â
TrĂšs vite dans ma vie il a Ă©tĂ© trop tard. A dix-huit ans il Ă©tait dĂ©jĂ trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprĂ©vue. A dix-huit ans jâai vieilli.
â
â
Marguerite Duras (The Lover)
â
Les journĂ©es qui s'Ă©coulent, les gens que tu rencontres, les expĂ©riences auxquelles tu es confrontĂ©e forment ce qu'on appelle une vie. Ta vie. Et des vies, Lahira, tu n'en vivras qu'une. C'est Ă toi de la prendre en main, de lui donner les couleurs que tu aimes et la direction dont tu rĂȘves. A toi et Ă personne d'autre.
â
â
Pierre Bottero (Ellana, l'Envol (Le Pacte des MarchOmbres, #2))
â
Câest une folie de haĂŻr toutes les roses parce que une Ă©pine vous a piquĂ©, dâabandonner tous les rĂȘves parce que lâun dâentre eux ne sâest pas rĂ©alisĂ©, de renoncer Ă toutes les tentatives parce quâon a Ă©choué⊠Câest une folie de condamner toutes les amitiĂ©s parce quâune dâelles vous a trahi, de ne croire plus en lâamour juste parce quâun dâentre eux a Ă©tĂ© infidĂšle, de jeter toutes les chances dâĂȘtre heureux juste parce que quelque chose nâest pas allĂ© dans la bonne direction. Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a toujours un nouveau dĂ©part.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry
â
Si on bouge sans cesse, on impose un sens, une direction au temps. Mais si on s'arrĂȘte en se butant comme un Ăąne au milieu du sentier, si on se laisse emporter par la rĂȘverie, alors mĂȘme le temps s'arrĂȘte et n'est plus ce fardeau qui pĂšse sur nos Ă©paules. Si on ne le porte pas il verse, il se rĂ©pand tout autour comme la tache d'encre que ma plume faisait toute seule, droite en Ă©quilibre sur le buvard, pour retomber ensuite, vide.
â
â
Erri De Luca (Pas ici, pas maintenant)
â
Mais surtout, nous ne retrouverons pas ce qui nous a poussés l'un vers l'autre, un jour. Cette urgence trÚs pure. Ce moment unique. Il y a eu des circonstances, une conjonction de hasards, une somme de coïncidences, une simultanéité de désirs, quelque chose dans l'air, quelque chose aussi qui tenait à l'époque, à l'endroit, et ça a formé un moment, et ça a provoqué la rencontre, mais tout s'est distendu, tout est reparti dans des directions différentes, tout a éclaté, à la maniÚre d'un feu d'artifice dont les fusées explosent au ciel nocturne dans tous les sens et dont les éclats retombent en pluie, et meurent à mesure qu'ils chutent et disparaissent avant de pouvoir toucher le sol, pour que ça ne brûle personne, pour que ça ne blesse personne, et le moment est terminé, mort, il ne reviendra pas  ; c'est cela qui nous est arrivé.
â
â
Philippe Besson (" ArrĂȘte avec tes mensonges ")
â
Le vert absolu est la couleur la plus anesthésiante qui soit. Elle ne se meut dans aucune direction et n'a aucune consonance de joie, de tristesse ou de passion ; elle ne réclame rien, n'attire vers rien. [...] Ce vert est semblable à une grosse vache, pleine de santé, couchée, figée, capable seulement de ruminer en contemplant le monde de ses yeux stupides et inexpressifs.
â
â
Kandinsky Vasily
â
Le savoir des Ă©coles se borne Ă enseigner le "comment". C'est un savoir Ă©parpillĂ©, sans unitĂ© et sans direction. Ce n'est pas un chemin qui conduit vers le sommet de la montagne d'oĂč l'on pourra voir l'horizon et comprendre dans tous ses dĂ©tails l'ordonnance du paysage, c'est une plaine de sable dont on propose Ă l'homme d'Ă©tudier chaque grain. Ce savoir ne peut donner naissance qu'Ă une sociĂ©tĂ© de technique, sans sagesse et sans raison, aussi absurde et dangereuse dans son comportement qu'un camion-citerne lancĂ© sans conducteur sur une autoroute en pente.
â
â
René Barjavel
â
Toute grande oeuvre est soit une Iliade soit une OdysĂ©e, les odysĂ©es Ă©tant beaucoup plus nombreuse que les iliades: le Satiricon, La Divine ComĂ©die, Pantagruel, Don Quichotte, et naturellement Ulysse (oĂč l'on reconnaĂźt d'ailleurs l'influence directe de Bouvard et PĂ©cuchet) sont des odysĂ©es, c'est-Ă -dire des rĂ©cits de temps pleins. Les iliades sont au contraire des recherches du temps perdu: devant Troie, sur une Ăźle dĂ©serte ou chez les Guermantes.
â
â
Raymond Queneau
â
Je dĂ©couvre la morsure de l'attente. Parce qu'il y a ce refus de s'avouer vaincu, de croire que c'est sans lendemain, que ça ne se reproduira pas. Je me persuade qu'il accomplira un geste dans ma direction, que c'est impossible autrement, que la mĂ©moire des corps emmĂȘlĂ©s vaincra sa rĂ©sistance. Je me dis que ce n'Ă©tait pas seulement une histoire de corps, mais de nĂ©cessitĂ©. Qu'on ne lutte pas contre la nĂ©cessitĂ©. Ou, si on lutte, elle finit par avoir raison de nous.
Je découvre la morsure du manque.
â
â
Philippe Besson (" ArrĂȘte avec tes mensonges ")
â
[...] Et câest lĂ , en mĂȘme temps, ce qui donne lâillusion du progrĂšs Ă ceux qui, ne connaissant quâune civilisation, voient exclusivement la direction dans laquelle elle se dĂ©veloppe, croient quâelle est la seule possible, et ne se rendent pas compte que ce dĂ©veloppement sur un point peut ĂȘtre largement compensĂ© par une rĂ©gression sur dâautres points.
â
â
René Guénon (Introduction to the Study of the Hindu Doctrines)
â
Un choc qui nous atteint dans une direction imprĂ©vue nous donne brusquement une sensation nouvelle de lâexistence de notre corps en tant quâinconnu; nous ne savions pas tout ce que nous Ă©tions, et il arrive que cette sensation brutale nous rende elle-mĂȘme sensibles, par un effet secondaire, Ă une grandeur et Ă une figure inattendues de notre domaine vivant.
â
â
Paul Valéry (Regards sur le monde actuel et autres essais)
â
Je me mis dĂšs lors Ă lire avec aviditĂ© et bientĂŽt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations rĂ©centes, tous les Ă©lans encore vagues de mon adolescence qui sâĂ©levaient dans mon Ăąme dâune façon si troublante et qui Ă©taient provoquĂ©s par mon dĂ©veloppement si prĂ©coce, tout cela, soudainement, se prĂ©cipita dans une direction, parut se satisfaire complĂštement de ce nouvel aliment et trouver lĂ son cours rĂ©gulier. BientĂŽt mon cĆur et ma tĂȘte se trouvĂšrent si charmĂ©s, bientĂŽt ma fantaisie se dĂ©veloppa si largement, que jâavais lâair dâoublier tout ce qui mâavait entourĂ©e jusquâalors. Il semblait que le sort lui mĂȘme mâarrĂȘtĂąt sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, Ă laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de mâabandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur dâoĂč je pouvais contempler lâavenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinĂ©e Ă vivre tout cet avenir en lâapprenant dâabord par les livres ; de vivre dans les rĂȘves, les espoirs, la douce Ă©motion de mon esprit juvĂ©nile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que jâavais appris et vĂ©cu jusquâĂ ce jour Ă©tait si noble, si austĂšre, quâune page impure ou mauvaise nâeĂ»t pu dĂ©sormais me sĂ©duire. Mon instinct dâenfant, ma prĂ©cocitĂ©, tout mon passĂ© veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience mâĂ©clairait toute ma vie passĂ©e.
En effet, presque chacune des pages que je lisais mâĂ©tait dĂ©jĂ connue, semblait dĂ©jĂ vĂ©cue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais dĂ©jĂ Ă©prouvĂ©es.
Et comment pouvais-je ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ©e jusquâĂ lâoubli du prĂ©sent, jusquâĂ lâoubli de la rĂ©alitĂ©, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois dâune mĂȘme destinĂ©e, le mĂȘme esprit dâaventure qui rĂšgnent sur la vie de lâhomme, mais qui dĂ©coulent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! Câest cette loi que je soupçonnais, que je tĂąchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait lâair de me prĂ©venir, comme sâil y avait en mon Ăąme quelque chose de prophĂ©tique, et chaque jour lâespoir grandissait, tandis quâen mĂȘme temps croissait de plus en plus mon dĂ©sir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je lâai dĂ©jĂ dit, ma fantaisie lâemportait sur mon impatience, et, en vĂ©ritĂ©, je nâĂ©tais trĂšs hardie quâen rĂȘve ; dans la rĂ©alitĂ©, je demeurais instinctivement timide devant lâavenir.
â
â
Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
â
Ressaisir notre vie ; et aussi la vie des autres ; car le style, pour lâĂ©crivain aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision. Il est la rĂ©vĂ©lation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la diffĂ©rence qualitative quâil y a dans la façon dont nous apparaĂźt le monde, diffĂ©rence qui, sâil nây avait pas lâart, resterait le secret Ă©ternel de chacun.
â
â
Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu)
â
Mais la connaissance du passĂ© rendu vivant et prĂ©sent, oĂč la trouve-t-on ? Eh bien, avant tout, dans la littĂ©rature ! Et lĂ est Ă mes yeux la merveille. On la trouve dans les textes français et Ă©trangers, modernes et anciens. Aussi cela me paraĂźt-il une erreur trĂšs grave que de reprĂ©senter lâenseignement de la littĂ©rature comme une espĂšce dâĂ©lĂ©gance superflue et gratuite. En fait, câest grĂące Ă la littĂ©rature que se forme presque toute notre idĂ©e de la vie ; le dĂ©tour par les textes conduit directement Ă la formation de lâhomme. Ils nous apportent les analyses et les idĂ©es, mais aussi les images, les personnages, les mythes, et les rĂȘves qui se sont succĂ©dĂ© dans lâesprit des hommes ; ils nous ont un jour Ă©mus parce quâils Ă©taient exprimĂ©s ou dĂ©crits avec force ; et câest de cette expĂ©rience que se nourrit la nĂŽtre.
â
â
Jacqueline de Romilly
â
Antonio José Bolivar Îta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d'or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d'un coup de machette, s'y appuya, et prit la direction d'El Idilio, de sa cabane et ses romans qui parlaient d'amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes.
â
â
Luis SepĂșlveda (The Old Man Who Read Love Stories)
â
Il disait ce qu'il pensait, et jugeait perturbant que son interlocuteur n'en fasse pas autant. Certains auraient pu se mĂ©prendre et le trouver simplet. Mais ceux qui vont toujours directement au cĆur des choses ne possĂšdent-ils pas une sorte de gĂ©nie?
â
â
Madeline Miller (The Song of Achilles)
â
Plus la science approfondit la nature du corps dans la direction de sa "rĂ©alitĂ©", plus elle rĂ©duit dĂ©jĂ chaque propriĂ©tĂ© de ce corps, et par consĂ©quent son existence mĂȘme, aux relations qu'il entretient avec le reste de la matiĂšre capable de l'influencer.
â
â
Henri Bergson (Le cerveau et la pensée : Une illusion philosophique)
â
Je feuilletais aussi sans succĂšs toute une bibliothĂšque, dans lâespoir de dĂ©couvrir quelque chose sur Abraxas. Mais ce genre de recherches directes et conscientes nâĂ©tait pas mon affaire. De cette façon, lâon ne trouve que des vĂ©ritĂ©s qui sont comme des pierres dans votre main.
â
â
Hermann Hesse (Demian)
â
Il y a toujours chez les hommes de guerre quelque chose de direct quâils tiennent peut-ĂȘtre de leur habitude de donner la mort. Il faut, pour frapper quelquâun, mĂȘme au combat, se libĂ©rer dâun poids de civilisation qui enferme la plupart dâentre nous dans la faussetĂ© et une douceur forcĂ©e.
