“
Parfois, tu rêves que le sommeil est une morte lente qui te gagne, une anestésie douce et terrible à la fois, une nécrose heureuse : le froid monte le long de tes jambes, le long de tes bras, monte lentement, t'engourdit, t'annihile.
Ton orteil est une montagne lointaine, ta jambe un fleuve, ta joue est ton oreiller, tu loges tout entier dans ton pouce, tu fonds, tu coules comme du sable, comme du mercure.
”
”
Georges Perec (Un homme qui dort)
“
Le tumultueux torrent qui descend des montagnes va se perdre dans les ravins, mais la plus modeste goutte de rosée est aspirée par le soleil qui l'élève jusqu'aux étoiles.
”
”
Saadi (بوستان سعدی)
“
Les montagnes jouent à front renversé. Les reflets sont plus beaux que la réalité. L'eau féconde l'image de sa profondeur, de son mystère. La vibration à la surface situe la vision aux lisières du rêve.
”
”
Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie)
“
Je voudrais être un huard, amoureux et paternel, nageant à la surface tranquille d’un lac profondément sauvage, à la tombée de la nuit, entre deux montagnes dont les crans arrondis viennent plonger dans l’eau noire.
”
”
Serge Bouchard (Les Yeux tristes de mon camion (French Edition))
“
Le savoir des écoles se borne à enseigner le "comment". C'est un savoir éparpillé, sans unité et sans direction. Ce n'est pas un chemin qui conduit vers le sommet de la montagne d'où l'on pourra voir l'horizon et comprendre dans tous ses détails l'ordonnance du paysage, c'est une plaine de sable dont on propose à l'homme d'étudier chaque grain. Ce savoir ne peut donner naissance qu'à une société de technique, sans sagesse et sans raison, aussi absurde et dangereuse dans son comportement qu'un camion-citerne lancé sans conducteur sur une autoroute en pente.
”
”
René Barjavel
“
L'histoire des théologies nous montre que les chefs religieux ont toujours affirmé qu'au moyen de rituels, que par des répétitions de prières ou de mantras, que par l'imitation de certains comportements, par le refoulement des désirs, par des disciplines mentales et la sublimation des passions, que par un frein, imposé aux appétits, sexuels et autres, on parvient après s'être suffisamment torturé l'esprit et le corps, à trouver un quelque-chose qui transcende cette petite vie.
Voilà ce que des millions de personnes soi-disant religieuses ont fait au cours des âges ; soit en s'isolant, en s'en allant dans un désert, sur une montagne ou dans une caverne ; soit en errant de village en village avec un bol de mendiant ; ou bien en se réunissant en groupes, dans des monastères, en vue de contraindre leur esprit à se conformer à des modèles établis.
”
”
J. Krishnamurti (Freedom from the Known)
“
- Offre ton identité au Conseil, jeune apprentie.
La voix était douce, l’ordre sans appel.
- Je m’appelle Ellana Caldin.
- Ton âge.
Ellana hésita une fraction de seconde. Elle ignorait son âge exact, se demandait si elle n’avait pas intérêt à se vieillir. Les apprentis qu’elle avait discernés dans l’assemblée étaient tous plus âgés qu’elle, le Conseil ne risquait-il pas de la considérer comme une enfant ? Les yeux noirs d’Ehrlime fixés sur elle la dissuadèrent de chercher à la tromper.
- J’ai quinze ans.
Des murmures étonnés s’élevèrent dans son dos.
Imperturbable, Ehrlime poursuivit son interrogatoire.
- Offre-nous le nom de ton maître.
- Jilano Alhuïn.
Les murmures, qui s’étaient tus, reprirent. Plus marqués, Ehrlime leva une main pour exiger un silence qu’elle obtint immédiatement.
- Jeune Ellana, je vais te poser une série de questions. A ces questions, tu devras répondre dans l’instant, sans réfléchir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours d’eau, la source est ton âme. C’est en remontant tes mots jusqu’à ton âme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prête ?
- Oui.
Une esquisse de sourire traversa le visage ridé d’Ehrlime.
- Qu’y a-t-il au sommet de la montagne ?
- Le ciel.
- Que dit le loup quand il hurle ?
- Joie, force et solitude.
- À qui s’adresse-t-il ?
- À la lune.
- Où va la rivière ?
L’anxiété d’Ellana s’était dissipée. Les questions d’Ehrlime étaient trop imprévues, se succédaient trop rapidement pour qu’elle ait d’autre solution qu’y répondre ainsi qu’on le lui avait demandé. Impossible de tricher. Cette évidence se transforma en une onde paisible dans laquelle elle s’immergea, laissant Ehrlime remonter le cours de ses mots jusqu’à son âme, puisque c’était ce qu’elle désirait.
- Remplir la mer.
- À qui la nuit fait-elle peur ?
- À ceux qui attendent le jour pour voir.
- Combien d’hommes as-tu déjà tués ?
- Deux.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Je suis moi.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Vent.
- Méritaient-ils la mort ?
- Je l’ignore.
- Es-tu ombre ou lumière ?
- Je suis moi.
- Es-tu ombre ou lumière ?
- Les deux.
- Où se trouve la voie du marchombre ?
- En moi.
Ellana s’exprimait avec aisance, chaque réponse jaillissant d’elle naturellement, comme une expiration après une inspiration. Fluidité. Le sourire sur le visage d’Ehrlime était revenu, plus marqué, et une pointe de jubilation perçait dans sa voix ferme.
- Que devient une larme qui se brise ?
- Une poussière d’étoiles.
- Que fais-tu devant une rivière que tu ne peux pas traverser ?
- Je la traverse.
- Que devient une étoile qui meurt ?
- Un rêve qui vit.
- Offre-moi un mot.
- Silence.
- Un autre.
- Harmonie.
- Un dernier.
- Fluidité.
- L’ours et l’homme se disputent un territoire. Qui a raison ?
- Le chat qui les observe.
- Marie tes trois mots.
- Marchombre.
”
”
Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
“
Le seule souvenir qui me reste depuis des siècles que je vis dans la pierre, est le doux contact des larmes sur un visage d'homme.
”
”
Michel Bernanos (La Montagne morte de la vie)
“
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
”
”
Guillaume Apollinaire (Alcools)
“
Les hommes méconnaissent bien des choses. Une jeune fille préférera toujours un homme malheureux, parce que toute jeune fille est tentée par un amour actif… Tu comprends ? Actif ! Les hommes sont trop occupés, l’amour pour eux est une chose de troisième plan. Bavarder avec sa femme, se promener avec elle au jardin, verser quelques larmes sur sa tombe – c’est tout. Et pour nous, l’amour est la vie même. Je t’aime, cela signifie que je cherche à dissiper ta tristesse, que je veux te suivre au bout du monde… Tu escalades une montagne, je l’escalade avec toi, tu descends dans un ravin, je descends avec toi.
”
”
Anton Chekhov (Ivanov (Plays for Performance Series))
“
Il revoyait en souvenir la jolie cité claire, dégringolant, comme une cascade de maisons plates, du haut de sa montagne dans la mer, mais il ne trouvait plus un mot pour exprimer ce qu’il avait vu, ce qu’il avait senti.
”
”
Guy de Maupassant (Bel-Ami)
“
Pendant que madame de Rênal était en proie à ce qu'a de plus cruel la passion terrible dans laquelle le hasard l'avait engagée, Julien poursuivait son chemin gaîment au milieu des plus beaux aspects que puissent présenter les scènes de montagnes.
”
”
Stendhal (Le Rouge et le Noir)
“
En effet, c'est une impression générale qu'éprouvent tous les hommes, quoiqu'ils ne l'observent pas tous, que sur les hautes montagnes, où l'air est pur et subtil, on se sent plus de facilité dans la respiration, plus de légèreté dans le corps, plus de sérénité dans l'esprit; les plaisirs y sont moins ardents, les passions plus modérées. (...) Il semble qu'en s'élevant au-dessus du séjour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres, et qu'à mesure qu'on approche des régions éthérées, l'âme contracte quelque chose de leur inaltérable pureté. On y est grave sans mélancolie, paisible sans indolence, content d'être et de penser : tous les désirs trop vifs s'émoussent, ils perdent cette pointe aiguë qui les rend douloureux ; ils ne laissent au fond du cœur qu'une émotion légère et douce...
”
”
Jean-Jacques Rousseau (Julie ou la Nouvelle Héloïse (French Edition))
“
Un jour le Meschacebé, encore assez près de sa source, se lassa de n'être qu'un limpide ruisseau. Il demande des neiges aux montagnes, des eaux aux torrents, des pluies aux tempêtes, il franchit ses rives, et désole ses bords charmants. L'orgueilleux ruisseau s'applaudit d'abord de sa puissance; mais voyant que tout devenait désert sur son passage; qu'il coulait, abandonné dans la solitude; que ses eaux étaient toujours troublées, il regretta l'humble lit que lui avait creusé la nature, les oiseaux, les fleurs, les arbres et les ruisseaux, jadis modestes compagnons de son paisible cours.
”
”
François-René de Chateaubriand
“
Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sévères. Le paysage se révèle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui rend jouissance des choses.
Il fait -33°. Le camion s'est fondu à la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Être seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grésil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'écarte les bras, tends mon visage au vide glacé et rentre au chaud.
J'ai atteint le débarcadère de ma vie.
Je vais enfin savoir si j'ai une vie intérieure.
”
”
Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie)
“
Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flèche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes...
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Ça et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout, les éboulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'écoulement d'une rivière souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un présage, une suite définie d'événements, je crois reconnaître une fatalité, mais trop de routes ne mènent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversité, dans ce désordre, la présence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracée par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflétée sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mémoire des hommes, ou même dans la mienne propre ; puisque c'est peut-être l'impossibilité de continuer à s'exprimer et à se modifier par l'action que constitue la différence entre l'état de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indéfinissable. Et la preuve, c'est que j'éprouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte à moi-même. Certains travaux qui durèrent peu sont assurément négligeables, mais des occupations qui s'étendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble à peine essentiel, au moment où j'écris ceci, d'avoir été empereur..." (p.214)
”
”
Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
“
Mais quelle étrange leçon de géographie je reçus là! Guillaumet ne m'enseignait pas l'Espagne; il me faisait de l'Espagne une amie. Il ne me parlait ni d'hydrographie, nie de populations, ni de cheptel. Il ne me parlait pas de Guadix, mais des trois orangers qui, près de Guadix, bordent un champ : " Méfie-toi d'eux, marque-les sur ta carte... " Et les trois orangers y tenaient désormais plus de place que la Sierra Nevada. Il ne me parlait pas de Lorca, mais d'une simple ferme près de Lorca. D'une ferme vivante. Et de son fermier. Et de sa fermière. Et ce couple prenait, perdu dans l'espace, à quinze cents kilomètres de nous, une importance démesurée. Bien installés sur le versant de leur montagne, pareils à des gardiens de phare, ils étaient prêts, sous leur étoiles, à porter secours à des hommes.
(Terre des Hommes, ch. I)
”
”
Antoine de Saint-Exupéry
“
Je suis un de ces êtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'à ce jour, aucun homme ne s'est trouvé dans une position semblable à la mienne. Les royaumes des rois sont limités, soit par des montagnes, soit par des rivières, soit par un changement de mœurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, à moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni Italien, ni Français, ni Indou, ni Américain, ni Espagnol: je suis cosmopolite.
”
”
Alexandre Dumas (The Son of Monte-Cristo; Volume I)
“
Il eut soudain envie d'abandonner ses projets, de sortir dans la nuit et de partir. Il allait traverser les montagnes enneigées, sans s'arrêter, et parcourir les cents lieus qui le séparaient de l'Auvergne, et là-bas se réfugier dans sa vieille caverne et s'y endormir pour ne jamais se réveiller. Mais il n'en fit rien. Il resta assis et ne céda pas, parce que c'était chez lui une envie ancienne, de partir et de se réfugier dans sa caverne. Il connaissait cela. Ce qu'en revanche il ne connaissait pas encore, c'était de posséder un parfum humain, aussi magnifique que le parfum de la jeune fille derrière le mur. Et quoiqu'il sût devoir payer cruellement la possession de ce parfum de sa perte ultérieure, cette possession et cette perte lui parurent plus désirables que de renoncer abruptement à l'une comme à l'autre. Car il avait passé sa vie à renoncer. Tandis que jamais encore il n'avait possédé et perdu.
”
”
Patrick Süskind (Perfume: The Story of a Murderer)
“
On doit tous être pareils. Nous ne naissons pas libres et égaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend égaux. Chaque homme doit être l'image de l'autre, comme ça, tout le monde est content; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion ! Un livre est un fusil chargé dans la maison d'à côté. Brûlons-le. Déchargeons l'arme. Battons en brèche l'esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l'homme cultivé ?
”
”
Ray Bradbury (Fahrenheit 451)
“
Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe à ma vie, c’est comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus qu’elle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je né dans une époque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes d’un grand jeu de hasard ?
Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimé ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos rivières, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimé être tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretués. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dévoré d’autres, les ont éventrés, violés, souillés. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphé de ce qui est sale.
Pourquoi ai-je dû, comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes épaules et qui ne me concernait pas? Qui a donc décidé de venir fouiller mon obscure existence, de déterrer ma maigre tranquillité, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, s’Il existe, s’Il existe vraiment, qu’Il se cache. Qu’Il pose Ses deux mains sur Sa tête, et qu’Il la courbe. Peut-être, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d’hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd’hui je sais aussi qu’Il n'est pas digne de la plupart d’entre nous, et que si la créature a pu engendrer l’horreur c’est uniquement parce que son Créateur lui en a soufflé la recette.
”
”
Philippe Claudel (Brodeck)
“
Accroche-toi à tes rêves et fonce. Ne lâche pas. Remonte mille fois la montagne s'il le faut, puisque tu es si sûre que c'est de l'autre côté que tu dois aller. Peut-être que ce sera de l'autre côté de l'autre côté, derrière la montagne qui se trouve derrière la montagne. Qu'importe. Ne lâche pas, c'est là-bas que poussent tes rêves, sur le fil de l'horizon. Tu as peur ? Alors crie, hurle, chante à tue-tête. Va chercher cette gorgée d'air qui te manque. Ce feu qui te dévore, qui court dans tes veines, tu le sens ? Cette énergie qui couve en toi, cette impatience dans chacun de tes gestes ? Bien sûr que tu le sens. Accepte ce feu. Fais-en ton moteur.
