â
I was glad to be made aware
that âVeimkeâ (jeune fille au pair),
is subject to natural law,
and can be made fat,
by such things as poor diet,
and alcohol.
â
â
Roman Payne
â
On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute.
Si donc, je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupé entiÚrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute.
Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est surement beaucoup dire, il n'est pas Ă©tonnant que l'un ait fini en mĂȘme temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute.
Il suit de là , que depuis quelque temps je t'ai trompée: mais aussi ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute.
Aujourd'hui, une femme que j'aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute.
Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure: mais si la Nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute.
Crois-moi, choisis un autre amant, comme j'ai fait une maĂźtresse. Ce conseil est bon, trĂšs bon; si tu le trouve mauvais, ce n'est pas ma faute.
Adieu, mon ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regrets: je te reviendrai peut-ĂȘtre. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute.
â
â
Pierre Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses)
â
QuatriĂšme maxime. - Tout impĂŽt doit ĂȘtre conçu de maniĂšre Ă ce qu'il fasse sortir des mains du peuple le moins d'argent possible au-delĂ de ce qui entre dans le TrĂ©sor de l'Etat, et en mĂȘme temps Ă ce qu'il tienne le moins longtemps possible cet argent hors des mains du peuple avant d'entrer dans ce TrĂ©sor.
â
â
Adam Smith (An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations)
â
TĂąchez de garder toujours un morceau de ciel au-dessus de votre vie, petit garçon, ajoutait-il en se tournant vers moi. Vous avez une jolie Ăąme, dâune qualitĂ© rare, une nature dâartiste, ne la laissez pas manquer de ce quâil lui faut.» Quand,
â
â
Marcel Proust (A la recherche du temps perdu: édition Intégrale, tous les volumes (French Edition))
â
The maid told him that a girl and a child had come looking for him, but since she didn't know them, she hadn't cared to ask them in, and had told them to go on to Mers.
"Why didn't you let them in?" asked Germain angrily. "People must be very suspicious in this part of the world, if they won't open the front door to a neighbor."
"Well, naturally!" replied the maid. "In a house as rich as this, you have to keep a close watch on things. While the master's away I'm responsible for everything, and I can't just open the door to anyone at all."
"That's a mean way to live," said Germain; "I'd rather be poor than live in fear like that. Good-bye to you, miss, and good-bye to this horrible country of yours!
â
â
George Sand (La mare au diable)
â
Next morning Jean-Guy Beauvoir was waiting by the car with two travel mugs of cafĂ© au lait from the bistro and two chocolatines. âJust because weâre going to Mordor doesnât mean we canât enjoy ourselves on the way,â he said, opening the passenger-side door for Armand.
â
â
Louise Penny (The Nature of the Beast (Chief Inspector Armand Gamache #11))
â
PremiÚre maxime. - Les sujets d'un Etat doivent contribuer au soutien du gouvernement, chacun le plus possible en proportion de ses facultés, c'est-à -dire en proportion du revenu dont il jouit sous la protection de l'Etat.
â
â
Adam Smith (An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations)
â
Aucun penseur n'oserait dire que le parfum des aubépines est inutile aux constellations..."
Prolonger la question hugolienne : qui prĂ©tendrait que le ressac n'est pour rien dans les rĂȘves du faon, que le vent n'Ă©prouve rien Ă se heurter au mur, que l'aube est insensible aux trilles des mĂ©sanges ?
â
â
Sylvain Tesson
â
On suffoquait, les chevelures s'alourdissaient sur les tĂȘtes en sueur. Depuis trois heures qu'on Ă©tait lĂ , les haleines avaient chauffĂ© l'air d'une odeur humaine. Dans le flamboiement du gaz, les poussiĂšres en suspension s'Ă©paississaient, immobiles au-dessous du lustre. La salle entiĂšre vacillait, glissait Ă un vertige, lasse et excitĂ©e, prise de ces dĂ©sirs ensommeillĂ©s de minuit qui balbutient au fond des alcĂŽves. Et Nana, en face de ce public pĂąmĂ©, de ces quinze cents personnes entassĂ©es, noyĂ©es dans l'affaissement et le dĂ©traquement nerveux d'une fin de spectacle, restait victorieuse avec sa chair de marbre, son sexe assez fort pour dĂ©truire tout ce monde et n'en ĂȘtre pas entamĂ©.
â
â
Ămile Zola (Nana)
â
Get the natural better and be au naturel no more.
â
â
Anyaele Sam Chiyson (The Sagacity of Sage)
â
Oamenii comunica intre ei prin semne conventionale si astfel si-au facut iluzia desarta ca se si inteleg. In realitate fiecare atribuie celorlalti ceea ce simte dinsul si atata tot. Legaturi directe omul numai cu Dumnezeu poate sa aiba de la care a si dobandit constiinta existentei. Tragediile ca si bucuriile cele mai mari omul le traieste intotdeauna in deplina singuratate si de aceea, cand isi simte sufletul mai sfisiat, isi simte singuratatea si mai mare.
â
â
Liviu Rebreanu (Ciuleandra)
â
Seule la totalite personnifie la verite. Neanmoins, la totalite represente simplement la nature essentielle parvenant a son etat complet au travers du processus de son propre developpement.
Il doit etre dit que, fondamentalement, l'Absolu est un resultat, et c'est seulement a la fin qu'il represente ce qu'il est veritablement.
â
â
Georg Wilhelm Friedrich Hegel
â
It must be this overarching commitment to what is really an abstraction, to one's children right or wrong, that can be even more fierce than the commitment to them as explicit, difficult people, and that can consequently keep you devoted to them when as individuals they disappoint. On my part it was this broad covenant with children-in-theory that I may have failed to make and to which I was unable to resort when Kevin finally tested my maternal ties to a perfect mathematical limit on Thursday. I didn't vote for parties, but for candidates. My opinions were as ecumenical as my larder, then still chock full of salsa verde from Mexico City, anchovies from Barcelona, lime leaves from Bangkok. I had no problem with abortion but abhorred capital punishment, which I suppose meant that I embraced the sanctity of life only in grown-ups. My environmental habits were capricious; I'd place a brick in our toilet tank, but after submitting to dozens of spit-in-the-air showers with derisory European water pressure, I would bask under a deluge of scalding water for half an hour. My closet wafter with Indian saris, Ghanaian wraparounds, and Vietnamese au dais. My vocabulary was peppered with imports -- gemutlich, scusa, hugge, mzungu. I so mixed and matched the planet that you sometimes worried I had no commitments to anything or anywhere, though you were wrong; my commitments were simply far-flung and obscenely specific.
By the same token, I could not love a child; I would have to love this one. I was connected to the world by a multitude of threads, you by a few sturdy guide ropes. It was the same with patriotism: You loved the idea of the United States so much more powerfully than the country itself, and it was thanks to your embrace of the American aspiration that you could overlook the fact that your fellow Yankee parents were lining up overnight outside FAO Schwartz with thermoses of chowder to buy a limited release of Nintendo. In the particular dwells the tawdry. In the conceptual dwells the grand, the transcendent, the everlasting. Earthly countries and single malignant little boys can go to hell; the idea of countries and the idea of sons triumph for eternity. Although neither of us ever went to church, I came to conclude that you were a naturally religious person.
â
â
Lionel Shriver (We Need to Talk About Kevin)
â
Il est urgent de placer lâhumain et la nature au cĆur de nos prĂ©occupations et lâĂ©conomie Ă leur service. Sâobstiner Ă maintenir le profit illimitĂ© et la croissance indĂ©finie comme fondement de lâordre mondial est totalement suicidaire.
â
â
Pierre Rabhi (La part du colibri: L'EspĂšce humaine face Ă son devenir)
â
HĂ© quoi ? vous ne ferez nulle distinction
Entre l'hypocrisie et la dévotion?
Vous les voulez traiter d'un semblable langage,
Et rendre mĂȘme honneur au masque qu'au visage,
Ăgaler l'artifice Ă la sincĂ©ritĂ©,
Confondre l'apparence avec la vérité,
Estimer le fantĂŽme autant que la personne,
Et la fausse monnaie à l'égal de la bonne ?
Les hommes la plupart sont étrangement faits !
Dans la juste nature on ne les voit jamais ;
La raison a pour eux des bornes trop petites ;
En chaque caractĂšre ils passent ses limites ;
Et la plus noble chose, ils la gĂątent souvent
Pour la vouloir outrer et pousser trop avant.
â
â
MoliĂšre (The Misanthrope)
â
Câest la nature, dis-tu, qui me donne tous ces biens. Ne vois-tu pas quâen parlant ainsi tu ne fais que changer le nom de Dieu ? La nature est-elle autre chose que Dieu et la raison divine, incorporĂ©e au monde entier et Ă chacune de ses parties ?
â
â
Seneca
â
L'homme lutte contre la peur mais, contrairement Ă ce qu'on rĂ©pĂšte toujours, cette peur n'est pas celle de la mort, car la peur de la mort, tout le monde ne l'Ă©prouve pas, certains n'ayant aucune imagination, d'autres se croyant immortels, d'autres encore espĂ©rant des rencontres merveilleuses aprĂšs leur trĂ©pas ; la seule peur universelle, la peur unique, celle qui conduit toutes nos pensĂ©es, car la peur de n'ĂȘtre rien. Parce que chaque individu a Ă©prouvĂ© ceci, ne fĂ»t-ce qu'une seconde au cours d'une journĂ©e : se rendre compte que, par nature, ne lui appartient aucune des identitĂ©s qui le dĂ©finissent, qu'il aurait pu ne pas ĂȘtre dotĂ© de ce qui le caractĂ©rise, qu'il s'en est fallu d'un cheveu qu'il naisse ailleurs, apprenne une autre langue, reçoive une Ă©ducation religieuse diffĂ©rente, qu'on l'Ă©lĂšve dans une autre culture, qu'on l'instruise dans une autre idĂ©ologie, avec d'autres parents, d'autres tuteurs, d'autres modĂšles. Vertige !
â
â
Ăric-Emmanuel Schmitt
â
il existait sans doute entre les inquiĂ©tes crĂ©atures humaines des rĂ©pulsions et des haines surgies du plus profond de leur nature, et qui, le jour oĂč il ne serait plus de mode de s'exterminer pour cause de religion, se donneraient cours autrement.
(La promenade sur la dune)
â
â
Marguerite Yourcenar (L'Ćuvre au noir)
â
Supprime donc en toi toute aversion pour ce qui ne dĂ©pend pas de nous et, cette aversion, reporte-la sur ce qui dĂ©pend de nous et nâest pas en accord avec la nature. Quant au dĂ©sir, pour le moment, supprime-le complĂštement. Car si tu dĂ©sires une chose qui ne dĂ©pend pas de nous, tu ne pourras quâĂ©chouer, sans compter que tu te mettras dans lâimpossibilitĂ© dâatteindre ce qui est Ă notre portĂ©e et quâil est plus sage de dĂ©sirer. Borne-toi Ă suivre tes impulsions, tes rĂ©pulsions, mais fais-le avec lĂ©gĂšretĂ©, de façon non systĂ©matique et sans effort excessif.
â
â
Epictetus (The Discourses)
â
Cette encombrante enveloppe qu'il lui fallait laver, remplir, rĂ©chauffer au coin du feu ou sous la toison d'une bĂȘte morte, coucher le soir comme un enfant ou comme un vieillard imbĂ©cile, servait contre lui d'otage Ă la nature entiĂšre et, pis encore, Ă la sociĂ©tĂ© des hommes.
(L'abĂźme)
â
â
Marguerite Yourcenar (L'Ćuvre au noir)
â
Les hommes y tiennent Ă leurs sales souvenirs, Ă tous leurs malheurs et on ne peut pas les en faire sortir. Ca leur occupe l'Ăąme. Ils se vengent de l'injustice de leur prĂ©sent en besognant l'avenir au fond d'eux-mĂȘmes avec de la merde. Justes et lĂąches qu'ils sont tout au fond. C'est leur nature.
â
â
Louis-Ferdinand Céline (Journey to the End of the Night)
â
Dans chaque dĂ©mocratie libĂ©rale s'est Ă©laborĂ© un imaginaire de citoyennetĂ© au sein duquel la projection dans l'avenir est devenue plus significative que le poids du passĂ©. Cet imaginaire s'est traduit par des normes juridiques, et a mĂȘme pĂ©nĂ©trĂ© par la suite Ă l'intĂ©rieur du systĂšme Ă©ducatif Ă©tatique.[...] La souffrance du passĂ© justifie le prix exigĂ© de la part des citoyens dans le prĂ©sent. L'hĂ©roĂŻsme des temps qui s'Ă©loignent promet un avenir rayonnant pour l'individu, du moins sĂ»rement pour la nation. L'idĂ©e nationale est devenue, avec l'aide des historiens, une idĂ©ologie optimiste par nature. De lĂ , notamment, vient son succĂšs.
â
â
Shlomo Sand (The Invention of the Jewish People)
â
Des trombes marines se dressaient lĂ accumulĂ©es et en apparence immobiles comme les piliers noirs d'un temple. Elles supportaient, renflĂ©es Ă leurs extrĂ©mitĂ©s, la voĂ»te sombre et basse de la tempĂȘte, mais, au travers des dĂ©chirures de la voĂ»te, des pans de lumiĂšre tombaient, et la pleine lune rayonnait, entre les piliers, sur les dalles froides de la mer.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
â
Au seuil de la science est assis ce principe : Rien nâest sorti de rien. Rien nâest lâĆuvre des dieux.
â
â
Lucretius (De la nature des choses)
â
...Un simÈ al libertÄÈii absolute. Un sentiment asemÄnÄtor poÈi avea doar Ăźn mormĂąnt Èi la WC. Interesant e cÄ ambele au aproximativ aceleaÈi dimensiuni.
â
â
Georgi Gospodinov (Un roman natural)
â
Combien de gens exercent-ils le travail de leur choix ? Certains scientifiques, artistes, quelques travailleurs trĂšs qualifiĂ©s ou certaines professions libĂ©rales ont peut-ĂȘtre cette satisfaction, mais la plupart des gens ne sont pas libres de choisir leur activitĂ©. C'est la nĂ©cessitĂ© Ă©conomique qui les y oblige. C'est pourquoi on peut parler de "travail aliĂ©nĂ©". En outre, la plupart des travailleurs produisent des biens et des services destinĂ©s Ă devenir des marchandises qu'ils n'ont pas eux-mĂȘmes choisi de produire et qui appartiennent Ă un autre : le capitaliste qui les emploie. Les travailleurs sont donc, en outre, parfaitement Ă©trangers au produit de leur labeur. Le travail s'effectue dans des conditions industrielles modernes qui privilĂ©gient la concurrence plutĂŽt que la collaboration et l'isolement plutĂŽt que l'association. Les travailleurs sont donc Ă©galement Ă©trangers les uns aux autres. ConcentrĂ©s dans les villes et les usines, ils sont pour finir Ă©trangers Ă la nature.
â
â
Howard Zinn (Disobedience and Democracy: Nine Fallacies on Law and Order (Radical 60s))
â
Vivre d'un troupeau, c'est en grande partie le parasiter quelle que soit la prĂ©ocupation qu'on ait de son bien-ĂȘtre. Nous sommes Ă la fois le lĂ©gislatif et l'exĂ©cutif. On ne peut enfermer des animaux dans une Ă©treinte intĂ©ressĂ©e sans aller Ă l'encontre de leur nature. La dĂ©marche soucieuse de vivre avec et non de peut dĂ©jĂ attĂ©nuer l'arbitraire. Il s'agit alors de vivre des rĂ©ciprocitĂ©s. (p.238)
â
â
Pierre Rabhi (Du Sahara aux Cévennes : Itinéraire d'un homme au service de la Terre-MÚre)
â
read as to eat. I was greatly taken with this new way of talking and derived considerable pleasure from speaking it to the waiter. I asked him for a luster of water freshly drawn from the house tap and presented au nature in a cylinder of glass, and when he came around with the bread rolls I entreated him to present me a tonged rondelle of blanched wheat, oven baked and masked in a poppy-seed coating. I was just getting warmed up to this and about to ask for a fanned lap coverlet, freshly laundered and scented with a delicate hint of Lemon Daz, to replace the one that had slipped from my lap and now lay recumbent on the horizontal walking surface subjacent to my feet, when he handed me a card that said âSweets Menuâ and I realized that we were back in the no-nonsense world of English. Itâs a funny thing about English diners. Theyâll let you dazzle them with piddly duxelles of this and fussy little noisettes of that, but donât mess with their puddings,
â
â
Bill Bryson (Notes from a Small Island)
â
Notre plus grande peur est la peur d'aimer. Toute souffrance a commencé par l'amour ; l'amour bafoué, renié, ignoré. L'abandon ou les cris dans une chambre d'enfant.
