Dans La Montagne Quotes

We've searched our database for all the quotes and captions related to Dans La Montagne. Here they are! All 100 of them:

“
Parfois, tu rĂȘves que le sommeil est une morte lente qui te gagne, une anestĂ©sie douce et terrible Ă  la fois, une nĂ©crose heureuse : le froid monte le long de tes jambes, le long de tes bras, monte lentement, t'engourdit, t'annihile. Ton orteil est une montagne lointaine, ta jambe un fleuve, ta joue est ton oreiller, tu loges tout entier dans ton pouce, tu fonds, tu coules comme du sable, comme du mercure.
”
”
Georges Perec (Un homme qui dort)
“
Le tumultueux torrent qui descend des montagnes va se perdre dans les ravins, mais la plus modeste goutte de rosée est aspirée par le soleil qui l'élÚve jusqu'aux étoiles.
”
”
Saadi (ŰšÙˆŰłŰȘŰ§Ù† ŰłŰčŰŻÛŒ)
“
Les montagnes jouent Ă  front renversĂ©. Les reflets sont plus beaux que la rĂ©alitĂ©. L'eau fĂ©conde l'image de sa profondeur, de son mystĂšre. La vibration Ă  la surface situe la vision aux lisiĂšres du rĂȘve.
”
”
Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
“
Je voudrais ĂȘtre un huard, amoureux et paternel, nageant Ă  la surface tranquille d’un lac profondĂ©ment sauvage, Ă  la tombĂ©e de la nuit, entre deux montagnes dont les crans arrondis viennent plonger dans l’eau noire.
”
”
Serge Bouchard (Les Yeux tristes de mon camion (French Edition))
“
Le savoir des Ă©coles se borne Ă  enseigner le "comment". C'est un savoir Ă©parpillĂ©, sans unitĂ© et sans direction. Ce n'est pas un chemin qui conduit vers le sommet de la montagne d'oĂč l'on pourra voir l'horizon et comprendre dans tous ses dĂ©tails l'ordonnance du paysage, c'est une plaine de sable dont on propose Ă  l'homme d'Ă©tudier chaque grain. Ce savoir ne peut donner naissance qu'Ă  une sociĂ©tĂ© de technique, sans sagesse et sans raison, aussi absurde et dangereuse dans son comportement qu'un camion-citerne lancĂ© sans conducteur sur une autoroute en pente.
”
”
René Barjavel
“
L'histoire des thĂ©ologies nous montre que les chefs religieux ont toujours affirmĂ© qu'au moyen de rituels, que par des rĂ©pĂ©titions de priĂšres ou de mantras, que par l'imitation de certains comportements, par le refoulement des dĂ©sirs, par des disciplines mentales et la sublimation des passions, que par un frein, imposĂ© aux appĂ©tits, sexuels et autres, on parvient aprĂšs s'ĂȘtre suffisamment torturĂ© l'esprit et le corps, Ă  trouver un quelque-chose qui transcende cette petite vie. VoilĂ  ce que des millions de personnes soi-disant religieuses ont fait au cours des Ăąges ; soit en s'isolant, en s'en allant dans un dĂ©sert, sur une montagne ou dans une caverne ; soit en errant de village en village avec un bol de mendiant ; ou bien en se rĂ©unissant en groupes, dans des monastĂšres, en vue de contraindre leur esprit Ă  se conformer Ă  des modĂšles Ă©tablis.
”
”
J. Krishnamurti (Freedom from the Known)
“
- Offre ton identitĂ© au Conseil, jeune apprentie. La voix Ă©tait douce, l’ordre sans appel. - Je m’appelle Ellana Caldin. - Ton Ăąge. Ellana hĂ©sita une fraction de seconde. Elle ignorait son Ăąge exact, se demandait si elle n’avait pas intĂ©rĂȘt Ă  se vieillir. Les apprentis qu’elle avait discernĂ©s dans l’assemblĂ©e Ă©taient tous plus ĂągĂ©s qu’elle, le Conseil ne risquait-il pas de la considĂ©rer comme une enfant ? Les yeux noirs d’Ehrlime fixĂ©s sur elle la dissuadĂšrent de chercher Ă  la tromper. - J’ai quinze ans. Des murmures Ă©tonnĂ©s s’élevĂšrent dans son dos. Imperturbable, Ehrlime poursuivit son interrogatoire. - Offre-nous le nom de ton maĂźtre. - Jilano AlhuĂŻn. Les murmures, qui s’étaient tus, reprirent. Plus marquĂ©s, Ehrlime leva une main pour exiger un silence qu’elle obtint immĂ©diatement. - Jeune Ellana, je vais te poser une sĂ©rie de questions. A ces questions, tu devras rĂ©pondre dans l’instant, sans rĂ©flĂ©chir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours d’eau, la source est ton Ăąme. C’est en remontant tes mots jusqu’à ton Ăąme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prĂȘte ? - Oui. Une esquisse de sourire traversa le visage ridĂ© d’Ehrlime. - Qu’y a-t-il au sommet de la montagne ? - Le ciel. - Que dit le loup quand il hurle ? - Joie, force et solitude. - À qui s’adresse-t-il ? - À la lune. - OĂč va la riviĂšre ? L’anxiĂ©tĂ© d’Ellana s’était dissipĂ©e. Les questions d’Ehrlime Ă©taient trop imprĂ©vues, se succĂ©daient trop rapidement pour qu’elle ait d’autre solution qu’y rĂ©pondre ainsi qu’on le lui avait demandĂ©. Impossible de tricher. Cette Ă©vidence se transforma en une onde paisible dans laquelle elle s’immergea, laissant Ehrlime remonter le cours de ses mots jusqu’à son Ăąme, puisque c’était ce qu’elle dĂ©sirait. - Remplir la mer. - À qui la nuit fait-elle peur ? - À ceux qui attendent le jour pour voir. - Combien d’hommes as-tu dĂ©jĂ  tuĂ©s ? - Deux. - Es-tu vent ou nuage ? - Je suis moi. - Es-tu vent ou nuage ? - Vent. - MĂ©ritaient-ils la mort ? - Je l’ignore. - Es-tu ombre ou lumiĂšre ? - Je suis moi. - Es-tu ombre ou lumiĂšre ? - Les deux. - OĂč se trouve la voie du marchombre ? - En moi. Ellana s’exprimait avec aisance, chaque rĂ©ponse jaillissant d’elle naturellement, comme une expiration aprĂšs une inspiration. FluiditĂ©. Le sourire sur le visage d’Ehrlime Ă©tait revenu, plus marquĂ©, et une pointe de jubilation perçait dans sa voix ferme. - Que devient une larme qui se brise ? - Une poussiĂšre d’étoiles. - Que fais-tu devant une riviĂšre que tu ne peux pas traverser ? - Je la traverse. - Que devient une Ă©toile qui meurt ? - Un rĂȘve qui vit. - Offre-moi un mot. - Silence. - Un autre. - Harmonie. - Un dernier. - FluiditĂ©. - L’ours et l’homme se disputent un territoire. Qui a raison ? - Le chat qui les observe. - Marie tes trois mots. - Marchombre.
”
”
Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
“
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin Des dames regardaient du haut de la montagne Vous ĂȘtes si jolies mais la barque s'Ă©loigne Qui donc a fait pleurer les saules riverains Or des vergers fleuris se figeaient en arriĂšre Les pĂ©tales tombĂ©s des cerisiers de mai Sont les ongles de celle que j'ai tant aimĂ©e Les pĂ©tales flĂ©tris sont comme ses paupiĂšres Sur le chemin du bord du fleuve lentement Un ours un singe un chien menĂ©s par des tziganes Suivaient une roulotte traĂźnĂ©e par un Ăąne Tandis que s'Ă©loignait dans les vignes rhĂ©nanes Sur un fifre lointain un air de rĂ©giment Le mai le joli mai a parĂ© les ruines De lierre de vigne vierge et de rosiers Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
”
”
Guillaume Apollinaire (Alcools)
“
Il revoyait en souvenir la jolie citĂ© claire, dĂ©gringolant, comme une cascade de maisons plates, du haut de sa montagne dans la mer, mais il ne trouvait plus un mot pour exprimer ce qu’il avait vu, ce qu’il avait senti.
”
”
Guy de Maupassant (Bel-Ami)
“
Pendant que madame de RĂȘnal Ă©tait en proie Ă  ce qu'a de plus cruel la passion terrible dans laquelle le hasard l'avait engagĂ©e, Julien poursuivait son chemin gaĂźment au milieu des plus beaux aspects que puissent prĂ©senter les scĂšnes de montagnes.
”
”
Stendhal (Le Rouge et le Noir)
“
Un jour le MeschacebĂ©, encore assez prĂšs de sa source, se lassa de n'ĂȘtre qu'un limpide ruisseau. Il demande des neiges aux montagnes, des eaux aux torrents, des pluies aux tempĂȘtes, il franchit ses rives, et dĂ©sole ses bords charmants. L'orgueilleux ruisseau s'applaudit d'abord de sa puissance; mais voyant que tout devenait dĂ©sert sur son passage; qu'il coulait, abandonnĂ© dans la solitude; que ses eaux Ă©taient toujours troublĂ©es, il regretta l'humble lit que lui avait creusĂ© la nature, les oiseaux, les fleurs, les arbres et les ruisseaux, jadis modestes compagnons de son paisible cours.
”
”
François-René de Chateaubriand
“
Les hommes mĂ©connaissent bien des choses. Une jeune fille prĂ©fĂ©rera toujours un homme malheureux, parce que toute jeune fille est tentĂ©e par un amour actif
 Tu comprends ? Actif ! Les hommes sont trop occupĂ©s, l’amour pour eux est une chose de troisiĂšme plan. Bavarder avec sa femme, se promener avec elle au jardin, verser quelques larmes sur sa tombe – c’est tout. Et pour nous, l’amour est la vie mĂȘme. Je t’aime, cela signifie que je cherche Ă  dissiper ta tristesse, que je veux te suivre au bout du monde
 Tu escalades une montagne, je l’escalade avec toi, tu descends dans un ravin, je descends avec toi.
”
”
Anton Chekhov (Ivanov (Plays for Performance Series))
“
Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sĂ©vĂšres. Le paysage se rĂ©vĂšle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La prĂ©sence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquĂȘte qui rend jouissance des choses. Il fait -33°. Le camion s'est fondu Ă  la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Être seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grĂ©sil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'Ă©carte les bras, tends mon visage au vide glacĂ© et rentre au chaud. J'ai atteint le dĂ©barcadĂšre de ma vie. Je vais enfin savoir si j'ai une vie intĂ©rieure.
”
”
Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
“
Quand je considĂšre ma vie, je suis Ă©pouvantĂ© de la trouver informe. L'existence des hĂ©ros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flĂšche. Et la plupart des hommes aiment Ă  rĂ©sumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une rĂ©crimination ; leur mĂ©moire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes... Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ  composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ça et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă  s'exprimer et Ă  se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă  moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă  peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
”
”
Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
“
En effet, c'est une impression gĂ©nĂ©rale qu'Ă©prouvent tous les hommes, quoiqu'ils ne l'observent pas tous, que sur les hautes montagnes, oĂč l'air est pur et subtil, on se sent plus de facilitĂ© dans la respiration, plus de lĂ©gĂšretĂ© dans le corps, plus de sĂ©rĂ©nitĂ© dans l'esprit; les plaisirs y sont moins ardents, les passions plus modĂ©rĂ©es. (...) Il semble qu'en s'Ă©levant au-dessus du sĂ©jour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres, et qu'Ă  mesure qu'on approche des rĂ©gions Ă©thĂ©rĂ©es, l'Ăąme contracte quelque chose de leur inaltĂ©rable puretĂ©. On y est grave sans mĂ©lancolie, paisible sans indolence, content d'ĂȘtre et de penser : tous les dĂ©sirs trop vifs s'Ă©moussent, ils perdent cette pointe aiguĂ« qui les rend douloureux ; ils ne laissent au fond du cƓur qu'une Ă©motion lĂ©gĂšre et douce...
”
”
Jean-Jacques Rousseau (Julie ou la Nouvelle HĂ©loĂŻse (French Edition))
“
Mais quelle Ă©trange leçon de gĂ©ographie je reçus lĂ ! Guillaumet ne m'enseignait pas l'Espagne; il me faisait de l'Espagne une amie. Il ne me parlait ni d'hydrographie, nie de populations, ni de cheptel. Il ne me parlait pas de Guadix, mais des trois orangers qui, prĂšs de Guadix, bordent un champ : " MĂ©fie-toi d'eux, marque-les sur ta carte... " Et les trois orangers y tenaient dĂ©sormais plus de place que la Sierra Nevada. Il ne me parlait pas de Lorca, mais d'une simple ferme prĂšs de Lorca. D'une ferme vivante. Et de son fermier. Et de sa fermiĂšre. Et ce couple prenait, perdu dans l'espace, Ă  quinze cents kilomĂštres de nous, une importance dĂ©mesurĂ©e. Bien installĂ©s sur le versant de leur montagne, pareils Ă  des gardiens de phare, ils Ă©taient prĂȘts, sous leur Ă©toiles, Ă  porter secours Ă  des hommes. (Terre des Hommes, ch. I)
”
”
Antoine de Saint-Exupéry
“
Je suis un de ces ĂȘtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'Ă  ce jour, aucun homme ne s'est trouvĂ© dans une position semblable Ă  la mienne. Les royaumes des rois sont limitĂ©s, soit par des montagnes, soit par des riviĂšres, soit par un changement de mƓurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, Ă  moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni Italien, ni Français, ni Indou, ni AmĂ©ricain, ni Espagnol: je suis cosmopolite.
”
”
Alexandre Dumas (The Son of Monte-Cristo; Volume I)
“
On doit tous ĂȘtre pareils. Nous ne naissons pas libres et Ă©gaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend Ă©gaux. Chaque homme doit ĂȘtre l'image de l'autre, comme ça, tout le monde est content; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion ! Un livre est un fusil chargĂ© dans la maison d'Ă  cĂŽtĂ©. BrĂ»lons-le. DĂ©chargeons l'arme. Battons en brĂšche l'esprit humain. Qui sait qui pourrait ĂȘtre la cible de l'homme cultivĂ© ?
”
”
Ray Bradbury (Fahrenheit 451)
“
Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe Ă  ma vie, c’est comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus qu’elle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je nĂ© dans une Ă©poque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes d’un grand jeu de hasard ? Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimĂ© ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos riviĂšres, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimĂ© ĂȘtre tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretuĂ©s. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dĂ©vorĂ© d’autres, les ont Ă©ventrĂ©s, violĂ©s, souillĂ©s. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphĂ© de ce qui est sale. Pourquoi ai-je dĂ», comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes Ă©paules et qui ne me concernait pas? Qui a donc dĂ©cidĂ© de venir fouiller mon obscure existence, de dĂ©terrer ma maigre tranquillitĂ©, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, s’Il existe, s’Il existe vraiment, qu’Il se cache. Qu’Il pose Ses deux mains sur Sa tĂȘte, et qu’Il la courbe. Peut-ĂȘtre, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d’hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd’hui je sais aussi qu’Il n'est pas digne de la plupart d’entre nous, et que si la crĂ©ature a pu engendrer l’horreur c’est uniquement parce que son CrĂ©ateur lui en a soufflĂ© la recette.
”
”
Philippe Claudel (Brodeck)
“
Accroche-toi Ă  tes rĂȘves et fonce. Ne lĂąche pas. Remonte mille fois la montagne s'il le faut, puisque tu es si sĂ»re que c'est de l'autre cĂŽtĂ© que tu dois aller. Peut-ĂȘtre que ce sera de l'autre cĂŽtĂ© de l'autre cĂŽtĂ©, derriĂšre la montagne qui se trouve derriĂšre la montagne. Qu'importe. Ne lĂąche pas, c'est lĂ -bas que poussent tes rĂȘves, sur le fil de l'horizon. Tu as peur ? Alors crie, hurle, chante Ă  tue-tĂȘte. Va chercher cette gorgĂ©e d'air qui te manque. Ce feu qui te dĂ©vore, qui court dans tes veines, tu le sens ? Cette Ă©nergie qui couve en toi, cette impatience dans chacun de tes gestes ? Bien sĂ»r que tu le sens. Accepte ce feu. Fais-en ton moteur.
”
”
Manon Fargetton (À quoi rĂȘvent les Ă©toiles)
“
En cette perpĂ©tuelle bataille que l'on appelle vivre, on cherche Ă  Ă©tablir un code de comportement adaptĂ© Ă  la sociĂ©tĂ©, communiste ou prĂ©tendument libre, dans laquelle on a Ă©tĂ© Ă©levĂ©. Nous obĂ©issons Ă  certaines rĂšgles de conduite, en tant qu'elles sont parties intĂ©grantes de notre tradition, hindoue, islamique, chrĂ©tienne ou autre. Nous avons recours Ă  autrui pour distinguer la bonne et la mauvaise façon d'agir, la bonne et la mauvaise façon de penser. En nous y conformant, notre action et notre pensĂ©e deviennent mĂ©caniques, nos rĂ©actions deviennent automatiques. Nous pouvons facilement le constater en nous-mĂȘmes. Depuis des siĂšcles, nous nous faisons alimenter par nos maĂźtres, par nos autoritĂ©s, par nos livres, par nos saints, leur demandant de nous rĂ©vĂ©ler tout ce qui existe au-delĂ  des collines, au-delĂ  des montagnes, audelĂ  de la Terre. Si leurs rĂ©cits nous satisfont, c'est que nous vivons de mots et que notre vie est creuse et vide : une vie, pour ainsi dire de « seconde main ». Nous avons vĂ©cu de ce que l'on nous a dit, soit Ă  cause de nos tendances, de nos inclinations, soit parce que les circonstances et le milieu nous y ont contraints. Ainsi, nous sommes la rĂ©sultante de toutes sortes d'influences et il n'y a rien de neuf en nous, rien que nous ayons dĂ©couvert par nous-mĂȘmes, rien d'originel, de non corrompu, de clair.