â
â
Jean-Christophe Rufin (Le Grand CĆur)
â
Comment en suis-je arrivée là ?
Mais il n'y a pas qu'un seul moment. Il y en a toute une sĂ©rie. Et votre vie peut partir dans des centaines de directions diffĂ©rentes. Peut-ĂȘtre existe-t-il des versions de votre vie correspondant Ă tous les choix que vous avez faits et tous ceux que vous n'avez pas faits.
Peut-ĂȘtre existe-t-il une version de ma vie oĂč je suis bel et bien malade, finalement.
Et une autre oĂč je meurs Ă HawaĂŻ.
Une autre encore oĂč mon pĂšre et mon frĂšre survivent Ă leur accident, et oĂč ma mĂšre n'est pas dĂ©truite.
Il y a peut-ĂȘtre mĂȘme une version de ma vie sans Olly.
Mais ce n'est pas celle-ci.
â
â
Nicola Yoon (Everything, Everything)
â
Ătre heureux, câest apprendre Ă choisir. Non seulement les plaisirs appropriĂ©s mais aussi sa voie, son mĂ©tier, sa maniĂšre de vivre et dâaimer. Choisir ses loisirs, ses amis, les valeurs sur lesquelles fonder sa vie. Bien vivre, câest apprendre Ă ne pas rĂ©pondre Ă toutes les sollicitations, Ă hiĂ©rarchiser ses prioritĂ©s. Lâexercice de la raison permet une mise en cohĂ©rence de notre vie en fonction des valeurs ou des buts que nous poursuivons. Nous choisissons de satisfaire tel plaisir ou de renoncer Ă tel autre parce que nous donnons un sens Ă notre vie â et ce, aux deux acceptions du terme : nous lui donnons Ă la fois une direction et une signification.
â
â
SénÚque
â
Ce principe Ă©tabli, il s'ensuit que la femme est faite spĂ©cialement pour plaire Ă l'homme. Si l'homme doit lui plaire Ă son tour, c'est d'une nĂ©cessitĂ© moins directe : son mĂ©rite est dans sa puissance ; il plaĂźt par cela seul qu'il est fort. Ce n'est pas ici la loi de l'amour, j'en conviens ; mais c'est celle de la nature, antĂ©rieure Ă l'amour mĂȘme.
â
â
Jean-Jacques Rousseau (Emile, or On Education)
â
Une trĂšs jolie jeune fille, traitĂ©e avec des Ă©gards constants et des attentions dĂ©mesurĂ©es par l'ensemble de la population masculine, y compris par ceux - l'immense majoritĂ© - qui n'ont plus aucun espoir d'en obtenir une faveur d'ordre sexuel, et mĂȘme Ă vrai dire tout particuliĂšrement par eux, avec une Ă©mulation abjecte confinant chez certains quinquagĂ©naires au gĂątisme pur et simple, une trĂšs jolie jeune fille devant qui tous les visages s'ouvrent, toutes les difficultĂ©s s'aplanissent, accueillie partout comme si elle Ă©tait la reine du monde, devient naturellement une espĂšce de monstre d'Ă©goĂŻsme et de vanitĂ© autosatisfaite. La beautĂ© physique joue ici exactement Ie mĂȘme rĂŽle que la noblesse de sang sous l'Ancien RĂ©gime, et la brĂšve conscience qu'elles pourraient prendre Ă l'adolescence de l'origine purement accidentelle de leur rang cĂšde rapidement la place chez la plupart des trĂšs jolies jeunes filles Ă une sensation de supĂ©rioritĂ© innĂ©e, naturelle, instinctive, qui les place entiĂšrement en dehors, et largement au-dessus du reste de l'humanitĂ©. Chacun autour d'elle n'ayant pour objectif que de lui Ă©viter toute peine, et de prĂ©venir Ie moindre de ses dĂ©sirs, c'est tout uniment (sic) qu'une trĂšs jolie jeune fille en vient Ă considĂ©rer Ie reste du monde comme composĂ© d'autant de serviteurs, elle-mĂȘme n'ayant pour seule tĂąche que d'entretenir sa propre valeur Ă©rotique - dans l'attente de rencontrer un garçon digne d'en recevoir l'hommage. La seule chose qui puisse la sauver sur le plan moral, c'est d'avoir la responsabilitĂ© concrĂšte d'un ĂȘtre plus faible, d'ĂȘtre directement et personnellement responsable de la satisfaction de ses besoins physiques, de sa santĂ©, de sa survie - cet ĂȘtre pouvant ĂȘtre un frĂšre ou une soeur plus jeune, un animal domestique, peu importe. (La possibilitĂ© d'une Ăźle, Daniel 1,15)
â
â
Michel Houellebecq
â
Jetez sur une Ă©toile un rapide coup d'Ćil, regardez-la obliquement, en tournant vers elle la partie latĂ©rale de la rĂ©tine (beaucoup plus sensible Ă une lumiĂšre faible que la partie centrale), et vous verrez l'Ă©toile plus distinctement; vous aurez l'apprĂ©ciation la plus juste de son Ă©clat, Ă©clat qui s'obscurcit Ă proportion que vous dirigez votre vue en plein sur elle. Dans le dernier cas, il tombe sur l'Ćil un plus grand nombre de rayons; mais dans le premier, il y a une rĂ©ceptibilitĂ© plus complĂšte, une susceptibilitĂ© beaucoup plus vive. Une profondeur outrĂ©e affaiblit la pensĂ©e et la rend perplexe; et il est possible de faire disparaĂźtre VĂ©nus elle-mĂȘme du firmament par une attention trop soutenue, trop concentrĂ©e, trop directe.
â
â
Edgar Allan Poe (Histoires extraordinaires)
â
Seule la littĂ©rature peut vous permettre d'entrer en contact avec l'esprit d'un mort, de maniĂšre plus directe, plus complĂšte et plus profonde que ne le ferait mĂȘme la conversation avec un ami â aussi profonde, aussi durable que soit une amitiĂ©, jamais on ne se livre, dans une conversation, aussi complĂštement qu'on ne le fait devant une feuille vide, s'adressant Ă un destinataire inconnu.
â
â
Michel Houellebecq (Soumission)
â
Au bout d'un parcours cahoteux, l'appareil décolla et elle ressentit quelque chose d'extraordinaire. Le rugissement du moteur se transforma en bourdonnement et elle eu l'impression de flotter. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, ils avaient pris de l'altitude et le monde en dessous avait changé de taille. Rassemblés devant la clÎture, toute la famille agitait la main et rapetissait sans cesse. Puis Billy survola la ville direction Milwaukee.
Pour Fritzi, ce fut une révélation.
â
â
Fannie Flagg (The All-Girl Filling Station's Last Reunion)
â
La conception populiste de la dĂ©mocratie prĂ©sente sur cette base trois caractĂ©ristiques. Elle entend dâabord privilĂ©gier la dĂ©mocratie directe, en appelant notamment Ă multiplier les rĂ©fĂ©rendums dâinitiative populaire ; elle dĂ©fend ensuite le projet dâune dĂ©mocratie polarisĂ©e, dĂ©nonçant le caractĂšre non dĂ©mocratique des autoritĂ©s non Ă©lues et des cours constitutionnelles. Elle exalte enfin, et câest le point nodal, une conception immĂ©diate et spontanĂ©e de lâexpression populaire.
â
â
Pierre Rosanvallon (Le SiÚcle du populisme: Histoire, théorie, critique (French Edition))
â
Ils se laissĂšrent porter en direction du nord, vers la gare de Perdido. Ils tournaient lentement, revigorĂ©s par cette prĂ©sence urbaine massive, profane, en dessous d'eux, par ce lieu fĂ©cond, grouillant, tel qu'aucun de leurs semblables n'en avait jamais connu jusque lĂ . Partout, le moindre secteur â ponts obscurs, hĂŽtels particuliers vieux de cinq siĂšcles, bazars tortueux, entrepĂŽts de bĂ©ton, tours, pĂ©niches d'habitation, taudis rĂ©pugnants et parcs au cordeau â grouillait de nourriture. C'Ă©tait une jungle dĂ©pourvue de prĂ©dateurs. Un terrain de chasse.
â
â
China Miéville (Perdido Street Station: Tome 1)
â
Il est possible qu'Ă des Ă©poques antĂ©rieures, oĂč les ours Ă©taient nombreux, la virilitĂ© ait pu jouer un rĂŽle spĂ©cifique et irremplaçable; mais depuis quelques siĂšcles, les hommes ne servaient visiblement Ă peu prĂšs plus Ă rien. Ils trompaient parfois leur ennui en faisant des parties de tennis, ce qui Ă©taient un moindre mal; mais parfois aussi ils estimaient utile de faire avancer l'histoire, c'est-Ă -dire essentiellement de provoquer des rĂ©volutions et des guerres. Outre les souffrances absurdes qu'elles provoquaient, les rĂ©volutions et les guerres dĂ©truisaient le meilleurs du passĂ©, obligeant Ă chaque fois Ă faire table rase pour rebĂątir. Non inscrite dans le cours rĂ©gulier d'une ascension progressive, l'Ă©volution humaine acquĂ©rait ainsi un tour chaotique, dĂ©structurĂ©, irrĂ©gulier et violent. Tout cela les hommes (avec leur goĂ»t du risque et du jeu, leur vanitĂ© grotesque, leur irresponsabilitĂ©, leur violence fonciĂšre) en Ă©taient directement et exclusivement responsables. Un monde composĂ© de femmes serait Ă tous points de vue infiniment supĂ©rieur; il Ă©voluerait plus lentement, mais avec rĂ©gularitĂ©, sans retours en arriĂȘre et sans remises en cause nĂ©fastes, vers un Ă©tat de bonheur commun.
â
â
Michel Houellebecq
â
Câest une folie de haĂŻr toutes les roses parce que une Ă©pine vous a piquĂ©, dâabandonner tous les rĂȘves parce que lâun dâentre eux ne sâest pas rĂ©alisĂ©, de renoncer Ă toutes les tentatives parce quâon a Ă©choué⊠C âest une folie de condamner toutes les amitiĂ©s parce quâune dâelles vous a trahi, de ne croire plus en lâamour juste parce quâun dâentre eux a Ă©tĂ© infidĂšle, de jeter toutes les chances dâĂȘtre heureux juste parce que quelque chose nâest pas allĂ© dans la bonne direction. Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a toujours un nouveau dĂ©part.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry
â
En rĂ©alitĂ©, dĂšs que Lyautey est arrivĂ© au Maroc, connaissant lâappĂ©tit des colons de lâOranie, il a tout fait pour cloisonner le pays. Tous ceux qui lâont suivi se sont aussi efforcĂ©s quâil nây ait pas de contact direct entre lâAlgĂ©rie et le Maroc. Plus encore, quand on entre dans le dĂ©tail, on se rend compte que les colons français au Maroc Ă©taient les concurrents directs de ceux de lâOranie. Tout ceci pour une raison simple : le Maroc et lâAlgĂ©rie ne dĂ©pendaient pas de la mĂȘme administration. Nous dĂ©pendions du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres alors que les AlgĂ©riens Ă©taient rattachĂ©s au ministĂšre de lâIntĂ©rieur.
â
â
Űčۚۯ ۧÙÙÙ Ű§ÙŰč۱ÙÙ
â
Vous considérez les textes sacrés comme des contes, des épopées grandioses. Plus vous étudiez, moins vous y croyez.
Un autre clin d'Ćil et vous avez vingt-quatre ans. Vous parcourez l'Europe en pensant - en espĂ©rant - que cette expĂ©rience vous stimulera, qu'avoir un aperçu du vaste monde rendra le vĂŽtre plus net. Ce sera le cas, au dĂ©but. Mais vous n'avez ni emploi ni avenir. Une fois terminĂ© l'intermĂšde, votre compte bancaire est vide et vous n'avez toujours rien trouvĂ©.
