Ce Soir Quotes

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Je t'aime. Aujourd'hui. Ce soir. Demain. Pour toujours. Si je vivais mille ans, je t'appartiendrais pour tous. Si je vivais mille vies, je te ferais mienne dans chacune d'elles. I love you. Today. Tonight. Tomorrow. Forever. If I were to live a thousand years, I would belong to you for all of them. If I were to live a thousand lives, I would want to make you mine in each one.
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Michelle Hodkin (The Retribution of Mara Dyer (Mara Dyer, #3))
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Il y a malgré vous quelque chose que j'emporte; et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu, mon salut balaiera largement le seuil bleu, quelque chose que sans un pli, sans une tache, j'emporte malgré vous, et c'est... Mon panache.
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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Les roses de Saadi J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ; Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir. Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées. Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ; La vague en a paru rouge et comme enflammée. Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée... Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
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Marceline Desbordes-Valmore
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Et la guerre arriva. Et nous voilĂ  ce soir.
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Jacques Brel
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Si la ville était une illusion, la campagne serait une émotion sans cesse grandissante ; chaque jour qui s'y lÚve rappelle l'aube de l'humanité, chaque soir s'y amÚne comme une paix définitive.
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Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă  la nuit)
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Ce soir-là, . . . vous rentrez aux cafés éclatants, Vous demandez des bocks ou de la limonade . . . On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
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Arthur Rimbaud
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Vous imaginez bien, dit Chabrand, que si je suis ici ce soir — prenant sur moi m’en doutez pas — ce n’est pas pour vous parler du vent.
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Pierre Magnan (Les courriers de la mort)
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Une petite fille rentre de la plage, au crépuscule, avec sa mÚre. Elle pleure pour rien, parce qu'elle aurait voulu continuer de jouer. Elle s'eloigne. Elle a déjà tourné le coin de rue, et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d'enfant?
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Patrick Modiano (Rue des boutiques obscures)
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Est-ce que j'ai seulement envie de quelque chose? J'ai tout. Chaque matin j'ouvre les yeux et je me découvre milliardaire: la vie est là, discrÚte, bruyante, colorée, petite, immense. [...] Vraiment, j'ai tout. Pourquoi aurais-je envie de quelques chose de plus? Y a-t-il quelque chose de plus que tout? [...] Je ne comprends rien à ce monde. J'adore regarder ce monde auquel je ne comprends rien. Le regarder et l'écouter. [...] Voir, entendre, aimer. La vie est un cadeau dont je défais les ficelles chaque matin, au réveil. La vie est un trésor dont je découvre le plus beau chaque soir, avant de fermer les paupiÚres: Geai assise au pied du lit, souriante.
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Christian Bobin (Ű§ŰšÙ„Ù‡ Ù…Ű­Ù„Ù‡)
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À quoi ça sert de faire mon lit, je vais le dĂ©faire ce soir ? Si on laisse cette pensĂ©e gagner on est foutu, c’est l’essence mĂȘme de la vie de faire pour dĂ©faire. AprĂšs c’est pourquoi voir mes amis, je pourrais les voir plus tard, pourquoi manger je vais chier, pourquoi tomber amoureux un de ces quatre on va rompre.
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Panayotis Pascot (La prochaine fois que tu mordras la poussiĂšre)
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Journaliste : InterrogĂ© Ă  ce sujet hier soir sur notre antenne, vous avez a chaud rĂ©pondu la Libye je m’en fou royalement, maintenez vous maintenant que tout est fini cette apprĂ©ciation et pourquoi ? Hassan II : Je la maintien encore plus royalement du fait que je suis encore plus roi aujourd’hui qu'hier. [AprĂšs la tentative de coup d'État Ă  Rabat et Skhirate 10/11 juillet 1971]
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Hassan II
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J'ai lu quelque part que la mort Ă©tait une sociĂ©tĂ© secrĂšte...Ce qui n'est qu'une fin, un pis-aller, et c'est peu dire, pour la plupart des ĂȘtres, ne peut-il devenir pour d'autres une vocation? - Quelquefois, et jamais autant que ce soir, je me le suis demandĂ©. Et - comme toutes les vocations - contagieuse.
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Julien Gracq (A Dark Stranger)
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Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant aprÚs moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitÎt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Étrange Pays dans mon pays lui-mĂȘme)
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Mais Colin ne savait pas, il courait, il avait peur, pourquoi ça ne suffit pas de toujours rester ensemble, il faut encore qu’on ait peur, peut-ĂȘtre est-ce un accident, une auto l’a Ă©crasĂ©e, elle serait sur son lit, je ne pourrais la voir, ils m’empĂȘcheraient d’entrer, mais vous croyez donc peut-ĂȘtre que j’ai peur de ma ChloĂ©, je la verrai malgrĂ© vous, mais non, Colin, n’entre pas. Elle est peut-ĂȘtre blessĂ©e, seulement, alors, il n’y aura rien du tout, demain, nous irons ensemble au Bois, pour revoir le banc, j’avais sa main dans la mienne et ses cheveux prĂšs des miens, son parfum sur l’oreiller. Je prends toujours son oreiller, nous nous battrons encore le soir, le mien, elle le trouve trop bourrĂ©, il reste tout rond sous sa tĂȘte, et moi, je le reprends aprĂšs, il sent l’odeur de ses cheveux.
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Boris Vian (L'Écume des jours)
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L'Ă©glise de tout Ă  l'heure. Plus de tapis rouge. Ce soir, une vierge de moins.
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Albert Cohen (Belle du Seigneur)
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The machos have migraine: "Not tonight, darling, I love me". (Les machos ont la migraine: - "Pas ce soir, chéri, je m' aime".)
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Charles de Leusse
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TrĂšs bien, on verra tout ça ce soir, se dit-il, convaincu d'ĂȘtre un Ă©goĂŻste, mais averti par l'usage que les gens qui vous quittent vraiment ne prennent jamais la peine de vous en avertir par une lettre de six pages. Ceux-lĂ  s'Ă©clipsent sans parler, et c'est comme ça qu'avait fait la petite chĂ©rie. Et ceux qui dĂ©ambulent en laissant dĂ©passer la crosse d'un pistolet hors de leur poche ne se tuent jamais [...]
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Fred Vargas (L'homme aux cercles bleus (Commissaire Adamsberg, #1))
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Et quand vint l'heure du courrier, je me dis ce soir-la comme tous les autres: Je vais recevoir une lettre de Gilberte, elle va me dire enfin qu'elle n'a jamais cessĂ© de m'aimer, et m'expliquera la raison mysterieuse pour laquelle elle a Ă©tĂ© forcĂ©e de ma le cacher jusqu'ici, de faire semblant de pouvoir ĂȘtre heureuse sans me voir, la raison pour laquelle elle a pris l'apparence de la Gilberte simple camarade.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann)
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J'ai dit adieu au lieu de mon enfance et mon enfance est pleine de toi, Nawal. Nawal, ce soir, l'enfance est un couteau que l'on vient de me planter dans la gorge. À jamais j'aurai dans la bouche le goĂ»t de ton propre sang.
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Wajdi Mouawad (Incendies)
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J'aimais sa prĂ©sence. J'aimais ĂȘtre avec lui mĂȘme si j'avais compris que nous n'aurions pas de sexe torride. J'aimais sa façon de me toucher. De me regarder. Personne n'a eu d'orgasme ce soir-lĂ . Ç'a Ă©tĂ© difficile de m'extraire de ses bras.
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Maude Veilleux (Prague)
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Il est maintenant 9 heures. Monsieur est levĂ© depuis 7 heures et demie. Monsieur ne dort plus. Je voudrais samedi prochain ĂȘtre arrivĂ© au bord de l'avant-derniĂšre scĂšne. Or, je n'ai pas une minute Ă  perdre. Ce soir, pourtant, dĂźner chez Pennetier.
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Gustave Flaubert (Correspondance 9e série. 1880. (French Edition))
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Ah! comme la neige a neigĂ©! Ma vitre est un jardin de givre. Ah! comme la neige a neigĂ©! Qu'est-ce que le spasme de vivre À la douleur que j'ai, que j'ai! Tous les Ă©tangs gisent gelĂ©s, Mon Ăąme est noire: OĂč vis-je? OĂč vais-je? Tous ses espoirs gisent gelĂ©s: Je suis la nouvelle NorvĂšge D'oĂč les blonds ciels s'en sont allĂ©s. Pleurez, oiseaux de fĂ©vrier, Au sinistre frisson des choses, Pleurez, oiseaux de fĂ©vrier, Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses, Aux branches du genĂ©vrier. Ah! comme la neige a neigĂ©! Ma vitre est un jardin de givre. Ah! comme la neige a neigĂ©! Qu'est-ce que le spasme de vivre À tout l'ennui que j'ai, que j'ai!...
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Émile Nelligan Soir d'hiver
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Ce n’est pas sur un quelconque Vieux PĂšre que s’exerce notre vigilance, ce n’est pas sur le Mississippi, ce n’est pas sur le RhĂŽne ni sur le Danube : il ne fait de doute pour personne ici que la Garonne est d’essence fĂ©minine. Ce soir elle est brune, lourde, comme bombĂ©e.
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Marie NDiaye (Self-Portrait in Green)
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- Je m'en vais, me susurra Swann. Et, ce soir, demain et les jours d'aprĂšs peut-ĂȘtre, quand tu mettras un homme ou deux dans ton lit pour essayer de te convaincre que ce qu'on a partagĂ© n'est pas si diffĂ©rent, dis-toi qu'ils n'auront jamais aucune importance. Alors que moi... Ă©coute bien ça, Dorian, oĂč que tu croies t'ĂȘtre rĂ©fugiĂ©... moi, j'en ai. Que tu le veuilles ou non et quoique tu me caches encore, quoique tu refuses d'avouer, quels que soient les tourments dans lesquels tu plonges trop souvent, je compte et tu le sais.. Alors mens-toi encore un peu si tu en as besoin. Mens-toi, mon cƓur.
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Lily Haime (Ainsi battent les cƓurs amoureux)
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Si il y avait bien une chose que l'Occupation nous avait apprise, c'Ă©tait Ă  nous taire. A ne jamais montrer ce que nous pensions du IIIĂšme Reich et de cette guerre. Nous n'Ă©tions que des dĂ©tenus dans nos propres maisons, dans notre pays. Plus libres d'avoir une opinion. Parce que mĂȘme nos pensĂ©es pouvaient nous enchaĂźner. Ce soir, je l'avais oubliĂ©. Pourtant il ne m'arrĂȘta pas. Il ne me demanda pas de le suivre pour un petit interrogatoire. AprĂšs tout, il n'y avait que les rĂ©sistants pour tenir un discours si tranchĂ©, non? Il n'y avait qu'eux pour oser dire de telles choses devant un caporal de la Wehrmacht. Alors pourquoi me tendit-il simplement sa fourche? Puisque la mienne Ă©tait inutilisable... J'hĂ©sitai Ă  la prendre. Quand je le fis, il refusa de la lĂącher. Nous restĂąmes lĂ , une seconde. Nos mains se frĂŽlant sur le manche en bois et nos regards accrochĂ©s. - Je ne suis pas innocent c'est vrai, m'avoua-t-il. Je ne le serai jamais plus et je devrai vivre avec toutes mes fautes. J'ai tuĂ©, je tuerai sans doute encore. J'ai blessĂ© et je blesserai encore. J'ai menti et je mentirai encore. Non, c'est vrai, il n'y a plus rien d'innocent en moi. Mais je l'ai Ă©tĂ©. Au dĂ©but. Avant la guerre. Je l'Ă©tais vraiment, vous savez. Innocent. Sa voix n'Ă©tait qu'un murmure. - Pourquoi me dites-vous ça? - Pour que vous le sachiez. - Mais pourquoi? demandai-je encore. Il recula d'un pas. - Bonne soirĂ©e, monsieur Lambert, dit-il sans me rĂ©pondre. Il quitta les Ă©curies sans un bruit. Aussi discrĂštement qu'il Ă©tait arrivĂ©.
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Lily Haime (À l'ombre de nos secrets)
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Il pleut doucement, ma mĂšre, Et c’est l’automne Si doucement Que c’est la mĂȘme pluie Et le mĂȘme automne Qu’il y a bien des ans. Il pleut et il y a encore, Comme il y a bien des ans, Combien de cƓurs au fil de l’eau Et combien de petits sabots RĂȘvant au coin de l’ñtre. Et c’est le soir, ma mĂšre, Et tes genoux sont lĂ  Si prĂšs du feu Que c’est le mĂȘme soir Et les mĂȘmes genoux Qu’il y a bien des ans. Il pleut doucement, ma mĂšre, Et c’est l’automne Et c’est le soir, ma mĂšre, Et tes genoux sont lĂ . Prends-moi sur tes genoux, ce soir, Comme il y a bien des ans Et raconte-moi l’histoire De la Belle au bois dormant.
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Maurice CarĂȘme
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- Viens t’agenouiller avec moi prĂšs de la fenĂȘtre, David, et prions pour que ta maman se sente bien demain, et que rien n’arrive Ă  ton papa ce soir, et que toi et moi
 que toi et moi ne souffrions pas trop, ni demain, ni jamais. Cela m’avait l’air d’une priĂšre magnifique, alors j’ai regardĂ© par la fenĂȘtre et j’ai commencĂ©, mais mes yeux sont tombĂ©s sur la Bible de nĂ©on, en dessous de nous, et je n’ai pas pu continuer. Et puis j’ai vu les Ă©toiles du ciel qui brillaient autant que la belle priĂšre et j’ai recommencĂ©, et la priĂšre est venue sans que j’aie Ă  rĂ©flĂ©chir, et je l’ai offerte aux Ă©toiles et au ciel de la nuit.
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John Kennedy Toole (The Neon Bible)
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AussitĂŽt, je pense au monde dont je suis exclu, aux fraternitĂ©s qu'il a construites et oĂč je n'ai pas ma place, Ă  ses jours ordinaires Ă©galement, oĂč je ne figure pas. L'ami incarne tout cela, le serrement de main symbolise tout cela. Moi, je suis le monde invisible, souterrain, extraordinaire. D'habitude, cette singularitĂ© me rend heureux. Ce soir, elle me fait bĂȘtement souffrir. Car, tout de mĂȘme, il y a l'intimitĂ© foudroyante entre nous, parfois, l'insurpassable proximitĂ©, mais l'ignorance le reste du temps, l'absolue sĂ©paration  : une telle schizophrĂ©nie, avouez que ça peut venir Ă  bout de la raison des plus Ă©quilibrĂ©s. Et je n'Ă©tais pas le plus Ă©quilibrĂ©.
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Philippe Besson (" ArrĂȘte avec tes mensonges ")
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Depuis, le Paris oĂč j'ai tentĂ© de retrouver sa trace est demeurĂ© aussi dĂ©sert et silencieux que ce jour-lĂ . Je marche Ă  travers les rues vides. Pour moi, elles le restent, mĂȘme le soir, Ă  l'heure des embouteillages, quand les gens se pressent vers les bouches de mĂ©tro. Je ne peux pas m'empĂȘcher de penser Ă  elle et de sentir un Ă©cho de sa prĂ©sence dans certains quartiers.