”
”
Manon Fargetton (À quoi rêvent les étoiles)
“
En cette perpétuelle bataille que l'on appelle vivre, on cherche à établir
un code de comportement adapté à la société, communiste ou prétendument
libre, dans laquelle on a été élevé.
Nous obéissons à certaines règles de conduite, en tant qu'elles sont
parties intégrantes de notre tradition, hindoue, islamique, chrétienne ou
autre. Nous avons recours à autrui pour distinguer la bonne et la mauvaise
façon d'agir, la bonne et la mauvaise façon de penser. En nous y
conformant, notre action et notre pensée deviennent mécaniques, nos réactions
deviennent automatiques. Nous pouvons facilement le constater
en nous-mêmes.
Depuis des siècles, nous nous faisons alimenter par nos maîtres, par
nos autorités, par nos livres, par nos saints, leur demandant de nous révéler
tout ce qui existe au-delà des collines, au-delà des montagnes, audelà
de la Terre. Si leurs récits nous satisfont, c'est que nous vivons de
mots et que notre vie est creuse et vide : une vie, pour ainsi dire de « seconde
main ». Nous avons vécu de ce que l'on nous a dit, soit à cause de
nos tendances, de nos inclinations, soit parce que les circonstances et le
milieu nous y ont contraints. Ainsi, nous sommes la résultante de toutes
sortes d'influences et il n'y a rien de neuf en nous, rien que nous ayons
découvert par nous-mêmes, rien d'originel, de non corrompu, de clair.
”
”
J. Krishnamurti
“
Depuis, plus personne ne parle du 27eme battalion. Pourtant, refusant de rejoindre le ciel, les fantômes, les demons nés de cette défaite continuent à errer parmi les buissons, à l'orée de la jungle, sur les rives du ruisseau. On a donné à ce coin de jungle perdu dans les brumes empoisonnées le nom effrayant de "terre des Ames hurlantes". De temps en temps, à l'occasion des cérémonies de l'enfer les morts se rassemblent sur cette langue de terre comme pour la revue des troupes. On peut entendre leurs voix dans le murmure du ruisseau, les plaintes étouffées, lancinantes de la jungle la nuit, les hurlements du vent à travers les gorges des montagnes. On peut les entendre, les comprendre.
”
”
Bảo Ninh (The Sorrow of War)
“
Je rêve d'un homme qui aime les vieux groupes de rock que plus personne n'écoute. Qui me laissera dormir avec mon tee-shirt troué que j'adore et mes collants en laine. Qui se réveillera à quatre heures du matin pour arroser l'olivier parce qu'il saura que j'oublie toujours de le faire. Qui autorisera les animaux à boire des cafés. Qui m'achètera des frites. Qui ne s'ennuiera jamais. Qui aura lu Miller, Salinger et Desnos. Et aussi Kateb, Mammeri et Mahfouz. Qui, à l'aube, prendra un train avec moi sans en connaitre la distination. Qui se fichera que les yaourts soient périmés depuis la veille. Qui saura se mettre en colère et rire en même temps. Qui chantera faux. Qui aimera la mer et la campagne et peut-être même la montagne, aussi.
”
”
Kaouther Adimi (Des pierres dans ma poche)
“
Voisine
Je peux rester des après-midi entiers à regarder cette fille, caché derrière mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut écrire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenêtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle écoute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frères et sœurs, si elle met la radio quand elle se lève le matin, si elle préfère l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de près. Je me demande si elle s'épile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goût. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pétrole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda ? Je me demande à quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapé, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pèse d'être seule ? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie ? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui ? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle ? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne à sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle ? Si ça se trouve, elle n'a aucun intérêt, cette fille.
”
”
David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
“
L'isolement
Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !
Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand là feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
”
”
Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesništva)
“
Qu'un homme vienne nous tenir ce langage : Mortels, je vous annonce la volonté du Très-Haut ; reconnaissez à ma voix celui qui m'envoie ; j'ordonne au soleil de changer sa course, aux étoiles de former un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'élever, à la terre de prendre un autre aspect. À ces merveilles, qui ne reconnaîtra pas à l'instant le maître de la nature ! Elle n'obéit point aux imposteurs ; leurs miracles se font dans des carrefours, dans des déserts, dans des chambres ; et c'est là qu'ils ont bon marché d'un petit nombre de spectateurs déjà disposés à tout croire. Qui est-ce qui m'osera dire combien il faut de témoins oculaires pour rendre un prodige digne de foi ? Si vos miracles, faits pour prouver votre doctrine, ont eux-mêmes besoin d'être prouvés, de quoi servent-ils ? autant valait n'en point faire.
”
”
Jean-Jacques Rousseau (Emile, or On Education)
“
Nous avons donc rejoint la communauté des nomades qui se déplacent sur les routes pendant le temps des Fêtes pour « aller en visite » dans la parenté. Comme tous ces nomades au long cours, afin de parcourir les 380 kilomètres qui séparent Huberdeau de Québec, il nous a fallu franchir des montagnes de misère, une tempête de neige de 45 centimètres, des autoroutes fermées, des bouchons périurbains, des carambolages, de la poudrerie latérale, une visibilité nulle sur chaussée enneigée, le vent glacial, la routine, quoi… Fatigués de la longue route où le temps hivernal avait si bien sévi, nous devions maintenant sortir les bagages et les cadeaux empilés dans la voiture comme le matériel hétéroclite accumulé dans les charriots des pionniers au temps de la piste de l’Oregon : voilà que nous installions nos pénates pour quelques jours dans une maison qui n’était pas la nôtre.
”
”
Serge Bouchard (Les Yeux tristes de mon camion (French Edition))
“
Le tunnel qui mène au centre-ville, il a vraiment un truc. Quand il fait nuit, c'est splendide. Tout simplement splendide. D'abord, t'es de l'autre côté de la montagne et il fait sombre, et la radio est à fond. Dès que tu entres dans le tunnel, le vent disparaît d'un coup et tu plisses les yeux à cause des lumières au-dessus de toi. Quand tu t'habitues à la lumière, tu peux voir le bout du tunnel au loin, et pendant ce temps, comme les ondes passent plus, le son de la radio faiblit. Alors tu te retrouves au milieu du tunnel au loin et tout devient très calme, comme un rêve. Tu vois le bout qui se rapproche et t'as qu'une envie, c'est d'y arriver. Et finalement, juste au moment où tu penses que tu l'atteindras jamais, tu vois la sortie devant toi. Et le vent t'attend. Et tu sors du tunnel à toute vitesse, pour te retrouver sur le pont. Et elle est là. La ville. Un million de lumières et d'immeubles, et tout à l'air aussi excitant que la première fois où tu l'as vue. C'est vraiment une belle entrée en scène.
”
”
Stephen Chbosky (The Perks of Being a Wallflower)
“
Qui vous le dit, qu’elle (la vie) ne vous attend pas ? Certes, elle continue, mais elle ne vous oblige pas à suivre le rythme. Vous pouvez bien vous mettre un peu entre parenthèses pour vivre ce deuil… accordez-vous le temps.
***
Parce que ҫa me fait plaisir. Parce que je sais aussi que l’entourage peut se montrer très discret dans pareille situation, et que de se changer les idées de temps en temps fait du bien. Parce que je sais que vous aimez la montagne et que vous n’iriez pas toute seule.
***
Oui. Si vous perdez une jambe, ҫa se voit, les gens sont conciliants. Et encore, pas tous. Mais quand c’est un morceau de votre cœur qui est arraché, ҫa ne se voit pas de l’extérieur, et c’est au moins aussi douloureux… Ce n’est pas de la faute des gens. Ils ne se fient qu’aux apparences. Il faut gratter pour voir ce qu’il y a au fond. Si vous jetez une grosse pierre dans une mare, elle va faire des remous à la surface. Des gros remous d'abord, qui vont gifler les rives, et puis des remous plus petits, qui vont finir par disparaître. Peu à peu, la surface redevient lisse et paisible. Mais la grosse pierre est quand même au fond. La grosse pierre est quand même au fond.
***
La vie s’apparente à la mer. Il y a les bruit des vagues, quand elles s’abattent sur la plage, et puis le silence d’après, quand elles se retirent. Deux mouvement qui se croissent et s’entrecoupent sans discontinuer. L’un est rapide, violent, l’autre est doux et lent. Vous aimeriez vous retirer, dans le même silence des vagues, partir discrètement, vous faire oublier de la vie. Mais d’autres vague arrivent et arriveront encore et toujours. Parce que c’est ҫa la vie… C’est le mouvement, c’est le rythme, le fracas parfois, durant la tempête, et le doux clapotis quand tout est calme. Mais le clapotis quand même Un bord de mer n'est jamais silencieux, jamais. La vie non plus, ni la vôtre, ni la mienne. Il y a les grains de sables exposés aux remous et ceux protégés en haut de la plage. Lesquels envier? Ce n'est pas avec le sable d'en haut, sec et lisse, que l'on construit les châteaux de sable, c'est avec celui qui fraye avec les vagues car ses particules sont coalescentes. Vous arriverez à reconstruire votre château, vous le construirez avec des grains qui vous ressemblent, qui ont aussi connu les déferlantes de la vie, parce qu'avec eux, le ciment est solide..
***
« Tu ne sais jamais à quel point tu es fort jusqu’au jour où être fort reste la seule option. » C’est Bob Marley qui a dit ҫa.
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Manon ne referme pas violemment la carte du restaurant. Elle n’éprouve pas le besoin qu’il lui lise le menu pour qu’elle ne voie pas le prix, et elle trouvera égal que chaque bouchée vaille cinq euros. Manon profite de la vie. Elle accepte l’invitation avec simplicité. Elle défend la place des femmes sans être une féministe acharnée et cela ne lui viendrait même pas à l’idée de payer sa part. D’abord, parce qu’elle sait que Paul s’en offusquerait, ensuite, parce qu’elle aime ces petites marques de galanterie, qu’elle regrette de voir disparaître avec l’évolution d’une société en pertes de repères.
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Agnès Ledig (Juste avant le bonheur)
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Niké, après quelques minutes d’escalade, abandonna la compétition pour admirer les fleurs sauvages qui diapraient la montagne comme une mosaïque.
…Si elle tressait une guirlande ?
Elle leva vers Nicias, qui continuait l’ascension, son visage lisse comme une olive, ou brillait un regard malicieux :
— Quand tu seras en haut, ne t’envole pas !
Le garçon s’arrêta :
— Tu ne joues plus ?
— Je préfère cueillir des fleurs pour Artémis.
— La statue de la déesse ?
— Oui.
Sur le mont Mangone, giroflées, asphodèles, mauves, géraniums, œillets, marjolaines, absinthes, croissaient à plaisir. L’air surchauffé entêtait comme une cassolette.
Niké, les bras surchargés, pensa :
« Ce n’est pas étonnant que les chiens perdent la trace du gibier quand ils sont en montagne… »
Elle hésita à cueillir les ombelles du sélinon en pensant que la plante sécrétait un suc qui était un poison pour les oiseaux. Or, Artémis trônait dans un bois où chardonnerets, pinsons et serins étaient nombreux. S’ils allaient picorer la guirlande ?
La fillette renonça au léger nuage des ombelles pour lui préférer une touffe de silènes d’un rose d’aurore. La guirlande devenait ravissante.
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L.N. Lavolle (L'Otage de Rome)
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Cette qualité de la joie n’est-elle pas le fruit le plus précieux de la civilisation qui est nôtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matériels. Mais nous ne sommes pas un bétail à l’engrais. La prospérité et le confort ne sauraient suffire à nous combler. Pour nous qui fûmes élevés dans le culte du respect de l’homme, pèsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fêtes merveilleuses…
Respect de l’homme ! Respect de l’homme !… Là est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-même ; il refuse les contradictions créatrices, ruine tout espoir d’ascension, et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitière. L’ordre pour l’ordre châtre l’homme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-même. La vie crée l’ordre, mais l’ordre ne crée pas la vie.
Il nous semble, à nous, bien au contraire, que notre ascension n’est pas achevée, que la vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier, et que les contradictions à surmonter sont le terreau même de notre croissance. Nous reconnaissons comme nôtres ceux mêmes qui diffèrent de nous. Mais quelle étrange parenté ! elle se fonde sur l’avenir, non sur le passé. Sur le but, non sur l’origine. Nous sommes l’un pour l’autre des pèlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le même rendez-vous.
Mais voici qu’aujourd’hui le respect de l’homme, condition de notre ascension, est en péril. Les craquements du monde moderne nous ont engagés dans les ténèbres. Les problèmes sont incohérents, les solutions contradictoires. La vérité d’hier est morte, celle de demain est encore à bâtir. Aucune synthèse valable n’est entrevue, et chacun d’entre nous ne détient qu’une parcelle de la vérité. Faute d’évidence qui les impose, les religions politiques font appel à la violence. Et voici qu’à nous diviser sur les méthodes, nous risquons de ne plus reconnaître que nous nous hâtons vers le même but.
Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une étoile, s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade, risque d’oublier quelle étoile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu. Ainsi, à m’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’être au service d’une évidence spirituelle. Nous avons goûté, aux heures de miracle, une certaine qualité des relations humaines : là est pour nous la vérité.
Quelle que soit l’urgence de l’action, il nous est interdit d’oublier, faute de quoi cette action demeurera stérile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de l’homme. Pourquoi nous haïrions-nous à l’intérieur d’un même camp ? Aucun d’entre nous ne détient le monopole de la pureté d’intention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route qu’un autre a choisie. Je puis critiquer les démarches de sa raison. Les démarches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de l’Esprit, s’il peine vers la même étoile.