Si c'est cette peur qui nous fait souhaiter construire un univers oĂč nous n'aurons plus peur - oĂč rĂ©gnera une atmosphĂšre de sĂ©curitĂ©- , alors l'impulsion crĂ©atrice n'est pas la bonne. Si c'est la peur qui nous fait rĂȘver d'un monde sans violence, nous y programmons aussitĂŽt la violence.
"Qui préfÚre la sécurité à la liberté aura vite fait de perdre les deux."
Il faut sortir de l'illusion sécurisante.
L'amour, par nature, met en danger. L'amour nous emporte au large, loin des estuaires et des ports de plaisance. Il décoiffe les anxieux, les craintifs, les inquiets. (p. 79-80)
â
â
Christiane Singer (N'oublie pas les chevaux écumants du passé)
â
Then she reached for her bag and took out a small book. She explained she had found it at a store near her home, and that it described the nature of your character based on the date of your birth. (...) I thought some of it was true and some of it was not, but the real truth was how such things allowed someone to talk about you, or what you had done or why you did it, in a way that unraveled your character into distinct traits. It made you seem readable to them, or to yourself, which could feel like a revelation.
â
â
Jessica Au (Cold Enough for Snow)
â
En effet, c'est une impression gĂ©nĂ©rale qu'Ă©prouvent tous les hommes, quoiqu'ils ne l'observent pas tous, que sur les hautes montagnes, oĂč l'air est pur et subtil, on se sent plus de facilitĂ© dans la respiration, plus de lĂ©gĂšretĂ© dans le corps, plus de sĂ©rĂ©nitĂ© dans l'esprit; les plaisirs y sont moins ardents, les passions plus modĂ©rĂ©es. (...) Il semble qu'en s'Ă©levant au-dessus du sĂ©jour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres, et qu'Ă mesure qu'on approche des rĂ©gions Ă©thĂ©rĂ©es, l'Ăąme contracte quelque chose de leur inaltĂ©rable puretĂ©. On y est grave sans mĂ©lancolie, paisible sans indolence, content d'ĂȘtre et de penser : tous les dĂ©sirs trop vifs s'Ă©moussent, ils perdent cette pointe aiguĂ« qui les rend douloureux ; ils ne laissent au fond du cĆur qu'une Ă©motion lĂ©gĂšre et douce...
â
â
Jean-Jacques Rousseau (Julie ou la Nouvelle Héloïse (French Edition))
â
[...] la foi, l'acte de croire Ă des mythes, des idĂ©ologies ou des lĂ©gendes surnaturels, est la consĂ©quence de la biologie. [...] Il est dans notre nature de survivre. La foi est une rĂ©ponse instinctive Ă des aspects de l'existence que nous ne pouvons expliquer autrement, que ce soit le vide moral que nous percevons dans l'univers, la certitude de la mort, le mystĂšre des origines, le sens de notre propre vie ou son absence de sens. Ce sont des aspects Ă©lĂ©mentaires et d'une extraordinaire simplicitĂ©, mais nos propres limitations nous empĂȘchent de donner des rĂ©ponses sans Ă©quivoque Ă ces questions et, pour cette raison, nous gĂ©nĂ©rons pour nous dĂ©fendre une rĂ©ponse Ă©motionnelle. C'est de la pure et simple biologie. [...] Toute interprĂ©tation ou observation de la rĂ©alitĂ© l'est par nĂ©cessitĂ©. En lâoccurrence, le problĂšme rĂ©side dans le fait que l'homme est un animal moral abandonnĂ© dans un monde amoral, condamnĂ© Ă une existence finie et sans autre signification que de perpĂ©tuer le cycle naturel de l'espĂšce. Il est impossible de survivre dans un Ă©tat prolongĂ© de rĂ©alitĂ©, au moins pour un ĂȘtre humain.
â
â
Carlos Ruiz ZafĂłn (The Angel's Game (The Cemetery of Forgotten Books, #2))
â
L'amour est un grand maĂźtre
"Il le faut avouer, l'amour est un grand maĂźtre
Ce qu'on ne sut jamais il nous enseigne Ă l'ĂȘtre ;
Et souvent de nos moeurs l'absolu changement
Devient, par ses leçons, l'ouvrage d'un moment ;
De la nature, en nous, il force les obstacles,
Et ses effets soudains ont de l'air des miracles ;
D'un avare à l'instant il fait un libéral,
Un vaillant d'un poltron, un civil d'un brutal ;
Il rend agile Ă tout l'Ăąme la plus pesante,
Et donne de l'esprit Ă la plus innocente."
L'Ecole des femmes, III, 4 (v. 900-909)
â
â
MoliĂšre (L'Ecole Des Femmes / La Critique de L'Ecole Des Femmes / Remerciment Au Roi / L'Impromptu de Versailles / La Princesse D'Elide)
â
Il ne faut pas avoir peur de regarder les choses en face. La vie est le rĂ©sultat de la malpropretĂ©. Si la nature avait Ă©tĂ© bien tenue, la vie ne serait jamais apparue. La vie est nĂ©e de quelques vagues saletĂ©s au fond d'une flaque d'eau boueuse. La vie, donc l'homme. Il n'y a vraiment pas de quoi ĂȘtre fier.
â
â
François Cavanna
â
Le regard analytique et le regard intuitif sur la vie ne peuvent s'harmoniser dans un mĂȘme ĂȘtre que dans la mesure oĂč le premier est subordonnĂ© au second. C'est du second, et notamment du sentiment de beautĂ© et de compassion qu'il enferme, que dĂ©coule le sens de la totalitĂ© de mĂȘme que celui des Ă©quilibres et de la limite. Le regard intuitif est la condition de la sagesse sans laquelle le regard analytique peut conduire Ă des excĂšs suicidaires. L'analyse des phĂ©nomĂšnes donne de la puissance sur eux, elle permet de dominer la nature, mais elle n'enferme aucune indication quant aux limites qu'il convient d'assigner Ă cette puissance.
â
â
James E. Lovelock
â
Si donc les corps premiers sont, comme je l'ai montré, solides et sans vide, ils sont nécessairement doués d'éternité. Du reste si la matiÚre n'avait pas été éternelle, depuis longtemps déjà les choses seraient toutes et tout entiÚres retournées au néant, et c'est du néant que serait né de nouveau tout ce que nous voyons.
â
â
De la nature = De rerum natura: Texte original
â
Quant Ă moi, jâĂ©tais tout Ă fait tranquille sur mon sort. Moi aussi, jâaimais passionnĂ©ment mon art ; mais je savais dĂšs le commencement de ma carriĂšre que je resterais, au sens littĂ©ral du mot, un ouvrier de lâart. En revanche, je suis fier de ne pas avoir enfoui, comme lâesclave paresseux, ce que mâavait donnĂ© la nature, et, au contraire, de lâavoir augmentĂ© considĂ©rablement. Et si on loue mon jeu impeccable, si lâon vante ma technique, tout cela je le dois au travail ininterrompu, Ă la conscience nette de mes forces, Ă lâĂ©loignement que jâeus toujours pour lâambition, la satisfaction de soi-mĂȘme et la paresse, consĂ©quence de cette satisfaction.
â
â
Fyodor Dostoevsky
â
Mason prefers to switch over to Tea, when it is Dixonâs turn to begin shaking his head. âCanât understand how anyone abides that stuff.â âHow so?â Mason unable not to react. âWell, itâs disgusting, isnât it? Half-rotted Leaves, scalded with boiling Water and then left to lie, and soak, and bloat?â âDisgusting? this is Tea, Friend, Cha,â what all tasteful London drinks,â that,â pollicating the Coffee-Pot, âis whatâs disgusting.â âAu contraire,â Dixon replies, âCoffee is an art, where precision is all,â Water-Temperature, mean particle diameter, ratio of Coffee to Water or as we say, CTW, and dozens more Variables Iâd mention, were they not so clearly out of thy technical Grasp,â â âHow is it,â Mason pretending amiable curiosity, âthat of each Pot of Coffee, only the first Cup is ever worth drinking,â and that, by the time I get to it, someone else has already drunk it?â Dixon shrugs. âYou must improve your Speed . . . ? As to the other, why aye, only the first Cupâs any good, owing to Coffeeâs Sacramental nature, the Sacrament being Penance, entirely absent from thy sunlit World of Tay,â whereby the remainder of the Pot, often dozens of cups deep, represents the Price for enjoying that first perfect Cup.â âFolly,â gapes Mason. âWhy, evâry cup of Tea is perfect . . . ?â âFor what? curing hides?
â
â
Thomas Pynchon (Mason & Dixon)
â
Quand je considÚre ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flÚche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes...
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ăa et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă s'exprimer et Ă se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
â
â
Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
â
Certains animaux connaissent des extases peut-ĂȘtre plus puissantes
ontologiquement Ă partir de leur silence et au sein de leur appartenance au
milieu, que nous-mĂȘmes Ă partir du langage et dans notre dĂ©sappartenance
progressive encore quâintermittente Ă la nature.
Certains cerfs dâautomne pris dans leur brume sont plus au courant de
lâintrigue originelle que les dieux.
â
â
Pascal Quignard (AbĂźmes (Dernier Royaume #3))
â
Sade, au moins, nâa pas montrĂ© le vice agrĂ©able ou riant : il lâa montrĂ© apathique. Et sans doute, de cette apathie dĂ©coule un plaisir intense ; mais Ă la limite, ce nâest plus le plaisir dâun Moi qui participe Ă la nature seconde (fĂ»t-ce un moi criminel participant Ă une nature criminelle), câest au contraire le plaisir de nier la nature en moi et hors de moi, et de nier le Moi lui-mĂȘme. En un mot, câest un plaisir de dĂ©monstration.
â
â
Gilles Deleuze (Venus in Furs)
â
MĂȘme dans le plus creux de ma peine, je ne suis pas certaine d'avoir eu l'air aussi dĂ©vastĂ©e. J'imagine que ça dĂ©pend de la nature de ce qui nous a brisĂ©s. Justin m'a fendu le coeur en deux quand il m'a laissĂ©e. Ăa m'a fait mal, mais la coupure est nette et je sais que je vais me recoller, Ă©ventuellement. Jack, lui, semble cassĂ© en mille morceaux. Au point que, peu importe ce qu'il fera, il ne retrouvera sĂ»rement jamais tous les Ă©clats.
â
â
Marie-Christine Chartier (Le sommeil des loutres)
â
J'Ă©tais entiĂšre avant de rencontrer Toumani. J'Ă©tais entiĂšre alors que je ne ressentais rien, mais j'ai succombĂ© Ă la vanitĂ© et, dĂšs l,instant oĂč la nature m'a saisie, je me suis brisĂ©e au sol. Ă prĂ©sent, je m'en allais en resserrant mon chĂąle autour de mes Ă©paules, comme dans le but de rassembler mes fragments Ă©pars. Mais mĂȘme ainsi, recollĂ©e, j'Ă©tais une femme lĂ©zardĂ©e, et les courants d'air s'engouffraient dans les failles entre mes morceaux.
â
â
Ryad Assani-Razaki (La main d'Iman)
â
Robert Louis Stevenson wa Uskochi aliponukuu nahau ya âkamera haiwezi kudanganyaâ katika kitabu chake cha âSouth Seasâ mwaka 1896, miaka 57 baada ya sanaa ya upigaji wa picha kugunduliwa, hakumaanisha tuwe asili. Hakumaanisha tusizirekebishe picha zetu baada ya kuzipiga na kuzisafisha! Alimaanisha tuwe nadhifu tuonekanapo mbele za watu au mbele ya vyombo vya habari; ambapo picha itapigwa, itasafishwa, itachapishwa na itauzwa kama ilivyo bila kurekebishwa.
â
â
Enock Maregesi
â
Je ne pense plus Ă la misĂšre, mais Ă la beautĂ© qui survivra. VoilĂ la grande diffĂ©rence entre MĂšre et moi. Quand on est dĂ©couragĂ© ou triste elle conseille : "Pensons aux malheurs du monde, et soyons contents d'ĂȘtre Ă l'abri". Et moi je conseille "Sors, sors dans les champs, regarde la nature et le soleil, va au grand air et tĂąche de retrouver le bonheur en toi-mĂȘme et en Dieu. Pense Ă la beautĂ© qui se trouve encore en toi et autour de toi, sois heureuse !
â
â
Anne Frank (Anne Frank: The Diary Of A Young Girl)
â
- Vous croyez que mes crimes rendent vos mauvaises actions moins condamnables ? Vos petitesses et vos vices moins hideux ? Vous croyez qu'il y a les meurtriers, les violeurs, les criminels d'un cĂŽtĂ© et vous de l'autre ? C'est cela qu'il vous faut comprendre : il n'y a pas une membrane Ă©tanche qui empĂȘcherait le mal de circuler. Il n'y a pas deux sortes d'humanitĂ©. Quand vous mentez Ă votre femme et Ă vos enfants, quand vous abandonnez votre vieille mĂšre dans une maison de retraite pour ĂȘtre plus libre de vos mouvements, quand vous vous enrichissez sur le dos des autres, quand vous rechignez Ă verser une partie de votre salaire Ă ceux qui n'ont rien, quand vous faites souffrir par Ă©goĂŻsme ou par indiffĂ©rence, vous vous rapprochez de ce que je suis. Au fond, vous ĂȘtes beaucoup plus proches de moi et des autres pensionnaires que vous ne le croyez. C'est une question de degrĂ©, pas une question de nature. Notre nature est commune : c'est celle de l'humanitĂ© toute entiĂšre.
â
â
Bernard Minier
â
Ecoute : l'intellectuel essaie de connaĂźtre et de reprĂ©senter au moyen de la logique l'essence du monde. Il sait que notre intelligence et son instrument, la logique, sont des outils imparfaits - tout comme un artiste sensĂ© n'ignore pas que son pinceau ou son ciseau ne pourront jamais exprimer parfaitement la splendeur d'un ange ou d'un saint. Pourtant tous deux essaient, le penseur comme l'artiste, chacun Ă sa maniĂšre. Ils ne peuvent pas faire autrement, ils n'en ont pas le droit. Car un ĂȘtre humain s'acquitte de sa tĂąche la plus haute, la plus normale, en cherchant Ă mettre en valeur les dons qu'il a reçus de la nature. [...] Nous autres, nous sommes changeants, en devenir, nous sommes un ensemble de possibles, il n'y a pas pour nous de perfection, pas d'ĂȘtre absolu. Mais lĂ oĂč nous passons de la puissance Ă l'acte, de la possibilitĂ© Ă la rĂ©alisation, nous avons part Ă l'ĂȘtre vĂ©ritable, nous nous rapprochons d'un pas du divin et de la perfection. Se rĂ©aliser, c'est cela. (p. 309-310)
â
â
Hermann Hesse (Narcissus and Goldmund)
â
Gardez-vous, surtout et ce sera mon dernier conseil, d'Ă©couter jamais des interprĂ©tations sinistres et des discours envenimĂ©s dont les motifs secrets sont souvent plus dangereux que les actions qui en sont l'objet. Toute une maison s'Ă©veille et se tient en alarmes aux premiers cris d'un bon et fidĂšle gardien qui n'aboie jamais qu'Ă l'approche des voleurs; mais on hait l'importunitĂ© de ces animaux bruyants qui troublent sans cesse le repos public, et dont les avertissements continuels et dĂ©placĂ©s ne se font pas mĂȘme Ă©couter au moment qu'ils sont nĂ©cessaires.
â
â
Jean-Jacques Rousseau (Discourse on the Origin of Inequality (Dover Thrift Editions: Philosophy))
â
Certainement tu es la sagesse, la vĂ©ritĂ© ; tu es la bontĂ©, le bonheur, l'Ă©ternitĂ©; tu es tout ce qui constitue le vrai bien. Toutes ces choses sont nombreuses, mon intelligence Ă©troite et captive ne peut voir tant d'objets d'un seul coup, et jouir de tous Ă la fois. Comment donc, Seigneur, es-tu tous ces objets? Sont-ils tes diverses parties, ou chacun d'eux n'est-il pas tout entier ton essence? Car, tout ce qui est composĂ© de parties n'est pas vĂ©ritablement un. Il est, en quelque maniĂšre, plusieurs et diffĂ©rent de lui-mĂȘme ; il peut ĂȘtre dĂ©suni et dans le fait et par la pensĂ©e, conditions Ă©trangĂšres Ă ta nature, au-dessus de laquelle on ne saurait rien concevoir. Il n'y a donc point de parties en toi, Seigneur ! Tu n'es pas multiple ; mais tu es tellement un et si complĂštement semblable Ă toi-mĂȘme, que tu ne diffĂšres en aucun point de ta propre nature. Bien plus, tu es l'unitĂ© vĂ©ritable et absolue, indivisible mĂȘme par la pensĂ©e. Ainsi donc, la vie, la sagesse, et toutes les autres vertus que nous avons Ă©numĂ©rĂ©es, ne sont pas des parties de ton ĂȘtre, mais toutes ensemble ne font qu'un, et chacune est, tout entiĂšre, et ton essence et l'essence des autres.