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Patrick Modiano (Dora Bruder)
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Rien ne captive autant que ce particulier
 Charme de la musique oĂč ma langueur s’adore
 Quand je poursuis, aux soirs, le reflet que mordore
 Maint lustre au tapis vert du salon familier
 
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Erik L'Homme (Le regard des princes Ă  minuit (French Edition))
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Ce qui lui plaĂźt aujourd'hui lui dĂ©plaĂźt demain ; il n'est jamais satisfait. Regardez ces affolĂ©s se prĂ©cipiter Ă  toute heure du jour sur les journaux : ils en lisent dix, vingt — avec le mĂȘme air impassible — et vous les entendez toujours gĂ©mir : il n'y a rien dans les journaux ! On attend le soir, rien ! le lendemain, rien encore ! Arrive enfin une nouvelle, tout le monde la sait avant le journal.
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Tcheng-Ki-Tong (Les Chinois peints par eux-mĂȘmes)
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Allez, en avant ! Il faut que tout s'accĂ©lĂšre. Ce soir j'en ai plus rien Ă  foutre des rĂȘves et de la rĂ©alitĂ©. Dormir, manger et toutes ces conneries d'ĂȘtre vivant, je veux plus en entre parler, fermez vos gueules, les morts, je me tire. Venez, les Ă©toiles, je vous prends une par une ! Allez, venez vous enfoncer dans ma bouche, je suis vide, j'ai de la place. Hantez, faĂźtes comme chez vous ! Brillez !
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Mathias Malzieu (Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi)
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Ce qui est pire c’est qu’on se demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer Ă  faire ce qu’on a fait la veille et depuis dĂ©jĂ  tellement trop longtemps, oĂč on trouvera la force pour ces dĂ©marches imbĂ©ciles, ces mille projets qui n’aboutissent Ă  rien, ces tentatives pour sortir de l’accablante nĂ©cessitĂ©, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu’il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l’angoisse de ce lendemain, toujours plus prĂ©caire, plus sordide. C’est l’ñge aussi qui vient peut-ĂȘtre, le traĂźtre, et nous menace du pire. On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilĂ . Toute la jeunesse est allĂ©e mourir dĂ©jĂ  au bout du monde dans le silence de vĂ©ritĂ©. Et oĂč aller dehors, je vous le demande, dĂšs qu’on a plus en soi la somme suffisante de dĂ©lire ? La vĂ©ritĂ©, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vĂ©ritĂ© de ce monde c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir.
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Louis-Ferdinand CĂ©line
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J'ai toujours pris un plaisir extrĂȘme Ă  penser, sans trop me soucier du tracĂ© de la frontiĂšre entre l'imagination et la certitude. L'intĂ©rieur de ma tĂȘte comme un bordel dont je serai l'unique client d'un soir, l'habituĂ© occasionnel. Pas si seul, car les pensĂ©es pensionnaires viennent au-devant de mes dĂ©sirs : les nobles, cendrĂ©es et hautaines, les belles, toutes nues mais poudrĂ©es, les ingĂ©nues, les petites, les perverses, les noires, les folles, les honteuses. Et les vulgaires, et les trĂšs vulgaires, champagne, Ă©chancrure et langues qui s'agitent. "Mes pensĂ©es ce sont mes catins", comme c'est exact. Luxure mentale. Dehors, le froid. Et les autres, tous les autres, se tiennent dans ce froid. Proches et lointains. Et je les regarde, jumelles, fenĂȘtres sur cou. Nous communiquons par interphones et rĂ©pondeurs.
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Pierre PĂ©ju (La Vie courante)
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Je cherchais une Ăąme qui et me ressemblĂąt, et je ne pouvais pas la trouver. Je fouillais tous les recoins de la terre; ma persĂ©vĂ©rance Ă©tait inutile. Cependant, je ne pouvais pas rester seul. Il fallait quelqu’un qui approuvĂąt mon caractĂšre; il fallait quelqu’un qui eĂ»t les mĂȘmes idĂ©es que moi. C’était le matin; le soleil se leva Ă  l’horizon, dans toute sa magnificence, et voilĂ  qu’à mes yeux se lĂšve aussi un jeune homme, dont la prĂ©sence engendrait les fleurs sur son passage. Il s’approcha de moi, et, me tendant la main: "Je suis venu vers toi, toi, qui me cherches. BĂ©nissons ce jour heureux." Mais, moi: "Va-t’en; je ne t’ai pas appelĂ©: je n’ai pas besoin de ton amitiĂ©." C’était le soir; la nuit commençait Ă  Ă©tendre la noirceur de son voile sur la nature. Une belle femme, que je ne faisais que distinguer, Ă©tendait aussi sur moi son influence enchanteresse, et me regardait avec compassion; cependant, elle n’osait me parler. Je dis: "Approche-toi de moi, afin que je distingue nettement les traits de ton visage; car, la lumiĂšre des Ă©toiles n’est pas assez forte, pour les Ă©clairer Ă  cette distance." Alors, avec une dĂ©marche modeste, et les yeux baissĂ©s, elle foula l’herbe du gazon, en se dirigeant de mon cĂŽtĂ©. DĂšs que je la vis: "Je vois que la bontĂ© et la justice ont fait rĂ©sidence dans ton coeur: nous ne pourrions pas vivre ensemble. Maintenant, tu admires ma beautĂ©, qui a bouleversĂ© plus d’une; mais, tĂŽt ou tard, tu te repentirais de m’avoir consacrĂ© ton amour; car, tu ne connais pas mon Ăąme. Non que je te sois jamais infidĂšle: celle qui se livre Ă  moi avec tant d’abandon et de confiance, avec autant de confiance et d’abandon, je me livre Ă  elle; mais, mets-le dans ta tĂȘte, pour ne jamais l’oublier: les loups et les agneaux ne se regardent pas avec des yeux doux." Que me fallait-il donc, Ă  moi, qui rejetais, avec tant de dĂ©goĂ»t, ce qu’il y avait de plus beau dans l’humanitĂ©!
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Je m'entends dire : "Il y a en moi ce qui se trouve chez beaucoup d'hommes dans le monde, amours, coups de feu, des phrases pleines d'épines, aucune envie d'en parler. Nous sommes ordinaires nous autres hommes. Ce qui est spécial, c'est vivre, regarder le soir le creux de sa main et savoir que le lendemain sera nouveau, que le tailleur de la nuit coud la peau, raccommode les cals, reprise les accrocs et dégonfle la fatigue." (p. 44)
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Erri De Luca (Tre cavalli)
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Chaque fois que je pense a lui, je me souviens d'une anecdote qu'on m'a racontĂ©e : un jour, les Gardes rouges fouillĂšrent sa maison, et trouvĂšrent un livre cachĂ© sous son oreiller, Ă©crit dans une langue Ă©trangĂšre, que personne ne connaissait. La scĂšne n'Ă©tait pas sans ressemblance avec celle de la bande du boiteux autour du Cousin Pons. Il fallut envoyer ce butin Ă  l'UniversitĂ© de PĂ©kin pour savoir enfin qu'il s'agissait d'une Bible en latin. Elle coĂ»ta cher au pasteur car, depuis, il Ă©tait forcĂ© de nettoyer la rue, toujours la mĂȘme, du matin au soir, huit heures par jour, quel que fĂ»t le temps. Il finit ainsi par devenir une dĂ©coration mobile du paysage.
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Honoré de Balzac
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C'est dans ma neuviĂšme annĂ©e que j'ai appris le hollandais. A cette Ă©poque-lĂ , j'avais un papa, un chic type dans mon genre, qui voulait que ses enfants rĂ©ussissent dans la vie. Lui n'avait pas beaucoup travaillĂ© Ă  l'Ă©cole ; ce qui ne l'empĂȘchait pas, tous les Ă©tĂ©s, de nous acheter Ă  ma sƓur Christine et Ă  moi des "cahiers de vacances". Le lundi soir, elle avait dĂ©jĂ  fait son cahier jusqu'au jeudi. Moi, je n'ai jamais pu terminer le mien.
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Marie-Aude Murail (Le hollandais sans peine)
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Je m'accordais, chaque soir, un moment de musique qui n'Ă©tait qu'Ă  moi seul. Certes, ce plaisir solitaire est un plaisir stĂ©rile, mais aucun plaisir n'est stĂ©rile lorsqu'il remet notre ĂȘtre d'accord avec la vie. (p. 80-81)
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Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grùce)
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Mais quelqu'un est venu qui m'a enlevé à tous ces plaisirs d'enfant paisible. Quelqu'un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel penché sur le repas du soir. Quelqu'un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon pÚre avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là, ce fut Augustin Meaulnes, que les autres élÚves appelÚrent bientÎt le grand Meaulnes.
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Alain-Fournier (Le Grand Meaulnes)
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Quelques fois je me disais qu'il passait peut-ĂȘtre toute une journĂ©e sans penser une seconde Ă  moi. Je le voyais se lever, prendre son cafĂ©, parler, rire, comme si je n'existais pas. Ce dĂ©calage avec ma propre obsession me remplissait d'Ă©tonnement. Comment Ă©tait-ce possible. Mais lui-mĂȘme aurait Ă©tĂ© stupĂ©fait d'apprendre qu'il ne quittait pas ma tĂȘte du matin au soir. Il n'y avait pas de raison de trouver plus juste mon attitude ou la sienne. En un sens, j'avais plus de chance que lui.
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Annie Ernaux (Simple Passion)
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Est-ce que nous nous sommes embrassés, hier soir ? - Oui. - Eh bien, ça n'avait rien de mémorable, je ne m'en rappelle absolument pas. Alex éclate de rire. - Je rigole. Non, on ne s'est pas embrassés. Quand on le fera, tu t'en rappelleras. Toujours.
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Simone Elkeles
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Frida est trop intense parfois, impossible Ă  son contact d'oublier que l'on va tous mourir et que notre passage ici est une sorte de violence magique, futile, essentielle et grotesque, interdit d'oublier que nous sommes tous reins et peau d'inconsolables incendies, c'est trop de tension, il est sorti ce soir, il a besoin d'ĂȘtre seul parfois, souvent. Mais une vie sans elle serait une pĂąle Ă©toile. Une longue et more promenade bordĂ©e de rĂ©verbĂšres perpĂ©tuellement allumĂ©s. Il s'effondre de chagrin.
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Claire Berest (Rien n'est noir)
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Que ce soit dimanche ou lundi Soir ou matin minuit midi Dans l'enfer ou le paradis Les amours aux amours ressemblent C'Ă©tait hier que je t'ai dit Nous dormirons ensemble C'Ă©tait hier et c'est demain Je n'ai plus que toi de chemin J'ai mis mon cƓur entre tes mains Avec le tien comme il va l'amble Tout ce qu'il a de temps humain Nous dormirons ensemble Mon amour ce qui fut sera Le ciel est sur nous comme un drap J'ai refermĂ© sur toi mes bras Et tant je t'aime que j'en tremble Aussi longtemps que tu voudras Nous dormirons ensemble.
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Louis Aragon (Le fou d'Elsa)
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Oh ! elle apprend aux flambeaux Ă  illuminer ! Sa beautĂ© est suspendue Ă  la face de la nuit comme un riche joyau Ă  l'oreille d'une Éthiopienne ! BeautĂ© trop prĂ©cieuse pour la possession, trop exquise pour la terre ! Telle la colombe de neige dans une troupe de corneilles, telle apparaĂźt cette jeune dame au milieu de ses compagnes. Cette danse finie, j'Ă©pierai la place oĂč elle se tient, et je donnerai Ă  ma main grossiĂšre le bonheur de toucher la sienne. Mon cƓur a-t-il aimĂ© jusqu'ici ? Non ; jurez-le, mes yeux ! Car jusqu'Ă  ce soir, je n'avais pas vu la vraie beautĂ©.
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William Shakespeare (Romeo & Juliet)
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Oh ! elle apprend aux flambeaux Ă  illuminer ! Sa beautĂ© est suspendue Ă  la face de la nuit comme un riche joyau Ă  l'oreille d'une Éthiopienne ! BeautĂ© trop prĂ©cieuse pour la possession, trop exquise pour la terre ! Telle la colombe de neige dans une troupe de corneilles, telle apparaĂźt cette jeune dame au milieu de ses compagnes. Cette danse finie, j'Ă©pierai la place oĂč elle se tient, et je donnerai Ă  ma main grossiĂšre le bonheur de toucher la sienne. Mon cƓur a-t-il aimĂ© jusqu'ici ? Non ; jurez-le, mes yeux ! Car jusqu'Ă  ce soir, je n'avais pas vu la vraie beautĂ©.
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”
William Shakespeare (ROMEO & JULIET)
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Mais oui, maĂźtresse... Tenez ! juste au-dessus de nous, voilĂ  le Chemin de saint Jacques (la Voie lactĂ©e). Il va de France droit sur l’Espagne. C’est saint Jacques de Galice qui l’a tracĂ© pour montrer sa route au brave Charlemagne lorsqu’il faisait la guerre aux Sarrasins. Plus loin, vous avez le Char des Ames (la Grande Ourse) avec ses quatre essieux resplendissants. Les trois Ă©toiles qui vont devant sont les Trois BĂȘtes, et cette toute petite contre la troisiĂšme c’est le Charretier. Voyez-vous tout autour cette pluie d’étoiles qui tombent ? Ce sont les Ăąmes dont le bon Dieu ne veut pas chez lui... Un peu plus bas, voici le RĂąteau ou les Trois Rois (Orion). C’est ce qui nous sert d’horloge, Ă  nous autres. Rien qu’en les regardant, je sais maintenant qu’il est minuit passĂ©. Un peu plus bas, toujours vers le midi, brille Jean de Milan, le flambeau des astres (Sirius). Sur cette Ă©toile-lĂ , voici ce que les bergers racontent. Il paraĂźt qu’une nuit Jean de Milan, avec les Trois Rois et la PoussiniĂšre (la PlĂ©iade), furent invitĂ©s Ă  la noce d’une Ă©toile de leurs amies. PoussiniĂšre, plus pressĂ©e, partit, dit-on, la premiĂšre, et prit le chemin haut. Regardez-la, lĂ -haut, tout au fond du ciel. Les Trois Rois coupĂšrent plus bas et la rattrapĂšrent ; mais ce paresseux de Jean de Milan, qui avait dormi trop tard, resta tout Ă  fait derriĂšre, et furieux, pour les arrĂȘter, leur jeta son bĂąton. C’est pourquoi les Trois Rois s’appellent aussi le BĂąton de Jean de Milan... Mais la plus belle de toutes les Ă©toiles, maĂźtresse, c’est la nĂŽtre, c’est l’Etoile du Berger, qui nous Ă©claire Ă  l’aube quand nous sortons le troupeau, et aussi le soir quand nous le rentrons. Nous la nommons encore Maguelonne, la belle Maguelonne qui court aprĂšs Pierre de Provence (Saturne) et se marie avec lui tous les sept ans
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Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin)
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Ne me retire pas l'idĂ©e, aussi incertaine soit-elle, que s'aventurer est toujours plus vivifiant que se contenir, que ce qui s'Ă©lance a plus de grĂące que ce qui se ramasse. Un jour qui se lĂšve, aussi merdique soit-il, mĂȘme en novembre, mĂȘme par temps de pluie, est toujours plus prometteur qu'un soir de juin qui a tout dit.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Tristesses de la Lune Ce soir, la lune rĂȘve avec plus de paresse ; Ainsi qu’une beautĂ©, sur de nombreux coussins, Qui d’une main distraite et lĂ©gĂšre caresse Avant de s’endormir le contour de ses seins, Sur le dos satinĂ© des molles avalanches, Mourante, elle se livre aux longues pĂąmoisons, Et promĂšne ses yeux sur les visions blanches Qui montent dans l’azur comme des floraisons. Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive, Elle laisse filer une larme furtive, Un poĂšte pieux, ennemi du sommeil, Dans le creux de sa main prend cette larme pĂąle, Aux reflets irisĂ©s comme un fragment d’opale, Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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Jusqu'Ă  prĂ©sent, lecteur, suivant l'antique usage, Je te disais bonjour Ă  la premiĂšre page. Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement ; En vĂ©ritĂ©, ce siĂšcle est un mauvais moment. Tout s'en va, les plaisirs et les moeurs d'un autre Ăąge, Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant, Rosafinde et Suzon qui me trouvent trop sage, Lamartine vieilli qui me traite en enfant. La politique, hĂ©las ! voilĂ  notre misĂšre. Mes meilleurs ennemis me conseillent d'en faire. Être rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non. Je veux, quand on m'a lu, qu'on puisse me relire. Si deux noms, par hasard, s'embrouillent sur ma lyre, Ce ne sera jamais que Ninette ou Ninon.
