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A l'adolescence, on rĂȘve du jour oĂč l'on quittera ses parents, un autre jour ce sont vos parents qui vous quittent. Alors, on ne rĂȘve plus qu'Ă pouvoir redevenir, ne serait-ce qu'un instant, l'enfant qui vivait sous leur toit, les prendre dans vos bras, leur dire sans pudeur qu'on les aime, se serrer contre eux pour qu'ils vous rassurent encore une fois.
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Marc Levy (Le Voleur d'ombres)
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Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout
Contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s'aiment
Ne sont lĂ pour personne
Et c'est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie
Les enfants qui s'aiment ne sont lĂ pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour
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Jacques Prévert (Paroles)
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Des marchands de sang humain criaient a tue-tĂȘte : "Qui veut des places ?". Une rage m'a pris contre ce peuple. J'ai eu envie de leur crier : "Qui veut la mienne ?
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Victor Hugo (Le Dernier Jour d'un Condamné (French Edition))
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Et comme jâessayais de lui expliquer ce que câĂ©tait que ces mariages, je sentis quelque chose de frais et de fin peser lĂ©gĂšrement sur mon Ă©paule. CâĂ©tait sa tĂȘte alourdie de sommeil qui sâappuyait contre moi avec un joli froissement de rubans, de dentelles et de cheveux ondĂ©s. Elle resta ainsi sans bouger jusquâau moment oĂč les astres du ciel pĂąlirent, effacĂ©s par le jour qui montait. Moi, je la regardais dormir, un peu troublĂ© au fond de mon ĂȘtre, mais saintement protĂ©gĂ© par cette claire nuit qui ne mâa jamais donnĂ© que de belles pensĂ©es. Autour de nous, les Ă©toiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau ; et par moments je me figurais quâune de ces Ă©toiles, la plus fine, la plus brillante ayant perdu sa route, Ă©tait venue se poser sur mon Ă©paule pour dormir..
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Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin)
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De nos jours, rien n'est plus mensonger que cette étiquette "pro-vie" dont s'affublent les militants antiavortements : un grand nombre d'entre eux sont aussi favorables à la peine de mort ou, aux Etats-Unis, à la libre circulation des armes (plus de quinze mille morts en 2017), et on ne le voit pas militer avec tant d'ardeur contre les guerres ni contre la pollution, dont on estime qu'elle a été responsable d'une mort sur six dans le monde en 2015. La vie ne les passionne que lorsqu'il s'agit de pourrir celles des femmes. Le natalisme est affaire de pouvoir, et non d'amour de l'humanité.
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Mona Chollet (SorciÚres : La puissance invaincue des femmes)
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A 21 h 15, j'arrive enfin chez moi et je m'affale littĂ©ralement sur le canapĂ©. Et lĂ , je sais que je vais vous dĂ©cevoir mais non, il n'y a pas de chat qui vient se frotter contre mes jambes (avouez que vous l'attendiez). Je n'ai pas plus de chat que de petit ami, de chien, de poisson rouge et mĂȘme de plantes. De toute façon, elles crĂšvent au bout de deux jours en ma compagnie.
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CĂ©cile Chomin (Hot Love Challenge (Hot Love, #1))
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Je me souviens qu'à un moment, m'étend appuyée à la machine, j'avais regardé le disque se lever, lentement, pour aller se poser de biais contre le saphir, presque tendrement, comme une joue. Et, je ne sais pourquoi, j'avais été envahie d'un violent sentiment de bonheur; de l'intuition physique, débordante, que j'allais mourir un jour, qu'il n'y aurait plus ma main sur ce rebord de chrome, ni ce soleil dans mes yeux.
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Françoise Sagan (A Certain Smile)
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Elle ne veut pas guerir par qu'elle ne sait pas comment exister autrement qu'Ă travers cette maladie qui l'a choisie, cette maladie dont on parle dans les journaux et les colloques, une quĂȘte aveugle et obscure qu'elle partage avec d'autres, complices anonymes et titubantes d'un crime silencieux perpĂ©trĂ© contre soi.
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Delphine de Vigan (Jours sans faim)
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Parce que c'est ma mĂšre, elle qui a sacrifiĂ© chacun de ses jours et plusieurs de ses nuits pour me voir libĂ©rĂ©e des servilitĂ©s et soumissions qui Ă©taient les siennes, qui a souahaitĂ© le plus ma rĂ©ussite. Parce qu'elle a priĂ© la vierge Marie Ă genoux dans toutes les chapelles pour que j'Ă©chappe aux fatalitĂ©s du destin social. Parce que mĂȘme si je me contruisais contre elle en embrassant les codes qui l'excluent, j'ai produit sa fiertĂ©. Parce que la trahison que l'ascension suppose Ă©tait non seulement attendue mais espĂ©rĂ©e.
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Caroline Dawson (LĂ oĂč je me terre)
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Je me retrouvai seul, roulant sous la pluie du jour agonisant, et les essuie-glace Ă©taient en pleine action, mais que pouvaient-ils contre mes larmes ?
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Vladimir Nabokov (Lolita)
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Ă Tokyo, oĂč je n'ai jamais mis les pieds, on conserve paraĂźt-il le temps dans de jolies petites boĂźtes laquĂ©es. Si tu veux trois jours, on peut te les vendre. Contre de l'argent ? Non, on n'achĂšte du temps qu'avec du temps. On peut te vendre trois jours gris contre deux jours ensoleillĂ©s et une nuit triste. Ou simplement une heure contre un baiser frais. Je voudrais acheter du temps japonais avec des mimosas ruisselants de pluie.
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Dany LaferriĂšre (Je suis un Ă©crivain japonais)
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Je ne luttais plus contre les coutumes à la fois vénérables et vaines ; tout ce qui met en lumiÚre l'effort de l'homme, ne fût-ce que pour la durée d'un jour, me semblait salutaire en présence d'un monde si prompt à l'oubli.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Je le vis, je rougis, je pĂąlis Ă sa vue ;
Un trouble sâĂ©leva dans mon Ăąme Ă©perdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus VĂ©nus et ses feux redoutables,
Dâun sang quâelle poursuit tourments inĂ©vitables !
Par des vĆux assidus je crus les dĂ©tourner :
Je lui bĂątis un temple, et pris soin de lâorner ;
De victimes moi-mĂȘme Ă toute heure entourĂ©e,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
Dâun incurable amour remĂšdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brĂ»lait lâencens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
Jâadorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
MĂȘme au pied des autels que je faisais fumer,
Jâoffrais tout Ă ce dieu que je nâosais nommer.
Je lâĂ©vitais partout. Ă comble de misĂšre !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pĂšre.
Contre moi-mĂȘme enfin jâosai me rĂ©volter :
Jâexcitai mon courage Ă le persĂ©cuter.
Pour bannir lâennemi dont jâĂ©tais idolĂątre,
Jâaffectai les chagrins dâune injuste marĂątre ;
Je pressai son exil ; et mes cris Ă©ternels
LâarrachĂšrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, ĆNONE ; et, depuis son absence,
Mes jours moins agitĂ©s coulaient dans lâinnocence :
Soumise Ă mon Ă©poux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon Ă©poux lui-mĂȘme Ă TrĂ©zĂšne amenĂ©e,
Jâai revu lâennemi que jâavais Ă©loignĂ© :
Ma blessure trop vive aussitÎt a saigné.
Ce nâest plus une ardeur dans mes veines cachĂ©e :
Câest VĂ©nus tout entiĂšre Ă sa proie attachĂ©e.
Jâai conçu pour mon crime une juste terreur ;
Jâai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ;
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je nâai pu soutenir tes larmes, tes combats :
Je tâai tout avouĂ© ; je ne mâen repens pas.
Pourvu que, de ma mort respectant les approches,
Tu ne mâaffliges plus par dâinjustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prĂȘt Ă sâexhaler.
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Jean Racine (PhĂšdre)
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En Europe, les bibliothĂšques des grandes villes ouvrent le dimanche et tous les jours de la semaine jusquâĂ 22 heures. A Copenhague, elles ouvrent cent heures par semaine contre trente en moyenne en France, quarante heures dans nos plus grandes villes.
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Anonymous
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Vous vous demandez contre qui je joue ? Sixtine ne sut que rĂ©pondre et se contenta de regarder les dominos en vrac sur la table. Lâhomme lui sourit et susurra : â La Muerte. La Mort. Sixtine fut happĂ©e par son regard. â Chaque jour, nous jouons. Pour lâinstant, elle mâa toujours laissĂ© gagner.
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Caroline Vermalle (Sixtine - L'Intégrale)
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Ils niaient tranquillement, contre toute eÌvidence, que nous ayons jamais connu ce monde insenseÌ ouÌ le meurtre dâun homme eÌtait aussi quotidien que celui des mouches, cette sauvagerie bien deÌfinie, ce deÌlire calculeÌ, cet emprisonnement qui apportait avec lui une affreuse liberteÌ aÌ lâeÌgard de tout ce qui nâeÌtait pas le preÌsent, cette odeur de mort qui stupeÌfiait tous ceux quâelle ne tuait pas, ils niaient enfin que nous ayons eÌteÌ ce peuple abasourdi dont tous les jours une par- tie, entasseÌe dans la gueule dâun four, sâeÌvaporait en fumeÌes grasses, pendant que lâautre, chargeÌe des chaiÌnes de lâimpuissance et de la peur, attendait son tour.
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Albert Camus (The Plague)
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Le train de nuit, c'est toujours une aventure. On s'imagine dans l'Orient Express, le mystĂšre plane ; on entend passer les voyageurs. On imagine des histoires, des frĂŽlements sensuels. On ne dort que d'un oeil, blottis l'un contre l'autre. On se chuchote des choses que l'on ne dirait pas en plein jour. Puis on s'endort avec le balancement du train, tadam tadam, tadam tadam, tadam tadam.
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Mirelle Hdb
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etre ou ne pas etre se demandait shakspear .y'a t'il plus de puissance d'ame a subir . ou bien s' armer contre les vagues de douleurs. avant que les maux spirituelles du vertige demeurent . avnt que laterre dit sa parole aux milles tortures naturelles . avant que le seigneur devient en colére . souvient toi de ta naissance prmiére . le jour ou on t'a apris la priére . ton coeur etait brave trés propre .tu cherchait la paix pour mieucx vivre alors que la paix. cest s'offrir le luxe e ne plus souffrir . inconscient tu était du terme mourir . l'agonie de la mort va te couvrir .cette heure tu connaitras une valeure . a quoi sert de vivre deux heures sans savoir que le destin c'est l'enfer .etre ou ne pas etre se demandait un jeune asperger .telle est la question du grand mistére. reveille toi pour ne pl
us dormir . car la
cloche de la restruction va te couvrir.
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cherine hamaidi savant
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Fut-ce le fruit de mon imagination? Il me sembla voir passer sur le visage de notre voisin une expression que j'aurais pu traduire en ces termes: "Pourquoi te donnes-tu tant de mal? J'ai gagné, tu ne peux pas ne pas le savoir. Le simple fait que j'assiÚge chaque jour ton salon pendant deux heures n'en est-il pas la preuve? Si brillants que soient tes discours, tu ne pourras rien contre cette évidence: je suis chez toi et je t'emmerde.
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Amélie Nothomb (Les Catilinaires)
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Toute personne dont le but est «quelque chose de supĂ©rieurâ doit sâattendre un jour Ă souffrir de vertige. Quâest-ce que le vertige? La peur de tomber? Alors, pourquoi le sentons nous mĂȘme lorsque la tour dâobservation est Ă©quipĂ© dâune rampe solide? Non, le vertige est autre chose que la peur de tomber. Il est la voix du vide en dessous de nous qui tente et nous attire, câest le dĂ©sir de lâautomne, contre qui, terrifiĂ©, nous dĂ©fendons nous-mĂȘmes.
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Milan Kundera (The Unbearable Lightness of Being)
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Ne pleurez pas. Non, non, ne pleurez pas! Vous voyez bien que c'est le jour de la justification. Quelque chose s'élÚve à cette heure qui est notre témoignage à nous autres révoltés: Yanek n'est plus un meurtrier. Un bruit terrible! Il a suffi d'un bruit terrible et le voilà retourné à la joie de l'enfance. Vous souvenez-vous de son rire? Il riait sans raison parfois. Comme il était jeune! Il doit rire maintenant. Il doit rire, la face contre la terre!
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Albert Camus (Les Justes)
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Vis selon la nature, sois patient, & chasse les mĂ©decins ; tu nâĂ©viteras pas la mort, mais tu ne la sentiras quâune fois, tandis quâils la portent chaque jour dans ton imagination troublĂ©e, & que leur art mensonger, au lieu de prolonger tes jours, tâen ĂŽte la jouissance. Je demanderai toujours quel vrai bien cet art a fait aux hommes. Quelques-unes de ceux quâil guĂ©rit mourraient, il est vrai ; mais des millions quâil tue resteraient en vie. Homme sensĂ©, ne mets point Ă cette loterie, oĂč trop de chances sont contre toi. Souffre, meurs ou guĂ©ris ; mais surtout vis jusquâĂ ta derniĂšre heure.
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Jean-Jacques Rousseau (Ămile, ou De lâĂ©ducation (French Edition))
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La lecture rĂ©pĂ©tĂ©e du QorĂąn peut trĂšs certainement âouvrirâ beaucoup de choses, mais, bien entendu, Ă la condition dâĂȘtre faite dans le texte arabe et non pas dans des traductions. Remarquez dâailleurs que, pour cela et aussi pour certains Ă©crits Ă©sotĂ©riques, il sâagit lĂ de quelque chose qui nâa aucun rapport avec la connaissance extĂ©rieure et grammaticale de la langue ; on me citait encore lâautre jour le cas dâun Turc qui comprenait admirablement Mohyid-din [Ibn Arabi], alors que de sa vie il nâa Ă©tĂ© capable dâapprendre convenablement lâarabe mĂȘme courant ; par contre, je connais des professeurs dâEl-Azhar qui ne peuvent pas en comprendre une seule phrase !
Le Caire, 26 juin 1937.
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René Guénon
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[P]ourquoi fabriquent-ils en Angleterre des avions de plus en plus gros, des bombes de plus en plus lourdes et en mĂȘme temps des pavillons individuels pour la reconstruction? Pourquoi dĂ©pense-t-on chaque jour des millions pour la guerre et pas un sou pour la mĂ©decine, pour les artistes, pour les pauvres? Pourquoi les gens doivent-ils souffrir la faim tandis que dans d'autres parties de monde une nourriture surabondante pourrit sur place? Oh, pourquoi les hommes sont-ils si fous? On ne me fera jamais croire que la guerre n'est provoquĂ©e que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aiment la faire au moins autant, sinon les peuples se seraient rĂ©voltĂ©s contre elle depuis longtemps!
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Anne Frank
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Excellent papier. Rien à voir avec les pùtes mécaniques d'aujourd'hui... Vous savez quelle est la durée de vie moyenne d'un livre imprimé à l'heure actuelle ?... Dis lui, Pablo.
- Soixante-dix ans, rĂ©pondit l'autre avec rancĆur, comme si Corso Ă©tait le coupable. Soixante-dix misĂ©rables annĂ©es.
Le frÚre aßné cherchait quelque chose parmi les objets dispersés sur la table. Finalement, il s'empara d'une loupe spéciale à fort grossissement et l'approcha du livre.
- Dans moins d'un siĂšcle, murmura-t-il tandis qu'il soulevait une page pour l'Ă©tudier Ă contre-jour en fermant un Ćil, presque tout ce qui se trouve aujourd'hui dans les librairies aura disparu. Mais ces volumes imprimĂ©s il y a deux cents ou cinq cents ans, demeureront intacts... Nous avons les livres, comme le monde, que nous mĂ©ritons... N'est-ce pas, Pablo ?
- Des livres de merde pour un monde de merde.
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Arturo PĂ©rez-Reverte (The Club Dumas)
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Plus tu te plonges dans la lecture d'un livre, plus ton plaisir augmente, plus ta nature s'affine, plus ta langue se dĂ©lie, plus ton doigtĂ© se perfectionne, plus ton vocabulaire s'enrichit, plus ton Ăąme est gagnĂ© par l'enthousiasme et le ravissement, plus ton cĆur est comblĂ©, plus tu es assurĂ© de la considĂ©ration des masses cultivĂ©es et de l'amitiĂ© des princes.