â
â
Anselm of Canterbury (Proslogion)
â
Vis selon la nature, sois patient, & chasse les mĂ©decins ; tu nâĂ©viteras pas la mort, mais tu ne la sentiras quâune fois, tandis quâils la portent chaque jour dans ton imagination troublĂ©e, & que leur art mensonger, au lieu de prolonger tes jours, tâen ĂŽte la jouissance. Je demanderai toujours quel vrai bien cet art a fait aux hommes. Quelques-unes de ceux quâil guĂ©rit mourraient, il est vrai ; mais des millions quâil tue resteraient en vie. Homme sensĂ©, ne mets point Ă cette loterie, oĂč trop de chances sont contre toi. Souffre, meurs ou guĂ©ris ; mais surtout vis jusquâĂ ta derniĂšre heure.
â
â
Jean-Jacques Rousseau (Ămile, ou De lâĂ©ducation (French Edition))
â
Il me semble qu'ils confondent but et moyen ceux qui s'effraient par trop de nos progrÚs techniques. Quiconque lutte dans l'unique espoir de biens matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre. Mais la machine n'est pas un but. L'avion n'est pas un but : c'est un outil, un outil comme la charrue.
Si nous croyons que la machine abĂźme l'homme c'est que, peut-ĂȘtre, nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies. Que sont les cent annĂ©es de l'histoire de la machine en regard des deux cent mille annĂ©es de l'histoire de l'homme? C'est Ă peine si nous nous installons dans ce paysage de mines et de centrales Ă©lectriques. C'est Ă peine si nous commençons d'habiter cette maison nouvelle, que nous n'avons mĂȘme pas achevĂ© de bĂątir. Tout a changĂ© si vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes. Notre psychologie elle-mĂȘme a Ă©tĂ© bousculĂ©e dans ses bases les plus intimes. Les notions de sĂ©paration, d'absence, de distance, de retour, si les mots sont demeurĂ©s les mĂȘmes, ne contiennent plus les mĂȘmes rĂ©alitĂ©s. Pour saisir le monde aujourd'hui, nous usons d'un langage qui fut Ă©tabli pour le monde d'hier. Et la vie du passĂ© nous semble mieux rĂ©pondre Ă notre nature, pour la seule raison qu'elle rĂ©pond mieux Ă notre langage.
Pour le colonial qui fonde un empire, le sens de la vie est de conquĂ©rir. Le soldat mĂ©prise le colon. Mais le but de cette conquĂȘte n'Ă©tait-il pas l'Ă©tablissement de ce colon? Ainsi dans l'exaltation de nos progrĂšs, nous avons fait servir les hommes Ă l'Ă©tablissement des voies ferrĂ©es, Ă l'Ă©rection des usines, au forage de puits de pĂ©trole. Nous avions un peu oubliĂ© que nous dressions ces constructions pour servir les hommes.
(Terre des Hommes, ch. III)
â
â
Antoine de Saint-Exupéry
â
Le culte des sens a Ă©tĂ© souvent dĂ©criĂ©, et Ă juste titre : un instinct naturel inspire aux hommes la terreur de passions et de sensations qui leur semblent plus fortes qu'eux-mĂȘmes, et qu'ils ont conscience de partager avec les formes infĂ©rieures du monde organique. Mais Dorian Gray estimait que la vraie nature des sens n'avait jamais Ă©tĂ© bien comprise, qu'ils avaient gardĂ© leur animalitĂ© sauvage uniquement parce qu'on avait voulu les soumettre par la famine ou les tuer Ă force de souffrance, au lieu de chercher Ă en faire les Ă©lĂ©ments d'une spiritualitĂ© nouvelle, ayant pour trait dominant une sĂ»re divination de la beautĂ©. Quand il considĂ©rait la marche de l'homme Ă travers l'Histoire, il Ă©tait poursuivi par une impression d'irrĂ©parable dommage. Que de choses on avait sacrifiĂ©es, et combien vainement ! Des privations sauvages, obstinĂ©es, des formes monstrueuses de martyre et d'immolation de soi, nĂ©es de la peur, avaient abouti Ă une dĂ©gradation plus Ă©pouvantable que la dĂ©gradation tout imaginaire qu'avaient voulu fuir de pauvres ignorants : la Nature, dans sa merveilleuse ironie, avait amenĂ© les anachorĂštes Ă vivre dans le dĂ©sert, mĂȘlĂ©s aux animaux sauvages ; aux ermites, elle avait donnĂ© pour compagnons les bĂȘtes des champs.
â
â
Oscar Wilde (The Picture of Dorian Gray)
â
[On] a accoutumĂ© les peuples Ă croire que leur intĂ©rĂȘt consistait Ă ruiner tous leurs voisins ; chaque nation en est venue Ă jeter un oeil d'envie sur la prospĂ©ritĂ© de toutes les nations avec lesquelles elle commerce, et Ă regarder tout ce qu'elles gagnent comme une perte pour elle. Le commerce, qui naturellement devait ĂȘtre, pour les nations comme pour les individus, une lien de concorde et d'amitiĂ©, est devenu la source la plus fĂ©conde des haines et des querelles. Pendant ce siĂšcle et le prĂ©cĂ©dent, l'ambition capricieuse des rois et des ministres n'a pas Ă©tĂ© plus fatale au repos de l'Europe, que la sotte jalousie des marchands et des manufacturiers. L'humeur injuste et violente de ceux qui gouvernent les hommes est un mal d'ancienne date, pour lequel j'ai bien peur que la nature des choses humaines ne comporte pas de remĂšde ; mais quant Ă cet esprit de monopole, Ă cette rapacitĂ© basse et envieuse des marchands et des manufacturiers, qui ne sont, ni les uns ni les autres, chargĂ©s de gouverner les hommes, et qui ne sont nullement faits pour en ĂȘtre chargĂ©s, s'il n'y a peut-ĂȘtre pas moyen de corriger ce vice, au moins est-il bien facile d'empĂȘcher qu'il ne puisse troubler la tranquillitĂ© de personne, si ce n'est de ceux qui en sont possĂ©dĂ©s.
â
â
Adam Smith (An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations)
â
la Tentation de Saint Antoine. Câest lĂ , certes, lâeffort le plus puissant quâait jamais tentĂ© un esprit. Mais la nature mĂȘme du sujet, son Ă©tendue, sa hauteur inaccessible rendaient lâexĂ©cution dâun pareil livre presque au-dessus des forces humaines. Reprenant la vieille lĂ©gende des tentations du solitaire, il lâa fait assaillir non plus seulement par des visions de femmes nues et de nourritures succulentes mais par toutes les doctrines, toutes les croyances, toutes les superstitions oĂč sâest Ă©garĂ© lâesprit inquiet des hommes. Câest le dĂ©filĂ© colossal des religions escortĂ©es de toutes les conceptions Ă©tranges, naĂŻves ou compliquĂ©es, Ă©closes
â
â
Guy de Maupassant (Oeuvres posthumes: Tome II - Les dimanches d'un bourgeois de Paris - La vie d'un paysagiste - Etude sur Gustave Flaubert - L'ùme étrangÚre - L'angélus (French Edition))
â
De lâespĂšce dâĂąme qui a la plus haute autoritĂ© en nous, voici lâidĂ©e quâil faut sâen faire : câest que Dieu nous lâa donnĂ©e comme un gĂ©nie, et câest le principe que nous avons dit logĂ© au sommet de notre corps, et qui nous Ă©lĂšve de la terre vers notre parentĂ© cĂ©leste, car nous sommes une plante du ciel, non de la terre, nous pouvons lâaffirmer en toute vĂ©ritĂ©. Car Dieu a suspendu notre tĂȘte et notre racine Ă lâendroit oĂč lâĂąme fut primitivement engendrĂ©e et a ainsi dressĂ© tout notre corps vers le ciel. Or, quand un homme sâest livrĂ© tout entier Ă ses passions ou Ă ses ambitions et applique tous ses efforts Ă les satisfaire, toutes ses pensĂ©es deviennent nĂ©cessairement mortelles, et rien ne lui fait dĂ©faut pour devenir entiĂšrement mortel, autant que cela est possible, puisque câest Ă cela quâil sâest exercĂ©.
Mais lorsquâun homme sâest donnĂ© tout entier Ă lâamour de la science et Ă la vraie sagesse et que, parmi ses facultĂ©s, il a surtout exercĂ© celle de penser Ă des choses immortelles et divines, sâil parvient Ă atteindre la vĂ©ritĂ©, il est certain que, dans la mesure oĂč il est donnĂ© Ă la nature humaine de participer Ă lâimmortalitĂ©, il ne lui manque rien pour y parvenir ; et, comme il soigne toujours la partie divine et maintient en bon Ă©tat le gĂ©nie qui habite en lui, il doit ĂȘtre supĂ©rieurement heureux.
â
â
Plato (Timaeus)
â
Le rĂ©cit achevĂ©, l'abbĂ© rĂ©flĂ©chit profondĂ©ment. « Il y a, dit-il au bout d'un instant, un axiome de droit d'une grande profondeur, et qui en revient Ă ce que je vous disais tout Ă l'heure, c'est qu'Ă moins que la pensĂ©e mauvaise ne naisse avec une organisation faussĂ©e, la nature humaine rĂ©pugne au crime. Cependant, la civilisation nous a donnĂ© des besoins, des vices, des appĂ©tits factices qui ont parfois l'influence de nous faire Ă©touffer nos bons instincts et qui nous conduisent au mal. De lĂ cette maxime : Si vous voulez dĂ©couvrir le coupable, cherchez d'abord celuiĂ qui le crime commis peut ĂȘtre utile  ! A qui votre disparition pouvait-elle ĂȘtre utile  ?
â
â
Alexandre Dumas (The Count of Monte Cristo)
â
What I dread is the moment when her understanding turns to compassion, and her tenderness, her concern, come dangerously close to pity and maternal solicitude as to change the very nature of our lovemaking. âNo, no, my darling, we mustnât, you will strain yourself....â p41 ... Of course I should have spoken to her frankly, from the first. But to name the Devil is to conjure him up. And the moods of lovers are contagious. There is that hazardous balance between them where the misery of the one brings on the insecurity and anxiety of the other; things quickly go from bad to worse , until they can no longer speak about it and the silence grows like a wall between them.
â
â
Romain Gary (Au-delĂ de cette limite votre ticket n'est plus valable)
â
Le charme principal, lâunique charme peut-ĂȘtre du visage de la jeune femme Ă©tait sa mobilitĂ©. Quand elle baissait les yeux pour regarder lâenfant, elle devenait jolie et mĂȘme belle, dâautant que les fauves rayons du couchant, en frappant alors obliquement ses traits, mettaient des transparences dĂ©licates sur ses paupiĂšres et ses narines, et une flamme sur ses lĂšvres. Quand, au contraire, elle marchait dans lâombre de la haie, toute Ă sa rĂȘverie silencieuse, elle prenait lâexpression passive et figĂ©e de ceux qui attendent tout du Temps et du Destin, tout sauf un peu de justice. Le premier aspect Ă©tait lâĆuvre de la Nature, le second celui de la civilisation, sans doute.
â
â
Thomas Hardy (The Mayor of Casterbridge)
â
- Vous tenez tant que ça à mourir ?
Les rĂ©ponses sincĂšres ne sont jamais nettes, ni rapides. Elle [Sophie] rĂ©flĂ©chissait, fronçant les sourcils, ce qui lui donnait le front ridĂ© qu'elle aurait dans vingt ans. J'assistais Ă cette mystĂ©rieuse pesĂ©e que Lazare fit sans doute trop tard, et aprĂšs sa rĂ©surrection, et oĂč la peur sert de contrepoids Ă la fatigue, le dĂ©sespoir au courage, et le sentiment d'en avoir assez fait Ă l'envie de manger encore quelques repas, de dormir encore quelques nuits, et de voir encore se lever le matin. Ajoutez Ă cela deux ou trois douzaines de souvenirs heureux ou malheureux, qui, selon les natures, aident Ă nous retenir, ou nous prĂ©cipitent vers la mort. (p. 242)
â
â
Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grùce)
â
On servit le souper, Milady sentit quâelle avait besoin de forces, elle ne savait pas ce qui pouvait se passer pendant cette nuit qui sâapprochait menaçante, car de gros nuages roulaient au ciel, et des Ă©clairs lointains annonçaient un orage.
Lâorage Ă©clata vers les dix heures du soir ; milady sentait une consolation Ă voir la nature partager le dĂ©sordre de son cĆur ; la foudre grondait dans lâair comme la colĂšre dans sa pensĂ©e, il lui semblait que la rafale, en passant, Ă©chevelait son front comme les arbres dont elle courbait les branches et enlevait les feuilles ; elle hurlait comme lâouragan, et sa voix se perdait dans la grande voix de la nature, qui, elle aussi, semblait gĂ©mir et se dĂ©sespĂ©rer.
â
â
Alexandre Dumas (The Three Musketeers)
â
Dans les Cent Vingt JournĂ©es, le libertin se dĂ©clare excitĂ© non par les « objets qui sont ici », mais par lâObjet qui nâest pas lĂ , câest-Ă -dire lâ« idĂ©e du mal ». Or cette idĂ©e de ce qui nâest pas, cette idĂ©e du Non ou de la nĂ©gation, qui nâest pas donnĂ©e ni donnable dans lâexpĂ©rience, ne peut ĂȘtre quâobjet de dĂ©monstration (au sens oĂč le mathĂ©maticien parle de vĂ©ritĂ©s qui gardent tout leur sens mĂȘme si nous dormons, et mĂȘme si elles nâexistent pas dans la nature). Câest pourquoi aussi les hĂ©ros sadiques dĂ©sespĂšrent et enragent de voir leurs crimes rĂ©els si minces par rapport Ă cette idĂ©e quâils ne peuvent atteindre que par la toute-puissance du raisonnement. Ils rĂȘvent dâun crime universel et impersonnel
â
â
Gilles Deleuze (Venus in Furs)
â
Pierdut cĂąteodatÄ Ăźn larga Èi neprihÄnita singurÄtate a naturii, cine n-a ascultat graiul duios si mistic, Ăźn care adierile cÄlÄtoare ale dimineÈii ĂźÈi destÄinuiesc frunzelor adormite ale codrului eterna lor dragoste? Al cui suflet n-a Ăźntinerit Ăźn faÈa unei picÄturi de rouÄ, ce Ăźndoaie, sub greutatea rÄcoroasÄ Èi scĂąnteietoare, fruntea ĂźncÄrcatÄ parcÄ de gĂąnduri a unei flori? Cu mÄsura scurtÄ Èi neĂźndestulÄtoare a inimii sale, cine n-a cÄutat totuÈi sÄ socoteascÄ nemÄrginitul adĂąnc al patimii nevinovate, cu care o undÄ zglobie ĂźÈi lasÄ strÄlucitoarea-i goliciune Ăźn voia dezmierdÄrilor ÈÄgalnice ale unei raze de luminÄ, spre a-Èi arunca Ăźn urmÄ, peste pudoarea-i parcÄ jignitÄ, haina de umbrÄ a pÄdurilor? De cĂąte ori, Ăźn mijlocul arborilor muÈi si neclintiÈi, nu ne-am simÈit ca Ăźn tovÄrÄÈia unor vechi Èi buni prieteni guralivi! De cĂąte ori nu le-am destÄinuit lor durerile noastre Èi de cĂąte ori, mai cu seamÄ, nu ne-au alinat ei aceste dureri! Din nenumÄratele generaÈiuni de foi putrede Èi ĂźngrÄmÄdite de vremuri unele peste altele, cine n-a vÄzut cum ĂźÈi ridicÄ fruntea, rar Èi sfios, o floare albastrÄ sau roÈie, Èi cine, iarÄÈi, n-a ĂźnÈeles cum rÄsare viaÈa din pÄturile eterne ale morÈii?... Èi, Ăźn faÈa veÈnicei nimiciri, cine nu s-a simÈit el insuÈi lunecĂąnd pe rostul fatal al lucrurilor spre ĂźnsÄÈi neĂźnlÄturata Èi desÄvĂąrÈita sa nefiinÈÄ?... Èi cine n-a Ăźndreptat atunci, din nestatornicia lumii acestea, o dureroasÄ amintire spre lumea de veÈnicÄ odihnÄ a celor ce nu mai sunt?... Èi... al cui suflet n-a simÈit rÄsÄrindu-i, fÄrÄ de voie, o lacrimÄ caldÄ la capÄtul cugetÄrilor sale?...
