour l'amant la mer et la montagne.
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Simone de Beauvoir (Le deuxiĂšme sexe, I)
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Il se mit debout tant bien que mal, le suivit, lâaurait suivi jusquâen enfer, câest ce quâon dit dans ces moments oĂč lâhistoire vous Ă©chappe, la tĂȘte dĂ©vorĂ©e, la chaleur drainĂ©e depuis chaque veine qui martĂšle, un nĆud au ventre, la certitude que rien, jamais, ne pourra plus apaiser cette faim tant que le monde sera ce quâil est â sorti de la montagne, tombĂ© du ciel ici, entre deux mondes, mais HadriĂĄn voulait y errer jusquâĂ la fin des temps.
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Anne-Claire Dolly
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En haut, au cĆur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein dâune crevasse humide, elle regardait la mer.
Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser...
Au fond dâune gorge noyĂ©e dâobscuritĂ© et dâembruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la merâŠ
Tout en Ă©cume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colĂšre, se jetait dans les flots.
Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es...
Dans un cri bref, il sâĂ©tait Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine lâĂąpretĂ© de la pierre...
D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que lâoiseau blessĂ© nâavait plus longtemps Ă vivreâŠ
Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla :
- Quoi, voilĂ donc que tu meurs ?
- Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit lâoiseau dans un profond soupir. Je meurs mais jâai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !⊠Jâai combattu vaillamment !⊠J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras tâen approcher !... Pauvre crĂ©ature !
- Le ciel !?⊠Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide !
Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond dâelle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes.
Ainsi pensait lâophidien : "Quâon vole ou bien quâon rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..."
Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour.
Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, lâair Ă©tait suffocant et puait la charogne.
Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa Ă©chapper un cri de douleur et de chagrin :
- Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois mâenvoler et rejoindre le ciel ! LĂ , jâĂ©treindrais mon ennemi⊠contre ma poitrine et... il sâĂ©toufferait de mon sang ! Ă, Ivresse de la bataille !...
Lâentendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !"
Elle proposa Ă lâoiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien."
Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de lâabĂźme, sâagrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante.
Arrivé au bord du précipice, il déploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignÚrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide.
Il tomba plus vite quâune pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumesâŠ
Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et lâinondant dâĂ©cume lâemporta vers la mer.
Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de lâoiseau Ă tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©an⊠»
â
â
Maxime Gorki (Le bourg d'Okourov)
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En haut, au cĆur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein dâune crevasse humide, elle regardait la mer.
Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser...
Au fond dâune gorge noyĂ©e dâobscuritĂ© et dâembruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la merâŠ
Tout en Ă©cume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colĂšre, se jetait dans les flots.
Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es...
Dans un cri bref, il sâĂ©tait Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine lâĂąpretĂ© de la pierre...
D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que lâoiseau blessĂ© nâavait plus longtemps Ă vivreâŠ
Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla :
- Quoi, voilĂ donc que tu meurs ?
- Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit lâoiseau dans un profond soupir. Je meurs mais jâai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !⊠Jâai combattu vaillamment !⊠J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras tâen approcher !... Pauvre crĂ©ature !
- Le ciel !?⊠Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide !
Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond dâelle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes.
Ainsi pensait lâophidien : "Quâon vole ou bien quâon rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..."
Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour.
Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, lâair Ă©tait suffocant et puait la charogne.
Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa Ă©chapper un cri de douleur et de chagrin :
- Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois mâenvoler et rejoindre le ciel ! LĂ , jâĂ©treindrais mon ennemi⊠contre ma poitrine et... il sâĂ©toufferait de mon sang ! Ă, Ivresse de la bataille !...
Lâentendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !"
Elle proposa Ă lâoiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien."
Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de lâabĂźme, sâagrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante.
Arrivé au bord du précipice, il déploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignÚrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide.
Il tomba plus vite quâune pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumesâŠ
Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et lâinondant dâĂ©cume lâemporta vers la mer.
Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de lâoiseau Ă tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©anâŠ
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Maxime Gorki
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Ce que les amĂ©ricains ont fait pour le mont Washington, les Suisses se sont hĂątĂ©s de l'imiter pour le Rigi, au centre de ce panorama si grandiose de leurs lacs et de leurs montagnes. Ils l'ont fait aussi pour l'Utli ; ils le feront pour d'autres monts encore, ils en ramĂšneront pour ainsi dire les cimes au niveau de la plaine. La locomotive passera de vallĂ©e en vallĂ©e par-dessus les sommets, comme passe un navire en montant et en descendant comme sur les vagues de la mer. Quant aux monts tels que les hautes cimes des Andes et de l'Himalaya, trop Ă©levĂ©es dans la rĂ©gion du froid pour que l'homme puisse y monter directement, le jour viendra oĂč il saura pourtant les atteindre.
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ĂlisĂ©e Reclus (Histoire d'une montagne)
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L'inondation, qui ruine ainsi l'espoir du paysan, est un grand malheur, et pourtant, dans ses eaux redoutées, le ruisseau apporte un trésor pour les années à venir : en détruisant la récolte de l'année présente, il dépose de la boue fertilisante qui nourrira les récoltes futures. Le sol de la plaine, constamment sollicité par le travail du laboureur s'épuiserait bientÎt si les rochers de la montagne, triturés et tamisés par le flot, ne s'étalaient en couches sur les campagnes pour en renouveler la fécondité. Ainsi que le montrent les sondages géologiques, la terre végétale et le sous-sol tout entier sont des alluvions successivement amenées de siÚcle en siÚcle et déposées sur les assises de la roche : aucune plante n'aurait pu germer dans la vallée si la montagne ne se délitait pas sans cesse, et si le ruisseau n'employait pas chaque année ces débris à fournir un nouvel aliment à la végétation de ses deux rives.
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ĂlisĂ©e Reclus (Histoire d'un ruisseau - Histoire d'une montagne)
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Fils, s'il t'est donnĂ© de vivre, tu rencontreras sur ta route des hommes qui sont suivis par des troupeaux de montagnes. Des hommes qui arrivent dans des pays, nus et crus. On remarque Ă peine que leurs mains ouvertes Ă©clairent l'ombre comme des veilleuses. Quand on le remarque. Et voilĂ que les montagnes se lĂšvent et marchent Ă leur suite. Et voilĂ que tous les mĂ©caniciens de raison tapent du poing sur leurs tables. VoilĂ qu'ils crient : « Il y a dix ans que je cherche des formules, dix ans que je noircis du papier, dix ans que j'use des arithmĂ©tiques. Dix ans que je cherche le bouton secret ». Et celui-lĂ est arrivĂ© et il a dit tout simplement : « Montagne » et puis la montagne s'est dressĂ©e. OĂč est la justice ?
« Elle est là , fiston la justice.