Respect de l’Homme ! Respect de l’Homme !… Si le respect de l’homme est fondé dans le cœur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le système social, politique ou économique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde d’abord dans la substance. Elle est d’abord, dans l’homme, désir aveugle d’une certaine chaleur. L’homme ensuite, d’erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
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Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
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Un jour, avec des yeux vitreux, ma mère me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dérision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, à la figure pâle et longue. Même, je te permets de te mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'éprouve le besoin de l'infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'après ce qu'on m'a dit. Ça m'étonne... je croyais être davantage! Au reste, que m'importe d'où je viens? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j'aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue: je ne serais pas si méchant. Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intérieur des cheminées : il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l'Etre suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Il songea, une nouvelle fois, que, petit, un jour, il portait un lapin par les pattes de derrière. C'était en Sicile, les pattes étaient attachées avec de la ficelle, il marchait à côté de son père, son père trimbalait un panier de pommes de terre, et il sentait que le sang s'accumulait dans la petite tête du lapin, le lapin était juste dans la posture de Saint-Pierre le jour de sa mort, les yeux du lapin muet avait un vertige infini de souffrance et de terreur, il aurait suffi de mettre l'animal dans l'autre sens, la tête en haut, alors, au moins, avant la mort inévitable, il aurait cessé de souffrir, mais il n'osa pas. Par conséquent, lui, petit, déjà était pris dans l'omertà du monde, dans cette complicité générale qui nous fait, en gros, accepter des mers et des montagnes de souffrance et de terreur, les reconnaitre pour légitimes, nécessaires, bonnes, justes.
Si l'on se mettait, par exemple, à souffrir pour un lapin, il faudrait, tout de suite, souffrir aussi pour les chevaux, les mouches, les rats, les vieillards. C'est pourquoi il avait continué à tenir l'animal à l'envers, par ses pattes ficelées, tout en sentant que le regret s'accumulait en lui, s'accumulait jusqu'à former un dépôt pesant dans la tête de l'animal, enflammant ses yeux de sang et de terreur, mais l'omertà, déjà, était la plus forte, la complicité taciturne des hommes entre eux, des êtres entre eux. Demandez à qui vous voudrez. Un lapin, pour un trajet donné, se porte la tête en bas, ficelé par les pattes de derrière, c'est la loi. Un bambin, sur un chemin, dans la grande île, dans la Sicile, il ne va pas, de lui-même, accomplir la révolution, tourner l'animal dans l'autre sens, dans le sens du pardon, du bien-être, au risque de troubler le pas de son père, son père portait les pommes de terre.
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Jacques Audiberti (Le Maître De Milan)
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Les brumes s’épaississent sur les cimes du Šar. Les versants se dressent face à Emina, implacables dans le jour déclinant. Les paroles de Feti ricochent en elle, par-dessus la musique qu’il met plus fort dans la voiture. Elles traversent le scherzo du violon dont les volutes tournoient entre eux, alors qu’ils arrivent à Tetovo. Elles dissipent le sourd espoir qui l’a menée ici, au-delà du désir de renouer avec le frère d’Yllka. Elle mesure l’ampleur de son rêve, de ce qu’elle n’a dit à personne là-bas en Allemagne. Ils auraient passé leur bras autour de ses épaules. Ils l’auraient entourée d’une affection mêlée de pitié…
Oui, dans l’outremer des montagnes, elle croit apercevoir la trace d’Yllka. Les empreintes fines d’un oiseau sur un sentier couvert de sable. Elles conduiraient à une maison de montagne qui sentirait le bois et le foin à la fin de l’été. Parce qu’Yllka se serait réfugiée quelque part ici. Elle y attendrait Emina, sa fille, Alija, son fils, depuis toutes ces années. Elle-même mue par la conviction que ses enfants finiront par la rejoindre. Car comment pourrait-elle savoir où ils vivent aujourd’hui, si même ils vivent encore ? Comment ? Et c’est la raison de son silence. Il ne peut en être autrement. Preuve de vie ou de mort, Emina ne s’en ira pas d’ici sans l’avoir obtenue.
« Je peux juste te parler d’elle. Celle qu’elle fut ici. Ma sœur, ta mère… » Des mots qui lacèrent le ciel très loin au-dessus d’elle. Feti gare sa voiture le long de la rue bordée d’immeubles. S’il se trompait… Si Yllka n’avait pas pu le retrouver lui non plus ?
Les feuillages des arbres flamboient sur les trottoirs. Des traînées couleur de fer assombrissent les nuages au-dessus des immeubles. Ils se creusent d’un vaste cratère noirâtre. Des choucas évoluent par centaines sur la ville, alors que le soleil descend à l’horizon. Ils s’insinuent dans les invisibles couloirs ouverts par de secrètes turbulences. Leur vacarme secoue les airs, assourdit Emina. Elle est sur le point de flancher, rattrapée par le lieu et les cris des oiseaux.
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Cécile Oumhani (Le café d'Yllka)
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IV
-Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois. Il faut leur donner tout, les cerises des bois, Les pommes du verger, les gâteaux de la table; S'ils entendent la voix des vaches dans l'étable Du lait ! vite ! et leurs cris sont comme une forêt De Bondy quand un sac de bonbons apparaît. Les voilà maintenant qui réclament la lune ! Pourquoi pas ? Le néant des géants m'importune; Moi j'admire, ébloui, la grandeur des petits. Ah ! l'âme des enfants a de forts appétits, Certes, et je suis pensif devant cette gourmande Qui voit un univers dans l'ombre, et le demande. La lune ! Pourquoi pas ? vous dis-je. Eh bien, après ? Pardieu ! si je l'avais, je la leur donnerais. C'est vrai, sans trop savoir ce qu'ils en pourraient faire, Oui, je leur donnerais, lune, ta sombre sphère, Ton ciel, d'où Swedenborg n'est jamais revenu, Ton énigme, ton puits sans fond, ton inconnu ! Oui, je leur donnerais, en disant: Soyez sages ! Ton masque obscur qui fait le guet dans les nuages, Tes cratères tordus par de noirs aquilons, Tes solitudes d'ombre et d'oubli, tes vallons, Peut-être heureux, peut-être affreux, édens ou bagnes, Lune, et la vision de tes pâles montagnes. Oui, je crois qu'après tout, des enfants à genoux Sauraient mieux se servir de la lune que nous; Ils y mettraient leurs voeux, leur espoir, leur prière; Ils laisseraient mener par cette aventurière Leurs petits coeurs pensifs vers le grand Dieu profond. La nuit, quand l'enfant dort, quand ses rêves s'en vont, Certes, ils vont plus loin et plus haut que les nôtres. Je crois aux enfants comme on croyait aux apôtres; Et quand je vois ces chers petits êtres sans fiel Et sans peur, désirer quelque chose du ciel, Je le leur donnerais, si je l'avais. La sphère Que l'enfant veut, doit être à lui, s'il la préfère. D'ailleurs, n'avez-vous rien au delà de vos droits ? Oh ! je voudrais bien voir, par exemple, les rois S'étonner que des nains puissent avoir un monde ! Oui, je vous donnerais, anges à tête blonde, Si je pouvais, à vous qui régnez par l'amour, Ces univers baignés d'un mystérieux jour, Conduits par des esprits que l'ombre a pour ministres, Et l'énorme rondeur des planètes sinistres. Pourquoi pas ? Je me fie à vous, car je vous vois, Et jamais vous n'avez fait de mal. Oui, parfois, En songeant à quel point c'est grand, l'âme innocente, Quand ma pensée au fond de l'infini s'absente, Je me dis, dans l'extase et dans l'effroi sacré, Que peut-être, là-haut, il est, dans l'Ignoré, Un dieu supérieur aux dieux que nous rêvâmes, Capable de donner des astres à des âmes.
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Victor Hugo (L'Art d'être grand-père)
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Au reste, l’artifice paraissait à des Esseintes la marque distinctive du génie de l’homme.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a définitivement lassé, par la dégoûtante uniformité de ses paysages et de ses ciels, l’attentive patience des raffinés. Au fond, quelle platitude de spécialiste confinée dans sa partie, quelle petitesse de boutiquière tenant tel article à l’exclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et d’arbres, quelle banale agence de montagnes et de mers !
Il n’est, d’ailleurs, aucune de ses inventions réputée si subtile ou si grandiose que le génie humain ne puisse créer ; aucune forêt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des décors inondés de jets électriques ne produisent ; aucune cascade que l’hydraulique n’imite à s’y méprendre ; aucun roc que le carton-pâte ne s’assimile ; aucune fleur que de spécieux taffetas et de délicats papiers peints n’égalent !
À n’en pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usé la débonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu où il s’agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par l’artifice.
Et puis, à bien discerner celle de ses œuvres considérée comme la plus exquise, celle de ses créations dont la beauté est, de l’avis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que l’homme n’a pas, de son côté, fabriqué, à lui tout seul, un être animé et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beauté plastique ? est-ce qu’il existe, ici-bas, un être conçu dans les joies d’une fornication et sorti des douleurs d’une matrice dont le modèle, dont le type soit plus éblouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptées sur la ligne du chemin de fer du Nord ?
L’une, la Crampton, une adorable blonde, à la voix aiguë, à la grande taille frêle, emprisonnée dans un étincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorée, dont l’extraordinaire grâce épouvante lorsque, raidissant ses muscles d’acier, activant la sueur de ses flancs tièdes, elle met en branle l’immense rosace de sa fine roue et s’élance toute vivante, en tête des rapides et des marées !
L’autre, l’Engerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, étranglés dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bête, à la crinière échevelée de fumée noire, aux six roues basses et accouplées ; quelle écrasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises !
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Joris-Karl Huysmans
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Au reste, l’artifice paraissait à des Esseintes la marque distinctive du génie de l’homme.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a définitivement lassé, par la dégoûtante uniformité de ses paysages et de ses ciels, l’attentive patience des raffinés. Au fond, quelle platitude de spécialiste confinée dans sa partie, quelle petitesse de boutiquière tenant tel article à l’exclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et d’arbres, quelle banale agence de montagnes et de mers !
Il n’est, d’ailleurs, aucune de ses inventions réputée si subtile ou si grandiose que le génie humain ne puisse créer ; aucune forêt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des décors inondés de jets électriques ne produisent ; aucune cascade que l’hydraulique n’imite à s’y méprendre ; aucun roc que le carton-pâte ne s’assimile ; aucune fleur que de spécieux taffetas et de délicats papiers peints n’égalent !
À n’en pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usé la débonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu où il s’agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par l’artifice.
Et puis, à bien discerner celle de ses œuvres considérée comme la plus exquise, celle de ses créations dont la beauté est, de l’avis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que l’homme n’a pas, de son côté, fabriqué, à lui tout seul, un être animé et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beauté plastique ? est-ce qu’il existe, ici-bas, un être conçu dans les joies d’une fornication et sorti des douleurs d’une matrice dont le modèle, dont le type soit plus éblouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptées sur la ligne du chemin de fer du Nord ?
L’une, la Crampton, une adorable blonde, à la voix aiguë, à la grande taille frêle, emprisonnée dans un étincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorée, dont l’extraordinaire grâce épouvante lorsque, raidissant ses muscles d’acier, activant la sueur de ses flancs tièdes, elle met en branle l’immense rosace de sa fine roue et s’élance toute vivante, en tête des rapides et des marées !
L’autre, l’Engerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, étranglés dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bête, à la crinière échevelée de fumée noire, aux six roues basses et accouplées ; quelle écrasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises !
Il n’est certainement pas, parmi les frêles beautés blondes et les majestueuses beautés brunes, de pareils types de sveltesse délicate et de terrifiante force ; à coup sûr, on peut le dire : l’homme a fait, dans son genre, aussi bien que le Dieu auquel il croit.
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Joris-Karl Huysmans
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J’ai fait ma visite au lieu natal avec toute la piété d’un pèlerin, et bien des sentiments inattendus m’ont saisi. Je fis arrêter près du grand tilleul qui se trouve à un quart de lieue de la ville du côté de S… ; je quittai la voiture, et je l’envoyai en avant, afin de cheminer à pied et de savourer à mon gré chaque souvenir, dans toute sa vie et sa nouveauté. Je m’arrêtai sous le tilleul, qui avait été, dans mon enfance, le but et le terme de mes promenades. Quelle différence ! Alors, dans une heureuse ignorance, je m’élançais avec ardeur vers ce monde inconnu, où j’espérais pour mon cœur tant de nourriture, tant de jouissances, qui devaient combler et satisfaire l’ardeur de mes désirs. Maintenant, j’en reviens de ce vaste monde…. O mon ami, avec combien d’espérances déçues, avec combien de plans renversés !… Les voilà devant moi les montagnes qui mille fois avaient été l’objet de mes vœux. Je pouvais rester des heures assis à cette place, aspirant à franchir ces hauteurs, égarant ma pensée au sein des bois et des vallons, qui s’offraient à mes yeux dans un gracieux crépuscule, et, lorsqu’au moment fixé il me fallait revenir, avec quel regret ne quittais-je pas cette place chérie !… J’approchai de la ville : je saluai tous les anciens pavillons de jardin ; les nouveaux me déplurent, comme tous les changements qu’on avait faits. Je franchis la porte de la ville, et d’abord je me retrouvai tout à fait. Mon ami, je ne veux pas m’arrêter au détail : autant il eut de charme pour moi, autant il serait monotone dans le récit. J’avais résolu de me loger sur la place, tout à côté de notre ancienne maison. Je remarquai, sur mon passage, que la chambre d’école, où une bonne vieille femme avait parqué notre enfance, s’était transformée en une boutique de détail. Je me rappelai l’inquiétude, les chagrins, l’étourdissement, l’angoisse que j’avais endurés dans ce trou…. Je ne pouvais faire un pas qui ne m’offrît quelque chose de remarquable. Un pèlerin ne trouve pas en terre sainte autant de places consacrées par de religieux souvenirs, et je doute que son ame soit aussi remplie de saintes émotions…. Encore un exemple sur mille : je descendis le long de la rivière, jusqu’à une certaine métairie. C’était aussi mon chemin autrefois, et la petite place où les enfants s’exerçaient à qui ferait le plus souvent rebondir les pierres plates à la surface de l’eau. Je me rappelai vivement comme je m’arrêtais quelquefois à suivre des yeux le cours de la rivière ; avec quelles merveilleuses conjectures je l’accompagnais ; quelles étranges peintures je me faisais des contrées où elle allait courir ; comme je trouvais bientôt les bornes de mon imagination, et pourtant me sentais entraîné plus loin, toujours plus loin, et finissais par me perdre dans la contemplation d’un vague lointain…. Mon ami, aussi bornés, aussi heureux, étaient les vénérables pères du genre humain ; aussi enfantines, leurs impressions, leur poésie. Quand Ulysse parle de la mer immense et de la terre infinie, cela est vrai, humain, intime, saisissant et mystérieux. Que me sert maintenant de pouvoir répéter, avec tous les écoliers, qu’elle est ronde ? Il n’en faut à l’homme que quelques mottes pour vivre heureux dessus, et moins encore pour dormir dessous…
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Je le répète, il est des matins où l’on oublie les larmes, les visages affligés qui vous ont entourés comme des esprits dans votre solitude, les cris du désespoir qui ont frétillé en vous à la manière d’un serpent dans un bocal, les voix méchantes qui n’ont cessé de parler dans votre âme pareille au vent qui hurle derrière les montagnes, l’amas de cendres dans votre cœur qui s’accroît d’année en année.