”
”
J. Krishnamurti
“
Depuis, plus personne ne parle du 27eme battalion. Pourtant, refusant de rejoindre le ciel, les fantÎmes, les demons nés de cette défaite continuent à errer parmi les buissons, à l'orée de la jungle, sur les rives du ruisseau. On a donné à ce coin de jungle perdu dans les brumes empoisonnées le nom effrayant de "terre des Ames hurlantes". De temps en temps, à l'occasion des cérémonies de l'enfer les morts se rassemblent sur cette langue de terre comme pour la revue des troupes. On peut entendre leurs voix dans le murmure du ruisseau, les plaintes étouffées, lancinantes de la jungle la nuit, les hurlements du vent à travers les gorges des montagnes. On peut les entendre, les comprendre.
”
”
BáșŁo Ninh (The Sorrow of War)
“
Je rĂȘve d'un homme qui aime les vieux groupes de rock que plus personne n'Ă©coute. Qui me laissera dormir avec mon tee-shirt trouĂ© que j'adore et mes collants en laine. Qui se rĂ©veillera Ă  quatre heures du matin pour arroser l'olivier parce qu'il saura que j'oublie toujours de le faire. Qui autorisera les animaux Ă  boire des cafĂ©s. Qui m'achĂštera des frites. Qui ne s'ennuiera jamais. Qui aura lu Miller, Salinger et Desnos. Et aussi Kateb, Mammeri et Mahfouz. Qui, Ă  l'aube, prendra un train avec moi sans en connaitre la distination. Qui se fichera que les yaourts soient pĂ©rimĂ©s depuis la veille. Qui saura se mettre en colĂšre et rire en mĂȘme temps. Qui chantera faux. Qui aimera la mer et la campagne et peut-ĂȘtre mĂȘme la montagne, aussi.
”
”
Kaouther Adimi (Des pierres dans ma poche)
“
Voisine Je peux rester des aprĂšs-midi entiers Ă  regarder cette fille, cachĂ© derriĂšre mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut Ă©crire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenĂȘtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle Ă©coute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frĂšres et sƓurs, si elle met la radio quand elle se lĂšve le matin, si elle prĂ©fĂšre l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de prĂšs. Je me demande si elle s'Ă©pile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goĂ»t. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pĂ©trole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda ? Je me demande Ă  quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapĂ©, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pĂšse d'ĂȘtre seule ? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie ? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui ? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle ? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne Ă  sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle ? Si ça se trouve, elle n'a aucun intĂ©rĂȘt, cette fille.
”
”
David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
“
L'isolement Souvent sur la montagne, Ă  l'ombre du vieux chĂȘne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promĂšne au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se dĂ©roule Ă  mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues Ă©cumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; LĂ  le lac immobile Ă©tend ses eaux dormantes OĂč l'Ă©toile du soir se lĂšve dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnĂ©s de bois sombres, Le crĂ©puscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit dĂ©jĂ  les bords de l'horizon. Cependant, s'Ă©lançant de la flĂšche gothique, Un son religieux se rĂ©pand dans les airs : Le voyageur s'arrĂȘte, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mĂȘle de saints concerts. Mais Ă  ces doux tableaux mon Ăąme indiffĂ©rente N'Ă©prouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante Le soleil des vivants n'Ă©chauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud Ă  l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense Ă©tendue, Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. " Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumiĂšres, Vains objets dont pour moi le charme est envolĂ© ? Fleuves, rochers, forĂȘts, solitudes si chĂšres, Un seul ĂȘtre vous manque, et tout est dĂ©peuplĂ© ! Que le tour du soleil ou commence ou s'achĂšve, D'un oeil indiffĂ©rent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lĂšve, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriĂšre, Mes yeux verraient partout le vide et les dĂ©serts : Je ne dĂ©sire rien de tout ce qu'il Ă©claire; Je ne demande rien Ă  l'immense univers. Mais peut-ĂȘtre au-delĂ  des bornes de sa sphĂšre, Lieux oĂč le vrai soleil Ă©claire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dĂ©pouille Ă  la terre, Ce que j'ai tant rĂȘvĂ© paraĂźtrait Ă  mes yeux ! LĂ , je m'enivrerais Ă  la source oĂč j'aspire ; LĂ , je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idĂ©al que toute Ăąme dĂ©sire, Et qui n'a pas de nom au terrestre sĂ©jour ! Que ne puĂźs-je, portĂ© sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'Ă©lancer jusqu'Ă  toi ! Sur la terre d'exil pourquoi restĂ©-je encore ? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand lĂ  feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'Ă©lĂšve et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable Ă  la feuille flĂ©trie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
”
”
Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesniĆĄtva)
“
Qu'un homme vienne nous tenir ce langage : Mortels, je vous annonce la volontĂ© du TrĂšs-Haut ; reconnaissez Ă  ma voix celui qui m'envoie ; j'ordonne au soleil de changer sa course, aux Ă©toiles de former un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'Ă©lever, Ă  la terre de prendre un autre aspect. À ces merveilles, qui ne reconnaĂźtra pas Ă  l'instant le maĂźtre de la nature ! Elle n'obĂ©it point aux imposteurs ; leurs miracles se font dans des carrefours, dans des dĂ©serts, dans des chambres ; et c'est lĂ  qu'ils ont bon marchĂ© d'un petit nombre de spectateurs dĂ©jĂ  disposĂ©s Ă  tout croire. Qui est-ce qui m'osera dire combien il faut de tĂ©moins oculaires pour rendre un prodige digne de foi ? Si vos miracles, faits pour prouver votre doctrine, ont eux-mĂȘmes besoin d'ĂȘtre prouvĂ©s, de quoi servent-ils ? autant valait n'en point faire.
”
”
Jean-Jacques Rousseau (Emile, or On Education)
“
Nous avons donc rejoint la communautĂ© des nomades qui se dĂ©placent sur les routes pendant le temps des FĂȘtes pour « aller en visite » dans la parentĂ©. Comme tous ces nomades au long cours, afin de parcourir les 380 kilomĂštres qui sĂ©parent Huberdeau de QuĂ©bec, il nous a fallu franchir des montagnes de misĂšre, une tempĂȘte de neige de 45 centimĂštres, des autoroutes fermĂ©es, des bouchons pĂ©riurbains, des carambolages, de la poudrerie latĂ©rale, une visibilitĂ© nulle sur chaussĂ©e enneigĂ©e, le vent glacial, la routine, quoi
 FatiguĂ©s de la longue route oĂč le temps hivernal avait si bien sĂ©vi, nous devions maintenant sortir les bagages et les cadeaux empilĂ©s dans la voiture comme le matĂ©riel hĂ©tĂ©roclite accumulĂ© dans les charriots des pionniers au temps de la piste de l’Oregon : voilĂ  que nous installions nos pĂ©nates pour quelques jours dans une maison qui n’était pas la nĂŽtre.
”
”
Serge Bouchard (Les Yeux tristes de mon camion (French Edition))
“
Il eut soudain envie d'abandonner ses projets, de sortir dans la nuit et de partir. Il allait traverser les montagnes enneigĂ©es, sans s'arrĂȘter, et parcourir les cents lieus qui le sĂ©paraient de l'Auvergne, et lĂ -bas se rĂ©fugier dans sa vieille caverne et s'y endormir pour ne jamais se rĂ©veiller. Mais il n'en fit rien. Il resta assis et ne cĂ©da pas, parce que c'Ă©tait chez lui une envie ancienne, de partir et de se rĂ©fugier dans sa caverne. Il connaissait cela. Ce qu'en revanche il ne connaissait pas encore, c'Ă©tait de possĂ©der un parfum humain, aussi magnifique que le parfum de la jeune fille derriĂšre le mur. Et quoiqu'il sĂ»t devoir payer cruellement la possession de ce parfum de sa perte ultĂ©rieure, cette possession et cette perte lui parurent plus dĂ©sirables que de renoncer abruptement Ă  l'une comme Ă  l'autre. Car il avait passĂ© sa vie Ă  renoncer. Tandis que jamais encore il n'avait possĂ©dĂ© et perdu.
”
”
Patrick SĂŒskind (Perfume: The Story of a Murderer)
“
Le tunnel qui mĂšne au centre-ville, il a vraiment un truc. Quand il fait nuit, c'est splendide. Tout simplement splendide. D'abord, t'es de l'autre cĂŽtĂ© de la montagne et il fait sombre, et la radio est Ă  fond. DĂšs que tu entres dans le tunnel, le vent disparaĂźt d'un coup et tu plisses les yeux Ă  cause des lumiĂšres au-dessus de toi. Quand tu t'habitues Ă  la lumiĂšre, tu peux voir le bout du tunnel au loin, et pendant ce temps, comme les ondes passent plus, le son de la radio faiblit. Alors tu te retrouves au milieu du tunnel au loin et tout devient trĂšs calme, comme un rĂȘve. Tu vois le bout qui se rapproche et t'as qu'une envie, c'est d'y arriver. Et finalement, juste au moment oĂč tu penses que tu l'atteindras jamais, tu vois la sortie devant toi. Et le vent t'attend. Et tu sors du tunnel Ă  toute vitesse, pour te retrouver sur le pont. Et elle est lĂ . La ville. Un million de lumiĂšres et d'immeubles, et tout Ă  l'air aussi excitant que la premiĂšre fois oĂč tu l'as vue. C'est vraiment une belle entrĂ©e en scĂšne.
”
”
Stephen Chbosky (The Perks of Being a Wallflower)
“
Qui vous le dit, qu’elle (la vie) ne vous attend pas ? Certes, elle continue, mais elle ne vous oblige pas Ă  suivre le rythme. Vous pouvez bien vous mettre un peu entre parenthĂšses pour vivre ce deuil
 accordez-vous le temps. *** Parce que Ò«a me fait plaisir. Parce que je sais aussi que l’entourage peut se montrer trĂšs discret dans pareille situation, et que de se changer les idĂ©es de temps en temps fait du bien. Parce que je sais que vous aimez la montagne et que vous n’iriez pas toute seule. *** Oui. Si vous perdez une jambe, Ò«a se voit, les gens sont conciliants. Et encore, pas tous. Mais quand c’est un morceau de votre cƓur qui est arrachĂ©, Ò«a ne se voit pas de l’extĂ©rieur, et c’est au moins aussi douloureux
 Ce n’est pas de la faute des gens. Ils ne se fient qu’aux apparences. Il faut gratter pour voir ce qu’il y a au fond. Si vous jetez une grosse pierre dans une mare, elle va faire des remous Ă  la surface. Des gros remous d'abord, qui vont gifler les rives, et puis des remous plus petits, qui vont finir par disparaĂźtre. Peu Ă  peu, la surface redevient lisse et paisible. Mais la grosse pierre est quand mĂȘme au fond. La grosse pierre est quand mĂȘme au fond. *** La vie s’apparente Ă  la mer. Il y a les bruit des vagues, quand elles s’abattent sur la plage, et puis le silence d’aprĂšs, quand elles se retirent. Deux mouvement qui se croissent et s’entrecoupent sans discontinuer. L’un est rapide, violent, l’autre est doux et lent. Vous aimeriez vous retirer, dans le mĂȘme silence des vagues, partir discrĂštement, vous faire oublier de la vie. Mais d’autres vague arrivent et arriveront encore et toujours. Parce que c’est Ò«a la vie
 C’est le mouvement, c’est le rythme, le fracas parfois, durant la tempĂȘte, et le doux clapotis quand tout est calme. Mais le clapotis quand mĂȘme Un bord de mer n'est jamais silencieux, jamais. La vie non plus, ni la vĂŽtre, ni la mienne. Il y a les grains de sables exposĂ©s aux remous et ceux protĂ©gĂ©s en haut de la plage. Lesquels envier? Ce n'est pas avec le sable d'en haut, sec et lisse, que l'on construit les chĂąteaux de sable, c'est avec celui qui fraye avec les vagues car ses particules sont coalescentes. Vous arriverez Ă  reconstruire votre chĂąteau, vous le construirez avec des grains qui vous ressemblent, qui ont aussi connu les dĂ©ferlantes de la vie, parce qu'avec eux, le ciment est solide.. *** « Tu ne sais jamais Ă  quel point tu es fort jusqu’au jour oĂč ĂȘtre fort reste la seule option. » C’est Bob Marley qui a dit Ò«a. *** Manon ne referme pas violemment la carte du restaurant. Elle n’éprouve pas le besoin qu’il lui lise le menu pour qu’elle ne voie pas le prix, et elle trouvera Ă©gal que chaque bouchĂ©e vaille cinq euros. Manon profite de la vie. Elle accepte l’invitation avec simplicitĂ©. Elle dĂ©fend la place des femmes sans ĂȘtre une fĂ©ministe acharnĂ©e et cela ne lui viendrait mĂȘme pas Ă  l’idĂ©e de payer sa part. D’abord, parce qu’elle sait que Paul s’en offusquerait, ensuite, parce qu’elle aime ces petites marques de galanterie, qu’elle regrette de voir disparaĂźtre avec l’évolution d’une sociĂ©tĂ© en pertes de repĂšres.
”
”
AgnĂšs Ledig (Juste avant le bonheur)
“
NikĂ©, aprĂšs quelques minutes d’escalade, abandonna la compĂ©tition pour admirer les fleurs sauvages qui diapraient la montagne comme une mosaĂŻque. 
Si elle tressait une guirlande ? Elle leva vers Nicias, qui continuait l’ascension, son visage lisse comme une olive, ou brillait un regard malicieux : — Quand tu seras en haut, ne t’envole pas ! Le garçon s’arrĂȘta : — Tu ne joues plus ? — Je prĂ©fĂšre cueillir des fleurs pour ArtĂ©mis. — La statue de la dĂ©esse ? — Oui. Sur le mont Mangone, giroflĂ©es, asphodĂšles, mauves, gĂ©raniums, Ɠillets, marjolaines, absinthes, croissaient Ă  plaisir. L’air surchauffĂ© entĂȘtait comme une cassolette. NikĂ©, les bras surchargĂ©s, pensa : « Ce n’est pas Ă©tonnant que les chiens perdent la trace du gibier quand ils sont en montagne
 » Elle hĂ©sita Ă  cueillir les ombelles du sĂ©linon en pensant que la plante sĂ©crĂ©tait un suc qui Ă©tait un poison pour les oiseaux. Or, ArtĂ©mis trĂŽnait dans un bois oĂč chardonnerets, pinsons et serins Ă©taient nombreux. S’ils allaient picorer la guirlande ? La fillette renonça au lĂ©ger nuage des ombelles pour lui prĂ©fĂ©rer une touffe de silĂšnes d’un rose d’aurore. La guirlande devenait ravissante.
”
”
L.N. Lavolle (L'Otage de Rome)
“
Cette qualitĂ© de la joie n’est-elle pas le fruit le plus prĂ©cieux de la civilisation qui est nĂŽtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matĂ©riels. Mais nous ne sommes pas un bĂ©tail Ă  l’engrais. La prospĂ©ritĂ© et le confort ne sauraient suffire Ă  nous combler. Pour nous qui fĂ»mes Ă©levĂ©s dans le culte du respect de l’homme, pĂšsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fĂȘtes merveilleuses
 Respect de l’homme ! Respect de l’homme !