Le livre t'obĂ©it de jour comme de nuit; il t'obĂ©it aussi bien durant tes voyages que pendant les pĂ©riodes oĂč tu es sĂ©dentaire. Il n'est pas gagnĂ© par le besoin de dormir; les fatigues de la veille ne l'indisposent pas. Si tu tombes en disgrĂące, le livre ne renonce pas pour autant Ă te servir; si des vents contraires soufflent contre toi, le livre, lui, ne se retourne pas contre toi. Tant que tu es attachĂ© Ă lui par le fil le plus tĂ©nu, que tu es suspendu Ă lui par le lien le plus imperceptible, alors tu peux te passer de tout le reste
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Al-Jahiz (ۧÙŰÙÙۧÙ)
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La logothĂ©rapie, sans nier le caractĂšre transitoire essentiel de lâexistence humaine, nâest pas pessimiste mais plutĂŽt «activiste». En termes figurĂ©s, disons que le pessimiste ressemble Ă la personne qui voit avec tristesse son calendrier sâamincir de jour en jour Ă mesure quâil en enlĂšve les feuilles. Par contre, la personne qui aborde avec enthousiasme les problĂšmes de la vie ressemble Ă la personne qui range soigneusement les feuilles de son calendrier aprĂšs avoir griffonnĂ© quelques notes Ă lâendos. Elle peut se pencher avec joie et fiertĂ© sur toute la richesse contenue dans ces notes, sur tous les moments dâune vie dont elle a pleinement joui. Que lui importe de vieillir? Pourquoi regretter sa jeunesse et envier les jeunes? Pour les possibilitĂ©s que leur rĂ©serve lâavenir? Non point. Elle est pleinement consciente de la richesse de son passĂ©, qui contient non seulement la rĂ©alitĂ© du travail accompli et de ses amours vĂ©cues, mais aussi de ses souffrances bravement affrontĂ©es. Câest encore de ces souffrances quâelle est le plus fiĂšre, mĂȘme si elles ne peuvent pas inspirer dâenvie.
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Viktor E. Frankl (Manâs Search for Meaning)
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Augmentez la dose de sports pour chacun, dĂ©veloppez l'esprit d'Ă©quipe, de compĂ©tition, et le besoin de penser est Ă©liminĂ©, non ? Organiser, organisez, super-organisez des super-super-sports. Multipliez les bandes dessinĂ©es, les films; l'esprit a de moins en moins d'appĂ©tits. L'impatience, les autos-trades sillonnĂ©es de foules qui sont ici, lĂ , partout, nulle part. Les rĂ©fugiĂ©s du volant. Les villes se transforment en auberges routiĂšres; les hommes se dĂ©placent comme des nomades suivant les phases de la lune, couchant ce soir dans la chambre oĂč tu dormais Ă midi et moi la veille. (1re partie)
On vit dans l'immédiat. Seul compte le boulot et aprÚs le travail l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit sinon à presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des écrous ?
Nous n'avons pas besoin qu'on nous laisse tranquilles. Nous avons besoin d'ĂȘtre sĂ©rieusement tracassĂ©s de temps Ă autre. Il y a combien de temps que tu n'as pas Ă©tĂ© tracassĂ©e sĂ©rieusement ? Pour une raison importante je veux dire, une raison valable ?
- Tu dois bien comprendre que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d'inquiĂ©ter ou de dĂ©ranger nos minoritĂ©s. Pose-toi la question toi-mĂȘme. Que recherchons-nous, par-dessus tout, dans ce pays ? Les gens veulent ĂȘtre heureux, d'accord ? Ne l'as-tu pas entendu rĂ©pĂ©ter toute la vie ? Je veux ĂȘtre heureux, dĂ©clare chacun. Eh bien, sont-ils heureux ? Ne veillons-nous pas Ă ce qu'ils soient toujours en mouvement, toujours distraits ? Nous ne vivons que pour ça, c'est bien ton avis ? Pour le plaisir, pour l'excitation. Et tu dois admettre que notre civilisation fournit l'un et l'autre Ă satiĂ©tĂ©.
Si le gouvernement est inefficace, tyrannique, vous Ă©crase d'impĂŽts, peu importe tant que les gens n'en savent rien. La paix, Montag. Instituer des concours dont les prix supposent la mĂ©moire des paroles de chansons Ă la mode, des noms de capitales d'Ătat ou du nombre de quintaux de maĂŻs rĂ©coltĂ©s dans l'Iowa l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Gavez les hommes de donnĂ©es inoffensives, incombustibles, qu'ils se sentent bourrĂ©s de "faits" Ă Ă©clater, renseignĂ©s sur tout. Ensuite, ils s'imagineront qu'ils pensent, ils auront le sentiment du mouvement, tout en piĂ©tinant. Et ils seront heureux, parce que les connaissances de ce genre sont immuables. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie Ă quoi confronter leur expĂ©rience. C'est la source de tous les tourments. Tout homme capable de dĂ©monter un Ă©cran mural de tĂ©lĂ©vision et de le remonter et, de nos jours ils le sont Ă peu prĂšs tous, est bien plus heureux que celui qui essais de mesurer, d'Ă©talonner, de mettre en Ă©quations l'univers ce qui ne peut se faire sans que l'homme prenne conscience de son infĂ©rioritĂ© et de sa solitude.
Nous sommes les joyeux drilles, les boute-en-train, toi, moi et les autres. Nous faisons front contre la marée de ceux qui veulent plonger le monde dans la désolation en suscitant le conflit entre la théorie et la pensée. Nous avons les doigts accrochés au parapet. Tenons bon. Ne laissons pas le torrent de la mélancolie et de la triste philosophie noyer notre monde. Nous comptons sur toi. Je ne crois pas que tu te rendes compte de ton importance, de notre importance pour protéger l'optimisme de notre monde actuel.
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Ray Bradbury (Fahrenheit 451)
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Tout paysage nous sort du temps. La nature nous fait le plus souvent dĂ©serter la temporalitĂ©. Chaque fois que nous nous abandonnons Ă ce rĂȘve de la matiĂšre quâest la nature, nous Ă©prouvons une Ă©trange sensationâtourment et charme indĂ©finissables Ă la foisâ, Ă savoir que rien nâa jamais Ă©tĂ©.
Un jour de grand soleil, regardez un arbre dans lâair immobile, avec ses feuilles ressemblant aux broderies dâun cĆur printanier. Vous comprendrez alors que tous les problĂšmes sâeffacent devant la croissance indiffĂ©rente de la nature, devant son inconscience en dehors de laquelle tout est douleur, malĂ©diction, esprit. Ou bien, si vous avez la chance ou la malchance de voir tous les jours un sapin qui se dresse devant votre maison comme une dĂ©nĂ©gation ou une dĂ©monstration de la vie contre elle-mĂȘme, lâinutilitĂ© de lâeffort vous sautera aux yeux et vous souhaiterez tomber sous la coupe de la vie innommĂ©e de la nature. Qui nâa jamais enviĂ© les plantes ignore ce que signifie la terreur de la conscience. Lorsquâon lâa en horreur, on a un faible pour la nature. Lorsquâon nâest plus attirĂ© par lâesprit, on aime le silence de la plante : pas de questions ni de rĂ©ponses.
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Emil M. Cioran (Solitude et destin)
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Celui qui souffre d'un mal caractĂ©risĂ© n'a pas le droit de se plaindre : il a une occupation. Les grands souffrants ne s'ennuient jamais : la maladie les remplit, comme le remords nourrit les grands coupables. Car toute souffrance intense suscite un simulacre de plĂ©nitude et propose Ă la conscience une rĂ©alitĂ© terrible, qu'elle ne saurait Ă©luder ; tandis que la souffrance sans matiĂšre dans ce deuil temporel qu'est l' ennui n'oppose Ă la conscience rien qui l'oblige Ă une dĂ©marche fructueuse. Comment guĂ©rir d'un mal non localisĂ© et suprĂȘmement imprĂ©cis, qui frappe le corps sans y laisser d'empreinte, qui s'insinue dans l'Ăąme sans y marquer de signe ? Il ressemble Ă une maladie Ă laquelle nous aurions survĂ©cu, mais qui aurait absorbĂ© nos possibilitĂ©s, nos rĂ©serves d' attention et nous aurait laissĂ©s impuissants Ă combler le vide qui suit la disparition de nos affres et l'Ă©vanouissement de nos tourments. L'enfer est un havre auprĂšs de ce dĂ©paysement dans le temps, de cette langueur vide et prostrĂ©e oĂč rien ne nous arrĂȘte sinon le spectacle de l'univers qui se carie sous nos regard.
Quelle thérapeutique employer contre une maladie dont nous ne nous souvenons plus et dont les suites empiÚtent sur nos jours ? Comment inventer un remÚde à l'existence, comment conclure cette guérison sans fin ? Et comment se remettre de sa naissance ?
L'ennui, cette convalescence incurable ...
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Emil M. Cioran (Précis de décomposition (French Edition))
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Que la langue du gĂ©nocide ne doive, Ă aucun prix, se galvauder ; que veiller sur la probitĂ© des mots en gĂ©nĂ©ral et de celui-ci en particulier soit une tĂąche intellectuelle et politique prioritaire ; qu'il se soit produit Ă Auschwitz, un Ă©vĂ©nement sans prĂ©cĂ©dent, incomparable Ă tout autre et que la lutte contre la banalisation, et de la chose, et du mot qui la dĂ©signe, soit un impĂ©ratif, non seulement pour les Juifs, mais pour tous ceux que lĂšse ce crime (autrement dit, l'humain comme tel ; l'humain en chaque homme, chaque femme, d'aujourd'hui) ; que la Shoah soit le gĂ©nocide absolu, l'Ă©talon du genre, la mesure mĂȘme du non-humain ; que cette singularitĂ© tienne tant Ă l'effroyable rationalitĂ© des mĂ©thodes (bureaucratie, industrie du cadavre, chambre Ă gaz) qu'Ă sa non moins terrible part d'irrationalitĂ© (l'histoire folle, souvent notĂ©e, des trains de dĂ©portĂ©s qui avaient, jusqu'au dernier jour, prioritĂ© sur les convois d'armes et de troupes), Ă sa systĂ©maticitĂ© (des armĂ©es de tueurs lĂąchĂ©s, dans toute l'Europe, Ă la poursuite de Juifs qui devaient ĂȘtre traquĂ©s, exterminĂ©s sans reste, jusqu'au dernier) ou Ă sa dimension, son intention mĂ©taphysique (par-delĂ les corps les Ăąmes et, par-delĂ les Ăąmes, la mĂ©moire mĂȘme des textes juifs et de la loi) - tout cela est Ă©vident ; c'est et ce sera de plus en plus difficile Ă faire entendre, mais c'est Ă©tabli et Ă©vident...
(ch. 57
La Shoah au coeur et dans la tĂȘte)
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Bernard-Henri LĂ©vy (War, Evil, and the End of History)
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Tchâen ChĂ© (Chen Sheng n.n.) fut le premier Ă commencer la rĂ©volte ; les braves sâĂ©lancĂšrent comme un essaim dâabeilles et se combattirent les uns les autres en nombre incalculable. Cependant (Hiang) Yu (Xiang Yu n.n.) nâavait ni un pied ni un pouce de terre ; profitant de lâoccasion, il sâĂ©leva du milieu des sillonsâ ; au bout de trois ans, il commandait Ă cinq seigneursâ, il avait Ă©crasĂ© Tsâin, il partageait lâempire et nommait des rois et des seigneurs ; lâautoritĂ© Ă©manait de (Hiang) Yu ; son titre Ă©tait « roi suprĂȘme ». Quoiquâil nâait pas gardĂ© cette dignitĂ© jusquâau bout, cependant depuis lâantiquitĂ© jusquâĂ nos jours, il nây en a jamais eu de si grande.
Ensuite (Hiang) Yu viola (le traitĂ© relatif aux) passes et regretta (le pays de) Tchâou ; il chassa lâempereur juste et se donna le pouvoir Ă lui- mĂȘme ; il sâirrita de ce que les rois et les seigneurs se rĂ©voltaient contre lui ; quelles difficultĂ©s (ne sâattirait-il pas !).
Il sâenorgueillit de ses exploits guerriers, sâenivra de sa propre sagesse et ne prit pas modĂšle sur lâantiquitĂ©. Sous le prĂ©texte dâagir en roi suprĂȘme, il voulait sâimposer par la force et rĂ©gler Ă son grĂ© tout lâempire. La cinquiĂšme annĂ©e, il perdit soudain son royaume ; lui-mĂȘme mourut Ă Tong-tch'eng mais il ne comprit point encore et ne sâincrimina pas lui-mĂȘme ; quelle erreur ! En effet, « câest le Ciel, dit-il, qui me perd et ce nâest point que jâaie commis aucune faute militaire. » N'est-ce pas lĂ de lâaveuglement ?
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Sima Qian (MĂ©moires historiques - DeuxiĂšme Section (French Edition))
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Un jour vint se loger, dans une des maisons qui sont sur la place, un homme de talent qui avait roulĂ© dans des abĂźmes de misĂšre ; mariĂ©, surcroĂźt de malheur qui ne nous afflige encore ni lâun ni lâautre, Ă une femme quâil aimait ; pauvre ou riche, comme vous voudrez, de deux enfants ; criblĂ© de dettes, mais confiant dans sa plume. Il prĂ©sente Ă lâOdĂ©on une comĂ©die en cinq actes, elle est reçue, elle obtient un tour de faveur, les comĂ©diens la rĂ©pĂštent, et le directeur active les rĂ©pĂ©titions. Ces cinq bonheurs constituent cinq drames encore plus difficiles Ă rĂ©aliser que cinq actes Ă Ă©crire. Le pauvre auteur, logĂ© dans un grenier que vous pouvez voir dâici, Ă©puise ses derniĂšres ressources pour vivre pendant la mise en scĂšne de sa piĂšce, sa femme met ses vĂȘtements au Mont-de-PiĂ©tĂ©, la famille ne mange que du pain. Le jour de la derniĂšre rĂ©pĂ©tition, la veille de la reprĂ©sentation, le mĂ©nage devait cinquante francs dans le quartier, au boulanger, Ă la laitiĂšre, au portier. Le poĂšte avait conservĂ© le strict nĂ©cessaire : un habit, une chemise, un pantalon, un gilet et des bottes. SĂ»r du succĂšs, il vient embrasser sa femme, il lui annonce la fin de leurs infortunes. « Enfin il nây a plus rien contre nous ! » sâĂ©crie-t- il. « Il y a le feu, dit la femme, regarde, lâOdĂ©on brĂ»le. » Monsieur, lâOdĂ©on brĂ»lait. Ne vous plaignez donc pas. Vous avez des vĂȘtements, vous nâavez ni femme ni enfants, vous avez pour cent vingt francs de hasard dans votre poche, et vous ne devez rien Ă personne. La piĂšce a eu cent cinquante reprĂ©sentations au thĂ©Ăątre Louvois. Le roi a fait une pension Ă lâauteur. Buffon lâa dit, le gĂ©nie, câest la patience. La patience est en effet ce qui, chez lâhomme, ressemble le plus au procĂ©dĂ© que la nature emploie dans ses crĂ©ations.