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Alfred de Musset
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Certes, le beau visage de ma mĂšre brillait encore de jeunesse ce soir-lĂ  oĂč elle me tenait si doucement les mains et cherchait Ă  arrĂȘter mes larmes ; mais justement il me semblait que cela n’aurait pas dĂ» ĂȘtre, sa colĂšre eĂ»t Ă©tĂ© moins triste pour moi que cette douceur nouvelle que n’avait pas connue mon enfance ; il me semblait que je venais d’une main impie et secrĂšte de tracer dans son Ăąme une premiĂšre ride et d’y faire apparaĂźtre un premier cheveu blanc. Cette pensĂ©e redoubla mes sanglots, et alors je vis maman, qui jamais ne se laissait aller Ă  aucun attendrissement avec moi, ĂȘtre tout d’un coup gagnĂ©e par le mien et essayer de retenir une envie de pleurer.
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Marcel Proust (Swann’s Way (In Search of Lost Time, #1))
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Parmi les nombreuses maĂźtresses que vous avez troussĂ©es, avouez qu'il y en a une ou deux qui vont ont laissĂ© des Ă©chardes dans le saignant. Il ne s'agit jamais de la plus belle, de la plus douce, de la plus prestigieuse, non, non... En gĂ©nĂ©ral, ce serait plutĂŽt une conquĂȘte de seconde catĂ©gorie, levĂ©e parce qu'elle Ă©tait piquante, que vous avez prise pour l'aventure d'un soir. Et voici que la sournoise vous a ferrĂ©, en embuscade ! Elle vous a emmiellĂ© dans une soie gluante de passion, la toquade a virĂ© flambĂ©e de fiĂšvre. Plus moyen de vous dĂ©pĂȘtrer. Le pire, c'est que vous n'Ă©tiez mĂȘme pas sĂ»r de l'aimer, que vous ne compreniez rien Ă  cette malĂ©diction ! Cette liaison, c'Ă©tait un naufrage dans une mer mauvaise, toute Ă©cumeuse de rĂ©cifs.
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Jean-Philippe Jaworski (Le Sentiment du fer)
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Dans ce silence de la mort, toute ma vie se dĂ©roula comme une chose inĂ©vitable, terrible par sa sĂ©vĂšre logique. Je ne voyais pas de faits distincts, mais une ligne droite qui allait du jour de ma naissance au soir d’aujourd’hui. Elle ne pouvait aller plus loin : c’était clair. Mais j’ai dĂ©jĂ  dit que, deux mois avant, j’avais senti l’approche de la mort, et tous les hommes la sentent de mĂȘme. Le pressentiment a son rĂŽle dans la vie de chacun de nous, et il ne déçoit pas. Le poĂšte parle avec une admirable justesse quand il dit : « Les Ă©vĂ©nements futurs jettent une ombre devant eux. » Si les hommes se plaignent quelquefois d’avoir Ă©tĂ© trompĂ©s par le pressentiment, c’est parce que leurs sensations leur restent obscures : toujours ils dĂ©sirent ou apprĂ©hendent, et ils prennent leur peur ou leur espoir pour le pressentiment.
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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Les bĂȘtes, cela parle; et Dupont de Nemours Les comprend, chants et cris, gaĂźtĂ©, colĂšre, amours. C'est dans Perrault un fait, dans HomĂšre un prodige; PhĂšdre prend leur parole au vol et la rĂ©dige; La Fontaine, dans l'herbe Ă©paisse et le genĂȘt RĂŽdait, guettant, rĂȘvant, et les espionnait; Ésope, ce songeur bossu comme le Pinde, Les entendait en GrĂšce, et PilpaĂŻ dans l'Inde; Les clairs Ă©tangs le soir offraient leurs noirs jargons A monsieur Florian, officier de dragons; Et l'Ăąpre ÉzĂ©chiel, l'affreux prophĂšte chauve, Homme fauve, Ă©coutait parler la bĂȘte fauve. Les animaux naĂŻfs dialoguent entr'eux. Et toujours, que ce soit le hibou tĂ©nĂ©breux, L'ours qu'on entend gronder, l'Ăąne qu'on entend braire, Ou l'oie apostrophant le dindon, son grand frĂšre, Ou la guĂȘpe insultant l'abeille sur l'Hybla, Leur bĂȘtise Ă  l'esprit de l'homme ressembla.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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« Écoute, Egor PĂ©trovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton dĂ©sespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accĂšs de tristesse, tu dis que tu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as racontĂ© ta vie d’autrefois. À cette Ă©poque aussi le dĂ©sespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette Ă©poque aussi, ton premier maĂźtre, cet homme Ă©trange, dont tu m’as tant parlĂ©, a Ă©veillĂ© en toi, pour la premiĂšre fois, l’amour de l’art et a devinĂ© ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriĂ©taire, et tu ne savais toi-mĂȘme ce que tu dĂ©sirais. Ton maĂźtre est mort trop tĂŽt. Il t’a laissĂ© seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliquĂ© toimĂȘme. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinĂ©s, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haĂŻ tout ce qui t’entourait alors. Tes six annĂ©es de misĂšre ne sont pas perdues. Tu as travaillĂ©, pensĂ©, tu as reconnu et toi-mĂȘme et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus enviĂ© que le mien t’est rĂ©servĂ©. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne mĂȘme la dixiĂšme partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriĂ©taire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvretĂ©, la misĂšre ? Mais la pauvretĂ© et la misĂšre forment l’artiste. Elles sont insĂ©parables des dĂ©buts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaĂźtre. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignitĂ©, et surtout la bĂȘtise t’opprimeront plus fortement que la misĂšre. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tĂącheront de regarder avec mĂ©pris ce qui s’est Ă©laborĂ© en toi au prix d’un pĂ©nible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relĂšveront chacune de tes fautes. Ils te montreront prĂ©cisĂ©ment ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et mĂ©prisant ils fĂȘteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent Ă  tort. Il t’arrivera d’offenser une nullitĂ© qui a de l’amour-propre, et alors malheur Ă  toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront Ă  coups d’épingles. Moi mĂȘme, je commence Ă  Ă©prouver tout cela. Prends donc des forces dĂšs maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne nĂ©glige pas les besognes grossiĂšres, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicitĂ© ; tu ruses trop, tu rĂ©flĂ©chis trop, tu fais trop travailler ta tĂȘte. Tu es audacieux en paroles et lĂąche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-ĂȘtre arriveras-tu au but. Sinon, va quand mĂȘme au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Les passantes : Je veux dĂ©dier ce poĂšme A toutes les femmes qu'on aime Pendant quelques instants secrets A celles qu'on connait Ă  peine Qu'un destin diffĂ©rent entraine Et qu'on ne retrouve jamais ...... A la compagne de voyage Dont les yeux, charmant paysage Font apparaitre court le chemin Qu'on est seul, peut-ĂȘtre Ă  comprendre Et qu'on laisse pourtant descendre Sans avoir effleurĂ© sa main. .... ChĂšres images aperçues EspĂ©rances d'un jour deçues Vous serez dans l'oubli demain Pour peu que le bonheur survienne Il est rare qu'on se souvienne Des Ă©pisodes du chemin. Mais si lon a manquĂ© sa vie On songe avec un peu d'envie A tous ces bonheurs entrevus Aux baisers qu'on n'osa pas prendre Aux coeurs qui doivent vous attendre Aux yeux qu'on n'a jamais revus. Alors aux soirs de lassitude Tout en peuplant sa solitude Des fantĂŽmes du souvenir On pleure les lĂšvres absentes De toutes ces belles passantes Que l'on n'a pas su retenir.
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Antoine Polin
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[...] Un soir nous Ă©tions plusieurs ministres Ă  rompre le jeĂ»ne au Palais Royal de FĂšs, en prĂ©sence de Sa MajestĂ©, tout au dĂ©but de son rĂšgne. A ma gauche Si Mohamed El-Fassi, Ă  ma droite une autre personnalitĂ©. Ayant devant moi la soupiĂšre, El-Fassi me demanda de le servir. - "Non", lui rĂ©pondis-je. -"Et pourquoi", dit-il, Ă©tonnĂ© ? - "Parce que, simplement, tu avais proclamĂ© que la langue Tamazight n'est pas une langue et qu'il n'y avait pas lieu d'avancer son apport sur le plan de notre civilisation". Oui, j'ai dit cela. - "Mais d'abord mon bol , et je raconte!" Écoutons-le : - "A l'Ă©poque oĂč j'ai Ă©tĂ© prisonnier avec d'autres nationalistes, Ă  AĂŻn-Kardous, j'ai demandĂ© Ă  un fqih berbĂ©risant de m'initier Ă  la langue berbĂšre. Il m'a rĂ©pondu : "Pourquoi voudrais-tu perdre ton temps pour un jargon mĂ©prisĂ© par Dieu lui-mĂȘme ? Et, continuant : "Le CrĂ©ateur a donnĂ© Ă  chaque peuple une langue mais, Ă  la fin, il a dĂ» se rendre compte que l'un d'entre deux a Ă©tĂ© oubliĂ©. Il trouva la solution en ramassant les restes des langues Ă©parpillĂ©es sur le sol, et offrit cette mixture, ne pouvant faire autrement, Ă  ce bon peuple Amazigh". - "On dĂ©nonce mĂȘme Dieu", ai-je rĂ©torquĂ©, furieux. "Mais tu viens de donner la preuve de l'universalitĂ© de la langue berbĂšre." - "Universelle!" plaisanta mon autre voisin... "Elle n'est mĂȘme pas dans les archives". La discussion devient gĂ©nĂ©rale, les uns pour, les autres... Sa MajestĂ©, pour mettre fin Ă  toutes nos grandes phrases, posa cette question Ă  El-Fassi : - "Le berbĂšre est-il une langue, oui ou non ?" - "A la rĂ©flexion, oui, MajestĂ©; il a ses contes et ses lĂ©gendes, sa poĂ©sie, et ses structures ne peuvent ĂȘtre niĂ©es". - "Alors," conclut Sa MajestĂ©, "nous aborderons cette question dans une vingtaine d'annĂ©es. Contentons-nous, maintenant, de consolider notre unitĂ©. (Tifinagh N°1 - Repris de "Le Maroc des potentialitĂ©s, 1989, p276-280)
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Mahjoubi Aherdan (Le Maroc des potentialités)
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Attends. Laisse-moi dire adieu Ă  cette lĂ©gĂšretĂ© sans tache qui fut la mienne. Laisse-moi dire adieu Ă  ma jeunesse. Il y a des soirs, des soirs de Corinthe ou d'AthĂšnes, pleins de chants et d'odeurs qui ne m'appartiendront plus jamais. Des matins, pleins d'espoir aussi... Allons adieu! adieu! (Il vient vers Electre.) Viens, Electre, regarde notre ville. Elle est lĂ , rouge sous le soleil, bourdonnante d'hommes et de mouches, dans l'engourdissement tĂȘtu d'un aprĂšs-midi d'Ă©tĂ©; elle me repousse de tous ses murs, de tous ses toits, de toutes ses portes closes. Et pourtant elle est Ă  prendre, je le sens depuis ce matin. Et toi aussi, Electre, tu es Ă  prendre. Je vous prendrai. Je deviendrai hache et je fendrai en deux ces murailles obstinĂ©es, j'ouvrirai le ventre de ces maisons bigotes, elles exhaleront par leurs plaies bĂ©antes une odeur de mangeaille et d'encens; je deviendrai cognĂ©e et je m enfoncerai dans le cƓur de cette ville comme la cognĂ©e dans le cƓur d'un chĂȘne.
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Jean-Paul Sartre (The Flies (SparkNotes Literature Guide Series))
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- Tu crois ça ? Alors, pour toi, les choses sont simples : il y a les bons et les méchants ? Quelle chance tu as ! Tiens, si tu avais le choix au moment des élections entre trois candidats : le premier à moitié paralysé par la polio, souffrant d'hypertension, d'anémie et de nombreuses pathologies lourdes, menteur à l'occasion, consultant une astrologue, trompant sa femme, fumant des cigarettes à la chaßne et buvant trop de martinis ; le deuxiÚme obÚse, ayant déjà perdu trois élections, fait une dépression et deux crises cardiaques, fumant des cigares et s'imbibant le soir au champagne, au porto, au cognac et au whisky avant de prendre deux somnifÚres ; le troisiÚme enfin un héros de guerre décoré, respectant les femmes, aimant les animaux, ne buvant qu'une biÚre de temps en temps et ne fumant pas, lequel choisirais-tu ? Servaz sourit. - Je suppose que vous vous attendez à ce que je réponde le troisiÚme ? - Eh bien bravo, tu viens de rejeter Roosevelt et Churchill et d'élire Adolf Hitler. Tu vois : les choses ne sont jamais ce qu'elles paraissent.