 LĂ  est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-mĂȘme ; il refuse les contradictions crĂ©atrices, ruine tout espoir d’ascension, et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitiĂšre. L’ordre pour l’ordre chĂątre l’homme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-mĂȘme. La vie crĂ©e l’ordre, mais l’ordre ne crĂ©e pas la vie. Il nous semble, Ă  nous, bien au contraire, que notre ascension n’est pas achevĂ©e, que la vĂ©ritĂ© de demain se nourrit de l’erreur d’hier, et que les contradictions Ă  surmonter sont le terreau mĂȘme de notre croissance. Nous reconnaissons comme nĂŽtres ceux mĂȘmes qui diffĂšrent de nous. Mais quelle Ă©trange parenté ! elle se fonde sur l’avenir, non sur le passĂ©. Sur le but, non sur l’origine. Nous sommes l’un pour l’autre des pĂšlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le mĂȘme rendez-vous. Mais voici qu’aujourd’hui le respect de l’homme, condition de notre ascension, est en pĂ©ril. Les craquements du monde moderne nous ont engagĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. Les problĂšmes sont incohĂ©rents, les solutions contradictoires. La vĂ©ritĂ© d’hier est morte, celle de demain est encore Ă  bĂątir. Aucune synthĂšse valable n’est entrevue, et chacun d’entre nous ne dĂ©tient qu’une parcelle de la vĂ©ritĂ©. Faute d’évidence qui les impose, les religions politiques font appel Ă  la violence. Et voici qu’à nous diviser sur les mĂ©thodes, nous risquons de ne plus reconnaĂźtre que nous nous hĂątons vers le mĂȘme but. Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une Ă©toile, s’il se laisse trop absorber par ses problĂšmes d’escalade, risque d’oublier quelle Ă©toile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisiĂšre de cathĂ©drale, Ă  se prĂ©occuper trop Ăąprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu. Ainsi, Ă  m’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’ĂȘtre au service d’une Ă©vidence spirituelle. Nous avons goĂ»tĂ©, aux heures de miracle, une certaine qualitĂ© des relations humaines : lĂ  est pour nous la vĂ©ritĂ©. Quelle que soit l’urgence de l’action, il nous est interdit d’oublier, faute de quoi cette action demeurera stĂ©rile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de l’homme. Pourquoi nous haĂŻrions-nous Ă  l’intĂ©rieur d’un mĂȘme camp ? Aucun d’entre nous ne dĂ©tient le monopole de la puretĂ© d’intention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route qu’un autre a choisie. Je puis critiquer les dĂ©marches de sa raison. Les dĂ©marches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de l’Esprit, s’il peine vers la mĂȘme Ă©toile. Respect de l’Homme ! Respect de l’Homme !
 Si le respect de l’homme est fondĂ© dans le cƓur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le systĂšme social, politique ou Ă©conomique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde d’abord dans la substance. Elle est d’abord, dans l’homme, dĂ©sir aveugle d’une certaine chaleur. L’homme ensuite, d’erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
”
”
Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
“
Un jour, avec des yeux vitreux, ma mĂšre me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dĂ©rision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, Ă  la figure pĂąle et longue. MĂȘme, je te permets de te mettre devant la fenĂȘtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'Ă©prouve le besoin de l'infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'aprĂšs ce qu'on m'a dit. Ça m'Ă©tonne... je croyais ĂȘtre davantage! Au reste, que m'importe d'oĂč je viens? Moi, si cela avait pu dĂ©pendre de ma volontĂ©, j'aurais voulu ĂȘtre plutĂŽt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempĂȘtes, et du tigre, Ă  la cruautĂ© reconnue: je ne serais pas si mĂ©chant. Vous, qui me regardez, Ă©loignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonnĂ©. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arĂȘtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tĂȘte des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rĂŽde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellĂ©s par le vent des tempĂȘtes, isolĂ© comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flĂ©trie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intĂ©rieur des cheminĂ©es : il ne faut pas que les yeux soient tĂ©moins de la laideur que l'Etre suprĂȘme, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
”
”
Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
“
Il songea, une nouvelle fois, que, petit, un jour, il portait un lapin par les pattes de derriĂšre. C'Ă©tait en Sicile, les pattes Ă©taient attachĂ©es avec de la ficelle, il marchait Ă  cĂŽtĂ© de son pĂšre, son pĂšre trimbalait un panier de pommes de terre, et il sentait que le sang s'accumulait dans la petite tĂȘte du lapin, le lapin Ă©tait juste dans la posture de Saint-Pierre le jour de sa mort, les yeux du lapin muet avait un vertige infini de souffrance et de terreur, il aurait suffi de mettre l'animal dans l'autre sens, la tĂȘte en haut, alors, au moins, avant la mort inĂ©vitable, il aurait cessĂ© de souffrir, mais il n'osa pas. Par consĂ©quent, lui, petit, dĂ©jĂ  Ă©tait pris dans l'omertĂ  du monde, dans cette complicitĂ© gĂ©nĂ©rale qui nous fait, en gros, accepter des mers et des montagnes de souffrance et de terreur, les reconnaitre pour lĂ©gitimes, nĂ©cessaires, bonnes, justes. Si l'on se mettait, par exemple, Ă  souffrir pour un lapin, il faudrait, tout de suite, souffrir aussi pour les chevaux, les mouches, les rats, les vieillards. C'est pourquoi il avait continuĂ© Ă  tenir l'animal Ă  l'envers, par ses pattes ficelĂ©es, tout en sentant que le regret s'accumulait en lui, s'accumulait jusqu'Ă  former un dĂ©pĂŽt pesant dans la tĂȘte de l'animal, enflammant ses yeux de sang et de terreur, mais l'omertĂ , dĂ©jĂ , Ă©tait la plus forte, la complicitĂ© taciturne des hommes entre eux, des ĂȘtres entre eux. Demandez Ă  qui vous voudrez. Un lapin, pour un trajet donnĂ©, se porte la tĂȘte en bas, ficelĂ© par les pattes de derriĂšre, c'est la loi. Un bambin, sur un chemin, dans la grande Ăźle, dans la Sicile, il ne va pas, de lui-mĂȘme, accomplir la rĂ©volution, tourner l'animal dans l'autre sens, dans le sens du pardon, du bien-ĂȘtre, au risque de troubler le pas de son pĂšre, son pĂšre portait les pommes de terre.
”
”
Jacques Audiberti (Le MaĂźtre De Milan)
“
Les brumes s’épaississent sur les cimes du Ć ar. Les versants se dressent face Ă  Emina, implacables dans le jour dĂ©clinant. Les paroles de Feti ricochent en elle, par-dessus la musique qu’il met plus fort dans la voiture. Elles traversent le scherzo du violon dont les volutes tournoient entre eux, alors qu’ils arrivent Ă  Tetovo. Elles dissipent le sourd espoir qui l’a menĂ©e ici, au-delĂ  du dĂ©sir de renouer avec le frĂšre d’Yllka. Elle mesure l’ampleur de son rĂȘve, de ce qu’elle n’a dit Ă  personne lĂ -bas en Allemagne. Ils auraient passĂ© leur bras autour de ses Ă©paules. Ils l’auraient entourĂ©e d’une affection mĂȘlĂ©e de pitié  Oui, dans l’outremer des montagnes, elle croit apercevoir la trace d’Yllka. Les empreintes fines d’un oiseau sur un sentier couvert de sable. Elles conduiraient Ă  une maison de montagne qui sentirait le bois et le foin Ă  la fin de l’étĂ©. Parce qu’Yllka se serait rĂ©fugiĂ©e quelque part ici. Elle y attendrait Emina, sa fille, Alija, son fils, depuis toutes ces annĂ©es. Elle-mĂȘme mue par la conviction que ses enfants finiront par la rejoindre. Car comment pourrait-elle savoir oĂč ils vivent aujourd’hui, si mĂȘme ils vivent encore ? Comment ? Et c’est la raison de son silence. Il ne peut en ĂȘtre autrement. Preuve de vie ou de mort, Emina ne s’en ira pas d’ici sans l’avoir obtenue. « Je peux juste te parler d’elle. Celle qu’elle fut ici. Ma sƓur, ta mĂšre
 » Des mots qui lacĂšrent le ciel trĂšs loin au-dessus d’elle. Feti gare sa voiture le long de la rue bordĂ©e d’immeubles. S’il se trompait
 Si Yllka n’avait pas pu le retrouver lui non plus ? Les feuillages des arbres flamboient sur les trottoirs. Des traĂźnĂ©es couleur de fer assombrissent les nuages au-dessus des immeubles. Ils se creusent d’un vaste cratĂšre noirĂątre. Des choucas Ă©voluent par centaines sur la ville, alors que le soleil descend Ă  l’horizon. Ils s’insinuent dans les invisibles couloirs ouverts par de secrĂštes turbulences. Leur vacarme secoue les airs, assourdit Emina. Elle est sur le point de flancher, rattrapĂ©e par le lieu et les cris des oiseaux.
”
”
Cécile Oumhani (Le café d'Yllka)
“
IV -Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mĂšre parfois. Il faut leur donner tout, les cerises des bois, Les pommes du verger, les gĂąteaux de la table; S'ils entendent la voix des vaches dans l'Ă©table Du lait ! vite ! et leurs cris sont comme une forĂȘt De Bondy quand un sac de bonbons apparaĂźt. Les voilĂ  maintenant qui rĂ©clament la lune ! Pourquoi pas ? Le nĂ©ant des gĂ©ants m'importune; Moi j'admire, Ă©bloui, la grandeur des petits. Ah ! l'Ăąme des enfants a de forts appĂ©tits, Certes, et je suis pensif devant cette gourmande Qui voit un univers dans l'ombre, et le demande. La lune ! Pourquoi pas ? vous dis-je. Eh bien, aprĂšs ? Pardieu ! si je l'avais, je la leur donnerais. C'est vrai, sans trop savoir ce qu'ils en pourraient faire, Oui, je leur donnerais, lune, ta sombre sphĂšre, Ton ciel, d'oĂč Swedenborg n'est jamais revenu, Ton Ă©nigme, ton puits sans fond, ton inconnu ! Oui, je leur donnerais, en disant: Soyez sages ! Ton masque obscur qui fait le guet dans les nuages, Tes cratĂšres tordus par de noirs aquilons, Tes solitudes d'ombre et d'oubli, tes vallons, Peut-ĂȘtre heureux, peut-ĂȘtre affreux, Ă©dens ou bagnes, Lune, et la vision de tes pĂąles montagnes. Oui, je crois qu'aprĂšs tout, des enfants Ă  genoux Sauraient mieux se servir de la lune que nous; Ils y mettraient leurs voeux, leur espoir, leur priĂšre; Ils laisseraient mener par cette aventuriĂšre Leurs petits coeurs pensifs vers le grand Dieu profond. La nuit, quand l'enfant dort, quand ses rĂȘves s'en vont, Certes, ils vont plus loin et plus haut que les nĂŽtres. Je crois aux enfants comme on croyait aux apĂŽtres; Et quand je vois ces chers petits ĂȘtres sans fiel Et sans peur, dĂ©sirer quelque chose du ciel, Je le leur donnerais, si je l'avais. La sphĂšre Que l'enfant veut, doit ĂȘtre Ă  lui, s'il la prĂ©fĂšre. D'ailleurs, n'avez-vous rien au delĂ  de vos droits ? Oh ! je voudrais bien voir, par exemple, les rois S'Ă©tonner que des nains puissent avoir un monde ! Oui, je vous donnerais, anges Ă  tĂȘte blonde, Si je pouvais, Ă  vous qui rĂ©gnez par l'amour, Ces univers baignĂ©s d'un mystĂ©rieux jour, Conduits par des esprits que l'ombre a pour ministres, Et l'Ă©norme rondeur des planĂštes sinistres. Pourquoi pas  ? Je me fie Ă  vous, car je vous vois, Et jamais vous n'avez fait de mal. Oui, parfois, En songeant Ă  quel point c'est grand, l'Ăąme innocente, Quand ma pensĂ©e au fond de l'infini s'absente, Je me dis, dans l'extase et dans l'effroi sacrĂ©, Que peut-ĂȘtre, lĂ -haut, il est, dans l'IgnorĂ©, Un dieu supĂ©rieur aux dieux que nous rĂȘvĂąmes, Capable de donner des astres Ă  des Ăąmes.
”
”
Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
“
Au reste, l’artifice paraissait Ă  des Esseintes la marque distinctive du gĂ©nie de l’homme. Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a dĂ©finitivement lassĂ©, par la dĂ©goĂ»tante uniformitĂ© de ses paysages et de ses ciels, l’attentive patience des raffinĂ©s. Au fond, quelle platitude de spĂ©cialiste confinĂ©e dans sa partie, quelle petitesse de boutiquiĂšre tenant tel article Ă  l’exclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et d’arbres, quelle banale agence de montagnes et de mers ! Il n’est, d’ailleurs, aucune de ses inventions rĂ©putĂ©e si subtile ou si grandiose que le gĂ©nie humain ne puisse crĂ©er ; aucune forĂȘt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des dĂ©cors inondĂ©s de jets Ă©lectriques ne produisent ; aucune cascade que l’hydraulique n’imite Ă  s’y mĂ©prendre ; aucun roc que le carton-pĂąte ne s’assimile ; aucune fleur que de spĂ©cieux taffetas et de dĂ©licats papiers peints n’égalent ! À n’en pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usĂ© la dĂ©bonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu oĂč il s’agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par l’artifice. Et puis, Ă  bien discerner celle de ses Ɠuvres considĂ©rĂ©e comme la plus exquise, celle de ses crĂ©ations dont la beautĂ© est, de l’avis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que l’homme n’a pas, de son cĂŽtĂ©, fabriquĂ©, Ă  lui tout seul, un ĂȘtre animĂ© et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beautĂ© plastique ? est-ce qu’il existe, ici-bas, un ĂȘtre conçu dans les joies d’une fornication et sorti des douleurs d’une matrice dont le modĂšle, dont le type soit plus Ă©blouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptĂ©es sur la ligne du chemin de fer du Nord ? L’une, la Crampton, une adorable blonde, Ă  la voix aiguĂ«, Ă  la grande taille frĂȘle, emprisonnĂ©e dans un Ă©tincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorĂ©e, dont l’extraordinaire grĂące Ă©pouvante lorsque, raidissant ses muscles d’acier, activant la sueur de ses flancs tiĂšdes, elle met en branle l’immense rosace de sa fine roue et s’élance toute vivante, en tĂȘte des rapides et des marĂ©es ! L’autre, l’Engerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, Ă©tranglĂ©s dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bĂȘte, Ă  la criniĂšre Ă©chevelĂ©e de fumĂ©e noire, aux six roues basses et accouplĂ©es ; quelle Ă©crasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises !
”
”
Joris-Karl Huysmans
“
Au reste, l’artifice paraissait Ă  des Esseintes la marque distinctive du gĂ©nie de l’homme. Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a dĂ©finitivement lassĂ©, par la dĂ©goĂ»tante uniformitĂ© de ses paysages et de ses ciels, l’attentive patience des raffinĂ©s. Au fond, quelle platitude de spĂ©cialiste confinĂ©e dans sa partie, quelle petitesse de boutiquiĂšre tenant tel article Ă  l’exclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et d’arbres, quelle banale agence de montagnes et de mers ! Il n’est, d’ailleurs, aucune de ses inventions rĂ©putĂ©e si subtile ou si grandiose que le gĂ©nie humain ne puisse crĂ©er ; aucune forĂȘt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des dĂ©cors inondĂ©s de jets Ă©lectriques ne produisent ; aucune cascade que l’hydraulique n’imite Ă  s’y mĂ©prendre ; aucun roc que le carton-pĂąte ne s’assimile ; aucune fleur que de spĂ©cieux taffetas et de dĂ©licats papiers peints n’égalent ! À n’en pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usĂ© la dĂ©bonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu oĂč il s’agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par l’artifice. Et puis, Ă  bien discerner celle de ses Ɠuvres considĂ©rĂ©e comme la plus exquise, celle de ses crĂ©ations dont la beautĂ© est, de l’avis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que l’homme n’a pas, de son cĂŽtĂ©, fabriquĂ©, Ă  lui tout seul, un ĂȘtre animĂ© et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beautĂ© plastique ? est-ce qu’il existe, ici-bas, un ĂȘtre conçu dans les joies d’une fornication et sorti des douleurs d’une matrice dont le modĂšle, dont le type soit plus Ă©blouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptĂ©es sur la ligne du chemin de fer du Nord ? L’une, la Crampton, une adorable blonde, Ă  la voix aiguĂ«, Ă  la grande taille frĂȘle, emprisonnĂ©e dans un Ă©tincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorĂ©e, dont l’extraordinaire grĂące Ă©pouvante lorsque, raidissant ses muscles d’acier, activant la sueur de ses flancs tiĂšdes, elle met en branle l’immense rosace de sa fine roue et s’élance toute vivante, en tĂȘte des rapides et des marĂ©es ! L’autre, l’Engerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, Ă©tranglĂ©s dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bĂȘte, Ă  la criniĂšre Ă©chevelĂ©e de fumĂ©e noire, aux six roues basses et accouplĂ©es ; quelle Ă©crasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises ! Il n’est certainement pas, parmi les frĂȘles beautĂ©s blondes et les majestueuses beautĂ©s brunes, de pareils types de sveltesse dĂ©licate et de terrifiante force ; Ă  coup sĂ»r, on peut le dire : l’homme a fait, dans son genre, aussi bien que le Dieu auquel il croit.
”
”
Joris-Karl Huysmans
“
J’ai fait ma visite au lieu natal avec toute la piĂ©tĂ© d’un pĂšlerin, et bien des sentiments inattendus m’ont saisi. Je fis arrĂȘter prĂšs du grand tilleul qui se trouve Ă  un quart de lieue de la ville du cĂŽtĂ© de S
 ; je quittai la voiture, et je l’envoyai en avant, afin de cheminer Ă  pied et de savourer Ă  mon grĂ© chaque souvenir, dans toute sa vie et sa nouveautĂ©. Je m’arrĂȘtai sous le tilleul, qui avait Ă©tĂ©, dans mon enfance, le but et le terme de mes promenades. Quelle diffĂ©rence ! Alors, dans une heureuse ignorance, je m’élançais avec ardeur vers ce monde inconnu, oĂč j’espĂ©rais pour mon cƓur tant de nourriture, tant de jouissances, qui devaient combler et satisfaire l’ardeur de mes dĂ©sirs. Maintenant, j’en reviens de ce vaste monde
. O mon ami, avec combien d’espĂ©rances déçues, avec combien de plans renversĂ©s !