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Honoré de Balzac (Illusions perdues; Tome 3 (French Edition))
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« Je connais son odeur. Ce petit grain de beautĂ© dans son cou quand elle relĂšve ses cheveux. Elle a la lĂšvre supĂ©rieure un peu plus charnue que lâinfĂ©rieure. La courbe de son poignet, quand elle tient un stylo. Câest mal, câest vraiment mal, mais je connais les contours de sa silhouette. Jây pense en me couchant, et puis je me lĂšve, je vais bosser, et elle est lĂ , et câest insupportable. Je lui dis des trucs avec lesquels je sais quâelle sera dâaccord, juste pour lâentendre me rĂ©pondre : « Hm-hm. » Câest sensuel comme la sensation de lâeau chaude sur mon dos, putain. Elle est mariĂ©e. Elle est brillante. Elle me fait confiance, et la seule chose que jâai en tĂȘte câest de lâamener dans mon bureau, la dĂ©shabiller, lui faire des choses inavouables. Et jâai envie de le lui dire. Jâai envie de lui dire quâelle est  lumineuse, elle brille dâun tel Ă©clat dans mon esprit que ça mâempĂȘche parfois de me concentrer. Parfois jâoublie pourquoi je suis entrĂ© dans la piĂšce. Je suis distrait. Jâai envie de la pousser contre un mur, et jâai envie quâelle se blottisse contre moi. Jâai envie de remonter le temps pour aller mettre un coup de poing Ă son stupide mari le jour oĂč je lâai rencontrĂ©, et ensuite repartir dans le futur pour lui en coller un autre. Jâai envie de lui acheter des fleurs, de la nourriture, des livres. Jâai envie de lui tenir la main, et de lâenfermer dans ma chambre. Elle est tout ce que jâai toujours voulu, et je veux me lâinjecter dans les veines, et Ă la fois ne plus jamais la revoir. Elle est unique, et ces sentiments, ils sont intolĂ©rables, putain. Ils Ă©taient Ă moitiĂ© en sommeil tant quâelle Ă©tait absente, mais, maintenant elle est lĂ , et je ne contrĂŽle plus mon corps, comme un putain dâado, et je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux rien faire, alors je vais juste⊠ne rien faire.  »
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Ali Hazelwood (Love on the Brain)
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LE SYLLABUS Tout en mangeant d'un air effarĂ© vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bontĂ© qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aĂŻeul d'ĂȘtre tendre Et du ciel d'ĂȘtre bleu. N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fĂąchĂ©, je gronde, Non contre vous. HĂ©las, enfants, dans ce vil monde, Le prĂȘtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbĂ©ciles Qui passe en ce moment. Les prĂȘtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frĂšre, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumiĂšre; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumiĂšre; Et d'eux, c'est la noirceur. J'aime une petitesse et je dĂ©teste l'autre; Je hais leur bĂ©gaiement et j'adore le vĂŽtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, Ă©coutant ce que dit l'Ăąme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux Ă©toilĂ©s. Car vous Ă©tiez hier, ĂŽ doux parleurs Ă©tranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, Ă moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y vais. Ce que vous dites sort du firmament austĂšre; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix oĂč rien n'insulte, oĂč rien ne blĂąme, OĂč rien ne mord, s'ajoute au vaste Ă©pithalame Des bois mystĂ©rieux. Ce doux balbutiement me plaĂźt, je le prĂ©fĂšre; Car j'y sens l'idĂ©al; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forĂȘts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'Ă©coute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte Ă goutte Au fond des antres frais. Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la mĂȘme langue Ă l'Ăąme inassouvie; En bas nous Ă©touffons; Mais rĂȘver, c'est planer dans les apothĂ©oses, C'est comprendre; et les nids disent les mĂȘmes choses Que les tombeaux profonds. Les prĂȘtres vont criant: AnathĂšme ! anathĂšme ! Mais la nature dit de toutes parts: Je t'aime ! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie Ă©clore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'Ăąme n'a d'amour. J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmĂ©es; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumĂ©es, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fĂȘte immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits enfants.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre dâune pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu dâune foule Ă©trangĂšre, tout Ă fait Ă©trangĂšre Ă mes sentiments, je nâai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cĆur inâait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e mâa saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, câest le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cĆur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce nâest pas une illusion dâoptique. Je mâen amuse, ou plutĂŽt on sâamuse de moi comme dâune ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet dâaller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je mâoublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne lâai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes sâest Ă©vanoui ; lâenchantement qui, le matin, mâarrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je nâai trouvĂ© ici quâune femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si lâon peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ qui fait de jolis compliments ! » Cela nâest pas tout Ă fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; jâai beaucoup dâesprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finementâŠ. «Ni mentir, ajouterez-vous, car lâun ne va pas sans lâautre, entendez-vous ?⊠» Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup dâĂąme, on le voit dâabord Ă la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă charge ; il ne satisfait aucun des vĆux de son cĆur. Elle aspire Ă sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă vous, Charlotte ! Que de fois nâest-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !⊠Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si jâĂ©tais assis Ă vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; lâorage est passĂ© ; et moiâŠ. il faut que je rentre dans ma cageâŠ. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?⊠Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Jâai remarquĂ© souvent que quand deux amis pĂ©tersbourgeois se rencontrent quelque part, aprĂšs sâĂȘtre saluĂ©s, ils demandent en mĂȘme temps : Quoi de neuf ? il y a une tristesse particuliĂšre dans leurs voix, quelle quâait Ă©tĂ© lâintonation initiale de leur conversation. En effet, une dĂ©sespĂ©rance totale est liĂ©e Ă cette question Ă PĂ©tersbourg. Mais le plus agaçant câest que, trĂšs souvent, lâhomme qui la pose est tout Ă fait indiffĂ©rent, un PĂ©tersbourgeois de naissance, qui connaĂźt trĂšs bien la coutume, sait dâavance quâon ne lui rĂ©pondra rien, quâil nây a rien de nouveau, quâil a posĂ© cette question peut-ĂȘtre mille fois sans aucun succĂšs ; cependant, il la pose, et il a lâair de sây intĂ©resser, comme si les convenances lâobligeaient de participer lui aussi Ă la vie publique, dâavoir des intĂ©rĂȘts publics. Mais les intĂ©rĂȘts publics... Câest-Ă -dire nous ne nions pas que nous ayons des intĂ©rĂȘts publics ; nous tous aimons ardemment la patrie, nous aimons notre cher PĂ©tersbourg, nous aimons jouer si lâoccasion se prĂ©sente. En un mot il y a beaucoup dâintĂ©rĂȘts publics. Mais ce quâil y a surtout chez nous, ce sont les groupes. On sait que PĂ©tersbourg nâest que la rĂ©union dâun nombre considĂ©rable de petits groupes dont chacun a ses statuts, ses conventions, ses lois, sa logique et son oracle. Câest en quelque sorte le produit de notre caractĂšre national qui a encore peur de la vie publique et tient plutĂŽt au foyer. En outre, la vie publique exige un certain art ; il faut sây prĂ©parer ; il faut beaucoup de conditions. Aussi, lâon prĂ©fĂšre la maison. LĂ , tout est plus simple ; il ne faut aucun art ; on est plus tranquille. Dans le groupe, on vous rĂ©pondra bravement Ă la question : Quoi de neuf ? La question reçoit tout de suite un sens particulier, et lâon vous rĂ©pond ou par un potin, ou par un bĂąillement, ou par quelque chose qui vous force vous-mĂȘme Ă bĂąiller cyniquement, magistralement. Dans le groupe, on peut traĂźner de la façon la meilleure et la plus douce une vie utile entre le bĂąillement et le ragot, jusquâau moment oĂč la grippe, ou bien la fiĂšvre chaude, visite votre demeure ; et vous quittez alors la vie stoĂŻquement, avec indiffĂ©rence, sans savoir comment et pourquoi tout cela Ă©tait avec vous jusquâalors. Aujourdâhui, dans lâobscuritĂ©, au crĂ©puscule, aprĂšs une triste journĂ©e, plein dâĂ©tonnement que tout se soit arrangĂ© ainsi, il semble quâon ait vĂ©cu, quâon ait atteint quelque chose, et tout Ă coup, on ne sait pas pourquoi, il faut quitter ce monde agrĂ©able et sans soucis pour Ă©migrer dans un monde meilleur. Dans certains groupes, dâailleurs, on parle fortement de la cause. Quelques personnes instruites et bien intentionnĂ©es se rĂ©unissent. On bannit sĂ©vĂšrement tous les plaisirs innocents, comme les potins et la prĂ©fĂ©rence, et, avec un entrain incomprĂ©hensible, on parle de diffĂ©rents sujets trĂšs importants. Enfin, aprĂšs avoir bavardĂ©, parlĂ©, rĂ©solu quelques questions dâutilitĂ© gĂ©nĂ©rale, et aprĂšs avoir rĂ©ussi Ă imposer aux uns et aux autres une opinion sur toutes choses, le groupe est saisi dâune irritation quelconque et commence Ă sâaffaiblir considĂ©rablement. Finalement, tous se fĂąchent les uns contre les autres. On se dit quelques dures vĂ©ritĂ©s. Quelques caractĂšres tranchants se font jour et tout se termine par la dislocation totale. Ensuite on se calme ; on fait provision de bon sens et, peu Ă peu, lâon se rĂ©unit de nouveau dans le groupe dĂ©crit ci-dessus. Sans doute il est agrĂ©able de vivre ainsi. Mais Ă la longue cela devient irritant ; cela irrite fortement.
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Fyodor Dostoevsky
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Te voilĂ bien fier, hein ? Oui, je sers un fou, Mais toi, qui sers-tu ? La vertu ? je vais te dire ce que j'en pense. Je suis nĂ© esclave. Alors, l'air de la vertu, honnĂȘte homme, je l'ai d'abord dansĂ© sous le fouet. CaĂŻus, lui, ne m'a pas fait de discours. Il m'a affranchi et pris dans son palais. C'est ainsi que j'ai pu vous regarder, vous les vertueux. Et j'ai vit que vous aviez sale mine et pauvre odeur, l'odeur fade de ceux qui n'ont jamais rien souffert ni risquĂ©. J'ai vu les dra-pĂ©s nobles, mais l'usure au coeur, le visage avare, la main fuyante. Vous, des juges ? Vous qui tenez boutique de vertu, qui rĂȘvez de sĂ©curitĂ© comme la jeune fille rĂȘve d'amour, quiallez pourtant mourir dans l'effroi sans mĂȘme savoir que vous avez menti toute votre vie, vous vous mĂȘleriez de juger celui qui a souffert sans compter, et qui saigne tous les jours de mille nouvelles blessures ? Vous me frapperez avant, sois-en sĂ»r ! MĂ©prise l'esclave, Cherea ! Il est au-dessus de ta vertu puisqu'il peut encore aimer ce maĂźtre mi-sĂ©rable qu'il dĂ©fendra contre vos nobles mensonges, vos bouches parjures...
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Albert Camus (Caligula)
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N'ayant jamais porté d'arme (et je ne le ferai jamais), mes mots sont pour moi l'unique moyen de me protéger contre les interactions sociales douteuses.
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Jérémy Marie (Mon tour du monde en 1980 jours)
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C'est drÎle de constater que les gens en qui nous avons le plus confiance, ceux qui nous entourent, ne sont pas nécessairement ceux dont on a besoin. On peut passer des jours, voire des années avec ces personnes et ne rien recevoir en retour. Par contre, dans les instants les plus inattendus, un parfait inconnu peut nous accorder quelques minutes et nous dire quelques paroles qui ont le pouvoir de nous donner des ailes. En fin de compte, ces brÚves minutes valent plus que tout le temps passé avec notre entourage. En fin de compte, ces minutes allument un feu brûlant au fond de nous. Ce feu brûlant, c'est l'espoir et avec l'espoir, tout est possible.
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Emmie Wesline (Objectif Vancouver)
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Les travaux scientifiques ont montrĂ© qu'un adulte d'1 mĂštre soixante dix pesant 70 kilos possĂšde environ 15 kg de rĂ©serve de graisses, de quoi tenir, sâil est en bon santĂ©, une quarantaine de jours sans manger. Ce mĂ©canisme Ă©tant naturel, il est Ă©vident que le corps rencontre plus de problĂšmes lorsqu'il ne jeĂ»ne pas car la situation d'aujourd'hui, des repas rĂ©guliers et un frigo rempli, nâest pas naturel pour lâorganisme⊠Notre patrimoine gĂ©nĂ©tique est moins adaptĂ© Ă cette situation qu'au jeĂ»ne. Notre organisme est mieux Ă©quipĂ© pour supporter la carence que l'excĂšs. Le jeĂ»ne semblerait donc rĂ©activer des rĂ©flexes ataviques ancrĂ©s dans la mĂ©moire du corps. RĂ©duire lâalimentation des animaux leur permet de vivre plus longtemps et en meilleure santĂ©. Le jeĂ»ne protĂšge contre toutes sortes de toxines dont la chimiothĂ©rapie, il augmente le taux de sĂ©rotonine, lâhormone du bonheur ! Donc, une meilleure humeur chez la majoritĂ© des patients qui pratique cette mĂ©thode aux innombrables bĂ©nĂ©fices et on voit aussi une rĂ©duction de la douleur.
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Frédéric Deltour (SANTE, BIEN-ETRE ET REUSSITE... LES 7 ETAPES INDISPENSABLES: Guide Pratique pour le Corps et l'Esprit, Forme et Détente, SuccÚs et Motivation, Alimentation ... Psychologie. t. 1) (French Edition))
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Les politiciens seraient des carriĂ©ristes, des parasites, des profiteurs dĂ©connectĂ©s des rĂ©alitĂ©s, ils chercheraient Ă sâen mettre plein les poches, nâauraient aucune notion de la vie des gens ordinaires, feraient mieux de ficher le camp : ces accusations, on commence Ă bien les connaĂźtre. Les populistes les utilisent chaque jour.
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David Van Reybrouck (Contre les Ă©lections)
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La fonction muhammadienne comporte le privilĂšge de lâintercession universelle, qui sera manifestĂ©e dans sa plĂ©nitude le Jour de la RĂ©surrection. Selon lâenseignement traditionnel, la totalitĂ© de lâintercession reviendra en ce jour au ProphĂšte, mais il ne sera pas le seul qui intercĂšdera ; dâautres le feront avec sa permission, notamment les prophĂštes fondateurs des formes traditionnelles qui ont prĂ©cĂ©dĂ© lâislĂąm. Leurs communautĂ©s ne connaissent la lumiĂšre muhammadienne que par leur intermĂ©diaire, et câest eux qui intercĂ©deront tout dâabord pour elles. De mĂȘme, les saints musulmans peuvent intercĂ©der dans la mesure oĂč ils ont rĂ©alisĂ© initiatiquement le modĂšle prophĂ©tique, car leur fonction propre implique une participation Ă celle de lâEnvoyĂ© dâAllĂąh. Condamner cet aspect du tasawwuf, câest sâopposer Ă la sagesse divine sur une question essentielle. Il ne faut pas oublier que lâintercession universelle du ProphĂšte est une manifestation du Califat suprĂȘme qui fonde les privilĂšges cycliques de lâislĂąm (35). Ceux qui sâacharnent contre le « culte des saints » feraient bien dây rĂ©flĂ©chir, car leur souci de prĂ©server la puretĂ© du tawhĂźd sâaccompagne dâune ignorance prĂ©judiciable Ă lâexcellence et Ă lâintĂ©gritĂ© islamiques quâils sont censĂ©s dĂ©fendre.
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Charles-André Gilis (L'intégrité islamique : Ni intégrisme ni intégration)
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Souvenons-nous de ce temps, pas rĂ©volu, oĂč toute explosion de violence Ă©tait considĂ©rĂ©e comme une contre-violence, une rĂ©ponse Ă la violence exercĂ©e plus ou moins ouvertement par lâĂtat, par la sociĂ©tĂ©, les institutions, lâordre Ă©tabli. La folie des soeurs Papin, toute folie peut-ĂȘtre, serait-elle la forme extrĂȘme et dĂ©sespĂ©rĂ©e de la rĂ©volte?