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Bernard Minier
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Esther n'Ă©tait certainement pas bien Ă©duquĂ©e au sens habituel du terme, jamais l'idĂ©e ne lui serait venue de vider un cendrier ou de dĂ©barrasser le relief de ses repas, et c'est sans la moindre gĂȘne qu'elle laissait la lumiĂšre allumĂ©e derriĂšre elle dans les piĂšces qu'elle venait de quitter (il m'est arrivĂ©, suivant pas Ă  pas son parcours dans ma rĂ©sidence de San Jose, d'avoir Ă  actionner dix-sept commutateurs); il n'Ă©tait pas davantage question de lui demander de penser Ă  faire un achat, de ramener d'un magasin oĂč elle se rendait une course non destinĂ©e Ă  son propre usage, ou plus gĂ©nĂ©ralement de rendre un service quelconque. Comme toutes les trĂšs jolies jeunes filles elle n'Ă©tait au fond bonne qu'Ă  baiser, et il aurait Ă©tĂ© stupide de l'employer Ă  autre chose, de la voir autrement que comme un animal de luxe, en tout choyĂ© et gĂ„tĂ©, protĂ©gĂ© de tout souci comme de toute tĂąche ennuyeuse ou pĂ©nible afin de mieux pouvoir se consacrer Ă  son service exclusivement sexuel. Elle n'en Ă©tait pas moins trĂšs loin d'ĂȘtre ce monstre d'arrogance, d'Ă©goĂŻsme absolu et froid, au, pour parler en termes plus baudelairiens, cette infernale petite salope que sont la plupart des trĂšs jolies jeunes filles; il y avait en elle la conscience de la maladie, de la faiblesse et de la mort. Quoique belle, trĂšs belle, infiniment Ă©rotique et dĂ©sirable, Esther n'en Ă©tait pas moins sensible aux infirmitĂ©s animales, parce qu'elle les connaissait ; c'est ce soir-lĂ  que j'en pris conscience, et que je me mis vĂ©ritablement Ă  l'aimer. Le dĂ©sir physique, si violent soit-il, n'avait jamais suffi chez moi Ă  conduire Ă  l'amour, il n'avait pu atteindre ce stade ultime que lorsqu'il s'accompagnait, par une juxtaposition Ă©trange, d'une compassion pour l'ĂȘtre dĂ©sirĂ© ; tout ĂȘtre vivant, Ă©videmment, mĂ©rite la compassion du simple fait qu'il est en vie et se trouve par lĂ -mĂȘme exposĂ© Ă  des souffrances sans nombre, mais face Ă  un ĂȘtre jeune et en pleine santĂ© c'est une considĂ©ration qui paraĂźt bien thĂ©orique. Par sa maladie de reins, par sa faiblesse physique insoupçonnable mais rĂ©elle, Esther pouvait susciter en moi une compassion non feinte, chaque fois que l'envie me prendrait d'Ă©prouver ce sentiment Ă  son Ă©gard. Étant elle-mĂȘme compatissante, ayant mĂȘme des aspirations occasionnelles Ă  la bontĂ©, elle pouvait Ă©galement susciter en moi l'estime, ce qui parachevait l'Ă©difice, car je n'Ă©tais pas un ĂȘtre de passion, pas essentiellement, et si je pouvais dĂ©sirer quelqu'un de parfaitement mĂ©prisable, s'il m'Ă©tait arrivĂ© Ă  plusieurs reprises de baiser des filles dans l'unique but d'assurer mon emprise sur elles et au fond de les dominer, si j'Ă©tais mĂȘme allĂ© jusqu'Ă  utiliser ce peu louable sentiment dans des sketches, jusqu'Ă  manifester une comprĂ©hension troublante pour ces violeurs qui sacrifient leur victime immĂ©diatement aprĂšs avoir disposĂ© de son corps, j'avais par contre toujours eu besoin d'estimer pour aimer, jamais au fond je ne m'Ă©tais senti parfaitement Ă  l'aise dans une relation sexuelle basĂ©e sur la pure attirance Ă©rotique et l'indiffĂ©rence Ă  l'autre, j'avais toujours eu besoin, pour me sentir sexuellement heureux, d'un minimum - Ă  dĂ©faut d'amour - de sympathie, d'estime, de comprĂ©hension mutuelle; l'humanitĂ© non, je n'y avais pas renoncĂ©. (La possibilitĂ© d'une Ăźle, Daniel 1,15)
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Michel Houellebecq
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Augmentez la dose de sports pour chacun, dĂ©veloppez l'esprit d'Ă©quipe, de compĂ©tition, et le besoin de penser est Ă©liminĂ©, non ? Organiser, organisez, super-organisez des super-super-sports. Multipliez les bandes dessinĂ©es, les films; l'esprit a de moins en moins d'appĂ©tits. L'impatience, les autos-trades sillonnĂ©es de foules qui sont ici, lĂ , partout, nulle part. Les rĂ©fugiĂ©s du volant. Les villes se transforment en auberges routiĂšres; les hommes se dĂ©placent comme des nomades suivant les phases de la lune, couchant ce soir dans la chambre oĂč tu dormais Ă  midi et moi la veille. (1re partie) On vit dans l'immĂ©diat. Seul compte le boulot et aprĂšs le travail l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit sinon Ă  presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des Ă©crous ? Nous n'avons pas besoin qu'on nous laisse tranquilles. Nous avons besoin d'ĂȘtre sĂ©rieusement tracassĂ©s de temps Ă  autre. Il y a combien de temps que tu n'as pas Ă©tĂ© tracassĂ©e sĂ©rieusement ? Pour une raison importante je veux dire, une raison valable ? - Tu dois bien comprendre que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d'inquiĂ©ter ou de dĂ©ranger nos minoritĂ©s. Pose-toi la question toi-mĂȘme. Que recherchons-nous, par-dessus tout, dans ce pays ? Les gens veulent ĂȘtre heureux, d'accord ? Ne l'as-tu pas entendu rĂ©pĂ©ter toute la vie ? Je veux ĂȘtre heureux, dĂ©clare chacun. Eh bien, sont-ils heureux ? Ne veillons-nous pas Ă  ce qu'ils soient toujours en mouvement, toujours distraits ? Nous ne vivons que pour ça, c'est bien ton avis ? Pour le plaisir, pour l'excitation. Et tu dois admettre que notre civilisation fournit l'un et l'autre Ă  satiĂ©tĂ©. Si le gouvernement est inefficace, tyrannique, vous Ă©crase d'impĂŽts, peu importe tant que les gens n'en savent rien. La paix, Montag. Instituer des concours dont les prix supposent la mĂ©moire des paroles de chansons Ă  la mode, des noms de capitales d'État ou du nombre de quintaux de maĂŻs rĂ©coltĂ©s dans l'Iowa l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Gavez les hommes de donnĂ©es inoffensives, incombustibles, qu'ils se sentent bourrĂ©s de "faits" Ă  Ă©clater, renseignĂ©s sur tout. Ensuite, ils s'imagineront qu'ils pensent, ils auront le sentiment du mouvement, tout en piĂ©tinant. Et ils seront heureux, parce que les connaissances de ce genre sont immuables. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie Ă  quoi confronter leur expĂ©rience. C'est la source de tous les tourments. Tout homme capable de dĂ©monter un Ă©cran mural de tĂ©lĂ©vision et de le remonter et, de nos jours ils le sont Ă  peu prĂšs tous, est bien plus heureux que celui qui essais de mesurer, d'Ă©talonner, de mettre en Ă©quations l'univers ce qui ne peut se faire sans que l'homme prenne conscience de son infĂ©rioritĂ© et de sa solitude. Nous sommes les joyeux drilles, les boute-en-train, toi, moi et les autres. Nous faisons front contre la marĂ©e de ceux qui veulent plonger le monde dans la dĂ©solation en suscitant le conflit entre la thĂ©orie et la pensĂ©e. Nous avons les doigts accrochĂ©s au parapet. Tenons bon. Ne laissons pas le torrent de la mĂ©lancolie et de la triste philosophie noyer notre monde. Nous comptons sur toi. Je ne crois pas que tu te rendes compte de ton importance, de notre importance pour protĂ©ger l'optimisme de notre monde actuel.
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Ray Bradbury (Fahrenheit 451)
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Seigneur je suis trĂšs fatiguĂ©. Je suis nĂ© fatiguĂ©. Et j'ai beaucoup marchĂ© depuis le chant du coq Et le morne est bien haut qui mĂšne Ă  leur Ă©cole. Seigneur, je ne veux plus aller Ă  leur Ă©cole, Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus. Je veux suivre mon pĂšre dans les ravines fraĂźches Quand la nuit flotte encore dans le mystĂšre des bois OĂč glissent les esprits que l'aube vient chasser. Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers Que cuisent les flammes de midi, Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers, Je veux me rĂ©veiller Lorsque lĂ -bas mugit la sirĂšne des blancs Et que l'Usine Sur l'ocĂ©an des cannes Comme un bateau ancrĂ© Vomit dans la campagne son Ă©quipage nĂšgre... Seigneur, je ne veux plus aller Ă  leur Ă©cole, Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus. Ils racontent qu'il faut qu'un petit nĂšgre y aille Pour qu'il devienne pareil Aux messieurs de la ville Aux messieurs comme il faut Mais moi je ne veux pas Devenir, comme ils disent, Un monsieur de la ville, Un monsieur comme il faut. Je prĂ©fĂšre flĂąner le long des sucreries OĂč sont les sacs repus Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune. Je prĂ©fĂšre vers l'heure oĂč la lune amoureuse Parle bas Ă  l'oreille des cocotiers penchĂ©s Ecouter ce que dit dans la nuit La voix cassĂ©e d'un vieux qui raconte en fumant Les histoires de Zamba et de compĂšre Lapin Et bien d'autres choses encore Qui ne sont pas dans les livres. Les nĂšgres, vous le savez, n'ont que trop travaillĂ©. Pourquoi faut-il de plus apprendre dans les livres Qui nous parlent de choses qui ne sont point d'ici ? Et puis elle est vraiment trop triste leur Ă©cole, Triste comme Ces messieurs de la ville, Ces messieurs comme il faut Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds Qui ne savent plus conter les contes aux veillĂ©es. Seigneur, je ne veux plus aller Ă  leur Ă©cole.
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Guy Tirolien (Balles d'or: PoÚmes (Poésie) (French Edition))
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Avant le chariot du supermarchĂ©, le qu'est-ce qu'on va manger ce soir, les Ă©conomies pour s'acheter un canapĂ©, une chaĂźne hi-fi, un appart. Avant les couches, le petit seau et la pelle sur la plage, les hommes que je ne vois plus, les revues de consommateurs pour ne pas se faire entuber, le gigot qu'il aime par-dessus tout et le calcul rĂ©ciproque des libertĂ©s perdues. Une pĂ©riode oĂč l'on peut dĂźner d'un yaourt, faire sa valise en une demi-heure pour un week-end impromptu, parler toute une nuit. Lire un dimanche entier sous les couvertures. S'amollir dans un cafĂ©, regarder les gens entrer et sortir, se sentir flotter entre ces existences anonymes. Faire la fĂȘte sans scrupule quand on a le cafard. Une pĂ©riode oĂč les conversations des adultes installĂ©s paraissent venir d'un univers futile, presque ridicule, on se fiche des embouteillages, des morts de la PentecĂŽte, du prix du bifteck et de la mĂ©tĂ©o. Personne ne vous colle aux semelles encore. Toutes les filles l'ont connue, cette pĂ©riode, plus ou moins longue, plus ou moins intense, mais dĂ©fendu de s'en souvenir avec nostalgie. Quelle honte ! Oser regretter ce temps Ă©goĂŻste, oĂč l'on n'Ă©tait responsable que de soi, douteux, infantile. La vie de jeune fille, ça ne s'enterre pas, ni chanson ni folklore lĂ -dessus, ça n'existe pas. Une pĂ©riode inutile.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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« Norbert de Varenne parlait d’une voix claire, mais retenue, qui aurait sonnĂ© dans le silence de la nuit s’il l’avait laissĂ©e s’échapper. Il semblait surexcitĂ© et triste, d’une de ces tristesses qui tombent parfois sur les Ăąmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelĂ©e. Il reprit : « Qu’importe, d’ailleurs, un peu plus ou un peu moins de gĂ©nie, puisque tout doit finir ! » Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cƓur gai, ce soir-lĂ , dit, en souriant : « Vous avez du noir, aujourd’hui, cher maĂźtre. » Le poĂšte rĂ©pondit. « J’en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques annĂ©es. La vie est une cĂŽte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre Ăąge, on est joyeux. On espĂšre tant de choses, qui n’arrivent jamais d’ailleurs. Au mien, on n’attend plus rien... que la mort. » Duroy se mit Ă  rire : « Bigre, vous me donnez froid dans le dos. » Norbert de Varenne reprit : « Non, vous ne me comprenez pas aujourd’hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. » « Il arrive un jour, voyez- vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, oĂč c’est fini de rire, comme on dit, parce que derriĂšre tout ce qu’on regarde, c’est la mort qu’on aperçoit. » « Oh ! vous ne comprenez mĂȘme pas ce mot-lĂ , vous, la mort. À votre Ăąge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. » « Oui, on le comprend tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi ni Ă  propos de quoi, et alors tout change d’aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bĂȘte rongeuse. Je l’ai sentie peu Ă  peu, mois par mois, heure par heure, me dĂ©grader ainsi qu’une maison qui s’écroule. Elle m’a dĂ©figurĂ© si complĂštement que je ne me reconnais pas. Je n’ai plus rien de moi, de moi l’homme radieux, frais et fort que j’étais Ă  trente ans. Je l’ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et mĂ©chante ! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une Ăąme dĂ©sespĂ©rĂ©e qu’elle enlĂšvera bientĂŽt aussi. » « Oui, elle m’a Ă©miettĂ©, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon ĂȘtre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hĂąte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rĂȘver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir ! » » (de « Bel-Ami » par Guy de Maupassant)
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Guy de Maupassant
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On servit le souper, Milady sentit qu’elle avait besoin de forces, elle ne savait pas ce qui pouvait se passer pendant cette nuit qui s’approchait menaçante, car de gros nuages roulaient au ciel, et des Ă©clairs lointains annonçaient un orage. L’orage Ă©clata vers les dix heures du soir ; milady sentait une consolation Ă  voir la nature partager le dĂ©sordre de son cƓur ; la foudre grondait dans l’air comme la colĂšre dans sa pensĂ©e, il lui semblait que la rafale, en passant, Ă©chevelait son front comme les arbres dont elle courbait les branches et enlevait les feuilles ; elle hurlait comme l’ouragan, et sa voix se perdait dans la grande voix de la nature, qui, elle aussi, semblait gĂ©mir et se dĂ©sespĂ©rer.