Nouveau clin dâĆil. Ă vingt-six ans, vous ĂȘtes convoquĂ© dans le bureau du doyen de la facultĂ©. Voyant que vous n'avez plus le cĆur Ă l'ouvrage, il vous conseille de changer de voie et vous assure que vous finirez par trouver votre vocation. Tout le problĂšme est lĂ : vous n'avez jamais ressenti d'appel pour quoi que ce soit. Pas de poussĂ©e violente dans une direction prĂ©cise, mais une succession de lĂ©gers mouvements dans une multitude de directions qui, Ă prĂ©sent, vous semblent toutes hors de portĂ©e.
Au clin dâĆil suivant, vous avez vingt-huit ans. Alors que tous les autres ont dĂ©jĂ bien avancĂ© sur la route, vous en ĂȘtes encore Ă chercher votre chemin. L'ironie de la situation ne vous aura pas Ă©chappĂ© : en voulant vivre, apprendre et vous trouver, vous vous ĂȘtes perdu.
â
â
Victoria Schwab (The Invisible Life of Addie LaRue)
â
Il y a un moment dans sa vie oĂč on a Ă traverser des crises. Quelque chose vient Ă vous et vous dit : âsi tu continues dans cette direction tu vas te renier complĂštement. Dâaccord, cela semble plus sĂ»r, mais tu vas te renier.â On continue par devoir, par fidĂ©litĂ©, mais aussi par une secrĂšte lĂąchetĂ©, tout en sachant bien, au fond de soi, que lâon est en train de se renier. La question centrale consiste Ă se demander non pas si je suis fidĂšle mais : Ă quoi le suis-je ? Quâest-ce qui nous semble le plus important ? Cette question provoque souvent une crise et chaque ĂȘtre humain dans sa vie y est un jour ou lâautre confrontĂ©.
â
â
Fabrice Midal
â
Le dĂ©veloppement des connaissances prĂ©historiques et archĂ©ologiques tend Ă Ă©taler dans l'espace des formes de civilisation que nous Ă©tions portĂ©s Ă imaginer comme Ă©chelonnĂ©es dans le temps. Cela signifie deux choses : d'abord que le "progrĂšs" (si ce terme convient encore pour dĂ©signer une rĂ©alitĂ© trĂšs diffĂ©rente de celle Ă laquelle on l'avait d'abord appliquĂ©) n'est ni nĂ©cessaire, ni continue ; il procĂšde par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas Ă aller toujours plus loin dans la mĂȘme direction ; ils s'accompagnent de changements d'orientation, un peu Ă la maniĂšre du cavalier des Ă©checs qui a toujours Ă sa disposition plusieurs progressions mais jamais dans le mĂȘme sens. L'humanitĂ© en progrĂšs ne ressemble guĂšre Ă un personnage gravissant un escalier, ajoutant par chacun de ses mouvements une marche nouvelle Ă toutes celles dont la conquĂȘte lui est acquise ; elle Ă©voque plutĂŽt le joueur dont la chance est rĂ©partie sur plusieurs dĂ©s et qui, chaque fois qu'il les jette, les voit s'Ă©parpiller sur le tapis, amenant autant de comptes diffĂ©rents. Ce que l'on gagne sur un, on est toujours exposĂ© Ă le perdre sur l'autre, et c'est seulement de temps Ă autre que l'histoire est cumulative, c'est-Ă -dire que les comptes s'additionnent pour former une combinaison favorable. (p.29-30)
â
â
Claude Lévi-Strauss (Race et histoire)
â
Ces derniĂšres dĂ©cennies, le rĂ©fĂ©rendum a souvent Ă©tĂ© mis en avant comme un moyen efficace de rĂ©former la dĂ©mocratie. Ă une Ă©poque oĂč la sociĂ©tĂ© sâindividualise et oĂč la sociĂ©tĂ© civile pĂšse moins lourd quâautrefois, il a paru utile Ă beaucoup dâobservateurs de demander directement Ă la population son avis sur des dossiers controversĂ©s. Les rĂ©fĂ©rendums sur la Constitution europĂ©enne aux Pays-Bas, en France et en Irlande ont quelque peu refroidi le zĂšle en faveur de ce mode de dĂ©cision. Pourtant, il bĂ©nĂ©ficie encore dâune grande popularitĂ©, comme en tĂ©moignent les rĂ©fĂ©rendums projetĂ©s sur lâautonomie de la Catalogne et de lâĂcosse, et sur le retrait du Royaume-Uni de lâUnion europĂ©enne. Les rĂ©fĂ©rendums et la dĂ©mocratie dĂ©libĂ©rative sont apparentĂ©s dans la mesure oĂč, dans un cas comme dans lâautre, le citoyen ordinaire est consultĂ©, mais les mĂ©canismes sont pour le reste totalement opposĂ©s : lors dâun rĂ©fĂ©rendum, on demande Ă tout le monde de voter sur un sujet Ă propos duquel, le plus souvent, peu de gens sont informĂ©s ; lors dâun projet dĂ©libĂ©ratif, on demande Ă un Ă©chantillon reprĂ©sentatif de la population de dĂ©libĂ©rer sur un sujet Ă propos duquel il obtient le plus dâinformations possible. Lors dâun rĂ©fĂ©rendum, les gens rĂ©agissent encore trĂšs souvent avec leurs tripes ; lors dâune dĂ©libĂ©ration, câest une opinion publique Ă©clairĂ©e qui sâexprime.
â
â
David Van Reybrouck (Tegen verkiezingen)
â
La terreur irrationnelle transforme en choses les hommes, "bacilles planĂ©taires" selon la formule de Hitler. Elle se propose la destruction, non seulement de la personne, mais des possibilitĂ©s universelles de la personne, la rĂ©flexion, la solidaritĂ©, l'appel vers l'amour absolu. La propagande, la torture, sont des moyens directs de dĂ©sintĂ©gration; plus encore la dĂ©chĂ©ance systĂ©matique, l'amalgame avec le criminel cynique, la complicitĂ© force. Celui qui tue ou torture ne connait q'une ombre a sa victoire: il ne peut pas se sentir innocent: Il lui faut donc crĂ©er la culpabilitĂ© chez la victime elle-mĂȘme pour que, dans un monde sans direction, la culpabilitĂ© gĂ©nĂ©rale ne lĂ©gitime plus que l'exercice de la force, ne consacre plus que le succĂšs. Quand l'idĂ©e d'innocence disparaĂźt chez l'innocent lui-mĂȘme, la valeur de puissance rĂšgne dĂ©finitivement sur un monde dĂ©sespĂ©rĂ©. C'est pourquoi une ignoble et cruelle pĂ©nitence rĂšgne sur ce monde oĂč seuls les pierres sont innocentes. Les condamnĂ©s sont obligĂ©s de se prendre les uns les autres. Le ci pur de la maternitĂ© est lui-mĂȘme tuĂ©, comme chez cette mĂšre grecque q'un officier força de choisir celui de ses trois fils qui serait fusillĂ©. C'est ainsi qu'on est enfin libre. La puissance de tuer et d'avilir sauve lâĂąme servile du nĂ©ant. La libertĂ© allemande se chante alors, au son d'orchestre de bagnards, dans les camps de la mort.
â
â
Albert Camus (The Rebel)
â
MalgrĂ© leur nombre et un siĂšcle de recherches, l'Ă©criture libyque garde encore aujourd'hui une grande partie de ses secrets. En effet, ces inscriptions demeurent pour l'essentiel indĂ©chiffrĂ©s, mĂȘme si quelques-unes bilingues ont apportĂ© quelques lueurs. "Aussi, c'est sans surprise que l'on constate qu'il a pu rĂ©gner chez certains auteurs, un doute tenace quant Ă la parentĂ© du libyque et du berbĂšre. ... C'est pourquoi L. Galand en arrivait Ă se demander si ces inscriptions libyques (ou, du moins, un certain nombre d'entre elles) n'Ă©taient pas rĂ©digĂ©es dans une langue qui n'aurait pas de rapports directs avec le berbĂšre". Il faut espĂ©rer qu'un jour, les spĂ©cialistes en libyque pourront apporter une solution Ă ce problĂšme.
â
â
Ait Ali Yahia Samia (Les stĂšles Ă inscriptions libyques de la Grande Kabylie)
â
Nous entrerons demain dans la nuit. Que mon pays soit encore quand reviendra le jour ! Que faut-il faire pour le sauver ? Comment Ă©noncer une solution simple ? Les nĂ©cessitĂ©s sont contradictoires. Il importe de sauver lâhĂ©ritage spirituel, sans quoi la race sera privĂ©e de son gĂ©nie. Il importe de sauver la race, sans quoi lâhĂ©ritage sera perdu. Les logiciens, faute dâun langage qui concilierait les deux sauvetages, seront tentĂ©s de sacrifier ou lâĂąme, ou le corps. Mais je me moque bien des logiciens. Je veux que mon pays soit â dans son esprit et dans sa chair â quand reviendra le jour. Pour agir selon le bien de mon pays il me faudra peser Ă chaque instant dans cette direction, de tout mon amour. Il nâest point de passage que la mer ne trouve, si elle pĂšse.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry
â
Dans un monde d'ultracommunication manipulĂ©e, oĂč les peuples sont gouvernĂ©s et orientĂ©s par les mensonges d'une poignĂ©e d'individus qui ne servent que leurs propres intĂ©rĂȘts, la paranoĂŻa ne serait-elle pas l'instrument de survie moderne ?
Je rencontre bien gens sur le net. Beaucoup considĂšrent la race humaine comme un troupeau de moutons qui paĂźt sagement, chaque ĂȘtre faisant comme tous les autres sans se soucier de ce qui l'entoure ou de la direction dans laquelle ll va. Parmi celles et ceux qui parlent ainsi, certains sourient Ă mes propos, je les appelle les "chiens de berger" car ils pensent avoir suffisamment de connaissances et d'intelligence pour manoeuvrer au-dessus du troupeau. Ils pensent ĂȘtre assez fins pour ne pas se faire manoeuvrer eux-mĂȘmes. L'intelligence n'a rien Ă voir lĂ -dedans.
C'est de la vigilance qu'il faut. Et cette touche de paranoïa désormais salvatrice.
â
â
Maxime Chattam (Les Arcanes du chaos (Le Cycle de l'homme, #1))
â
Quant Ă la question de savoir si un tribunal saisi d'un litige relatif Ă un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur peut apprĂ©cier d'office le caractĂšre abusif d'une clause de ce contrat, il convient de rappeler que le systĂšme de protection mis en Ćuvre par la directive europĂ©enne repose sur l'idĂ©e que le consommateur se trouve dans une situation d'infĂ©rioritĂ© Ă l'Ă©gard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de nĂ©gociation que le niveau d'information. L'objectif poursuivi par la directive, qui impose aux Ătats membres de prĂ©voir que des clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait ĂȘtre atteint si ces derniers se trouvaient dans l'obligation d'en soulever eux-mĂȘmes le caractĂšre abusif. Il s'ensuit qu'une protection efficace du consommateur ne peut ĂȘtre atteinte que si le juge national se voit reconnaĂźtre la facultĂ© d'apprĂ©cier d'office une telle clause.