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Gyula Krúdy (N.N.)
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En chemin, il se fit la réflexion que Graves Glen était vraiment un bel endroit. Le soleil se couchait derrière les montagnes qui entouraient la ville, parant le ciel de nuances pourpres. Les décorations lumineuses suspendues aux lampadaires scintillaient et toutes les vitrines offraient de charmants tableaux à base de pyramides de citrouilles, de sorcières en carton sur leurs balais et d’innombrables guirlandes lumineuses aux couleurs féeriques. « On se croirait dans une carte postale, constata Rhys. “Bons baisers de Halloween City !
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Erin Sterling (The Ex Hex (The Ex Hex, #1))
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En haut, au cœur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. Lovée au sein d’une crevasse humide, elle regardait la mer.
Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser...
Au fond d’une gorge noyée d’obscurité et d’embruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se précipitait vers la mer…
Tout en écume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colère, se jetait dans les flots.
Soudain du ciel, dans la crevasse où la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine déchirée, les plumes ensanglantées...
Dans un cri bref, il s’était écrasé, et, plein de colère impuissante, frappait de sa poitrine l’âpreté de la pierre...
D'abord, la Couleuvre effrayée recula, mais bientôt elle comprit que l’oiseau blessé n’avait plus longtemps à vivre…
Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla :
- Quoi, voilà donc que tu meurs ?
- Oui, je meurs ! lui répondit l’oiseau dans un profond soupir. Je meurs mais j’ai vécu dans la gloire !... J'ai connu la félicité !… J’ai combattu vaillamment !… J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras t’en approcher !... Pauvre créature !
- Le ciel !?… Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide où je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide !
Ainsi répondit la Couleuvre à l'oiseau épris de liberté, gloussant au fond d’elle-même de devoir écouter de pareilles sornettes.
Ainsi pensait l’ophidien : "Qu’on vole ou bien qu’on rampe, chacun connaît ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussière..."
Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tête et porta son regard alentour.
Au fond de cette gorge, dans cette obscurité, l'eau suintait entre les pierres grises, l’air était suffocant et puait la charogne.
Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa échapper un cri de douleur et de chagrin :
- Oh, que ne puis-je une dernière fois m’envoler et rejoindre le ciel ! Là, j’étreindrais mon ennemi… contre ma poitrine et... il s’étoufferait de mon sang ! Ô, Ivresse de la bataille !...
L’entendant ainsi gémir la Couleuvre se dit : "Comme il doit être bon de vivre dans le ciel !"
Elle proposa à l’oiseau épris de liberté : "Va, approche-toi du gouffre et précipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donné de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien."
Le Faucon frémit et fièrement dans un cri s'approcha de l’abîme, s’agrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante.
Arrivé au bord du précipice, il déploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignèrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide.
Il tomba plus vite qu’une pierre et se brisa les ailes, dévalant et roulant sur les roches, y laissant ses plumes…
Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et l’inondant d’écume l’emporta vers la mer.
Dans un rugissement de douleur, les vagues amères battaient contre les pierres... Le corps de l’oiseau à tout jamais disparut dans le vaste océan… »
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Maxime Gorki (Le bourg d'Okourov)
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En haut, au cœur de la montagne, la Couleuvre rampa et se blottit. Lovée au sein d’une crevasse humide, elle regardait la mer.
Le soleil brillait haut dans le ciel. Dans le ciel les sommets exhalaient leur chaleur. A leurs pieds les vagues venaient se briser...
Au fond d’une gorge noyée d’obscurité et d’embruns, dans un tonnerre de pierres, un torrent se précipitait vers la mer…
Tout en écume blanche, puissant et grisonnant, il fendait la roche et, hurlant de colère, se jetait dans les flots.
Soudain du ciel, dans la crevasse où la Couleuvre se blottissait, tomba le Faucon, la poitrine déchirée, les plumes ensanglantées...
Dans un cri bref, il s’était écrasé, et, plein de colère impuissante, frappait de sa poitrine l’âpreté de la pierre...
D'abord, la Couleuvre effrayée recula, mais bientôt elle comprit que l’oiseau blessé n’avait plus longtemps à vivre…
Elle rampa et, fixant le Faucon droit dans les yeux, lui siffla :
- Quoi, voilà donc que tu meurs ?
- Oui, je meurs ! lui répondit l’oiseau dans un profond soupir. Je meurs mais j’ai vécu dans la gloire !... J'ai connu la félicité !… J’ai combattu vaillamment !… J'ai vu le ciel comme jamais tu ne sauras t’en approcher !... Pauvre créature !
- Le ciel !?… Qu'est-ce le ciel pour moi ? Un espace vide où je ne puis ramper. Ici je me sens bien : il y fait si douillettement chaud et humide !
Ainsi répondit la Couleuvre à l'oiseau épris de liberté, gloussant au fond d’elle-même de devoir écouter de pareilles sornettes.
Ainsi pensait l’ophidien : "Qu’on vole ou bien qu’on rampe, chacun connaît ici la fin : tous nous reposerons sous terre et tout finira en poussière..."
Mais le Faucon tenta de se soulever, dressa la tête et porta son regard alentour.
Au fond de cette gorge, dans cette obscurité, l'eau suintait entre les pierres grises, l’air était suffocant et puait la charogne.
Alors le Faucon rassemblant toutes ses forces laissa échapper un cri de douleur et de chagrin :
- Oh, que ne puis-je une dernière fois m’envoler et rejoindre le ciel ! Là, j’étreindrais mon ennemi… contre ma poitrine et... il s’étoufferait de mon sang ! Ô, Ivresse de la bataille !...
L’entendant ainsi gémir la Couleuvre se dit : "Comme il doit être bon de vivre dans le ciel !"
Elle proposa à l’oiseau épris de liberté : "Va, approche-toi du gouffre et précipite-toi dans le vide. Et qui sait ? tes ailes te porteront. Ainsi te sera-t-il donné de vivre encore un instant dans ce monde qui est le tien."
Le Faucon frémit et fièrement dans un cri s'approcha de l’abîme, s’agrippant de ses griffes, rampant sur la pierre glissante.
Arrivé au bord du précipice, il déploya ses ailes, prit une profonde inspiration ; ses yeux clignèrent plusieurs fois et il se jeta dans le vide.
Il tomba plus vite qu’une pierre et se brisa les ailes, dévalant et roulant sur les roches, y laissant ses plumes…
Le flot du ruisseau le saisit, le lava de son sang et l’inondant d’écume l’emporta vers la mer.
Dans un rugissement de douleur, les vagues amères battaient contre les pierres... Le corps de l’oiseau à tout jamais disparut dans le vaste océan…
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Maxime Gorki
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J’en avais assez des affrontements et des discussions, et retourner dans cet endroit serein au sommet de la montagne me réjouissait davantage que la perspective de passer une autre journée dans la bibliothèque.
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Sarah J. Maas (Un Palais d’épines et de roses T2: Un Palais de colère et de brume (Un Palais d'épines et de roses) (French Edition))
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ÉPILOGUE
LOUIS. — Après, ce que je fais,
je pars.
Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard,
une année tout au plus.
Une chose dont je me souviens et que je raconte encore
(après j’en aurai fini) :
c’est l’été, c’est pendant ces années où je suis absent,
c’est dans le Sud de la France.
Parce que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne, je décide de marcher
le long de la voie ferrée.
Elle m’évitera les méandres de la route, le chemin sera plus court et je sais
qu’elle passe près de la maison où je vis.
La nuit, aucun train n’y circule, je n’y risque rien
et c’est ainsi que je me retrouverai.
À un moment, je suis à l’entrée d’un viaduc immense,
il domine la vallée que je devine sous la lune,
et je marche seul dans la nuit,
à égale distance du ciel et de la terre.
Ce que je pense
(et c’est cela que je voulais dire)
c’est que je devrais pousser un grand et beau cri,
un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée,
que c’est ce bonheur-là que je devrais m’offrir,
hurler une bonne fois,
mais je ne le fais pas,
je ne l’ai pas fait.
Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier.
Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai.
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Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde)
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L'inondation, qui ruine ainsi l'espoir du paysan, est un grand malheur, et pourtant, dans ses eaux redoutées, le ruisseau apporte un trésor pour les années à venir : en détruisant la récolte de l'année présente, il dépose de la boue fertilisante qui nourrira les récoltes futures. Le sol de la plaine, constamment sollicité par le travail du laboureur s'épuiserait bientôt si les rochers de la montagne, triturés et tamisés par le flot, ne s'étalaient en couches sur les campagnes pour en renouveler la fécondité. Ainsi que le montrent les sondages géologiques, la terre végétale et le sous-sol tout entier sont des alluvions successivement amenées de siècle en siècle et déposées sur les assises de la roche : aucune plante n'aurait pu germer dans la vallée si la montagne ne se délitait pas sans cesse, et si le ruisseau n'employait pas chaque année ces débris à fournir un nouvel aliment à la végétation de ses deux rives.
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Élisée Reclus (Histoire d'un ruisseau - Histoire d'une montagne)
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Il se mit debout tant bien que mal, le suivit, l’aurait suivi jusqu’en enfer, c’est ce qu’on dit dans ces moments où l’histoire vous échappe, la tête dévorée, la chaleur drainée depuis chaque veine qui martèle, un nœud au ventre, la certitude que rien, jamais, ne pourra plus apaiser cette faim tant que le monde sera ce qu’il est – sorti de la montagne, tombé du ciel ici, entre deux mondes, mais Hadrián voulait y errer jusqu’à la fin des temps.
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Anne-Claire Dolly
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Nous illustrons la soif de liberté, l'individualisme, la bougeotte et nous nous retrouvons aujourd'hui comme ces porteurs d'une industrie associé aux hamburgers, blue-jeans et Marlboro. D'un côté, il y a les éleveurs, les cow-boys professionnels, les Indiens, les bergers, qui luttent pour préserver leur mode de vie. De l'autre, les ranches pour 'dudes' et les magasins d'articles western pour touristes, qui prospèrent sur une image qu'ils contribuent à détruire. Nous faisons nos courses au Walmart du coin, le touriste ira compléter son déguisement de parfait cow-boy dans les magasins chic du centre-ville. Le tourisme ne peut pas sauver les cultures en voie de disparition. Au contraire, il les stérilise et les expédie dans les archives folkloriques.
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Pascal Wick (Journal d'un berger nomade)
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Grande mer, toujours labourée, toujours vierge, ma religion avec la nuit ! Elle nous lave et nous rassasie dans ses sillons stériles, elle nous libère et nous tient debout. À chaque vague, une promesse, toujours la même. Que dit la vague ? Si je. devais mourir, entouré de montagnes froides, ignoré du monde, renié par les miens, à bout de forces enfin, la mer, au dernier moment, emplirait ma cellule, viendrait me soutenir au-dessus de moi-même et m'aider à mourir sans haine.
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Albert Camus
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Ce que les américains ont fait pour le mont Washington, les Suisses se sont hâtés de l'imiter pour le Rigi, au centre de ce panorama si grandiose de leurs lacs et de leurs montagnes. Ils l'ont fait aussi pour l'Utli ; ils le feront pour d'autres monts encore, ils en ramèneront pour ainsi dire les cimes au niveau de la plaine. La locomotive passera de vallée en vallée par-dessus les sommets, comme passe un navire en montant et en descendant comme sur les vagues de la mer. Quant aux monts tels que les hautes cimes des Andes et de l'Himalaya, trop élevées dans la région du froid pour que l'homme puisse y monter directement, le jour viendra où il saura pourtant les atteindre.
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Élisée Reclus (Histoire d'une montagne)
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Fils, s'il t'est donné de vivre, tu rencontreras sur ta route des hommes qui sont suivis par des troupeaux de montagnes. Des hommes qui arrivent dans des pays, nus et crus. On remarque à peine que leurs mains ouvertes éclairent l'ombre comme des veilleuses. Quand on le remarque. Et voilà que les montagnes se lèvent et marchent à leur suite. Et voilà que tous les mécaniciens de raison tapent du poing sur leurs tables. Voilà qu'ils crient : « Il y a dix ans que je cherche des formules, dix ans que je noircis du papier, dix ans que j'use des arithmétiques. Dix ans que je cherche le bouton secret ». Et celui-là est arrivé et il a dit tout simplement : « Montagne » et puis la montagne s'est dressée. Où est la justice ?
« Elle est là, fiston la justice.
L'espérance… »
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Jean Giono (Blue Boy)
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Dans la mer, dans la montagne, l'Autre peut s'incarner aussi parfaitement que chez la femme ; elles opposent à l'homme la même resistance passive et imprévue qui lui permet de s'accomplir ; elles sont un refus à vaincre, une proie à posséder. Si la mer et la montage sont femmes, c'est que la femme est aussi pour l'amant la mer et la montagne.