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Alexandre Dumas (The Three Musketeers)
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Mais les signes de ce qui m'attendait rĂ©ellement, je les ai tous nĂ©gligĂ©s. Je travaille mon diplĂŽme sur le surrĂ©alisme Ă  la bibliothĂšque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-ĂȘtre mes derniĂšres semaines de fille seule, libre d'aller oĂč je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans ĂȘtre dĂ©rangĂ©e. Je vais perdre dĂ©finitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublĂ©, Ă  deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drĂŽle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idĂ©es de fille unique, Ă©gocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal Ă©levĂ©e au fond. Un jour, il a du travail, il est fatiguĂ©, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se prĂ©cipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hĂ©sitation, comme si elles avaient dans la tĂȘte toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-ĂȘtre, pour quatre personnes ou plus aux goĂ»ts diffĂ©rents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmĂ©e par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarchĂ©. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il Ă©tait en train d'Ă©couter de la musique. Il a tout dĂ©ballĂ© avec un plaisir de gamin. Les poires Ă©taient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournĂ©s au restau universitaire, j'ai oubliĂ©. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai Ă©touffĂ©s. SublimĂ©s. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de libertĂ©, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du mĂ©nage, un peu. Et alors, tu renĂącles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles rĂ©ussissent Ă  tout "concilier", sourire aux lĂšvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libĂ©rĂ©e de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'Ă©quilibre. L'homme, l'Ă©paule solide, anti-mĂ©taphysique, dissipateur d'idĂ©es tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons mĂȘme disparaĂźtront, je ris forcĂ©ment, obscurĂ©ment j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est Ă©goĂŻste et qu'il ne s'intĂ©resse guĂšre Ă  ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient Ă  mon secours : "Tous les hommes sont Ă©goĂŻstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altĂ©ritĂ©", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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JEANNE ENDORMIE. - III Jeanne dort; elle laisse, ĂŽ pauvre ange banni, Sa douce petite Ăąme aller dans l'infini; Ainsi le passereau fuit dans la cerisaie; Elle regarde ailleurs que sur terre, elle essaie, HĂ©las, avant de boire Ă  nos coupes de fiel, De renouer un peu dans l'ombre avec le ciel. Apaisement sacrĂ© ! ses cheveux, son haleine, Son teint, plus transparent qu'une aile de phalĂšne, Ses gestes indistincts, son calme, c'est exquis. Le vieux grand-pĂšre, esclave heureux, pays conquis, La contemple. Cet ĂȘtre est ici-bas le moindre Et le plus grand; on voit sur cette bouche poindre Un rire vague et pur qui vient on ne sait d'oĂč; Comme elle est belle ! Elle a des plis de graisse au cou; On la respire ainsi qu'un parfum d'asphodĂšle; Une poupĂ©e aux yeux Ă©tonnĂ©s est prĂšs d'elle, Et l'enfant par moments la presse sur son coeur. Figurez-vous cet ange obscur, tremblant, vainqueur, L'espĂ©rance Ă©toilĂ©e autour de ce visage, Ce pied nu, ce sommeil d'une grĂące en bas Ăąge. Oh ! quel profond sourire, et compris de lui seul, Elle rapportera de l'ombre Ă  son aĂŻeul ! Car l'Ăąme de l'enfant, pas encor dĂ©dorĂ©e, Semble ĂȘtre une lueur du lointain empyrĂ©e, Et l'attendrissement des vieillards, c'est de voir Que le matin veut bien se mĂȘler Ă  leur soir. Ne la rĂ©veillez pas. Cela dort, une rose. Jeanne au fond du sommeil mĂ©dite et se compose Je ne sais quoi de plus cĂ©leste que le ciel. De lys en lys, de rĂȘve en rĂȘve, on fait son miel, Et l'Ăąme de l'enfant travaille, humble et vermeille, Dans les songes ainsi que dans les fleurs l'abeille.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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L'isolement Souvent sur la montagne, Ă  l'ombre du vieux chĂȘne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promĂšne au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se dĂ©roule Ă  mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues Ă©cumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; LĂ  le lac immobile Ă©tend ses eaux dormantes OĂč l'Ă©toile du soir se lĂšve dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnĂ©s de bois sombres, Le crĂ©puscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit dĂ©jĂ  les bords de l'horizon. Cependant, s'Ă©lançant de la flĂšche gothique, Un son religieux se rĂ©pand dans les airs : Le voyageur s'arrĂȘte, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mĂȘle de saints concerts. Mais Ă  ces doux tableaux mon Ăąme indiffĂ©rente N'Ă©prouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante Le soleil des vivants n'Ă©chauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud Ă  l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense Ă©tendue, Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. " Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumiĂšres, Vains objets dont pour moi le charme est envolĂ© ? Fleuves, rochers, forĂȘts, solitudes si chĂšres, Un seul ĂȘtre vous manque, et tout est dĂ©peuplĂ© ! Que le tour du soleil ou commence ou s'achĂšve, D'un oeil indiffĂ©rent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lĂšve, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriĂšre, Mes yeux verraient partout le vide et les dĂ©serts : Je ne dĂ©sire rien de tout ce qu'il Ă©claire; Je ne demande rien Ă  l'immense univers. Mais peut-ĂȘtre au-delĂ  des bornes de sa sphĂšre, Lieux oĂč le vrai soleil Ă©claire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dĂ©pouille Ă  la terre, Ce que j'ai tant rĂȘvĂ© paraĂźtrait Ă  mes yeux ! LĂ , je m'enivrerais Ă  la source oĂč j'aspire ; LĂ , je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idĂ©al que toute Ăąme dĂ©sire, Et qui n'a pas de nom au terrestre sĂ©jour ! Que ne puĂźs-je, portĂ© sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'Ă©lancer jusqu'Ă  toi ! Sur la terre d'exil pourquoi restĂ©-je encore ? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand lĂ  feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'Ă©lĂšve et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable Ă  la feuille flĂ©trie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesniĆĄtva)
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LA LUNE I Jeanne songeait, sur l'herbe assise, grave et rose; Je m'approchai:-Dis-moi si tu veux quelque chose, Jeanne ?-car j'obĂ©is Ă  ces charmants amours, Je les guette, et je cherche Ă  comprendre toujours Tout ce qui peut passer par ces divines tĂȘtes. Jeanne m'a rĂ©pondu:-Je voudrais voir des bĂȘtes. Alors je lui montrai dans l'herbe une fourmi. -Vois ! Mais Jeanne ne fut contente qu'Ă  demi. -Non, les bĂȘtes, c'est gros, me dit-elle. Leur rĂȘve, C'est le grand. L'OcĂ©an les attire Ă  sa grĂšve, Les berçant de son chant rauque, et les captivant Par l'ombre, et par la fuite effrayante du vent; Ils aiment l'Ă©pouvante, il leur faut le prodige. -Je n'ai pas d'Ă©lĂ©phant sous la main, rĂ©pondis-je. Veux-tu quelque autre chose ? ĂŽ Jeanne, on te le doit ! Parle.-Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt. -Ça, dit-elle.-C'Ă©tait l'heure oĂč le soir commence. Je vis Ă  l'horizon surgir la lune immense.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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Je me souviens d'un coin de rue Aujourd'hui disparu Mon enfance jouait par lĂ  Je me souviens de cela Il y avait une palissade Un taillis d'embuscades Les voyous de mon quartier V’naient s'y batailler À prĂ©sent, il y a un cafĂ©, Un comptoir flambant qui fait d’ l'effet Une fleuriste qui vend ses fleurs aux amants Et mĂȘme aux enterrements Je revois mon coin de rue Aujourd'hui disparu Je me souviens d'un triste soir OĂč le cƓur sans espoir Je pleurais en attendant Un amour de quinze ans Un amour qui fut perdu Juste Ă  ce coin de rue Et depuis, j'ai beaucoup voyagĂ© Trop souvent en pays Ă©trangers Mondes neufs, constructions ou dĂ©molitions Vous m’ donnez des visions Je crois voir mon coin de rue Et soudain apparus Je retrouve ma palissade Mes copains, mes glissades Mon muguet de deux sous d’ printemps Mes quinze ans... mes vingt ans Tout c’ qui fut et qui n'est plus Tout mon vieux coin de rue.
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Charles Trenet (les plus belles chansons de Charles Trenet (Collection Grands InterprĂštes))
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Sans doute, rien n'est plus naturel, aujourd'hui, que de voir des gens travailler du matin au soir et choisir ensuite de perdre aux cartes, au cafĂ©, et en bavardages, le temps qui leur reste pour vivre. Mais il est des villes ou des pays oĂč les gens ont, de temps en temps, le soupçon d'autre chose. En gĂ©nĂ©ral, cela ne change pas leur vie. Seulement, il y a eu le soupçon et c'est toujours cela de gagnĂ©. Oran, au contraire, est apparemment une ville sans soupçon, c'est-Ă -dire une ville tout Ă  fauit moderne. Il n'est pas nĂ©cessaire, en consĂ©quence, de prĂ©ciser la façon dont on s'aime chez nous. Les hommes et les femmes, ou bien se dĂ©vorent rapidement dans ce qu'on appelle l'acte d'amour, ou bien s'engagent dans une longue habitude Ă  eux. Entre ces deux extrĂȘmes, il n'y a pas souvent de milieu. Cela non plus n'est pas original. A Oran comme ailleurs, faute de temps et de rĂ©flexion, on est bien obligĂ© de s'aimer sans le savoir.
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Albert Camus (The Plague)
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Je me suis rendu compte que je n’avais pas vu l’eau depuis quatre jours et que je portais toujours les mĂȘmes vĂȘtements, avec les reliefs de fourmis. Elle, en revanche, portait une autre robe, blanche, Ă  ras du cou, qui la couvrait entiĂšrement. La robe ne comportait ni motifs ni inscriptions ; ce qui ne laissait pas de m’étonner, car maman n’avait jamais portĂ© que d’affreux corsages, immanquablement couverts d’inscriptions. Je la regardais aller et venir dans la cuisine, comme un mĂ©tronome sorti de son axe. Elle Ă©tait blanche et cylindrique, et j’imaginais sa robe se transformer en un tube coiffĂ© d’un petit couvercle dans lequel je la tiendrais captive et dont je ne la libĂ©rerais que de loin en loin. Le matin ou le soir, ou Ă  la fin de la semaine, ou pour NoĂ«l. Ou, ce qui serait le mieux, seulement Ă  la fin, pour qu’elle meure. Maman-tube de dentifrice. Maman-Ɠsophage. Maman-ascaride. Maman-cĂąble. Maman-craie. Maman-os. Maman-fil. Maman-comĂšte. Maman-bougie.
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Tatiana ÈšĂźbuleac (El verano en que mi madre tuvo los ojos verdes)
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De fait, la relation entre l’amour et la nuit n’est pas seulement un thĂšme bien connu de la poĂ©sie romantique. Elle a aussi un soubassement existentiel diversement attestĂ©. Universellement, c’est surtout la nuit qu’hommes et femmes s’unissent sexuellement. MĂȘme lorsqu’il s’agit d'une simple aventure, la formule typique et la promesse seront toujours une « nuit d'amour » — dans ce contexte une « matinĂ©e d’amour » ferait l'effet d une fausse note. [...] Et si souvent les femmes — certaines femmes — dĂ©sirent encore maintenant cette condition, c’est parce qu’agit en elles, plus que la pudeur, un lointain reflet instinctif du phĂ©nomĂšne servant de fondement aux dispositions ou usages rituels dont on a parlĂ© et leur confĂ©rant une signification qui n’a rien de saugrenu. Hathor, dĂ©esse Ă©gyptienne de l’amour, eut aussi le nom de «MaĂźtresse de la Nuit», et l’on peut peut-ĂȘtre saisir un lointain Ă©cho de tout cela dans ce vers de Baudelaire : «Tu charmes comme le soir — Nymphe tĂ©nĂ©breuse et chaude».
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Julius Evola (Eros and the Mysteries of Love: The Metaphysics of Sex)
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DĂšs que le brouhaha s’apaise, les premiĂšres mesures du morceau suivant s’élĂšvent, profondes et lentes. Les tintements du triangle et des grelots rĂ©sonnent, clairs Ă©chos du rythme grave des percussions. Alors, Anja se met Ă  chanter. Tes yeux secs cherchent de l’eau dans cette ville morte Tes pieds en sang abreuvent la terre assoiffĂ©e Tu tombes et ne peux plus te lever
 Elle vibre, exaltĂ©e comme chaque fois par la foule et le chant, flot d’émotions brutes, partagĂ©es, Ă©changĂ©es avec ses compagnons, avec le public. Tressaillement soudain. Sensation moite et glacĂ©e. Un goĂ»t Ăącre envahit sa bouche, un goĂ»t de bile et de peur mĂȘlĂ©es. Quelqu’un, au milieu de la foule, l’observe. Un regard glisse lentement sur elle, insistant, insidieux, pareil Ă  la langue d’une bĂȘte rĂ©pugnante sur sa peau. Celui qui la traque, l’épie depuis plusieurs semaines se trouve dans la foule ce soir, ombre sournoise et anonyme. La sirĂšne tente d’apercevoir un visage, de surprendre la fixitĂ© d’une expression, en vain. Dans la salle, les yeux des spectateurs sont pareilles Ă  des billes de tĂ©nĂšbres opaques, angoissantes. « Qui est-ce ? » « Que veut-il ? » « Est-ce que je le connais ? » « Est-ce lui, le responsable des disparitions ? » « A-t-il un lien avec cette momie ? » « Suis-je sa prochaine cible ? » Ces questions angoissantes, obsĂ©dantes, tournent en boucle dans sa tĂȘte, brisant la magie du concert. Anja parvient Ă  faire bonne figure, interprĂšte mĂȘme une mĂ©lodie rĂ©clamĂ©e par le public. Mais se sent terriblement soulagĂ©e quand le concert s’achĂšve. Stein repousse ses percussions dans un coin, salue ses deux amies d’un rapide signe de main et quitte la scĂšne. Fast l’attend Ă  l’autre bout de la salle bondĂ©e, accoudĂ© au bar. Celui-ci, une antiquitĂ© rescapĂ©e du Cataclysme, consolidĂ©e par des planches de bois peintes, des plaques de tĂŽles et d’épais morceaux de plastique, est la fiertĂ© de Senta, la propriĂ©taire des lieux. Il a rĂ©sistĂ© aux tempĂȘtes, aux pillards, aux siĂšcles et porte comme autant de cicatrices gravĂ©es dans sa surface, les traces de milliers de vies.
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Charlotte Bousquet (Les ChimĂšres de l'aube (La Peau des rĂȘves, #3))
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C’est que les soirs oĂč des Ă©trangers, ou seulement M. Swann, Ă©taient lĂ , maman ne montait pas dans ma chambre. Je dĂźnais avant tout le monde et je venais ensuite m’asseoir Ă  table, jusqu’à huit heures oĂč il Ă©tait convenu que je devais monter ; ce baiser prĂ©cieux et fragile que maman me confiait d’habitude dans mon lit au moment de m’endormir, il me fallait le transporter de la salle Ă  manger dans ma chambre et le garder pendant tout le temps que je me dĂ©shabillais, sans que se brisĂąt sa douceur, sans que se rĂ©pandĂźt et s’évaporĂąt sa vertu volatile, et, justement ces soirs-lĂ  oĂč j’aurais eu besoin de le recevoir avec plus de prĂ©caution, il fallait que je le prisse, que je le dĂ©robasse brusquement, publiquement, sans mĂȘme avoir le temps et la libertĂ© d’esprit nĂ©cessaires pour porter Ă  ce que je faisais cette attention des maniaques qui s’efforcent de ne pas penser Ă  autre chose pendant qu’ils ferment une porte, pour pouvoir, quand l’incertitude maladive leur revient, lui opposer victorieusement le souvenir du moment oĂč ils l’ont fermĂ©e.