L'espérance⊠»
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Jean Giono (Blue Boy)
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Astrid sommeille dans la vase dâun marĂ©cage, lit bourbeux, puis la conscience balbutiante chasse les fragments de la nuit, petites miettes insouciantes, reprend forme, et soudain, le silence, partout, qui foudroie et dit lâabsence, la vĂ©ritĂ© blanche. Les bruits de la vie sont dehors. Plus Ă lâintĂ©rieur.
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Marie Pavlenko (Traverser les montagnes et venir naĂźtre ici)
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Soraya est une Ă©trangĂšre, elle aussi. Elle est "ceux". Mais qu'a-t-elle en commun avec un ĂrythrĂ©en ? Un Afghan ? La mĂȘme chose qu'avec un Français, un AmĂ©ricain, elle a un pĂšre, une mĂšre. Elle est nĂ©e, mourra. Son corps est fait de chair, de sang, un sang rouge qui coule dans les veines de tous les mammifĂšres. Elle parle, rit, pleure. Elle a peur, aime, crie, doute. Sont-ils si diffĂ©rents, ces hommes qui la traquent ?
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Marie Pavlenko (Traverser les montagnes et venir naĂźtre ici)
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Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands Ă©vĂ©nements et personnages historiques se rĂ©pĂštent pour ainsi dire deux fois. Il a oubliĂ© d'ajouter : la premiĂšre fois comme tragĂ©die, la seconde fois comme farce. CaussidiĂšre pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 Ă 1851 pour la Montagne de 1793 Ă 1795, le neveu pour l'oncle. Et nous constatons la mĂȘme caricature dans les circonstances oĂč parut la deuxiĂšme Ă©dition du 18 Brumaire.
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Karl Marx (Le 18 Brumaire (French Edition))
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AUTEL
Les lumiĂšres se sont Ă©teintes dans un de tes autels
Î, toi, pays condamné à la tristesse,
tous les troubadours emplissent les prisons
et ils ne saluent plus lâallĂ©gresse.
Dans nos montagnes il a de nouveau neigé
flotte Ă lâhorizon un Ă©tat de pleur
Pays de larmes,
pays de myrte,
ton peuple est pour toujours martyr !
(Gabriela Livescu, Ăźn traducerea mea)
ALTAR
S-au stins luminile-ntr-un al tÄu altar
o, ÈarÄ, condamnatÄ la tristeÈe,
toÈi trubadurii sunt Ăźn Ăźnchisori,
iar bucuriei nu-i mai dau bineÈe.
Ăn munÈii noÈtri iarÄÈi a nins
PluteÈte-n vÄzduh o stare de plĂąns
ÈarÄ de lacrimi, ÈarÄ de mir,
poporul tau e veÈnic martir!
traduit en français par Gabrielle Danoux
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Gabriela Livescu (PasÄrea Paradis)
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La nostalgie de l'architecture
Dans un paysage de briques
La nostalgie des montagnes
LĂ oĂč sont les collines d'eau.
Qui est en mesure de comprendre
Tout ce qui s'effondre ici ?
Sagesse fermentée
Dans la bouse et dans la boue
Crépie sur des branches encore vivantes
Sagesse délirante
Tressant dans une mĂȘme sĂ©duction
Architraves molles
Et colonnes sculptées dans du treillis.
Le rĂȘve de pierre rĂȘvĂ©
Dans un sommeil de terre
OĂč ondulent des sillons pluvieux.
Les dimanches dans les temples
Produisent des fruits de culpabilité
Des temples courbés
Sous les vents qui soufflent.
(Systématisation, p. 27)
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Ana Blandiana (Arhitectura valurilor)
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L'EXASPĂRATION
L'exaspération de s'écouler
Vers rien, de s'Ă©couler vers personne
De mĂȘme que s'Ă©coule le sang d'une blessure,
C'est la longue Histoire qui me l'a apprise
L'Histoire domestiquée par le néant
OĂč se battent les sommets
Des montagnes du monde entier, ou périssent en vain
Les flots exacerbés des ruisseaux de miel, de lait;
L'exaspération de croire
Qu'il est ridicule, que c'est un supplice
De griffer l'éternité en y creusant des tranchées
D'Ă©difier une coupole en mĂȘme temps qu'un destin
Sur une des Ăźles flottant dans le delta du Danube
Parce qu'en fait on veut simplement en finir;
L'exaspération qui permettra de conclure
Mauvaise fortune, bon cĆur en mĂȘme temps que la ballade
Par la mĂȘme conclusion:
Une mĂȘme mort bĂ©nĂ©voleâŠ
(p. 33)
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Ana Blandiana (L'Architecture des vagues)
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L'unitĂ© roumaine n'a pas attendu, pour exister, de recevoir une couronne consacrĂ©e Ă Rome ou Ă Byzance. L'on peut dire qu'une configuration naturelle, ou, si l'on prĂ©fĂšre les termes de Bossuet, la volontĂ© mĂȘme de la Providence, a posĂ© sur le fond du peuple roumain la seule couronne dont il revendique la possession : celle de ses montagnes, Corona Montium, qui entoure de ses murs crĂ©nelĂ©s l'antique Dacie et que mentionnent les plus anciennes descriptions de cette terre, sur laquelle devait se dĂ©rouler les fastes de son histoire.
Celle-ci est plus qu'autre part, si l'on n'en veut considĂ©rer que les traits essentiels, un phĂ©nomĂšne de conscience collective. Les fortes individualitĂ©s ne lui se font certes pas dĂ©faut, mais elles se dĂ©tachent de l'ensemble, aux temps modernes, dans la mesure oĂč elles reprĂ©sentent la tendance, d'abord instinctive, puis toujours plus consciente vers l'unitĂ©, qui est donc assurĂ©e de pouvoir durer, autant que cette conscience restera vivante dans l'esprit du peuple roumain et de ses dirigeants. C'est de ce facteur spirituel, qui a marquĂ© de son empreinte les rĂ©alitĂ©s ethniques et linguistiques dont il est devenu l'expression, que dĂ©pend l'avenir, plus que du jeu incertain et hasardeux des Ă©vĂ©nements et des circonstances.