 Les voilĂ  devant moi les montagnes qui mille fois avaient Ă©tĂ© l’objet de mes vƓux. Je pouvais rester des heures assis Ă  cette place, aspirant Ă  franchir ces hauteurs, Ă©garant ma pensĂ©e au sein des bois et des vallons, qui s’offraient Ă  mes yeux dans un gracieux crĂ©puscule, et, lorsqu’au moment fixĂ© il me fallait revenir, avec quel regret ne quittais-je pas cette place chĂ©rie !
 J’approchai de la ville : je saluai tous les anciens pavillons de jardin ; les nouveaux me dĂ©plurent, comme tous les changements qu’on avait faits. Je franchis la porte de la ville, et d’abord je me retrouvai tout Ă  fait. Mon ami, je ne veux pas m’arrĂȘter au dĂ©tail : autant il eut de charme pour moi, autant il serait monotone dans le rĂ©cit. J’avais rĂ©solu de me loger sur la place, tout Ă  cĂŽtĂ© de notre ancienne maison. Je remarquai, sur mon passage, que la chambre d’école, oĂč une bonne vieille femme avait parquĂ© notre enfance, s’était transformĂ©e en une boutique de dĂ©tail. Je me rappelai l’inquiĂ©tude, les chagrins, l’étourdissement, l’angoisse que j’avais endurĂ©s dans ce trou
. Je ne pouvais faire un pas qui ne m’offrĂźt quelque chose de remarquable. Un pĂšlerin ne trouve pas en terre sainte autant de places consacrĂ©es par de religieux souvenirs, et je doute que son ame soit aussi remplie de saintes Ă©motions
. Encore un exemple sur mille : je descendis le long de la riviĂšre, jusqu’à une certaine mĂ©tairie. C’était aussi mon chemin autrefois, et la petite place oĂč les enfants s’exerçaient Ă  qui ferait le plus souvent rebondir les pierres plates Ă  la surface de l’eau. Je me rappelai vivement comme je m’arrĂȘtais quelquefois Ă  suivre des yeux le cours de la riviĂšre ; avec quelles merveilleuses conjectures je l’accompagnais ; quelles Ă©tranges peintures je me faisais des contrĂ©es oĂč elle allait courir ; comme je trouvais bientĂŽt les bornes de mon imagination, et pourtant me sentais entraĂźnĂ© plus loin, toujours plus loin, et finissais par me perdre dans la contemplation d’un vague lointain
. Mon ami, aussi bornĂ©s, aussi heureux, Ă©taient les vĂ©nĂ©rables pĂšres du genre humain ; aussi enfantines, leurs impressions, leur poĂ©sie. Quand Ulysse parle de la mer immense et de la terre infinie, cela est vrai, humain, intime, saisissant et mystĂ©rieux. Que me sert maintenant de pouvoir rĂ©pĂ©ter, avec tous les Ă©coliers, qu’elle est ronde ? Il n’en faut Ă  l’homme que quelques mottes pour vivre heureux dessus, et moins encore pour dormir dessous

”
”
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
“
Pour les hommes de l’ñge d’or, monter une montagne, c’était rĂ©ellement s’approcher du Principe; regarder un fleuve, c’était voir la PossibilitĂ© universelle en mĂȘme temps que l’écoulement des formes. De nos jours, gravir une montagne, — et il n’y en a plus aucune qui soit a centre du monde »! — c’est « vaincre » son sommet; l’ascension n’est plus un acte spirituel, mais une profanation. L’homme, dans son aspect d’animal humain, se fait Dieu. Les portes du Ciel, mystĂ©rieusement prĂ©sentes dans la nature, se ferment devant lui.
”
”
Frithjof Schuon (Spiritual Perspectives and Human Facts)
“
Un AlgĂ©rien vivant Ă  Paris en 1962 Ă©tait un ĂȘtre traqĂ©. Tandis que les AlgĂ©riens se battaient contre l'armĂ©e française dans leurs montagnes et ds les villes europĂ©anisĂ©es d'Alger et d'Oran, des groupes terroristes paramilitaires tombaient sans discrimination sur les hommes et les femmes dans la capitale colonialiste, pour la simple raison qu'ils Ă©taient ou paraissaient ĂȘtre algĂ©riens. A Paris, des bombes explosaient dans les cafĂ©s frĂ©quentĂ©s par les Nord-Africains, des corps ensanglantĂ©s Ă©taient dĂ©couverts dans les rues sombres et des graffiti anti-algĂ©riens dĂ©figuraient les murs des immeubles et des stations de mĂ©tro. Un aprĂšs-midi, je me rendis Ă  une manifestation qui avait lieu sur la place de la Sorbonne en faveur du peuple algĂ©rien. Quand les flics la dispersĂšrent Ă  coups de lances d'incendie Ă  haute pression, ils se montrĂšrent aussi vicieux que les flicsau cou rouge de Birmimgham qui avaient reçu les Marcheurs de la Paix avec des chiens et des lances d'incendie." p.144
”
”
Angela Y. Davis
“
Et au loin, comme Frodon passait l'Anneau Ă  son doigt et le revendiquait pour sien, mĂȘme dans les Sammath Naur, coeur mĂȘme du royaume, la Puissance de Barad-dĂ»r fut Ă©branlĂ©e et la Tour trembla de ses fondations Ă  son fier et ultime couronnement. Le Seigneur TĂ©nĂ©breux fut soudain averti de sa prĂ©sence, et son oeil, perçant toutes les ombres, regarda par-dessus la plaine la porte qu'il avait faite, l'ampleur de sa propre folie lui fut rĂ©vĂ©lĂ©e en un Ă©clair aveuglant et tous les stratagĂšmes de ses ennemis lui apparurent enfin Ă  nu. Sa colĂšre s'embrasa en un feu dĂ©vorant, mais sa peur s'Ă©leva comme une vaste fumĂ©e noire pour l'Ă©touffer. Car il connaissait le pĂ©ril mortel oĂč il Ă©tait et le fil auquel son destin Ă©tait maintenant suspendu. Son esprit se libĂ©ra de toute sa politique et de ses trames de peur et de perfidie, de tous ses stratagĂšmes et de ses guerres, un frĂ©missement parcourut tout son royaume, ses esclaves flĂ©chirent, ses armĂ©es s'arrĂȘtĂšrent, et ses capitaines, soudain sans direction, hĂ©sitĂšrent et dĂ©sespĂ©rĂšrent. Car ils Ă©taient oubliĂ©s. Toute la pensĂ©e et toutes les fins de la Puissance qui les conduisait Ă©taient Ă  prĂ©sent tournĂ©es avec une force irrĂ©sistible vers la Montagne. A son appel, vibrant avec un cri dĂ©chirant, volĂšrent en une derniĂšre course dĂ©sespĂ©rĂ©e les NazgĂ»l, les Chevaliers Servants de l'Anneau, qui, en un ouragan d'ailes, s'Ă©lançaient en direction du Sud, vers la Montagne du Destin.
”
”
J.R.R. Tolkien
“
Il en va des paysages comme des ĂȘtres ou des musiques qui nous bouleversent. Ils nous prĂ©cipitent au cƓur de nous-mĂȘmes et nous jettent bien au-delĂ  d'eux dans un mouvement violent, douloureux, lumineux. On en revient diffĂ©rent et tout Ă©tonnĂ© d'avoir approchĂ© le feu qui ressemble si fort Ă  la vĂ©ritĂ©, et que ce soit si simple. On sait qu'il faudra recommencer, ĂȘtre attentif, rĂ©ceptif, disponible parce que chaque instant et chaque Ă©motion tournent comme la lumiĂšre du jour.
”
”
Jocelyne Gagliardi
“
flĂąnerie libre de courir avec la montagne de croisĂ©es des chemins dans mes bras avec l’aigrette de pissenlit dans le cƓur avec la plaie ouverte de l’Ɠil retournĂ©, toujours retournĂ© de sa tournĂ©e sauvagerie impĂ©nĂ©trable ma tĂȘte est un chapeau de paille dans lequel je ramasse le solstice d’étĂ© et les pommes aigre-douces qui flottent sur tes lĂšvres je casse le cadenas de la camarde avec le hurlement de bĂȘte dĂ©chaĂźnĂ©e je jette les heures les journĂ©es les mois les annĂ©es entiĂšres dans le jardin oĂč nous avons enfilĂ© sur nous l’ñme comme un t-shirt pas lavĂ©. *** drumeție liber să alerg cu muntele de răscruci Ăźn brațe cu puful de păpădie Ăźn inimă cu rana deschisă a ochiului Ăźntors mereu Ăźntors din drum sălbăticie de nepătruns capul meu e o pălărie de paie Ăźn care adun solstițiul de vară și merele acrișoare care plutesc pe buzele tale sparg lacătul pieirii cu urletul de jivină-ncolțită arunc orele zilele lunile anii cu totul Ăźn grădina unde ne-am tras sufletul ca un tricou nespălat pe noi.
”
”
Daniel Marcu
“
Nous illustrons la soif de liberté, l'individualisme, la bougeotte et nous nous retrouvons aujourd'hui comme ces porteurs d'une industrie associé aux hamburgers, blue-jeans et Marlboro. D'un cÎté, il y a les éleveurs, les cow-boys professionnels, les Indiens, les bergers, qui luttent pour préserver leur mode de vie. De l'autre, les ranches pour 'dudes' et les magasins d'articles western pour touristes, qui prospÚrent sur une image qu'ils contribuent à détruire. Nous faisons nos courses au Walmart du coin, le touriste ira compléter son déguisement de parfait cow-boy dans les magasins chic du centre-ville. Le tourisme ne peut pas sauver les cultures en voie de disparition. Au contraire, il les stérilise et les expédie dans les archives folkloriques.
”
”
Pascal Wick (Journal d'un berger nomade)
“
On sait ce qui fait tenir physiquement le béton : l'hydratation du ciment transforme ses phases silicatées en silicate de calcium hydraté, dont la structure assure la cohésion des granulats et la résistance du matériau. Mais qu'est-ce qui le fait tenir ontologiquement ? Dit autrement, c'est quoi le monde du béton ? Le ciment standardisé le plus commun, dit "Portland", a été mis au point au début du XIXe siÚcle. Il accompagne l'essor du capitalisme industriel. Hyper modulable, peu onéreux, facile de mise en oeuvre comme à détruire, les qualités du béton de ciment donnent depuis lors aux politiques et aménageurs une grande liberté pour configurer et reconfigurer l'espace. Et cette reconfiguration n'a pas cessé depuis que les humains s'agglomÚrent dans les villes, suivant en substance les mouvements de concentration du capital. Le béton matérialise ce rapport dans des infrastructures dédiées à l'accélération des flux de marchandises, qu'il s'agisse d'information, d'énergie, de biens manufacturés, ou de travailleurs. Frets, entrepÎts de stockage, hubs de tri, transporteurs, data centers, fibre optique, plateformes "virtuelles" : les grands réseaux logistiques et informationnels synchronisent les métropoles entre elles sur la cadence du marché. Zébrant les territoires, cette couche dessine une pieuvre logistique faite de routes, ponts, tunnels connectant entrepÎts, ports et aéroports. N'ayant que faire des particularités des territoires traversés, au mépris de celles et ceux qui y habitent, la logistique trace tout droit à travers bourgs, champs, zones naturelles et montagnes. Les campagnes sont reléguées aux fonctions de voies de transit d'un cÎté, et en ressources alimentaires et énergétiques de l'autre.
”
”
Les soulĂšvements de la terre (PremiĂšres secousses)
“
(...) ces quelques lignes nous livrent peut-ĂȘtre le suprĂȘme message de la philosophie ismaĂ©lienne : " L’Imam a dit : Je suis avec mes amis partout oĂč ils me cherchent, sur la montagne, dans la plaine et dans le dĂ©sert. Celui Ă  qui j'ai rĂ©vĂ©lĂ© mon Essence, c'est-Ă -dire la connaissance mystique de moi-mĂȘme, celui-lĂ  n'a pas besoin d'une proximitĂ© physique. Et c'est cela la Grande RĂ©surrection.
”
”
Henry Corbin (History of Islamic Philosophy)
“
(Vingt ans aprĂšs la mort de son fils, perdu en montagne.) C'est une expĂ©rience inhumaine. Ce sont vos enfants qui doivent vous fermer les yeux. De toutes les Ă©preuves de ma vie, qui en a Ă©tĂ© fertile, c'est celle dont j'ai Ă©mergĂ© avec le plus de peine, mĂąchant et remĂąchant ma culpabilitĂ©. On devient comme un grand brĂ»lĂ© qui ne supporte plus aucun contact avec autrui. Ceux qui vous marquent de la compassion? Odieux: ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ceux qui feignent la bonne humeur pour vous remonter la moral? IndĂ©cent. (...) La vie est la plus forte. La douleur qui demeure devient comme une bĂȘte apprivoisĂ©e aux griffes rognĂ©es mais, aujourd'hui encore, j'ai du mal Ă  dire "mon fils" sans que ma gorge se noue.
”
”
Laure Adler cite Françoise Giroud, dans Françoise, Grasset, 2011.
“
Elles Ă©taient ces brebis qui cherchent refuge derriĂšre un rocher quand sĂ©vit la tempĂȘte. ArrivĂ©es dans un endroit inconnu qui leur offre un abri, elles s'attachent Ă  retrouver sĂ©curitĂ© et chaleur. Elles savaient que le froid d'autrui viendrait de nouveau les transpercer et se nicher en elles. Aussi s'agissait-il de rĂ©pandre toute la chaleur que l'on avait pour pouvoir ensuite la rĂ©cupĂ©rer au dĂ©cuple. (...) A la maison, il leur Ă©tait interdit de se donner mutuellement la chaleur dont elles avaient besoin. Elles redevenaient des brebis effrayĂ©es perdues dans la montagne sauvage.