â
â
Emmanuel CarrĂšre (D'autres vies que la mienne)
â
et anti-humains, que toute chose belle est essentiellement inutile ; mais il se proposait surtout pour objet la rĂ©futation de ce quâil appelait spirituellement la grande hĂ©rĂ©sie poĂ©tique des temps modernes. Cette hĂ©rĂ©sie, câest lâidĂ©e dâutilitĂ© directe. On voit quâĂ un certain point de vue Edgar Poe donnait raison au mouvement romantique français. Il disait : « Notre esprit possĂšde des facultĂ©s Ă©lĂ©mentaires dont le but est diffĂ©rent. Les unes sâappliquent Ă satisfaire la rationalitĂ©, les autres perçoivent les couleurs et les formes, les autres remplissent un but de construction. La logique, la peinture, la mĂ©canique sont les produits de ces facultĂ©s. Et, comme nous avons des nerfs pour aspirer les bonnes odeurs, des nerfs pour sentir les belles couleurs, et pour nous dĂ©lecter au contact des corps polis, nous avons une facultĂ© Ă©lĂ©mentaire pour percevoir le beau ; elle a son but Ă elle et ses moyens Ă elle. La poĂ©sie est le produit de cette faculté ; elle sâadresse au sens du beau et non Ă un autre. Câest
â
â
Charles Baudelaire (Oeuvres complĂštes et annexes)
â
La Grande Terreur ne fut ni la premiĂšre vague dâarrestations en Union soviĂ©tique, ni la plus grande : les prĂ©cĂ©dents accĂšs de terreur avaient Ă©tĂ© largement dirigĂ©s contre les paysants et les minoritĂ©s ethniques, notamment ceux qui vivaient Ă proximitĂ© de la frontiĂšre soviĂ©tique. Mais elle fut la premiĂšre Ă viser la haute direction du Parti, et suscita un profond malaise chez les communistes, au pays comme Ă lâĂ©tranger. Le moment venu, la Grande Terreur aurait pu conduire Ă une vĂ©ritable dĂ©sillusion. Mais, par un effet du hasard, la Seconde Guerre mondiale sauva le stalinisme â et Staline. MalgrĂ© le chaos et les erreurs, malgrĂ© les morts en masse et lâimmensitĂ© des destructions, la victoire conforta la lĂ©gitimitĂ© du sytĂšme et de son dirigeant, en « prouvant » la valeur. Au lendemain de la victoire, le culte quasi religieux de Staline atteignit de nouveaux sommets. La propagande soviĂ©tique dĂ©crivit le leader soviĂ©tique comme « lâincarnation de leur hĂ©roĂŻsme, de leur patriotisme et de leur dĂ©vouement Ă la Patrie socialiste »
â
â
Anne Applebaum (Iron Curtain: The Crushing of Eastern Europe 1944-1956)
â
Les travaux dâAlexander Todorov sont loin dâĂȘtre les seuls Ă avoir mis en Ă©vidence une influence dĂ©terminante de lâapparence physique. Dâautres Ă©tudes se sont, par exemple, concentrĂ©es directement sur lâimpact quâa la beautĂ© sur les relations sociales. LĂ aussi, les rĂ©sultats sont frappants. De nombreuses expĂ©riences ont montrĂ© que les individus considĂ©rĂ©s comme « beaux » sont aussi perçus globalement comme plus sociaux, plus puissants et plus compĂ©tents. Ils reçoivent plus facilement de lâaide lorsquâils en ont besoin. Sâils sont confrontĂ©s Ă la justice, ils ont tendance Ă ĂȘtre moins facilement jugĂ©s coupables et, quand ils sont condamnĂ©s, Ă©copent dâune sentence moins sĂ©vĂšre. Enfin, pour ce qui nous intĂ©resse directement : une Ă©tude a montrĂ© que les personnes jugĂ©es belles emportent plus facilement la conviction de leurs interlocuteurs. Cet impact massif de la beautĂ© sur les interactions sociales est une application directe de lâeffet de halo. Il a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ© en une formule cruelle, mais Ă©loquente : « Ce qui est beau nous paraĂźt bon10. »
â
â
Clément Viktorovitch (Le Pouvoir rhétorique: Apprendre à convaincre et à décrypter les discours)
â
Celles et ceux qui, aujourd'hui, voient des inconvĂ©nients Ă vivre dans ce laboratoire se heurtent souvent Ă l'incomprĂ©hension et Ă la dĂ©sapprobation de leurs contemporains. On leur reproche de remettre en question une sociĂ©tĂ© technicienne dont ils sont par ailleurs dĂ©pendants et dont ils apprĂ©cient le confort - mĂȘme si cet argument perd de sa portĂ©e au fur et Ă mesure que la crise Ă©cologique a des effets toujours plus directs et flagrants. Cette logique rappelle les tentatives pour faire taire les patients qui critiquent le systĂšme mĂ©dical, sous prĂ©texte que leur santĂ© et parfois leur vie en dĂ©pendent. Elle nous culpabilise et nous condamne Ă la soumission, Ă la rĂ©signation. Pouvons-nous ĂȘtre tenus pour responsables de la sociĂ©tĂ© dans laquelle nous avons vu le jour et par rapport Ă laquelle notre marge de manĆuvre est inĂ©vitablement limitĂ©e ? En tirer argument pour nous interdire de la critiquer aboutit Ă nous lier les mains face Ă la catastrophe, Ă dĂ©sarmer la pensĂ©e, et plus largement, Ă Ă©touffer l'imagination, l'envie et la capacitĂ© de se rappeler que les choses ne sont pas condamnĂ©es Ă ĂȘtre ce qu'elles sont. (p. 221)
â
â
Mona Chollet (SorciÚres : La puissance invaincue des femmes)
â
Cette qualitĂ© de la joie nâest-elle pas le fruit le plus prĂ©cieux de la civilisation qui est nĂŽtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matĂ©riels. Mais nous ne sommes pas un bĂ©tail Ă lâengrais. La prospĂ©ritĂ© et le confort ne sauraient suffire Ă nous combler. Pour nous qui fĂ»mes Ă©levĂ©s dans le culte du respect de lâhomme, pĂšsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fĂȘtes merveilleusesâŠ
Respect de lâhomme ! Respect de lâhomme !⊠LĂ est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-mĂȘme ; il refuse les contradictions crĂ©atrices, ruine tout espoir dâascension, et fonde pour mille ans, en place dâun homme, le robot dâune termitiĂšre. Lâordre pour lâordre chĂątre lâhomme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-mĂȘme. La vie crĂ©e lâordre, mais lâordre ne crĂ©e pas la vie.
Il nous semble, Ă nous, bien au contraire, que notre ascension nâest pas achevĂ©e, que la vĂ©ritĂ© de demain se nourrit de lâerreur dâhier, et que les contradictions Ă surmonter sont le terreau mĂȘme de notre croissance. Nous reconnaissons comme nĂŽtres ceux mĂȘmes qui diffĂšrent de nous. Mais quelle Ă©trange parenté ! elle se fonde sur lâavenir, non sur le passĂ©. Sur le but, non sur lâorigine. Nous sommes lâun pour lâautre des pĂšlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le mĂȘme rendez-vous.
Mais voici quâaujourdâhui le respect de lâhomme, condition de notre ascension, est en pĂ©ril. Les craquements du monde moderne nous ont engagĂ©s dans les tĂ©nĂšbres. Les problĂšmes sont incohĂ©rents, les solutions contradictoires. La vĂ©ritĂ© dâhier est morte, celle de demain est encore Ă bĂątir. Aucune synthĂšse valable nâest entrevue, et chacun dâentre nous ne dĂ©tient quâune parcelle de la vĂ©ritĂ©. Faute dâĂ©vidence qui les impose, les religions politiques font appel Ă la violence. Et voici quâĂ nous diviser sur les mĂ©thodes, nous risquons de ne plus reconnaĂźtre que nous nous hĂątons vers le mĂȘme but.
Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction dâune Ă©toile, sâil se laisse trop absorber par ses problĂšmes dâescalade, risque dâoublier quelle Ă©toile le guide. Sâil nâagit plus que pour agir, il nâira nulle part. La chaisiĂšre de cathĂ©drale, Ă se prĂ©occuper trop Ăąprement de la location de ses chaises, risque dâoublier quâelle sert un dieu. Ainsi, Ă mâenfermer dans quelque passion partisane, je risque dâoublier quâune politique nâa de sens quâĂ condition dâĂȘtre au service dâune Ă©vidence spirituelle. Nous avons goĂ»tĂ©, aux heures de miracle, une certaine qualitĂ© des relations humaines : lĂ est pour nous la vĂ©ritĂ©.
Quelle que soit lâurgence de lâaction, il nous est interdit dâoublier, faute de quoi cette action demeurera stĂ©rile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de lâhomme. Pourquoi nous haĂŻrions-nous Ă lâintĂ©rieur dâun mĂȘme camp ? Aucun dâentre nous ne dĂ©tient le monopole de la puretĂ© dâintention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route quâun autre a choisie. Je puis critiquer les dĂ©marches de sa raison. Les dĂ©marches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de lâEsprit, sâil peine vers la mĂȘme Ă©toile.
Respect de lâHomme ! Respect de lâHomme !⊠Si le respect de lâhomme est fondĂ© dans le cĆur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le systĂšme social, politique ou Ă©conomique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde dâabord dans la substance. Elle est dâabord, dans lâhomme, dĂ©sir aveugle dâune certaine chaleur. Lâhomme ensuite, dâerreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
â
En arrivant Ă Albany, nous nous rendĂźmes directement vers un grand bĂątiment moderne. Avec ses nombreuses vitres, son grand hall et ses standardistes, il ressemblait Ă n'importe quel immeuble de bureaux et collait parfaitement avec l'amĂ©nagement urbain de ce quartier de la ville. J'imaginais que c'Ă©tait exactement l'effet escomptĂ© par les potioneuses qui mettaient un point d'honneur Ă ne jamais se faire remarquer par les humains depuis la sombre Ă©poque des chasses aux sorciĂšres organisĂ©es par lâĂglise catholique en Europe.
- Tu es certaine que c'est lĂ ?
- Tu t'attendait Ă quoi ? A une vieille bĂątisse au fond d'un cimetiĂšre ?
- Pourquoi un cimetiĂšre ? Les potioneuses ne communiquent pas avec les esprits que je sache ?
Je levai les yeux au ciel.
- C'est fou ce que tu peux ĂȘtre vieux jeu parfois, tu sais ?
- J'ai le droit de trouver que ça manque d'originalitĂ©, tout de mĂȘme ?
- Pas la peine d'épiloguer là -dessus, de toute façon je vais le cramer.
Elle me jeta un regard surpris.
- Quoi ?
- Ben l'immeuble, je vais le cramer, répondis-je.
- Rebecca, c'est pas parce que je trouve qu'un Ă©difice a un style d'architecture un peu trop banal ou aseptisĂ© Ă mon goĂ»t quâil faut te sentir obligĂ©e de l'incendier... souligna-t-elle tandis que je sortais de la voiture en riant.
Dix minutes plus tard, le grimoire était en cendre, l'immeuble en flammes et le conseil des Huit entiÚrement décimé.
â
â
Cassandra O'Donnell (Potion macabre (Rebecca Kean, #3))
â
On les appelle, en roumain « CofetÄrii », mot qui vient de « cofeturi », signifiant en vieux roumain bonbons, douceurs ; Ă son tour le mot « cofeturi » vient de lâitalien « confetto », soit directement soit par lâintermĂ©diaire du grec moderne. Dans le Tarif de 1727, dressĂ© par les Autrichiens pour la province dâOltĂ©nie, mais qui indique les marchandises importĂ©es par toute la Valachie, donc en premier lieu par Bucarest, nous apprenons que les douceurs Ă©taient de trois sortes : vĂ©nitiennes, allemandes et turques. Dans la liste des patentes bucarestoises de 1832, nous trouvons 15 « coferati » pĂątissiers ; il y en avait davantage en rĂ©alitĂ© et leur produits Ă©taient particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©s. Leurs louanges sont chantĂ©s non seulement par lâauteur dâune description de Bucarest publiĂ© dans « lâAlmanach dâOdessa » de 1840, mais aussi par le Français Fr. Jourdain dans « lâIllustration » Ă lâoccasion de la participation de la Roumanie Ă lâExposition Internationale de Paris. Lâart roumain de la pĂątisserie et de la confiserie sâest enrichi sans cesse, en empruntant Ă dâautres peuples divers produits et diverses maniĂšres de les prĂ©parer, souvent en les perfectionnant. Outre lâinfluence turque et grecque â plus ancienne â lâinfluence française dans ce domaine a Ă©tĂ© trĂšs grande au XIXe siĂšcle, ce qui a dĂ©terminĂ© toute une terminologie : « bomboane », « caramele », « sirop », « cremÄ», « nuga », « fondante » â mots qui nâont pas besoin dâĂȘtre traduits â il faut Ă©galement mentionner une certaine influence allemande et une autre, italienne, surtout en ce qui concerne les glaces et les sorbets.