(p. 334-335)
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â
Gheorghe I. BrÄtianu (Origines et formation de l'unitĂ© roumaine)
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Nous mourons pour ne plus mourir
nous mourons pour ne plus mourir
et nous brĂ»lerons tout entiers sur le bĂ»cher de lâensoiffement
devenus corps immolés de mystÚre
nous consumant-en-esprit
pour ĂȘtre vivants toujours
nous mourons vers la vie
ou nous mourons vers la mort
se flétrissent et meurent, je ne chanterai pas
je ne chanterai jamais les feuilles dâautomne
elles qui se flétrissent et meurent
automne des choses
ni le jour
oĂč les Ă©toiles sâeffondreront dans un temps Ă elles
au-dessus de lâabĂźme
ces choses-lĂ ne sont pas celles que jâaimerai
et désirerai pour mon ùme
lâĂ©clat des pierres, ni la louange
ni les vagues
qui sont mortes, demeures des morts
lorsquâune Ăgypte de pierre Ă©lĂšve
dâimmenses sarcophages sans rien de plus prĂ©cieux
que les pas sur les sables
câest une douleur assurĂ©ment
de lâĂ©chec
Comme si le corps qui souffre et pleure
sâil Ă©tait immense, de granite
devenait Ă©ternel
comment pourrions-nous nous abuser
quand mĂȘme ceux qui travaillaient dans le dĂ©sert
ne croyaient plus et savaient
savaient quâils bĂątissaient une ruine
dans la volupté de la mort
Ăgypte de la peur
II
mais voilĂ
la Parole qui ne sâest jamais couchĂ©e se montre
aux dĂ©butants sous la figure dâun esclave et dâun pĂšre
Ă ceux qui peuvent la suivre
sur la montagne haute de sa
transfiguration
en vérité et en vie
Quand la parole se montre en nous
tellement illuminante, tellement claire
et Son visage Ă©clate comme le soleil
alors ses vĂȘtements deviennent blancs
et les vĂȘtements sont la parole
de lâĂvangile de la victoire
absolue
sur la mort.
(p. 85 et 87)
â
â
Daniel Turcea (L'Ăpiphanie)
â
Dans cet espace, oĂč les masses de pierre semblent Ă©craser tout, la source se montre si frĂȘle, quâil ne serait pas Ă©tonnant que sa vie sâĂ©teignĂźt un instant aprĂšs. Ătonnante est, au contraire, la tĂ©mĂ©ritĂ© avec laquelle elle affirme son existence face aux pics altiers. Dans la nuit saisie dâĂ©tonnement, lâOlt commence son histoire, digne dâĂȘtre Ă©coutĂ©e, dans un recueillement absolu, par les montagnes, par les hommes, par lâunivers entier.
Ă lâĂ©ternitĂ© des montagnes, il oppose une autre Ă©ternitĂ© : celle de lâeau qui jaillit du rocher et qui, par ce dont elle est composĂ©e, est plus vieille que toutes les montagnes rĂ©unies. Des centaines et des milliers de siĂšcles sont condensĂ©s dans le chuchotement de la source, lâun sous lâautre, remontant de plus en plus loin, jusque dans la nuit et avant la nuit des temps. Dans ce lit dâĂšres, lâeau coule sur son passĂ©, comme sur une roche gigantesque, dont la couche la plus profonde remonte Ă lâinstant oĂč la terre sâest dĂ©tachĂ©e du soleil.
Câest alors quâelle a commencĂ© Ă exister, et, depuis lors, dans chaque molĂ©cule et dans son Ă©norme totalitĂ©, elle est restĂ©e la mĂȘme. Le mince filet de lâOlt provient directement des masses liquides gĂ©antes qui ont recouvert la planĂšte, Ă lâĂ©poque oĂč les continents Ă©taient encore loin de naĂźtre. Depuis, dans les ruisseaux, dans les fleuves, dans les mers, lâeau est restĂ©e la mĂȘme : Ă©lĂ©mentaire, unique.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
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Un obstacle inattendu sâoppose, dĂšs le premier instant, Ă ce voyage, qui sâannonce comme le plus fĂ©cond qui soit, dâun bout Ă lâautre dâune noble existence, Ă ce voyage qui pourrait donner lieu Ă un vaste et grave tour du monde : la sĂ©paration, difficile au plus haut point, de la contrĂ©e dâoĂč il va partir.
OĂč le monde pourrait-il ĂȘtre aussi grandiose que sur ces sommets sur lesquels rien ne fait obstacle aux regards, oĂč quâils veuillent se diriger, et oĂč ils se dirigent, effectivement, jusquâĂ ce quâils touchent lâinfiniâ? Quels autres horizons pourraient se comparer Ă lâocĂ©an de pierre, sur lâĂ©tendue duquel Ă©merge le CeahlÄu, Ă lâocĂ©an instable dont les vagues donnent Ă lâunivers un bercement plus large, une rĂ©sonance plus profondeâ?
Quitter ce moutonnement infini de montagnes, si proche Ă la fois du ciel et des fondements sonores de la terre, voilĂ ce qui paraĂźt impossible. Tout son tumulte retient lâĂȘtre dans les yeux duquel il sâest mirĂ©, le tirant en arriĂšre, ne le laissant se dĂ©tacher quâĂ grande peine et douloureusement, provoquant aussitĂŽt en lui le sentiment dâune perte irrĂ©parable.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
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La vĂ©ritĂ© est que, aprĂšs ĂȘtre venu Ă la lumiĂšre du jour et aprĂšs sâĂȘtre mis Ă courir sur les rochers, le filet dâeau ne perd Ă aucun moment le contact avec une infinitĂ© de gisements liquides, qui, par des voies secrĂštes, vont lâenrichir sans cesse, tout comme lâĂȘtre humain, quelque Ă©voluĂ© quâil fĂ»t, ne se coupe pas de ses gisements ancestraux obscurs, dont il reçoit sans cesse des Ă©nergies insoupçonnĂ©es et des impulsions Ă©normes.
Des milliers de galeries sâentrelacent dans la pierre, tel un inimaginable labyrinthe de nervures, infiltrant leurs pointes dâaiguille jusque sous les crĂȘtes les plus hautes, dans des dĂ©pĂŽts, pas plus grands quâun ongle, sous la croĂ»te des rochers, pour laisser sâĂ©couler dans le ruisseau qui vient de naĂźtre, goutte-Ă -goutte, toute la sĂšve et toute la force de HÄÈmaÈul Mare.
LâOlt semble ĂȘtre, ainsi, un arbre aux racines ramifiĂ©es sous lâĂ©corce dâun vaste et chaotique territoire, si bien que, si on pouvait lâarracher, tel un sapin par la tempĂȘte, il tirerait avec lui la ronde immense des crĂȘtes, des prĂ©cipices et des pics oĂč il a vu la lumiĂšre du jour. Câest Ă travers ce fabuleux rĂ©seau de racines, comme Ă travers un arbre de vie gĂ©ant, que la montagne fait parvenir la nourriture Ă la riviĂšre Ă laquelle elle a donnĂ© le jour.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
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Je crois faire Ćuvre de bon Roumain, en publiant ce livre, pour lequel j'ai puisĂ© dans les notes que j'ai prises, au jour le jour, Ă la montagne; sa destination est de faire connaĂźtre au moins un coin de mon beau pays que les Roumains mĂ©connaissent tant et que les Ă©trangers ne connaissent pas du tout.
Mais il y a plus : l'affabulation de ce livre est la preuve que le cĆur de son auteur, comme celui de tout Roumain bien pensant, est partagĂ© entre l'amour pour son pays de naissance la Roumanie et l'inaltĂ©rable affection et reconnaissance qu'il garde Ă son pays d'Ă©lection, la France.