”
”
HerbjĂžrg Wassmo (The House with the Blind Glass Windows)
“
Alors que le grand U canalisait les eaux pour assĂ©cher les terres, il s’égara, contourna la mer du nord, et arriva, trĂšs loin, tout au septentrion, dans un pays sans vent ni pluie, sans animaux ni vĂ©gĂ©taux d’aucune sorte, un haut plateau bordĂ© de falaises abruptes, avec une montagne conique au centre. D’un trou sans fond, au sommet du cĂŽne, jaillit une eau d’une odeur Ă©picĂ©e et d’un goĂ»t vineux, qui coule en quatre ruisseaux jusqu’au bas de la montagne, et arrose tout le pays. La rĂ©gion est trĂšs salubre, ses habitants sont doux et simples. Tous habitent en commun, sans distinction d’ñge ni de sexe, sans chefs, sans familles. Ils ne cultivent pas la terre, et ne s’habillent pas. TrĂšs nombreux, ces hommes ne connaissent pas les joies de la jeunesse, ni les tristesses de la vieillesse. Ils aiment la musique, et chantent ensemble tout le long du jour. Ils apaisent leur faim en buvant de l’eau du geyser merveilleux, et rĂ©parent leurs forces par un bain dans ces mĂȘmes eaux. Ils vivent ainsi tous exactement cent ans, et meurent sans avoir jamais Ă©tĂ© malades. Jadis, dans sa randonnĂ©e vers le Nord, l’empereur Mou des Tcheou visita ce pays, et y resta trois ans. Quand il en fut revenu, le souvenir qu’il en conservait, lui fit trouver insipides son empire, son palais, ses festins, ses femmes, et le reste. Au bout de peu de mois, il quitta tout pour y retourner. Koan-tchoung Ă©tant ministre du duc Hoan de Ts’i, l’avait presque dĂ©cidĂ© Ă  conquĂ©rir ce pays. Mais Hien-p’eng ayant blĂąmĂ© le duc de ce qu’il abandonnait Ts’i, si vaste, si peuplĂ©, si civilisĂ©, si beau, si riche, pour exposer ses soldats Ă  la mort et ses feudaÂŹtaires Ă  la tentation de dĂ©serter, et tout cela pour une lubie d’un vieillard, le duc Hoan renonça Ă  l’entreprise, et redit Ă  Koan-tchoung les paroles de Hien-p’eng. Koan-tchoung dit : Hien p’eng n’est pas Ă  la hauteur de mes conceptions. Il est si entichĂ© de Ts’i, qu’il ne voit rien au delĂ . (Lieh-Zi, 5.5) æčŻć•,5: çŠčäč‹æČ»æ°ŽäžŠäčŸïŒŒèż·è€Œć€±ćĄ—ïŒŒèŹŹäč‹äž€ćœ‹ă€‚æż±ćŒ—æ”·äč‹ćŒ—ïŒŒäžçŸ„è·éœŠć·žćčŸćƒèŹé‡ŒïŒŒć…¶ćœ‹ćæ›°ç”‚ćŒ—ïŒŒäžçŸ„際畔äč‹æ‰€éœŠé™ă€‚æ— éąšé›šéœœéœČïŒŒäžç”Ÿéł„ă€çžă€èŸČă€é­šă€è‰ă€æœšäč‹éĄžă€‚ć››æ–č悉ćčłïŒŒć‘šä»„ć–Źé™Ÿă€‚ç•¶ćœ‹äč‹äž­æœ‰ć±±ïŒŒć±±ććŁșé ˜ïŒŒç‹€è‹„ç””ç”„ă€‚é ‚æœ‰ćŁïŒŒç‹€è‹„ć“Ąç’°ïŒŒćæ›°æ»‹ç©Žă€‚æœ‰æ°Žæč§ć‡șïŒŒćæ›°ç„žç€”ïŒŒè‡­éŽè˜­æ€’ïŒŒć‘łéŽé†Ș醮。侀æșćˆ†ç‚șć››ćŸ’ïŒŒæłšæ–Œć±±äž‹ïŒ›ç¶“ç‡Ÿäž€ćœ‹ïŒŒäșĄäžæ‚‰ćŸ§ă€‚ćœŸæ°Łć’ŒïŒŒäșĄæœ­ćŽČ。äșșæ€§ć©‰è€ŒćŸžïŒŒç‰©äžç«¶äžçˆ­ă€‚æŸ”ćżƒè€ŒćŒ±éȘšïŒŒäžé©•äžćżŒïŒ›é•·ćčŒć„•ć±…ïŒŒäžć›äžè‡ŁïŒ›ç”·ć„łé›œæžžïŒŒäžćȘ’äžè˜ïŒ›ç·Łæ°Žè€Œć±…ïŒŒäžè€•äžçšŒïŒ›ćœŸæ°Łæș«é©ïŒŒäžçč”äžèĄŁïŒ›ç™ŸćčŽè€Œæ­»ïŒŒäžć€­äžç—…ă€‚ć…¶æ°‘ć­łé˜œäșĄæ•žïŒŒæœ‰ć–œæš‚äșĄèĄ°è€ć“€è‹Šă€‚ć…¶äż—ć„œèČïŒŒç›žæ”œè€Œèż­èŹ ïŒŒç”‚æ—„äžèŒŸéŸłă€‚é„‘æƒ“ć‰‡éŁČç„žç€”ïŒŒćŠ›ćż—ć’Œćčłă€‚éŽć‰‡é†‰ç¶“æ—Źäčƒé†’。æČæ”Žç„žç€”ïŒŒè†šè‰Čè„‚æŸ€ïŒŒéŠ™æ°Łç¶“æ—Źäčƒæ­‡ă€‚ć‘šç©†çŽ‹ćŒ—éŠïŒŒéŽć…¶ćœ‹ïŒŒäž‰ćčŽćż˜æ­žă€‚æ—ąćć‘šćź€ïŒŒæ…•ć…¶ćœ‹ïŒŒæƒç„¶è‡Șć€±ă€‚äžé€Čé…’è‚‰ïŒŒäžćŹćŹȘćŸĄè€…æ•žæœˆïŒŒäčƒćŸ©ă€‚知ä»Čć‹‰éœŠæĄ“ć…ŹïŒŒć› éŠéŒćŁïŒŒäż±äč‹ć…¶ćœ‹ă€‚ćčŸć‰‹èˆ‰ïŒŒéš°æœ‹è««æ›°ïŒšă€Œć›èˆéœŠćœ‹äč‹ć»ŁïŒŒäșș民äč‹çœŸïŒŒć±±ć·äč‹è§€ïŒŒæź–物äč‹é˜œïŒŒçŠźçŸ©äč‹ç››ïŒŒç« æœäč‹çŸŽïŒŒćŠ–éĄç›ˆćș­ïŒŒćż è‰Żæ»żæœïŒŒè‚†ć’€ć‰‡ćŸ’ć’ç™ŸèŹïŒŒèŠ–æ’ć‰‡è«žäŸŻćŸžć‘œïŒŒäșŠć„šçŸšæ–ŒćœŒïŒŒè€ŒæŁ„éœŠćœ‹äč‹ç€Ÿçš·ïŒŒćŸžæˆŽć€·äč‹ćœ‹äčŽïŒŸæ­€ä»Č父äč‹è€„ïŒŒæŸ°äœ•ćŸžäč‹ïŒŸă€æĄ“ć…Źäčƒæ­ąïŒŒä»„隰朋äč‹èš€ć‘ŠçźĄä»Čä»Čæ›°ïŒšă€Œæ­€ć›ș非朋äč‹æ‰€ćŠäčŸă€‚è‡ŁæćœŒćœ‹äč‹äžćŻçŸ„äč‹äčŸă€‚éœŠćœ‹äč‹ćŻŒć„šæˆ€ïŒŸéš°æœ‹äč‹èš€ć„šéĄ§ïŒŸă€
”
”
Liezi (Lieh-tzu: A Taoist Guide to Practical Living (Shambhala Dragon Editions))
“
- Georges, connais-tu Victor Hugo? J'ai ouvert la bouche en grand. Le phalangiste a ajustĂ© son arme, regard perdu dans le jour tombĂ©. - Tu connais? "Demain, dĂšs l'aube, Ă  l'heure oĂč blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends..." a rĂ©citĂ© le tueur. J'ai tremblĂ© Ă  mon tour. Mon corps, sans retenue. J'ai pleurĂ©. Tant pis. (...) "J'irai par la forĂȘt, j'irai par la montagne, Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixĂ©s sur mes pensĂ©es, Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbĂ©, les mains croisĂ©es, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit". Et puis il a tirĂ©. Deux coups. Un troisiĂšme, juste aprĂšs. Cette fois sans trembler, sans que je sente rien venir. Son corps Ă©tait raide de guerre. Mes larmes n'y ont rien fait. Ni la beautĂ© d'Aurore, ni la fragilitĂ© de Louise, ni mon effroi. Il a tirĂ© sur la ville, sur le souffle du vent. IL a tirĂ© sur les lueurs d'espoir, sur la tristesse des hommes. Il a tirĂ© sur moi, sur nous tous. Il a tirĂ© sur l'or du soir qui tombe, le bouquet de houx vert et les bruyĂšres en fleur.
”
”
Sorj Chalandon (Le quatriĂšme mur)
“
La mĂ©taphore, tout d'abord, ne relie pas seulement le corps humain Ă  l'univers dans son ensemble, mais surtout Ă  un pays, voire Ă  un paysage : « le corps humain est l'image d'un pays (yi-jen tche chen, yi kouo tche siang) », disent les TaoĂŻstes du Moyen Age. Et, depuis l'Ă©poque Song, le corps humain a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© sous les apparences d'un paysage, avec des montagnes et des lacs, des forĂȘts et des habitats. Paysage ou pays qui constitue aussi un royaume, avec son administration : le cƓur est le prince, les autres viscĂšres ses ministres, le sang son peuple, etc. Recherches sur le corps taoĂŻste 1976
”
”
Kristofer Schipper
“
« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais. Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais. Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles reprĂ©sentent. Je dormirais peu, je rĂȘverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, Ă  chaque minute nous perdons 60 secondes de lumiĂšre. Je marcherais quand les autres s'arrĂȘteraient, je me rĂ©veillerais quand les autres dormiraient. Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais Ă  plat ventre au soleil, laissant Ă  dĂ©couvert pas seulement mon corps, mais aussi mon Ăąme. Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'ĂȘtre amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'ĂȘtre amoureux ! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre Ă  voler tout seul. Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli. J'ai appris tant de choses de vous les hommes
 J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la maniĂšre d'y arriver. J'ai appris que lorsqu'un nouveau-nĂ© serre pour la premiĂšre fois, le doigt de son pĂšre, avec son petit poing, il le tient pour toujours. J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables Ă  se relever. J'ai appris tant de choses de vous, mais Ă  la vĂ©ritĂ© cela ne me servira pas Ă  grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir. Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses. Si je savais que c'est peut ĂȘtre aujourd'hui la derniĂšre fois que je te vois dormir, je t'embrasserais trĂšs fort et je prierais pour pouvoir ĂȘtre le gardien de ton Ăąme. Si je savais que ce sont les derniers moments oĂč je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais dĂ©jĂ . Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilitĂ© pour faire les choses bien, mais au cas oĂč elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais. Le lendemain n'est sĂ»r pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux. C'est peut ĂȘtre aujourd'hui que tu vois pour la derniĂšre fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut ĂȘtre demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu Ă©tais trop occupĂ© pour accĂ©der Ă  un de leur dernier dĂ©sir. Garde ceux que tu aimes prĂšs de toi, dis-leur Ă  l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais. Personne ne se souviendra de toi pour tes pensĂ©es secrĂštes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer. Dis Ă  tes amis et Ă  ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi. Monsieur MĂĄrquez a terminĂ©, disant : Envoie cette lettre Ă  tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passĂ©. Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »
”
”
Gabriel GarcĂ­a MĂĄrquez
“
Je rĂȘve d'un homme qui aime les vieux groupes de rock que plus personne n'Ă©coute. Qui me laissera dormir avec mon tee-shirt trouĂ© que j'adore et mes collants en laine. Qui se rĂ©veillera Ă  quatre heures du matin pour arroser l'olivier parce qu'il saura que j'oublie toujours de le faire. Qui autorisera les animaux Ă  boire des cafĂ©s. Qui m'achĂštera des frites. Qui ne s'ennuiera jamais. Qui aura lu Miller, Salinger et Desnos. Et aussi Kateb, Mammeri et Mahfouz. Qui, Ă  l'aube, prendra un train avec moi sans en connaitre la destination. Qui se fichera que les yaourts soient pĂ©rimĂ©s depuis la veille. Qui saura se mettre en colĂšre et rire en mĂȘme temps. Qui chantera faux. Qui aimera la mer et la campagne et peut-ĂȘtre mĂȘme la montagne, aussi.
”
”
Kaouther Adimi (Des pierres dans ma poche)
“
Quelle est donc cette foi qui dit Ă  un homme qu'il doit quitter ses amis les plus proches, les plus sincĂšres, pour pouvoir aller vers Dieu? Parce que Dieu est lĂ -bas, dans la montagne, et pas ici, en ville? Parce que Dieu est au monastĂšre, et pas sur les chantiers, ni dans les bureaux? Si l'on croit en Dieu, on doit croire qu'il est partout ! [...] Ce qui m'exaspĂšre, c'est cette maniĂšre que l'on a aujourd'hui d'introduire la religion partout, et de tout justifier par elle. [...] On la met Ă  toutes les sauces, et on croit la servir, alors qu'on est en train de la mettre au service de ses propres ambitions, ou de ses propres lubies.
”
”
Amin Maalouf (Ű§Ù„ŰȘŰ§ŰŠÙ‡ÙˆÙ†)
“
J’en avais assez des affrontements et des discussions, et retourner dans cet endroit serein au sommet de la montagne me rĂ©jouissait davantage que la perspective de passer une autre journĂ©e dans la bibliothĂšque.
”
”
Sarah J. Maas (Un Palais d’épines et de roses T2: Un Palais de colĂšre et de brume (Un Palais d'Ă©pines et de roses) (French Edition))
“
Grande mer, toujours labourĂ©e, toujours vierge, ma religion avec la nuit ! Elle nous lave et nous rassasie dans ses sillons stĂ©riles, elle nous libĂšre et nous tient debout. À chaque vague, une promesse, toujours la mĂȘme. Que dit la vague ? Si je. devais mourir, entourĂ© de montagnes froides, ignorĂ© du monde, reniĂ© par les miens, Ă  bout de forces enfin, la mer, au dernier moment, emplirait ma cellule, viendrait me soutenir au-dessus de moi-mĂȘme et m'aider Ă  mourir sans haine.
”
”
Albert Camus
“
Dans la mer, dans la montagne, l'Autre peut s'incarner aussi parfaitement que chez la femme ; elles opposent Ă  l'homme la mĂȘme resistance passive et imprĂ©vue qui lui permet de s'accomplir ; elles sont un refus Ă  vaincre, une proie Ă  possĂ©der. Si la mer et la montage sont femmes, c'est que la femme est aussi pour l'amant la mer et la montagne.
”
”
Simone de Beauvoir (Le deuxiĂšme sexe, I)
“
Il se mit debout tant bien que mal, le suivit, l’aurait suivi jusqu’en enfer, c’est ce qu’on dit dans ces moments oĂč l’histoire vous Ă©chappe, la tĂȘte dĂ©vorĂ©e, la chaleur drainĂ©e depuis chaque veine qui martĂšle, un nƓud au ventre, la certitude que rien, jamais, ne pourra plus apaiser cette faim tant que le monde sera ce qu’il est – sorti de la montagne, tombĂ© du ciel ici, entre deux mondes, mais HadriĂĄn voulait y errer jusqu’à la fin des temps.
”
”
Anne-Claire Dolly
“
En haut, au cƓur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein d’une crevasse humide, elle regardait la mer. Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser... Au fond d’une gorge noyĂ©e d’obscuritĂ© et d’embruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la mer
 Tout en Ă©cume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colĂšre, se jetait dans les flots. Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es... Dans un cri bref, il s’était Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine l’ñpretĂ© de la pierre... D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que l’oiseau blessĂ© n’avait plus longtemps Ă  vivre
 Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla : - Quoi, voilĂ  donc que tu meurs ? - Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit l’oiseau dans un profond soupir. Je meurs mais j’ai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !
 J’ai combattu vaillamment !
 J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras t’en approcher !... Pauvre crĂ©ature ! - Le ciel !?
 Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide ! Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă  l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond d’elle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes. Ainsi pensait l’ophidien : "Qu’on vole ou bien qu’on rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..." Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour. Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, l’air Ă©tait suffocant et puait la charogne. Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa Ă©chapper un cri de douleur et de chagrin : - Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois m’envoler et rejoindre le ciel ! LĂ , j’étreindrais mon ennemi
 contre ma poitrine et... il s’étoufferait de mon sang ! Ô, Ivresse de la bataille !... L’entendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !" Elle proposa Ă  l’oiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien." Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de l’abĂźme, s’agrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante. ArrivĂ© au bord du prĂ©cipice, il dĂ©ploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignĂšrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide. Il tomba plus vite qu’une pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumes
 Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et l’inondant d’écume l’emporta vers la mer. Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de l’oiseau Ă  tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©an
 »
”
”
Maxime Gorki (Le bourg d'Okourov)
“
En haut, au cƓur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. LovĂ©e au sein d’une crevasse humide, elle regardait la mer. Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser... Au fond d’une gorge noyĂ©e d’obscuritĂ© et d’embruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se prĂ©cipitait vers la mer
 Tout en Ă©cume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colĂšre, se jetait dans les flots. Soudain du ciel, dans la crevasse oĂč la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine dĂ©chirĂ©e, les plumes ensanglantĂ©es... Dans un cri bref, il s’était Ă©crasĂ©, et, plein de colĂšre impuissante, frappait de sa poitrine l’ñpretĂ© de la pierre... D'abord, la Couleuvre effrayĂ©e recula, mais bientĂŽt elle comprit que l’oiseau blessĂ© n’avait plus longtemps Ă  vivre
 Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla : - Quoi, voilĂ  donc que tu meurs ? - Oui, je meurs ! lui rĂ©pondit l’oiseau dans un profond soupir. Je meurs mais j’ai vĂ©cu dans la gloire !... J'ai connu la fĂ©licitĂ© !
 J’ai combattu vaillamment !
 J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras t’en approcher !... Pauvre crĂ©ature ! - Le ciel !?
 Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide oĂč je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide ! Ainsi rĂ©pondit la Couleuvre Ă  l'oiseau Ă©pris de libertĂ©, gloussant au fond d’elle-mĂȘme de devoir Ă©couter de pareilles sornettes. Ainsi pensait l’ophidien : "Qu’on vole ou bien qu’on rampe, chacun connaĂźt ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussiĂšre..." Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tĂȘte et porta son regard alentour. Au fond de cette gorge, dans cette obscuritĂ©, l'eau suintait entre les pierres grises, l’air Ă©tait suffocant et puait la charogne. Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa Ă©chapper un cri de douleur et de chagrin : - Oh, que ne puis-je une derniĂšre fois m’envoler et rejoindre le ciel ! LĂ , j’étreindrais mon ennemi
 contre ma poitrine et... il s’étoufferait de mon sang ! Ô, Ivresse de la bataille !... L’entendant ainsi gĂ©mir la Couleuvre se dit : "Comme il doit ĂȘtre bon de vivre dans le ciel !" Elle proposa Ă  l’oiseau Ă©pris de libertĂ© : "Va, approche-toi du gouffre et prĂ©cipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donnĂ© de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien." Le Faucon frĂ©mit et fiĂšrement dans un cri s'approcha de l’abĂźme, s’agrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante. ArrivĂ© au bord du prĂ©cipice, il dĂ©ploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignĂšrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide. Il tomba plus vite qu’une pierre et se brisa les ailes, dĂ©valant et roulant sur les roches, y laissant ses plumes
 Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et l’inondant d’écume l’emporta vers la mer. Dans un rugissement de douleur, les vagues amĂšres battaient contre les pierres... Le corps de l’oiseau Ă  tout jamais disparut dans le vaste ocĂ©an

”
”
Maxime Gorki
“
Ce que les amĂ©ricains ont fait pour le mont Washington, les Suisses se sont hĂątĂ©s de l'imiter pour le Rigi, au centre de ce panorama si grandiose de leurs lacs et de leurs montagnes. Ils l'ont fait aussi pour l'Utli ; ils le feront pour d'autres monts encore, ils en ramĂšneront pour ainsi dire les cimes au niveau de la plaine. La locomotive passera de vallĂ©e en vallĂ©e par-dessus les sommets, comme passe un navire en montant et en descendant comme sur les vagues de la mer. Quant aux monts tels que les hautes cimes des Andes et de l'Himalaya, trop Ă©levĂ©es dans la rĂ©gion du froid pour que l'homme puisse y monter directement, le jour viendra oĂč il saura pourtant les atteindre.