â
â
Constantin C. Giurescu
â
Plus tard, un jeune professeur de philosophie, rompu Ă l'analyse logique, fit, sans le vouloir peut-ĂȘtre, la thĂ©orie de cette pratique politique (*). Il la dĂ©voila avec la plus grande clartĂ©, prĂ©cisĂ©ment parce que, Ă©tant un pur logicien et de bonne foi, il Ă©tait aveugle aux leçons de l'histoire (2). Au lieu de mettre cette pratique au compte d'une Ă©poque, d'un pays, d'une structure social ou d'un homme, il la mit directement en relation avec les prĂ©ceptes de la religion. Il alla jusqu'Ă faire l'apologie de la 'ubudiyya (servitude) islamique, opposĂ© au concept de muwatana (citoyennetĂ©) hellĂ©nique. Ce professeur ignorait sans doute que le procĂšs de la modernitĂ© et de la dĂ©mocratie Ă©tait courant au 19e siĂšcle, mĂȘme en Angleterre, patrie du libĂ©ralisme politique. Il n'avait qu'Ă revenir Ă l'autobiographie du cardinal Newman, qui retrace les Ă©tapes de sa conversion au catholicisme romain, pour retrouver l'essentiel de son argumentation. Ce qu'on peut lui reprocher, c'est qu'il se souciait peu des mobiles de sa pensĂ©e ; il s'attribuait une logique qui Ă©tait celle des faits, non celle des concepts qu'il s'acharnait Ă redĂ©finir ; il ne voyait pas qu'elle soutenait une politique Ă©ducative, poursuivie par diffĂ©rents moyens depuis plus d'une gĂ©nĂ©ration. Qu'un philosophe se dĂ©cide, Ă une certaine Ă©tape de sa carriĂšre, de s'affilier Ă l'un des ordres les plus fermĂ©s Ă l'influence du monde moderne, qu'il arrive par la seule force de ses dĂ©ductions - c'est du moins ce que je prĂ©sume, peut-ĂȘtre Ă tort - Ă justifier une totale dĂ©mission de l'esprit, Ă refuser l'idĂ©e de citoyennetĂ©, Ă accepter d'investir un homme, chef d'Etat ou dirigeant de confrĂ©rie, d'une pouvoir absolu, prouve Ă quel point cette politique avait rĂ©ussi et combien l'individu est mallĂ©able.
(*)créer, ou de recréer un type d'homme qui fut spontanément en phase à la fois avec son environement moderne et son héritage politique et social."
(2) (Hawla Tajdid Taqyim A-turath)
chapitre XI, pp 133-134
â
â
Űčۚۯ ۧÙÙÙ Ű§ÙŰč۱ÙÙ (Le Maroc et Hassan II : Un tĂ©moignage)
â
Bergson, on s'en souvient, voyait dans l'Ă©volution l'expression d'une force crĂ©atrice, absolue en ce sens qu'il ne la supposait pas tendue Ă une autre fin que la crĂ©ation en elle-mĂȘme et pour elle-mĂȘme. En cela il diffĂšre radicalement des animistes (qu'il s'agisse d'Engels, de Teilhard ou des positivistes optimistes tels que Spencer) qui tous voient dans l'Ă©volution le majestueux dĂ©roulement d'un programme inscrit dans la trame mĂȘme de l'Univers. Pour eux, par consĂ©quent, l'Ă©volution n'est pas vĂ©ritablement crĂ©ation, mais uniquement 'rĂ©vĂ©lation' des intentions jusque-lĂ inexprimĂ©es de la nature. D'oĂč la tendance Ă voir dans le dĂ©veloppement embryonnaire une Ă©mergence de mĂȘme ordre que l'Ă©mergence Ă©volutive. Selon la thĂ©orie moderne, la notion de 'rĂ©vĂ©lation' s'applique au dĂ©veloppement Ă©pigĂ©nĂ©tique, mais non, bien entendu, Ă l'Ă©mergence Ă©volutive qui, grĂące prĂ©cisĂ©ment au fait qu'elle prend sa source dans l'imprĂ©visible essentiel, est crĂ©atrice de nouveautĂ© absolue. Cette convergence apparente entre les voies de la mĂ©taphysique bergsonienne et celles de la science serait-elle encore l'effet d'une pure coĂŻncidence? Peut-ĂȘtre pas: Bergson, en artiste et poĂšte qu'il Ă©tait, trĂšs bien informĂ© par ailleurs des sciences naturelles de son temps, ne pouvait manquer d'ĂȘtre sensible Ă l'Ă©blouissante richesse de la biosphĂšre, Ă la variĂ©tĂ© prodigieuse des formes et des comportements qui s'y dĂ©ploient, et qui paraissent tĂ©moigner presque directement, en effet, d'une prodigalitĂ© crĂ©atrice inĂ©puisable, libre de toute contrainte.
Mais lĂ oĂč Bergson voyait la preuve la plus manifeste que le 'principe de la vie' est l'Ă©volution elle-mĂȘme, la biologie moderne reconnaĂźt, au contraire, que toutes les propriĂ©tĂ©s des ĂȘtres vivants reposent sur un mĂ©canisme fondamental de conservation molĂ©culaire. Pour la thĂ©orie moderne l'Ă©volution n'est nullement une propriĂ©tĂ© des ĂȘtres vivants puisqu'elle a sa racine dans les imperfections mĂȘmes du mĂ©canisme conservateur qui, lui, constitute bien leur unique privilĂšge. Il faut donc dire que la mĂȘme source de perturbations, de 'bruit', qui, dans un systĂšme non vivant, c'est-Ă -dire non rĂ©plicatif, abolirait peu Ă peu toute structure, est Ă l'origine de l'Ă©volution dans la biosphĂšre, et rend compte de sa totale libertĂ© crĂ©atrice, grĂące Ă ce conservatoire du hasard, sourd au bruit autant qu'Ă la musique: la structure rĂ©plicative de l'ADN.
â
â
Jacques Monod (Chance and Necessity: An Essay on the Natural Philosophy of Modern Biology)
â
Le monde dâaujourdâhui est un chaos dâopinions et dâaspirations dĂ©sordonnĂ©es : le soi-disant « monde libre » est un chaos fluide ; la partie totalitaire du monde moderne est un chaos rigide. Par opposition, le monde ancien constituait toujours un ordre, câest-Ă -dire une hiĂ©rarchie de concepts, chacun au niveau qui lui est propre. Le chaos a Ă©tĂ© provoquĂ©, nous lâavons vu, par le « tĂ©lescopage » humaniste de la hiĂ©rarchie jusquâau niveau psychique, et par lâintrusion, dans les considĂ©rations terrestres, dâaspirations vers lâautre monde, frustrĂ©es et perverties.
Lâhomme, en raison de sa vĂ©ritable nature, ne peut pas ne pas adorer ; si sa perspective est coupĂ©e du plan spirituel, il trouvera un « dieu » Ă adorer Ă un niveau infĂ©rieur, dotant ainsi quelque chose de relatif ce qui seul appartient Ă lâAbsolu. DâoĂč lâexistence aujourdâhui de tant de « mots tout-puissants » comme « libertĂ© », « Ă©galitĂ© », « instruction », « science », « civilisation », mots quâil suffit de prononcer pour quâune multitude dâĂąmes se prosterne en une adoration infra-rationnelle.
Les superstitions de la libertĂ© et de lâĂ©galitĂ© ne sont pas seulement le rĂ©sultat mais aussi, en partie, la cause du dĂ©sordre gĂ©nĂ©ral, car chacune, Ă sa maniĂšre, est une rĂ©volte contre la hiĂ©rarchie ; et elles sont dâautant plus pernicieuses quâelles sont des perversions de deux des Ă©lans les plus Ă©levĂ©s de lâhomme. Corruptio optimi pessima, la corruption du meilleur est la pire ; mais il suffit de rĂ©tablir lâordre ancien, et les deux idoles en question sâĂ©vanouiront de ce monde (laissant ainsi la place aux aspirations terrestres lĂ©gitimes vers la libertĂ© et lâĂ©galitĂ©) et, transformĂ©es, reprendront leur place au sommet mĂȘme de la hiĂ©rarchie.
Le dĂ©sir de libertĂ© est avant tout dĂ©sir de Dieu, la LibertĂ© Absolue Ă©tant un aspect essentiel de la DivinitĂ©. Ainsi, dans lâHindouisme, lâĂ©tat spirituel suprĂȘme qui marque la fin de la voie mystique est dĂ©signĂ© par le terme de dĂ©livrance (moksha), car câest un Ă©tat dâunion (yoga) avec lâAbsolu, lâInfini et lâĂternel, qui permet lâaffranchissement des liens de la relativitĂ©. Câest Ă©videmment, avant tout, cet affranchissement auquel le Christ faisait rĂ©fĂ©rence lorsquâil disait : « Recherchez la connaissance, car la connaissance vous rendra libre », Ă©tant donnĂ© que la connaissance directe, la Gnose, signifie lâunion avec lâobjet de la connaissance, câest-Ă -dire avec Dieu. (pp. 59-60)
â
â
Martin Lings (Ancient Beliefs and Modern Superstitions)
â
moi je suis fĂąchĂ© contre notre cercle patriarcal parce quâil y vient toujours un homme du type le plus insupportable. Vous tous, messieurs, le connaissez trĂšs bien. Son nom est LĂ©gion. Câest un homme qui a bon coeur, et nâa rien quâun bon coeur. Comme si câĂ©tait une chose rare Ă notre Ă©poque dâavoir bon coeur ; comme si, enfin, on avait besoin dâavoir bon coeur ; cet Ă©ternel bon coeur ! Lâhomme douĂ© dâune si belle qualitĂ© a lâair, dans la vie, tout Ă fait sĂ»r que son bon coeur lui suffira pour ĂȘtre toujours content et heureux. Il est si sĂ»r du succĂšs quâil nĂ©glige tout autre moyen en venant au monde. Par exemple, il ne connaĂźt ni mesure ni retenue. Tout, chez lui, est dĂ©bordant, Ă coeur ouvert. Cet homme est enclin Ă vous aimer soudain, Ă se lier dâamitiĂ©, et il est convaincu quâaussitĂŽt, rĂ©ciproquement, tous lâaimeront, par ce seul fait quâil sâest mis Ă aimer tout le monde. Son bon coeur nâa mĂȘme jamais pensĂ© que câest peu dâaimer chaudement, quâil faut possĂ©der lâart de se faire aimer, sans quoi tout est perdu, sans quoi la vie nâest pas la vie, ni pour son coeur aimant ni pour le malheureux que, naĂŻvement, il a choisi comme objet de son attachement profond. Si cet homme se procure un ami, aussitĂŽt celui-ci se transforme pour lui en un meuble dâusage, quelque chose comme un crachoir. Tout ce quâil a dans le coeur, nâimporte quelle saletĂ©, comme dit Gogol, tout sâenvole de la langue et tombe dans le coeur de lâami. Lâami est obligĂ© de tout Ă©couter et de compatir Ă tout. Si ce monsieur est trompĂ© par sa maĂźtresse, ou sâil perd aux cartes, aussitĂŽt, comme un ours, il fond, sans y ĂȘtre invitĂ©, sur lâĂąme de lâami et y dĂ©verse tous ses soucis. Souvent il ne remarque mĂȘme pas que lâami lui-mĂȘme a des chagrins par-dessus la tĂȘte : ou ses enfants sont morts, ou un malheur est arrivĂ© Ă sa femme, ou il est excĂ©dĂ© par ce monsieur au coeur aimant. Enfin on lui fait dĂ©licatement sentir que le temps est splendide et quâil faut en profiter pour une promenade solitaire. Si cet homme aime une femme, il lâoffensera mille fois par son caractĂšre avant que son coeur aimant le remarque, avant de remarquer (si toutefois il en est capable) que cette femme sâĂ©tiole de son amour, quâelle est dĂ©goĂ»tĂ©e dâĂȘtre avec lui, quâil empoisonne toute son existence. Oui, câest seulement dans lâisolement, dans un coin, et surtout dans un groupe que se forme cette belle oeuvre de la nature, ce « spĂ©cimen de notre matiĂšre brute », comme disent les AmĂ©ricains, en qui il nây a pas une goutte dâart, en qui tout est naturel. Un homme pareil oublie â il ne soupçonne mĂȘme pas â, dans son inconscience totale, que la vie est un art, que vivre câest faire oeuvre dâart par soi-mĂȘme ; que ce nâest que dans le lien des intĂ©rĂȘts, dans la sympathie pour toute la sociĂ©tĂ© et ses exigences directes, et non dans lâindiffĂ©rence destructrice de la sociĂ©tĂ©, non dans lâisolement, que son capital, son trĂ©sor, son bon coeur, peut se transformer en un vrai diamant taillĂ©.