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Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe, I)
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— Ô Lune Noire, sache que je t’ai attendue. Non, mon attente n’a pas été pieuse et bercée d’une félicitée béate. Mes espoirs, je les ai conservés contre moi en affrontant les tempêtes de la nature. Mes craintes, je les ai endossées avec peine et, souvent, elles m’ont valu d’épouvantables souffrances. Quant à mes croyances, elles chancèlent chaque jour, avançant fébrilement sur la crête d’une montagne acérée. Non, belle Lune Noire, je n’ai pas été le dévot infaillible. J’ai encaissé les douleurs et j’en ai souvent questionné la cause, me demandant si les dieux veillaient vraiment sur l’indigent que je suis... J’ai interrogé l’Océan Céleste, j’ai invoqué le Grand Pêcheur dans les moments de détresse, et j’ai remercié les Constellations Silencieuses lorsque le sort m’était propice. Mais jamais, jamais je n’ai obtenu de réponse. Pas un signe. Pas une faveur, pas une mise en garde. Rien ! Alors j’ai continué à croire et j’ai contemplé chacun de tes croissants. J’ai chéri chaque pas sous l’éclat argenté de ta lumière. Mais, peu à peu, je suis forcé d’admettre que mon regard est tombé et que j’ai plus souvent observé mes pieds que ta robe. Nuit après nuit, ma foi s’est faite ténue… Et je regrette, aujourd’hui, d’avoir parfois pensé que l’interposition ne viendrait pas. Que l’éclipse n’était qu’une fable, qu’un rêve mal placé dans mon esprit puéril. Un rêve idiot qui avait induit les sages en erreur…
Comme je regrette ! Comme je suis confus et contrit de découvrir, à présent, que le tort s’était saisi de moi… La puissance de ton ombre est manifeste : Fe’Rah Grundt ne peut que s’incliner ! Quant à ton aura… Quelle… Quelle splendeur ! J’ai devant mes yeux la plus magnifique fantasmagorie qu’il m’ait été donné de voir. C’est tellement plus grandiose que dans mon rêve. Et, plus sublime encore que dans mes tentatives d’imagination éveillée ! L’éclipse… L’éclipse est assurément le tournant de mon existence, j’en suis convaincu. Car même si tu me répudies, même si tu m’ignores, même si tu te contraries de mes paroles et choisis de m’en punir, je serai – Ô superbe Lune Noire – à jamais changé, en mon être tout entier, de t’avoir pu observer.
Sur ces paroles fiévreuses et enflammées d’un amour sincère dont il s’ignorait capable, Welihann se tait puis pose un genou à terre. Les yeux brillants, il plonge dans la noirceur du cercle magique et cligne le moins possible des paupières, bien décidé à ne pas en perdre la moindre miette. Le spectacle, d’une beauté enivrante, le transporte et ranime toute sa foi. Il se sent transpercé de légendes, envahi de gloire, porté en avant par les chants des Ancêtres, pénétré par les mille générations l’ayant précédé, ayant foulé ces steppes, ayant grimpé ces concrétions, s’étant faufilés entre les prédécesseurs de ces arbres… Il est Welihann, il est les Anciens, il est le Passé et l’Avenir de son peuple. Il convoie en son être la culture d’une tribu et voyage à dos de rêves sur les épaules du monde. Il n’est plus qu’un avec la Nature et devient, loin, au fond de lui, le messager des Mük’Atah. Le pourvoyeur de Vie, façonné d’Amour et disposé à embrasser la Mort. Il est Welihann, l’enfant au destin différent, l’enfant libre et sans chemin tracé, capable d’ouvrir sous chacun de ses pas, les pages de chapitres interdits, inconnus, impossibles ou désirés. Il est Welihann, l’enfant-homme, l’enfant-frère, le frère-homme que personne n’attend et que tout le monde espère, le prophète malvenu, le maudit habité par la fortune.
Il est Welihann et il sait, à présent, combien son destin compte, combien l’éclipse importe. Il est Welihann et il sait que son nom promet et devine que son sort ne sera rien de moins qu’exceptionnel.
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Alexandre Jarry (Sous les constellations silencieuses (Les Apothéoses))
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On sait ce qui fait tenir physiquement le béton : l'hydratation du ciment transforme ses phases silicatées en silicate de calcium hydraté, dont la structure assure la cohésion des granulats et la résistance du matériau. Mais qu'est-ce qui le fait tenir ontologiquement ?
Dit autrement, c'est quoi le monde du béton ?
Le ciment standardisé le plus commun, dit "Portland", a été mis au point au début du XIXe siècle. Il accompagne l'essor du capitalisme industriel. Hyper modulable, peu onéreux, facile de mise en oeuvre comme à détruire, les qualités du béton de ciment donnent depuis lors aux politiques et aménageurs une grande liberté pour configurer et reconfigurer l'espace. Et cette reconfiguration n'a pas cessé depuis que les humains s'agglomèrent dans les villes, suivant en substance les mouvements de concentration du capital.
Le béton matérialise ce rapport dans des infrastructures dédiées à l'accélération des flux de marchandises, qu'il s'agisse d'information, d'énergie, de biens manufacturés, ou de travailleurs. Frets, entrepôts de stockage, hubs de tri, transporteurs, data centers, fibre optique, plateformes "virtuelles" : les grands réseaux logistiques et informationnels synchronisent les métropoles entre elles sur la cadence du marché. Zébrant les territoires, cette couche dessine une pieuvre logistique faite de routes, ponts, tunnels connectant entrepôts, ports et aéroports. N'ayant que faire des particularités des territoires traversés, au mépris de celles et ceux qui y habitent, la logistique trace tout droit à travers bourgs, champs, zones naturelles et montagnes. Les campagnes sont reléguées aux fonctions de voies de transit d'un côté, et en ressources alimentaires et énergétiques de l'autre.
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Les soulèvements de la terre (Premières secousses)
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Soraya est une étrangère, elle aussi. Elle est "ceux". Mais qu'a-t-elle en commun avec un Érythréen ? Un Afghan ? La même chose qu'avec un Français, un Américain, elle a un père, une mère. Elle est née, mourra. Son corps est fait de chair, de sang, un sang rouge qui coule dans les veines de tous les mammifères. Elle parle, rit, pleure. Elle a peur, aime, crie, doute. Sont-ils si différents, ces hommes qui la traquent ?
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Marie Pavlenko (Traverser les montagnes et venir naître ici)
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La métaphore, tout d'abord, ne relie pas seulement le corps humain à l'univers dans son ensemble, mais surtout à un pays, voire à un paysage : « le corps humain est l'image d'un pays (yi-jen tche chen, yi kouo tche siang) », disent les Taoïstes du Moyen Age. Et, depuis l'époque Song, le corps humain a été représenté sous les apparences d'un paysage, avec des montagnes et des lacs, des forêts et des habitats. Paysage ou pays qui constitue aussi un royaume, avec son administration : le cœur est le prince, les autres viscères ses ministres, le sang son peuple, etc.
Recherches sur le corps taoïste 1976
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Kristofer Schipper
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Et au loin, comme Frodon passait l'Anneau à son doigt et le revendiquait pour sien, même dans les
Sammath Naur, coeur même du royaume, la Puissance de Barad-dûr fut ébranlée et la Tour trembla de ses fondations à son fier et ultime couronnement. Le Seigneur Ténébreux fut soudain averti de sa présence, et son oeil, perçant toutes les ombres, regarda par-dessus la plaine la porte qu'il avait faite, l'ampleur de sa propre folie lui fut révélée en un éclair aveuglant et tous les stratagèmes de ses ennemis lui apparurent enfin à nu. Sa colère s'embrasa en un feu dévorant, mais sa peur s'éleva comme une vaste fumée noire pour l'étouffer. Car il
connaissait le péril mortel où il était et le fil auquel son destin était maintenant suspendu.
Son esprit se libéra de toute sa politique et de ses trames de peur et de perfidie, de tous ses stratagèmes et de ses guerres, un frémissement parcourut tout son royaume, ses esclaves fléchirent, ses armées s'arrêtèrent, et ses capitaines, soudain sans direction, hésitèrent et désespérèrent. Car ils étaient oubliés. Toute la pensée et toutes les fins de la Puissance qui les conduisait étaient à présent tournées avec une force irrésistible vers la Montagne. A son appel, vibrant avec un cri déchirant, volèrent en une dernière course désespérée les Nazgûl, les Chevaliers Servants de l'Anneau, qui, en un ouragan d'ailes, s'élançaient en direction du Sud, vers la Montagne du Destin.
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J.R.R. Tolkien
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Elles étaient ces brebis qui cherchent refuge derrière un rocher quand sévit la tempête. Arrivées dans un endroit inconnu qui leur offre un abri, elles s'attachent à retrouver sécurité et chaleur. Elles savaient que le froid d'autrui viendrait de nouveau les transpercer et se nicher en elles. Aussi s'agissait-il de répandre toute la chaleur que l'on avait pour pouvoir ensuite la récupérer au décuple. (...) A la maison, il leur était interdit de se donner mutuellement la chaleur dont elles avaient besoin. Elles redevenaient des brebis effrayées perdues dans la montagne sauvage.
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Herbjørg Wassmo (The House with the Blind Glass Windows)
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Un Algérien vivant à Paris en 1962 était un être traqé. Tandis que les Algériens se battaient contre l'armée française dans leurs montagnes et ds les villes européanisées d'Alger et d'Oran, des groupes terroristes paramilitaires tombaient sans discrimination sur les hommes et les femmes dans la capitale colonialiste, pour la simple raison qu'ils étaient ou paraissaient être algériens.
A Paris, des bombes explosaient dans les cafés fréquentés par les Nord-Africains, des corps ensanglantés étaient découverts dans les rues sombres et des graffiti anti-algériens défiguraient les murs des immeubles et des stations de métro. Un après-midi, je me rendis à une manifestation qui avait lieu sur la place de la Sorbonne en faveur du peuple algérien. Quand les flics la dispersèrent à coups de lances d'incendie à haute pression, ils se montrèrent aussi vicieux que les flicsau cou rouge de Birmimgham qui avaient reçu les Marcheurs de la Paix avec des chiens et des lances d'incendie."
p.144
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Angela Y. Davis
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La moustiquaire, un manège, un grand jeu dangereux, un piège voluptueux et mortel. En est-il autrement de ce qu'on appelle nos aventures, nos exploits, nos vices? Ces errements épouvantables et passionnés qui nous font battre le cœur et nous meurtrissent, ces incartades en zones superbement terrifiantes, abîme où le désir nous jette, flancs de montagne abrupts où s'accrochent amoureusement les grimpeurs, fusées où s'entassent, avec un effrayant bonheur de curiosité, les astronautes fous, terrains vagues où vont s'aimer jusqu'au martyre les grands solitaires obsédés. Notre passion est celle du monarque dans la moustiquaire : on y perd des bouts d'ailes, des bouts de pattes, mais – abîme promis, abîme donné –, on y retourne, comme des drogués.
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Robert Lalonde (Le Monde sur le flanc de la truite)
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« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais.
Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais.
Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.
Je dormirais peu, je rêverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, à chaque minute nous perdons 60 secondes de lumière.
Je marcherais quand les autres s'arrêteraient, je me réveillerais quand les autres dormiraient.
Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais à plat ventre au soleil, laissant à découvert pas seulement mon corps, mais aussi mon âme.
Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'être amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'être amoureux ! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre à voler tout seul.
Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli.
J'ai appris tant de choses de vous les hommes… J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la manière d'y arriver.
J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre pour la première fois, le doigt de son père, avec son petit poing, il le tient pour toujours.
J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables à se relever.
J'ai appris tant de choses de vous, mais à la vérité cela ne me servira pas à grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir.
Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses.
Si je savais que c'est peut être aujourd'hui la dernière fois que je te vois dormir, je t'embrasserais très fort et je prierais pour pouvoir être le gardien de ton âme.
Si je savais que ce sont les derniers moments où je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais déjà.
Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilité pour faire les choses bien, mais au cas où elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais.
Le lendemain n'est sûr pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux.
C'est peut être aujourd'hui que tu vois pour la dernière fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut être demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu étais trop occupé pour accéder à un de leur dernier désir.
Garde ceux que tu aimes près de toi, dis-leur à l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais.
Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrètes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer.
Dis à tes amis et à ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi.
Monsieur Márquez a terminé, disant : Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passé.
Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »
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Gabriel García Márquez
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Pour les hommes de l’âge d’or, monter une montagne, c’était réellement s’approcher du Principe; regarder un fleuve, c’était voir la Possibilité universelle en même temps que l’écoulement des formes.
De nos jours, gravir une montagne, — et il n’y en a plus aucune qui soit a centre du monde »! — c’est « vaincre » son sommet; l’ascension n’est plus un acte spirituel, mais une profanation. L’homme, dans son aspect d’animal humain, se fait Dieu. Les portes du Ciel, mystérieusement présentes dans la nature, se ferment devant lui.
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Frithjof Schuon (Spiritual Perspectives and Human Facts)
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L'étoile frappera la terre, empoisonnant l'eau et l'air, et une pluie de feu détruira le tiers de tous les arbres. Un montagne de feu s'écroulera dans l'océan et l'eau submergera le tiers des nations... La compagne du Prince des Ténèbres le quittera pour mettre son enfant sous la protection des anges... Un grand massacre suivra l'appel de la reine blanche. Le peuple réclamera du plus grand de tous les chefs qu'il punisse les coupables... Un grand silence tombera sur la Terre tandis que les anges affronteront les démons. Lorsque vous verrez ces lignes, vous saurez que le Prince du ciel est à votre porte.
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Anne Robillard (Absinthium (A.N.G.E., #7))
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Je rêve d'un homme qui aime les vieux groupes de rock que plus personne n'écoute. Qui me laissera dormir avec mon tee-shirt troué que j'adore et mes collants en laine. Qui se réveillera à quatre heures du matin pour arroser l'olivier parce qu'il saura que j'oublie toujours de le faire. Qui autorisera les animaux à boire des cafés. Qui m'achètera des frites. Qui ne s'ennuiera jamais. Qui aura lu Miller, Salinger et Desnos. Et aussi Kateb, Mammeri et Mahfouz. Qui, à l'aube, prendra un train avec moi sans en connaitre la destination. Qui se fichera que les yaourts soient périmés depuis la veille. Qui saura se mettre en colère et rire en même temps. Qui chantera faux. Qui aimera la mer et la campagne et peut-être même la montagne, aussi.