Quoi que fassent les mesquines combinaisons de la politique, les cĆurs roumains battront toujours Ă l'unisson des cĆurs français. Les Roumains ne devront jamais oublier la dette de gratitude qu'ils ont contractĂ©e envers la grande sĆur latine qui, gĂ©nĂ©reusement, les secourut aux heures troubles oĂč leur idĂ©al de libertĂ© Ă©tait Ă©tranglĂ© par des voisins puissants et accapareurs
[...]
Et je ne me lasserai pas de rĂ©pĂ©ter que, Roumain, j'ai fait dans mon cĆur deux places Ă©gales pour deux patries : la France et la Roumanie.
(Extrait de "Au lecteur")
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Nestor Urechia (Dans les Carpathes roumaines, les Bucégi)
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Sans mĂȘme qu'on s'en aperçoive, la sociĂ©tĂ© de consommation s'Ă©tait introduite aussi dans le beau village au pied de la montagne.
[Pe nebÄgatelea de seamÄ civilizaÈia de consum ajunse Èi Ăźn frumosul sat de la poalele muntelui.]
(p. 63, traduit en français par Gabrielle Danoux)
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â
Adrian Voicu (Provinciale)
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Sinaia
(II)
Les montagnes font un tourbillon d'eau contre ta joue ;
tu en détaches le bouquet mouillé sur les sapins
aux genoux ployés, à la criniÚre de nuit,
chevaux rétifs, hennissants et captifs.
Sur les bords de l'Ă©tang aux longs cils,
je sais des rires de femmes engloutis
et des regards limpides verdis comme la terrine.
Une flamme annonce l'imminence du vide,
et le chemin cerne l'Ă©tang, comme un couteau.
Que de sang ! Le temps, le temps Ă©clate sur le couchant ;
la forĂȘt a ce soir la folle effervescence de la bonde.
Les cerfs ne savent rien de l'automne roux,
et dans leur sommeil, Ăąmes de feuille aux pieds nus,
ils rĂȘvent limiers, cors et chasseurs redoutĂ©s,
venus s'emparaient du bocage, de ses bois, de ses sabots â
et la forĂȘt, abattue, pleure, les narines palpitantes.
â
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Benjamin Fondane (Privelisti -si inedite-)
â
Le 31 mai, je m'engageai entre la Costila et le Morar. Ce fut un enchantement! Je me promenais Ă travers des jardins, je foulais des parterres de fleurs.
C'Ă©tait la premiĂšre toison que revĂȘtaient les BucĂ©gi, des fleurs aux nuances dĂ©licates, tendres: les cĂ©raistes blanches, les mignonnes pyroles d'une blancheur de cire, la tribu des humbles saxifrages, les dryades aux huit pĂ©tales d'argent, la corthuse aux corolles en cloche d'un rose carminĂ©, le myosotis de montagne aux mille yeux d'azur⊠Sur la mousse des quartiers de roches s'Ă©talait, en plaques roses, le silĂšne.
Les quelques arnicas, aux boutons non encore éclos, présageaient déjà la seconde toison, celle de l'été brûlant aux fleurs de couleurs riches, jaunes, rouges.
à mesure que je montais, les vapeurs se dégageaient des bas-fonds. Lorsque j'arrivais à l'Omul le tableau était impressionnant: comme d'une gigantesque et infernale chaudiÚre, les vapeurs montaient, d'abord transparentes, ensuite de plus en plus compactes, d'un gris sale ; quelques faisceaux de rayons solaires traversaient ces nuages, leur donnant d'étranges reflets d'or.
Je n'augurai rien de bon de ce phĂ©nomĂšne et je me dĂ©pĂȘchai de rentrer.
Je trouvai à la maison le garçon de l'aubergiste; il m'apportait votre lettre, que le facteur de Prédéal avait laissée en passant.
Ainsi donc: vous allez vous mettre en route pour un petit tour en Suisse et vous me promettez d'arriver à Busteni dans la seconde moitié de juin?
Vous vous proposez de préparer votre licence au milieu de nos montagnes.
(p. 254â255)
â
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Nestor Urechia (Dans les Carpathes roumaines, les Bucégi)
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Comment une helléniste n'aurait-elle pas été sensible aux traits qui le rapprochent de Socrate ? Socrate avait dû boire la ciguë : Constantin Noica avait passé dix ans de sa vie en résidence surveillée et six ans en prison ; il vivait dans la montagne, occupant une chambre étroite et glacée, se nourrissant mal, indifférent aux misÚres matérielles. Comme Socrate, il ne s'était jamais lassé d'enseigner aux autres à penser : cet homme isolé avait des disciples un peu partout, à qui il donnait des programmes de lecture, qu'il formait, dont il déliait l'esprit.
(Jacqueline de Romilly, Préface)
â
â
Constantin Noica (Èase maladii ale spiritului contemporan)
â
Minuit dix, le 7 septembre 1969.
J'ai vingt-neuf ans et demi, je pĂšse 48 kilos.
Je suis un junkie qui va se finir dans la montagne.
Je ne suis ni heureux, ni malheureux, ni anxieux ni tourmenté.
J'ai en moi la fatalité des Orientaux.
Je ne me donne pas plus de trois semaines Ă vivre.
â
â
Charles Duchaussois (Flash: ou le grand voyage)
â
Si on avait justement partagé
Dans les défilés des montagnes,
je gémis, la tempe sur la pierre.
Et j'aurais voulu, ta lumiĂšre
la chanter encore, sommet des montagnes !
Si on avait justement partagé
toutes les peines du monde,
autant sur mon cĆur que sur le tien,
je ne serais pas morte aussi jeune.
Jâaurais pu me rĂ©jouir encore longtemps,
en riant, sous les verts rameaux,
j'aurais pu encore longtemps chanter,
la tempe collĂ©e Ă lâorgue des forets.
Il y avait encore tant de jardins Ă cueillirâŠ
Jâaurais ornĂ© jusquâau fond
ce plateau rond,
avec des Ă©charpes et des pommes.
Si on avait justement partagé
toutes les peines du monde,
beaucoup dâannĂ©es encore, jâaurais moissonnĂ©
le soleil de ces terres.
Mon ami, apporte-moi des épis de blé,
lĂ -haut, sur le sommet des montagnes,
prés des cieux et des vents,
prĂšs du feu silencieux des bergers.
Vie, pour les uns tu as été
un Ă©ternel festin,
pour moi â une pluie dĂ©serte,
toi et tes balances truquĂ©esâŠ
Et pourtant, je te salue et je pars Ă regret.
(traduit du roumain par Elisabeta Isanos)
â
â
Magda Isanos (Cantarea muntilor)
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Sous CeauÈescu, nous avons Ă©tĂ© incapables de savoir sâil y avait, oui ou non, des dĂ©tenus politiques. Et, dans lâaffirmative, combien. De plus, ils Ă©taient « maquillĂ©s » en dĂ©tenus de droit commun.