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Jean-Bertrand Pontalis (Un jour, le crime)
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L'homosexuel qui parle de sa vie « privĂ©e » rompt la situation « normale » puisque celle-ci est dĂ©finie comme telle par le fait que, « normalement », comme dit le langage de tous les jours, l'homosexualitĂ© n'est pas dicible ou, ce qui n'est pas trĂšs diffĂ©rent, n'est pas souvent dite. Toute parole qui consiste Ă dire l'homosexualitĂ© ne peut dĂšs lors ĂȘtre entendue que comme une volontĂ© de l'affirmer, de l'afficher, comme un geste de provocation ou un acte militant. La sortie de la honte est toujours perçue comme la proclamation de la fiertĂ© (ce qu'inĂ©vitablement elle est toujours, puisque celui qui Ă©nonce l'homosexualitĂ© et le fait ainsi entrer dans le discours autrement que comme un objet de plaisanterie ou comme un objet tout court, mais comme la prise de parole d'un sujet, a bien conscience que ce qu'il va dire sera entendu de cette maniĂšre). On ne peut jamais dire simplement qu'on est homosexuel : on l'affirme toujours envers et contre tout, envers et contre tous, et non seulement contre ceux qui voudraient empĂȘcher qu'on puisse le dire, mais aussi contre ceux qui objectent qu'il n'est pas besoin de le dire. C'est pourquoi il y a toujours une certaine thĂ©ĂątralitĂ© propre Ă l'affirmation homosexuelle. Ce n'est donc pas en vertu du fait que, comme l'Ă©crit Sartre, « puisque nous ne faisons que jouer ce que nous sommes, nous sommes tout ce que nous pouvons jouer ». C'est au contraire parce qu'un homosexuel doit si longtemps jouer ce qu'il n'est pas qu'il ne peut ensuite ĂȘtre ce qu'il est qu'en le jouant. C'est vrai. Mais il ne peut en ĂȘtre autrement.
On l'a vu : il y a une énergie qui sourd de la honte, qui se forme en elle et par elle et qui agit comme une force transformatrice. Cette énergie s'exprime dans l'identité théùtralisée, dans la performance (au sens anglais), dans l'exhibitionnisme, l'extravagance ou la parodie. L'exhibitionnisme et la théùtralité sont sans doute, et ont été historiquement, parmi les gestes les plus importants qui ont permis de défier l'hégémonie hétéronormative. Et c'est d'ailleurs pourquoi ils ont toujours fait l'objet d'attaques si virulentes. La honte donne son énergie à l'exhibitionnisme, à l'affirmation de soi comme théùtralité, c'est-à -dire à l'affirmation de soi tout court. (p. 163-164)
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Didier Eribon (Insult and the Making of the Gay Self (Series Q))
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Je suis donc descendu à la cave pour mieux le haïr. Je pensais: ce ne sera pas difficile. Il y a une technique éprouvée dont toutes les armées du monde, tous les gouvernements de l'histoire se sont servis pour provoquer la haine. Cette technique, la voici: à coup de propagande, de discours, de films, on crée une image de l'ennemi, dans lequel on voit une incarnation du mal, le symbole de toute souffrance humaine, la cause et l'origine de toute injustice, de toute cruauté, depuis le premier jour de la création de l'univers. Elle est infaillible, cette technique, me répétai-je. Je m'en servirai contre ma victime.
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Elie Wiesel (Dawn)
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Une des difficultés de la lutte politique aujourd'hui, c'est que les dominants, technocrates ou épistémocrates de droite ou de gauche, ont partie liée avec la raison et l'universel : on se dirige vers des univers dans lesquels il faudra de plus en plus de justifications techniques, rationnelles, pour dominer et dans lesquels les dominés, eux aussi, pourront et devront de plus en plus se servir de la raison pour se défendre contre la domination, puisque les dominants devront de plus en plus invoquer la raison, et la science, pour exercer leur domination. Ce qui fait que les progrÚs de la raison iront sans doute de pair avec le développement de formes hautement rationalisées de domination [...], et que la sociologie, seule en mesure de porter au jour ces mécanismes, devra plus que jamais choisir entre le parti de mettre ses instruments rationnels de connaissance au service d'une domination toujours plus rationnelle ou d'analyser rationnellement la domination et tout spécialement la contribution que la connaissance rationnelle peut apporter à la domination.
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Pierre Bourdieu
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Me voici donc prĂȘt Ă me libĂ©rer de mes anciens attachements pour pouvoir me consacrer pleinement Ă la recherche du bien suprĂȘme.
Un doute pourtant me retient⊠Ce choix nâest-il pas dangereux ? Les plaisirs, les richesses et les honneurs ne sont certes pas des biens suprĂȘmes, mais au moins, ils existent⊠Ce sont des biens certains. Alors que ce bien suprĂȘme qui est censĂ© me combler en permanence de joie nâest pour lâinstant quâune supposition de mon esprit⊠Ne suis-je pas en train de mâengager dans une voie pĂ©rilleuse ?
Non : Ă la rĂ©flexion je vois bien que je ne cours aucun risque en changeant de vie : câest au contraire en continuant Ă vivre comme avant que je courrais le plus grand danger. Car lâattachement aux biens relatifs est un mal certain puisque aucun dâeux ne peut mâapporter le bonheur !!! Au contraire, la recherche des moyens du bonheur est un bien certain : elle seule peut mâoffrir la possibilitĂ© dâĂȘtre un jour rĂ©ellement heureux, ou au moins plus heureuxâŠ
Le simple fait de comprendre cela me dĂ©termine Ă prendre dĂ©finitivement et fermement la rĂ©solution de me dĂ©tacher immĂ©diatement de la recherche des plaisirs, des richesses et des honneurs, pour me consacrer en prioritĂ© Ă la crĂ©ation de mon bonheur, câest-Ă -dire Ă la culture des joies les plus solides et les plus durables, par la recherche des biens vĂ©ritables.
Au moment mĂȘme oĂč cette pensĂ©e jaillit, je sens apparaĂźtre en moi un immense sentiment dâenthousiasme, une sorte de libĂ©ration de mon esprit. JâĂ©prouve un incroyable soulagement, comme si jâavais attendu ce moment toute ma vie. Une joie toute nouvelle vient de se lever en moi, une joie que je nâavais jamais ressentie auparavant : la joie de la libertĂ© que je viens dâacquĂ©rir en dĂ©cidant de ne vivre dĂ©sormais que pour crĂ©er mon bonheur.
Jâai lâimpression dâavoir Ă©chappĂ© Ă immense danger⊠Comme si je me trouvais Ă prĂ©sent en sĂ©curitĂ© sur le chemin du salut⊠Car mĂȘme si je ne suis pas encore sauvĂ©, mĂȘme si je ne sais pas encore en quoi consistent exactement ces biens absolus, ni mĂȘme sâil existe rĂ©ellement un bien suprĂȘme, je me sens dĂ©jĂ sauvĂ© dâune vie insensĂ©e, privĂ©e dâenthousiasme et vouĂ©e Ă une Ă©ternelle insatisfactionâŠ
Jâai un peu lâimpression dâĂȘtre comme ces malades qui sont proches dâune mort certaine sâils ne trouvent pas un remĂšde, nâayant pas dâautre choix que de rassembler leurs forces pour chercher ce remĂšde sauveur. Comme eux je ne suis certes pas certain de le dĂ©couvrir, mais comme eux, je ne peux pas faire autrement que de placer toute mon espĂ©rance dans sa quĂȘte. Je lâai maintenant compris avec une totale clartĂ©, les plaisirs, les richesses et lâopinion dâautrui sont inutiles et mĂȘme le plus souvent nĂ©fastes pour ĂȘtre dans le bonheur.
Mieux : je sais Ă prĂ©sent que mon dĂ©tachement Ă leur Ă©gard est ce quâil y a de plus nĂ©cessaire dans ma vie, si je veux pouvoir vivre un jour dans la joie. Du reste, que de maux ces attachements nâont-ils pas engendrĂ© sur la Terre, depuis lâorigine de lâhumanitĂ© !
Nâest-ce pas toujours le dĂ©sir de les possĂ©der qui a dressĂ© les hommes les uns contre les autres, engendrant la violence, la misĂšre et mĂȘme parfois la mort des hommes qui les recherchaient, comme en tĂ©moigne chaque jour encore le triste spectacle de lâhumanitĂ© ? Nâest-ce pas lâimpuissance Ă se dĂ©tacher de ces faux biens qui explique le malheur qui rĂšgne presque partout sur le Terre ?
Au contraire, chacun peut voir que les sociĂ©tĂ©s et les familles vraiment heureuses sont formĂ©es dâĂȘtres forts, paisibles et doux qui passent leur vie Ă construire leur joie et celle des autres sans accorder beaucoup dâimportance ni aux plaisirs, ni aux richesses, ni aux honneursâŠ
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Bruno Giuliani
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Radicalement antilaĂŻque et pro-islamiste, le mouvement des IndigĂšnes de la RĂ©publique est nĂ© en rĂ©action Ă la loi sur les signes religieux. Il considĂšre que la France doit « interroger ses lumiĂšres » et lutte, selon ses mots, « contre toutes les formes de domination impĂ©riale, coloniale et sioniste qui fondent la suprĂ©matie blanche Ă lâĂ©chelle internationale »*25. Ses militants dĂ©filent rĂ©guliĂšrement sous des portraits de Cheikh Yassine, soutiennent ouvertement le Hamas et « totalement la rĂ©sistance palestinienne ». Un credo rĂ©affirmĂ© pendant lâIntifada des couteaux. Ils ont aussi tweetĂ© une Ă©trange photo prise Ă Molenbeek le 19 mars 2016. Elle montre un jeune homme dĂ©fiant dâun air menaçant un cordon de policiers⊠lequel tente alors de sĂ©curiser lâarrestation de Salah Abdeslam, lâun des terroristes du 13 novembre. En dessous de la photo du jour, en soutien Ă ce jeune homme menaçant, le Parti des IndigĂšnes de la RĂ©publique a Ă©crit : #Resistance. Le 8 juin de la mĂȘme annĂ©e, aprĂšs un attentat Ă Tel-Aviv, Aya Ramadan, une autre militante du PIR, a rendu hommage Ă deux terroristes palestiniens ayant fait quatre morts et cinq blessĂ©s en ouvrant le feu sur la terrasse bondĂ©e dâun cafĂ© de Tel-Aviv : « DignitĂ© et fiertĂ©Â ! Bravo aux deux Palestiniens qui ont menĂ© lâopĂ©ration de rĂ©sistance Ă Tel-Aviv. » Un tweet signalĂ© pour « apologie du terrorisme » par la DILCRA, la DĂ©lĂ©gation interministĂ©rielle Ă la lutte contre le racisme et lâantisĂ©mitisme. Les « nouveaux antiracistes » sont surtout⊠les nouveaux racistes.
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Caroline Fourest (Le Génie de la laïcité)
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De nos jours, rien n'est plus mensonger que cette étiquette « pro-vie » dont s'affublent les militants anti-avortement : un grand nombre d'entre eux sont aussi favorables à la peine de mort ou, aux Etats-Unis, à la libre circulation des armes (plus de quinze mille morts en 2017), et on ne les voit pas militer avec autant d'ardeur contre les guerres, ni contre la pollution, dont on estime qu'elle a été responsable d'une mort sur six survenues dans le monde en 2015. La « vie » ne les passionne que lorsqu'il s'agit de pourrir celle des femmes.
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Mona Chollet (In Defense of Witches: The Legacy of the Witch Hunts and Why Women Are Still on Trial)
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« Personne parmi ceux qui sont venu aprÚs les compagnons [du ProphÚte] n'ont pu atteindre leur niveau (aux compagnons). Ceci est du au fait que la plupart des sciences que nous cherchons et sur lesquelles nous nous focalisons jour et nuit, telles la linguistique, la grammaire, la morphologie et les fondements de la jurisprudence, étaient innés chez eux. Leur haute disposition intellectuelle ainsi que la lumiÚre de la prophétie qui les irradiait (à travers le ProphÚte) les protégeait de l'erreur et des divagations. Ils n'avaient donc pas besoin d'utiliser la logique ou d'autres sciences rationnelles.
Lorsqu'AllĂąh a unit leur cĆur et grĂące Ă Sa bontĂ©, Il a suscitĂ© la fraternitĂ© entre eux, et ils ne leur Ă©tait pas nĂ©cessaire de se prĂ©parer aux dĂ©bats et Ă l'argumentation. GrĂące Ă leur science, ils n'avaient pas besoin de sauvegarder ce qu'ils entendaient du Qur°ùn et de la Sunnah par le biais du ProphĂšte. Ils comprenaient rapportaient et appliquaient ce qu'ils entendaient du ProphĂšte de la meilleur des maniĂšres. Aucun des compagnons ne dĂ©battait ni ne polĂ©miquait Ă propos du Qur°ùn car il n'y avait pas d'Ă©garement ni d'innovations.
AprÚs cette époque les Suivants (at tùbi'ûn) étaient proche d'eux si l'on se réfÚre à leur rang [auprÚs d'Allùh] et à leur méthodologie. AprÚs les Suivants vinrent leurs disciples directs. Le ProphÚte a témoigné des vertus de ces trois générations.
Par la suite les Gens de l'Innovation et de l'Egarement qui étaient peu nombreux à l'époque des trois premiÚres générations virent leur nombre augmenter. Ainsi, afin de défendre l'Islùm, les savants parmi les Ahl Us Sunnah, durent se confronter à eux et débattre de peur que les faibles d'esprit s'égarent, et qu'on voit s'ajouter des choses qui sont étrangÚres à la religion.
Les arguments des Gens de l'Innovation Ă©taient de plus en plus influencĂ©s par les travaux des logiciens et d'autres Gens de l'HĂ©rĂ©sie qui par la suite prirent l'habitude de crĂ©er beaucoup de doutes pour les utiliser contre nous (les Ahl Us Sunnah). Si nous les avions laissĂ© faire ils auraient convaincu de nombreuses personnes faibles et ignorantes parmi les Musulmans ainsi que les juristes et les savants nĂ©gligents ; la croyance saine aurait Ă©tĂ© alors altĂ©rĂ©e et des Ă©garements auraient Ă©tĂ© introduits. Des innovations blĂąmables et des hĂ©rĂ©sies se seraient alors rĂ©pandues. Il n'Ă©tait pas possible pour un simple individu de leur rĂ©pliquer et il y avait des risques que leur mots ne soient pas compris par tous, car les gens ne s'y intĂ©ressaient pas eux-mĂȘmes.
Le point de vue des innovateurs peut ĂȘtre uniquement rĂ©futĂ© par quelqu'un qui les comprends. Tant que l'innovateur n'est pas rĂ©futĂ©, sa croyance devient dominante : les ignorants, les rois, les dirigeants, et ceux en charge de la population se mettent Ă croire alors que les paroles prononcĂ©es par l'innovateur sont vĂ©ridiques. C'est ce qui s'est justement passĂ© dans plusieurs contrĂ©es dans lesquelles les gens avaient moins d'aspirations [aux sciences religieuses] si on les compare aux gens des gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes. A cause de cela, il Ă©tait devenu obligatoire pour les gens par le biais desquels AllĂąh Ă prĂ©servĂ© la croyance de Ses croyants vertueux de repousser les doutes Ă©mis par les hĂ©rĂ©tiques. En effet la rĂ©compense octroyĂ©e est de loin plus grande que la rĂ©compense accordĂ©e Ă un soldat combattant dans le sentier d'AllĂąh. »
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Le gouvernement (chinois, 1) a toujours manifestĂ©, au sujet de l'islamisme, une opinion plus ou moins favorable, et l'on peut citer de nombreux dĂ©crets, publiĂ©s Ă diverses Ă©poques, pour rappeler aux populations que la doctrine de Mahomet n'a pas d'autre but que d'enseigner la pratique du bien, ainsi que l'observation des obligations naturelles et des devoirs sociaux, et que si elle prĂ©sente quelques diffĂ©rences avec les autres doctrines, il fallait considĂ©rer ces diffĂ©rences comme de simples questions de pays et de mĆurs parfaitement comprises par son fondateur.