â
â
Calistrat HogaĆ (Pe drumuri de munte)
â
Au peu dâexpĂ©riences que jâavais faites jusquâĂ prĂ©sent sur le chemin de moi-mĂȘme, sâajouta celle-ci : la contemplation des formes Ă©tranges, confuses, irrationnelles de la nature fait naĂźtre en nous le sentiment de lâharmonie qui existe entre notre Ăąme et la volontĂ© qui laissa ces formes se crĂ©er. BientĂŽt, nous sommes tentĂ©s de les prendre pour nos propres caprices, pour nos propres crĂ©ations. Nous voyons sâeffacer et disparaĂźtre les limites qui nous sĂ©parent de la nature, et nous parvenons alors Ă lâĂ©tat dans lequel nous ne savons plus si les images imprimĂ©es sur notre rĂ©tine proviennent dâimpressions extĂ©rieures ou intĂ©rieures. Câest alors que nous dĂ©couvrons, le plus facilement et le plus simplement, combien nous sommes crĂ©ateurs, combien notre Ăąme participe Ă la crĂ©ation perpĂ©tuelle de lâunivers.
â
â
Hermann Hesse (Demian)
â
La plus intelligente des pensĂ©es, la plus admirable des actions, la plus belle des Ćuvres d'art sont vouĂ©es Ă l'insignifiance: elles sont circonstancielles, et sous menace de disparition plus ou moins prochaine. On aurait tort d'y confier la capacitĂ© d'attention dont dispose une vie d'homme: un tel investissement serait exorbitant par rapport Ă la prĂ©caritĂ© des biens sur lesquels on gagerait son capital.
Cet investissement n'a de sens, au grĂ© d'une philosophie informĂ©e de l'insignifiance, que dans la mesure oĂč c'est le bonheur qui est constamment visĂ© Ă travers la prĂ©caritĂ© de l'oeuvre: ce qui suppose notamment qu'on ne demande pas Ă la crĂ©ation esthĂ©tique de protĂ©ger du passager et du frivole, mais seulement de tĂ©moigner de quelques instants de bonheur, qui lui tiennent trĂšs suffisamment lieu de raison d'ĂȘtre et de fin.
â
â
ClĂ©ment Rosset (L'anti-nature. ĂlĂ©ments pour une philosophie tragique)
â
Quand je vis avec mes semblables, ma pensĂ©e s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider Ă vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nĂ©cessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon Ă rien, j'Ă©prouve le besoin de vivre avec ce moi intĂ©rieur qui s'identifie Ă la nature et au rĂȘve de la vie dans l'Ă©ternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent dĂ©lirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mĂȘmes sont tourmentĂ©s d'un besoin d'existence qui nous empĂȘche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. DĂšs qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire Ă tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit cĂ©der Ă cette sauvage logique de la faim et de l'amour. OĂč donc trouver, oĂč donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? HĂ©las, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassĂ©rĂ©nement inexplicable. LĂ , nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une rĂ©gion d'idĂ©es oĂč il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mĂȘmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'ĂȘtre.
â
â
George Sand (Le dernier amour)
â
Qu'un homme vienne nous tenir ce langage : Mortels, je vous annonce la volontĂ© du TrĂšs-Haut ; reconnaissez Ă ma voix celui qui m'envoie ; j'ordonne au soleil de changer sa course, aux Ă©toiles de former un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'Ă©lever, Ă la terre de prendre un autre aspect. Ă ces merveilles, qui ne reconnaĂźtra pas Ă l'instant le maĂźtre de la nature ! Elle n'obĂ©it point aux imposteurs ; leurs miracles se font dans des carrefours, dans des dĂ©serts, dans des chambres ; et c'est lĂ qu'ils ont bon marchĂ© d'un petit nombre de spectateurs dĂ©jĂ disposĂ©s Ă tout croire. Qui est-ce qui m'osera dire combien il faut de tĂ©moins oculaires pour rendre un prodige digne de foi ? Si vos miracles, faits pour prouver votre doctrine, ont eux-mĂȘmes besoin d'ĂȘtre prouvĂ©s, de quoi servent-ils ? autant valait n'en point faire.
â
â
Jean-Jacques Rousseau (Emile, or On Education)
â
Je suis comme un Noir dans une société raciste qui a voulu se gratifier d'un esprit de tolérance. Autrement dit, je suis un "toléré".
La tolĂ©rance, sache-le bien, est toujours purement nominale. Je ne connais pas un seul exemple ni un seul cas de tolĂ©rance rĂ©elle. Parce qu'une "tolĂ©rance rĂ©elle" serait une contradiction dans les termes. Le fait de "tolĂ©rer" quelqu'un revient Ă le "condamner". La tolĂ©rance est mĂȘme une forme plus raffinĂ©e de condamnation. On dit en effet Ă celui que l'on "tolĂšre" - mettons, au Noir que nous avons pris comme exemple - qu'il peut faire ce qu'il veut, qu'il a pleinement le droit de suivre sa nature, que son appartenance Ă une minoritĂ© n'est pas un signe d'infĂ©rioritĂ©, etc. Mais sa "diffĂ©rence" - ou plutĂŽt sa "faute d'ĂȘtre diffĂ©rent" - reste la mĂȘme aux yeux de celui qui a dĂ©cidĂ© de le tolĂ©rer et de celui qui a dĂ©cidĂ© de la condamner.
â
â
Pier Paolo Pasolini
â
Comme elle Ă©couta, les premiĂšres fois, la lamentation sonore des mĂ©lancolies romantiques se rĂ©pĂ©tant Ă tous les Ă©chos de la terre et de l'Ă©ternitĂ© ! Si son enfance se fut Ă©coulĂ©e dans l'arriĂšre-boutique d'un quartier marchand, elle se serait peut-ĂȘtre ouverte alors aux envahissements lyriques de la nature, qui, d'ordinaire, ne nous arrivent que par la traduction des Ă©crivains. Mais elle connaissait trop la campagne; elle savait le bĂȘlement des troupeaux, les laitages, les charrues. HabituĂ©e aux aspects calmes, elle se tournait, au contraire, vers les accidentĂ©s. Elle n'aimait la mer qu'Ă cause de ses tempĂȘtes, et la verdure seulement lorsqu'elle Ă©tait clairsemĂ©e parmi les ruines. Il fallait qu'elle pĂ»t retirer des choses une sorte de profit personnel; et elle rejetait comme inutile tout ce qui ne contribuait pas Ă la consomma- tion immĂ©diate de son cĆur, Ă©tant de tempĂ©rament plus sentimentale qu'artiste, cherchant des Ă©motions et non des paysages.
â
â
Gustave Flaubert (Madame Bovary)
â
Les habitants, dans leurs chambres assombries, avaient lâaffolement que donnent les cataclysmes, les grands bouleversements meurtriers de la terre, contre lesquels toute sagesse et toute force sont inutiles. Car la mĂȘme sensation reparaĂźt chaque fois que lâordre Ă©tabli des choses est renversĂ©, que la sĂ©curitĂ© nâexiste plus, que tout ce que protĂ©geaient les lois des hommes ou celles de la nature se trouve Ă la merci dâune brutalitĂ© inconsciente et fĂ©roce. Le tremblement de terre Ă©crasant sous les maisons croulantes un peuple entier ; le fleuve dĂ©bordĂ© qui roule les paysans noyĂ©s avec les cadavres des bĆufs et les poutres arrachĂ©es aux toits, ou lâarmĂ©e glorieuse massacrant ceux qui se dĂ©fendent, emmenant les autres prisonniers, pillant au nom du Sabre et remerciant un Dieu au son du canon, sont autant de flĂ©aux effrayants qui dĂ©concertent toute croyance Ă la Justice Ăternelle, toute la confiance quâon nous enseigne en la protection du Ciel et en la raison de lâHomme.
â
â
Guy de Maupassant (Ćuvres complĂštes)
â
En chinois, le mot n'a presque jamais de sens absolument dĂ©fini et limitĂ© ; le sens rĂ©sulte trĂšs gĂ©nĂ©ralement de la position dans la phrase, mais avant tout de son emploi dans tel ou tel livre plus ancien et de l'interprĂ©tation admise dans ce cas. Ici, point de « racines » au-delĂ desquelles on n'atteint plus et qui justifient le sens des dĂ©rivĂ©s dans les divers idiomes ou dialectes d'une mĂȘme famille ; le mot n'a de valeur que par ses acceptions traditionnelles. On n'a pas, Ă ma connaissance, tirĂ© tout le parti possible de cette particularitĂ© de la langue chinoise, au point de vue de l'Ă©tude et de la recherche de la nature rĂ©elle du langage humain. Le mot chinois nous apparaĂźt «comme si», expression naturelle et spontanĂ©e d'une pensĂ©e abstraite Ă©trangĂšre aux circonstances et aux conditions de la vie animale de l'homme, celui-ci, saisissant dans cette pensĂ©e un rapport avec les circonstances et les conditions de sa vie, avait empruntĂ© le son de cette expression pour crĂ©er sa parole raisonnĂ©e.
â
â
Paul-Louis-Félix Philastre (Le Yi king)
â
Lâhomme fut serpent autrefois » signifie que, dans les enseignements Ă©sotĂ©riques oĂč le Verbe est conçu comme un « serpent divin », lâhomme primordial est nĂ©cessairement perçu Ă©tant lui-mĂȘme de nature ophidienne, car, avant la chute, « il nâavait pas dâarticulations »; et ce nâest quâaprĂšs avoir Ă©tĂ© « foudroyĂ© par le Nommo » que lâancĂȘtre dĂ©tenteur de la norme primordiale se retrouvait « bras et jambes brisĂ©s, Ă hauteur des coudes et des genoux quâil nâavait pas jusque lĂ . » De la mĂȘme maniĂšre quâAdam, dans le rĂ©cit de la GenĂšse, est dĂ©sormais obligĂ© de « gagner son pain Ă la sueur de son front », de mĂȘme lâhomme dĂ©chu issu de lâhomme-serpent « reçoit les articulations propres Ă la nouvelle forme humaine qui allait se rĂ©pandre sur la terre et qui Ă©tait vouĂ©e au travail ». Câest en vue du travail que le bras de lâhomme sâest pliĂ©, car « les membres souples Ă©taient impropres aux tĂąches de la forge et des champs. Pour frapper le fer rouge et pour creuser la terre, il fallait le levier de lâavant-bras.
â
â
Charles-André Gilis (Aperçus sur la doctrine akbarienne des Jinns : Suivi de L'Homme fut serpent autrefois)
â
Ellana.
Le prénom voletait au-dessus d'elle.
Sans qu'elle parvienne Ă lâattraper.
Sans qu'il sâĂ©loigne tout Ă fait.
Ellana.
Comment s'appelait-elle avant ? Pourquoi son passé lui était-il devenu étranger ? Qui était-elle désormais ?
Ellana.
Elle ferma les yeux, tentant d'oublier l'odeur rance qui flottait dans la grande salle.
Ellana.
Les enfants étaient partis. Rentrés chez eux puisque tous avaient un chez eux.
"Ă demain, Ellana."
Ellana.
Elle avait résisté à l'envie de courir vers le large, vers la MÚre Nature qui la guidait autrefois. Ne pas se retourner, aller de l'avant. Toujours. Elle s'était arrangé un coin dans la grande salle déserte, s'était allongée.
Ellana.
Elle avait 18 ans.
Des milliers de choses Ă raconter. Et mille fois plus Ă vivre.
Elle s'endormit sans s'en apercevoir.
Ellana.
Doucement le prĂ©nom se posa sur ses paupiĂšres closes, se glissa le long de sa respiration rĂ©guliĂšre, se coula dans son cĆur, son Ăąme et chacune des cellules de son corps.
Il devint elle.
Elle devint lui.
Ellana.
â
â
Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
â
Lâhomme jouit du bonheur quâil ressent, et la femme de celui quâelle procure. Cette diffĂ©rence, si essentielle et si peu remarquĂ©e, influe pourtant, dâune maniĂšre bien sensible, sur la totalitĂ© de leur conduite respective. Le plaisir de lâun est de satisfaire ses dĂ©sirs, celui de lâautre est surtout de les faire naĂźtre. Plaire, nâest pour lui quâun moyen de succĂšs ; tandis que pour elle, câest le succĂšs lui-mĂȘme. Et la coquetterie, si souvent reprochĂ©e aux femmes, nâest autre chose que lâabus de cette façon de sentir, et par lĂ mĂȘme en prouve la vĂ©ritĂ©. Enfin ce goĂ»t exclusif, qui caractĂ©rise particuliĂšrement lâamour, nâest dans lâhomme quâune prĂ©fĂ©rence, qui sert, au plus, Ă graduer un plaisir, quâun autre objet affaiblirait peut-ĂȘtre, mais ne dĂ©truirait pas ; tandis que dans les femmes, câest un sentiment profond, qui non seulement anĂ©antit tout dĂ©sir Ă©tranger, mais qui, plus fort que la nature, et soustrait Ă son empire, ne leur laisse Ă©prouver que rĂ©pugnance et dĂ©goĂ»t, lĂ -mĂȘme oĂč semble devoir naĂźtre la voluptĂ©.
â
â
Laclos Pierre Choderlos De (Les Liaisons dangereuses)
â
Cette qualitĂ© de la joie nâest-elle pas le fruit le plus prĂ©cieux de la civilisation qui est nĂŽtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matĂ©riels. Mais nous ne sommes pas un bĂ©tail Ă lâengrais. La prospĂ©ritĂ© et le confort ne sauraient suffire Ă nous combler. Pour nous qui fĂ»mes Ă©levĂ©s dans le culte du respect de lâhomme, pĂšsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fĂȘtes merveilleusesâŠ
Respect de lâhomme ! Respect de lâhomme !⊠LĂ est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-mĂȘme ; il refuse les contradictions crĂ©atrices, ruine tout espoir dâascension, et fonde pour mille ans, en place dâun homme, le robot dâune termitiĂšre. Lâordre pour lâordre chĂątre lâhomme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-mĂȘme. La vie crĂ©e lâordre, mais lâordre ne crĂ©e pas la vie.
Il nous semble, Ă nous, bien au contraire, que notre ascension nâest pas achevĂ©e, que la vĂ©ritĂ© de demain se nourrit de lâerreur dâhier, et que les contradictions Ă surmonter sont le terreau mĂȘme de notre croissance. Nous reconnaissons comme nĂŽtres ceux mĂȘmes qui diffĂšrent de nous. Mais quelle Ă©trange parenté ! elle se fonde sur lâavenir, non sur le passĂ©. Sur le but, non sur lâorigine. Nous sommes lâun pour lâautre des pĂšlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le mĂȘme rendez-vous.
Mais voici quâaujourdâhui le respect de lâhomme, condition de notre ascension, est en pĂ©ril. Les craquements du monde moderne nous ont engagĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. Les problĂšmes sont incohĂ©rents, les solutions contradictoires. La vĂ©ritĂ© dâhier est morte, celle de demain est encore Ă bĂątir. Aucune synthĂšse valable nâest entrevue, et chacun dâentre nous ne dĂ©tient quâune parcelle de la vĂ©ritĂ©. Faute dâĂ©vidence qui les impose, les religions politiques font appel Ă la violence. Et voici quâĂ nous diviser sur les mĂ©thodes, nous risquons de ne plus reconnaĂźtre que nous nous hĂątons vers le mĂȘme but.
Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction dâune Ă©toile, sâil se laisse trop absorber par ses problĂšmes dâescalade, risque dâoublier quelle Ă©toile le guide. Sâil nâagit plus que pour agir, il nâira nulle part. La chaisiĂšre de cathĂ©drale, Ă se prĂ©occuper trop Ăąprement de la location de ses chaises, risque dâoublier quâelle sert un dieu. Ainsi, Ă mâenfermer dans quelque passion partisane, je risque dâoublier quâune politique nâa de sens quâĂ condition dâĂȘtre au service dâune Ă©vidence spirituelle. Nous avons goĂ»tĂ©, aux heures de miracle, une certaine qualitĂ© des relations humaines : lĂ est pour nous la vĂ©ritĂ©.
Quelle que soit lâurgence de lâaction, il nous est interdit dâoublier, faute de quoi cette action demeurera stĂ©rile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de lâhomme. Pourquoi nous haĂŻrions-nous Ă lâintĂ©rieur dâun mĂȘme camp ? Aucun dâentre nous ne dĂ©tient le monopole de la puretĂ© dâintention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route quâun autre a choisie. Je puis critiquer les dĂ©marches de sa raison. Les dĂ©marches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de lâEsprit, sâil peine vers la mĂȘme Ă©toile.