”
”
ÉlisĂ©e Reclus (Histoire d'une montagne)
“
L'inondation, qui ruine ainsi l'espoir du paysan, est un grand malheur, et pourtant, dans ses eaux redoutées, le ruisseau apporte un trésor pour les années à venir : en détruisant la récolte de l'année présente, il dépose de la boue fertilisante qui nourrira les récoltes futures. Le sol de la plaine, constamment sollicité par le travail du laboureur s'épuiserait bientÎt si les rochers de la montagne, triturés et tamisés par le flot, ne s'étalaient en couches sur les campagnes pour en renouveler la fécondité. Ainsi que le montrent les sondages géologiques, la terre végétale et le sous-sol tout entier sont des alluvions successivement amenées de siÚcle en siÚcle et déposées sur les assises de la roche : aucune plante n'aurait pu germer dans la vallée si la montagne ne se délitait pas sans cesse, et si le ruisseau n'employait pas chaque année ces débris à fournir un nouvel aliment à la végétation de ses deux rives.
”
”
ÉlisĂ©e Reclus (Histoire d'un ruisseau - Histoire d'une montagne)
“
Fils, s'il t'est donnĂ© de vivre, tu rencontreras sur ta route des hommes qui sont suivis par des troupeaux de montagnes. Des hommes qui arrivent dans des pays, nus et crus. On remarque Ă  peine que leurs mains ouvertes Ă©clairent l'ombre comme des veilleuses. Quand on le remarque. Et voilĂ  que les montagnes se lĂšvent et marchent Ă  leur suite. Et voilĂ  que tous les mĂ©caniciens de raison tapent du poing sur leurs tables. VoilĂ  qu'ils crient : « Il y a dix ans que je cherche des formules, dix ans que je noircis du papier, dix ans que j'use des arithmĂ©tiques. Dix ans que je cherche le bouton secret ». Et celui-lĂ  est arrivĂ© et il a dit tout simplement : « Montagne » et puis la montagne s'est dressĂ©e. OĂč est la justice ? « Elle est lĂ , fiston la justice. L'espĂ©rance
 »
”
”
Jean Giono (Blue Boy)
“
Astrid sommeille dans la vase d’un marĂ©cage, lit bourbeux, puis la conscience balbutiante chasse les fragments de la nuit, petites miettes insouciantes, reprend forme, et soudain, le silence, partout, qui foudroie et dit l’absence, la vĂ©ritĂ© blanche. Les bruits de la vie sont dehors. Plus Ă  l’intĂ©rieur.
”
”
Marie Pavlenko (Traverser les montagnes et venir naĂźtre ici)
“
Soraya est une Ă©trangĂšre, elle aussi. Elle est "ceux". Mais qu'a-t-elle en commun avec un ÉrythrĂ©en ? Un Afghan ? La mĂȘme chose qu'avec un Français, un AmĂ©ricain, elle a un pĂšre, une mĂšre. Elle est nĂ©e, mourra. Son corps est fait de chair, de sang, un sang rouge qui coule dans les veines de tous les mammifĂšres. Elle parle, rit, pleure. Elle a peur, aime, crie, doute. Sont-ils si diffĂ©rents, ces hommes qui la traquent ?
”
”
Marie Pavlenko (Traverser les montagnes et venir naĂźtre ici)
“
Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands Ă©vĂ©nements et personnages historiques se rĂ©pĂštent pour ainsi dire deux fois. Il a oubliĂ© d'ajouter : la premiĂšre fois comme tragĂ©die, la seconde fois comme farce. CaussidiĂšre pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 Ă  1851 pour la Montagne de 1793 Ă  1795, le neveu pour l'oncle. Et nous constatons la mĂȘme caricature dans les circonstances oĂč parut la deuxiĂšme Ă©dition du 18 Brumaire.
”
”
Karl Marx (Le 18 Brumaire (French Edition))
“
AUTEL Les lumiĂšres se sont Ă©teintes dans un de tes autels ĂŽ, toi, pays condamnĂ© Ă  la tristesse, tous les troubadours emplissent les prisons et ils ne saluent plus l’allĂ©gresse. Dans nos montagnes il a de nouveau neigĂ© flotte Ă  l’horizon un Ă©tat de pleur Pays de larmes, pays de myrte, ton peuple est pour toujours martyr ! (Gabriela Livescu, Ăźn traducerea mea) ALTAR S-au stins luminile-ntr-un al tău altar o, țară, condamnată la tristețe, toți trubadurii sunt Ăźn Ăźnchisori, iar bucuriei nu-i mai dau binețe. În munții noștri iarăși a nins Plutește-n văzduh o stare de plĂąns Țară de lacrimi, țară de mir, poporul tau e veșnic martir! traduit en français par Gabrielle Danoux
”
”
Gabriela Livescu (Pasărea Paradis)
“
La nostalgie de l'architecture Dans un paysage de briques La nostalgie des montagnes LĂ  oĂč sont les collines d'eau. Qui est en mesure de comprendre Tout ce qui s'effondre ici ? Sagesse fermentĂ©e Dans la bouse et dans la boue CrĂ©pie sur des branches encore vivantes Sagesse dĂ©lirante Tressant dans une mĂȘme sĂ©duction Architraves molles Et colonnes sculptĂ©es dans du treillis. Le rĂȘve de pierre rĂȘvĂ© Dans un sommeil de terre OĂč ondulent des sillons pluvieux. Les dimanches dans les temples Produisent des fruits de culpabilitĂ© Des temples courbĂ©s Sous les vents qui soufflent. (SystĂ©matisation, p. 27)
”
”
Ana Blandiana (Arhitectura valurilor)
“
L'EXASPÉRATION L'exaspĂ©ration de s'Ă©couler Vers rien, de s'Ă©couler vers personne De mĂȘme que s'Ă©coule le sang d'une blessure, C'est la longue Histoire qui me l'a apprise L'Histoire domestiquĂ©e par le nĂ©ant OĂč se battent les sommets Des montagnes du monde entier, ou pĂ©rissent en vain Les flots exacerbĂ©s des ruisseaux de miel, de lait; L'exaspĂ©ration de croire Qu'il est ridicule, que c'est un supplice De griffer l'Ă©ternitĂ© en y creusant des tranchĂ©es D'Ă©difier une coupole en mĂȘme temps qu'un destin Sur une des Ăźles flottant dans le delta du Danube Parce qu'en fait on veut simplement en finir; L'exaspĂ©ration qui permettra de conclure Mauvaise fortune, bon cƓur en mĂȘme temps que la ballade Par la mĂȘme conclusion: Une mĂȘme mort bĂ©nĂ©vole
 (p. 33)
”
”
Ana Blandiana (L'Architecture des vagues)
“
L'unitĂ© roumaine n'a pas attendu, pour exister, de recevoir une couronne consacrĂ©e Ă  Rome ou Ă  Byzance. L'on peut dire qu'une configuration naturelle, ou, si l'on prĂ©fĂšre les termes de Bossuet, la volontĂ© mĂȘme de la Providence, a posĂ© sur le fond du peuple roumain la seule couronne dont il revendique la possession : celle de ses montagnes, Corona Montium, qui entoure de ses murs crĂ©nelĂ©s l'antique Dacie et que mentionnent les plus anciennes descriptions de cette terre, sur laquelle devait se dĂ©rouler les fastes de son histoire. Celle-ci est plus qu'autre part, si l'on n'en veut considĂ©rer que les traits essentiels, un phĂ©nomĂšne de conscience collective. Les fortes individualitĂ©s ne lui se font certes pas dĂ©faut, mais elles se dĂ©tachent de l'ensemble, aux temps modernes, dans la mesure oĂč elles reprĂ©sentent la tendance, d'abord instinctive, puis toujours plus consciente vers l'unitĂ©, qui est donc assurĂ©e de pouvoir durer, autant que cette conscience restera vivante dans l'esprit du peuple roumain et de ses dirigeants. C'est de ce facteur spirituel, qui a marquĂ© de son empreinte les rĂ©alitĂ©s ethniques et linguistiques dont il est devenu l'expression, que dĂ©pend l'avenir, plus que du jeu incertain et hasardeux des Ă©vĂ©nements et des circonstances. (p. 334-335)
”
”
Gheorghe I. Brătianu (Origines et formation de l'unité roumaine)
“
Nous mourons pour ne plus mourir nous mourons pour ne plus mourir et nous brĂ»lerons tout entiers sur le bĂ»cher de l’ensoiffement devenus corps immolĂ©s de mystĂšre nous consumant-en-esprit pour ĂȘtre vivants toujours nous mourons vers la vie ou nous mourons vers la mort se flĂ©trissent et meurent, je ne chanterai pas je ne chanterai jamais les feuilles d’automne elles qui se flĂ©trissent et meurent automne des choses ni le jour oĂč les Ă©toiles s’effondreront dans un temps Ă  elles au-dessus de l’abĂźme ces choses-lĂ  ne sont pas celles que j’aimerai et dĂ©sirerai pour mon Ăąme l’éclat des pierres, ni la louange ni les vagues qui sont mortes, demeures des morts lorsqu’une Égypte de pierre Ă©lĂšve d’immenses sarcophages sans rien de plus prĂ©cieux que les pas sur les sables c’est une douleur assurĂ©ment de l’échec Comme si le corps qui souffre et pleure s’il Ă©tait immense, de granite devenait Ă©ternel comment pourrions-nous nous abuser quand mĂȘme ceux qui travaillaient dans le dĂ©sert ne croyaient plus et savaient savaient qu’ils bĂątissaient une ruine dans la voluptĂ© de la mort Égypte de la peur II mais voilĂ  la Parole qui ne s’est jamais couchĂ©e se montre aux dĂ©butants sous la figure d’un esclave et d’un pĂšre Ă  ceux qui peuvent la suivre sur la montagne haute de sa transfiguration en vĂ©ritĂ© et en vie Quand la parole se montre en nous tellement illuminante, tellement claire et Son visage Ă©clate comme le soleil alors ses vĂȘtements deviennent blancs et les vĂȘtements sont la parole de l’Évangile de la victoire absolue sur la mort. (p. 85 et 87)
”
”
Daniel Turcea (L'Épiphanie)
“
Dans cet espace, oĂč les masses de pierre semblent Ă©craser tout, la source se montre si frĂȘle, qu’il ne serait pas Ă©tonnant que sa vie s’éteignĂźt un instant aprĂšs. Étonnante est, au contraire, la tĂ©mĂ©ritĂ© avec laquelle elle affirme son existence face aux pics altiers. Dans la nuit saisie d’étonnement, l’Olt commence son histoire, digne d’ĂȘtre Ă©coutĂ©e, dans un recueillement absolu, par les montagnes, par les hommes, par l’univers entier. À l’éternitĂ© des montagnes, il oppose une autre Ă©ternitĂ© : celle de l’eau qui jaillit du rocher et qui, par ce dont elle est composĂ©e, est plus vieille que toutes les montagnes rĂ©unies. Des centaines et des milliers de siĂšcles sont condensĂ©s dans le chuchotement de la source, l’un sous l’autre, remontant de plus en plus loin, jusque dans la nuit et avant la nuit des temps. Dans ce lit d’ùres, l’eau coule sur son passĂ©, comme sur une roche gigantesque, dont la couche la plus profonde remonte Ă  l’instant oĂč la terre s’est dĂ©tachĂ©e du soleil. C’est alors qu’elle a commencĂ© Ă  exister, et, depuis lors, dans chaque molĂ©cule et dans son Ă©norme totalitĂ©, elle est restĂ©e la mĂȘme. Le mince filet de l’Olt provient directement des masses liquides gĂ©antes qui ont recouvert la planĂšte, Ă  l’époque oĂč les continents Ă©taient encore loin de naĂźtre. Depuis, dans les ruisseaux, dans les fleuves, dans les mers, l’eau est restĂ©e la mĂȘme : Ă©lĂ©mentaire, unique. (traduction Dolores Toma)
”
”
Geo Bogza (Cartea Oltului)
“
Un obstacle inattendu s’oppose, dĂšs le premier instant, Ă  ce voyage, qui s’annonce comme le plus fĂ©cond qui soit, d’un bout Ă  l’autre d’une noble existence, Ă  ce voyage qui pourrait donner lieu Ă  un vaste et grave tour du monde : la sĂ©paration, difficile au plus haut point, de la contrĂ©e d’oĂč il va partir. OĂč le monde pourrait-il ĂȘtre aussi grandiose que sur ces sommets sur lesquels rien ne fait obstacle aux regards, oĂč qu’ils veuillent se diriger, et oĂč ils se dirigent, effectivement, jusqu’à ce qu’ils touchent l’infini ? Quels autres horizons pourraient se comparer Ă  l’ocĂ©an de pierre, sur l’étendue duquel Ă©merge le Ceahlău, Ă  l’ocĂ©an instable dont les vagues donnent Ă  l’univers un bercement plus large, une rĂ©sonance plus profonde ? Quitter ce moutonnement infini de montagnes, si proche Ă  la fois du ciel et des fondements sonores de la terre, voilĂ  ce qui paraĂźt impossible. Tout son tumulte retient l’ĂȘtre dans les yeux duquel il s’est mirĂ©, le tirant en arriĂšre, ne le laissant se dĂ©tacher qu’à grande peine et douloureusement, provoquant aussitĂŽt en lui le sentiment d’une perte irrĂ©parable. (traduction Dolores Toma)
”
”
Geo Bogza (Cartea Oltului)
“
La vĂ©ritĂ© est que, aprĂšs ĂȘtre venu Ă  la lumiĂšre du jour et aprĂšs s’ĂȘtre mis Ă  courir sur les rochers, le filet d’eau ne perd Ă  aucun moment le contact avec une infinitĂ© de gisements liquides, qui, par des voies secrĂštes, vont l’enrichir sans cesse, tout comme l’ĂȘtre humain, quelque Ă©voluĂ© qu’il fĂ»t, ne se coupe pas de ses gisements ancestraux obscurs, dont il reçoit sans cesse des Ă©nergies insoupçonnĂ©es et des impulsions Ă©normes. Des milliers de galeries s’entrelacent dans la pierre, tel un inimaginable labyrinthe de nervures, infiltrant leurs pointes d’aiguille jusque sous les crĂȘtes les plus hautes, dans des dĂ©pĂŽts, pas plus grands qu’un ongle, sous la croĂ»te des rochers, pour laisser s’écouler dans le ruisseau qui vient de naĂźtre, goutte-Ă -goutte, toute la sĂšve et toute la force de Hășmașul Mare. L’Olt semble ĂȘtre, ainsi, un arbre aux racines ramifiĂ©es sous l’écorce d’un vaste et chaotique territoire, si bien que, si on pouvait l’arracher, tel un sapin par la tempĂȘte, il tirerait avec lui la ronde immense des crĂȘtes, des prĂ©cipices et des pics oĂč il a vu la lumiĂšre du jour. C’est Ă  travers ce fabuleux rĂ©seau de racines, comme Ă  travers un arbre de vie gĂ©ant, que la montagne fait parvenir la nourriture Ă  la riviĂšre Ă  laquelle elle a donnĂ© le jour. (traduction Dolores Toma)
”
”
Geo Bogza (Cartea Oltului)
“
Je crois faire Ɠuvre de bon Roumain, en publiant ce livre, pour lequel j'ai puisĂ© dans les notes que j'ai prises, au jour le jour, Ă  la montagne; sa destination est de faire connaĂźtre au moins un coin de mon beau pays que les Roumains mĂ©connaissent tant et que les Ă©trangers ne connaissent pas du tout. Mais il y a plus : l'affabulation de ce livre est la preuve que le cƓur de son auteur, comme celui de tout Roumain bien pensant, est partagĂ© entre l'amour pour son pays de naissance la Roumanie et l'inaltĂ©rable affection et reconnaissance qu'il garde Ă  son pays d'Ă©lection, la France. Quoi que fassent les mesquines combinaisons de la politique, les cƓurs roumains battront toujours Ă  l'unisson des cƓurs français. Les Roumains ne devront jamais oublier la dette de gratitude qu'ils ont contractĂ©e envers la grande sƓur latine qui, gĂ©nĂ©reusement, les secourut aux heures troubles oĂč leur idĂ©al de libertĂ© Ă©tait Ă©tranglĂ© par des voisins puissants et accapareurs [...] Et je ne me lasserai pas de rĂ©pĂ©ter que, Roumain, j'ai fait dans mon cƓur deux places Ă©gales pour deux patries : la France et la Roumanie. (Extrait de "Au lecteur")
”
”
Nestor Urechia (Dans les Carpathes roumaines, les Bucégi)
“
Sans mĂȘme qu'on s'en aperçoive, la sociĂ©tĂ© de consommation s'Ă©tait introduite aussi dans le beau village au pied de la montagne. [Pe nebăgatelea de seamă civilizația de consum ajunse și Ăźn frumosul sat de la poalele muntelui.] (p. 63, traduit en français par Gabrielle Danoux)
”
”
Adrian Voicu (Provinciale)
“
Sinaia (II) Les montagnes font un tourbillon d'eau contre ta joue ; tu en dĂ©taches le bouquet mouillĂ© sur les sapins aux genoux ployĂ©s, Ă  la criniĂšre de nuit, chevaux rĂ©tifs, hennissants et captifs. Sur les bords de l'Ă©tang aux longs cils, je sais des rires de femmes engloutis et des regards limpides verdis comme la terrine. Une flamme annonce l'imminence du vide, et le chemin cerne l'Ă©tang, comme un couteau. Que de sang ! Le temps, le temps Ă©clate sur le couchant ; la forĂȘt a ce soir la folle effervescence de la bonde. Les cerfs ne savent rien de l'automne roux, et dans leur sommeil, Ăąmes de feuille aux pieds nus, ils rĂȘvent limiers, cors et chasseurs redoutĂ©s, venus s'emparaient du bocage, de ses bois, de ses sabots – et la forĂȘt, abattue, pleure, les narines palpitantes.