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Marcel Proust (Swann’s Way (In Search of Lost Time, #1))
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Dehbia connaĂźt bien les siens Il n'ont de chrĂ©tien que le nom. L'un des premiers d'entre eux, converti au dĂ©but du siĂšcle et qui a d'ailleurs sa croix au cimetiĂšre de la paroisse, leur traça une ligne de conduite que beaucoup suivent ingĂ©nieusement. Jadis, racontent-ils, ce nĂ©ophyte Ă  peine dĂ©grossi fut surpris par un PĂšre faisant Ă  la mosquĂ©e sa priĂšre parmi les musulmans. - C'Ă©tait bien toi, hier soir, Ă  la mosquĂ©e? - Oui, mon pĂšre. - Tu n'es pas musulman. - Pourquoi pas, mon pĂšre ? Je le suis de naissance. Il paraĂźt que le PĂšre n'a pas beaucoup insistĂ©. Actuellement, ils ne vont plus Ă  la mosquĂ©e mais ils jurent par les saints du pays, pratiquent la circoncision comme les bons musulmans et cĂ©lĂšbrent es AĂŻds aussi bien que la NoĂ«l. Leurs femmes, aussi superstitieuses que toutes les autres, croient aux pratiques des bonnes vieilles et, pour connaĂźtre l'avenir, rendent visite aux mĂȘmes derviches. Tout cela, Dehbia le sait et beaucoup d'autres choses. Bien sĂ»r qu'ils ont reçu le baptĂȘme et avec le baptĂȘme un nom chrĂ©tien. Les PĂšres leur ont distribuĂ© gĂ©nĂ©reusement des "Marie", des "Jean", et surtout des "Augustin", des "Monique" comme cela se devait en pays berbĂšre, mais Ă  cĂŽtĂ© de ces noms, existe toujours le nom kabyle, Mohammed, Akli, Rabah, SaĂŻd, et la facultĂ© de s'en servir.
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Mouloud Feraoun
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À huit heures et demie du soir, deux tables Ă©taient dressĂ©es. La jolie madame des Grassins avait rĂ©ussi Ă  mettre son fils Ă  cĂŽtĂ© d’EugĂ©nie. Les acteurs de cette scĂšne pleine d’intĂ©rĂȘt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolĂ©s, chiffrĂ©s, et de jetons en verre bleu, semblaient Ă©couter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numĂ©ro sans faire une remarque ; mais tous pensaient aux millions de monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraĂźche de madame des Grassins, la tĂȘte martiale du banquier, celle d’Adolphe, le prĂ©sident, l’abbĂ©, le notaire, et se disait intĂ©rieurement : − Ils sont lĂ  pour mes Ă©cus. Ils viennent s’ennuyer ici pour ma fille. HĂ© ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-lĂ  me servent de harpons pour pĂȘcher ! Cette gaietĂ© de famille, dans ce vieux salon gris, mal Ă©clairĂ© par deux chandelles ; ces rires, accompagnĂ©s par le bruit du rouet de la grande Nanon, et qui n’étaient sincĂšres que sur les lĂšvres d’EugĂ©nie ou de sa mĂšre ; cette petitesse jointe Ă  de si grands intĂ©rĂȘts ; cette jeune fille qui, semblable Ă  ces oiseaux victimes du haut prix auquel on les met et qu’ils ignorent, se trouvait traquĂ©e, serrĂ©e par des preuves d’amitiĂ© dont elle Ă©tait la dupe ; tout contribuait Ă  rendre cette scĂšne tristement comique. N’est-ce pas d’ailleurs une scĂšne de tous les temps et de tous les lieux, mais ramenĂ©e Ă  sa plus simple expression ? La figure de Grandet exploitant le faux attachement des deux familles, en tirant d’énormes profits, dominait ce drame et l’éclairait. N’était-ce pas le seul dieu moderne auquel on ait foi, l’Argent dans toute sa puissance, exprimĂ© par une seule physionomie ? Les doux sentiments de la vie n’occupaient lĂ  qu’une place secondaire, ils animaient trois cƓurs purs, ceux de Nanon, d’EugĂ©nie et sa mĂšre. Encore, combien d’ignorance dans leur naĂŻvetĂ© ! EugĂ©nie et sa mĂšre ne savaient rien de la fortune de Grandet, elles n’estimaient les choses de la vie qu’à la lueur de leurs pĂąles idĂ©es, et ne prisaient ni ne mĂ©prisaient l’argent, accoutumĂ©es qu’elles Ă©taient Ă  s’en passer. Leurs sentiments, froissĂ©s Ă  leur insu mais vivaces, le secret de leur existence, en faisaient des exceptions curieuses dans cette rĂ©union de gens dont la vie Ă©tait purement matĂ©rielle. Affreuse condition de l’homme ! il n’y a pas un de ses bonheurs qui ne vienne d’une ignorance quelconque. Au moment oĂč madame Grandet gagnait un lot de seize sous, le plus considĂ©rable qui eĂ»t jamais Ă©tĂ© pontĂ© dans cette salle, et que la grande Nanon riait d’aise en voyant madame empochant cette riche somme, un coup de marteau retentit Ă  la porte de la maison, et y fit un si grand tapage que les femmes sautĂšrent sur leurs chaises.
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous dĂ©cidez un beau jour Ă  en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s’y mettre. On en a bien marre de s’écouter toujours cau-ser
 On abrĂšge
 On renonce
 Ça dure depuis trente ans qu’on cause
 On ne tient plus Ă  avoir raison. L’envie vous lĂąche de garder mĂȘme la petite place qu’on s’était rĂ©servĂ©e parmi les plaisirs
 On se dĂ©goĂ»te
 Il suffit dĂ©sormais de bouffer un peu, de se faire un peu de chaleur et de dormir le plus qu’on peut sur – 520 – le chemin de rien du tout. Il faudrait pour reprendre de l’intĂ©rĂȘt trouver de nouvelles grimaces Ă  exĂ©cuter devant les autres
 Mais on n’a plus la force de changer son rĂ©pertoire. On bre-douille. On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester lĂ  avec eux les copains, mais la mort est lĂ  aussi elle, puante, Ă  cĂŽtĂ© de vous, tout le temps Ă  prĂ©sent et moins mystĂ©-rieuse qu’une belote. Vous demeurent seulement prĂ©cieux les menus chagrins, celui de n’avoir pas trouvĂ© le temps pendant qu’il vivait encore d’aller voir le vieil oncle Ă  Bois-Colombes, dont la petite chanson s’est Ă©teinte Ă  jamais un soir de fĂ©vrier. C’est tout ce qu’on a conservĂ© de la vie. Ce petit regret bien atroce, le reste on l’a plus ou moins bien vomi au cours de la route, avec bien des efforts et de la peine. On n’est plus qu’un vieux rĂ©verbĂšre Ă  souvenirs au coin d’une rue oĂč il ne passe dĂ©jĂ  presque plus personne.
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Louis-Ferdinand CĂ©line (Journey to the End of the Night)
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Mais j’avais revu tantĂŽt l’une, tantĂŽt l’autre, des chambres que j’avais habitĂ©es dans ma vie, et je finissais par me les rappeler toutes dans les longues rĂȘveries qui suivaient mon rĂ©veil ; chambres d’hiver oĂč quand on est couchĂ©, on se blottit la tĂȘte dans un nid qu’on se tresse avec les choses les plus disparates : un coin de l’oreiller, le haut des couvertures, un bout de chĂąle, le bord du lit, et un numĂ©ro des DĂ©bats roses, qu’on finit par cimenter ensemble selon la technique des oiseaux en s’y appuyant indĂ©finiment ; oĂč, par un temps glacial, le plaisir qu’on goĂ»te est de se sentir sĂ©parĂ© du dehors (comme l’hirondelle de mer qui a son nid au fond d’un souterrain dans la chaleur de la terre), et oĂč, le feu Ă©tant entretenu toute la nuit dans la cheminĂ©e, on dort dans un grand manteau d’air chaud et fumeux, traversĂ© des lueurs des tisons qui se rallument, sorte d’impalpable alcĂŽve, de chaude caverne creusĂ©e au sein de la chambre mĂȘme, zone ardente et mobile en ses contours thermiques, aĂ©rĂ©e de souffles qui nous rafraĂźchissent la figure et viennent des angles, des parties voisines de la fenĂȘtre ou Ă©loignĂ©es du foyer et qui se sont refroidies ; – chambres d’étĂ© oĂč l’on aime ĂȘtre uni Ă  la nuit tiĂšde, oĂč le clair de lune appuyĂ© aux volets entr’ouverts, jette jusqu’au pied du lit son Ă©chelle enchantĂ©e, oĂč on dort presque en plein air, comme la mĂ©sange balancĂ©e par la brise Ă  la pointe d’un rayon – ; parfois la chambre Louis XVI, si gaie que mĂȘme le premier soir je n’y avais pas Ă©tĂ© trop malheureux, et oĂč les colonnettes qui soutenaient lĂ©gĂšrement le plafond s’écartaient avec tant de grĂące pour montrer et rĂ©server la place du lit ; parfois au contraire celle, petite et si Ă©levĂ©e de plafond, creusĂ©e en forme de pyramide dans la hauteur de deux Ă©tages et partiellement revĂȘtue d’acajou, oĂč, dĂšs la premiĂšre seconde, j’avais Ă©tĂ© intoxiquĂ© moralement par l’odeur inconnue du vĂ©tiver, convaincu de l’hostilitĂ© des rideaux violets et de l’insolente indiffĂ©rence de la pendule qui jacassait tout haut comme si je n’eusse pas Ă©tĂ© là ; – oĂč une Ă©trange et impitoyable glace Ă  pieds quadrangulaires barrant obliquement un des angles de la piĂšce se creusait Ă  vif dans la douce plĂ©nitude de mon champ visuel accoutumĂ© un emplacement qui n’y Ă©tait pas prĂ©vu ; – oĂč ma pensĂ©e, s’efforçant pendant des heures de se disloquer, de s’étirer en hauteur pour prendre exactement la forme de la chambre et arriver Ă  remplir jusqu’en haut son gigantesque entonnoir, avait souffert bien de dures nuits, tandis que j’étais Ă©tendu dans mon lit, les yeux levĂ©s, l’oreille anxieuse, la narine rĂ©tive, le cƓur battant ; jusqu’à ce que l’habitude eĂ»t changĂ© la couleur des rideaux, fait taire la pendule, enseignĂ© la pitiĂ© Ă  la glace oblique et cruelle, dissimulĂ©, sinon chassĂ© complĂštement, l’odeur du vĂ©tiver et notablement diminuĂ© la hauteur apparente du plafond.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu #1))
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En florĂ©al, cet Ă©norme buisson, libre derriĂšre sa grille et dans ses quatre murs, entrait en rut dans le sourd travail de la germination universelle, tressaillait au soleil levant presque comme une bĂȘte qui aspire les effluves de l’amour cosmique et qui sent la sĂšve d’avril monter et bouillonner dans ses veines, et, secouant au vent sa prodigieuse chevelure verte, semait sur la terre humide, sur les statues frustes, sur le perron croulant du pavillon et jusque sur le pavĂ© de la rue dĂ©serte, les fleurs en Ă©toiles, la rosĂ©e en perles, la fĂ©conditĂ©, la beautĂ©, la vie, la joie, les parfums. À midi mille papillons blancs s’y rĂ©fugiaient, et c’était un spectacle divin de voir lĂ  tourbillonner en flocons dans l’ombre cette neige vivante de l’étĂ©. LĂ , dans ces gaies tĂ©nĂšbres de la verdure, une foule de voix innocentes parlaient doucement Ă  l’ñme, et ce que les gazouillements avaient oubliĂ© de dire, les bourdonnements le complĂ©taient. Le soir une vapeur de rĂȘverie se dĂ©gageait du jardin et l’enveloppait ; un linceul de brume, une tristesse cĂ©leste et calme, le couvraient ; l’odeur si enivrante des chĂšvrefeuilles et des liserons en sortait de toute part comme un poison exquis et subtil ; on entendait les derniers appels des grimpereaux et des bergeronnettes s’assoupissant sous les branchages ; on y sentait cette intimitĂ© sacrĂ©e de l’oiseau et de l’arbre ; le jour les ailes rĂ©jouissent les feuilles, la nuit les feuilles protĂ©gent les ailes.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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Je me rappelle mon entrĂ©e sur la scĂšne, Ă  mon premier concert. [
] Je n'aimais pas ce public pour qui l'art n'est qu'une vanitĂ© nĂ©cessaire, ces visage composĂ©s dissimulant les Ăąmes, l'absence des Ăąmes. Je concevais mal qu'on pĂ»t jouer devant des inconnus, Ă  heure fixe, pour un salaire versĂ© d'avance. Je devinais les apprĂ©ciations toutes faites, qu'ils se croyaient obligĂ©s de formuler en sortant ; je haĂŻssais leur goĂ»t pour l'emphase inutile, l'intĂ©rĂȘt mĂȘme qu'ils me portaient, parce que j'Ă©tais de leur monde, et l'Ă©clat factice dont se paraient les femmes. Je prĂ©fĂ©rais encore les auditeurs de concerts populaires, donnĂ©s le soir dans quelque salle misĂ©rable, oĂč j'acceptais parfois de jouer gratuitement. Des gens venaient lĂ  dans l'espoir de s'instruire. Ils n'Ă©taient pas plus intelligents que les autres, ils Ă©taient seulement de meilleur volontĂ©. Ils avaient dĂ», aprĂšs leur repas, s'habiller le mieux possible ; ils avaient dĂ» consentir Ă  avoir froid, pendant deux longues heures, dans une salle presque noire. Les gens qui vont au thĂ©Ăątre cherchent Ă  s'oublier eux-mĂȘmes ; ceux qui vont au concert cherchent plutĂŽt Ă  se retrouver. Entre la dispersion du jour et la dissolution du sommeil, ils se retrempent dans ce qu'ils sont. Visage fatiguĂ©s des auditeurs du soir, visages qui se dĂ©tendent dans leurs rĂȘves et semblent s'y baigner. Mon visage
 En ne suis-je pas aussi trĂšs pauvre, moi qui n'ai ni amour, ni foi, ni dĂ©sir avouable, moi qui n'ai que moi-mĂȘme sur qui compter, et qui me suis presque toujours infidĂšle ? (p. 82-83)
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Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grùce)
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre d’une pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu d’une foule Ă©trangĂšre, tout Ă  fait Ă©trangĂšre Ă  mes sentiments, je n’ai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cƓur in’ait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e m’a saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, c’est le premier instant de bonheur que je retrouve. Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cƓur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ  comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce n’est pas une illusion d’optique. Je m’en amuse, ou plutĂŽt on s’amuse de moi comme d’une ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet d’aller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je m’oublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha. Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne l’ai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes s’est Ă©vanoui ; l’enchantement qui, le matin, m’arrachait au sommeil a fui loin de moi. Je n’ai trouvĂ© ici qu’une femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si l’on peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ  qui fait de jolis compliments ! » Cela n’est pas tout Ă  fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; j’ai beaucoup d’esprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finement
. «Ni mentir, ajouterez-vous, car l’un ne va pas sans l’autre, entendez-vous ?
 » Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup d’ñme, on le voit d’abord Ă  la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă  charge ; il ne satisfait aucun des vƓux de son cƓur. Elle aspire Ă  sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă  vous, Charlotte ! Que de fois n’est-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !
 Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime. Oh ! si j’étais assis Ă  vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante ! Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; l’orage est passĂ© ; et moi
. il faut que je rentre dans ma cage
. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?
 Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Mais un soir que j'Ă©tois assis prĂšs de la tombe oĂč reposent LĂ©once et Delphine, tout Ă  coup un remords s'Ă©leva dans le fond de mon coeur, et je me reprochai d'avoir regardĂ© leur destinĂ©e comme la plus funeste de toutes. Peut-ĂȘtre dans ce moment, mes amis, touchĂ©s de mes regrets, vouloient-ils me consoler, cherchoient-ils Ă  me faire connoĂźtre qu'ils Ă©toient heureux, qu'ils s'aimoient, et que l'Être-suprĂȘme ne les avoit point abandonnĂ©s, puisqu'il n'avoit pas permis qu'ils survĂ©cussent l'un Ă  l'autre. Je passai la nuit Ă  rĂȘver sur le sort des hommes; ces heures furent les plus dĂ©licieuses de ma vie, et cependant le sentiment de la mort les a remplies tout entiĂšres; mais je n'en puis douter, du haut du ciel mes amis dirigeoient mes mĂ©ditations; ils Ă©cartoient de moi ces fantĂŽmes de l'imagination qui nous font horreur du terme de la vie; il me sembloit qu'au clair de la lune, je voyois leurs ombres lĂ©gĂšres passer Ă  travers les feuilles sans les agiter; une fois je leur ai demandĂ© si je ne ferois pas mieux de les rejoindre, s'il n'Ă©toit pas vrai que sur cette terre les Ăąmes fiĂšres et sensibles n'avoient rien Ă  attendre que des douleurs succĂ©dant Ă  des douleurs; alors il m'a semblĂ© qu'une voix, dont les sons se mĂȘloient au souffle du vent, me disoit :—Supporte la peine, attends la nature, et fais du bien aux hommes.— J'ai baissĂ© la tĂȘte, et je me suis rĂ©signĂ©; mais, avant de quitter ces lieux, j'ai Ă©crit, sur un arbre voisin de la tombe de mes amis, ce vers, la seule consolation des infortunĂ©s que la mort a privĂ© des objets de leur affection: On ne me rĂ©pond pas, mais peut-ĂȘtre on m'entend.»
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Madame de Staël (Delphine)
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L'armĂ©e de Charles Martel se composait de Bourguignons, d'Allemands, de Gaulois, et celle d'AbdĂ©rame d'Arabes et de BerbĂšres. Le combat resta indĂ©cis une partie de la journĂ©e, mais le soir, un corps de soldats francs s'Ă©tant dĂ©tachĂ© du gros de l'armĂ©e pour se porter vers le camp des musulmans, ces derniers quittĂšrent le champ de bataille en dĂ©sordre pour aller dĂ©fendre leur butin, et cette manƓuvre maladroite entraĂźna leur perte. Ils durent battre en retraite et retourner dans les provinces du sud. Charles Martel les suivit de loin. ArrivĂ© devant Narbonne, il l'assiĂ©gea inutilement, et s'Ă©tant mis alors, suivant l'habitude de l'Ă©poque, Ă  piller tous les pays environnants, les seigneurs chrĂ©tiens s'alliĂšrent aux Arabes pour se dĂ©barrasser de lui, et l'obligĂšrent Ă  battre en retraite. BientĂŽt remis de l'Ă©chec que leur avait infligĂ© Charles Martel, les musulmans continuĂšrent Ă  occuper leurs anciennes positions, et se maintiennent encore en Lrance pendant deux siĂšcles. En 737, le gouverneur de Marseille leur livre la Provence, et ils occupent Arles. En 889, nous les retrouvons encore Ă  Saint-Tropez, et ils se maintiennent en Provence jusqu'Ă  la fin du dixiĂšme siĂšcle. En 935, ils pĂ©nĂštrent dans le Valais et la Suisse. Suivant quelques auteurs, ils seraient mĂȘme arrivĂ©s jusqu'Ă  Metz. Le sĂ©jour des Arabes en France, plus de deux siĂšcles aprĂšs Charles Martel, nous prouve que la victoire de ce dernier n'eut en aucune façon l'importance que lui attribuent tous les historiens. Charles Martel, suivant eux, aurait sauvĂ© l'Europe et la chrĂ©tientĂ©. Mais cette opinion, bien qu'universellement admise, nous semble entiĂšrement privĂ©e de fondement.
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Gustave Le Bon (ۭ۶ۧ۱۩ Ű§Ù„Űč۱ۚ)
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Les billes, je les aime tant et j'en ai tant gagnĂ© que je pourrais m'en emplir la bouche et tout le cordon intestinal, n'ĂȘtre plus qu'un bonhomme de billes : j'en ai plusieurs trousses que je dĂ©charge le soir dans une boĂźte Ă  chaussures. Quand ce n'est pas la saison du scoubidou et de la cocotte-surprise, et je me rejette dans la bataille. Je suis devenu le boss des billes, c'est moi qui ai lancĂ© la bille Ă  cent, une trouvaile : mes rivaux ne pratiquent que la bille Ă  dix. Chaque matin j'emporte une trousse vide, une trousse Ă  demi pleine, et dans mes poches quelques calots qui comptent pour dix. J'ai mon emplacement rĂ©servĂ©, juste Ă  droite de la porte qui mĂšne du prĂ©au Ă  la cour, tout contre le mur il y a dans le sool gris comme un minuscule coquetier qui semble taillĂ© tout exprĂšs pour que j'y mette ma bille, j'ai mon crĂ©neau, je le paye en billes, et j'ai mes employĂ©s qui surveillent les joueurs. Je calcule la distance qui doit ĂȘtre appropriĂ©e Ă  un tel lot : elle doit rendre la bille pratiquement invisible. Les billes pleuvent, je vĂ©rifie que ma petite bille ne bouge pas, je la fixe pour l'en empĂȘcher. Pendant ce temps-lĂ  mes employĂ©s ramassent les billes et en remplissent une de mes deux trousses ouvertes par terre, je les surveille Ă  peine, je les paye trop bien. Personne ne gagne. Quand mes deux trousses et toutes mes poches sont pleines Ă  craquer, et que les poches de mes employĂ©s sont aussi pas mal remplies, je retire ma bille adorĂ©e. Je fais toujours avant de disparaĂźtre une petite distribution gratuite, pour apaiser ceux qui se sont sauvagement dĂ©possĂ©dĂ©s ans cette mise insensĂ©e, je les fais courir en envoyant les grappes de billes Ă  pleines mains le plus loin possible. J'aime qu'aprĂšs cela, on me regarde avec reconnaissance.
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Hervé Guibert (My Parents (Masks))
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Les deux femmes, vĂȘtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sƓur, elles jetĂšrent dessus des fleurs et de l’eau bĂ©nite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeĂątre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumĂšrent deux petites bougies qui Ă©taient sur la table de nuit, s’agenouillĂšrent et me dirent de prier comme elles. Je priai, oh ! bien fort, le plus qu’il m’était possible ! mais rien
 LĂ©lia ne remuait pas ! Je fus longtemps ainsi agenouillĂ©, la tĂȘte sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me dĂ©chirant l’ñme avec des priĂšres et des vƓux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indĂ©cises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, Ă  une place, une forme ronde qui devait ĂȘtre La tĂȘte, et plus bas une autre qui semblait ĂȘtre les pieds. Je croyais, moi, pauvre naĂŻf enfant, je croyais que la priĂšre pouvait rendre la vie Ă  un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur ! Oh ! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passĂ©e Ă  prier sur un cadavre, Ă  pleurer, Ă  vouloir faire renaĂźtre le nĂ©ant ! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, Ă  la lueur de deux cierges mortuaires, entourĂ© de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vĂ©nales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scĂšne de dĂ©sespoir et de deuil vous remplit le cƓur : enfant, de tristesse et d’amertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de dĂ©sespoir ! Le jour arriva. Mais quand le jour commença Ă  paraĂźtre, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient Ă  mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissĂšrent seul. Je courus aprĂšs elles, et me traĂźnant Ă  leurs pieds, m’attachant Ă  leurs vĂȘtements : — Ma sƓur ! leur dis-je, eh bien, ma sƓur ! oui, LĂ©lia ! oĂč est-elle ? Elles me regardĂšrent Ă©tonnĂ©es. — Ma sƓur ! vous m’avez dit de prier, j’ai priĂ© pour qu’elle revienne, vous m’avez trompĂ© ! — Mais c’était pour son Ăąme ! Son Ăąme ? Qu’est-ce que cela signifiait ? On m’avait souvent parlĂ© de Dieu, jamais de l’ñme. Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eĂ»t demandĂ© ce qu’il Ă©tait, eh bien, j’aurais pris La linotte de LĂ©lia, et, lui brisant la tĂȘte entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais l’ñme ? l’ñme ? qu’est-ce cela ? J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allĂšrent sans me rĂ©pondre. Son Ăąme ! eh bien, elles m’ont trompĂ©, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était LĂ©lia, LĂ©lia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; c’était Lelia, ma belle petite sƓur aux grands yeux bleus, LĂ©lia qui m’embrassait le soir aprĂšs sa poupĂ©e, aprĂšs son mouton chĂ©ri, aprĂšs sa linotte. Pauvre sƓur ! c’était toi que je demandais Ă  grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me rĂ©pondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as priĂ© non pour elle, mais tu as priĂ© pour son Ăąme ! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue Ă©trangĂšre ; tu as priĂ© pour un souffle, pour un mot, pour le nĂ©ant, pour son Ăąme enfin ! » Son Ăąme, son Ăąme, je la mĂ©prise, son Ăąme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait Ă  moi, son Ăąme ? savez-vous ce que c’est que son Ăąme ? Mais c’est son corps que je veux ! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin ! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela. Ces femmes m’ont trompĂ©, eh bien, je les ai maudites. Cette malĂ©diction est retombĂ©e sur moi, philosophe imbĂ©cile qui ne sais pas comprendre un mot sans L’épeler, croire Ă  une Ăąme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au PromĂ©thĂ©e d’Eschyle, je brave les coups et que je mĂ©prise trop pour blasphĂ©mer.
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Gustave Flaubert (La derniÚre heure : Conte philosophique inachevé)
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Ă©change un petit terrain Ă  Onessa, dans les Basses-Branches. C’est ce soir-lĂ  que je suis allĂ©
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Timothée de Fombelle (Tobie Lolness (Tome 1) (French Edition))
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Je me redisais en Ă©touffant mes sanglots les mots oĂč Gilberte avait laissĂ© Ă©clater sa joie de ne pas venir de longtemps aux Champs-ÉlysĂ©es. Mais dĂ©jĂ  le charme dont, par son simple fonctionnement, se remplissait mon esprit dĂšs qu'il songeait Ă  elle, la position particuliĂšre, unique,—fĂ»t elle affligeante,—oĂč me plaçait inĂ©vitablement par rapport Ă  Gilberte, la contrainte interne d'un pli mental, avaient commencĂ© Ă  ajouter, mĂȘme Ă  cette marque d'indiffĂ©rence, quelque chose de romanesque, et au milieu de mes larmes se formait un sourire qui n'Ă©tait que l'Ă©bauche timide d'un baiser. Et quand vint l'heure du courrier, je me dis ce soir-lĂ  comme tous les autres: Je vais recevoir une lettre de Gilberte, elle va me dire enfin qu'elle n'a jamais cessĂ© de m'aimer, et m'expliquera la raison mystĂ©rieuse pour laquelle elle a Ă©tĂ© forcĂ©e de me le cacher jusqu'ici, de faire semblant de pouvoir ĂȘtre heureuse sans me voir, la raison pour laquelle elle a pris l'apparence de la Gilberte simple camarade. Tous les soirs je me plaisais Ă  imaginer cette lettre, je croyais la lire, je m'en rĂ©citais chaque phrase. Tout d'un coup je m'arrĂȘtais effrayĂ©. Je comprenais que si je devais recevoir une lettre de Gilberte, ce ne pourrait pas en tous cas ĂȘtre celle-lĂ  puisque c'Ă©tait moi qui venais de la composer. Et dĂšs lors, je m'efforçais de dĂ©tourner ma pensĂ©e des mots que j'aurais aimĂ© qu'elle m'Ă©crivĂźt, par peur en les Ă©nonçant, d'exclure justement ceux-lĂ ,—les plus chers, les plus dĂ©sirĂ©s—, du champ des rĂ©alisations possibles. MĂȘme si par une invraisemblable coĂŻncidence, c'eĂ»t Ă©tĂ© justement la lettre que j'avais inventĂ©e que de son cĂŽtĂ© m'eĂ»t adressĂ©e Gilberte, y reconnaissant mon Ɠuvre je n'eusse pas eu l'impression de recevoir quelque chose qui ne vĂźnt pas de moi, quelque chose de rĂ©el, de nouveau, un bonheur extĂ©rieur Ă  mon esprit, indĂ©pendant de ma volontĂ©, vraiment donnĂ© par l'amour.