Respect de lâHomme ! Respect de lâHomme !⊠Si le respect de lâhomme est fondĂ© dans le cĆur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le systĂšme social, politique ou Ă©conomique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde dâabord dans la substance. Elle est dâabord, dans lâhomme, dĂ©sir aveugle dâune certaine chaleur. Lâhomme ensuite, dâerreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
â
Sâil est quelquefois logique de sâen rapporter Ă lâapparence des phĂ©nomĂšnes, ce premier chant finit ici. Ne soyez pas sĂ©vĂšre pour celui qui ne fait encore quâessayer sa lyre : elle rend un son si Ă©trange ! Cependant, si vous voulez ĂȘtre impartial, vous reconnaĂźtrez dĂ©jĂ une empreinte forte, au milieu des imperfections. Quant Ă moi, je vais me remettre au
travail, pour faire paraĂźtre un deuxiĂšme chant, dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardĂ©. La fin du dix-neuviĂšme siĂšcle verra son poĂšte (cependant, au dĂ©but, il ne doit pas commencer par un chef dâĆuvre, mais suivre la loi de la nature) ; il est nĂ© sur les rives amĂ©ricaines, Ă lâembouchure de la Plata, lĂ oĂč deux peuples, jadis rivaux, sâefforcent actuellement de se surpasser par le progrĂšs matĂ©riel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, Ă travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre Ă©ternelle a placĂ© son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses. Adieu, vieillard, et pense Ă moi, si tu mâas lu. Toi, jeune homme, ne dĂ©sespĂšre point ; car, tu as un ami dans le vampire, malgrĂ© ton opinion contraire. En comptant lâacarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis !
â
â
Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
â
Quand le soir, aprĂšs avoir conduit ma grand'mĂšre et ĂȘtre restĂ© quelques heures chez son amie, j'eus repris seul le train, du moins je ne trouvai pas pĂ©nible la nuit qui vint ; c'est que je n'avais pas Ă la passer dans la prison d'une chambre dont l'ensommeillement me tiendrait Ă©veillĂ© ; j'Ă©tais entourĂ© par la calmante activitĂ© de tous ces mouvements du train qui me tenaient compagnie, s'offraient Ă causer avec moi si je ne trouvais pas le sommeil, me berçaient de leurs bruits que j'accouplais comme le son des cloches Ă Combray tantĂŽt sur un rythme, tantĂŽt sur un autre (entendant selon ma fantaisie d'abord quatre doubles croches Ă©gales, puis une double croche furieusement prĂ©cipitĂ©e contre une noire) ; ils neutralisaient la force centrifuge de mon insomnie en exerçant sur elle des pressions contraires qui me maintenaient en Ă©quilibre et sur lesquelles mon immobilitĂ© et bientĂŽt mon sommeil se sentirent portĂ©s avec la mĂȘme impression rafraĂźchissante que m'aurait donnĂ©e le repos dĂ» Ă la vigilance de forces puissantes au sein de la nature et de la vie, si j'avais pu pour un moment m'incarner en quelque poisson qui dort dans la mer, promenĂ© dans son assoupissement par les courants et la vague, ou en quelque aigle Ă©tendu sur le seul appui de la tempĂȘte.
â
â
Marcel Proust (A l'ombre des jeunes filles en fleurs TroisiĂšme partie)
â
Historiquement, il est probable que l'inflexion qui s'est produite Ă la Renaissance Ă©tait inĂ©vitable. Le Moyen Age en Ă©tait venu naturellement Ă l'Ă©puisement, en raison d'une rĂ©pression intolĂ©rable de la nature charnelle de l'homme en faveur de sa nature spirituelle. Mais en s'Ă©cartant de l'esprit, l'homme s'empara de tout ce qui est matĂ©riel, avec excĂšs et sans mesure. La pensĂ©e humaniste, qui s'est proclamĂ©e notre guide, n'admettait pas l'existence d'un mal intrinsĂšque en l'homme, et ne voyait pas de tĂąche plus noble que d'atteindre le bonheur sur terre. VoilĂ qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la pente dangereuse de l'adoration de l'homme et de ses besoins matĂ©riels. Tout ce qui se trouvait au-delĂ du bien-ĂȘtre physique et de l'accumulation de biens matĂ©riels, tous les autres besoins humains, caractĂ©ristiques d'une nature subtile et Ă©levĂ©e, furent rejetĂ©s hors du champ d'intĂ©rĂȘt de l'Etat et du systĂšme social, comme si la vie n'avait pas un sens plus Ă©levĂ©. De la sorte, des failles furent laissĂ©es ouvertes pour que s'y engouffre le mal, et son haleine putride souffle librement aujourd'hui. Plus de libertĂ© en soi ne rĂ©sout pas le moins du monde l'intĂ©gralitĂ© des problĂšmes humains, et mĂȘme en ajoute un certain nombre de nouveaux
â
â
Aleksandr Solzhenitsyn
â
Si nous avons accordé à l'Amérique le privilÚge de l'histoire cumulative, n'est-ce pas, en effet, seulement parce que nous lui reconnaissons la paternité d'un certain nombre de contributions que nous lui avons empruntées ou qui ressemblent aux nÎtres ? Mais quelle serait notre position, en présence d'une civilisation qui se serait attachée à développer des valeurs propres, dont aucune ne serait susceptible d'intéresser la civilisation de l'observateur ? Celui-ci ne serait-il pas porté à qualifier cette civilisation de stationnaire ? En d'autres termes la distinction entre les deux formes d'histoire dépend-elle de la nature intrinsÚque des cultures auxquelles on l'applique, ou ne résulte-t-elle pas de la perspective ethnocentrique dans laquelle nous nous plaçons toujours pour évaluer une culture différente ? Nous considérerions ainsi comme cumulative toute culture qui se développerait dans un sens analogue au nÎtre, c'est-à -dire dont le développement serait doté pour nous de signification. Tandis que les autres cultures nous apparaßtraient comme stationnaires, non pas nécessairement parce qu'elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n'est pas mesurable dans les termes du systÚme de références que nous utilisons. (p.32-33)
â
â
Claude Lévi-Strauss (Race et histoire)
â
ToĆŁi cei ce, savanĆŁi ori oameni de rĂąnd, se mulĆŁumesc a primi drept rÄspuns la marile ĂźntrebÄri pe care Ći le pune omul despre rostul lui Ăźn lume, despre univers Ći despre viaĆŁÄ, despre suferinĆŁÄ Ći nedreptate, fraze ca: universul a fost dintotdeauna Ći va fi mereu, viaĆŁa e un fenomen natural, ĂźntĂąmplarea a creat totul, gĂąndirea e forma superioarÄ a conĆtiinĆŁei omeneĆti, dovedesc cÄ sunt tare puĆŁin exigenĆŁi. Asemenea rÄspunsuri sunt simple stereotipii simpliste Ći-Ći au echivalentul Ăźn: cĂąnd vorbeĆti cu mine sÄ taci din gurÄ.
DimpotrivÄ, nimic nu e firesc Ći toul e de mirare Ći minunat. EvoluĆŁia e o tainÄ Ći o minune. ĂntrebÄrile pe care Ći le pune conĆtiinĆŁa sunt o tainÄ. Natura Ći legile ei implacabile sunt o minune. Din toate pÄrĆŁile minunile ne ĂźmpresoarÄ Ći tabÄrÄ asuprÄ-ne, neĂźntrerupt Ći mai persistent decĂąt razele cosmice. Ći nici mÄcar prostia sau indiferenĆŁa nu pot constitui pĂąnÄ la urmÄ un cĂąmp magnetic care sÄ ne apere de ele (...). Angoasa (ori exaltarea) pĂąnÄ la urmÄ tot scuturÄ orice suflet, fie Ći cel mai obtuz: Ăźl scuturÄ Ăźn celula din Ăźnchisoare, pe patul de suferinĆŁÄ, Ăźn clipa morĆŁii ori din senin, pe stradÄ, pe drum drept. Orice faptÄ e anti-destin. Orice operÄ e anti-naturÄ. Orice hotÄrĂąre e anti-neant. Iubirea de aproapele e un mister de credinĆŁÄ. Dragostea Ći iertarea nu sunt naturale.
â
â
Nicolae Steinhardt (Jurnalul fericirii)
â
Cher Monsieur Waters,
Je reçois votre courrier Ă©lectronique en date du 14 avril dernier et suis comme il se doit impressionnĂ© par la complexitĂ© shakespearienne de votre drame. Chaque personnage dans votre histoire a une harmatia en bĂ©ton. La sienne : ĂȘtre trop malade. La vĂŽtre : ĂȘtre trop bien portant. FĂ»t-ce le contraire, vos Ă©toiles n'auraient pas Ă©tĂ© aussi contrariĂ©es, mais c'est dans la natures des Ă©toiles d'ĂȘtre contrariĂ©es. A ce propos, Shakespeare ne s'est jamais autant trompĂ© qu'en mettant ces mots dans la bouche de Cassius : « La faute, cher Brutus, n'en est pas Ă nos Ă©toiles ; elle en est Ă nous-mĂȘmes. » Facile Ă dire lorsqu'on est un noble romain (ou Shakespeare!), mais nos Ă©toiles ne sont jamais Ă court de tort. Puisque nous en sommes au chapitre des dĂ©faillances de ce cher vieux William, ce que vous me dites de la jeune Hazel me rappelle le sonnet 55, qui commence, bien entendu ainsi : « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d'Ă©clat dans ces mesures que sous la dalle non balayĂ©e que le temps barbouille de sa lie. (Hors sujet, mais : quel cochon, ce temps ! Il bousille tout le monde.) Un bien joli poĂšme, mais trompeur : nul doute que la rime puissante de Shakespeare nous reste en mĂ©moire, mais que nous rappelons-nous de l'homme qu'il cĂ©lĂšbre ? Rien. Nous sommes certains qu'il Ă©tait de sexe masculin, le reste n'est qu'une hypothĂšse. Shakespeare nous raconte des clopinettes sur l'homme qu'il a enseveli Ă l'intĂ©rieur de son sarcophage linguistique. (Remarquez que, lorsque nous parlons littĂ©rature, nous utilisons le prĂ©sent. Quand nous parlons d'un mort, nous ne sommes pas aussi gentils.) On ne peut pas immortaliser ceux qui nous ont quittĂ©s en Ă©crivant sur eux. La langue enterre, mais ne ressuscite pas. (Avertissement : je ne suis pas le premier Ă faire cette observation, cf le poĂšme d'Archibald MacLeish « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s » qui renferme ce vers hĂ©roĂŻque : « Vous mourrez et nul ne se souviendra de vous ») Je m'Ă©loigne du sujet, mais votre le problĂšme : les morts ne sont visibles que dans lâĆil dĂ©nuĂ© de paupiĂšre de la mĂ©moire. Dieu merci, les vivants conservent l'aptitude de surprendre et de dĂ©cevoir. Votre Hazel est vivante, Waters, et vous ne pouvez imposer votre volontĂ© contre la dĂ©cision de quelqu'un d'autre, qui plus est lorsque celle-ci est mĂ»rement rĂ©flĂ©chie. Elle souhaite vous Ă©pargner de la peine et vous devriez l'accepter. Il se peut que la logique de la jeune Hazel ne vous convainque pas, mais j'ai parcouru cette vallĂ©e de larmes plus longtemps que vous, et de mon point de vue, Hazel n'est pas la moins saine d'esprit.
Bien Ă vous
Peter Van Houten
â
â
John Green (The Fault in Our Stars)
â
Ndoto za wachawi ni tofauti kidogo na ndoto takatifu. Wachawi wanapokuwa hawahitaji kusafiri kutoka sehemu moja kwenda nyingine, lakini wana hamu ya kuona wenzao wanafanya nini au wanasema nini, huwa wanalala ubavu mmoja upande wa kushoto kwa jina la mungu wao na la mashetani wote. Kisha wanatoa mvuke wa bluu midomoni mwao. Kupitia mvuke huo, kwa nguvu za Shetani na kwa ruhusa ya Mwenyezi Mungu, wataona na watasikia kila kinachofanyika upande wa pili. Kile wanachotaka kukiona na kukisikia hujifunua katika ufahamu wao kama taswira au maono, kutoka katika akili isiyotambua, ya watu wakifanya au wakisema kitu. Kama wanataka kujua siri za watu wengine, hata wale ambao si wachawi, watazijua kupitia ndoto hizo; kwa sababu ya makubaliano ya wazi, si ya siri, waliyoingia na Shetani. Makubaliano hayo si ya lelemama; yaani yale ambayo hufanywa kwa kutoa kafara ya mnyama, au kufuru ya aina yoyote ile kwa Mwenyezi Mungu, au kwa kuabudu dini za kichawi. Lakini ni kwa sadaka halisi ya wao wenyewe ya mwili na roho kwa Shetani na kwa kufuru ya kuikana kabisa, imani ya Mwenyezi Mungu. Lakini hiyo ni kwa wale wanaotumia uchawi wa kishetani. Wale wanaotumia uchawi wa asili, kama vile kutumia risasi kumroga mtu kwa sababu risasi mungu wake ni sayari ya Zohali, au wale walioingia mkataba wa siri na Shetani, hawana uwezo wa kuota hivyo. Hivyo, si kila mchawi anaweza kuota ndoto za namna hiyo, ni kwa wale tu walioingia mkataba wa wazi na Shetani.
â
â
Enock Maregesi
â
Depuis la naissance de l'amour courtois, c'est un lieu commun que le mariage tue l'amour. Trop mĂ©prisĂ©e ou trop respectĂ©e, trop quotidienne, l'Ă©pouse n'est plus un objet Ă©rotique. Les rites du mariage sont primitivement destinĂ©s Ă dĂ©fendre l'homme contre la femme ; elle devient sa propriĂ©tĂ© : mais tout ce que nous possĂ©dons en retour nous possĂšde ; le mariage est pour l'homme aussi une servitude ; c'est alors qu'il est pris au piĂšge tendu par la nature : pour avoir dĂ©sirĂ© une fraĂźche jeune fille, le mĂąle doit pendant toute sa vie nourrir une Ă©paisse matrone, une vieillarde dessĂ©chĂ©e ; le dĂ©licat joyau destinĂ© Ă embellir son existence devient un odieux fardeau : Xanthippe est un des types fĂ©minins dont les hommes ont toujours parlĂ© avec le plus d'horreur. Mais lors mĂȘme que la femme est jeune il y a dans le mariage une mystification puisque prĂ©tendant socialiser l'Ă©rotisme, il n'a rĂ©ussi qu'Ă le tuer. C'est que l'Ă©rotisme implique une revendication de l'instant contre le temps, de l'individu contre la collectivitĂ© ; il affirme la sĂ©paration contre la communication ; il est rebelle Ă toute rĂ©glementation ; il contient un principe hostile Ă la sociĂ©tĂ©. Jamais les mĆurs ne sont pliĂ©es Ă la rigueur des institutions et des lois : c'est contre elles que l'amour s'est de tout temps affirmĂ©. Sous sa figure sensuelle, il s'adresse en GrĂšce et Ă Rome Ă des jeunes gens ou Ă des courtisanes ; charnel et platonique Ă la fois, l'amour courtois est toujours destinĂ© Ă l'Ă©pouse d'un autre.
â
â
Simone de Beauvoir
â
Mais un soir que j'Ă©tois assis prĂšs de la tombe oĂč reposent LĂ©once et Delphine, tout Ă coup un remords s'Ă©leva dans le fond de mon coeur, et je me reprochai d'avoir regardĂ© leur destinĂ©e comme la plus funeste de toutes. Peut-ĂȘtre dans ce moment, mes amis, touchĂ©s de mes regrets, vouloient-ils me consoler, cherchoient-ils Ă me faire connoĂźtre qu'ils Ă©toient heureux, qu'ils s'aimoient, et que l'Ătre-suprĂȘme ne les avoit point abandonnĂ©s, puisqu'il n'avoit pas permis qu'ils survĂ©cussent l'un Ă l'autre. Je passai la nuit Ă rĂȘver sur le sort des hommes; ces heures furent les plus dĂ©licieuses de ma vie, et cependant le sentiment de la mort les a remplies tout entiĂšres; mais je n'en puis douter, du haut du ciel mes amis dirigeoient mes mĂ©ditations; ils Ă©cartoient de moi ces fantĂŽmes de l'imagination qui nous font horreur du terme de la vie; il me sembloit qu'au clair de la lune, je voyois leurs ombres lĂ©gĂšres passer Ă travers les feuilles sans les agiter; une fois je leur ai demandĂ© si je ne ferois pas mieux de les rejoindre, s'il n'Ă©toit pas vrai que sur cette terre les Ăąmes fiĂšres et sensibles n'avoient rien Ă attendre que des douleurs succĂ©dant Ă des douleurs; alors il m'a semblĂ© qu'une voix, dont les sons se mĂȘloient au souffle du vent, me disoit :âSupporte la peine, attends la nature, et fais du bien aux hommes.â J'ai baissĂ© la tĂȘte, et je me suis rĂ©signĂ©; mais, avant de quitter ces lieux, j'ai Ă©crit, sur un arbre voisin de la tombe de mes amis, ce vers, la seule consolation des infortunĂ©s que la mort a privĂ© des objets de leur affection:
On ne me rĂ©pond pas, mais peut-ĂȘtre on m'entend.»