â
â
Fyodor Dostoevsky
â
ROMĂO. â Elle parle : oh, parle encore, ange brillant ! car lĂ oĂč tu es, au-dessus de ma tĂȘte, tu me parais aussi splendide au sein de cette nuit que lâest un messager ailĂ© du ciel aux-regards Ă©tonnĂ©s des mortels ; lorsque rejetant leurs tĂȘtes en arriĂšre, on ne voit plus que le blanc de leurs yeux, tant leurs prunelles sont dirigĂ©es-en haut pour le contempler, pendant quâil chevauche sur les nuages Ă la marche indolente et navigue sur le sein de lâair.
JULIETTE. â Ă RomĂ©o, RomĂ©o ! pourquoi es-tu RomĂ©o ? Renie ton pĂšre, ou rejette ton nom ; ou si tu ne veux pas, lie-toi seulement par serment Ă mon amour, et je ne serai pas plus longtemps une Capulet.
ROMĂO, Ă part. â En entendrai-je davantage, ou rĂ©pondrai-je Ă ce quâelle rient de dire
JULIETTE. â Câest ton nom seul qui est mon ennemi. AprĂšs tout tu es toi-mĂȘme, et non un Montaigu. Quâest-ce quâun Montaigu ? Ce nâest ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un, visage, ni toute autre partie du corps appartenant Ă un homme. Oh ! porte un autre nom ! Quây a-t-il dans un nom ? La fleur que nous nommons la rose, sentirait tout aussi bon sous un autre nom ; ainsi RomĂ©o, quand bien mĂȘme il ne serait pas appelĂ© RomĂ©o, nâen garderait pas moins la prĂ©cieuse perfection : quâil possĂšde. Renonce Ă ton nom RomĂ©o, et en place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi toute entiĂšre.
ROMĂO. â Je te prends au mot : appelle-moi seulement : ton amour, et je serai rebaptisĂ©, et dĂ©sormais je ne voudrai plus ĂȘtre RomĂ©o.
JULIETTE. â Qui es-tu, toi qui, protĂ©gĂ© par la nuit, viens ainsi surprendre les secrets de mon Ăąme ?
ROMĂO. â Je ne sais de quel nom me servir pour te dire qui je suis : mon nom, chĂšre sainte, mâest odieux Ă moi-mĂȘme, parce quâil tâest ennemi ; sâil Ă©tait Ă©crit, je dĂ©chirerais le mot quâil forme.
JULIETTE. â Mes oreilles nâont pas encore bu cent paroles de cette voix, et cependant jâen reconnais le son nâes-tu pas RomĂ©o, et un Montaigu ?
ROMĂO. â Ni lâun, ni lâautre, belle vierge, si lâun ou lâautre te dĂ©plaĂźt.
JULIETTE. â Comment es-tu venu ici, dis-le-moi, et pourquoi ? Les murs du jardin sont Ă©levĂ©s et difficiles Ă escalader, et considĂ©rant qui tu es, cette place est mortelle pour toi, si quelquâun de mes parents tây trouve.
ROMĂO. â Jâai franchi ces murailles avec les ailes lĂ©gĂšres de lâamour, car des limites de pierre ne peuvent arrĂȘter lâessor de lâamour ; et quelle chose lâamour peut-il oser quâil ne puisse aussi exĂ©cuter ? tes parents ne me, sont donc pas un obstacle.
JULIETTE. â Sâils te voient, ils tâassassineront.
ROMĂO. â HĂ©las ! il y a plus de pĂ©rils, dans tes yeux que dans vingt de leurs Ă©pĂ©es : veuille seulement abaisser un doux regard sĂ»r moi, et je suis cuirassĂ© contre leur inimitiĂ©.
JULIETTE. â Je ne voudrais pas, pour le monde entier, quâils te vissent ici.
ROMĂO. â Jâai le manteau de la nuit pour me dĂ©rober Ă leur vue et dâailleurs, Ă moins que tu ne mâaimes, ils peuvent me trouver, sâils veulent : mieux vaudrait que leur haine mĂźt fin Ă ma vie, que si ma mort Ă©tait retardĂ©e, sans que jâeusse ton amour ;
JULIETTE. â Quel est celui qui tâa enseignĂ© la direction de cette place ?
ROMĂO. â Câest lâAmour, qui mâa excitĂ© Ă la dĂ©couvrir ; il mâa prĂȘtĂ© ses conseils, et je lui ai prĂȘtĂ© mes yeux. Je ne suis pas pilote ; cependant fusses-tu aussi Ă©loignĂ©e que le vaste rivage baignĂ© par la plus lointaine nier, je mâaventurerais pour une marchandise telle que toi.
â
â
William Shakespeare (Romeo and Juliet)
â
L'« amitiĂ© » de nos amis est du paternalisme : une bienveillance qui comporte nĂ©cessairement une bonne dose de mĂ©pris, mieux, une bienveillance qui ne s'explique que par le mĂ©pris. Ils se mĂȘlent de nos affaires parce qu'ils nous estiment incapables de nous en occuper. Mais « ce n'est pas tout » : la vĂ©ritĂ© - une autre vĂ©ritĂ© - c'est qu'ils ne peuvent se rĂ©signer, eux qui sont les premiers partout, Ă ne plus l'ĂȘtre aussi lĂ ; or, lĂ , ils ne peuvent manifestement pas l'ĂȘtre. Leur bienveillance n'est qu'une tentative de garder une place, de n'ĂȘtre pas exclus. Il existe une raison objective et majeure Ă leur tentative de contrĂŽler la direction des mouvements : la peur qu'ils ne se dirigent contre eux ; mais de surcroĂźt une tendance imprimĂ©e en eux dĂšs leur naissance, et devenue une seconde nature, est plus forte qu'eux : il faut que cette place soit leur place, et leur place c'est devant. (p. 154)
â
â
Christine Delphy (L'ennemi principal (Tome 1) : économie politique du patriarcat)
â
George Orwell est au front, engagé dans les troupes du POUM [...], combattant, parmi les Espagnols, l'armée franquiste. L'engagement d'Orwell est d'abord le fruit d'expériences directes, personnelles, des conditions de vie des plus démunis, des combats meurtriers cristallisant l'antagonisme entre une idéologie libérale, progressiste et une idéologie fasciste, totalitaire. Son engagement n'est donc pas doctrinaire, il est plus empirique, tiré des leçons de l'expérience. [...] il évoque l'origine de son engagement socialiste : ' Je me suis rallié au socialisme plus par dégoût de l'oppression, du délaissement qui était le lot des franges les plus pauvres des ouvriers de l'industrie, que par administration théorique pour une société planifiée.
â
â
Mériam Korichi (Animal Farm)
â
L'industrie du transport façonne son produit : l'usage. ChassĂ© du monde oĂč les personnes sont douĂ©es d'autonomie, il a aussi perdu l'impression de se trouver au centre du monde. Il a conscience de manque de plus en plus de temps, bien qu'il utilise chaque jour la voiture, le train, l'autobus, le mĂ©tro et l'ascenseur, le tout pour franchir en moyenne trente kilomĂštres, souvent dans un rayon de moins de dix kilomĂštres. Le sol se dĂ©robe sous ses pieds, il est clouĂ© Ă la roue. Qu'il prenne le mĂ©tro ou l'avion, il a toujours le sentiment d'avancer moins vite ou moins bien que les autres et il est jaloux des raccourcis qu'empruntent les privilĂ©giĂ©s pour Ă©chapper Ă l'exaspĂ©ration créée par la circulation. EnchaĂźnĂ© Ă l'horaire de son train de banlieue, il rĂȘve d'avoir une auto. ĂpuisĂ© par les embouteillages aux heures de pointe, il envie le riche qui se dĂ©place Ă contre-sens. Il paie sa voiture de sa poche, mais il sait trop bien que le PDG utilise les voitures de l'entreprise, fait passer son essence dans les frais gĂ©nĂ©raux ou se fait louer une voiture sans bourse dĂ©lier. L'usager se trouve tout au bas de l'Ă©chelle oĂč sans cesse augmentent l'inĂ©galitĂ©, le manque de temps et sa propre impuissance, mais pour y mettre fin il s'accroche Ă l'espoir fou d'obtenir plus de la mĂȘme chose : une circulation amĂ©liorĂ©e par des transports plus rapides. Il rĂ©clame des amĂ©liorations techniques des vĂ©hicules, des voies de circulation et des horaires ; ou bien il appelle de ses vĆux une rĂ©volution qui organise des transports publics rapides en nationalisant les moyens de transport. Jamais il ne calcule le prix qu'il lui en coĂ»tera pour ĂȘtre ainsi vĂ©hiculĂ© dans un avenir meilleur. Il oublie que de toute accĂ©lĂ©ration supplĂ©mentaire il payera lui-mĂȘme la facture, sous forme d'impĂŽts directs ou de taxes multiples. Il ne mesure pas le coĂ»t indirect du remplacement des voitures privĂ©es par des transports publics aussi rapides. Il est incapable d'imaginer les avantages apportĂ©s par l'abandon de l'automobile et le recours Ă la force musculaire de chacun.
â
â
Ivan Illich (Energy and Equity)
â
Ainsi donc, en mĂȘme temps que la loi permet au peuple amĂ©ricain de tout faire, la religion l'empĂȘche de tout concevoir et lui dĂ©fend de tout oser. La religion, qui, chez les AmĂ©ricains, ne se mĂȘle jamais directement au gouvernement de la sociĂ©tĂ©, doit donc ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la premiĂšre de leurs institutions politiques; car si elle ne leur donne pas le goĂ»t de la libertĂ©, elle leur en facilite singuliĂšrement l'usage.
â
â
Alexis de Tocqueville (De La DĂ©mocratie En AmĂ©rique (INCLUANT TOUS LES TOMES, ANNOTĂ DâUNE BIOGRAPHIE))
â
L'histoire, la grande histoire, n'est jamais ce qu'en pensent ceux qui la subissent, aveuglĂ©s Ă dessein comme ils se trouvent par ses meneurs occultes. Le secret agissant de la grande histoire il faut le chercher dans les raisons vivantes de ceux qui la font et la dĂ©font, dans le silence et dans les tĂ©nĂšbres du dessous des cartes, loin du regard et hors de l'attention des masses, et ceux-lĂ savent que l'histoire avance ou recule, qu'elle s'illumine et s'obscurcit, chaque fois, suivant le travail intĂ©rieur d'une volontĂ© qui, elle, se maintient au-delĂ du cours de l'histoire, une volontĂ© transhistorique". Il s'agit lĂ d'une perspective non conventionnelle de la marche de l'histoire, ce que Julius Evola appelait la "quatriĂšme dimension" de l'histoire. Et, dans le mĂȘme article, je poursuivais : "C'est sous le jour de cette conception intĂ©riorisante de l'histoire qu'il faudra savoir - savoir d'avance, tout est la -qui, en Union SoviĂ©tique, finira par l'emporter, Ă l'heure voulue, sur l'autre camp, implacablement, pour s'engager aussitĂŽt Ă changer - dans un sens ou dans l'autre - la direction et jusqu'Ă la face mĂȘme de l'histoire du monde. Aujourd'hui comme hier, tel est le but unique : changer la face du monde.