« Les mahométans », disait l'empereur Yong-Tching, infligeant en 1732 un blùme sévÚre au grand juge du Ngan-Hoey, qui lui avait adressé contre la religion musulmane un rapport malveillant et mensonger, « sont devenus enfants du pays, et appartiennent, comme tous les autres, à la grande famille chinoise. J'entends qu'on les laisse libres de professer leur religion, et qu'ils soient traités comme mes autres sujets, pourvu qu'ils respectent les lois de l'empire. La religion est une affaire de conscience que nul n'a le droit de scruter. »
(1) Sous la dynastie des Ming, en l'an 1384, l'empereur Tai-Tsou fit lui-mĂȘme l'Ă©loge de Mahomet en cent caractĂšres gravĂ©s sur une tablette qu'il donna Ă un de ses ministres mahomĂ©tans. Cette inscription Ă©tait ainsi conçue : « Les livres arabes expliquent la crĂ©ation de l'univers. Le fondateur et le propagateur de la religion musulmane est un grand saint, nĂ© en Occident, il a reçu du ciel 30 volumes d'un livre sacrĂ© qui lui a servi Ă Ă©clairer le monde entier. C'Ă©tait un grand roi et un grand maĂźtre, c'est le premier des saints ; il coopĂšre aux mouvements du ciel, il protĂšge les royaumes et les peuples, il a prescrit des priĂšres orales qui doivent ĂȘtre rĂ©citĂ©es cinq fois par jour ; il a ordonnĂ© Ă©galement la priĂšre mentale. La base de sa doctrine est l'adoration du vrai Seigneur. Elle augmente le courage du pauvre, console les malheureux, pĂ©nĂštre le cachĂ© et l'obscur, sauve les vivants et dĂ©livre les morts. Cette doctrine, conforme Ă celle de l'antiquitĂ© et du prĂ©sent, repousse et combat les superstitions. C'est la doctrine pure. Mahomet est rĂ©ellement un grand saint. »
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Philibert Dabry de Thiersant
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Le plus passionnant, ce sont les six volumes suivants de l'Histoire des origines du christianisme, oĂč est racontĂ©e en dĂ©tail cette histoire beaucoup moins connue : comment une petite secte juive, fondĂ©e par des pĂȘcheurs illettrĂ©s, soudĂ©e par une croyance saugrenue sur laquelle aucune personne raisonnable n'aurait misĂ© un sesterce, a en moins de trois siĂšcles dĂ©vorĂ© de l'intĂ©rieur l'Empire romain et, contre toute vraisemblance, perdurĂ© jusqu'Ă nos jours. Et ce qui est passionnant, ce n'est pas seulement l'histoire en soi extraordinaire que Renan raconte, mais l'extraordinaire honnĂȘtetĂ© avec laquelle il la raconte, je veux dire sa façon d'expliquer au lecteur comment il fait sa cuisine d'historien : de quelles sources il dispose, comment il les exploite et en vertu de quels prĂ©supposĂ©s. J'ai sa façon d'Ă©crire l'histoire, non pas ad probandum, comme il dit, mais ad narrandum : pas pour prouver quelque chose, mais simplement pour raconte ce qui s'est passĂ©. J'aime sa bonne foi tĂȘtue, le scrupule qu'il met Ă distinguer le certain du probable, le probable du possible, le possible du douteux, et le calme avec lequel il rĂ©pond aux plus violents de ses critiques : " Quant aux personnes qui ont besoin, dans l'intĂ©rĂȘt de leur croyance, que je sois un ignorant, un esprit faux ou un homme de mauvaise foi, je n'ai pas la prĂ©tention de modifier leur opinion. Si ell est nĂ©cessaire Ă leur repos, je m'en voudrais de les dĂ©sabuser." (p. 176-177)
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Emmanuel CarrĂšre (Le Royaume)
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Le premier point Ă prendre en compte est le fait que la production globale actuelle est quantitativement suffisante pour assurer l'alimentation de l'ensemble de la population mondiale. La disponibilitĂ© alimentaire mondiale est de 2 790 calories par jour et par personne (donnĂ©es de 2001-2003), ce qui pourrait ĂȘtre suffisant. La sous-alimentation qui affecte aujourd'hui un milliard d'individus pourrait ĂȘtre Ă©radiquĂ©e par ure rĂ©organisation de la production, notamment avec une rĂ©orientation vers la multiplicitĂ© des cultures vivriĂšres et par un rĂ©Ă©quilibrage du stock calorique, fort mal distribuĂ© (3 490 calories par jour et par personne dans les pays dĂ©veloppĂ©s, contre 2 254 en Afrique subsaharienne). Quant Ă la malnutrition (carences en vitamines et minĂ©raux) et Ă son envers, l'obĂ©sitĂ© et le surpoids (provoquĂ©s essentiellement par la diffusion des habitudes alimentaires promues par le secteur agroalimentaire et la grande distribution), qui affectent chacune un milliard d'individus, ils pourraient ĂȘtre rĂ©sorbĂ©s, sans augmentation quantitative globale, par une rĂ©orientation vers une agriculture paysanne dĂ©veloppant des pratiques agro-Ă©cologiques. Si l'agriculture industrielle actuelle fait valoir de maniĂšre tronquĂ©e sa supĂ©rioritĂ©, notamment en termes de productivitĂ© par hectare, une Ă©valuation plus globale, incluant l'ensemble des coĂ»ts directs et indirects (notamment Ă©cologiques), invite Ă faire pencher la balance de l'efficacitĂ© du cĂŽtĂ© de l'agriculture paysanne. De fait, l'agriculture industrialisĂ©e est entraĂźnĂ©e dans un cercle vicieux, marquĂ© notamment par l'Ă©puisement et la salinisation des sols, la multiplication des insectes rĂ©sistant aux pesticides, la hausse des pathologies du bĂ©tail ; en outre, elle provoque une baisse du pouvoir nutritif des produits, notamment des fruits et lĂ©gumes Ă croissance rapide. Enfin, il faut indiquer que les surfaces agricoles consacrĂ©es Ă des cultures non alimentaires (agrocarburants notamment) doivent ĂȘtre restituĂ©es Ă leur vocation initiale, ce qui offre une marge de manĆuvre importante pour assurer Ă l'ensemble de l'humanitĂ© une alimentation quantitativement et qualitativement satisfaisante. On dispose Ă©galement de deux leviers importants pour atteindre et maintenir cet impĂ©ratif Ă©lĂ©mentaire : d'une part, une limitation de l'Ă©levage, particuliĂšrement glouton en Ă©nergie et en surfaces (40 % des grains actuellement produits sont destinĂ©s Ă l'alimentation animale) et Ă©cologiquement dangereux (importantes Ă©missions de gaz Ă effet de serre) ; d'autre part, une Ă©limination du gĂąchis alimentaire (Ă©valuĂ© Ă 30 % au moins dans le systĂšme alimentaire industriel mondial, et Ă 100 milliards de dollars par an uniquement aux Ătats-Unis). (p. 190-192)
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JĂ©rĂŽme Baschet (AdiĂłs al Capitalismo: AutonomĂa, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
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Mais dans quelque ville que vous soyez entrĂ©s et qu'on ne vous reçoive pas, sortez dans ses rues et dites: La poussiĂšre mĂȘme de votre ville, qui s'est attachĂ©e Ă nos pieds, nous la secouons contre vous; mais sachez ceci, que le royaume de Dieu s'est approchĂ©. Je vous dis que le sort de Sodome sera plus supportable en ce jour-lĂ que celui de cette ville-lĂ .
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Anonymous
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En attendant, il lui faut lutter contre la mandarine, avec les armes que la nature a bien voulu lui donner : son courage, sa force, sa détermination, son intelligence aussi. Sa famille, ses enfants, ses amis. Et puis les médecins, les infirmiÚres, les oncologues, les radiologues, les pharmaciens, qui se battent, chaque jour, pour elle, à ses cÎtés. Il lui semble soudain qu'elle est au début d'une épopée pharaonique, qu'une formidable énergie est déployée autour d'elle. [...] Elle se dit alors que l'univers travaille de concert à sa guérison. Elle songe à cette phrase du Talmud : "Celui qui sauve une vie sauve le monde entier." Aujourd'hui, le monde entier la sauve, et Sarah voudrait lui dire merci.
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Colombani Laetitia
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Un moment a vaincu mon audace imprudente :
Cette ùme si superbe est enfin dépendante.
Depuis prÚs de six mois, honteux, désespéré,
Portant partout le trait dont je suis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je mâĂ©prouve :
Présente je vous fuis, absente je vous trouve ;
Dans le fond des forĂȘts votre image me suit ;
La lumiĂšre du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace Ă mes yeux les charmes que jâĂ©vite,
Tout vous livre Ă lâenvi le rebelle Hippolyte.
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Jean Racine (PhĂšdre)
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La lutte libĂ©rale contre la Restauration et lâouverture faite aux hommes de lettres dans la pĂ©riode orlĂ©aniste avaient favorisĂ©, sinon une politisation de la vie intellectuelle, du moins une sorte dâindiffĂ©renciation de la littĂ©rature et de la politique, comme en tĂ©moigne la floraison des politiciens littĂ©rateurs et des littĂ©rateurs politiciens, Guizot, Thiers, Michelet, Thierry, Villemain, Cousin, Jouffroy ou Nisard. La rĂ©volution de 1848, qui déçoit ou inquiĂšte les libĂ©raux, et surtout le second Empire renvoient la plupart des Ă©crivains dans une sorte de quiĂ©tisme politique, insĂ©parable dâun repliement hautain vers lâart pour lâart, dĂ©fini contre lâ« art social ». On se rappelle Baudelaire fulminant contre les socialistes : « Crosse religieusement les omoplates de lâanarchiste21 ! » Ou Leconte de Lisle faisant la leçon Ă Louis MĂ©nard restĂ© fidĂšle Ă ses idĂ©aux politiques : « Vas-tu passer ta vie Ă rendre un culte Ă Blanqui qui nâest ni plus ni moins quâune sorte de hache rĂ©volutionnaire, hache utile en son lieu, je le veux bien, mais hache enfin ! Va ! Le jour oĂč tu auras fait une belle Ćuvre, tu auras plus prouvĂ© ton amour de la justice et du droit quâen Ă©crivant vingt volumes dâĂ©conomie22. » Mais lâexpression la plus typique de ce dĂ©senchantement se trouve chez Flaubert, Taine ou Renan qui, rĂ©fugiĂ©s dans leur Ćuvre, gardent le silence sur les Ă©vĂ©nements politiques.
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Pierre Bourdieu (Les RÚgles de l'art. GenÚse et structure du champ littéraire (LIBRE EXAMEN) (French Edition))
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Ces baisers qui restent dans votre tĂȘte pendant des heures, des jours. Qui font que vous vous touchiez les lĂšvres sans mĂȘme vous en rendre compte et que vous frissonniez en vous souvenant de cette bouche contre la vĂŽtre
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Elle Kennedy (The Chase (Briar U, #1))
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Ce qu'elle prend pour de vraies pensĂ©es lui vient quand elle est seule ou en promenant l'enfant. Les vraies pensĂ©es ne sont pas pour elle des rĂ©flexions sur les façons de parler et de s'habiller des gens, la hauteur des trottoirs pour la poussette, l'interdiction des Paravents de Jean Genet et la guerre au Vietnam, mais des questions sur elle-mĂȘme, l'ĂȘtre et l'avoir, l'existence. C'est l'approfondissement de sensations fugitives, impossibles Ă communiquer aux autres, tout ce que, si elle avait le temps d'Ă©crire - elle n'a mĂȘme plus celui de lire -, serait la matiĂšre de son livre. Dans son journal intime, qu'elle ouvre trĂšs rarement comme s'il constituait une menace contre la cellule familiale, qu'elle n'ait plus le droit Ă l'intĂ©rioritĂ©, elle a notĂ© : "Je n'ai plus d'idĂ©es du tout. Je n'essaie plus d'expliquer ma vie" et "je suis une petite-bourgeoise arrivĂ©e."
Elle a l'impression d'avoir dĂ©viĂ© de ses buts antĂ©rieurs, de n'ĂȘtre plus que dans une progression matĂ©rielle. "J'ai peur de m'installer dans cette vie calme et confortable, d'avoir vĂ©cu sans m'en rendre compte". Au moment mĂȘme oĂč elle fait ce constat, elle sait qu'elle n'est pas prĂȘte Ă renoncer Ă tout ce qui ne figure jamais dans ce journal intime, cette vie ensemble, cette intimitĂ© partagĂ©e dans un mĂȘme endroit, l'appartement qu'elle a hĂąte de retrouver les cours finis, le sommeil Ă deux, le grĂ©sillement du rasoir Ă©lectrique le matin, le conte des Trois petits cochons le soir, cette rĂ©pĂ©tition qu'elle croit dĂ©tester et qui l'attache, dont un Ă©loignement momentanĂ© de trois jours pour passer le Capes lui a fait sentir le manque - tout ce qui, quand elle en imagine la perte accidentelle, lui serre le coeur.
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Annie Ernaux (Les Années)
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Le jour de NoĂ«l, je passais par le jardin de lâIcĂŽne. Silence et sentiers blancs, sinueux, derriĂšre des arbres sombres⊠Devant moi, la longue façade blanche et pittoresque, de lâĂ©cole du centre.
Ă la fenĂȘtre du milieu, une petite fille, en robe sombre, la tĂȘte appuyĂ©e contre la vitre, regardait⊠VoilĂ une gamine privĂ©e dâenfanceâŠ
Je mâen allai, les yeux baissĂ©s, emportant avec moi cette scĂšne simple et sympathique. Il est Ă©tonnant de voir combien dâĂ©nergie on perd Ă la recherche dâun sujet dâĂ©criture. Câest surtout avec les peintres que je ne peux pas ĂȘtre dâaccord. Le beau, le naĂŻf, le sympathique : partout. Partout oĂč lâon tourne les regards, de lâombre, de la lumiĂšre, des formes vibrantes de charme⊠Grigorescu*, tout lâa Ă©mu. VoilĂ un poĂšte. Ă partir de ses toiles, dâune Ă©loquence surprenante, on peut reconstituer toute sa vie, notant exactement ce quâil a ressenti sur tous les sentiers et dans toutes les petites villes oĂč il sâest arrĂȘtĂ© pour quelques jours, pour quelques heures. Il y a une affinitĂ© si grande entre cette scĂšne et le maĂźtre quâelle commence Ă me paraĂźtre non pas telle que je lâai vue, mais telle quâil lâaurait saisie dans le cadre, douce, poĂ©tique, dans une lumiĂšre claire et tremblante.
(traduction de Dolores Toma
* il sâagit de Nicolae Grigorescu, le peintre)
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Barbu ÈtefÄnescu Delavrancea (Hagi-Tudose. Nuvele Ći schiĆŁe)
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Ă Ion Ghica, Jassy 2 janvier 1861,
Mon cher vieux,
Les chasse-neige et les dĂ©gels mâont retenu jusquâĂ ce jour dans cette maudite ville de Jassy qui depuis deux ans prend un caractĂšre de ville de province Ă faire crisper les sĂ©paratistes. Voici dĂ©jĂ deux mois que ma valise est faite et que jâattends un caprice favorable du baromĂštre pour me mettre en route, mais pendant que cet instrument fallacieux indique le beau fixe, il pleut, il neige, il vente, il gĂšle, il dĂ©gĂšle, bref il fait un temps ultra. Force mâa Ă©tĂ© donc de mâarmer de patience et de fourrure pour attendre un moment plus opportun, car la Galicie mâinspire des terreurs de 1793. Jâai profitĂ© de ce contretemps pour revoir le Prince, avec lequel jâai longuement parlĂ© de toi. Je ne rapporterai pas tout ce que le Prince mâa dit de flatteur sur ton compte, je crois devoir te faire part de son Ă©tonnement Ă la vue dâun certain rapprochement qui se serait produit derniĂšrement entre toi et les Bratiano et consorts. Un pareil accouplement est-il possible ? Je dĂ©clare que non, car si lâon a vu s'accoupler des carpes avec des lapins (la chose est encore en doute dans le monde la science) on n'a pas encore vu se produire ce phĂ©nomĂšne monstrueux entre des hommes sensĂ©s comme toi et des sauteurs burlesques comme les Berlikoko et Jean Bratiano. La politique serait-elle donc une entremetteuse aussi adroite ?
Jâai appris aussi que notre ami Balaciano serait montĂ© actuellement au plus haut degrĂ© de lâĂ©chelle de la colĂšre au sujet de la question hongroise. Voudrait-il par hasard que le Prince se rendĂźt solidaire des mouvements magyars au dĂ©triment probable des intĂ©rĂȘts roumains de la Transylvaine ? Le Prince nâest pas le geĂŽlier de lâAutriche et certainement son gouvernement ne commettra jamais lâinfamie de rendre les Ă©migrĂ©s hongrois aux autoritĂ©s autrichiennes. Mais est-ce Ă dire pour cela quâil jette son va-tout en lâair, au risque de compromettre la situation politique du pays ? Quoiquâil en soit Balaciano peut compter que rien ne sera entrepris contre l'honneur et les vĂ©ritables intĂ©rĂȘts des PrincipautĂ©s. Il rĂ©pondra Ă cela des choses spirituelles, tant mieux pour lui, plus il Ă©vacuera de lâesprit, et plus il sera soulagĂ© !