â
â
Madame de Staël (Delphine)
â
Il y a un moment oĂč il faut sortir les couteaux.
Câest juste un fait. Purement technique.
Il est hors de question que lâoppresseur aille comprendre de lui-mĂȘme quâil opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez-vous Ă sa place.
Ce nâest pas son chemin.
Le lui expliquer est sans utilité.
Lâoppresseur nâentend pas ce que dit son opprimĂ© comme un langage mais comme un bruit. Câest dans la dĂ©finition de lâoppression.
En particulier les « plaintes » de lâopprimĂ© sont sans effet, car naturelles. Pour lâoppresseur il nây a pas dâoppression, forcĂ©ment, mais un fait de nature.
Aussi est-il vain de se poser comme victime : on ne fait par lĂ quâentĂ©riner un fait de nature, que sâinscrire dans le dĂ©cor plantĂ© par lâoppresseur.
Lâoppresseur qui fait le louable effort dâĂ©couter (libĂ©ral intellectuel) nâentend pas mieux.
Car mĂȘme lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement diffĂ©rentes. Câest ainsi que de nombreux mots ont pour lâoppresseur une connotation-jouissance, et pour lâopprimĂ© une connotation-souffrance. Ou : divertissement-corvĂ©e. Ou : loisir-travail. Etc. Allez donc causer sur ces bases.
Câest ainsi que la gĂ©nĂ©rale rĂ©action de lâoppresseur qui a « Ă©coutĂ© » son opprimĂ© est en gros : mais de quoi diable se plaint-il ? Tout ça, câest Ă©patant.
Au niveau de lâexplication, câest tout Ă fait sans espoir. Quand lâopprimĂ© se rend compte de ça, il sort les couteaux. LĂ on comprend quâil y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.
Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible.
Peu importent le caractĂšre, la personnalitĂ©, les mobiles actuels de lâopprimĂ©.
Câest le premier pas rĂ©el hors du cercle.
Câest nĂ©cessaire.
â
â
Christiane Rochefort
â
L'engagement du disciple dans la voie initiatique consiste Ă prendre progressivement conscience du « Regard » divin qui transcende celui des hommes. Bien au-delĂ des rĂŽles sociaux, ce Regard se pose sur la vie intĂ©rieure de l'homme. « Dieu ne regarde pas vos formes ni vos actes, mais Il regarde ce qui se trouve dans vos cĆurs », dit un hadith attribuĂ© au ProphĂšte Muhammad. C'est dans la mesure oĂč l'homme agit pour Dieu, c'est-Ă -dire conformĂ©ment Ă sa nature vĂ©ritable, et non pas seulement en vue d'un effet attendu chez les autres, qu'il devient intĂ©rieurement monothĂ©iste et Ă©vite le polythĂ©isme cachĂ© qui consiste Ă associer au Regard de Dieu celui des autres humains. C'est par la grĂące de ce Regard auquel rien n'Ă©chappe que le disciple revient vers son propre moi et apprend Ă se connaĂźtre avec toujours plus de finesse et de discernement. Le Regard de Dieu n'est pas seulement celui qui dĂ©voile, il est aussi celui qui transforme. C'est par la grĂące de ce Regard se posant sur l'Ăąme du disciple que celle-ci pourra ĂȘtre libĂ©rĂ©e de l'illusion des tĂ©nĂšbres dans laquelle elle se trouve, puis entrer dans un monde de lumiĂšre, celui de l'amour et de la connaissance. « L'Amour divin est comme une flamme, disait RĂ»mĂź, lorsqu'il entre dans le cĆur du disciple, il brĂ»le tout et Dieu seul reste. » Celui qui a goĂ»tĂ© Ă cet Amour ne peut plus l'oublier et n'a de cesse de le retrouver. Cette flamme sacrĂ©e constitue un mystĂšre si profond que personne ne peut en parler sans le galvauder. En fait, on ne peut Ă©voquer que des conditions ou des effets de l'Amour, mas nul ne peut parler de sa rĂ©alitĂ©, car il est justement au-delĂ de toute parole : il ne peut ĂȘtre qu'une expĂ©rience, une saveur, un vĂ©cu.
â
â
Faouzi Skali (Le Souvenir de l'Ătre Profond)
â
Mais la question ne se rĂ©duit pas seulement Ă l'ennui que procure cette gent Ă©crivassiĂšre ; il faut aussi souligner sa nocivitĂ©, car la « stupiditĂ© intelligente », surtout dans l'Italie actuelle, est remarquablement organisĂ©e. C'est une sorte de franc-maçonnerie implantĂ©e dans diffĂ©rents milieux et qui dĂ©tient pratiquement toutes les positions-clĂ©s de l'Ă©dition, lorsque celles-ci ne sont pas dĂ©jĂ tenues et contrĂŽlĂ©es par des Ă©lĂ©ments de gauche. Ses reprĂ©sentants possĂšdent un flair trĂšs dĂ©veloppĂ© pour reconnaĂźtre immĂ©diatement ceux qui ont une nature diffĂ©rente et pour les frapper d'ostracisme. Nous donnerons Ă ce sujet un exemple banal mais significatif II existe en Italie un groupe d'intellectuels rassemblĂ©s autour d'une revue assez largement diffusĂ©e et bien faite, qui se voudrait anticonformiste et qui critique volontiers le rĂ©gime politique et les moeurs d'aujourd'hui. Mais cette revue s'est bien gardĂ©e de contacter les rares auteurs qui pourraient lui donner, si elle voulait faire un travail sĂ©rieux, une base positive en matiĂšre de principes et de vision traditionnelle du monde. Ces auteurs ne sont pas seulement ignorĂ©s, ils sont aussi rejetĂ©s, exactement comme fait la presse de gauche, prĂ©cisĂ©ment parce qu'on sent que ce sont des hommes d'une autre trempe. Cela montre clairement que ce brillant anticonformisme n'est qu'un moyen pour se faire remarquer et pour parader, tout restant sur le plan du dilettantisme. Au demeurant, le fondateur de la revue en question, mort il y a quelques annĂ©es, n'hĂ©sita pas Ă dire un jour que si un rĂ©gime diffĂ©rent existait aujourd'hui, il changerait probablement de camp, de façon Ă ĂȘtre toujours dans l'« opposition» - le but, Ă©videmment, Ă©tant de « briller » et d'Ă©taler son « intelligence ».
â
â
Julius Evola (L'arco e la clava)
â
Am avut un somn zbuciumat, din care am tresÄrit de cĂąteva ori, Èi de pe la 5 fÄrÄ 10 n-am mai putut dormi. Trebuia sÄ aflu ce s-a ĂźntĂąmplat cu Paul Moraru, Èi fÄrÄ sÄ mÄ vadÄ nimeni, m-am strecurat afarÄ din pensiune. MÄ simÈeam sfĂąrÈit, aÈa cÄ am luat maÈina Èi m-am dus la New Montana, unde mi-am comandat un mic dejun continental Èi un suc natural de portocale. Revigorant, am condus pĂąnÄ Ăźn satul lui Paul Èi m-am oprit la barul Ăźn care bÄusem cu el. Ăn bar nu era nimeni. Barmanul, un tĂąnÄr rotofei, cu o mutrÄ somnoroasÄ, m-a recunoscut.
-Ah, sunteÈi de la Loteria Vizelor Èi Ăźl cÄutaÈi pe Paul, zise el, Ăźnviorat de faptul cÄ mÄ recunoscuse.
-Da, am ĂźngÄimat eu, fÄrÄ prea mare tragere de inimÄ.
-Bietul PaulâŠ
CĂąnd a Ăźnceput cu âbietulâ, mi s-a ridicat pÄrul pe mine. Bietul Paul a murit, mÄ aÈteptam sÄ zicÄ.
-A avut un accident, chiar azi-noapte, dupÄ ce a bÄut cu dumneavoastrÄ. A cÄzut Ăźn fĂąntĂąnÄ. Aia pÄrÄsitÄ, de la intersecÈia cu Valea Morii.
Ascultam cu sufletul la gurÄ, fÄrÄ sÄ rostesc vreun cuvĂąnt.
-Aia e o fĂąntĂąnÄ secatÄ de vreo 15 ani, continuÄ barmanul, Èi frunzele Èi mizeria, care se aruncÄ acolo de toatÄ lumea au ĂźnÄlÈat groapa Èi norocul lui a fost cÄ fĂąntĂąna n-a fost adĂąncÄ decĂąt de vreo doi metri jumate. Spre dimineaÈÄ l-au scos niÈte oameni. Are doar cĂąteva zgĂąrieturi. Am rÄsuflat uÈurat. BeÈivul avusese noroc. Dar ce noroc avusesem eu!
-Treâ sÄ vinÄ acuma, cÄ asta-i ora lui.
Èi barmanul se uitÄ pe gemuleÈul crÄpat din lateral.
-Ia uite-l cÄ vine! Vorbim de lup Èi lupul la uÈÄ.
SÄ fug, sÄ stau⊠Era prea tĂąrziu sÄ mai fug. Paul intrÄ Ăźn bar, nu se uitÄ la mine Èi ceru 100 de grame de votcÄ.
-Ce faci, mÄi, PÄulicÄ, zise barmanul, nu-l mai recunoÈti pe domnul de asearÄ, de la Loterie?
-Nu, zise el, uitĂąndu-se fix la barman.
CiteÈte Ăźn continuare aici
â
â
Nicole DuÈu
â
JEANNE ENDORMIE. -- I LA SIESTE Elle fait au milieu du jour son petit somme; Car l'enfant a besoin du rĂȘve plus que l'homme, Cette terre est si laide alors qu'on vient du ciel ! L'enfant cherche Ă revoir ChĂ©rubin, Ariel, Ses camarades, Puck, Titania, les fĂ©es, Et ses mains quand il dort sont par Dieu rĂ©chauffĂ©es. Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions, Au fond de ce sommeil sacrĂ©, plein de rayons, Ces paradis ouverts dans l'ombre, et ces passages D'Ă©toiles qui font signe aux enfants d'ĂȘtre sages, Ces apparitions, ces Ă©blouissements ! Donc, Ă l'heure oĂč les feux du soleil sont calmants, Quand toute la nature Ă©coute et se recueille, Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille La plus tremblante oublie un instant de frĂ©mir, Jeanne a cette habitude aimable de dormir; Et la mĂšre un moment respire et se repose, Car on se lasse, mĂȘme Ă servir une rose. Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sĂ»r Dorment; et son berceau, qu'entoure un vague azur Ainsi qu'une aurĂ©ole entoure une immortelle, Semble un nuage fait avec de la dentelle; On croit, en la voyant dans ce frais berceau-lĂ , Voir une lueur rose au fond d'un falbala; On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse, Et c'est un astre, ayant de plus la petitesse; L'ombre, amoureuse d'elle, a l'air de l'adorer; Le vent retient son souffle et n'ose respirer. Soudain, dans l'humble et chaste alcĂŽve maternelle, Versant tout le matin qu'elle a dans sa prunelle, Elle ouvre la paupiĂšre, Ă©tend un bras charmant, Agite un pied, puis l'autre, et, si divinement Que des fronts dans l'azur se penchent pour l'entendre, Elle gazouille...-Alors, de sa voix la plus tendre, Couvrant des yeux l'enfant que Dieu fait rayonner, Cherchant le plus doux nom qu'elle puisse donner Ă sa joie, Ă son ange en fleur, Ă sa chimĂšre: -Te voilĂ rĂ©veillĂ©e, horreur ! lui dit sa mĂšre.
â
â
Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
â
A ce discours, Candide sâĂ©vanouit encore; mais revenue Ă soi, et ayant dit tout ce quâil devait dire, il sâenquit de la cause et de lâeffet, et de la raison suffisante qui avait mis Pangloss dans un si piteux Ă©tat. HĂ©las! dit lâautre, câest lâamour: lâamour, le consolateur du genre humain, le conservateur de lâunivers, lâĂąme de tous les ĂȘtres sensibles, le tender amour. HĂ©las! dit Candide, je lâai connu cet amour, ce souverain des coeurs, cette Ăąme de notre Ăąme, il ne mâa jamais valu quâun baiser et vingt coups de pied au cul. Comment cette belle cause a-t-elle pu produire en vous un effet si abominable?
Pangloss rĂ©pondit en ces termes: O mon cher Candide! vous avez connu Paquette, cette jolie suivante de notre auguste baronne: jâai goĂ»tĂ© dans ses bras les dĂ©lices du paradis, qui ont produit ces tourments dâenfer dont vous me voyez dĂ©vorĂ©; elle en Ă©tait infectĂ©e, elle en est peut-ĂȘtre morte. Paquette tenait ce present dâun Cordelier trĂšs savant qui avait remontĂ© Ă la source, car il lâavait eu dâune vieille comtesse, qui lâavait reçu dâun capitaine de cavalerie, qui le devait Ă une marquise, qui le tenait dâun page, qui lâavait reçu dâun jĂ©suite, qui, Ă©tant novice, lâavait eu en droite ligne dâun des compagnons de Christophe Colomb. Pour moi, je ne le donnerai Ă personne, car je me meurs.
O Pangloss! sâĂ©cria Candide, voilĂ une Ă©trange gĂ©nĂ©alogie! nâest-ce pas le diable qui en fut la souche? Point du tout, rĂ©pliqua ce grand home; câĂ©tait une chose indispensable dans le meilleur des mondes, un ingredient nĂ©cessaire; car si Colomb nâavait pas attrapĂ© dans une Ăźle de l'AmĂ©rique cette maladie qui empoisonne la source de la generation, qui souvent meme empĂȘche la generation, et qui est Ă©videmment lâopposĂ© du grand but de la nature, nous nâaurions ni le chocolat ni la cochenille; il faut encore observer que jusquâaujourdâhui, dans notre continent, cette maladie nous est particuliĂšre, comme la controverse.
â
â
Voltaire (Candide)
â
Cherchez en vous-mĂȘmes. Explorez la raison qui vous commande d'Ă©crire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre cour; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous Ă©tait interdit d'Ă©crire. Ceci surtout : demandez-vous Ă l'heure la plus silencieuse de votre nuit; me faut-il Ă©crire ? Creusez en vous-mĂȘmes Ă la recherche d'une rĂ©ponse profonde. Et si celle-ci devait ĂȘtre affirmative, s'il vous Ă©tait donnĂ© d'aller Ă la rencontre de cette grave question avec un fort et simple "il le faut", alors bĂątissez votre vie selon cette nĂ©cessitĂ©; votre vie, jusqu'en son heure la plus indiffĂ©rente et la plus infime, doit ĂȘtre le signe et le tĂ©moignage de cette impulsion. Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez, aimez et perdez. N'Ă©crivez pas de poĂšmes d'amour; Ă©vitez d'abord les formes qui sont trop courantes et trop habituelles : ce sont les plus difficiles, car il faut la force de la maturitĂ© pour donner, lĂ oĂč de bonnes et parfois brillantes traditions se prĂ©sentent en foule, ce qui vous est propre. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; dĂ©crivez vos tristesses et vos dĂ©sirs, les pensĂ©es fugaces et la foi en quelque beautĂ©. DĂ©crivez tout cela avec une sincĂ©ritĂ© profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rĂȘves et les objets de votre souvenir. Si votre quotidien vous paraĂźt pauvre, ne l'accusez pas; accusez-vous vous-mĂȘme, dites-vous que vous n'ĂȘtes pas assez poĂšte pour appeler Ă vous ses richesses; car pour celui qui crĂ©e il n'y a pas de pauvretĂ©, pas de lieu pauvre et indiffĂ©rent. Et fussiez-vous mĂȘme dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir Ă vos sens aucune des rumeurs du monde, n'auriez-vous pas alors toujours votre enfance, cette dĂ©licieuse et royale richesse, ce trĂ©sor des souvenirs ? Tournez vers elle votre attention. Cherchez Ă faire resurgir les sensations englouties de ce vaste passĂ©; votre personnalitĂ© s'affirmera, votre solitude s'Ă©tendra pour devenir une demeure de douce lumiĂšre, loin de laquelle passera le bruit des autres." (Lettres Ă un jeune poĂšte)
â
â
Rainer Maria Rilke (Letters to a Young Poet)
â
Bergson, on s'en souvient, voyait dans l'Ă©volution l'expression d'une force crĂ©atrice, absolue en ce sens qu'il ne la supposait pas tendue Ă une autre fin que la crĂ©ation en elle-mĂȘme et pour elle-mĂȘme. En cela il diffĂšre radicalement des animistes (qu'il s'agisse d'Engels, de Teilhard ou des positivistes optimistes tels que Spencer) qui tous voient dans l'Ă©volution le majestueux dĂ©roulement d'un programme inscrit dans la trame mĂȘme de l'Univers. Pour eux, par consĂ©quent, l'Ă©volution n'est pas vĂ©ritablement crĂ©ation, mais uniquement 'rĂ©vĂ©lation' des intentions jusque-lĂ inexprimĂ©es de la nature. D'oĂč la tendance Ă voir dans le dĂ©veloppement embryonnaire une Ă©mergence de mĂȘme ordre que l'Ă©mergence Ă©volutive. Selon la thĂ©orie moderne, la notion de 'rĂ©vĂ©lation' s'applique au dĂ©veloppement Ă©pigĂ©nĂ©tique, mais non, bien entendu, Ă l'Ă©mergence Ă©volutive qui, grĂące prĂ©cisĂ©ment au fait qu'elle prend sa source dans l'imprĂ©visible essentiel, est crĂ©atrice de nouveautĂ© absolue. Cette convergence apparente entre les voies de la mĂ©taphysique bergsonienne et celles de la science serait-elle encore l'effet d'une pure coĂŻncidence? Peut-ĂȘtre pas: Bergson, en artiste et poĂšte qu'il Ă©tait, trĂšs bien informĂ© par ailleurs des sciences naturelles de son temps, ne pouvait manquer d'ĂȘtre sensible Ă l'Ă©blouissante richesse de la biosphĂšre, Ă la variĂ©tĂ© prodigieuse des formes et des comportements qui s'y dĂ©ploient, et qui paraissent tĂ©moigner presque directement, en effet, d'une prodigalitĂ© crĂ©atrice inĂ©puisable, libre de toute contrainte.