â
â
Jean Parvulesco
â
Tout en acceptant ces descriptions, il faut rĂ©cuser lâidĂ©e, quâelles risquent de suggĂ©rer, dâune dĂ©termination directe par les conditions Ă©conomiques et politiques : câest Ă partir de la position bien particuliĂšre quâils occupent dans le microcosme littĂ©raire que les Flaubert, Baudelaire, Renan, Leconte de Lisle ou Goncourt apprĂ©hendent une conjoncture politique qui, saisie Ă travers les catĂ©gories de perception inhĂ©rentes Ă leurs dispositions, licite et sollicite leur inclination Ă lâindĂ©pendance (que dâautres conditions historiques auraient pu rĂ©primer ou neutraliser, par exemple en renforçant, comme Ă la veille et au lendemain de 1848, les positions dominĂ©es dans le champ littĂ©raire et dans le champ social).
â
â
Pierre Bourdieu (Les RÚgles de l'art. GenÚse et structure du champ littéraire (LIBRE EXAMEN) (French Edition))
â
Sa place Ă©tait derriĂšre son pupitre. Il avait dĂ©nichĂ© ce dernier Ă la cave au cours dâune de ses premiĂšres journĂ©es Ă la direction de lâOpĂ©ra de Vienne, au magasin des accessoires, entre une colonne romaine en papier mĂąchĂ© et un tas de coupons de tissus Ă moitiĂ© mitĂ©s. CâĂ©tait un vieux chĂąssis de bois bancal, rongĂ© de vers, avec une planche sommairement clouĂ©e en guise de plateau, mais câest prĂ©cisĂ©ment cette fonctionnalitĂ© prosaĂŻque qui lui avait plu, il lâavait dĂ©poussiĂ©rĂ© de ses mains avec un chiffon de laine et montĂ© dans la fosse dâorchestre, oĂč ce mĂȘme pupitre lui avait rendu de modestes mais loyaux services pendant toute la durĂ©e de son mandat. Lorsquâil avait dĂ©missionnĂ© de son poste de directeur, dix ans plus tard, il avait la ferme conviction que câĂ©tait justement ce pupitre qui lui avait permis de supporter sans dommages majeurs les avanies viennoises, aussi le fit-il â en dĂ©pit de la rĂ©sistance acharnĂ©e dâAlma, qui lâabhorrait pour des « raisons dâesthĂ©tique » et suggĂ©rait immanquablement chaque hiver dâen faire du petit bois â expĂ©dier Ă New York. DĂšs quâil prenait place derriĂšre son pupitre, il ressentait une assurance et un sentiment de sĂ©curitĂ© quâil nâĂ©prouvait nulle part ailleurs. Le pupitre lâavait vu mĂ»rir, il avait Ă©tĂ© le compagnon de son Ă©volution de chef dâorchestre.
â
â
Robert Seethaler (Der letzte Satz)
â
Passer Ă la violence' -celle de l'action directe et de la revendication sans compromission- est ainsi liĂ© au constat que la revendication d'une Ă©galitĂ© civile et civique ne peut ĂȘtre adressĂ©e pacifiquement Ă l'Ă©tat puisque ce dernier est le principal instigateur des inĂ©galitĂ©s, qu'il est vain de lui demander justice car il est prĂ©cisĂ©ment l'instance premiĂšre qui institutionnalise l'injustice sociale, qu'il est donc illusoire de se mettre sous sa protection puisqu'il produit ou soutient les mĂȘmes dispositifs qui vulnĂ©rabilisent , qu'il est mĂȘme insensĂ© de s'en remettre Ă lui pour nous dĂ©fendre puisqu'il est prĂ©cisĂ©ment celui qui arme ceux qui nous frappent
â
â
Elsa Dorlin (Se défendre, une philosophie de la violence)
â
â Nous avons dĂ©jĂ causĂ© beaucoup plus de dĂ©gĂąts avec moins dâhommes, fit-il avec une Ćillade en direction de son ami.
â
â
Barbara Kloss (A Symphony of Stars (The Gods of Men, #3))
â
Les premiers consommateurs payent pour les autres; en dâautres mots, ils subventionnent les prochains utilisateurs. Donc, merci Ă toi qui fais la file Ă minuit pour acheter la nouvelle version du gadget, car tu me permets implicitement dâacheter Ă mon tour lâĂ©quivalent de ton produit dans quelque temps, mais Ă une fraction du prix. La prochaine fois, pourquoi ne pas envoyer un don directement Ă la classe moyenne et attendre quelques mois?
â
â
Pierre-Yves McSween (En as-tu vraiment besoin?)
â
Maintenez votre entourage dans lâincertitude et le flou en ne rĂ©vĂ©lant jamais le but qui se cache derriĂšre vos actions. Sâils nâont aucune idĂ©e de ce que vous prĂ©voyez, ils ne pourront pas prĂ©parer de dĂ©fense. Guidez-les assez loin dans une autre direction, enveloppez-les dâun Ă©cran de fumĂ©e et quand ils perceront Ă jour vos desseins, il sera trop tard.
â
â
Robert Greene (Power, les 48 lois du pouvoir : l'édition condensée (French Edition))
â
Ce que les amĂ©ricains ont fait pour le mont Washington, les Suisses se sont hĂątĂ©s de l'imiter pour le Rigi, au centre de ce panorama si grandiose de leurs lacs et de leurs montagnes. Ils l'ont fait aussi pour l'Utli ; ils le feront pour d'autres monts encore, ils en ramĂšneront pour ainsi dire les cimes au niveau de la plaine. La locomotive passera de vallĂ©e en vallĂ©e par-dessus les sommets, comme passe un navire en montant et en descendant comme sur les vagues de la mer. Quant aux monts tels que les hautes cimes des Andes et de l'Himalaya, trop Ă©levĂ©es dans la rĂ©gion du froid pour que l'homme puisse y monter directement, le jour viendra oĂč il saura pourtant les atteindre.
â
â
ĂlisĂ©e Reclus (Histoire d'une montagne)
â
Lorsquâon observe des transcriptions de classe pendant les temps collectifs, quel que soit le niveau de classe, on constate que 75 % du temps environ est occupĂ© par la parole de lâenseignant. La plupart des productions orales des Ă©lĂšves sont prises en sandwich entre une question (« Qui⊠? », « Pourquoi ? ») et une Ă©valuation (« Pas tout Ă fait⊠», « Le Nil est le plus long oui trĂšs bien⊠»). Les interventions de lâenseignant sont des consignes, des directives comportementales, des informations complĂ©mentaires, et sâadressent tantĂŽt Ă lâensemble de la classe, tantĂŽt Ă un Ă©lĂšve ou plusieurs Ă©lĂšves dĂ©signĂ©s. Si 75 % du temps est occupĂ© par la parole de lâenseignant, cela conduit mathĂ©matiquement Ă un partage des 25 % de lâespace de production orale restant entre Ă©lĂšves. Sâils sont 25, et tous gentils et polis, ils auront 1 % chacunâŠ
Lâexpression « cours dialoguĂ© » est une erreur. Un dialogue se dĂ©roule Ă deux, si on parle de cours dialoguĂ©, alors on considĂšre lâensemble des Ă©lĂšves comme un seul homme. Or les Ă©lĂšves forment un groupe classe Ă gĂ©omĂ©trie variable : de petits groupes de travail, des groupes dâaffinitĂ©s, des groupes de niveau, des individualitĂ©s juxtaposĂ©es. Le flot de paroles et la situation dâinterlocution Ă plus de 25 obligent les Ă©lĂšves Ă sâadapter au fil continu de la dĂ©finition des rĂŽles interlocutifs dans la classe. En effet, câest quasi Ă chaque tour de parole que lâenseignant dĂ©finit ceux qui seront simples tĂ©moins dâun Ă©change, et ceux qui seront directement concernĂ©s par une requĂȘte. (p. 20)
â
â
Nathalie Francols (Profs et élÚves, apprendre ensemble - Situations quotidiennes à comprendre et à dénouer)
â
Mais, dans leur lutte contre lâAcadĂ©mie, les peintres (et en particulier les « refusĂ©s ») pouvaient sâappuyer sur tout le travail dâinvention collectif (commencĂ© avec le romantisme) de la figure hĂ©roĂŻque de lâartiste en lutte, rebelle dont lâoriginalitĂ© se mesure Ă lâincomprĂ©hension dont il est victime ou au scandale quâil suscite. Mais ils ont aussi reçu le soutien direct des Ă©crivains, depuis longtemps affranchis de lâautoritĂ© acadĂ©mique qui, dĂšs le XVIIe siĂšcle, leur avait assurĂ© une identitĂ© reconnue mais en leur assignant une fonction limitĂ©e, et, en tout cas, dĂ©finie du dehors. Les Ă©crivains ont renvoyĂ© aux peintres une image exaltĂ©e de la rupture hĂ©roĂŻque quâils Ă©taient en train dâaccomplir et, surtout, ils ont portĂ© Ă lâordre du discours les dĂ©couvertes que les peintres Ă©taient en train de faire en pratique, en matiĂšre dâart de vivre notamment.
â
â
Pierre Bourdieu (Les RÚgles de l'art. GenÚse et structure du champ littéraire (LIBRE EXAMEN) (French Edition))
â
(...) une femme marche directement dans la peinture et glisse. Elle roule sur elle-mĂȘme. Tout son corps se couvre de bleu. Elle est lĂ , sur le sol, confuse. (...) "Heureusement que le trottoir n'est pas la PropriĂ©tĂ© du SupermarchĂ© Bio", dit ma Team Leader avant de s'Ă©loigner.
â
â
L.A. Warman (Whore Foods)
â
Joe Biden et Kamala Harris ont rĂ©pĂ©tĂ© Ă qui voulait lâentendre que lâĂ©quitĂ© raciale Ă©tait au cĆur de lâaction de leur administration. Plaçant lâĂ©quitĂ© en opposition directe Ă lâĂ©galitĂ©, Kamala Harris a ainsi proclamé : « Je suis fiĂšre de me tenir aux cĂŽtĂ©s du prĂ©sident Joe Biden pour faire de lâĂ©quitĂ© lâune des pierres angulaires de la vision de cette administration31. » Il nâest donc guĂšre surprenant que Biden, dĂšs son premier jour Ă la prĂ©sidence, ait signĂ© un dĂ©cret qui oblige « le gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă sâengager dans une approche globale en vue de la promotion de lâĂ©quité » par lâadoption dâun « programme ambitieux dâĂ©quitĂ© impliquant tout le gouvernement »32. Afin de promouvoir lâĂ©quitĂ©, les DĂ©mocrates promettent dâĂ©laborer des politiques « conscientes de la race » et « sensibles Ă la race »33. En pratique, ce que signifie ĂȘtre « consciente de la race » pour une mesure est trĂšs variable. Parfois, cela consiste simplement Ă sâassurer quâelle nâaura pas dâeffet discriminant, comme une loi qui obligerait les motocyclistes Ă porter des casques et nâinclurait aucune exception pour les sikhs, tenus de porter leur turban pour raisons religieuses34. Mais, de plus en plus, ces mesures varient en fonction de la couleur de peau (ou de la composition ethnique de son lieu de rĂ©sidence)35 du citoyen auquel elles sâappliquent.
â
â
Yascha Mounk (Le piÚge de l'identité: Comment une idée progressiste est devenue une idéologie mortifÚre)
â
Le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaßt le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun.
â
â
Marcel Proust (A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU - Ădition intĂ©grale en 2 volumes - VOLUME I: Du cĂŽtĂ© de chez Swann - Ă l'ombre des jeunes filles en fleurs - Le cĂŽtĂ© de guermantes)
â
Disent cela, je dĂ©signe dĂ©jĂ une des directions de cet essai : la constance dâune rĂ©fĂ©rence aux MĂ©moire diverses de la ville, mĂ©moires oubliĂ©es ou rejetĂ©es, brisĂ©es ou confuse qui sont le milieu naturel de lâurbanitĂ© et comme son aire de comprĂ©hension, un Ă©ther qui lâenveloppe.