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Kaouther Adimi (Des pierres dans ma poche)
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(Vingt ans après la mort de son fils, perdu en montagne.) C'est une expérience inhumaine. Ce sont vos enfants qui doivent vous fermer les yeux. De toutes les épreuves de ma vie, qui en a été fertile, c'est celle dont j'ai émergé avec le plus de peine, mâchant et remâchant ma culpabilité. On devient comme un grand brûlé qui ne supporte plus aucun contact avec autrui. Ceux qui vous marquent de la compassion? Odieux: ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ceux qui feignent la bonne humeur pour vous remonter la moral? Indécent.
(...) La vie est la plus forte. La douleur qui demeure devient comme une bête apprivoisée aux griffes rognées mais, aujourd'hui encore, j'ai du mal à dire "mon fils" sans que ma gorge se noue.
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Laure Adler cite Françoise Giroud, dans Françoise, Grasset, 2011.
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Alors que le grand U canalisait les eaux pour assécher les terres, il s’égara, contourna la mer du nord, et arriva, très loin, tout au septentrion, dans un pays sans vent ni pluie, sans animaux ni végétaux d’aucune sorte, un haut plateau bordé de falaises abruptes, avec une montagne conique au centre. D’un trou sans fond, au sommet du cône, jaillit une eau d’une odeur épicée et d’un goût vineux, qui coule en quatre ruisseaux jusqu’au bas de la montagne, et arrose tout le pays. La région est très salubre, ses habitants sont doux et simples. Tous habitent en commun, sans distinction d’âge ni de sexe, sans chefs, sans familles. Ils ne cultivent pas la terre, et ne s’habillent pas. Très nombreux, ces hommes ne connaissent pas les joies de la jeunesse, ni les tristesses de la vieillesse. Ils aiment la musique, et chantent ensemble tout le long du jour. Ils apaisent leur faim en buvant de l’eau du geyser merveilleux, et réparent leurs forces par un bain dans ces mêmes eaux. Ils vivent ainsi tous exactement cent ans, et meurent sans avoir jamais été malades. Jadis, dans sa randonnée vers le Nord, l’empereur Mou des Tcheou visita ce pays, et y resta trois ans. Quand il en fut revenu, le souvenir qu’il en conservait, lui fit trouver insipides son empire, son palais, ses festins, ses femmes, et le reste. Au bout de peu de mois, il quitta tout pour y retourner. Koan-tchoung étant ministre du duc Hoan de Ts’i, l’avait presque décidé à conquérir ce pays. Mais Hien-p’eng ayant blâmé le duc de ce qu’il abandonnait Ts’i, si vaste, si peuplé, si civilisé, si beau, si riche, pour exposer ses soldats à la mort et ses feuda¬taires à la tentation de déserter, et tout cela pour une lubie d’un vieillard, le duc Hoan renonça à l’entreprise, et redit à Koan-tchoung les paroles de Hien-p’eng. Koan-tchoung dit : Hien p’eng n’est pas à la hauteur de mes conceptions. Il est si entiché de Ts’i, qu’il ne voit rien au delà.
(Lieh-Zi, 5.5)
湯問,5: 禹之治水上也,迷而失塗,謬之一國。濱北海之北,不知距齊州幾千萬里,其國名曰終北,不知際畔之所齊限。无風雨霜露,不生鳥、獸、蟲、魚、草、木之類。四方悉平,周以喬陟。當國之中有山,山名壺領,狀若甔甄。頂有口,狀若員環,名曰滋穴。有水湧出,名曰神瀵,臭過蘭椒,味過醪醴。一源分為四埒,注於山下;經營一國,亡不悉徧。土氣和,亡札厲。人性婉而從,物不競不爭。柔心而弱骨,不驕不忌;長幼儕居,不君不臣;男女雜游,不媒不聘;緣水而居,不耕不稼;土氣溫適,不織不衣;百年而死,不夭不病。其民孳阜亡數,有喜樂,亡衰老哀苦。其俗好聲,相攜而迭謠,終日不輟音。饑惓則飲神瀵,力志和平。過則醉經旬乃醒。沐浴神瀵,膚色脂澤,香氣經旬乃歇。周穆王北遊,過其國,三年忘歸。既反周室,慕其國,惝然自失。不進酒肉,不召嬪御者數月,乃復。管仲勉齊桓公,因遊遼口,俱之其國。幾剋舉,隰朋諫曰:「君舍齊國之廣,人民之眾,山川之觀,殖物之阜,禮義之盛,章服之美,妖靡盈庭,忠良滿朝,肆咤則徒卒百萬,視撝則諸侯從命,亦奚羨於彼,而棄齊國之社稷,從戎夷之國乎?此仲父之耄,柰何從之?」桓公乃止,以隰朋之言告管仲,仲曰:「此固非朋之所及也。臣恐彼國之不可知之也。齊國之富奚戀?隰朋之言奚顧?」
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Liezi (Lieh-tzu: A Taoist Guide to Practical Living (Shambhala Dragon Editions))
“
- Georges, connais-tu Victor Hugo?
J'ai ouvert la bouche en grand. Le phalangiste a ajusté son arme, regard perdu dans le jour tombé.
- Tu connais?
"Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends..." a récité le tueur.
J'ai tremblé à mon tour. Mon corps, sans retenue. J'ai pleuré. Tant pis. (...)
"J'irai par la forêt, j'irai par la montagne,
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit".
Et puis il a tiré. Deux coups. Un troisième, juste après. Cette fois sans trembler, sans que je sente rien venir. Son corps était raide de guerre. Mes larmes n'y ont rien fait. Ni la beauté d'Aurore, ni la fragilité de Louise, ni mon effroi. Il a tiré sur la ville, sur le souffle du vent. IL a tiré sur les lueurs d'espoir, sur la tristesse des hommes. Il a tiré sur moi, sur nous tous. Il a tiré sur l'or du soir qui tombe, le bouquet de houx vert et les bruyères en fleur.
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Sorj Chalandon (Le quatrième mur)
“
(...) ces quelques lignes nous livrent peut-être le suprême message de la philosophie ismaélienne : " L’Imam a dit : Je suis avec mes amis partout où ils me cherchent, sur la montagne, dans la plaine et dans le désert. Celui à qui j'ai révélé mon Essence, c'est-à-dire la connaissance mystique de moi-même, celui-là n'a pas besoin d'une proximité physique. Et c'est cela la Grande Résurrection.
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Henry Corbin (History of Islamic Philosophy)
“
Quelle est donc cette foi qui dit à un homme qu'il doit quitter ses amis les plus proches, les plus sincères, pour pouvoir aller vers Dieu? Parce que Dieu est là-bas, dans la montagne, et pas ici, en ville? Parce que Dieu est au monastère, et pas sur les chantiers, ni dans les bureaux? Si l'on croit en Dieu, on doit croire qu'il est partout ! [...] Ce qui m'exaspère, c'est cette manière que l'on a aujourd'hui d'introduire la religion partout, et de tout justifier par elle. [...] On la met à toutes les sauces, et on croit la servir, alors qu'on est en train de la mettre au service de ses propres ambitions, ou de ses propres lubies.
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Amin Maalouf (التائهون)
“
À trente ans, ce colosse au crâne rasé en a déjà passé dix en prison et, comme il le dit joliment, « vit entouré de crimes comme les habitants d’une forêt vivent entourés d’arbres ». Cela ne l’empêche pas d’être un homme paisible, d’humeur toujours joyeuse, en qui se mêlent les traits du fol en Christ russe et de l’ascète oriental. Été comme hiver, même quand le thermomètre dans la cellule descend au-dessous de zéro, il est en short et tongs, il ne mange pas de viande, il ne boit pas de thé mais de l’eau chaude et pratique d’impressionnants exercices de yoga. On l’ignore souvent, mais énormément de gens, en Russie, font du yoga : encore plus qu’en Californie, et cela dans tous les milieux. Pacha, très vite, repère en « Édouard Veniaminovitch » un homme sage. « Des gens comme vous, lui assure-t-il, on n’en fait plus, en tout cas je n’en ai pas rencontré. » Et il lui apprend à méditer.
On s’en fait une montagne quand on n’a jamais essayé mais c’est extrêmement simple, en fait, et peut s’enseigner en cinq minutes. On s’assied en tailleur, on se tient le plus droit possible, on étire la colonne vertébrale du coccyx jusqu’à l’occiput, on ferme les yeux et on se concentre sur sa respiration. Inspiration, expiration. C’est tout. La difficulté est justement que ce soit tout. La difficulté est de s’en tenir à cela. Quand on débute, on fait du zèle, on essaie de chasser les pensées. On s’aperçoit vite qu’on ne les chasse pas comme ça mais on regarde leur manège tourner et, petit à petit, on est un peu moins emporté par le manège. Le souffle, petit à petit, ralentit. L’idée est de l’observer sans le modifier et c’est, là aussi, extrêmement difficile, presque impossible, mais en pratiquant on progresse un peu, et un peu, c’est énorme. On entrevoit une zone de calme. Si, pour une raison ou pour une autre, on n’est pas calme, si on a l’esprit agité, ce n’est pas grave : on observe son agitation, ou son ennui, ou son envie de bouger, et en les observant on les met à distance, on en est un peu moins prisonnier. Pour ma part, je pratique cet exercice depuis des années. J’évite d’en parler parce que je suis mal à l’aise avec le côté new age, soyez zen, toute cette soupe, mais c’est si efficace, si bienfaisant, que j’ai du mal à comprendre que tout le monde ne le fasse pas. Un ami plaisantait récemment, devant moi, au sujet de David Lynch, le cinéaste, en disant qu’il était devenu complètement zinzin parce qu’il ne parlait plus que de la méditation et voulait persuader les gouvernements de la mettre au programme dès l’école primaire. Je n’ai rien dit mais il me semblait évident que le zinzin, là-dedans, c’était mon ami, et que Lynch avait totalement raison.
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Emmanuel Carrère (Limonov)
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Bouts de soie
Je fus l'ami de toutes les solitudes.
J'allumais les lampes parmi les errants.
Le soir je prenais un peu de thé, ou même pas.
Les chemins se sont resserrés dans le passé–
et voici venir l'oubli.
Tout est comme cela fut un jour :
choses auxquelles je ne puis donner un nom.
Jeune fille aux cheveux emmêlés de féerie,
n'essayons plus de nous souvenir.
En automne les cirques partaient.
Les femmes vendaient pour nous de la marjolaine.
Obscurité favorable aux monts-de-piété,
le vent fait encore des culbutes et des papillons.
Naguère tu me montrais un écureuil menu comme une patate
et nous nous effilochions au gré des spectres.
Les gens savent quelque chose qu'ils ne disent pas.
Que fait l'eau dans laquelle tu as secoué tes brumes ?
Par les herbes et les saisons humides,
les cendres confondent leurs saints.
Le soir est venu comme un chien des montagnes,
pour lécher nos mains brûlantes.
Tu es toujours mon amour et
j'entends encore la lune serpenter entre les murs.
Oh ! Si seulement nous étions demeurés en imagination
comme les batailles sur les panoplies…
La vie fût toujours comme ne devrait pas être la vie.
(p. 15)
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Ion Caraion (La neige qui jamais ne neige et autres poèmes)
“
Si on avait justement partagé
Dans les défilés des montagnes,
je gémis, la tempe sur la pierre.
Et j'aurais voulu, ta lumière
la chanter encore, sommet des montagnes !
Si on avait justement partagé
toutes les peines du monde,
autant sur mon cœur que sur le tien,
je ne serais pas morte aussi jeune.
J’aurais pu me réjouir encore longtemps,
en riant, sous les verts rameaux,
j'aurais pu encore longtemps chanter,
la tempe collée à l’orgue des forets.
Il y avait encore tant de jardins à cueillir…
J’aurais orné jusqu’au fond
ce plateau rond,
avec des écharpes et des pommes.
Si on avait justement partagé
toutes les peines du monde,
beaucoup d’années encore, j’aurais moissonné
le soleil de ces terres.
Mon ami, apporte-moi des épis de blé,
là-haut, sur le sommet des montagnes,
prés des cieux et des vents,
près du feu silencieux des bergers.
Vie, pour les uns tu as été
un éternel festin,
pour moi — une pluie déserte,
toi et tes balances truquées…
Et pourtant, je te salue et je pars à regret.
(traduit du roumain par Elisabeta Isanos)
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Magda Isanos (Cantarea muntilor)
“
Sinaia
(II)
Les montagnes font un tourbillon d'eau contre ta joue ;
tu en détaches le bouquet mouillé sur les sapins
aux genoux ployés, à la crinière de nuit,
chevaux rétifs, hennissants et captifs.
Sur les bords de l'étang aux longs cils,
je sais des rires de femmes engloutis
et des regards limpides verdis comme la terrine.
Une flamme annonce l'imminence du vide,
et le chemin cerne l'étang, comme un couteau.
Que de sang ! Le temps, le temps éclate sur le couchant ;
la forêt a ce soir la folle effervescence de la bonde.
Les cerfs ne savent rien de l'automne roux,
et dans leur sommeil, âmes de feuille aux pieds nus,
ils rêvent limiers, cors et chasseurs redoutés,
venus s'emparaient du bocage, de ses bois, de ses sabots –
et la forêt, abattue, pleure, les narines palpitantes.
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Benjamin Fondane (Privelisti -si inedite-)
“
Jadis, aucune femme ne pouvait faire l'ascension de la montagne sacrée [le mont Fuji], et c'est Lady Parkes – épouse d'un diplomate anglais – qui osa la première braver l'interdit. C'était en 1867. Depuis lors, il y eut bien d'autres sacrilèges, celui d'installer un observatoire au sommet ou d'encombrer ses pentes de toutes les ordures laissées par les foules innombrables qui le gravissent chaque été. Tout japonais se doit en effet d'aller assister au lever du soleil : le Goraïko purificateur. D'après un proverbe nippon il existe deux sortes d'imbéciles : ceux qui n'ont jamais fait l'escalade et… ceux qui l'entreprenne une seconde fois ! Je n'ai pas l'intention de répéter l'exercice. Il vaudrait mieux demander à mes chevilles, à mes genoux et aux courbatures des jours suivants, la première impression laissée par huit heures de montée nocturne dans la pierre ponce et la scorie ou le pied recule à chaque pas. Un chapelet d'immondices et d'espadrilles usées jalonne la piste. De temps en temps, une station de repos vous redonne du courage ou permet d'étancher une soif rendue inextinguible par l'épouvantable poussière soulevée par une ribambelle d'autres grimpeurs et, surtout, ceux qui dévalent la pente à toute vitesse dans cette lave granulaire.