Mais lĂ oĂč Bergson voyait la preuve la plus manifeste que le 'principe de la vie' est l'Ă©volution elle-mĂȘme, la biologie moderne reconnaĂźt, au contraire, que toutes les propriĂ©tĂ©s des ĂȘtres vivants reposent sur un mĂ©canisme fondamental de conservation molĂ©culaire. Pour la thĂ©orie moderne l'Ă©volution n'est nullement une propriĂ©tĂ© des ĂȘtres vivants puisqu'elle a sa racine dans les imperfections mĂȘmes du mĂ©canisme conservateur qui, lui, constitute bien leur unique privilĂšge. Il faut donc dire que la mĂȘme source de perturbations, de 'bruit', qui, dans un systĂšme non vivant, c'est-Ă -dire non rĂ©plicatif, abolirait peu Ă peu toute structure, est Ă l'origine de l'Ă©volution dans la biosphĂšre, et rend compte de sa totale libertĂ© crĂ©atrice, grĂące Ă ce conservatoire du hasard, sourd au bruit autant qu'Ă la musique: la structure rĂ©plicative de l'ADN.
â
â
Jacques Monod (Chance and Necessity: An Essay on the Natural Philosophy of Modern Biology)
â
Le monde dâaujourdâhui est un chaos dâopinions et dâaspirations dĂ©sordonnĂ©es : le soi-disant « monde libre » est un chaos fluide ; la partie totalitaire du monde moderne est un chaos rigide. Par opposition, le monde ancien constituait toujours un ordre, câest-Ă -dire une hiĂ©rarchie de concepts, chacun au niveau qui lui est propre. Le chaos a Ă©tĂ© provoquĂ©, nous lâavons vu, par le « tĂ©lescopage » humaniste de la hiĂ©rarchie jusquâau niveau psychique, et par lâintrusion, dans les considĂ©rations terrestres, dâaspirations vers lâautre monde, frustrĂ©es et perverties.
Lâhomme, en raison de sa vĂ©ritable nature, ne peut pas ne pas adorer ; si sa perspective est coupĂ©e du plan spirituel, il trouvera un « dieu » Ă adorer Ă un niveau infĂ©rieur, dotant ainsi quelque chose de relatif ce qui seul appartient Ă lâAbsolu. DâoĂč lâexistence aujourdâhui de tant de « mots tout-puissants » comme « libertĂ© », « Ă©galitĂ© », « instruction », « science », « civilisation », mots quâil suffit de prononcer pour quâune multitude dâĂąmes se prosterne en une adoration infra-rationnelle.
Les superstitions de la libertĂ© et de lâĂ©galitĂ© ne sont pas seulement le rĂ©sultat mais aussi, en partie, la cause du dĂ©sordre gĂ©nĂ©ral, car chacune, Ă sa maniĂšre, est une rĂ©volte contre la hiĂ©rarchie ; et elles sont dâautant plus pernicieuses quâelles sont des perversions de deux des Ă©lans les plus Ă©levĂ©s de lâhomme. Corruptio optimi pessima, la corruption du meilleur est la pire ; mais il suffit de rĂ©tablir lâordre ancien, et les deux idoles en question sâĂ©vanouiront de ce monde (laissant ainsi la place aux aspirations terrestres lĂ©gitimes vers la libertĂ© et lâĂ©galitĂ©) et, transformĂ©es, reprendront leur place au sommet mĂȘme de la hiĂ©rarchie.
Le dĂ©sir de libertĂ© est avant tout dĂ©sir de Dieu, la LibertĂ© Absolue Ă©tant un aspect essentiel de la DivinitĂ©. Ainsi, dans lâHindouisme, lâĂ©tat spirituel suprĂȘme qui marque la fin de la voie mystique est dĂ©signĂ© par le terme de dĂ©livrance (moksha), car câest un Ă©tat dâunion (yoga) avec lâAbsolu, lâInfini et lâĂternel, qui permet lâaffranchissement des liens de la relativitĂ©. Câest Ă©videmment, avant tout, cet affranchissement auquel le Christ faisait rĂ©fĂ©rence lorsquâil disait : « Recherchez la connaissance, car la connaissance vous rendra libre », Ă©tant donnĂ© que la connaissance directe, la Gnose, signifie lâunion avec lâobjet de la connaissance, câest-Ă -dire avec Dieu. (pp. 59-60)
â
â
Martin Lings (Ancient Beliefs and Modern Superstitions)
â
LE SYLLABUS Tout en mangeant d'un air effarĂ© vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bontĂ© qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aĂŻeul d'ĂȘtre tendre Et du ciel d'ĂȘtre bleu. N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fĂąchĂ©, je gronde, Non contre vous. HĂ©las, enfants, dans ce vil monde, Le prĂȘtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbĂ©ciles Qui passe en ce moment. Les prĂȘtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frĂšre, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumiĂšre; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumiĂšre; Et d'eux, c'est la noirceur. J'aime une petitesse et je dĂ©teste l'autre; Je hais leur bĂ©gaiement et j'adore le vĂŽtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, Ă©coutant ce que dit l'Ăąme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux Ă©toilĂ©s. Car vous Ă©tiez hier, ĂŽ doux parleurs Ă©tranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, Ă moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y vais. Ce que vous dites sort du firmament austĂšre; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix oĂč rien n'insulte, oĂč rien ne blĂąme, OĂč rien ne mord, s'ajoute au vaste Ă©pithalame Des bois mystĂ©rieux. Ce doux balbutiement me plaĂźt, je le prĂ©fĂšre; Car j'y sens l'idĂ©al; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forĂȘts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'Ă©coute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte Ă goutte Au fond des antres frais. Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la mĂȘme langue Ă l'Ăąme inassouvie; En bas nous Ă©touffons; Mais rĂȘver, c'est planer dans les apothĂ©oses, C'est comprendre; et les nids disent les mĂȘmes choses Que les tombeaux profonds. Les prĂȘtres vont criant: AnathĂšme ! anathĂšme ! Mais la nature dit de toutes parts: Je t'aime ! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie Ă©clore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'Ăąme n'a d'amour. J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmĂ©es; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumĂ©es, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fĂȘte immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits enfants.
â
â
Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
â
Au reste, lâartifice paraissait Ă des Esseintes la marque distinctive du gĂ©nie de lâhomme.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a dĂ©finitivement lassĂ©, par la dĂ©goĂ»tante uniformitĂ© de ses paysages et de ses ciels, lâattentive patience des raffinĂ©s. Au fond, quelle platitude de spĂ©cialiste confinĂ©e dans sa partie, quelle petitesse de boutiquiĂšre tenant tel article Ă lâexclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et dâarbres, quelle banale agence de montagnes et de mers !
Il nâest, dâailleurs, aucune de ses inventions rĂ©putĂ©e si subtile ou si grandiose que le gĂ©nie humain ne puisse crĂ©er ; aucune forĂȘt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des dĂ©cors inondĂ©s de jets Ă©lectriques ne produisent ; aucune cascade que lâhydraulique nâimite Ă sây mĂ©prendre ; aucun roc que le carton-pĂąte ne sâassimile ; aucune fleur que de spĂ©cieux taffetas et de dĂ©licats papiers peints nâĂ©galent !
Ă nâen pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usĂ© la dĂ©bonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu oĂč il sâagit de la remplacer, autant que faire se pourra, par lâartifice.
Et puis, Ă bien discerner celle de ses Ćuvres considĂ©rĂ©e comme la plus exquise, celle de ses crĂ©ations dont la beautĂ© est, de lâavis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que lâhomme nâa pas, de son cĂŽtĂ©, fabriquĂ©, Ă lui tout seul, un ĂȘtre animĂ© et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beautĂ© plastique ? est-ce quâil existe, ici-bas, un ĂȘtre conçu dans les joies dâune fornication et sorti des douleurs dâune matrice dont le modĂšle, dont le type soit plus Ă©blouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptĂ©es sur la ligne du chemin de fer du Nord ?
Lâune, la Crampton, une adorable blonde, Ă la voix aiguĂ«, Ă la grande taille frĂȘle, emprisonnĂ©e dans un Ă©tincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorĂ©e, dont lâextraordinaire grĂące Ă©pouvante lorsque, raidissant ses muscles dâacier, activant la sueur de ses flancs tiĂšdes, elle met en branle lâimmense rosace de sa fine roue et sâĂ©lance toute vivante, en tĂȘte des rapides et des marĂ©es !
Lâautre, lâEngerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, Ă©tranglĂ©s dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bĂȘte, Ă la criniĂšre Ă©chevelĂ©e de fumĂ©e noire, aux six roues basses et accouplĂ©es ; quelle Ă©crasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises !
â
â
Joris-Karl Huysmans
â
Au reste, lâartifice paraissait Ă des Esseintes la marque distinctive du gĂ©nie de lâhomme.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a dĂ©finitivement lassĂ©, par la dĂ©goĂ»tante uniformitĂ© de ses paysages et de ses ciels, lâattentive patience des raffinĂ©s. Au fond, quelle platitude de spĂ©cialiste confinĂ©e dans sa partie, quelle petitesse de boutiquiĂšre tenant tel article Ă lâexclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et dâarbres, quelle banale agence de montagnes et de mers !
Il nâest, dâailleurs, aucune de ses inventions rĂ©putĂ©e si subtile ou si grandiose que le gĂ©nie humain ne puisse crĂ©er ; aucune forĂȘt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des dĂ©cors inondĂ©s de jets Ă©lectriques ne produisent ; aucune cascade que lâhydraulique nâimite Ă sây mĂ©prendre ; aucun roc que le carton-pĂąte ne sâassimile ; aucune fleur que de spĂ©cieux taffetas et de dĂ©licats papiers peints nâĂ©galent !
Ă nâen pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usĂ© la dĂ©bonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu oĂč il sâagit de la remplacer, autant que faire se pourra, par lâartifice.
Et puis, Ă bien discerner celle de ses Ćuvres considĂ©rĂ©e comme la plus exquise, celle de ses crĂ©ations dont la beautĂ© est, de lâavis de tous, la plus originale et la plus parfaite : la femme ; est-ce que lâhomme nâa pas, de son cĂŽtĂ©, fabriquĂ©, Ă lui tout seul, un ĂȘtre animĂ© et factice qui la vaut amplement, au point de vue de la beautĂ© plastique ? est-ce quâil existe, ici-bas, un ĂȘtre conçu dans les joies dâune fornication et sorti des douleurs dâune matrice dont le modĂšle, dont le type soit plus Ă©blouissant, plus splendide que celui de ces deux locomotives adoptĂ©es sur la ligne du chemin de fer du Nord ?
Lâune, la Crampton, une adorable blonde, Ă la voix aiguĂ«, Ă la grande taille frĂȘle, emprisonnĂ©e dans un Ă©tincelant corset de cuivre, au souple et nerveux allongement de chatte, une blonde pimpante et dorĂ©e, dont lâextraordinaire grĂące Ă©pouvante lorsque, raidissant ses muscles dâacier, activant la sueur de ses flancs tiĂšdes, elle met en branle lâimmense rosace de sa fine roue et sâĂ©lance toute vivante, en tĂȘte des rapides et des marĂ©es !
Lâautre, lâEngerth, une monumentale et sombre brune aux cris sourds et rauques, aux reins trapus, Ă©tranglĂ©s dans une cuirasse en fonte, une monstrueuse bĂȘte, Ă la criniĂšre Ă©chevelĂ©e de fumĂ©e noire, aux six roues basses et accouplĂ©es ; quelle Ă©crasante puissance lorsque, faisant trembler la terre, elle remorque pesamment, lentement, la lourde queue de ses marchandises !
Il nâest certainement pas, parmi les frĂȘles beautĂ©s blondes et les majestueuses beautĂ©s brunes, de pareils types de sveltesse dĂ©licate et de terrifiante force ; Ă coup sĂ»r, on peut le dire : lâhomme a fait, dans son genre, aussi bien que le Dieu auquel il croit.
â
â
Joris-Karl Huysmans
â
moi je suis fĂąchĂ© contre notre cercle patriarcal parce quâil y vient toujours un homme du type le plus insupportable. Vous tous, messieurs, le connaissez trĂšs bien. Son nom est LĂ©gion. Câest un homme qui a bon coeur, et nâa rien quâun bon coeur. Comme si câĂ©tait une chose rare Ă notre Ă©poque dâavoir bon coeur ; comme si, enfin, on avait besoin dâavoir bon coeur ; cet Ă©ternel bon coeur ! Lâhomme douĂ© dâune si belle qualitĂ© a lâair, dans la vie, tout Ă fait sĂ»r que son bon coeur lui suffira pour ĂȘtre toujours content et heureux. Il est si sĂ»r du succĂšs quâil nĂ©glige tout autre moyen en venant au monde. Par exemple, il ne connaĂźt ni mesure ni retenue. Tout, chez lui, est dĂ©bordant, Ă coeur ouvert. Cet homme est enclin Ă vous aimer soudain, Ă se lier dâamitiĂ©, et il est convaincu quâaussitĂŽt, rĂ©ciproquement, tous lâaimeront, par ce seul fait quâil sâest mis Ă aimer tout le monde. Son bon coeur nâa mĂȘme jamais pensĂ© que câest peu dâaimer chaudement, quâil faut possĂ©der lâart de se faire aimer, sans quoi tout est perdu, sans quoi la vie nâest pas la vie, ni pour son coeur aimant ni pour le malheureux que, naĂŻvement, il a choisi comme objet de son attachement profond. Si cet homme se procure un ami, aussitĂŽt celui-ci se transforme pour lui en un meuble dâusage, quelque chose comme un crachoir. Tout ce quâil a dans le coeur, nâimporte quelle saletĂ©, comme dit Gogol, tout sâenvole de la langue et tombe dans le coeur de lâami. Lâami est obligĂ© de tout Ă©couter et de compatir Ă tout. Si ce monsieur est trompĂ© par sa maĂźtresse, ou sâil perd aux cartes, aussitĂŽt, comme un ours, il fond, sans y ĂȘtre invitĂ©, sur lâĂąme de lâami et y dĂ©verse tous ses soucis. Souvent il ne remarque mĂȘme pas que lâami lui-mĂȘme a des chagrins par-dessus la tĂȘte : ou ses enfants sont morts, ou un malheur est arrivĂ© Ă sa femme, ou il est excĂ©dĂ© par ce monsieur au coeur aimant. Enfin on lui fait dĂ©licatement sentir que le temps est splendide et quâil faut en profiter pour une promenade solitaire. Si cet homme aime une femme, il lâoffensera mille fois par son caractĂšre avant que son coeur aimant le remarque, avant de remarquer (si toutefois il en est capable) que cette femme sâĂ©tiole de son amour, quâelle est dĂ©goĂ»tĂ©e dâĂȘtre avec lui, quâil empoisonne toute son existence. Oui, câest seulement dans lâisolement, dans un coin, et surtout dans un groupe que se forme cette belle oeuvre de la nature, ce « spĂ©cimen de notre matiĂšre brute », comme disent les AmĂ©ricains, en qui il nây a pas une goutte dâart, en qui tout est naturel. Un homme pareil oublie â il ne soupçonne mĂȘme pas â, dans son inconscience totale, que la vie est un art, que vivre câest faire oeuvre dâart par soi-mĂȘme ; que ce nâest que dans le lien des intĂ©rĂȘts, dans la sympathie pour toute la sociĂ©tĂ© et ses exigences directes, et non dans lâindiffĂ©rence destructrice de la sociĂ©tĂ©, non dans lâisolement, que son capital, son trĂ©sor, son bon coeur, peut se transformer en un vrai diamant taillĂ©.