”
”
Benjamin Fondane (Privelisti -si inedite-)
“
Le 31 mai, je m'engageai entre la Costila et le Morar. Ce fut un enchantement! Je me promenais Ă  travers des jardins, je foulais des parterres de fleurs. C'Ă©tait la premiĂšre toison que revĂȘtaient les BucĂ©gi, des fleurs aux nuances dĂ©licates, tendres: les cĂ©raistes blanches, les mignonnes pyroles d'une blancheur de cire, la tribu des humbles saxifrages, les dryades aux huit pĂ©tales d'argent, la corthuse aux corolles en cloche d'un rose carminĂ©, le myosotis de montagne aux mille yeux d'azur
 Sur la mousse des quartiers de roches s'Ă©talait, en plaques roses, le silĂšne. Les quelques arnicas, aux boutons non encore Ă©clos, prĂ©sageaient dĂ©jĂ  la seconde toison, celle de l'Ă©tĂ© brĂ»lant aux fleurs de couleurs riches, jaunes, rouges. À mesure que je montais, les vapeurs se dĂ©gageaient des bas-fonds. Lorsque j'arrivais Ă  l'Omul le tableau Ă©tait impressionnant: comme d'une gigantesque et infernale chaudiĂšre, les vapeurs montaient, d'abord transparentes, ensuite de plus en plus compactes, d'un gris sale ; quelques faisceaux de rayons solaires traversaient ces nuages, leur donnant d'Ă©tranges reflets d'or. Je n'augurai rien de bon de ce phĂ©nomĂšne et je me dĂ©pĂȘchai de rentrer. Je trouvai Ă  la maison le garçon de l'aubergiste; il m'apportait votre lettre, que le facteur de PrĂ©dĂ©al avait laissĂ©e en passant. Ainsi donc: vous allez vous mettre en route pour un petit tour en Suisse et vous me promettez d'arriver Ă  Busteni dans la seconde moitiĂ© de juin? Vous vous proposez de prĂ©parer votre licence au milieu de nos montagnes. (p. 254–255)
”
”
Nestor Urechia (Dans les Carpathes roumaines, les Bucégi)
“
Comment une helléniste n'aurait-elle pas été sensible aux traits qui le rapprochent de Socrate ? Socrate avait dû boire la ciguë : Constantin Noica avait passé dix ans de sa vie en résidence surveillée et six ans en prison ; il vivait dans la montagne, occupant une chambre étroite et glacée, se nourrissant mal, indifférent aux misÚres matérielles. Comme Socrate, il ne s'était jamais lassé d'enseigner aux autres à penser : cet homme isolé avait des disciples un peu partout, à qui il donnait des programmes de lecture, qu'il formait, dont il déliait l'esprit. (Jacqueline de Romilly, Préface)
”
”
Constantin Noica (Șase maladii ale spiritului contemporan)
“
Minuit dix, le 7 septembre 1969. J'ai vingt-neuf ans et demi, je pÚse 48 kilos. Je suis un junkie qui va se finir dans la montagne. Je ne suis ni heureux, ni malheureux, ni anxieux ni tourmenté. J'ai en moi la fatalité des Orientaux. Je ne me donne pas plus de trois semaines à vivre.
”
”
Charles Duchaussois (Flash: ou le grand voyage)
“
Si on avait justement partagĂ© Dans les dĂ©filĂ©s des montagnes, je gĂ©mis, la tempe sur la pierre. Et j'aurais voulu, ta lumiĂšre la chanter encore, sommet des montagnes ! Si on avait justement partagĂ© toutes les peines du monde, autant sur mon cƓur que sur le tien, je ne serais pas morte aussi jeune. J’aurais pu me rĂ©jouir encore longtemps, en riant, sous les verts rameaux, j'aurais pu encore longtemps chanter, la tempe collĂ©e Ă  l’orgue des forets. Il y avait encore tant de jardins Ă  cueillir
 J’aurais ornĂ© jusqu’au fond ce plateau rond, avec des Ă©charpes et des pommes. Si on avait justement partagĂ© toutes les peines du monde, beaucoup d’annĂ©es encore, j’aurais moissonnĂ© le soleil de ces terres. Mon ami, apporte-moi des Ă©pis de blĂ©, lĂ -haut, sur le sommet des montagnes, prĂ©s des cieux et des vents, prĂšs du feu silencieux des bergers. Vie, pour les uns tu as Ă©tĂ© un Ă©ternel festin, pour moi — une pluie dĂ©serte, toi et tes balances truquĂ©es
 Et pourtant, je te salue et je pars Ă  regret. (traduit du roumain par Elisabeta Isanos)
”
”
Magda Isanos (Cantarea muntilor)
“
Sous Ceaușescu, nous avons Ă©tĂ© incapables de savoir s’il y avait, oui ou non, des dĂ©tenus politiques. Et, dans l’affirmative, combien. De plus, ils Ă©taient « maquillĂ©s » en dĂ©tenus de droit commun. Du temps de Gheorghiu-Dej (1945-1965, prĂ©dĂ©cesseur de Ceaușescu), les arrestations n’étaient pas nĂ©cessairement le rĂ©sultat d’une action subversive. Tout pouvait devenir chef d’accusation et, donc, motif d’arrestation. Dire Ă  voix haute dans la rue : « J’en ai marre », ou Ă©couter les Ă©missions des postes tels qu’Europe libre ou La Voix de l’AmĂ©rique, constituait un dĂ©lit passible de deux Ă  quatre annĂ©es de prison. L’atmosphĂšre de terreur n’épargnait pas les enfants que nous Ă©tions. En l’absence d’une vision politique de la situation, nous avions conscience qu’il se passait des choses terribles. Nous savions. Nous savions qu’il y avait des rĂ©sistants dans les montagnes. D’ailleurs, les radios occidentales en parlaient.
”
”
Oana Orlea (Les années volées: Dans le goulag roumain à 16 ans (French Edition))
“
LA GUERRE DES MOTS On entend les pas de soldats, ont murmurĂ© les mots
 En cottes de mailles nous nous habillerons Ont criĂ© les mots. Dans la guerre de tous, Contre tous, On n’entend aucun Stradivarius Dans les montagnes nous nous cacherons, et dans les psaumes, ont montrĂ© leur stratĂ©gie les mots les aubes et les points cardinaux nous incendierons les paraphrases nous empoisonnerons et des incantations nous hisserons et de l’aide nous recevrons
 On entend les pas de soldats, Mots, chaussez vos godillots ! * RĂZBOIUL CUVINTELOR Se-aud pași de soldați, au șoptit cuvintele
 Ne vom Ăźmbrăca Ăźn zale, au strigat cuvintele. În războiul tuturor Ăźmpotriva tuturor nu se-aude nici un Stradivarius Ne vom ascunde Ăźn munți și-n psalmi, și-au arătat strategia cuvintele vom incendia zările și punctele cardinale, vom otrăvi parafrazele și vom incendia incantații și vom primi ajutor
 Se-aud pași de soldați, Cuvinte
 Ăźncălțați-vă bocancii !... (p. 19, traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
”
”
Gabriela Livescu (Pasărea Paradis)
“
Bouts de soie Je fus l'ami de toutes les solitudes. J'allumais les lampes parmi les errants. Le soir je prenais un peu de thĂ©, ou mĂȘme pas. Les chemins se sont resserrĂ©s dans le passé– et voici venir l'oubli. Tout est comme cela fut un jour : choses auxquelles je ne puis donner un nom. Jeune fille aux cheveux emmĂȘlĂ©s de fĂ©erie, n'essayons plus de nous souvenir. En automne les cirques partaient. Les femmes vendaient pour nous de la marjolaine. ObscuritĂ© favorable aux monts-de-piĂ©tĂ©, le vent fait encore des culbutes et des papillons. NaguĂšre tu me montrais un Ă©cureuil menu comme une patate et nous nous effilochions au grĂ© des spectres. Les gens savent quelque chose qu'ils ne disent pas. Que fait l'eau dans laquelle tu as secouĂ© tes brumes ? Par les herbes et les saisons humides, les cendres confondent leurs saints. Le soir est venu comme un chien des montagnes, pour lĂ©cher nos mains brĂ»lantes. Tu es toujours mon amour et j'entends encore la lune serpenter entre les murs. Oh ! Si seulement nous Ă©tions demeurĂ©s en imagination comme les batailles sur les panoplies
 La vie fĂ»t toujours comme ne devrait pas ĂȘtre la vie. (p. 15)
”
”
Ion Caraion (La neige qui jamais ne neige et autres poĂšmes)
“
Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait Ă©tabli son camp et Ă©levĂ© des retranchements Ă  Kai-hia : ses soldats Ă©taient mal nourris et Ă©puisĂ©s. L’armĂ©e de Han et les troupes des seigneurs renfermĂšrent dans un cercle de plusieurs rangs d'Ă©paisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans l’armĂ©e de Han, on chantait des chants de Tch’ou ; il en fut fort effrayĂ© et dit : « Han a-t-il gagnĂ© Ă  lui toute la population de Tch’ou ? Comment va-t-il tant de gens de Tch’ou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommĂ©e Yu qui toujours l’accompagnait, et un excellent cheval nommĂ© Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses gĂ©nĂ©reux regrets; il fit sur lui-mĂȘme ces vers : « Ma force dĂ©racinait les montagnes ; mon Ă©nergie dominait le monde ; Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ; Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ? Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? » Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait d’abondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun d’eux ne pouvait lever la tĂȘte pour le regarder. Puis le roi Hiang monta Ă  cheval, et, avec une escorte d’environ huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, Ă  la tombĂ©e de la nuit, le cercle qui l’enserrait, sortit du cĂŽtĂ© du sud, et galopa jusqu’au jour

”
”
China, Sima Qian, Xiang Yu
“
Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait Ă©tabli son camp et Ă©levĂ© des retranchements Ă  Kai-hia : ses soldats Ă©taient mal nourris et Ă©puisĂ©s. L’armĂ©e de Han et les troupes des seigneurs renfermĂšrent dans un cercle de plusieurs rangs d'Ă©paisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans l’armĂ©e de Han, on chantait des chants de Tch’ou ; il en fut fort effrayĂ© et dit : « Han a-t-il gagnĂ© Ă  lui toute la population de Tch’ou ? Comment va-t-il tant de gens de Tch’ou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommĂ©e Yu qui toujours l’accompagnait, et un excellent cheval nommĂ© Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses gĂ©nĂ©reux regrets; il fit sur lui-mĂȘme ces vers : « Ma force dĂ©racinait les montagnes ; mon Ă©nergie dominait le monde ; Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ; Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ? Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? » Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait d’abondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun d’eux ne pouvait lever la tĂȘte pour le regarder. Puis le roi Hiang monta Ă  cheval, et, avec une escorte d’environ huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, Ă  la tombĂ©e de la nuit, le cercle qui l’enserrait, sortit du cĂŽtĂ© du sud, et galopa jusqu’au jour

”
”
Sima Qian (MĂ©moires historiques - DeuxiĂšme Section (French Edition))
“
Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) mena ses soldats du cĂŽtĂ© de l’est; arrivĂ© Ă  Tong-Tch’en il n’avait plus que vingt- huit cavaliers. Les cavaliers de Han qui le poursuivaient Ă©taient au nombre de plusieurs milliers. Le roi Hiang estima qu’il ne pouvait plus Ă©chapper ; il dit Ă  ses cavaliers : « Huit annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis le moment oĂč j’ai commencĂ© la guerre jusqu’à maintenant ; j’ai livrĂ© en personne plus de soixante-dix batailles ; ceux qui m’ont rĂ©sistĂ©, je les ai Ă©crasĂ©s ; ceux qui m’ont attaquĂ©, je les ai soumis ; je n’ai jamais Ă©tĂ© battu ; j’ai donc possĂ©dĂ© l’empire en m’en faisant le chef. Cependant voici maintenant en dĂ©finitive Ă  quelle extrĂ©mitĂ© je suis rĂ©duit ; c’est le Ciel qui me perd ; ce n’est point que j’aie commis quelque faute militaire
 Alors il divisa ses cavaliers en quatre bandes qu’il disposa sur quatre fronts ; l’armĂ©e de Ban le tenait enfermĂ© dans un cercle de plusieurs rangs d’épaisseur ; le roi Hiang dit Ă  ses cavaliers : « Je vais, en votre honneur, m’emparer de ce gĂ©nĂ©ral que voilĂ . » Il ordonna Ă  ses cavaliers sur les quatre fronts de descendre’ Ă  fond de train et leur fixa trois lieux de rendez-vous Ă  l'est de la montagne. Puis le roi Hiang descendit au galop en poussant de grands cris ; l’armĂ©e de Han se mit en dĂ©route et il coupa aussitĂŽt la tĂȘte Ă  un gĂ©nĂ©ral de Han
. Le roi Hiang lui-mĂȘme avait reçu plus de dix blessures ; en se retournant, il aperçut Lu Ma-t'ong capitaine des cavaliers de Han et lui dit: « N’ĂȘtes- vous pas une de mes anciennes connaissances ? » Ma-t’ong le dĂ©visagea et, le montrant Ă  Wang, il lui dit : « Celui-lĂ  est le roi Hiang. » Le roi Hiang dit alors : « J’ai entendu dire que Han avait mis Ă  prix ma tĂȘte, (promettant pour elle) un millier d’or et une terre de dix mille foyers ; je vous donne cet avantage. »  ces mots, il se coupa la gorge et mourut.
”
”
Sima Qian (MĂ©moires historiques - DeuxiĂšme Section (French Edition))
“
Jadis, aucune femme ne pouvait faire l'ascension de la montagne sacrĂ©e [le mont Fuji], et c'est Lady Parkes – Ă©pouse d'un diplomate anglais – qui osa la premiĂšre braver l'interdit. C'Ă©tait en 1867. Depuis lors, il y eut bien d'autres sacrilĂšges, celui d'installer un observatoire au sommet ou d'encombrer ses pentes de toutes les ordures laissĂ©es par les foules innombrables qui le gravissent chaque Ă©tĂ©. Tout japonais se doit en effet d'aller assister au lever du soleil : le GoraĂŻko purificateur. D'aprĂšs un proverbe nippon il existe deux sortes d'imbĂ©ciles : ceux qui n'ont jamais fait l'escalade et
 ceux qui l'entreprenne une seconde fois ! Je n'ai pas l'intention de rĂ©pĂ©ter l'exercice. Il vaudrait mieux demander Ă  mes chevilles, Ă  mes genoux et aux courbatures des jours suivants, la premiĂšre impression laissĂ©e par huit heures de montĂ©e nocturne dans la pierre ponce et la scorie ou le pied recule Ă  chaque pas. Un chapelet d'immondices et d'espadrilles usĂ©es jalonne la piste. De temps en temps, une station de repos vous redonne du courage ou permet d'Ă©tancher une soif rendue inextinguible par l'Ă©pouvantable poussiĂšre soulevĂ©e par une ribambelle d'autres grimpeurs et, surtout, ceux qui dĂ©valent la pente Ă  toute vitesse dans cette lave granulaire. (p. 230)
”
”
Michael Stone (Incroyable Japon)
“
Une fois, quelqu’un avait peint une Ă©glise sur une outarde. C’était la derniĂšre en ces lieux, les autres avaient toutes Ă©tĂ© tuĂ©es par les chasseurs ; quant aux Ă©glises — un bail qu’il n’y en avait plus. Aussi, il en a peint une sur cette derniĂšre outarde. Sur la crĂȘte, le jabot et les plumes-moustache, il peignit les Miracles du Christ. Sur une aile — la Passion et la Mise au tombeau; sur l’autre — l’Ascension. Il y a un Ă©quilibre dans ces choses, Ă  ce qu’on dit ; ce qu’on enterre de l’aile gauche s’élĂšve aux cieux quand on remue la droite. Et rĂ©ciproquement, ce qu’on Ă©lĂšve, on l’enterre. Une fois l’église achevĂ©e, il a relĂąchĂ© l’outarde dans les champs. Toute la journĂ©e il lui courait aprĂšs. Pour prier. « Vous n’auriez pas vu mon Ă©glise ? » demandait-il Ă  tous. Jusqu’au jour oĂč il tomba sur quelqu’un qui l’avait pendue Ă  sa ceinture, ruisselante de sang. (extrait de "Le bedeau", pp. 67-68)
”
”
Marin Sorescu (La soif de la montagne de sel)
“
Cela me revient : Jonas. Je suis Jonas. (Silence) Et, veux-tu que je te dise, c’est moi qui ai eu raison. Je ne me suis pas trompĂ© de route, c’est la route qui a mal tournĂ©. Elle aurait dĂ» aller dans l’autre sens. (Hurlant) Jonas, Jonaaas ! À l’envers, tout est Ă  l’envers. Mais on ne m’aura pas comme ça ! Je repars. Et, cette fois je t’emmĂšne. Chance ou pas chance. C’est trop dur d’ĂȘtre seul. (Il sort son couteau) PrĂȘt, Jonas ? (S'ouvrant le ventre) Nous parviendrons quand mĂȘme Ă  la lumiĂšre ! (fin de "Jonas", p. 51)
”
”
Marin Sorescu (La soif de la montagne de sel)
“
Le seul souvenir qui me reste depuis des siĂšcles que je vis dans la pierre, est le doux contact des larmes sur un visage d'homme
”
”
Michel Bernanos (La Montagne morte de la vie)
“
Le seule souvenir qui me reste depuis des siĂšcles que je vis dans la pierre, est le doux contact des larmes sur un visage d'homme.