(p. 230)
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Michael Stone (Incroyable Japon)
“
Sans même qu'on s'en aperçoive, la société de consommation s'était introduite aussi dans le beau village au pied de la montagne.
[Pe nebăgatelea de seamă civilizația de consum ajunse și în frumosul sat de la poalele muntelui.]
(p. 63, traduit en français par Gabrielle Danoux)
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Adrian Voicu (Provinciale)
“
Une fois, quelqu’un avait peint une église sur une outarde. C’était la dernière en ces lieux, les autres avaient toutes été tuées par les chasseurs ; quant aux églises — un bail qu’il n’y en avait plus. Aussi, il en a peint une sur cette dernière outarde. Sur la crête, le jabot et les plumes-moustache, il peignit les Miracles du Christ. Sur une aile — la Passion et la Mise au tombeau; sur l’autre — l’Ascension. Il y a un équilibre dans ces choses, à ce qu’on dit ; ce qu’on enterre de l’aile gauche s’élève aux cieux quand on remue la droite. Et réciproquement, ce qu’on élève, on l’enterre. Une fois l’église achevée, il a relâché l’outarde dans les champs. Toute la journée il lui courait après. Pour prier.
« Vous n’auriez pas vu mon église ? » demandait-il à tous. Jusqu’au jour où il tomba sur quelqu’un qui l’avait pendue à sa ceinture, ruisselante de sang.
(extrait de "Le bedeau", pp. 67-68)
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Marin Sorescu (La soif de la montagne de sel)
“
Cela me revient : Jonas. Je suis Jonas. (Silence)
Et, veux-tu que je te dise, c’est moi qui ai eu raison. Je ne me suis pas trompé de route, c’est la route qui a mal tourné. Elle aurait dû aller dans l’autre sens.
(Hurlant) Jonas, Jonaaas ! À l’envers, tout est à l’envers. Mais on ne m’aura pas comme ça ! Je repars. Et, cette fois je t’emmène. Chance ou pas chance. C’est trop dur d’être seul.
(Il sort son couteau) Prêt, Jonas ? (S'ouvrant le ventre) Nous parviendrons quand même à la lumière !
(fin de "Jonas", p. 51)
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Marin Sorescu (La soif de la montagne de sel)
“
Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait établi son camp et élevé des retranchements à Kai-hia : ses soldats étaient mal nourris et épuisés. L’armée de Han et les troupes des seigneurs renfermèrent dans un cercle de plusieurs rangs d'épaisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans l’armée de Han, on chantait des chants de Tch’ou ; il en fut fort effrayé et dit : « Han a-t-il gagné à lui toute la population de Tch’ou ? Comment va-t-il tant de gens de Tch’ou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommée Yu qui toujours l’accompagnait, et un excellent cheval nommé Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses généreux regrets; il fit sur lui-même ces vers :
« Ma force déracinait les montagnes ; mon énergie dominait le monde ;
Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ;
Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ?
Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? »
Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait d’abondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun d’eux ne pouvait lever la tête pour le regarder.
Puis le roi Hiang monta à cheval, et, avec une escorte d’environ huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, à la tombée de la nuit, le cercle qui l’enserrait, sortit du côté du sud, et galopa jusqu’au jour…
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China, Sima Qian, Xiang Yu
“
Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait établi son camp et élevé des retranchements à Kai-hia : ses soldats étaient mal nourris et épuisés. L’armée de Han et les troupes des seigneurs renfermèrent dans un cercle de plusieurs rangs d'épaisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans l’armée de Han, on chantait des chants de Tch’ou ; il en fut fort effrayé et dit : « Han a-t-il gagné à lui toute la population de Tch’ou ? Comment va-t-il tant de gens de Tch’ou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommée Yu qui toujours l’accompagnait, et un excellent cheval nommé Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses généreux regrets; il fit sur lui-même ces vers :
« Ma force déracinait les montagnes ; mon énergie dominait le monde ;
Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ;
Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ?
Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? »
Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait d’abondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun d’eux ne pouvait lever la tête pour le regarder.
Puis le roi Hiang monta à cheval, et, avec une escorte d’environ huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, à la tombée de la nuit, le cercle qui l’enserrait, sortit du côté du sud, et galopa jusqu’au jour…
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Sima Qian (Mémoires historiques - Deuxième Section (French Edition))
“
Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) mena ses soldats du côté de l’est; arrivé à Tong-Tch’en il n’avait plus que vingt- huit cavaliers. Les cavaliers de Han qui le poursuivaient étaient au nombre de plusieurs milliers. Le roi Hiang estima qu’il ne pouvait plus échapper ; il dit à ses cavaliers : « Huit années se sont écoulées depuis le moment où j’ai commencé la guerre jusqu’à maintenant ; j’ai livré en personne plus de soixante-dix batailles ; ceux qui m’ont résisté, je les ai écrasés ; ceux qui m’ont attaqué, je les ai soumis ; je n’ai jamais été battu ; j’ai donc possédé l’empire en m’en faisant le chef. Cependant voici maintenant en définitive à quelle extrémité je suis réduit ; c’est le Ciel qui me perd ; ce n’est point que j’aie commis quelque faute militaire…
Alors il divisa ses cavaliers en quatre bandes qu’il disposa sur quatre fronts ; l’armée de Ban le tenait enfermé dans un cercle de plusieurs rangs d’épaisseur ; le roi Hiang dit à ses cavaliers : « Je vais, en votre honneur, m’emparer de ce général que voilà. » Il ordonna à ses cavaliers sur les quatre fronts de descendre’ à fond de train et leur fixa trois lieux de rendez-vous à l'est de la montagne. Puis le roi Hiang descendit au galop en poussant de grands cris ; l’armée de Han se mit en déroute et il coupa aussitôt la tête à un général de Han….
Le roi Hiang lui-même avait reçu plus de dix blessures ; en se retournant, il aperçut Lu Ma-t'ong capitaine des cavaliers de Han et lui dit: « N’êtes- vous pas une de mes anciennes connaissances ? » Ma-t’ong le dévisagea et, le montrant à Wang, il lui dit : « Celui-là est le roi Hiang. » Le roi Hiang dit alors : « J’ai entendu dire que Han avait mis à prix ma tête, (promettant pour elle) un millier d’or et une terre de dix mille foyers ; je vous donne cet avantage. » Â ces mots, il se coupa la gorge et mourut.
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Sima Qian (Mémoires historiques - Deuxième Section (French Edition))
“
Dans cet espace, où les masses de pierre semblent écraser tout, la source se montre si frêle, qu’il ne serait pas étonnant que sa vie s’éteignît un instant après. Étonnante est, au contraire, la témérité avec laquelle elle affirme son existence face aux pics altiers. Dans la nuit saisie d’étonnement, l’Olt commence son histoire, digne d’être écoutée, dans un recueillement absolu, par les montagnes, par les hommes, par l’univers entier.
À l’éternité des montagnes, il oppose une autre éternité : celle de l’eau qui jaillit du rocher et qui, par ce dont elle est composée, est plus vieille que toutes les montagnes réunies. Des centaines et des milliers de siècles sont condensés dans le chuchotement de la source, l’un sous l’autre, remontant de plus en plus loin, jusque dans la nuit et avant la nuit des temps. Dans ce lit d’ères, l’eau coule sur son passé, comme sur une roche gigantesque, dont la couche la plus profonde remonte à l’instant où la terre s’est détachée du soleil.
C’est alors qu’elle a commencé à exister, et, depuis lors, dans chaque molécule et dans son énorme totalité, elle est restée la même. Le mince filet de l’Olt provient directement des masses liquides géantes qui ont recouvert la planète, à l’époque où les continents étaient encore loin de naître. Depuis, dans les ruisseaux, dans les fleuves, dans les mers, l’eau est restée la même : élémentaire, unique.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
“
Un obstacle inattendu s’oppose, dès le premier instant, à ce voyage, qui s’annonce comme le plus fécond qui soit, d’un bout à l’autre d’une noble existence, à ce voyage qui pourrait donner lieu à un vaste et grave tour du monde : la séparation, difficile au plus haut point, de la contrée d’où il va partir.
Où le monde pourrait-il être aussi grandiose que sur ces sommets sur lesquels rien ne fait obstacle aux regards, où qu’ils veuillent se diriger, et où ils se dirigent, effectivement, jusqu’à ce qu’ils touchent l’infini ? Quels autres horizons pourraient se comparer à l’océan de pierre, sur l’étendue duquel émerge le Ceahlău, à l’océan instable dont les vagues donnent à l’univers un bercement plus large, une résonance plus profonde ?
Quitter ce moutonnement infini de montagnes, si proche à la fois du ciel et des fondements sonores de la terre, voilà ce qui paraît impossible. Tout son tumulte retient l’être dans les yeux duquel il s’est miré, le tirant en arrière, ne le laissant se détacher qu’à grande peine et douloureusement, provoquant aussitôt en lui le sentiment d’une perte irréparable.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
“
La vérité est que, après être venu à la lumière du jour et après s’être mis à courir sur les rochers, le filet d’eau ne perd à aucun moment le contact avec une infinité de gisements liquides, qui, par des voies secrètes, vont l’enrichir sans cesse, tout comme l’être humain, quelque évolué qu’il fût, ne se coupe pas de ses gisements ancestraux obscurs, dont il reçoit sans cesse des énergies insoupçonnées et des impulsions énormes.
Des milliers de galeries s’entrelacent dans la pierre, tel un inimaginable labyrinthe de nervures, infiltrant leurs pointes d’aiguille jusque sous les crêtes les plus hautes, dans des dépôts, pas plus grands qu’un ongle, sous la croûte des rochers, pour laisser s’écouler dans le ruisseau qui vient de naître, goutte-à-goutte, toute la sève et toute la force de Hășmașul Mare.
L’Olt semble être, ainsi, un arbre aux racines ramifiées sous l’écorce d’un vaste et chaotique territoire, si bien que, si on pouvait l’arracher, tel un sapin par la tempête, il tirerait avec lui la ronde immense des crêtes, des précipices et des pics où il a vu la lumière du jour. C’est à travers ce fabuleux réseau de racines, comme à travers un arbre de vie géant, que la montagne fait parvenir la nourriture à la rivière à laquelle elle a donné le jour.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
“
Sous Ceaușescu, nous avons été incapables de savoir s’il y avait, oui ou non, des détenus politiques. Et, dans l’affirmative, combien. De plus, ils étaient « maquillés » en détenus de droit commun.
Du temps de Gheorghiu-Dej (1945-1965, prédécesseur de Ceaușescu), les arrestations n’étaient pas nécessairement le résultat d’une action subversive. Tout pouvait devenir chef d’accusation et, donc, motif d’arrestation. Dire à voix haute dans la rue : « J’en ai marre », ou écouter les émissions des postes tels qu’Europe libre ou La Voix de l’Amérique, constituait un délit passible de deux à quatre années de prison. L’atmosphère de terreur n’épargnait pas les enfants que nous étions. En l’absence d’une vision politique de la situation, nous avions conscience qu’il se passait des choses terribles. Nous savions. Nous savions qu’il y avait des résistants dans les montagnes. D’ailleurs, les radios occidentales en parlaient.
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Oana Orlea (Les années volées: Dans le goulag roumain à 16 ans (French Edition))
“
Comment une helléniste n'aurait-elle pas été sensible aux traits qui le rapprochent de Socrate ? Socrate avait dû boire la ciguë : Constantin Noica avait passé dix ans de sa vie en résidence surveillée et six ans en prison ; il vivait dans la montagne, occupant une chambre étroite et glacée, se nourrissant mal, indifférent aux misères matérielles. Comme Socrate, il ne s'était jamais lassé d'enseigner aux autres à penser : cet homme isolé avait des disciples un peu partout, à qui il donnait des programmes de lecture, qu'il formait, dont il déliait l'esprit.
(Jacqueline de Romilly, Préface)
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Constantin Noica (Șase maladii ale spiritului contemporan)
“
Nous mourons pour ne plus mourir
nous mourons pour ne plus mourir
et nous brûlerons tout entiers sur le bûcher de l’ensoiffement
devenus corps immolés de mystère
nous consumant-en-esprit
pour être vivants toujours
nous mourons vers la vie
ou nous mourons vers la mort
se flétrissent et meurent, je ne chanterai pas
je ne chanterai jamais les feuilles d’automne
elles qui se flétrissent et meurent
automne des choses
ni le jour
où les étoiles s’effondreront dans un temps à elles
au-dessus de l’abîme
ces choses-là ne sont pas celles que j’aimerai
et désirerai pour mon âme
l’éclat des pierres, ni la louange
ni les vagues
qui sont mortes, demeures des morts
lorsqu’une Égypte de pierre élève
d’immenses sarcophages sans rien de plus précieux
que les pas sur les sables
c’est une douleur assurément
de l’échec
Comme si le corps qui souffre et pleure
s’il était immense, de granite
devenait éternel
comment pourrions-nous nous abuser
quand même ceux qui travaillaient dans le désert
ne croyaient plus et savaient
savaient qu’ils bâtissaient une ruine
dans la volupté de la mort
Égypte de la peur
II
mais voilà
la Parole qui ne s’est jamais couchée se montre
aux débutants sous la figure d’un esclave et d’un père
à ceux qui peuvent la suivre
sur la montagne haute de sa
transfiguration
en vérité et en vie
Quand la parole se montre en nous
tellement illuminante, tellement claire
et Son visage éclate comme le soleil
alors ses vêtements deviennent blancs
et les vêtements sont la parole
de l’Évangile de la victoire
absolue
sur la mort.