â
â
Fyodor Dostoevsky
â
je lui tendis les trois pommes vertes que je venais de voler dans le verger. Elle les accepta et m'annonça, comme en passant :
â Janek a mangĂ© pour moi toute sa collection de timbres-poste.
C'est ainsi que mon martyre commença. Au cours des jours qui suivirent, je mangeai pour Valentine plusieurs poignées de vers de terre, un grand nombre de papillons, un kilo de cerises avec les noyaux, une souris, et, pour finir, je peux dire qu'à neuf ans, c'est-à -dire bien plus jeune que Casanova, je pris place parmi les plus grands amants de tous les temps, en accomplissant une prouesse amoureuse que personne, à ma connaissance, n'est jamais venu égaler. Je mangeai pour ma bien-aimée un soulier en caoutchouc.
Ici, je dois ouvrir une parenthĂšse.
Je sais bien que, lorsqu'il s'agit de leurs exploits amoureux, les hommes ne sont que trop portés à la vantardise. A les entendre, leurs prouesses viriles ne connaissent pas de limite, et ils ne vous font grùce d'aucun détail.
Je ne demande donc Ă personne de me croire lorsque j'affirme que, pour ma bien-aimĂ©e, je consommai encore un Ă©ventail japonais, dix mĂštres de fil de coton, un kilo de noyaux de cerises â Valentine me mĂąchait, pour ainsi dire, la besogne, en mangeant la chair et en me tendant les noyaux â et trois poissons rouges, que nous Ă©tions allĂ©s pĂȘcher dans l'aquarium de son professeur de musique.
Dieu sait ce que les femmes m'ont fait avaler dans ma vie, mais je n'ai jamais connu une nature aussi insatiable. C'était une Messaline doublée d'une Théodora de Byzance. AprÚs cette expérience, on peut dire que je connaissais tout de l'amour. Mon éducation était faite. Je n'ai fait, depuis, que continuer sur ma lancée.
Mon adorable Messaline n'avait que huit ans, mais son exigence physique dĂ©passait tout ce qu'il me fut donnĂ© de connaĂźtre au cours de mon existence. Elle courait devant moi, dans la cour, me dĂ©signait du doigt tantĂŽt un tas de feuilles, tantĂŽt du sable, ou un vieux bouchon, et je m'exĂ©cutais sans murmurer. Encore bougrement heureux d'avoir pu ĂȘtre utile. A un moment, elle s'Ă©tait mise Ă cueillir un bouquet de marguerites, que je voyais grandir dans sa main avec apprĂ©hension â mais je mangeai les marguerites aussi, sous son oeil attentif â elle savait dĂ©jĂ que les hommes essayent toujours de tricher, dans ces jeux-lĂ â oĂč je cherchais en vain une lueur d'admiration. Sans une marque d'estime ou de gratitude, elle repartit en sautillant, pour revenir, au bout d'un moment, avec quelques escargots qu'elle me tendit dans le creux de la main. Je mangeai humblement les escargots, coquille et tout.
A cette époque, on n'apprenait encore rien aux enfants sur le mystÚre des sexes et j'étais convaincu que c'était ainsi qu'on faisait l'amour. J'avais probablement raison. Le plus triste était que je n'arrivais pas à l'impressionner. J'avais à peine fini les escargots qu'elle m'annonçait négligemment :
â Josek a mangĂ© dix araignĂ©es pour moi et il s'est arrĂȘtĂ© seulement parce que maman nous a appelĂ©s pour le thĂ©.
Je frémis. Pendant que j'avais le dos tourné, elle me trompait avec mon meilleur ami. Mais j'avalai cela aussi. Je commençais à avoir l'habitude.
(La promesse de l'aube, ch.XI)
â
â
Romain Gary (Promise at Dawn)
â
Jâai dâailleurs un ami qui, ces jours-ci, mâa affirmĂ© que nous ne savons mĂȘme pas ĂȘtre paresseux. Il prĂ©tend que nous paressons lourdement, sans plaisir, ni bĂ©atitude, que notre repos est fiĂ©vreux, inquiet, mĂ©content ; quâen mĂȘme temps que la paresse, nous gardons notre facultĂ© dâanalyse, notre opinion sceptique, une arriĂšre-pensĂ©e, et toujours sur les bras une affaire courante, Ă©ternelle, sans fin. Il dit encore que nous nous prĂ©parons Ă ĂȘtre paresseux et Ă nous reposer comme Ă une affaire dure et sĂ©rieuse et que, par exemple, si nous voulons jouir de la nature, nous avons lâair dâavoir marquĂ© sur notre calendrier, encore la semaine derniĂšre, que tel et tel jour, Ă telle et telle heure, nous jouirons de la nature. Cela me rappelle beaucoup cet Allemand ponctuel qui, en quittant Berlin, nota tranquillement sur son carnet. « En passant Ă Nuremberg ne pas oublier de me marier. » Il est certain que lâAllemand avait, avant tout, dans sa tĂȘte, un systĂšme, et il ne sentait pas lâhorreur du fait, par reconnaissance pour ce systĂšme. Mais il faut bien avouer que dans nos actes Ă nous, il nây a mĂȘme aucun systĂšme. Tout se fait ainsi comme par une fatalitĂ© orientale. Mon ami a raison en partie. Nous semblons traĂźner notre fardeau de la vie par force, par devoir, mais nous avons honte dâavouer quâil est au-dessus de nos forces, et que nous sommes fatiguĂ©s. Nous avons lâair, en effet, dâaller Ă la campagne pour nous reposer et jouir de la nature. Regardez avant tout les bagages rien laissĂ© de ce qui est usĂ©, de ce qui a servi lâhiver, au contraire, nous y avons ajoutĂ© des choses nouvelles. Nous vivons de souvenirs et lâancien potin et la vieille affaire passent pour neufs. Autrement câest ennuyeux ; autrement il faudra jouer au whist avec lâaccompagnement du rossignol et Ă ciel ouvert. Dâailleurs, câest ce qui se fait. En outre, nous ne sommes pas bĂątis pour jouir de la nature ; et, en plus, notre nature, comme si elle connaissait notre caractĂšre, a oubliĂ© de se parer au mieux. Pourquoi, par exemple, est-elle si dĂ©veloppĂ©e chez nous lâhabitude trĂšs dĂ©sagrĂ©able de toujours contrĂŽler, Ă©plucher nos impressions â souvent sans aucun besoin â et, parfois mĂȘme, dâĂ©valuer le plaisir futur, qui nâest pas encore rĂ©alisĂ©, de le soupeser, dâen ĂȘtre satisfait dâavance en rĂȘve, de se contenter de la fantaisie et, naturellement, aprĂšs, de nâĂȘtre bon Ă rien pour une affaire rĂ©elle ? Toujours nous froisserons et dĂ©chirerons la fleur pour sentir mieux son parfum, et ensuite nous nous rĂ©volterons quand, au lieu de parfum, il ne restera plus quâune fumĂ©e. Et cependant, il est difficile de dire ce que nous deviendrions si nous nâavions pas au moins ces quelques jours dans toute lâannĂ©e et si nous ne pouvions satisfaire par la diversitĂ© des phĂ©nomĂšnes de la nature notre soif Ă©ternelle, inextinguible de la vie naturelle, solitaire. Et enfin, comment ne pas tomber dans lâimpuissance en cherchant Ă©ternellement des impressions, comme la rime pour un mauvais vers, en se tourmentant de la soif dâactivitĂ© extĂ©rieure, en sâeffrayant enfin, jusquâĂ en ĂȘtre malade, de ses propres illusions, de ses propres chimĂšres, de sa propre rĂȘverie et de tous ces moyens auxiliaires par lesquels, en notre temps, on tĂąche, nâimporte comment, de remplir le vide de la vie courante incolore.
Et la soif dâactivitĂ© arrive chez nous jusquâĂ lâimpatience fĂ©brile. Tous dĂ©sirent des occupations sĂ©rieuses, beaucoup avec un ardent dĂ©sir de faire du bien, dâĂȘtre utiles, et, peu Ă peu, ils commencent dĂ©jĂ Ă comprendre que le bonheur nâest pas dans la possibilitĂ© sociale de ne rien faire, mais dans lâactivitĂ© infatigable, dans le dĂ©veloppement et lâexercice de toutes nos facultĂ©s.
â
â
Fyodor Dostoevsky
â
JULIETTE.âOh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la libertĂ©. Terre vile, rends-toi Ă la terre; que tout mouvement sâarrĂȘte, et quâune mĂȘme biĂšre presse de son poids et RomĂ©o et toi.
LA NOURRICE.âO Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que jâeusse! O aimable Tybalt, honnĂȘte cavalier, faut-il que jâaie vĂ©cu pour te voir mort!
JULIETTE.âQuelle est donc cette tempĂȘte qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? RomĂ©o est-il tuĂ©, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chĂ©ri et mon Ă©poux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-lĂ sont morts?
LA NOURRICE.âTybalt est mort, et RomĂ©o est banni: RomĂ©o, qui lâa tuĂ©, est banni.
JULIETTE.âO Dieu! la main de RomĂ©o a-t-elle versĂ© le sang de Tybalt?
LA NOURRICE.âIl lâa fait, il lâa fait! O jour de malheur! il lâa fait!
JULIETTE.âO coeur de serpent cachĂ© sous un visage semblable Ă une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angĂ©lique dĂ©mon, corbeau couvert des plumes dâune colombe, agneau transportĂ© de la rage du loup, mĂ©prisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais Ă juste titre, damnable saint, traĂźtre plein dâhonneur! O nature, quâallais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de lâĂąme dâun dĂ©mon? Jamais livre contenant une aussi infĂąme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais?
LA NOURRICE.âIl nây a plus ni sincĂ©ritĂ©, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! oĂč est mon valet? Donnez-moi un peu dâaqua vitĂŠâŠ.. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit Ă RomĂ©o!
JULIETTE.âMaudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il nâest pas nĂ© pour la honte: la honte rougirait de sâasseoir sur son front; câest un trĂŽne oĂč on peut couronner lâhonneur, unique souverain de la terre entiĂšre. Oh! quelle brutalitĂ© me lâa fait maltraiter ainsi?
LA NOURRICE.âQuoi! vous direz du bien de celui qui a tuĂ© votre cousin?
JULIETTE.âEh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre Ă©poux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je lâai ainsi dĂ©chirĂ©? Mais pourquoi, traĂźtre, as-tu tuĂ© mon cousin? Ah! ce traĂźtre de cousin a voulu tuer mon Ă©poux.âRentrez, larmes insensĂ©es, rentrez dans votre source; câest au malheur quâappartient ce tribut que par mĂ©prise vous offrez Ă la joie. Mon Ă©poux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon Ă©poux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleurĂ©-je? Ah! câest quâil y a lĂ un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui mâa assassinĂ©e.âJe voudrais bien lâoublier; mais, ĂŽ ciel! il pĂšse sur ma mĂ©moire comme une offense digne de la damnation sur lâĂąme du pĂ©cheur. Tybalt est mort, et RomĂ©o estâŠ.. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tuĂ© pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt Ă©tait un assez grand malheur, tout eĂ»t-il fini lĂ ; ou si les cruelles douleurs se plaisent Ă marcher ensemble, et quâil faille nĂ©cessairement que dâautres peines les accompagnent, pourquoi, aprĂšs mâavoir dit: «Tybalt est mort,» nâa-t-elle pas continuĂ©: «ton pĂšre aussi, ou ta mĂšre, ou tous les deux?» cela eĂ»t excitĂ© en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arriĂšre-garde qui a suivi la mort de Tybalt, RomĂ©o est banni; par ce seul mot, pĂšre, mĂšre, Tybalt, RomĂ©o, Juliette, tous sont assassinĂ©s, tous morts. RomĂ©o banni! Il nây a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort quâapporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
â
â
William Shakespeare (Romeo and Juliet)
â
Les hommes, disais-je, se plaignent souvent de compter peu de beaux jours et beaucoup de mauvais, et il me semble que, la plupart du temps, câest mal Ă propos. Si nous avions sans cesse le cĆur ouvert pour jouir des biens que Dieu nous dispense chaque jour, nous aurions assez de force pour supporter le mal quand il vient. â Mais nous ne sommes pas les maĂźtres de notre humeur, dit la mĂšre ; combien de choses dĂ©pendent de lâĂ©tat du corps ! Quand on nâest pas bien, on est mal partout. » Jâen tombai dâaccord et jâajoutai : « Eh bien, considĂ©rons la chose comme une maladie, et demandons-nous sâil nây a point de remĂšde. â Câest parler sagement, dit Charlotte : pour moi, jâestime que nous y pouvons beaucoup. Je le sais par expĂ©rience. Si quelque chose me contrarie et veut me chagriner, je cours au jardin et me promĂšne, en chantant quelques contredanses : cela se passe aussitĂŽt. â Câest ce que je voulais dire, repris-je Ă lâinstant : il en est de la mauvaise humeur absolument comme de la paresse ; car câest une sorte de paresse. Par notre nature, nous y sommes fort enclins, et cependant, si nous avons une fois la force de nous surmonter, le travail nous devient facile, et nous trouvons dans lâactivitĂ© un vĂ©ritable plaisir. » FrĂ©dĂ©rique Ă©tait fort attentive, et le jeune homme mâobjecta quâon nâĂ©tait pas maĂźtre de soi, et surtout quâon ne pouvait commander Ă ses sentiments. « II sâagit ici, rĂ©pliquai-je, dâun sentiment dĂ©sagrĂ©able, dont chacun est bien aise de se dĂ©livrer, et personne ne sait jusquâoĂč ses forces sâĂ©tendent avant de les avoir essayĂ©es. AssurĂ©ment, celui qui est malade consultera tous les mĂ©decins, et il ne refusera pas les traitements les plus pĂ©nibles, les potions les plus amĂšres, pour recouvrer la santĂ© dĂ©sirĂ©e. [...] Vous avez appelĂ© la mauvaise humeur un vice : cela me semble exagĂ©rĂ©. â Nullement, lui rĂ©pondis-je, si une chose avec laquelle on nuit Ă son prochain et Ă soi-mĂȘme mĂ©rite ce nom. Nâest-ce pas assez que nous ne puissions nous rendre heureux les uns les autres ? faut-il encore nous ravir mutuellement le plaisir que chacun peut quelquefois se procurer ? Et nommez-moi lâhomme de mauvaise humeur, qui soit en mĂȘme temps assez ferme pour la dissimuler, la supporter seul, sans troubler la joie autour de lui ! Nâest-ce pas plutĂŽt un secret dĂ©plaisir de notre propre indignitĂ©, un mĂ©contentement de nous-mĂȘmes, qui se lie toujours avec une envie aiguillonnĂ©e par une folle vanitĂ© ? Nous voyons heureux des gens qui ne nous doivent pas leur bonheur, et cela nous est insupportable. » Charlotte me sourit, en voyant avec quelle Ă©motion je parlais, et une larme dans les yeux de FrĂ©dĂ©rique mâexcita Ă continuer. « Malheur, mâĂ©criai-je, Ă ceux qui se servent de lâempire quâils ont sur un cĆur, pour lui ravir les joies innocentes dont il est lui-mĂȘme la source ! Tous les prĂ©sents, toutes les prĂ©venances du monde, ne peuvent compenser un moment de joie spontanĂ©e, que nous empoisonne une envieuse importunitĂ© de notre tyran. [...] Si seulement on se disait chaque jour : Tu ne peux rien pour tes amis que respecter leurs plaisirs et augmenter leur bonheur en le goĂ»tant avec eux. Peux-tu, quand le fond de leur ĂȘtre est tourmentĂ© par une passion inquiĂšte, brisĂ© par la souffrance, leur verser une goutte de baume consolateur ?⊠Et, quand la derniĂšre, la plus douloureuse maladie surprendra la personne que tu auras tourmentĂ©e dans la fleur de ses jours, quâelle sera couchĂ©e dans la plus dĂ©plorable langueur, que son Ćil Ă©teint regardera le ciel, que la sueur de la mort passera sur son front livide, et que, debout devant le lit, comme un condamnĂ©, dans le sentiment profond quâavec tout ton pouvoir tu ne peux rien, lâangoisse te saisira jusquâau fond de lâĂąme, Ă la pensĂ©e que tu donnerais tout au monde pour faire passer dans le sein de la crĂ©ature mourante une goutte de rafraĂźchissement, une Ă©tincelle de courage !âŠ
â
â
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)