Jâai envoyĂ©, comme tu sais, plusieurs piĂšces de thĂ©Ăątre Ă Millo. Quâen a-t-il fait ? A-t-il l'intention de les monter ? Fais-moi le plaisir de lui demander de me rĂ©pondre de suite pour que ta lettre me trouve encore Ă Jassy. Envoie-moi aussi par la premiĂšre occasion un numĂ©ro de « PÄcalÄ Â» oĂč se trouve insĂ©rĂ©e « La Complainte du conservateur ».
Adieu mon cher vieux je tâembrasse et te prie de prĂ©senter mes amitiĂ©s Ă Madame Ghica ainsi quâĂ tous nos amis et connaissances.
Tout Ă toi, V. Alecsandri.
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Vasile Alecsandri (Opere, IX)
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[...] mon invocation Ă la TroisiĂšme TĂ©nĂšbre :
"Nuit qui Ă©cartĂšle les astres et te tiens debout sur nos tĂȘtes, je requiers ton pouvoir contre ce jour fade qui agite Ă l'horizon ses lanternes de pauvres, ses lueurs de dĂ©sastre ! [...]
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Marcel BĂ©alu (Les messagers clandestins)
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LâĂ©tĂ© fut un enfer. Il nây avait pas la diversion de lâĂ©cole. Chaque jour, il fallait reprendre conscience de cette abjection, maman qui arrivait au petit dĂ©jeuner en gazouillant avec CĂ©lia quâelle ne lĂąchait presque jamais, Ă chaque minute il fallait lutter contre lâappel du gouffre dans la poitrine, il fallait ne pas haĂŻr ce bĂ©bĂ© qui nâĂ©tait pas responsable de la dĂ©bauche de cet amour maternel, mĂȘme si elle ne pouvait sâempĂȘcher de lui trouver de la complaisance â mais qui pouvait lui garantir quâĂ sa place elle nâen eĂ»t pas fait autant, il fallait ne pas haĂŻr maman qui se laissait aller Ă ces dĂ©bordements sans lâombre dâune pudeur envers son entourage â toujours ce cruel manque de tact.
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AmĂ©lie Nothomb (Frappe-toi le cĆur)
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Le 25 aoĂ»t [1944] la Roumanie dĂ©clara la guerre Ă lâAllemagne ! Nous aurions Ă©tĂ© heureux de sortir dans les rues pour chanter notre joie, sauf que le mĂȘme jour lâarmĂ©e roumaine commença Ă mener des combats acharnĂ©s pour nettoyer la capitale des forces nazies, alors que lâaviation allemande lançait des attaques sauvages contre des objectifs civils dans la capitale. Comme les Stukas dĂ©collaient dâun aĂ©roport trĂšs proche de la ville, les bombes tombaient sur nous avant que les sirĂšnes aient le temps de nous alerter. Des centaines de bĂątiments furent dĂ©truits, parmi lesquels le ThĂ©Ăątre national, lâOpĂ©ra, lâaile neuve du Palais royal, le Palais des tĂ©lĂ©phones, mais aussi des Ă©glises, des ministĂšres, des hĂŽtels et des usines. Mais une chose est sĂ»re : oĂč que je me fusse trouvĂ© durant ces bombardements, chez moi ou au lycĂ©e, je ne mis pas le nez dehors pour « admirer » les plongĂ©es en piquĂ© des Stukas, ou pour me dĂ©lecter de leurs sirĂšnes terrifiantes. LâidĂ©e de me faire tuer par les pilotes de la Luftwaffe alors que la dĂ©faite dâHitler nâĂ©tait plus en doute ne mâenchantait guĂšre.
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Dov Hoenig (Rue du Triomphe)
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Si l'on soulÚve les haillons hideux de l'Histoire, on trouve cela: la hiérarchie contre légalité et l'ordre contre la liberté.
(p127)
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Ăric Vuillard (L'Ordre du jour)
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EugĂ©nie se souvient de ce fait divers qui remonte Ă une trentaine dâannĂ©es : une prĂ©nommĂ©e Ernestine aspirait Ă sâĂ©manciper de son rĂŽle dâĂ©pouse en prenant des cours de cuisine auprĂšs de son cousin chef cuisinier, espĂ©rant elle-mĂȘme un jour ĂȘtre derriĂšre les fourneaux dâune brasserie ; son mari, Ă©branlĂ© dans son rĂŽle dominant, lâavait fait interner Ă la SalpĂȘtriĂšre. Nombre dâhistoires depuis le dĂ©but du siĂšcle font Ă©cho Ă celle-ci et se racontent dans les cafĂ©s parisiens ou les rubriques faits divers des journaux. Une femme sâemportant contre les infidĂ©litĂ©s de son mari, internĂ©e au mĂȘme titre quâune va-nu-pieds exposant son pubis aux passants ; une quarantenaire sâaffichant au
bras dâun jeune homme de vingt ans son cadet, internĂ©e pour dĂ©bauche, en mĂȘme temps quâune jeune veuve, internĂ©e par sa belle-mĂšre, car trop mĂ©lancolique depuis la mort de son Ă©poux. Un dĂ©potoir pour toutes celles nuisant Ă lâordre public. Un asile pour toutes celles dont la sensibilitĂ© ne rĂ©pondait pas aux attentes. Une prison pour toutes celles coupables dâavoir une opinion. Depuis lâarrivĂ©e de Charcot il y a vingt ans, il se dit que lâhĂŽpital de la SalpĂȘtriĂšre a changĂ©, que seules les vĂ©ritables hystĂ©riques y sont internĂ©es.
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Victoria Mas (Le Bal des folles)
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â Ă Lune Noire, sache que je tâai attendue. Non, mon attente nâa pas Ă©tĂ© pieuse et bercĂ©e dâune fĂ©licitĂ©e bĂ©ate. Mes espoirs, je les ai conservĂ©s contre moi en affrontant les tempĂȘtes de la nature. Mes craintes, je les ai endossĂ©es avec peine et, souvent, elles mâont valu dâĂ©pouvantables souffrances. Quant Ă mes croyances, elles chancĂšlent chaque jour, avançant fĂ©brilement sur la crĂȘte dâune montagne acĂ©rĂ©e. Non, belle Lune Noire, je nâai pas Ă©tĂ© le dĂ©vot infaillible. Jâai encaissĂ© les douleurs et jâen ai souvent questionnĂ© la cause, me demandant si les dieux veillaient vraiment sur lâindigent que je suis... Jâai interrogĂ© lâOcĂ©an CĂ©leste, jâai invoquĂ© le Grand PĂȘcheur dans les moments de dĂ©tresse, et jâai remerciĂ© les Constellations Silencieuses lorsque le sort mâĂ©tait propice. Mais jamais, jamais je nâai obtenu de rĂ©ponse. Pas un signe. Pas une faveur, pas une mise en garde. Rien ! Alors jâai continuĂ© Ă croire et jâai contemplĂ© chacun de tes croissants. Jâai chĂ©ri chaque pas sous lâĂ©clat argentĂ© de ta lumiĂšre. Mais, peu Ă peu, je suis forcĂ© dâadmettre que mon regard est tombĂ© et que jâai plus souvent observĂ© mes pieds que ta robe. Nuit aprĂšs nuit, ma foi sâest faite tĂ©nue⊠Et je regrette, aujourdâhui, dâavoir parfois pensĂ© que lâinterposition ne viendrait pas. Que lâĂ©clipse nâĂ©tait quâune fable, quâun rĂȘve mal placĂ© dans mon esprit puĂ©ril. Un rĂȘve idiot qui avait induit les sages en erreurâŠ
Comme je regrette ! Comme je suis confus et contrit de dĂ©couvrir, Ă prĂ©sent, que le tort sâĂ©tait saisi de moi⊠La puissance de ton ombre est manifeste : FeâRah Grundt ne peut que sâincliner ! Quant Ă ton aura⊠Quelle⊠Quelle splendeur ! Jâai devant mes yeux la plus magnifique fantasmagorie quâil mâait Ă©tĂ© donnĂ© de voir. Câest tellement plus grandiose que dans mon rĂȘve. Et, plus sublime encore que dans mes tentatives dâimagination Ă©veillĂ©e ! LâĂ©clipse⊠LâĂ©clipse est assurĂ©ment le tournant de mon existence, jâen suis convaincu. Car mĂȘme si tu me rĂ©pudies, mĂȘme si tu mâignores, mĂȘme si tu te contraries de mes paroles et choisis de mâen punir, je serai â Ă superbe Lune Noire â Ă jamais changĂ©, en mon ĂȘtre tout entier, de tâavoir pu observer.
Sur ces paroles fiĂ©vreuses et enflammĂ©es dâun amour sincĂšre dont il sâignorait capable, Welihann se tait puis pose un genou Ă terre. Les yeux brillants, il plonge dans la noirceur du cercle magique et cligne le moins possible des paupiĂšres, bien dĂ©cidĂ© Ă ne pas en perdre la moindre miette. Le spectacle, dâune beautĂ© enivrante, le transporte et ranime toute sa foi. Il se sent transpercĂ© de lĂ©gendes, envahi de gloire, portĂ© en avant par les chants des AncĂȘtres, pĂ©nĂ©trĂ© par les mille gĂ©nĂ©rations lâayant prĂ©cĂ©dĂ©, ayant foulĂ© ces steppes, ayant grimpĂ© ces concrĂ©tions, sâĂ©tant faufilĂ©s entre les prĂ©dĂ©cesseurs de ces arbres⊠Il est Welihann, il est les Anciens, il est le PassĂ© et lâAvenir de son peuple. Il convoie en son ĂȘtre la culture dâune tribu et voyage Ă dos de rĂȘves sur les Ă©paules du monde. Il nâest plus quâun avec la Nature et devient, loin, au fond de lui, le messager des MĂŒkâAtah. Le pourvoyeur de Vie, façonnĂ© dâAmour et disposĂ© Ă embrasser la Mort. Il est Welihann, lâenfant au destin diffĂ©rent, lâenfant libre et sans chemin tracĂ©, capable dâouvrir sous chacun de ses pas, les pages de chapitres interdits, inconnus, impossibles ou dĂ©sirĂ©s. Il est Welihann, lâenfant-homme, lâenfant-frĂšre, le frĂšre-homme que personne nâattend et que tout le monde espĂšre, le prophĂšte malvenu, le maudit habitĂ© par la fortune.
Il est Welihann et il sait, Ă prĂ©sent, combien son destin compte, combien lâĂ©clipse importe. Il est Welihann et il sait que son nom promet et devine que son sort ne sera rien de moins quâexceptionnel.
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Alexandre Jarry (Sous les constellations silencieuses (Les Apothéoses))
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 Il dit se battre contre soi pour comprendre un jour quâon se bat pour soiÂ
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Lou Delvig (Jours sans faim)
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reĂźntoarcere din timpul steril
Ăźnainte de a te pierde
Ăźmi zdrobeĆti nopĆŁile
de piscurile rÄsÄrite sub tĂąmple
degetele mĂąinii
sub talpa ciocanului
decojite zilele
ies din miezul steril
cu ochii ĂźnchiĆi
puii de vrabie
din oul Ăźn care au auzit ĂźntĂąia datÄ
strigÄtul vĂąntului cÄtre tunet
atunci Ăźmi aduci aminte
de actul final
punctul scurtei mele figuraĆŁii
ca puiul din coaja oului matern
voi ieĆi din scenÄ
Ăźn secunda urmÄtoare
nu mÄ vor Ăźnjunghia pe la spate
voi simĆŁi trecutul carbonizat
negativul meu
se va atinge de fulgerul
deschis Ăźn celÄlalt ochi
va Ăźncepe sÄ te priveascÄ.
*
retour dans le temps stérile
avant de te perdre
tu Ă©crases mes nuits
contre les sommets surgis sous les tempes
les doigts des mains
sous la plante du pied du marteau
pelés les jours
sortent du noyau stérile
les yeux fermés
oisillons de moineau
de lâĆuf oĂč ils ont entendu pour la premiĂšre fois
le cri du vent adressé au tonnerre
câest alors que tu me rappelles
le dernier acte
le point de ma courte figuration
Ă lâinstar du poussin de lâĆuf materne
je quitterai la scĂšne
lâinstant dâaprĂšs
ils me poignarderont dans le dos
je sentirai mon passé carbonisé
mon négatif
touchera la foudre
ouverte dans lâautre Ćil
il se mettra Ă mâobserver.
(traduit en français par Gabrielle Danoux)
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Ioan Barb
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Si de longues observations et des mĂ©ditations sincĂšres amenaient les hommes de nos jours Ă reconnaĂźtre que le dĂ©veloppement graduel et progressif de l'Ă©galitĂ© est Ă la fois le passĂ© et l'avenir de leur histoire, cette seule dĂ©couverte donnerait Ă ce dĂ©veloppement le caractĂšre sacrĂ© de la volontĂ© du souverain maĂźtre. Vouloir arrĂȘter la dĂ©mocratie paraĂźtrait alors lutter contre Dieu mĂȘme, et il ne resterait aux nations qu'Ă s'accommoder Ă l'Ă©tat social que leur impose la Providence.
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Alexis de Tocqueville (De La DĂ©mocratie En AmĂ©rique (INCLUANT TOUS LES TOMES, ANNOTĂ DâUNE BIOGRAPHIE))
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Le swahili nâest pas une langue de vauriens. Par contre, il fait partie des dix grandes langues au monde. Et quand on considĂšre les autres langues comme le Français ou lâAnglais, il y a des auteurs qui publient des ouvrages dans ces langues, des dictionnaires mis Ă jour, il existe mĂȘme des acadĂ©mies. Maintenant, les Congolais doivent apprendre Ă parler et Ă Ă©crire correctement le swahili en respectant les rĂšgles
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Marcel Yabili
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Aucun reproche concernant l'islam n'est aussi rĂ©curent de nos jours que celui de violence. L'usage aveugle de la force armĂ©e contre les infidĂšles serait encouragĂ© parle Coran, Ă en croire un discours aisĂ©ment relayĂ© dans les mĂ©dias. Aussi le terme "djihĂąd" - invariablement traduit par "guerre sainte" - est-il devenu le symbole mĂȘme de la sanctification de cette violence.
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Tayeb Chouiref (Citations coraniques expliquées: 150 citations pour découvrir l'ensemble de l'oeuvre et se familiariser avec tous les aspects du Coran (Eyrolles Pratique) (French Edition))
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Un jour, au debut des annees soixante-dix, pendant l'occupation russe du pays, tous les deux chasses de nos emplois, tous les deux en mauvaise sante, ma femme et moi sommes alles voir, dans un hopital de la banlieue de Prague, un grand medicin, ami de tous les opposants, un vieux sage juif, comme nous l'appelions, le professeur Smahel. Nous y avons rencontre E., un journaliste, lui aussi chasse de partout, lui aussi en mauvaise sante, et tous les quatre nous sommes restes longtemps a bavarder, heureux de l'atmosphere de sympathie mutuelle.
Pour le retour, E. nous a pris dans sa voiture et s'est mis a parler de Bohumil Hrabal, alors le plus grand ecrivain tcheque vivant; d'une fantaisie sans bornes, feru d'experiences plebeiennes (ses romans sont peuples des gens les plus ordinaires), il etait tres lu et tres aime (toute la vague de la jeune cinematographie tcheque l'a adore comme son saint patron). Il etait profondement apolitique. Ce qui, dans un regime pour lequel 'tout etait politique', n'etait pas innocent: son apolitisme se moquait du monde ou sevissaient les ideologies. C'est pour cela qu'il s'est trouve pendant longtemps dans une relative disgrace (inutilisable qu'il etait pour tous les engagements officiels), mais c'est pour ce meme apolitisme (il ne s'est jamais engage contre le regime non plus) que, pendant l'occupation russe, on l'a laisse en paix et qu'il a pu, comme ci, comme ca, publier quelques livres.