Du temps de Gheorghiu-Dej (1945-1965, prĂ©dĂ©cesseur de CeauÈescu), les arrestations nâĂ©taient pas nĂ©cessairement le rĂ©sultat dâune action subversive. Tout pouvait devenir chef dâaccusation et, donc, motif dâarrestation. Dire Ă voix haute dans la rue : « Jâen ai marre », ou Ă©couter les Ă©missions des postes tels quâEurope libre ou La Voix de lâAmĂ©rique, constituait un dĂ©lit passible de deux Ă quatre annĂ©es de prison. LâatmosphĂšre de terreur nâĂ©pargnait pas les enfants que nous Ă©tions. En lâabsence dâune vision politique de la situation, nous avions conscience quâil se passait des choses terribles. Nous savions. Nous savions quâil y avait des rĂ©sistants dans les montagnes. Dâailleurs, les radios occidentales en parlaient.
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Oana Orlea (Les années volées: Dans le goulag roumain à 16 ans (French Edition))
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LA GUERRE DES MOTS
On entend les pas de soldats,
ont murmurĂ© les motsâŠ
En cottes de mailles nous nous habillerons
Ont crié les mots.
Dans la guerre de tous,
Contre tous,
On nâentend aucun Stradivarius
Dans les montagnes nous nous cacherons,
et dans les psaumes,
ont montré leur stratégie les mots
les aubes et les points cardinaux nous incendierons
les paraphrases nous empoisonnerons
et des incantations nous hisserons
et de lâaide nous recevronsâŠ
On entend les pas de soldats,
Mots, chaussez vos godillots !
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RÄZBOIUL CUVINTELOR
Se-aud paÈi de soldaÈi,
au Èoptit cuvinteleâŠ
Ne vom ĂźmbrÄca Ăźn zale,
au strigat cuvintele.
Ăn rÄzboiul tuturor
Ăźmpotriva tuturor
nu se-aude nici un Stradivarius
Ne vom ascunde Ăźn munÈi
Èi-n psalmi,
Èi-au arÄtat strategia cuvintele
vom incendia zÄrile Èi punctele cardinale,
vom otrÄvi parafrazele
Èi vom incendia incantaÈii
Èi vom primi ajutorâŠ
Se-aud paÈi de soldaÈi,
Cuvinte⊠ßncÄlÈaÈi-vÄ bocancii !...
(p. 19, traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
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Gabriela Livescu (PasÄrea Paradis)
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Bouts de soie
Je fus l'ami de toutes les solitudes.
J'allumais les lampes parmi les errants.
Le soir je prenais un peu de thĂ©, ou mĂȘme pas.
Les chemins se sont resserrĂ©s dans le passĂ©â
et voici venir l'oubli.
Tout est comme cela fut un jour :
choses auxquelles je ne puis donner un nom.
Jeune fille aux cheveux emmĂȘlĂ©s de fĂ©erie,
n'essayons plus de nous souvenir.
En automne les cirques partaient.
Les femmes vendaient pour nous de la marjolaine.
Obscurité favorable aux monts-de-piété,
le vent fait encore des culbutes et des papillons.
NaguĂšre tu me montrais un Ă©cureuil menu comme une patate
et nous nous effilochions au gré des spectres.
Les gens savent quelque chose qu'ils ne disent pas.
Que fait l'eau dans laquelle tu as secoué tes brumes ?
Par les herbes et les saisons humides,
les cendres confondent leurs saints.
Le soir est venu comme un chien des montagnes,
pour lécher nos mains brûlantes.
Tu es toujours mon amour et
j'entends encore la lune serpenter entre les murs.
Oh ! Si seulement nous étions demeurés en imagination
comme les batailles sur les panopliesâŠ
La vie fĂ»t toujours comme ne devrait pas ĂȘtre la vie.
(p. 15)
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Ion Caraion (La neige qui jamais ne neige et autres poĂšmes)
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Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait Ă©tabli son camp et Ă©levĂ© des retranchements Ă Kai-hia : ses soldats Ă©taient mal nourris et Ă©puisĂ©s. LâarmĂ©e de Han et les troupes des seigneurs renfermĂšrent dans un cercle de plusieurs rangs d'Ă©paisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans lâarmĂ©e de Han, on chantait des chants de Tchâou ; il en fut fort effrayĂ© et dit : « Han a-t-il gagnĂ© Ă lui toute la population de Tchâou ? Comment va-t-il tant de gens de Tchâou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommĂ©e Yu qui toujours lâaccompagnait, et un excellent cheval nommĂ© Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses gĂ©nĂ©reux regrets; il fit sur lui-mĂȘme ces vers :
« Ma force déracinait les montagnes ; mon énergie dominait le monde ;
Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ;
Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ?
Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? »
Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait dâabondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun dâeux ne pouvait lever la tĂȘte pour le regarder.
Puis le roi Hiang monta Ă cheval, et, avec une escorte dâenviron huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, Ă la tombĂ©e de la nuit, le cercle qui lâenserrait, sortit du cĂŽtĂ© du sud, et galopa jusquâau jourâŠ
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China, Sima Qian, Xiang Yu
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Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait Ă©tabli son camp et Ă©levĂ© des retranchements Ă Kai-hia : ses soldats Ă©taient mal nourris et Ă©puisĂ©s. LâarmĂ©e de Han et les troupes des seigneurs renfermĂšrent dans un cercle de plusieurs rangs d'Ă©paisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans lâarmĂ©e de Han, on chantait des chants de Tchâou ; il en fut fort effrayĂ© et dit : « Han a-t-il gagnĂ© Ă lui toute la population de Tchâou ? Comment va-t-il tant de gens de Tchâou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommĂ©e Yu qui toujours lâaccompagnait, et un excellent cheval nommĂ© Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses gĂ©nĂ©reux regrets; il fit sur lui-mĂȘme ces vers :
« Ma force déracinait les montagnes ; mon énergie dominait le monde ;
Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ;
Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ?
Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? »
Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait dâabondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun dâeux ne pouvait lever la tĂȘte pour le regarder.