(p. 85 et 87)
”
”
Daniel Turcea (L'Épiphanie)
“
J’avais appris au lycée, de la bouche de notre distingué professeur d’histoire et de géographie, Marcou Weintraub, l’importance que les montagnes encadrant ces gorges du Bicaz occupaient dans la mythologie roumaine. Le massif Ceahlău, surnommé l’Olympe des Moldaves, aurait abrité le trône du dieu dace Zamolxis. Les Daces étaient ces barbares indo-européens de la branche des Thraces d’Asie Mineure, qui, se mélangeant aux conquérants romains, avaient donné le peuple roumain. Et selon la légende, c’était dans cette montagne que Dochia, fille de Décébal, le célèbre roi des Daces, échappant à la captivité de l’empereur Trajan, fut transformée en pierre par le froid. Les longues guerres que Décébal et les Daces avaient menées contre l’empereur Trajan – dont les différents épisodes sont gravés sur une colonne érigée à Rome – incarnent la ténacité du peuple roumain et sa détermination à sauvegarder son identité à travers les siècles. Décébal et Zamolxis n’étaient pas pour rien dans l’intérêt que le jeune garçon féru d’histoire que j’étais portait à cette période si précieuse au cœur des Roumains.
”
”
Dov Hoenig (Rue du Triomphe)
“
Minuit dix, le 7 septembre 1969.
J'ai vingt-neuf ans et demi, je pèse 48 kilos.
Je suis un junkie qui va se finir dans la montagne.
Je ne suis ni heureux, ni malheureux, ni anxieux ni tourmenté.
J'ai en moi la fatalité des Orientaux.
Je ne me donne pas plus de trois semaines à vivre.
”
”
Charles Duchaussois (Flash: ou le grand voyage)
“
LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI)
La disette a tué toute brise de vent.
Le soleil s’est fondu et coulé de partout.
Le ciel est resté vide et brûlant
Les seaux ne tirent des fontaines que de boue.
Sur les bois fréquemment feux, toujours feux
Dansent sauvages, sataniques jeux.
Je poursuis papa en route vers les buttes,
Les chardons, les sapins m’écorchent séchés.
Tous les deux commençons la poursuite des chèvres,
La chasse d’la famine en montagnes de tout près.
La soif m’accable. Bouillit sur la pierre
Le fil d’eau filtré des ruisseaux.
La tempe pèse l’épaule, comme si j’erre
Une autre planète, immense, étrange, ennuyeux.
Nous restons dans l’endroit où encore retentissent
Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux.
Quand la lune s’élève et le soleil se couche
Ici viendront à la fil s’abreuver
Une par une, les biches.
Je dis à papa que j’ai soif. Il me fait signe de m’ taire.
Enivrante eau. Comme tu t’agites limpide !
Je suis lié par soif de cette être qui meurt
À l’heure fixé par loi et habitude.
La vallée raisonne en bruissements flétris.
Quel affreux crépuscule flotte dans l’univers !
Le sang à l’horizon. Ma poitrine rouge comme si
J’ai essuyé mes mains sur mon poitrail.
Comme sur autel fougères brûlent en flammes violâtres
Et les étoiles frappées parmi celles-ci miroitent.
Hélas ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas
Superbe offrande de mon noble bois !
Elle se monta sautant et s’arrêta
Scrutant les alentours avec de crainte
Ses minces narines faisaient frémir l’eau
Avec les cercles en cuivre errantes.
Dans ses yeux moites brillait un certain indécis
Je savais qu’elle aura mal, qu’elle va mourir.
Il me semblait revivre un récit
Avec la biche, jadis une très belle fille.
D’en haut, la pâle lumière, lunaire,
Bruinait sur sa fourrure douces fleurs d’cerisier.
Hélas ! comme je voudrais que pour la première fois
Le coup d’fusil d’papa va échouer.
Mais les vallées résonnent. Elle tombe à genoux.
Elle lève sa tête, la tourne vers les étoiles
La dévala alors, en déclenchant sur eaux
Fuyards tourbillons de perles noires.
Un oiseau bleu bonda dans les rameaux
La vie d’la biche vers l’espace attardé
Vola très lentement, en cris, comme en automne oiseaux
Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagés.
En chancelant je suis allé pour lui fermer
Ses yeux ombreux comme en engoisse veillés de cornes
Silencieux et blanc j’ai tressailli quand l’père
Me dit de tout son cœur: “Voilà de la viande !”
“J’ai soif”, je dis. Papa m’incite à m’abreuver.
Enivrante eau, enveloppé en brume !
Je suis lié par soif de cette biche gaspillée
A l’heure fixée par loi et par coutume…
Mais la loi nous est déserte, étrangère
Quand la vie en nous très difficile s’anime
Coutumes, compassions sont toutes désertes
Quand même ma sœur malade est une des victimes.
La carabine d’ papa n’ émane que de fumée
Hélas ! Sans vent s’empressent les feuillages en foule
Papa prépare un feu tout effrayé
Hélas ! comme la forêt se dénature !
De l’herbe, sans adresse, je prends en mains
Une mince clochette d’un cliquetis argentin .
Papa tire de la broche avec sa main
Le cœur de la chevreuil et ses chauds reins.
C’est quoi le cœur ?… J’ai faim. Je veux vivre, j’ voudrais…
Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimée…
J’ai sommeil… Comme il est haut le feu ! Et la forêt sauvage !
Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mange…
1954
(cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
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Nicolae Labiş (Poezii (Biblioteca Eminescu) (Romanian Edition))
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Le 31 mai, je m'engageai entre la Costila et le Morar. Ce fut un enchantement! Je me promenais à travers des jardins, je foulais des parterres de fleurs.
C'était la première toison que revêtaient les Bucégi, des fleurs aux nuances délicates, tendres: les céraistes blanches, les mignonnes pyroles d'une blancheur de cire, la tribu des humbles saxifrages, les dryades aux huit pétales d'argent, la corthuse aux corolles en cloche d'un rose carminé, le myosotis de montagne aux mille yeux d'azur… Sur la mousse des quartiers de roches s'étalait, en plaques roses, le silène.
Les quelques arnicas, aux boutons non encore éclos, présageaient déjà la seconde toison, celle de l'été brûlant aux fleurs de couleurs riches, jaunes, rouges.
À mesure que je montais, les vapeurs se dégageaient des bas-fonds. Lorsque j'arrivais à l'Omul le tableau était impressionnant: comme d'une gigantesque et infernale chaudière, les vapeurs montaient, d'abord transparentes, ensuite de plus en plus compactes, d'un gris sale ; quelques faisceaux de rayons solaires traversaient ces nuages, leur donnant d'étranges reflets d'or.
Je n'augurai rien de bon de ce phénomène et je me dépêchai de rentrer.
Je trouvai à la maison le garçon de l'aubergiste; il m'apportait votre lettre, que le facteur de Prédéal avait laissée en passant.
Ainsi donc: vous allez vous mettre en route pour un petit tour en Suisse et vous me promettez d'arriver à Busteni dans la seconde moitié de juin?
Vous vous proposez de préparer votre licence au milieu de nos montagnes.
(p. 254–255)
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Nestor Urechia (Dans les Carpathes roumaines, les Bucégi)
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Je crois faire œuvre de bon Roumain, en publiant ce livre, pour lequel j'ai puisé dans les notes que j'ai prises, au jour le jour, à la montagne; sa destination est de faire connaître au moins un coin de mon beau pays que les Roumains méconnaissent tant et que les étrangers ne connaissent pas du tout.
Mais il y a plus : l'affabulation de ce livre est la preuve que le cœur de son auteur, comme celui de tout Roumain bien pensant, est partagé entre l'amour pour son pays de naissance la Roumanie et l'inaltérable affection et reconnaissance qu'il garde à son pays d'élection, la France.
Quoi que fassent les mesquines combinaisons de la politique, les cœurs roumains battront toujours à l'unisson des cœurs français. Les Roumains ne devront jamais oublier la dette de gratitude qu'ils ont contractée envers la grande sœur latine qui, généreusement, les secourut aux heures troubles où leur idéal de liberté était étranglé par des voisins puissants et accapareurs
[...]
Et je ne me lasserai pas de répéter que, Roumain, j'ai fait dans mon cœur deux places égales pour deux patries : la France et la Roumanie.
(Extrait de "Au lecteur")
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Nestor Urechia (Dans les Carpathes roumaines, les Bucégi)
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Нет смысла сосать мундштук трубки и вдыхать в себя дым: когда его не видно, он словно и не существует.
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Charles-Ferdinand Ramuz (La grande peur dans la montagne / C.F. Ramuz. 1926 [Leather Bound])
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Горы были похожи на розовые цветы, но цвет этот обманчив, он быстро исчезает, потому что здесь нет цветов и никакой другой жизни.
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Charles-Ferdinand Ramuz (La Grande Peur dans La Montagne (1925) & La Guerre dans le Haut-Pays (1915) (French Edition))
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Quelque chose n’allait plus. Ma mauvaise humeur était née de la lecture du quotidien La Montagne – où n’écrivait plus Alexandre Vialatte – devant des tasses de café noir qui réparaient mon insomnie dans le bistrot de Pierrefort. « Le numérique est une opportunité pour renforcer l’innovation », disait l’article. Cela commençait mal : personne ne savait ce que signifiaient des trucs pareils. Mais tous les élus de la région applaudissaient. Ils s’étaient réunis en congrès à Murol, ils préparaient la connexion de leur campagne. Ils mettaient en place le dispositif. Le journal annonçait : « Le très haut débit au secours de la ruralité. » Ciel ! pensais-je, les voilà sauvés par cela même qui faisait clore les boutiques. « Ceux qui s’installent ici demandent le haut débit avant l’école », expliquait le maire d’un village dans l’interview, et il se félicitait par contrecoup de l’ouverture prochaine d’un « collège tout numérique ». Le nom de Mermoz serait donné à l’établissement. Personne n’ajoutait que le demi-dieu de l’Aéropostale qui avait réparé son avion pendant quarante-huit heures sur un piton des Andes avec une clef à molette n’aurait pas eu grand-chose à carrer du haut débit.
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Sylvain Tesson (On the Wandering Paths (Univocal))
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Le seul souvenir qui me reste depuis des siècles que je vis dans la pierre, est le doux contact des larmes sur un visage d'homme
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Michel Bernanos (La Montagne morte de la vie)
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AUTEL
Les lumières se sont éteintes dans un de tes autels
ô, toi, pays condamné à la tristesse,
tous les troubadours emplissent les prisons
et ils ne saluent plus l’allégresse.
Dans nos montagnes il a de nouveau neigé
flotte à l’horizon un état de pleur
Pays de larmes,
pays de myrte,
ton peuple est pour toujours martyr !
(Gabriela Livescu, în traducerea mea)
ALTAR
S-au stins luminile-ntr-un al tău altar
o, țară, condamnată la tristețe,
toți trubadurii sunt în închisori,
iar bucuriei nu-i mai dau binețe.
În munții noștri iarăși a nins
Plutește-n văzduh o stare de plâns
Țară de lacrimi, țară de mir,
poporul tau e veșnic martir!
traduit en français par Gabrielle Danoux
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Gabriela Livescu (Pasărea Paradis)
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La nostalgie de l'architecture
Dans un paysage de briques
La nostalgie des montagnes
Là où sont les collines d'eau.
Qui est en mesure de comprendre
Tout ce qui s'effondre ici ?
Sagesse fermentée
Dans la bouse et dans la boue
Crépie sur des branches encore vivantes
Sagesse délirante
Tressant dans une même séduction
Architraves molles
Et colonnes sculptées dans du treillis.
Le rêve de pierre rêvé
Dans un sommeil de terre
Où ondulent des sillons pluvieux.
Les dimanches dans les temples
Produisent des fruits de culpabilité
Des temples courbés
Sous les vents qui soufflent.
(Systématisation, p. 27)
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Ana Blandiana (Arhitectura valurilor)
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L'EXASPÉRATION
L'exaspération de s'écouler
Vers rien, de s'écouler vers personne
De même que s'écoule le sang d'une blessure,
C'est la longue Histoire qui me l'a apprise
L'Histoire domestiquée par le néant
Où se battent les sommets
Des montagnes du monde entier, ou périssent en vain
Les flots exacerbés des ruisseaux de miel, de lait;
L'exaspération de croire
Qu'il est ridicule, que c'est un supplice
De griffer l'éternité en y creusant des tranchées
D'édifier une coupole en même temps qu'un destin
Sur une des îles flottant dans le delta du Danube
Parce qu'en fait on veut simplement en finir;
L'exaspération qui permettra de conclure
Mauvaise fortune, bon cœur en même temps que la ballade
Par la même conclusion:
Une même mort bénévole…
(p. 33)
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Ana Blandiana (L'Architecture des vagues)
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L'unité roumaine n'a pas attendu, pour exister, de recevoir une couronne consacrée à Rome ou à Byzance. L'on peut dire qu'une configuration naturelle, ou, si l'on préfère les termes de Bossuet, la volonté même de la Providence, a posé sur le fond du peuple roumain la seule couronne dont il revendique la possession : celle de ses montagnes, Corona Montium, qui entoure de ses murs crénelés l'antique Dacie et que mentionnent les plus anciennes descriptions de cette terre, sur laquelle devait se dérouler les fastes de son histoire.
Celle-ci est plus qu'autre part, si l'on n'en veut considérer que les traits essentiels, un phénomène de conscience collective. Les fortes individualités ne lui se font certes pas défaut, mais elles se détachent de l'ensemble, aux temps modernes, dans la mesure où elles représentent la tendance, d'abord instinctive, puis toujours plus consciente vers l'unité, qui est donc assurée de pouvoir durer, autant que cette conscience restera vivante dans l'esprit du peuple roumain et de ses dirigeants. C'est de ce facteur spirituel, qui a marqué de son empreinte les réalités ethniques et linguistiques dont il est devenu l'expression, que dépend l'avenir, plus que du jeu incertain et hasardeux des événements et des circonstances.
(p. 334-335)
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Gheorghe I. Brătianu (Origines et formation de l'unité roumaine)