E. l'injuriait avec fureur: Comment peut-il accepter qu'on edite ses livres tandis que ses collegues sont interdits de publication? Comment peut-il cautionner ainsi le regime? Sans un seul mot de protestation? Son comportement est detestable et Hrabal est un collabo.
J'ai reagi avec le meme fureur: Quelle absurdite de parler de collaboration si l'esprit des livres de Hrabal, leur humour, leur imagination sont le contraire meme de la mentalite qui nous gouverne et veut nous etouffer dans sa camisole de force? Le monde ou l'on peut lire Hrabal est tout a fait different de celui ou sa voix ne serait pas audible. Un seul livre de Hrabal rend un plus grand service aux gens, a leur liberte d'esprit, que nous tous avec nos gestes et nos proclamations protestataires! La discussion dans la voiture s'est vite transformee en querrelle haineuse.
En y repensant plus tard, etonne par cette haine (authentique et parfaitement reciproque), je me suis dit: notre entente chez le medicin etait passagere, due aux circonstances historiques particulieres qui faisaient de nous des persecutes; notre desaccord, en revanche, etait fondamental et independant des circonstances; c'etait le desaccord entre ceux pour qui la lutte politique est superieure a la vie concrete, a l'art, a la pensee, et ceux pour qui le sens de la politique est d'etre au service de la vie concrete, de l'art, de la pensee. Ces deux attitudes sont, peut-etre, l'une et l'autre legitimes, mais l'une avec l'autre irreconciliables.
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Milan Kundera (Encounter)
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les jours passent vite alors quâon aurait pu croire le contraire lorsquâon est lĂ , assis, Ă attendre je ne sais quoi, Ă boire et Ă boire encore jusquâĂ devenir le prisonnier des vertiges, Ă voir la Terre tourner autour dâelle mĂȘme et du Soleil mĂȘme si je nâai jamais cru Ă ces thĂ©ories de merde que je rĂ©pĂ©tais Ă mes Ă©lĂšves lorsque jâĂ©tais encore un homme pareil aux autres, faut vraiment ĂȘtre un illuminĂ© pour dĂ©biter des Ă©normitĂ©s de ce genre parce que moi, Ă vrai dire, quand je bois mon pot,quand je suis assis peinard Ă lâentrĂ©e du CrĂ©dit a voyagĂ©, je ne rĂ©alise pas que la Terre que je vois lĂ puisse ĂȘtre ronde, quâelle puisse sâamuser Ă tourner au tour dâelle-mĂȘme et autour du Soleil comme si elle nâavait rien dâautre Ă foutre que de se causer des vertiges dâavion Ă papier, quâon me dĂ©montre donc Ă quel moment elle tourne autour dâelle-mĂȘme, Ă quel moment elle arrive Ă tourner autour du Soleil, faut ĂȘtre rĂ©aliste, voyons, ne mous laissons pas embobiner par ces penseurs qui devaient se raser Ă lâaide dâun vulgaire silex ou dâune pierre maladroitement taillĂ©e pendant que les plus modernes dâentre eux utilisaient de la pierre polie, en fait, grosso modo, si je devais analyser tout ça de trĂšs prĂšs, je dirais quâon distinguait jadis deux grandes catĂ©gories de penseurs, dâun cĂŽtĂ© y avait ceux qui pĂ©taient dans les baignoires pour crier Ă plusieurs reprises « jâai trouvĂ© , jâai trouvĂ© », mais quâest-ce quâon en a foutre quâils aient trouvĂ©, ils nâavaient quâĂ garder leur dĂ©couverte pour eux, moi jâai eu Ă mâimmerger quelques fois dans la riviĂšre Tchinouka qui a emportĂ© ma pauvre mĂšre, je nâai rien trouvĂ© de spectaculaire dans ces eaux grises oĂč tout corps quâon y plonge ne subit mĂȘme pas la fameuse poussĂ©e verticale de bas en haut, câest dâailleurs pour cela que toute la merde de notre quartier Trois â cents est tapie au fond des eaux, quâon me dise alors comment cette merde arrive Ă Ă©chapper Ă la poussĂ©e dâArchimerde, et puis y avait la deuxiĂšme grande catĂ©gorie dâilluminĂ©s qui nâĂ©taient que des oisifs, des vrais fainĂ©ants, ils Ă©taient toujours assis sous un pommier du coin et attendaient de recevoir des pommes sur la tĂȘte pour une histoire dâattraction ou de pesanteur, moi je suis contre ces idĂ©es reçues, et je dis que la Terre est plate comme lâavenue de lâindĂ©pendance qui passe devant Le CrĂ©dit a voyagĂ©, y a rien a rajouter, je proclame que la Terre est tristement immobile, que câest le Soleil qui sâexcite autour de nous parce que je le vois moi-mĂȘme parader au dessus de la toiture de mon bar prĂ©fĂ©rĂ©, quâon ne me raconte pas dâhistoire Ă dormir debout, et le premier qui vient encore mâexpliquer que la Terre est ronde, quâelle tourne autour dâelle âmĂȘme et autour du Soleil, celui lĂ je le dĂ©capite sur le champ, mĂȘme sâil sâĂ©crie « et pourtant elle tourne »
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Alain Mabanckou (Broken Glass)
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capacitĂ© Ă Ă©mettre des dĂ©crets de son propre chef. En insinuant que le concile ĆcumĂ©nique est la seule autoritĂ© qui soit apte Ă dĂ©cider de certaines affaires ecclĂ©siologiques, ils participent Ă lâĂ©rosion de la foi et de lâordre dans lâĂglise. Je voudrais ĂȘtre ici parfaitement clair. De tels propos renouvellent les erreurs graves de ceux qui affirment que le concile peut agir sans le pape ou contre lui. Le collĂšge des Ă©vĂȘques ne peut prendre des dĂ©cisions quâavec son chef, le pontife romain. Comme le rappelle le droit canon, « contre une sentence du pontife romain, il nây a ni appel, ni recours » (Canon 333, 3). Un appel au CollĂšge des Ă©vĂȘques contre un acte du pape reviendrait Ă nier le primat
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Nicolas Diat (Le soir approche et déjà le jour baisse (Documents) (French Edition))
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Contre une qualification trop "islamique" des fuqarĂą on entendait de la Suisse (notamment en 1946), des rappels de ce genre: "Nous ne sommes entrĂ©s en Islam que pour en sortir!" Une fois vous demandiez charitablement Ă un faqĂźr français: "On est toujours 100% musulman Ă Paris ?" Et vous ajoutiez trĂšs avantageusement: "Ici (Ă Lausanne) on est plutĂŽt hindou !" Eh bien, vous l'avez Ă©tĂ© tellement qu'un beau jour une bonne part de vos disciples suisses se sont dĂ©cidĂ©s d'aller voir cela de plus prĂšs du cĂŽtĂ© hindou mĂȘme, mais malheureusement Ă cette occasion ils sont "sortis" pour de bon de l'Islam ! A ce chapitre il faut noter aussi que les fuqarĂą ne savent pas "prier" en tant que musulmans; c'est lĂ une trĂšs grande lacune qui explique le manque d'activitĂ© spirituelle chez beaucoup et l'absence d'intĂ©rĂȘt Ă leur vie islamique.
(Lettre de M.VĂąlsan Ă F.Schuon, novembre 1950)
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Michel VĂąlsan
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Il faut découvrir le visage de cette bourgeoisie française dont Le Jour et Gringoire ont été, pendant la crise, les porte-paroles. Il ne s'agit plus, avec elle, de soumission inconsciente. TrÚs lucidement, bien qu'ils se couvrent encore de formes bienséantes, ils admirent. Bourgeois, ils admirent la puissance et le succÚs. Décadents, ils frémissent sous les maniÚres brutales. Petits-bourgeois par le coeur, ils s'extasient sur les alignements, la pompe, la parade, sur ce comédien mystique qui devant cent mille hommes, quand les dieux le saisissent, pousse un bouton pour faire converger sur lui une batterie de propriétaires en alarmes, ils voient dans ces masses compactes, dans cette police insinuée jusqu'aux ramures de la vie privée, dans cet ordre de fer, la garde prétorienne qu'ils n'osent demander aux démocraties contre les menaces "du communisme". Toute leur pensée internationale s'est épuisée à creuser une ligne Maginot en marge des dynamismes européens. Toute leur pensée politique se réduit à préparer, avec un béton humain, une ligne Maginot inviolable contre les dynamismes révolutionnaires. Ils se trompent sans doute radicalement sur le sens des fascismes, qui n'utilisent la force bourgeoise que comme une plaque tournante. Mais ils pensent avec celui d'entre eux qui disait il y a 50 ans se sentir plus prÚs d'un hobereau prussien que d'un ouvrier français. On ne comprendra rien au comportement de cette fraction de la bourgeoisie française si on ne l'entend murmurer à mi-voix : «
PlutÎt Hitler que Blum ».
Une bourgeoisie aux abois ; une politique sans foi ni loi ; un peuple usĂ© de dĂ©ceptions et de divertissements, voilĂ les responsables de la dĂ©mission de la France. Puisque ce n'est pas la premiĂšre fois que nous prenons position sur le problĂšme qui lui a offert l'occasion, il nous faut maintenant montrer oĂč elle a pu s'inscrire.
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Emmanuel Mounier
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Je me refuse Ă tout commerce avec le monde immonde qu'on m'a imposĂ©, oĂč l'on m'a jetĂ©e sans procĂšs comme des esclaves aux galĂšres. Ils m'ont jetĂ©e au milieu d'une chiourme si gueule, si ventre, qu'elle ne s'aperçoit mĂȘme pas qu'elle a une Ăąme, une chiourme prĂȘte Ă toutes les chaĂźnes, Ă tous les crimes contre l'Ăąme et la fiertĂ©, pour avoir accĂšs Ă l'auge que, trois fois par jour, les maĂźtres lui donnent Ă lĂ©cher. Ă maĂźtres, je mangerai plutĂŽt mes excrĂ©ments!
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Réjean Ducharme (L'Avalée des avalés)
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L'industrie du transport façonne son produit : l'usage. ChassĂ© du monde oĂč les personnes sont douĂ©es d'autonomie, il a aussi perdu l'impression de se trouver au centre du monde. Il a conscience de manque de plus en plus de temps, bien qu'il utilise chaque jour la voiture, le train, l'autobus, le mĂ©tro et l'ascenseur, le tout pour franchir en moyenne trente kilomĂštres, souvent dans un rayon de moins de dix kilomĂštres. Le sol se dĂ©robe sous ses pieds, il est clouĂ© Ă la roue. Qu'il prenne le mĂ©tro ou l'avion, il a toujours le sentiment d'avancer moins vite ou moins bien que les autres et il est jaloux des raccourcis qu'empruntent les privilĂ©giĂ©s pour Ă©chapper Ă l'exaspĂ©ration crĂ©Ă©e par la circulation. EnchaĂźnĂ© Ă l'horaire de son train de banlieue, il rĂȘve d'avoir une auto. ĂpuisĂ© par les embouteillages aux heures de pointe, il envie le riche qui se dĂ©place Ă contre-sens. Il paie sa voiture de sa poche, mais il sait trop bien que le PDG utilise les voitures de l'entreprise, fait passer son essence dans les frais gĂ©nĂ©raux ou se fait louer une voiture sans bourse dĂ©lier. L'usager se trouve tout au bas de l'Ă©chelle oĂč sans cesse augmentent l'inĂ©galitĂ©, le manque de temps et sa propre impuissance, mais pour y mettre fin il s'accroche Ă l'espoir fou d'obtenir plus de la mĂȘme chose : une circulation amĂ©liorĂ©e par des transports plus rapides. Il rĂ©clame des amĂ©liorations techniques des vĂ©hicules, des voies de circulation et des horaires ; ou bien il appelle de ses vĆux une rĂ©volution qui organise des transports publics rapides en nationalisant les moyens de transport. Jamais il ne calcule le prix qu'il lui en coĂ»tera pour ĂȘtre ainsi vĂ©hiculĂ© dans un avenir meilleur. Il oublie que de toute accĂ©lĂ©ration supplĂ©mentaire il payera lui-mĂȘme la facture, sous forme d'impĂŽts directs ou de taxes multiples. Il ne mesure pas le coĂ»t indirect du remplacement des voitures privĂ©es par des transports publics aussi rapides. Il est incapable d'imaginer les avantages apportĂ©s par l'abandon de l'automobile et le recours Ă la force musculaire de chacun.
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Ivan Illich (Energy and Equity)
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Le jour passait ainsi, tant bien que mal, Ă manger beaucoup et boire de mĂȘme ; grand soleil fort ; bagnole pour nous trimbaler ; cigare de temps Ă autre ; petit somme sur la plage ; revue de dĂ©tail des connasses qui passaient ; bavardages en tous genres ; un peu de rigolade ; quelques chansons aussi â une journĂ©e comme tant et tant dâautres passĂ©es en compagnie de MacGregor. En de pareils jours, jâavais lâimpression que la roue cessait de tourner. En surface ce nâĂ©tait que gaietĂ© et bon temps ; les heures passaient comme un rĂȘve gluant. Mais sous la surface câĂ©tait la fatalitĂ©, le domaine des prĂ©monitions qui me laissaient le lendemain dans un Ă©tat dâinquiĂ©tude morbide. Je savais parfaitement quâil me faudrait rompre un jour, parfaitement que je passais le temps comme on passe une envie de pisser. Mais je savais aussi que je nây pouvais absolument rien â pour le moment. Jâattendais un Ă©vĂ©nement, Ă©norme, qui me ferait perdre lâĂ©quilibre. Tout ce dont jâavais besoin, câĂ©tait dâĂȘtre bousculĂ©Â ; mais il nây avait quâune force extĂ©rieure au monde oĂč je vivais qui pĂ»t me donner le choc nĂ©cessaire. De cela jâĂ©tais sĂ»r. Je ne pouvais me ronger le cĆur : câeĂ»t Ă©tĂ© aller contre ma nature. Ma vie durant, tout avait toujours tournĂ© au mieux â Ă la fin. Il nâĂ©tait pas Ă©crit dans les cartes que je dusse mâĂ©puiser en effort. Il fallait faire la part de la Providence â part entiĂšre, dans mon cas. Jâavais contre moi toutes les apparences : jâĂ©tais guignard, eĂ»t-on dit, je ne savais pas mener ma barque ; mais rien ne pouvait mâĂŽter de la tĂȘte que jâĂ©tais nĂ© coiffĂ©. Doublement coiffĂ© mĂȘme. Vue de lâextĂ©rieur, la situation nâĂ©tait pas brillante, dâaccord â mais ce qui mâinquiĂ©tait plus encore, câĂ©tait la situation intĂ©rieure. Tout en moi mâeffrayait : mes appĂ©tits, ma curiositĂ©, ma souplesse, ma permĂ©abilitĂ©, ma mallĂ©abilitĂ©, mon naturel, mon pouvoir dâadaptation. En soi, aucune situation ne me faisait peur : je ne pouvais me voir autrement que prenant toutes mes aises, comme une fleur, ou mieux comme lâabeille sur la fleur, en train de butiner. MĂȘme si je mâĂ©tais retrouvĂ© en taule un beau matin, je suis sĂ»r que jây aurais pris un certain plaisir. La raison, jâimagine, en Ă©tait que je savais opposer la force dâinertie. Dâautres sâusaient Ă tirer sur la corde, Ă se dĂ©mener, Ă se tendre Ă craquer ; ma stratĂ©gie Ă©tait de flotter au grĂ© de la marĂ©e. Je me souciais beaucoup moins de ce quâon pouvait me faire que du mal que se faisaient les autres Ă eux-mĂȘmes ou entre eux. Je me sentais si bien, en dedans de moi, que je ne pouvais faire autrement que de prendre Ă charge et Ă cĆur le monde entier et ses problĂšmes. C'est pourquoi jâĂ©tais tout le temps dans la mouise. Il nây avait entre ma destinĂ©e et moi aucun synchronisme, pour ainsi dire.