Puis le roi Hiang monta Ă cheval, et, avec une escorte dâenviron huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, Ă la tombĂ©e de la nuit, le cercle qui lâenserrait, sortit du cĂŽtĂ© du sud, et galopa jusquâau jourâŠ
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Sima Qian (MĂ©moires historiques - DeuxiĂšme Section (French Edition))
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Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) mena ses soldats du cĂŽtĂ© de lâest; arrivĂ© Ă Tong-Tchâen il nâavait plus que vingt- huit cavaliers. Les cavaliers de Han qui le poursuivaient Ă©taient au nombre de plusieurs milliers. Le roi Hiang estima quâil ne pouvait plus Ă©chapper ; il dit Ă ses cavaliers : « Huit annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis le moment oĂč jâai commencĂ© la guerre jusquâĂ maintenant ; jâai livrĂ© en personne plus de soixante-dix batailles ; ceux qui mâont rĂ©sistĂ©, je les ai Ă©crasĂ©s ; ceux qui mâont attaquĂ©, je les ai soumis ; je nâai jamais Ă©tĂ© battu ; jâai donc possĂ©dĂ© lâempire en mâen faisant le chef. Cependant voici maintenant en dĂ©finitive Ă quelle extrĂ©mitĂ© je suis rĂ©duit ; câest le Ciel qui me perd ; ce nâest point que jâaie commis quelque faute militaireâŠ
Alors il divisa ses cavaliers en quatre bandes quâil disposa sur quatre fronts ; lâarmĂ©e de Ban le tenait enfermĂ© dans un cercle de plusieurs rangs dâĂ©paisseur ; le roi Hiang dit Ă ses cavaliers : « Je vais, en votre honneur, mâemparer de ce gĂ©nĂ©ral que voilĂ . » Il ordonna Ă ses cavaliers sur les quatre fronts de descendreâ Ă fond de train et leur fixa trois lieux de rendez-vous Ă l'est de la montagne. Puis le roi Hiang descendit au galop en poussant de grands cris ; lâarmĂ©e de Han se mit en dĂ©route et il coupa aussitĂŽt la tĂȘte Ă un gĂ©nĂ©ral de HanâŠ.
Le roi Hiang lui-mĂȘme avait reçu plus de dix blessures ; en se retournant, il aperçut Lu Ma-t'ong capitaine des cavaliers de Han et lui dit: « NâĂȘtes- vous pas une de mes anciennes connaissances ? » Ma-tâong le dĂ©visagea et, le montrant Ă Wang, il lui dit : « Celui-lĂ est le roi Hiang. » Le roi Hiang dit alors : « Jâai entendu dire que Han avait mis Ă prix ma tĂȘte, (promettant pour elle) un millier dâor et une terre de dix mille foyers ; je vous donne cet avantage. » Ă ces mots, il se coupa la gorge et mourut.
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Sima Qian (MĂ©moires historiques - DeuxiĂšme Section (French Edition))
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Jadis, aucune femme ne pouvait faire l'ascension de la montagne sacrĂ©e [le mont Fuji], et c'est Lady Parkes â Ă©pouse d'un diplomate anglais â qui osa la premiĂšre braver l'interdit. C'Ă©tait en 1867. Depuis lors, il y eut bien d'autres sacrilĂšges, celui d'installer un observatoire au sommet ou d'encombrer ses pentes de toutes les ordures laissĂ©es par les foules innombrables qui le gravissent chaque Ă©tĂ©. Tout japonais se doit en effet d'aller assister au lever du soleil : le GoraĂŻko purificateur. D'aprĂšs un proverbe nippon il existe deux sortes d'imbĂ©ciles : ceux qui n'ont jamais fait l'escalade et⊠ceux qui l'entreprenne une seconde fois ! Je n'ai pas l'intention de rĂ©pĂ©ter l'exercice. Il vaudrait mieux demander Ă mes chevilles, Ă mes genoux et aux courbatures des jours suivants, la premiĂšre impression laissĂ©e par huit heures de montĂ©e nocturne dans la pierre ponce et la scorie ou le pied recule Ă chaque pas. Un chapelet d'immondices et d'espadrilles usĂ©es jalonne la piste. De temps en temps, une station de repos vous redonne du courage ou permet d'Ă©tancher une soif rendue inextinguible par l'Ă©pouvantable poussiĂšre soulevĂ©e par une ribambelle d'autres grimpeurs et, surtout, ceux qui dĂ©valent la pente Ă toute vitesse dans cette lave granulaire.
(p. 230)
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Michael Stone (Incroyable Japon)
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Une fois, quelquâun avait peint une Ă©glise sur une outarde. CâĂ©tait la derniĂšre en ces lieux, les autres avaient toutes Ă©tĂ© tuĂ©es par les chasseurs ; quant aux Ă©glises â un bail quâil nây en avait plus. Aussi, il en a peint une sur cette derniĂšre outarde. Sur la crĂȘte, le jabot et les plumes-moustache, il peignit les Miracles du Christ. Sur une aile â la Passion et la Mise au tombeau; sur lâautre â lâAscension. Il y a un Ă©quilibre dans ces choses, Ă ce quâon dit ; ce quâon enterre de lâaile gauche sâĂ©lĂšve aux cieux quand on remue la droite. Et rĂ©ciproquement, ce quâon Ă©lĂšve, on lâenterre. Une fois lâĂ©glise achevĂ©e, il a relĂąchĂ© lâoutarde dans les champs. Toute la journĂ©e il lui courait aprĂšs. Pour prier.
« Vous nâauriez pas vu mon Ă©glise ? » demandait-il Ă tous. Jusquâau jour oĂč il tomba sur quelquâun qui lâavait pendue Ă sa ceinture, ruisselante de sang.
(extrait de "Le bedeau", pp. 67-68)
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Marin Sorescu (La soif de la montagne de sel)
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Cela me revient : Jonas. Je suis Jonas. (Silence)
Et, veux-tu que je te dise, câest moi qui ai eu raison. Je ne me suis pas trompĂ© de route, câest la route qui a mal tournĂ©. Elle aurait dĂ» aller dans lâautre sens.
(Hurlant) Jonas, Jonaaas ! Ă lâenvers, tout est Ă lâenvers. Mais on ne mâaura pas comme ça ! Je repars. Et, cette fois je tâemmĂšne. Chance ou pas chance. Câest trop dur dâĂȘtre seul.
(Il sort son couteau) PrĂȘt, Jonas ? (S'ouvrant le ventre) Nous parviendrons quand mĂȘme Ă la lumiĂšre !
(fin de "Jonas", p. 51)
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Marin Sorescu (La soif de la montagne de sel)
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Le seul souvenir qui me reste depuis des siĂšcles que je vis dans la pierre, est le doux contact des larmes sur un visage d'homme
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Michel Bernanos (La Montagne morte de la vie)
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Le seule souvenir qui me reste depuis des siĂšcles que je vis dans la pierre, est le doux contact des larmes sur un visage d'homme.
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Michel Bernanos (La Montagne morte de la vie)
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Jâavais appris au lycĂ©e, de la bouche de notre distinguĂ© professeur dâhistoire et de gĂ©ographie, Marcou Weintraub, lâimportance que les montagnes encadrant ces gorges du Bicaz occupaient dans la mythologie roumaine. Le massif CeahlÄu, surnommĂ© lâOlympe des Moldaves, aurait abritĂ© le trĂŽne du dieu dace Zamolxis. Les Daces Ă©taient ces barbares indo-europĂ©ens de la branche des Thraces dâAsie Mineure, qui, se mĂ©langeant aux conquĂ©rants romains, avaient donnĂ© le peuple roumain. Et selon la lĂ©gende, câĂ©tait dans cette montagne que Dochia, fille de DĂ©cĂ©bal, le cĂ©lĂšbre roi des Daces, Ă©chappant Ă la captivitĂ© de lâempereur Trajan, fut transformĂ©e en pierre par le froid. Les longues guerres que DĂ©cĂ©bal et les Daces avaient menĂ©es contre lâempereur Trajan â dont les diffĂ©rents Ă©pisodes sont gravĂ©s sur une colonne Ă©rigĂ©e Ă Rome â incarnent la tĂ©nacitĂ© du peuple roumain et sa dĂ©termination Ă sauvegarder son identitĂ© Ă travers les siĂšcles. DĂ©cĂ©bal et Zamolxis nâĂ©taient pas pour rien dans lâintĂ©rĂȘt que le jeune garçon fĂ©ru dâhistoire que jâĂ©tais portait Ă cette pĂ©riode si prĂ©cieuse au cĆur des Roumains.