”
”
Michel Bernanos (La Montagne morte de la vie)
“
J’avais appris au lycĂ©e, de la bouche de notre distinguĂ© professeur d’histoire et de gĂ©ographie, Marcou Weintraub, l’importance que les montagnes encadrant ces gorges du Bicaz occupaient dans la mythologie roumaine. Le massif Ceahlău, surnommĂ© l’Olympe des Moldaves, aurait abritĂ© le trĂŽne du dieu dace Zamolxis. Les Daces Ă©taient ces barbares indo-europĂ©ens de la branche des Thraces d’Asie Mineure, qui, se mĂ©langeant aux conquĂ©rants romains, avaient donnĂ© le peuple roumain. Et selon la lĂ©gende, c’était dans cette montagne que Dochia, fille de DĂ©cĂ©bal, le cĂ©lĂšbre roi des Daces, Ă©chappant Ă  la captivitĂ© de l’empereur Trajan, fut transformĂ©e en pierre par le froid. Les longues guerres que DĂ©cĂ©bal et les Daces avaient menĂ©es contre l’empereur Trajan – dont les diffĂ©rents Ă©pisodes sont gravĂ©s sur une colonne Ă©rigĂ©e Ă  Rome – incarnent la tĂ©nacitĂ© du peuple roumain et sa dĂ©termination Ă  sauvegarder son identitĂ© Ă  travers les siĂšcles. DĂ©cĂ©bal et Zamolxis n’étaient pas pour rien dans l’intĂ©rĂȘt que le jeune garçon fĂ©ru d’histoire que j’étais portait Ă  cette pĂ©riode si prĂ©cieuse au cƓur des Roumains.
”
”
Dov Hoenig (Rue du Triomphe)
“
LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI) La disette a tuĂ© toute brise de vent. Le soleil s’est fondu et coulĂ© de partout. Le ciel est restĂ© vide et brĂ»lant Les seaux ne tirent des fontaines que de boue. Sur les bois frĂ©quemment feux, toujours feux Dansent sauvages, sataniques jeux. Je poursuis papa en route vers les buttes, Les chardons, les sapins m’écorchent sĂ©chĂ©s. Tous les deux commençons la poursuite des chĂšvres, La chasse d’la famine en montagnes de tout prĂšs. La soif m’accable. Bouillit sur la pierre Le fil d’eau filtrĂ© des ruisseaux. La tempe pĂšse l’épaule, comme si j’erre Une autre planĂšte, immense, Ă©trange, ennuyeux. Nous restons dans l’endroit oĂč encore retentissent Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux. Quand la lune s’élĂšve et le soleil se couche Ici viendront Ă  la fil s’abreuver Une par une, les biches. Je dis Ă  papa que j’ai soif. Il me fait signe de m’ taire. Enivrante eau. Comme tu t’agites limpide ! Je suis liĂ© par soif de cette ĂȘtre qui meurt À l’heure fixĂ© par loi et habitude. La vallĂ©e raisonne en bruissements flĂ©tris. Quel affreux crĂ©puscule flotte dans l’univers ! Le sang Ă  l’horizon. Ma poitrine rouge comme si J’ai essuyĂ© mes mains sur mon poitrail. Comme sur autel fougĂšres brĂ»lent en flammes violĂątres Et les Ă©toiles frappĂ©es parmi celles-ci miroitent. HĂ©las ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas Superbe offrande de mon noble bois ! Elle se monta sautant et s’arrĂȘta Scrutant les alentours avec de crainte Ses minces narines faisaient frĂ©mir l’eau Avec les cercles en cuivre errantes. Dans ses yeux moites brillait un certain indĂ©cis Je savais qu’elle aura mal, qu’elle va mourir. Il me semblait revivre un rĂ©cit Avec la biche, jadis une trĂšs belle fille. D’en haut, la pĂąle lumiĂšre, lunaire, Bruinait sur sa fourrure douces fleurs d’cerisier. HĂ©las ! comme je voudrais que pour la premiĂšre fois Le coup d’fusil d’papa va Ă©chouer. Mais les vallĂ©es rĂ©sonnent. Elle tombe Ă  genoux. Elle lĂšve sa tĂȘte, la tourne vers les Ă©toiles La dĂ©vala alors, en dĂ©clenchant sur eaux Fuyards tourbillons de perles noires. Un oiseau bleu bonda dans les rameaux La vie d’la biche vers l’espace attardĂ© Vola trĂšs lentement, en cris, comme en automne oiseaux Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagĂ©s. En chancelant je suis allĂ© pour lui fermer Ses yeux ombreux comme en engoisse veillĂ©s de cornes Silencieux et blanc j’ai tressailli quand l’pĂšre Me dit de tout son cƓur: “VoilĂ  de la viande !” “J’ai soif”, je dis. Papa m’incite Ă  m’abreuver. Enivrante eau, enveloppĂ© en brume ! Je suis liĂ© par soif de cette biche gaspillĂ©e A l’heure fixĂ©e par loi et par coutume
 Mais la loi nous est dĂ©serte, Ă©trangĂšre Quand la vie en nous trĂšs difficile s’anime Coutumes, compassions sont toutes dĂ©sertes Quand mĂȘme ma sƓur malade est une des victimes. La carabine d’ papa n’ Ă©mane que de fumĂ©e HĂ©las ! Sans vent s’empressent les feuillages en foule Papa prĂ©pare un feu tout effrayĂ© HĂ©las ! comme la forĂȘt se dĂ©nature ! De l’herbe, sans adresse, je prends en mains Une mince clochette d’un cliquetis argentin . Papa tire de la broche avec sa main Le cƓur de la chevreuil et ses chauds reins. C’est quoi le cƓur ?
 J’ai faim. Je veux vivre, j’ voudrais
 Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimĂ©e
 J’ai sommeil
 Comme il est haut le feu ! Et la forĂȘt sauvage ! Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mange
 1954 (cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
”
”
Nicolae LabiƟ (Poezii (Biblioteca Eminescu) (Romanian Edition))
“
Quelque chose n’allait plus. Ma mauvaise humeur Ă©tait nĂ©e de la lecture du quotidien La Montagne – oĂč n’écrivait plus Alexandre Vialatte – devant des tasses de cafĂ© noir qui rĂ©paraient mon insomnie dans le bistrot de Pierrefort. « Le numĂ©rique est une opportunitĂ© pour renforcer l’innovation », disait l’article. Cela commençait mal : personne ne savait ce que signifiaient des trucs pareils. Mais tous les Ă©lus de la rĂ©gion applaudissaient. Ils s’étaient rĂ©unis en congrĂšs Ă  Murol, ils prĂ©paraient la connexion de leur campagne. Ils mettaient en place le dispositif. Le journal annonçait : « Le trĂšs haut dĂ©bit au secours de la ruralitĂ©. » Ciel ! pensais-je, les voilĂ  sauvĂ©s par cela mĂȘme qui faisait clore les boutiques. « Ceux qui s’installent ici demandent le haut dĂ©bit avant l’école », expliquait le maire d’un village dans l’interview, et il se fĂ©licitait par contrecoup de l’ouverture prochaine d’un « collĂšge tout numĂ©rique ». Le nom de Mermoz serait donnĂ© Ă  l’établissement. Personne n’ajoutait que le demi-dieu de l’AĂ©ropostale qui avait rĂ©parĂ© son avion pendant quarante-huit heures sur un piton des Andes avec une clef Ă  molette n’aurait pas eu grand-chose Ă  carrer du haut dĂ©bit.
”
”
Sylvain Tesson (On the Wandering Paths (Univocal))
“
ÉPILOGUE LOUIS. — AprĂšs, ce que je fais, je pars. Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard, une annĂ©e tout au plus. Une chose dont je me souviens et que je raconte encore (aprĂšs j’en aurai fini) : c’est l’étĂ©, c’est pendant ces annĂ©es oĂč je suis absent, c’est dans le Sud de la France. Parce que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne, je dĂ©cide de marcher le long de la voie ferrĂ©e. Elle m’évitera les mĂ©andres de la route, le chemin sera plus court et je sais qu’elle passe prĂšs de la maison oĂč je vis. La nuit, aucun train n’y circule, je n’y risque rien et c’est ainsi que je me retrouverai. À un moment, je suis Ă  l’entrĂ©e d’un viaduc immense, il domine la vallĂ©e que je devine sous la lune, et je marche seul dans la nuit, Ă  Ă©gale distance du ciel et de la terre. Ce que je pense (et c’est cela que je voulais dire) c’est que je devrais pousser un grand et beau cri, un long et joyeux cri qui rĂ©sonnerait dans toute la vallĂ©e, que c’est ce bonheur-lĂ  que je devrais m’offrir, hurler une bonne fois, mais je ne le fais pas, je ne l’ai pas fait. Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier. Ce sont des oublis comme celui-lĂ  que je regretterai.
”
”
Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde)
“
— Ô Lune Noire, sache que je t’ai attendue. Non, mon attente n’a pas Ă©tĂ© pieuse et bercĂ©e d’une fĂ©licitĂ©e bĂ©ate. Mes espoirs, je les ai conservĂ©s contre moi en affrontant les tempĂȘtes de la nature. Mes craintes, je les ai endossĂ©es avec peine et, souvent, elles m’ont valu d’épouvantables souffrances. Quant Ă  mes croyances, elles chancĂšlent chaque jour, avançant fĂ©brilement sur la crĂȘte d’une montagne acĂ©rĂ©e. Non, belle Lune Noire, je n’ai pas Ă©tĂ© le dĂ©vot infaillible. J’ai encaissĂ© les douleurs et j’en ai souvent questionnĂ© la cause, me demandant si les dieux veillaient vraiment sur l’indigent que je suis... J’ai interrogĂ© l’OcĂ©an CĂ©leste, j’ai invoquĂ© le Grand PĂȘcheur dans les moments de dĂ©tresse, et j’ai remerciĂ© les Constellations Silencieuses lorsque le sort m’était propice. Mais jamais, jamais je n’ai obtenu de rĂ©ponse. Pas un signe. Pas une faveur, pas une mise en garde. Rien ! Alors j’ai continuĂ© Ă  croire et j’ai contemplĂ© chacun de tes croissants. J’ai chĂ©ri chaque pas sous l’éclat argentĂ© de ta lumiĂšre. Mais, peu Ă  peu, je suis forcĂ© d’admettre que mon regard est tombĂ© et que j’ai plus souvent observĂ© mes pieds que ta robe. Nuit aprĂšs nuit, ma foi s’est faite tĂ©nue
 Et je regrette, aujourd’hui, d’avoir parfois pensĂ© que l’interposition ne viendrait pas. Que l’éclipse n’était qu’une fable, qu’un rĂȘve mal placĂ© dans mon esprit puĂ©ril. Un rĂȘve idiot qui avait induit les sages en erreur
 Comme je regrette ! Comme je suis confus et contrit de dĂ©couvrir, Ă  prĂ©sent, que le tort s’était saisi de moi
 La puissance de ton ombre est manifeste : Fe’Rah Grundt ne peut que s’incliner ! Quant Ă  ton aura
 Quelle
 Quelle splendeur ! J’ai devant mes yeux la plus magnifique fantasmagorie qu’il m’ait Ă©tĂ© donnĂ© de voir. C’est tellement plus grandiose que dans mon rĂȘve. Et, plus sublime encore que dans mes tentatives d’imagination Ă©veillĂ©e ! L’éclipse
 L’éclipse est assurĂ©ment le tournant de mon existence, j’en suis convaincu. Car mĂȘme si tu me rĂ©pudies, mĂȘme si tu m’ignores, mĂȘme si tu te contraries de mes paroles et choisis de m’en punir, je serai – Ô superbe Lune Noire – Ă  jamais changĂ©, en mon ĂȘtre tout entier, de t’avoir pu observer. Sur ces paroles fiĂ©vreuses et enflammĂ©es d’un amour sincĂšre dont il s’ignorait capable, Welihann se tait puis pose un genou Ă  terre. Les yeux brillants, il plonge dans la noirceur du cercle magique et cligne le moins possible des paupiĂšres, bien dĂ©cidĂ© Ă  ne pas en perdre la moindre miette. Le spectacle, d’une beautĂ© enivrante, le transporte et ranime toute sa foi. Il se sent transpercĂ© de lĂ©gendes, envahi de gloire, portĂ© en avant par les chants des AncĂȘtres, pĂ©nĂ©trĂ© par les mille gĂ©nĂ©rations l’ayant prĂ©cĂ©dĂ©, ayant foulĂ© ces steppes, ayant grimpĂ© ces concrĂ©tions, s’étant faufilĂ©s entre les prĂ©dĂ©cesseurs de ces arbres
 Il est Welihann, il est les Anciens, il est le PassĂ© et l’Avenir de son peuple. Il convoie en son ĂȘtre la culture d’une tribu et voyage Ă  dos de rĂȘves sur les Ă©paules du monde. Il n’est plus qu’un avec la Nature et devient, loin, au fond de lui, le messager des MĂŒk’Atah. Le pourvoyeur de Vie, façonnĂ© d’Amour et disposĂ© Ă  embrasser la Mort. Il est Welihann, l’enfant au destin diffĂ©rent, l’enfant libre et sans chemin tracĂ©, capable d’ouvrir sous chacun de ses pas, les pages de chapitres interdits, inconnus, impossibles ou dĂ©sirĂ©s. Il est Welihann, l’enfant-homme, l’enfant-frĂšre, le frĂšre-homme que personne n’attend et que tout le monde espĂšre, le prophĂšte malvenu, le maudit habitĂ© par la fortune. Il est Welihann et il sait, Ă  prĂ©sent, combien son destin compte, combien l’éclipse importe. Il est Welihann et il sait que son nom promet et devine que son sort ne sera rien de moins qu’exceptionnel.
”
”
Alexandre Jarry (Sous les constellations silencieuses (Les Apothéoses))
“
En chemin, il se fit la rĂ©flexion que Graves Glen Ă©tait vraiment un bel endroit. Le soleil se couchait derriĂšre les montagnes qui entouraient la ville, parant le ciel de nuances pourpres. Les dĂ©corations lumineuses suspendues aux lampadaires scintillaient et toutes les vitrines offraient de charmants tableaux Ă  base de pyramides de citrouilles, de sorciĂšres en carton sur leurs balais et d’innombrables guirlandes lumineuses aux couleurs fĂ©eriques. « On se croirait dans une carte postale, constata Rhys. “Bons baisers de Halloween City !
”
”
Erin Sterling (The Ex Hex (The Ex Hex, #1))
“
ĐĐ”Ń‚ ŃĐŒŃ‹ŃĐ»Đ° ŃĐŸŃĐ°Ń‚ŃŒ ĐŒŃƒĐœĐŽŃˆŃ‚ŃƒĐș Ń‚Ń€ŃƒĐ±ĐșĐž Đž ĐČЮыхать ĐČ ŃĐ”Đ±Ń ĐŽŃ‹ĐŒ: ĐșĐŸĐłĐŽĐ° Đ”ĐłĐŸ ĐœĐ” ĐČĐžĐŽĐœĐŸ, ĐŸĐœ ŃĐ»ĐŸĐČĐœĐŸ Đž ĐœĐ” ŃŃƒŃ‰Đ”ŃŃ‚ĐČŃƒĐ”Ń‚.
”
”
Charles-Ferdinand Ramuz (La grande peur dans la montagne / C.F. Ramuz. 1926 [Leather Bound])