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En fait, la poésie, c’est ce qui vise un objet — cet être-ci, en son absolu, ou l’être même, la présence du monde, en son unité — alors même et précisément qu’aucun texte ne peut les dire. Elle est ce qui s’attache, c’est là sa responsabilité, à ce qui ne peut être dénommé avec un mot de la langue : et parce que l’au-delà de la dénomination, c’est l’intensité et la plénitude dont nous avons besoin de nous souvenir. L’Un, la Présence, elle peut y « penser » dans l’écriture, car les relations inusuelles que les formes sonores au sein du vers établissent entre les mots défont les codes, neutralisent les significations conceptuelles, et ouvrent donc comme un champ, pour de l’inconnu, au-delà. Mais même dans un poème les mots formulent, ils substituent la signification, la représentation à l’unité pressentie, et c’est donc l’insatisfaction qui l’emporte. Insatisfaction devant ce fait textuel, où la grande intuition se perd, non sans laisser toutefois le scintillement d’un sillage.
La poésie, c’est ce qui descend de niveau en niveau dans son propre texte toujours en métamorphose, descend jusqu’en ce point où, s’étant en somme perdue, dans un pays d’aucun nom ni d’aucune route, elle renonce à aller plus loin, sachant tout de même que l’essentiel, c’est ce qui se dérobe encore, au-delà de ces lieux étranges. Le texte n’est pas son vrai lieu, ce n’est que son chemin de l’heure d’avant, son passé. — Et si quelqu’un, dans ces conditions, lit un poète sans s’obliger à son texte, est-ce là le trahir ? (...)
En bref, c’est retrouver de la poésie l’esprit de responsabilité — celle-ci serait-elle velléité, simplement — et la qualité d’espérance.
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Car tout poème est par rapport à « mon semblable, mon frère » un mouvement d’espérance : ce dernier ne va-t-il pas faire un pas, à son tour, vers l’être de finitude ?
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