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Henry Miller (Tropique du Capricorne / Tropique du Cancer)
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Serre-moi fort
Contre ton corps
Il faut qu'Ă l'heure des folies
Le grand amour
Raye le jour
Et nous fasse oublier la vie
Retiens la nuit
Avec toi elle paraĂźt si belle
Retiens la nuit
Mon amour qu'elle devienne Ă©ternelle
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Johnny Hallyday
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Le terme de gĂ©nocide est souvent employĂ© pour qualifier la traite et l'esclavage pratiquĂ©s par l'Occident. Alors qu'il convient de reconnaĂźtre que dans la traite transatlantique un esclave, mĂȘme dĂ©shumanisĂ©, avait une valeur vĂ©nale pour son propriĂ©taire. Ce dernier le voulait d'abord efficace, mais aussi rentable dans le temps, mĂȘme si son espĂ©rance de vie Ă©tait des plus limitĂ©es. Il est sans doute difficile d'apprĂ©cier l'importance de la saignĂ©e subie par l'Afrique noire au cours de la traite transatlantique. Du Bois l'estime Ă environ quinze Ă vingt millions d'individues. P. Curtin, quant Ă lui, en faisant une synthĂšse des travaux esistants, aboutit en 1969 Ă un total d'environ neuf millions six cent mille escales importĂ©s, surtout dans le Nouveau Monde, plus faiblement en Europe et Ă SĂŁo TomĂ©, pour l'ensemble de la pĂ©riode 1451-1870. Mais quelle que fĂ»t l'ampleur de cette traite, il suffit d'observer la dynamique de la diaspora noire qui s'est formĂ©e au BrĂ©sil, aux Antilles et aux Ătats-Unis, pour reconnaĂźtre qu'une entreprise de destruction froidement et mĂ©thodiquement programmĂ©e des peuples noirs, au sens d'un gĂ©nocide â comme celui des Juifs, des ArmĂ©niens, des Cambodgiens ou autres Rwandais â, n'y est pas prouvĂ©e.
Dans le Nouveau Monde la plupart des dĂ©portĂ©s ont assurĂ© une descendance. De nos jours, plus de soixante-dix millions de descendants ou de mĂ©tis d'Africains y vivent. VoilĂ pourquoi nous avons choisi d'employer le terme d'«holocauste» pour la traite transatlantique. Car ce mot signifie bien sacrifice d'hommes pour le bien-ĂȘtre des autres hommes, mĂȘme si cela a pu entraĂźner un nombre incalculable de victimes. En outre, la plupart des nations occidentales impliquĂ©es dans le commerce triangulaire ont aujourd'hui reconnu leur responsabilitĂ© et prononcĂ© leur aggiornamento. La France, entre autres, l'a fait une loi â qualifiant la traite nĂ©griĂšre et l'esclavage de «crime contre l'humanité» â votĂ©e au Parlement le 10 mai 2001. Ce qui a marquĂ© clairement un changement d'attitude chez les Français face Ă une page de leur histoire jusqu'alors mal assumĂ©e. D'autres voix se sont Ă©levĂ©es pour prĂ©senter les excuses d'un pays, telle celle du prĂ©sident Clinton, ou demander «pardon pour les pĂ©chĂ©s commis par l'Europe chrĂ©tienne contre l'Afrique» (Jean-Paul II, en 1991, Ă GorĂ©e).
[...]
Seul le gĂ©nocide des peuples noirs par les nations arabo-musulmanes n'a toujours pas fait l'objet de reconnaissance aussi nette. Alors que ce crime est historiquement, juridiquement et moralement imprescriptible. Car bien qu'il n'y ait pas de victimes ni de coupables hĂ©rĂ©diatires, les descendants des peuples impliquĂ©s ne peuvent refuser d'assumer une certaine responsabilitĂ©. On pouvait cependant espĂ©rer que les rĂ©solutions adoptĂ©es par la confĂ©rence de l'ONU Ă Durban (2-9 septembre 2001) iraeient dans ce sense. Mais dans l'esprit, l'acte, si solennel fĂ»t-il, n'Ă©tait qu'une entreprise fallacieusement orientĂ©e, doublĂ©e d'une dĂ©nonciation sĂ©lective. Durban n'a pas donnĂ© une vision d'ensemble honnĂȘte et objective de la terrible «tragĂ©die noire» passĂ©e. Puisque, de nos jours encore, beaucoup associent par rĂ©flexe traite nĂ©griĂšre au seul traffic transatlantique organisĂ© Ă partie de l'Europe et des AmĂ©riquees, qui a conduit Ă la mort ou Ă la dĂ©portation de millions d'Africains dans le Nouveau Monde.
La confusion vient du fait que la colonisation européenne de l'Afrique noire avec son systÚme de travail forcé a suivi la fin de la traite transatlantique, ce qui incite à assimiler les deux évÚnements. Alors que la traite et le travail forcé des peuples noirs n'ont pas été une invention des nations européennes.
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Tidiane N'Diaye (Le gĂ©nocide voilĂ©: EnquĂȘte historique)
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Perhaps we only imagine we deserve rhythms, once lived by rhythms, when all there ever was was moments. Separate. Distinct. Like beads on a string. Except that there is no string. Or the string has broken and the beads run about all over the floor.
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Gabriel Josipovici (Contre-Jour: A triptych after Pierre Bonnard)
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[Dans la traduction de Mario Roques (in Ămes en peine, 1946), extraits de
La rue de lâenfance]Â :
IV. (1/3)
Les vĂȘtements de petit garçon furent sa premiĂšre armure ; un kĂ©pi de papier, sa premiĂšre couronne ; un bĂąton, son premier sceptre ; et lâexpulsion du dindon, sa premiĂšre victoire.
Il devint ainsi le Prince du jardin : le jardin Ă©tait Ă lui. Et tous lui Ă©taient soumis, car les crocs du mĂątin qui lâaccompagnait, obĂ©issant, Ă©taient une loi puissante et redoutĂ©e.
De mĂȘme que tous les Princes, il a voulu franchir les frontiĂšres qui entouraient son domaine. Ainsi, il a atteint la porte. La rue qui veillait sur le seuil lâa empĂȘchĂ© de le passer. Sâil Ă©tait trop grand pour se contenter du jardin, il Ă©tait encore trop petit pour se hasarder dans la rue. PrĂȘt Ă pleurer, il sâest assis sur le seuil. Inconsciemment ses mains ont ramassĂ© des cailloux par terre et il sâest amusĂ© Ă les rĂ©pandre, Ă les frapper lâun contre lâautre, Ă Ă©couter leurs propos : câĂ©taient les plaisanteries que lui chuchotaient les lĂšvres de la rue. Et il a oubliĂ© de pleurer, et il a ri, et il a jouĂ© des jours et des jours avec la bonne de vieille rue. CâĂ©tait son ami prĂ©fĂ©rĂ©. Elle faisait des balles magiques quâil avait Ă peine le temps de regarder quâelles se mettaient Ă sauter : des moineaux. Elle lĂąchait dans lâair de minuscules cerfs-volants, de toutes sortes de couleurs qui nâavaient pas besoin de vent pour voler, ni de fil pour se diriger : des papillons.
Elle lui donnait des chapelets dâor en spirale qui sâenfilaient tout seuls : des escargots.
Au moyen de mains invisibles, elle faisait jouer des ombres Ă travers lâair comme sur un mur : des corneilles. Elle lui peignait Ă la craie sur les toits des maisons des villages de poupĂ©es : des pigeons.
Pour Noël, elle lui amenait du ciel à la porte de la maison le généreux PÚre Noël.
Pour PĂąques, elle lui chantait dâune voix plaintive, une voix de cloche, le conte chrĂ©tien de la messe, avec le doux Prince charmant JĂ©sus et avec le Seigneur.
⊠Dans ses yeux dâeau, lâenfant vit le ciel : son jouet de demain.
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Ionel Teodoreanu (UliĆŁa copilÄriei; Ăn casa bunicilor)
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Et le lecteur ? Il a, en apparence, la vie facile : il achĂšte les bons livres et ignore les autres. En fait son rĂŽle est beaucoup plus important. Toute la stratĂ©gie que lâĂ©crivain emploie pour Ă©crire son livre, et le censeur pour le contrĂŽler repose sur la complicitĂ© du lecteur ; aucun rĂ©gime, sauf le parfait stalinisme des annĂ©es « 50, ne peut sâen passer. En deuxiĂšme lieu, le lecteur agit directement sur la littĂ©rature en tant que critique littĂ©raire. Il faudrait Ă©crire un grand chapitre â je ne peux ici que lâesquisser â sur le rĂŽle trĂšs important quâa jouĂ© la critique littĂ©raire en Roumanie en freinant Ă grands coups de bride par son esthĂ©tisme militant â le galop du censeur. La qualitĂ© esthĂ©tique des livres, rĂ©elle ou amplifiĂ©e par la complicitĂ©, a Ă©tĂ© tout le temps dĂ©fendue comme Ă©tant constitutive de la littĂ©rature, mais en fait la critique traduisait maintes fois en code esthĂ©tique ce quâelle ne pouvait formuler en code politique.
LâesthĂ©tisme a sauvĂ© la littĂ©rature, tout en dĂ©politisant la culture et la sociĂ©tĂ© roumaine, et en « mandarinisant » ses Ă©crivains qui ont obtenu le droit de se retirer pour Ă©crire dans leur ghetto â lâĂźle des bienheureux â oĂč ils traduisent en fiction les luttes quâils ne peuvent pas, ou quâils nâosent pas, porter, lĂ -bas sur la terre ferme oĂč lâon se meurt du dĂ©sespoir dâĂȘtre trahi par les Ă©lites et oubliĂ© par les dieux.
Le lecteur est important, en troisiĂšme lieu, comme reprĂ©sentant dâun espace de libertĂ© irrĂ©ductible : la vie privĂ©e. On peut obliger le citoyen Ă applaudir ses maĂźtres mais non pas Ă jouir des livres qui leur dĂ©plaisent. La lecture reste un fait privĂ©. DâoĂč lâimmense effort du stalinisme dans les annĂ©es cinquante aussi bien que du nĂ©o-stalinisme actuel Ă rĂ©duire lâespace privĂ© de lâindividu et mĂȘme Ă lâintĂ©grer dans sa vie publique. Les mesures les plus aberrantes des autoritĂ©s roumaines pendant les annĂ©es quatre-vingt semblent obĂ©ir Ă une telle logique : le contrĂŽle du nombre des enfants dâune famille : la socialisation du sexe ; la rĂ©duction Ă trois heures par jour du programme de tĂ©lĂ©vision dĂ©diĂ© presque intĂ©gralement au Grand MaĂźtre : la socialisation de lâamusement ; les moyens immenses accordĂ©s au festival propagandistique « Le Chant de la Roumanie » aux dĂ©pens des tirages dâĆuvres littĂ©raires de valeur : la socialisation de la consommation de lâart etc. Face Ă cette offensive de lâĂtat contre la sociĂ©tĂ©, celle-ci peut concevoir deux stratĂ©gies de dĂ©fense : soit elle met sur pied sa propre organisation, en marge et contre les mĂ©canismes Ă©tatiques, soit elle privatise la plupart des activitĂ©s. Face Ă un immense appareil de rĂ©pression, la sociĂ©tĂ© roumaine sâest trouvĂ©e dans lâimpossibilitĂ© de sâorganiser en tant que sociĂ©tĂ© civile. Elle a dĂ» choisir, pour son grand malheur, la deuxiĂšme stratĂ©gie : la privatisation. Pas de solidaritĂ© syndicale, mais de lâentraide au sein de la famille et des amis, aucune gaietĂ© dans les rues, mais la fĂȘte et lâhospitalitĂ© Ă la maison, pas dâaction de protestation, mais le retrait dans lâallusion et lâhumour, dans lâĂ©rotisme et dans la consommation et la production de culture. La privatisation de la lecture â la chasse aux livres nouveaux, la lecture passionnĂ©e des livres empruntĂ©s correspond Ă la mandarinisation de lâĂ©criture qui absorbe rapidement les techniques occidentales, lâĂ©rudition et lâĂ©tendue des connaissances ; les deux vont dans le sens dâune restriction de la vie sociale.
(pp. 144-145, « Une culture de lâinterstice : la littĂ©rature roumaine dâaprĂšs-guerre », article publiĂ© dans « Les Temps modernes », Paris, n° 522, janvier 1990)
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Sorin Alexandrescu (La modernitĂ© Ă l'Est: 13 aperçus sur la littĂ©rature roumaine (ColecÈia Mediana = Mediana collection) (French Edition))
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[N.B : « Mihne et la sorciĂšre » est une lĂ©gende historique dont la traduction a Ă©tĂ© effectuĂ©e par l'auteur lui-mĂȘme (cf. « Brises d'Orient » Ă©ditions Dentru, Paris 1866) et qui ne respecte donc pas rigoureusement la version originale en roumain. MĂ©tamorphosĂ©e en sorciĂšre, la mĂšre d'un jeune soldat tuĂ© Ă la guerre jette un mauvais sort Ă son souverain, Mihne, tyran sanguinaire des Carpates. Ne pouvant transgresser les derniĂšres volontĂ©s de son fils, qui refuse la vengeance, elle tente de se servir des dĂ©mons de l'enfer afin d'attraper Mihne. Au terme d'une terrible cavalcade, ces dĂ©mons sont sur le point d'y parvenir quand l'aube se lĂšve les rĂ©duisant Ă l'impuissance. Les vĆux du soldat sont ainsi exaucĂ©s.]
La vieille
â « J'ai promis de te dire, ĂŽ seigneur, l'avenir ;
C'Ă©tait pour te contraindre, ĂŽ mon maĂźtre, Ă venir.
Ăcoute si tu peux : j'avais dans ton armĂ©e
Un fils dont la bravoure eut de la renommée,
Pur comme un ciel serein et beau comme la fleur ;
Pour lui seul je restais en ces lieux de douleur.
Il Ă©tait mon seul Dieu ! Pour lui, dont j'Ă©tais fiĂšre,
Je me suis transformée en horrible sorciÚre.
Il est mort, il est mort ! Tu fus son assassin !
Veux-tu mon sang encore ? Tiens, frappe donc ce sein !
Des à présent ma vie est affreuse et flétrie.
Oh ! Que ne puis-je boire et ton sang et ta vie !
à son dernier soupir : « MÚre » a dit mon enfant,
« Pardonne. » Contre moi son pardon le défend.
« Mais, as-tu toujours soif ? dit la sorciÚre à Mihne ;
Prends ce vase Ă©cumant dans ta main assassine ;
Meurtrier, bois le sang vivant de mon fils mort !
Qu'il verse dans ton sang le poison du remords ! »
[...]
La cime du rocher par degrés se colore,
Et déjà le jour luit !
La cohorte vaincue, aux rayons de l'aurore,
Retombe dans sa nuit.
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Dimitrie Bolintineanu
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Tous les jours, je prends de la valĂ©riane contre lâanxiĂ©tĂ© et la dĂ©pression, mais cela ne mâempĂȘche pas dâĂȘtre dâhumeur encore plus lugubre le jour suivant. Un bon Ă©clat de rire serait plus efficace que dix de ces comprimĂ©s, mais nous avons presque oubliĂ© ce que câest de rire. Parfois, jâai peur que mon visage se dĂ©forme et que ma bouche tombe Ă force dâĂȘtre sĂ©rieuse.
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Anne Frank (Le journal d'Anne Frank)
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Le fait divers criminel, par sa redondance quotidienne, rend acceptable l'ensemble des contrÎles judiciaires et policiers qui quadrillent la société ; il raconte au jour le jour une sorte de bataille intérieure contre l'ennemi sans visage ; dans cette guerre, il constitue le bulletin d'alarme ou de victoire
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Michel Foucault
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Le fait divers criminel, par sa redondance quotidienne, rend acceptable l'ensemble des contrÎles judiciaires et policiers qui quadrillent la société ; il raconte au jour le jour une sorte de bataille intérieure contre l'ennemi sans visage ; dans cette guerre, il constitue le bulletin d'alarme ou de victoire.
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Michel Foucault (Surveiller et punir de Michel Foucault (fiche de lecture et analyse complĂšte de l'oeuvre) (French Edition))