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Dov Hoenig (Rue du Triomphe)
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LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI)
La disette a tué toute brise de vent.
Le soleil sâest fondu et coulĂ© de partout.
Le ciel est resté vide et brûlant
Les seaux ne tirent des fontaines que de boue.
Sur les bois fréquemment feux, toujours feux
Dansent sauvages, sataniques jeux.
Je poursuis papa en route vers les buttes,
Les chardons, les sapins mâĂ©corchent sĂ©chĂ©s.
Tous les deux commençons la poursuite des chÚvres,
La chasse dâla famine en montagnes de tout prĂšs.
La soif mâaccable. Bouillit sur la pierre
Le fil dâeau filtrĂ© des ruisseaux.
La tempe pĂšse lâĂ©paule, comme si jâerre
Une autre planĂšte, immense, Ă©trange, ennuyeux.
Nous restons dans lâendroit oĂč encore retentissent
Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux.
Quand la lune sâĂ©lĂšve et le soleil se couche
Ici viendront Ă la fil sâabreuver
Une par une, les biches.
Je dis Ă papa que jâai soif. Il me fait signe de mâ taire.
Enivrante eau. Comme tu tâagites limpide !
Je suis liĂ© par soif de cette ĂȘtre qui meurt
Ă lâheure fixĂ© par loi et habitude.
La vallée raisonne en bruissements flétris.
Quel affreux crĂ©puscule flotte dans lâunivers !
Le sang Ă lâhorizon. Ma poitrine rouge comme si
Jâai essuyĂ© mes mains sur mon poitrail.
Comme sur autel fougÚres brûlent en flammes violùtres
Et les étoiles frappées parmi celles-ci miroitent.
HĂ©las ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas
Superbe offrande de mon noble bois !
Elle se monta sautant et sâarrĂȘta
Scrutant les alentours avec de crainte
Ses minces narines faisaient frĂ©mir lâeau
Avec les cercles en cuivre errantes.
Dans ses yeux moites brillait un certain indécis
Je savais quâelle aura mal, quâelle va mourir.
Il me semblait revivre un récit
Avec la biche, jadis une trĂšs belle fille.
Dâen haut, la pĂąle lumiĂšre, lunaire,
Bruinait sur sa fourrure douces fleurs dâcerisier.
HĂ©las ! comme je voudrais que pour la premiĂšre fois
Le coup dâfusil dâpapa va Ă©chouer.
Mais les vallées résonnent. Elle tombe à genoux.
Elle lĂšve sa tĂȘte, la tourne vers les Ă©toiles
La dévala alors, en déclenchant sur eaux
Fuyards tourbillons de perles noires.
Un oiseau bleu bonda dans les rameaux
La vie dâla biche vers lâespace attardĂ©
Vola trĂšs lentement, en cris, comme en automne oiseaux
Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagés.
En chancelant je suis allé pour lui fermer
Ses yeux ombreux comme en engoisse veillés de cornes
Silencieux et blanc jâai tressailli quand lâpĂšre
Me dit de tout son cĆur: âVoilĂ de la viande !â
âJâai soifâ, je dis. Papa mâincite Ă mâabreuver.
Enivrante eau, enveloppé en brume !
Je suis lié par soif de cette biche gaspillée
A lâheure fixĂ©e par loi et par coutumeâŠ
Mais la loi nous est déserte, étrangÚre
Quand la vie en nous trĂšs difficile sâanime
Coutumes, compassions sont toutes désertes
Quand mĂȘme ma sĆur malade est une des victimes.
La carabine dâ papa nâ Ă©mane que de fumĂ©e
HĂ©las ! Sans vent sâempressent les feuillages en foule
Papa prépare un feu tout effrayé
HĂ©las ! comme la forĂȘt se dĂ©nature !
De lâherbe, sans adresse, je prends en mains
Une mince clochette dâun cliquetis argentin .
Papa tire de la broche avec sa main
Le cĆur de la chevreuil et ses chauds reins.
Câest quoi le cĆur ?⊠Jâai faim. Je veux vivre, jâ voudraisâŠ
Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimĂ©eâŠ
Jâai sommeil⊠Comme il est haut le feu ! Et la forĂȘt sauvage !
Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mangeâŠ
1954
(cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
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Nicolae LabiĆ (Poezii (Biblioteca Eminescu) (Romanian Edition))
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Quelque chose nâallait plus. Ma mauvaise humeur Ă©tait nĂ©e de la lecture du quotidien La Montagne â oĂč nâĂ©crivait plus Alexandre Vialatte â devant des tasses de cafĂ© noir qui rĂ©paraient mon insomnie dans le bistrot de Pierrefort. « Le numĂ©rique est une opportunitĂ© pour renforcer lâinnovation », disait lâarticle. Cela commençait mal : personne ne savait ce que signifiaient des trucs pareils. Mais tous les Ă©lus de la rĂ©gion applaudissaient. Ils sâĂ©taient rĂ©unis en congrĂšs Ă Murol, ils prĂ©paraient la connexion de leur campagne. Ils mettaient en place le dispositif. Le journal annonçait : « Le trĂšs haut dĂ©bit au secours de la ruralitĂ©. » Ciel ! pensais-je, les voilĂ sauvĂ©s par cela mĂȘme qui faisait clore les boutiques. « Ceux qui sâinstallent ici demandent le haut dĂ©bit avant lâĂ©cole », expliquait le maire dâun village dans lâinterview, et il se fĂ©licitait par contrecoup de lâouverture prochaine dâun « collĂšge tout numĂ©rique ». Le nom de Mermoz serait donnĂ© Ă lâĂ©tablissement. Personne nâajoutait que le demi-dieu de lâAĂ©ropostale qui avait rĂ©parĂ© son avion pendant quarante-huit heures sur un piton des Andes avec une clef Ă molette nâaurait pas eu grand-chose Ă carrer du haut dĂ©bit.
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Sylvain Tesson (On the Wandering Paths (Univocal))
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ĂPILOGUE
LOUIS. â AprĂšs, ce que je fais,
je pars.
Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard,
une année tout au plus.
Une chose dont je me souviens et que je raconte encore
(aprĂšs jâen aurai fini) :
câest lâĂ©tĂ©, câest pendant ces annĂ©es oĂč je suis absent,
câest dans le Sud de la France.