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Marcel Proust
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Parmi les nombreuses maĂźtresses que vous avez troussĂ©es, avouez qu’il y en a une ou deux qui vous ont laissĂ© des Ă©chardes dans le saignant. Il ne s’agit jamais de la plus belle, de la plus douce, de la plus prestigieuse, non, non
 En gĂ©nĂ©ral, ce serait plutĂŽt une conquĂȘte de seconde catĂ©gorie, levĂ©e parce qu’elle Ă©tait piquante, que vous avez prise pour l’aventure d’un soir. Et voici que la sournoise vous a ferrĂ©, en embuscade! (nouvelle "Le sentiment du fer")
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Jean-Philippe Jaworski (Le Sentiment du fer)
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opĂ©ration. Et nous ne voulons pas de casse, ni chez vos hommes, ni pour nous, d’autant que Tel Aviv niera son implication si ça tourne mal. Mais, il y a moins de cinq ans, j’ai moi-mĂȘme Ă©gorgĂ© un responsable du Esbollah qui faisait partie de la liste de l’opĂ©ration ColĂšre de Dieu. Au passage, j’ai tuĂ© quatre de ses gardes du corps Ă  l’arme blanche. Je vous rappelle, que nous sommes sous mandat direct de la Knesset, et qu’il s’agit justement d’une prolongation de ColĂšre de Dieu. Les ordres donnĂ©s aux terroristes arabes Ă  Munich en 72 l’ont Ă©tĂ© depuis ici. Donc, je viens. Je suis garante des compĂ©tences d’Eve, quant au jeune blanc bec derriĂšre vous, Ezra, c’est notre meilleur homme de terrain. - Il nous faut une personne en support logistique, quoiqu’il arrive, conclut le militaire vexĂ©. Donc, dĂ©merdez-vous comme vous voulez, Ă  la courte paille si ça vous amuse. Mais, j’en emmĂšne deux sur les trois. Pas les trois. - Au fait, ça vous sera probablement utile dit Eve, en tendant les plans et compte-rendu de Menouha. C’est assez parcellaire comme informations, mais, elle a quand mĂȘme fait un bon boulot. 29 AoĂ»t 1990 – Rio de Janeiro – BrĂ©sil Sarah prĂ©parait Thomas dans la salle de bain. - Il est oĂč papa ? - Il est parti jouer au golf avec le monsieur qui nous a aidĂ©s Ă  guĂ©rir ta sƓur. - Il rentre quand ? - Ce soir. Nous, on va aller Ă  la plage avec ChloĂ©. Le petit garçon Ă©chappa aux mains de sa mĂšre qui venait de lui enfiler son t-shirt et courut dans le salon. - Isabella, tu viens avec nous Ă  la plage ? - Je ne sais pas mon grand, rĂ©pondit la jeune infirmiĂšre. Maman veut peut-ĂȘtre rester seule avec ses deux bambins. - Non. Isabella, vous pouvez venir avec nous. Cela fera plaisir aux enfants, rĂ©pondit Sarah depuis la salle de bain. Le temps Ă©tait magnifique. Thomas courait devant, son ballon Ă  la main, dans le sable blanc de la plage d’Ipanema. Sarah et Isabella portĂšrent ChloĂ© qui arrivait maintenant Ă  marcher sur des sols durs, mais pas encore dans le sable. Les deux jeunes femmes s’installĂšrent non loin de l’eau dans une zone surveillĂ©e par un maitre-nageur. Thomas s’était arrĂȘtĂ© devant un petit groupe de brĂ©siliens Ă  peine plus vieux que lui qui jouait au football sur un terrain improvisĂ©. Il aurait voulu jouer avec eux mais, il n’osait pas demander. Isabella s’approcha des enfants et en quelques mots leur fit comprendre qu’avec un joueur de plus, ils seraient en nombre pair, ce qui rendrait leur partie intĂ©ressante. - Mais, non
 chuchota Thomas Ă  l’oreille de la jeune infirmiĂšre. Regarde comme ils jouent bien. Ils vont se moquer de moi. - Je suis certaine que non. Et, puis, si c’est le cas et que ça ne te convient pas, tu auras toujours la possibilitĂ© de revenir nous voir sous le parasol. Mais, si tu n’essaies pas, si tu ne te confrontes pas Ă  eux, tu ne sauras jamais s’ils Ă©taient vraiment meilleurs que toi, s’il s’agit d’enfants moqueurs ou de futurs copains. Tu comprends petit Thomas. Il faut tenter. Prendre des risques, sinon, on n’apprend rien. Allez, va. Ils t’attendent...
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Eric TERRIEN (Mein Grand-PĂšre: Roman d espionnage historique (French Edition))
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La chance nous sourit tous les matins, le bonheur nous accueille tous les soirs, et on s'en rend pas compte. On s'y habitue et on pense que ce sera tous les jours ainsi. On fait pas gaffe à ce que l'on possÚde puis, hop ! D'un claquement de doigts, on s'aperçoit que l'on a tout faux. Parce qu'on croit avoir décroché la lune, on veut croquer le soleil aussi, et c'est là que l'on se crame les ailes
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Yasmina Khadra
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Camille. Il l'avait reconnue lui aussi. Sa Camille. Sa presque sƓur. Il l'avait reconnue et il s'Ă©tait tu. Cela ne pouvait ĂȘtre elle, non, il l'aurait retrouvĂ©e ce soir-lĂ , dans sa voix, dans ses gestes. Et si ses yeux s'Ă©taient laissĂ© tromper par un corps diffĂ©rent, son cƓur ne se serait pas laissĂ© avoir: il l'aurait averti, et lui, Lucas, l'aurait sauvĂ©e. Il l'aurait sauvĂ©e, Star, la jeune fille Ă  l'Ă©toile rouge. SauvĂ©e et pas baisĂ©e.
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Olivier Norek (Code 93 (Victor Coste #1))
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Car, si l'on rĂ©unit les deux premiĂšres annĂ©es de ce rĂšgne aux dix-sept mois et huit jours Ă©coulĂ©s pendant les rĂšgnes de Galba, d'Othon et de Vitellius, on obtient de la sorte trois ans et six mois, qui reprĂ©sentent la moitiĂ© de la semaine dont parle le prophĂšte Daniel. En effet, il a dit qu'il s'Ă©coulerait deux mille trois cents jours, depuis l'Ă©poque oĂč NĂ©ron jetterait l'abomination dans la ville sainte, jusqu'Ă  la destruction de cette ville. C'est ce que marquent ces paroles de l'Écriture : « Jusques Ă  quand la vision et l'abolition du sacrifice, et la dĂ©solation du pĂ©chĂ© commis? Jusques Ă  quand sera foulĂ© aux pieds le sanctuaire et sa force? Et il lui dit : Jusqu'au soir et au matin, deux mille et trois cents jours, et le sanctuaire sera dĂ©truit. »
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Clement of Alexandria (Miscellanies (Stromata))
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—¿QuĂ© me estĂĄs proponiendo? —Un retrato del mundo industrial en el Tercer Mundo —dijo Fate—, un aide-mĂ©moire de la situaciĂłn actual de MĂ©xico, una panorĂĄmica de la frontera, un relato policial de primera magnitud, joder. —¿Un aide-mĂ©moire? —dijo el jefe de secciĂłn—. ÂżEso es francĂ©s, negro? ÂżDesde cuĂĄndo sabes tĂș francĂ©s? —No sĂ© francĂ©s —dijo Fate—, pero sĂ© lo que es un jodido aide-mĂ©moire. —Yo tambiĂ©n sĂ© lo que es un puto aide-mĂ©moire —dijo el jefe de secciĂłn—, y tambiĂ©n sĂ© lo que significa merci y au revoir y faire l’amour. Lo mismo que coucher avec moi, Âżrecuerdas esa canciĂłn?, voulez-vous coucher avec moi, ce soir? Y creo que tĂș, negro, quieres coucher avec moi, pero sin decir antes voulez-vous, que en este caso es primordial. ÂżLo has entendido? Tienes que decir voulez-vous y si no lo dices te jodes.
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Roberto Bolaño (2666)
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Mais si c'Ă©tait l'exil, dans la majoritĂ© des cas c'Ă©tait l'exil chez soi. Et quoique le narrateur n'ait connu que l'exil de tout le monde, il ne doit pas oublier ceux, comme le journaliste Rambert ou d'autres, pour qui, au contraire, les peines de la sĂ©paration s'amplifiĂšrent du fait que, voyageurs surpris par la peste et retenus dans la ville, ils se trouvaient Ă©loignĂ©s Ă  la fois de l'ĂȘtre qu'ils ne pouvaient rejoindre et du pays qui Ă©tait le leur. Dans l'exil gĂ©nĂ©ral, ils Ă©taient les plus exilĂ©s, car si le temps suscitait chez eux, comme chez tous, l'angoisse qui lui est propre, ils Ă©taient attachĂ©s aussi Ă  l'espace et se heurtaient sans cesse aux murs qui sĂ©paraient leur refuge empestĂ© de leur patrie perdue. C'Ă©tait eux sans doute qu'on voyait errer Ă  toute heure du jour dans la ville poussiĂ©reuse, appelant en silence des soirs qu'ils Ă©taient seuls Ă  connaĂźtre, et les matins de leur pays. Ils nourrissaient alors leur mal de signes impondĂ©rables et de messages dĂ©concertants comme un vol d'hirondelles, une rosĂ©e de couchant, ou ces rayons bizarres que le soleil abandonne parfois dans les rues dĂ©sertes. Ce monde extĂ©rieur qui peut toujours sauver de tout, ils fermaient les yeux sur lui, entĂȘtĂ©s qu'ils Ă©taient Ă  caresser leurs chimĂšres trop rĂ©elles et Ă  poursuivre de toutes leurs forces les images d'une terre oĂč une certaine lumiĂšre, deux ou trois collines, l'arbre favori et des visages de femmes composaient un climat pour eux irremplaçable.
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Albert Camus (The Plague)
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Il en est ainsi pour tout le monde : on se marie, on aime encore un peu, on travaille. On travaille tant qu'on en oublie d'aimer. Jeanne aussi travaillait, puisque les promesses du chef de bureau n'avaient pas Ă©tĂ© tenues. Ici, il fallait un peu d'imagination pour comprendre ce que voulait dire Grand. La fatigue aidant, il s'Ă©tait laissĂ© aller, il s'Ă©tait tu de plus en plus et il n'avait pas soutenu sa jeune femme dans l'idĂ©e qu'elle Ă©tait aimĂ©e. Un homme qui travaille, la pauvretĂ©, l'avenir lentement fermĂ©, le silence des soirs autour de la table, il n'y a pas de place pour la passion dans un tel univers. Probablement, Jeanne avait souffert. Elle Ă©tait restĂ©e cependant : il arrive qu'on souffre longtemps sans le savoir. Les annĂ©es avaient passĂ©. Plus tard, elle Ă©tait partie. Bien entendu, elle n'Ă©tait pas partie seule. « je t'ai bien aimĂ©, mais maintenant je suis fatiguĂ©e... je ne suis pas heureuse de partir, mais on da pas besoin d'ĂȘtre heureux pour recommencer. » C'est, en gros, ce qu'elle lui avait Ă©crit. Joseph Grand Ă  son tour avait souffert. Il aurait pu recommencer, comme le lui fit remarquer Rieux. Mais voilĂ , il n'avait pas la foi. Simplement, il pensait toujours Ă  elle. Ce qu'il aurait voulu, c'est lui Ă©crire une lettre pour se justifier. « Mais c'est difficile, disait-il. Il y a longtemps que j'y pense. Tant que nous nous sommes aimĂ©s, nous nous sommes compris sans paroles. Mais on ne s'aime pas toujours. À un moment donnĂ©, j'aurais dĂ» trouver les mots qui l'auraient retenue, mais je n'ai pas pu. »
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Albert Camus (The Plague)
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Devant eux, la nuit Ă©tait sans limites. Rieux, qui sentait sous ses doigts le visage grĂȘlĂ© des rochers, Ă©tait plein d'un Ă©trange bonheur. TournĂ© vers Tarrou, il devina, sur le visage calme et grave de son ami, ce mĂȘme bonheur qui n'oubliait rien, pas mĂȘme l'assassinat. Ils se dĂ©shabillĂšrent. Rieux plongea le premier. Froides d'abord, les eaux lui parurent tiĂšdes quand il remonta. Au bout de quelques brasses, il savait que la mer, ce soir-lĂ , Ă©tait tiĂšde, de la tiĂ©deur des mers d'automne qui reprennent Ă  la terre la chaleur emmagasinĂ©e pendant de longs mois. Il nageait rĂ©guliĂšrement. Le battement de ses pieds laissait derriĂšre lui un bouillonnement d'Ă©cume, l'eau fuyait le long de ses bras pour se coller Ă  ses jambes. Un lourd clapotement lui apprit que Tarrou avait plongĂ©. Rieux se mit sur le dos et se tint immobile, face au ciel renversĂ©, plein de lune et d'Ă©toiles. Il respira longuement. Puis il perçut de plus en plus distinctement un bruit d'eau battue, Ă©trangement clair dans le silence et la solitude de la nuit. Tarrou se rapprochait, on entendit bientĂŽt sa respiration. Rieux se retourna, se mit au niveau de son ami, et nagea dans le mĂȘme rythme. Tarrou avançait avec plus de puissance que lui et il dut prĂ©cipiter son allure. Pendant quelques minutes, ils avancĂšrent avec la mĂȘme cadence et la mĂȘme vigueur solitaires, loin du monde, libĂ©rĂ©s enfin de la ville et de la peste. Rieux s'arrĂȘta le premier et ils revinrent lentement, sauf Ă  un moment oĂč ils entrĂšrent dans un courant glacĂ©. Sans rien dire, ils prĂ©cipitĂšrent tous deux leur mouvement, fouettĂ©s par cette surprise de la mer. HabillĂ©s de nouveau, ils repartirent sans avoir prononcĂ© un mot. Mais ils avaient le mĂȘme cƓur et le souvenir de cette nuit leur Ă©tait doux. Quand ils aperçurent de loin la sentinelle de la peste, Rieux savait que Tarrou se disait, comme lui, que la maladie venait de les oublier, que cela Ă©tait bien, et qu'il fallait maintenant recommencer.
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Albert Camus (The Plague)
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Aujourd'hui, j'ai un postulat de confiance : j'ai quelques Ă©lĂšves qui ne font pas souvent leurs devoirs mais s'ils me disent qu'ils les ont faits, je les crois. Ils ont peut-ĂȘtre appris leurs mots hier soir, mais les ont oubliĂ©s depuis. Je leur demande : "Comment as-tu travaillĂ© ?" S'ils expliquent que le projet Ă©tait de rĂ©citer les mots Ă  un adulte dans les minutes qui suivent l'apprentissage, je leur montre que ce n'Ă©tait pas la bonne stratĂ©gie puisque tout s'est effacĂ© aujourd'hui. Quand l'enseignant conseille : "Si tu veux retenir tes mots, tu devrais travailler plus !", il devrait plutĂŽt proposer de travailler autrement. Faute d'identifier cette stratĂ©gie qui n'est pas la bonne l'enfant adopte la stratĂ©gie du nul : il arrive Ă  l'Ă©cole, il s'aperçoit que les autres savent les mots appris hier soir alors que lui ne se les rappelle plus. L'enseignant le soupçonne alors de ne avoir travaillĂ© ; l'enfant se dit qu'il est nul. Du coup, il adopte la stratĂ©gie suivante : "La prochaine fois, je n'apprendrai pas les mots. Comme ça, la maĂźtresse croira que je n'ai pas appris. Si elle me demande si je suis bĂȘte, je pourrai me dire : « Mais non, je ne suis pas nul, je n'ai pas travaillĂ© ! »" Peu Ă  peu, l'enfant ne prend plus le risque d'apprendre. Comme c'est douloureux d'ĂȘtre nul, Ă  dĂ©faut de rĂ©ussir, il cherche Ă  maĂźtriser son Ă©chec : il ne rate pas puisqu'il n'apprend pas ! Il reste ainsi dans une forme de toute puissance. Cette attitude s'ancre trĂšs tĂŽt Ă  l'Ă©cole. (p. 67)
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Isabelle Peloux (L'école du Colibri: La pédagogie de la coopération (Domaine du possible) (French Edition))
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Il vous manque la fin et je vous la ferai parvenir avant ce soir.
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Michelle Gable (L'appartement oublié)
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je ne me sens vraiment pas d’attaque ce soir.
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Michelle Gable (L'appartement oublié)