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Maldoror, Ă©coute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence Ă©gale Ă la tienne. Un jour, tu mâappelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je nâai pas dĂ©menti la confiance que tu mâavais vouĂ©e. Je ne suis quâun simple habitant des roseaux, câest vrai ; mais, grĂące Ă ton propre contact, ne prenant que ce quâil y avait de beau en toi, ma raison sâest agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de lâabĂźme. Ceux qui sâintitulent tes amis te regardent, frappĂ©s de consternation, chaque fois quâils te rencontrent, pĂąle et voĂ»tĂ©, dans les thĂ©Ăątres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis quâil porte son maĂźtre-fantĂŽme, enveloppĂ© dans un long manteau noir. Abandonne ces pensĂ©es, qui rendent ton cĆur vide comme un dĂ©sert ; elles sont plus brĂ»lantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne tâen aperçois pas, et que tu crois ĂȘtre dans ton naturel, chaque fois quâil sort de ta bouche des paroles insensĂ©es, quoique pleines dâune infernale grandeur. Malheureux ! quâas-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ă triste reste dâune intelligence immortelle, que Dieu avait crĂ©Ă©e avec tant dâamour ! Tu nâas engendrĂ© que des malĂ©dictions, plus affreuses que la vue de panthĂšres affamĂ©es ! Moi, je prĂ©fĂ©rerais avoir les paupiĂšres collĂ©es, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassinĂ© un homme, que ne pas ĂȘtre toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractĂšre qui mâĂ©tonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dĂ©rision ceux qui lâhabitent, Ă©pave pourrie, ballottĂ©e par le scepticisme ? Si tu ne tây plais pas, il faut retourner dans les sphĂšres dâoĂč tu viens. Un habitant des citĂ©s ne doit pas rĂ©sider dans les villages, pareil Ă un Ă©tranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphĂšres plus spacieuses que la nĂŽtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons mĂȘme pas concevoir. Eh bien, va-tâen !⊠retire-toi de ce sol mobile !⊠montre enfin ton essence divine, que tu as cachĂ©e jusquâici ; et, le plus tĂŽt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphĂšre, que nous nâenvions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu Ă reconnaĂźtre si tu es un homme ou plus quâun homme ! Adieu donc ; nâespĂšre plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour lâĂ©ternitĂ©, afin dâimplorer ton pardon !
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