Parce que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne, je décide de marcher
le long de la voie ferrée.
Elle mâĂ©vitera les mĂ©andres de la route, le chemin sera plus court et je sais
quâelle passe prĂšs de la maison oĂč je vis.
La nuit, aucun train nây circule, je nây risque rien
et câest ainsi que je me retrouverai.
Ă un moment, je suis Ă lâentrĂ©e dâun viaduc immense,
il domine la vallée que je devine sous la lune,
et je marche seul dans la nuit,
Ă Ă©gale distance du ciel et de la terre.
Ce que je pense
(et câest cela que je voulais dire)
câest que je devrais pousser un grand et beau cri,
un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée,
que câest ce bonheur-lĂ que je devrais mâoffrir,
hurler une bonne fois,
mais je ne le fais pas,
je ne lâai pas fait.
Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier.
Ce sont des oublis comme celui-lĂ que je regretterai.
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Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde)
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â Ă Lune Noire, sache que je tâai attendue. Non, mon attente nâa pas Ă©tĂ© pieuse et bercĂ©e dâune fĂ©licitĂ©e bĂ©ate. Mes espoirs, je les ai conservĂ©s contre moi en affrontant les tempĂȘtes de la nature. Mes craintes, je les ai endossĂ©es avec peine et, souvent, elles mâont valu dâĂ©pouvantables souffrances. Quant Ă mes croyances, elles chancĂšlent chaque jour, avançant fĂ©brilement sur la crĂȘte dâune montagne acĂ©rĂ©e. Non, belle Lune Noire, je nâai pas Ă©tĂ© le dĂ©vot infaillible. Jâai encaissĂ© les douleurs et jâen ai souvent questionnĂ© la cause, me demandant si les dieux veillaient vraiment sur lâindigent que je suis... Jâai interrogĂ© lâOcĂ©an CĂ©leste, jâai invoquĂ© le Grand PĂȘcheur dans les moments de dĂ©tresse, et jâai remerciĂ© les Constellations Silencieuses lorsque le sort mâĂ©tait propice. Mais jamais, jamais je nâai obtenu de rĂ©ponse. Pas un signe. Pas une faveur, pas une mise en garde. Rien ! Alors jâai continuĂ© Ă croire et jâai contemplĂ© chacun de tes croissants. Jâai chĂ©ri chaque pas sous lâĂ©clat argentĂ© de ta lumiĂšre. Mais, peu Ă peu, je suis forcĂ© dâadmettre que mon regard est tombĂ© et que jâai plus souvent observĂ© mes pieds que ta robe. Nuit aprĂšs nuit, ma foi sâest faite tĂ©nue⊠Et je regrette, aujourdâhui, dâavoir parfois pensĂ© que lâinterposition ne viendrait pas. Que lâĂ©clipse nâĂ©tait quâune fable, quâun rĂȘve mal placĂ© dans mon esprit puĂ©ril. Un rĂȘve idiot qui avait induit les sages en erreurâŠ
Comme je regrette ! Comme je suis confus et contrit de dĂ©couvrir, Ă prĂ©sent, que le tort sâĂ©tait saisi de moi⊠La puissance de ton ombre est manifeste : FeâRah Grundt ne peut que sâincliner ! Quant Ă ton aura⊠Quelle⊠Quelle splendeur ! Jâai devant mes yeux la plus magnifique fantasmagorie quâil mâait Ă©tĂ© donnĂ© de voir. Câest tellement plus grandiose que dans mon rĂȘve. Et, plus sublime encore que dans mes tentatives dâimagination Ă©veillĂ©e ! LâĂ©clipse⊠LâĂ©clipse est assurĂ©ment le tournant de mon existence, jâen suis convaincu. Car mĂȘme si tu me rĂ©pudies, mĂȘme si tu mâignores, mĂȘme si tu te contraries de mes paroles et choisis de mâen punir, je serai â Ă superbe Lune Noire â Ă jamais changĂ©, en mon ĂȘtre tout entier, de tâavoir pu observer.
Sur ces paroles fiĂ©vreuses et enflammĂ©es dâun amour sincĂšre dont il sâignorait capable, Welihann se tait puis pose un genou Ă terre. Les yeux brillants, il plonge dans la noirceur du cercle magique et cligne le moins possible des paupiĂšres, bien dĂ©cidĂ© Ă ne pas en perdre la moindre miette. Le spectacle, dâune beautĂ© enivrante, le transporte et ranime toute sa foi. Il se sent transpercĂ© de lĂ©gendes, envahi de gloire, portĂ© en avant par les chants des AncĂȘtres, pĂ©nĂ©trĂ© par les mille gĂ©nĂ©rations lâayant prĂ©cĂ©dĂ©, ayant foulĂ© ces steppes, ayant grimpĂ© ces concrĂ©tions, sâĂ©tant faufilĂ©s entre les prĂ©dĂ©cesseurs de ces arbres⊠Il est Welihann, il est les Anciens, il est le PassĂ© et lâAvenir de son peuple. Il convoie en son ĂȘtre la culture dâune tribu et voyage Ă dos de rĂȘves sur les Ă©paules du monde. Il nâest plus quâun avec la Nature et devient, loin, au fond de lui, le messager des MĂŒkâAtah. Le pourvoyeur de Vie, façonnĂ© dâAmour et disposĂ© Ă embrasser la Mort. Il est Welihann, lâenfant au destin diffĂ©rent, lâenfant libre et sans chemin tracĂ©, capable dâouvrir sous chacun de ses pas, les pages de chapitres interdits, inconnus, impossibles ou dĂ©sirĂ©s. Il est Welihann, lâenfant-homme, lâenfant-frĂšre, le frĂšre-homme que personne nâattend et que tout le monde espĂšre, le prophĂšte malvenu, le maudit habitĂ© par la fortune.
Il est Welihann et il sait, Ă prĂ©sent, combien son destin compte, combien lâĂ©clipse importe. Il est Welihann et il sait que son nom promet et devine que son sort ne sera rien de moins quâexceptionnel.
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Alexandre Jarry (Sous les constellations silencieuses (Les Apothéoses))
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En chemin, il se fit la rĂ©flexion que Graves Glen Ă©tait vraiment un bel endroit. Le soleil se couchait derriĂšre les montagnes qui entouraient la ville, parant le ciel de nuances pourpres. Les dĂ©corations lumineuses suspendues aux lampadaires scintillaient et toutes les vitrines offraient de charmants tableaux Ă base de pyramides de citrouilles, de sorciĂšres en carton sur leurs balais et dâinnombrables guirlandes lumineuses aux couleurs fĂ©eriques. « On se croirait dans une carte postale, constata Rhys. âBons baisers de Halloween City !
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Erin Sterling (The Ex Hex (The Ex Hex, #1))
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Charles-Ferdinand Ramuz (La grande peur dans la montagne / C.F. Ramuz. 1926 [Leather Bound])