â
â
Anne Cauquelin (Essai de philosophie urbaine)
â
Nous pensons que la lutte organisĂ©e et consciente entreprise par un peuple colonisĂ© pour rĂ©tablir la souverainetĂ© de la nation constitue la manifestation la plus pleinement culturelle qui soit. Ce n'est pas uniquement le succĂšs de la lutte qui donne par la suite validitĂ© et vigueur Ă la culture, il n'y a pas de mise en hibernation de la culture pendant le combat. La lutte elle-mĂȘme, dans son dĂ©roulement, dans son processus interne dĂ©velppe les diffĂ©rentes directions de la culture et en esquisse de nouvelles. La lutte de libĂ©ration ne restitue pas Ă la culture nationale sa valeur et ses contours anciens. Cette lutte qui vise Ă la une redistribution fondamentale des rapports entre les hommes ne peut laisser intacts ni les formes ni les contenus culturels de ce peuple. AprĂšs la lutte il n'y a pas seulement disparition du colonialisme mais aussi disparition du colonisĂ©.
â
â
Frantz Fanon (Ecrits contre le colonialisme (Coffret en 2 volumes : Les damnés de la terre ; Pour la révolution africaine))
â
Autant que la littĂ©rature, la musique peut dĂ©terminer un bouleversement, un renversement Ă©motif, une tristesse ou une extase absolues ; autant que la littĂ©rature, la peinture peut gĂ©nĂ©rer un Ă©merveillement, un regard neuf portĂ© sur le monde. Mais seule la littĂ©rature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l'intĂ©gralitĂ© de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idĂ©es fixes, ses croyances ; avec tout ce qui l'Ă©meut, l'intĂ©resse, l'excite ou lui rĂ©pugne. Seule la littĂ©rature peut vous permettre d'entrer en contact avec l'esprit d'un mort, de maniĂšre plus directe, plus complĂšte et plus profonde que ne le ferait mĂȘme la conversation avec un ami â aussi profonde, aussi durable que soit une amitiĂ©, jamais on ne se livre, dans une conversation, aussi complĂštement qu'on ne le fait devant une feuille vide, s'adressant Ă un destinataire inconnu. Alors bien entendu, lorsqu'il est question de littĂ©rature, la beautĂ© du style, la musicalitĂ© des phrases ont leur importance ; la profondeur de la rĂ©flexion de l'auteur, l'originalitĂ© de ses pensĂ©es ne sont pas Ă dĂ©daigner ; mais un auteur c'est avant tout un ĂȘtre humain, prĂ©sent dans ses livres, qu'il Ă©crive trĂšs bien ou trĂšs mal en dĂ©finitive importe peu, l'essentiel est qu'il Ă©crive et qu'il soit, effectivement, prĂ©sent dans ses livres (il
â
â
Michel Houellebecq (Soumission)
â
La police nationale a justement inauguré, lundi 19  janvier, une sous-direction à la lutte contre la cybercriminalité (SDLC), avec 75  personnes.
â
â
Anonymous
â
On connaĂźt la considĂ©rable contribution de la psychanalyse Ă cette bĂȘtise modernisĂ©e. Le seul effet de la cure psychanalytique Ă©tait dĂ©jĂ de transformer le patient en analyste, capable de gloser indĂ©finiment sur ses malheurs. Et la psychanalyse peut bien dĂ©cliner en tant que petit commerce,elle s'est pleinement rĂ©alisĂ©e dans la fausse conscience de ce temps: le commentaire perpĂ©tuel et « l'analyse interminable» sont pris en charge par tout un chacun, dans l'impuissance gĂ©nĂ©rale Ă intervenir sur sa vie, Ă trancher. A ceux qui ne trouvent pas eux mĂȘmes leurs raisons dans ce qu'ils vivent directement, il faut toujours plus d'idĂ©es pour ne pas vivre: ils perfectionnent sans cesse leur ignorance au prĂšs des experts, c'est-Ă -dire de ceux qu'ils croient tels. L'existence n'est plus alors qu'une longue suite de« stages de formation» au cours desquels on accumule des connaissances, on thĂ©saurise des capacitĂ©s, pour la jouissance d'une vie imaginaire.
L'Encyclopédie des Nuisances, N°7.
â
â
Encyclopedie des Nuisances
â
Question dâune influence directe du mazdĂ©isme sur le judaĂŻsme naissant est plus difficile Ă rĂ©soudre. On constate, par exemple, dans de nombreux psaumes de lâĂ©poque perse ainsi que dans dâautres textes, que Yhwh est prĂ©sentĂ© comme trĂŽnant au milieu de lâassemblĂ©e cĂ©leste et dĂ©passant tous les autres dieux, qui sont de fait dĂ©gradĂ©s en « anges » ou en « saints
â
â
Thomas Römer (The Invention of God)
â
La Russie et lâEurope (publiĂ© en volume sĂ©parĂ© en 1871), Danilevski propose une union de tous les Slaves sous la direction de la Russie. Ce projet est dâabord motivĂ©, dâaprĂšs lui, par lâimpossibilitĂ© pour son pays de faire partie de lâEurope. La Russie est dâaprĂšs lui trop originale, trop diffĂ©rente, pour sâallier Ă lâOccident. Un premier facteur lâen empĂȘche, sa taille : âOn ne peut nier que la Russie soit trop Ă©norme et trop puissante pour ĂȘtre seulement lâune des grandes puissances europĂ©ennes
â
â
Michel Eltchaninoff (Dans la tĂȘte de Vladimir Poutine)
â
Et au loin, comme Frodon passait l'Anneau Ă son doigt et le revendiquait pour sien, mĂȘme dans les
Sammath Naur, coeur mĂȘme du royaume, la Puissance de Barad-dĂ»r fut Ă©branlĂ©e et la Tour trembla de ses fondations Ă son fier et ultime couronnement. Le Seigneur TĂ©nĂ©breux fut soudain averti de sa prĂ©sence, et son oeil, perçant toutes les ombres, regarda par-dessus la plaine la porte qu'il avait faite, l'ampleur de sa propre folie lui fut rĂ©vĂ©lĂ©e en un Ă©clair aveuglant et tous les stratagĂšmes de ses ennemis lui apparurent enfin Ă nu. Sa colĂšre s'embrasa en un feu dĂ©vorant, mais sa peur s'Ă©leva comme une vaste fumĂ©e noire pour l'Ă©touffer. Car il
connaissait le pĂ©ril mortel oĂč il Ă©tait et le fil auquel son destin Ă©tait maintenant suspendu.
Son esprit se libĂ©ra de toute sa politique et de ses trames de peur et de perfidie, de tous ses stratagĂšmes et de ses guerres, un frĂ©missement parcourut tout son royaume, ses esclaves flĂ©chirent, ses armĂ©es s'arrĂȘtĂšrent, et ses capitaines, soudain sans direction, hĂ©sitĂšrent et dĂ©sespĂ©rĂšrent. Car ils Ă©taient oubliĂ©s. Toute la pensĂ©e et toutes les fins de la Puissance qui les conduisait Ă©taient Ă prĂ©sent tournĂ©es avec une force irrĂ©sistible vers la Montagne. A son appel, vibrant avec un cri dĂ©chirant, volĂšrent en une derniĂšre course dĂ©sespĂ©rĂ©e les NazgĂ»l, les Chevaliers Servants de l'Anneau, qui, en un ouragan d'ailes, s'Ă©lançaient en direction du Sud, vers la Montagne du Destin.
â
â
J.R.R. Tolkien
â
Câest ainsi que, par exemple, lâidĂ©e de lâInfini, qui est en rĂ©alitĂ© la plus positive de toutes, puisque lâInfini ne peut ĂȘtre que le tout absolu, ce qui, nâĂ©tant limitĂ© par rien, ne laisse rien en dehors de soi, cette idĂ©e disons-nous, ne peut sâexprimer que par un terme de forme nĂ©gative, parce que, dans le langage, toute affirmation directe est forcĂ©ment lâaffirmation de quelque chose, câest-Ă -dire une affirmation particuliĂšre et dĂ©terminĂ©e ; mais la nĂ©gation dâune dĂ©termination ou dâune limitation est proprement la nĂ©gation dâune nĂ©gation, donc une affirmation rĂ©elle, de sorte que la nĂ©gation de toute dĂ©termination Ă©quivaut au fond Ă lâaffirmation absolue et totale.
â
â
René Guénon (Introduction to the Study of the Hindu Doctrines)
â
L'autre fait notable, c'est qu'un mĂ©diatique a dĂ©sormais le droit de plaisanter avec son outil professionnel, en certains cas. Un gĂ©nĂ©ral, par exemple, n'avait pas le droit de plaisanter Ă la tĂȘte de ses troupes, ou un juge en prononçant ses sentences, et je ne sais mĂȘme pas s'il est encore tout Ă fait permis au respon-sable d'une centrale oĂč l'on produit l'Ă©nergie nuclĂ©aire de plaisanter, au sens propre du mot, Ă l'instant oĂč il fait connaĂźtre ses directives. Mais il est littĂ©ralement hors de doute qu'un mĂ©diatique ne peut ĂȘtre privĂ© de ce droit. C'est un salariĂ© remarquablement spĂ©cial, qui ne reçoit d'ordre de personne, et qui sait tout sur tous les sujets dont il veut parler. Il porte donc, suivant sa dĂ©ontologie, qu'il ne saurait trahir sans hideuse concussion, littĂ©ralement toute la conscience de l'Ă©poque. S'il n'avait pas le droit de plaisanter, oĂč serait donc la libertĂ© de la presse et, partant, la dĂ©mocratie elle-mĂȘme?
â
â
Guy Debord (Cette mauvaise réputation...)
â
Pour votre question concernant la vie du ProphĂšte, la conception la plus orthodoxe est que lâimpeccabilitĂ© appartient rĂ©ellement Ă tous les prophĂštes, de sorte que, si mĂȘme il se trouve dans leurs actions quelque chose qui peut sembler choquant, cela mĂȘme doit sâexpliquer par des raisons qui dĂ©passent le point de vue de lâhumanitĂ© ordinaire (Ă un degrĂ© moindre, cela sâapplique aussi aux actions de tous ceux qui ont atteint un certain degrĂ© dâinitiation). Dâun autre cĂŽtĂ©, la mission dâun rasĂ»l, par lĂ mĂȘme quâelle sâadresse Ă tous les hommes indistinctement, implique une façon dâagir oĂč nâapparaissent pas les rĂ©alisations dâordre Ă©sotĂ©rique (ce qui constitue dâailleurs une sorte de sacrifice pour celui qui est revĂȘtu de cette mission). Câest pourquoi certains disent aussi que ce qui serait le plus intĂ©ressant au point de vue initiatique, sâil Ă©tait possible de le connaĂźtre exactement, câest la pĂ©riode de la vie de Mohammed antĂ©rieure Ă la risĂąlah (et ceci sâapplique Ă©galement Ă la « vie cachĂ©e » du Christ par rapport Ă sa « vie publique » : ces deux expressions, en elles-mĂȘmes, sâaccordent du reste tout Ă fait avec ce que je viens de dire et lâindiquent presque explicitement). II est dâailleurs bien entendu que les considĂ©rations historiques nâont pas dâintĂ©rĂȘt en elles-mĂȘmes, mais seulement par ce quâelles traduisent de certaines vĂ©ritĂ©s doctrinales. Enfin, on ne peut pas nĂ©gliger, dans une tradition qui forme nĂ©cessairement un tout, ce qui ne concerne pas directement la rĂ©alisation mĂ©taphysique (et il y a de tels Ă©lĂ©ments dans la tradition hindoue comme dans les autres, puisquâelle implique aussi, par exemple, une lĂ©gislation) ; il faut plutĂŽt sâefforcer de le comprendre par rapport Ă cette rĂ©alisation, ce qui revient en somme Ă en rechercher le « sens intĂ©rieur ».
Lettre de RenĂ© GuĂ©non Ă Louis Caudron dâAmiens, Le Caire, 22 mars 1936.
â
â
René Guénon
â
Le processus selon lequel sâaccomplit la dĂ©chĂ©ance de lâOccident Ă lâĂ©poque moderne, doit finir normalement, en conformitĂ©, tant avec la nature des choses quâavec les donnĂ©es traditionnelles unanimes, par lâatteinte dâune certaine limite, marquĂ©e vraisemblablement par une catastrophe de civilisation. A partir de ce moment un changement de direction apparaĂźt comme inĂ©vitable, et les donnĂ©es traditionnelles tant dâOrient que dâOccident, indiquent quâil se produira alors un rĂ©tablissement de toutes les possibilitĂ©s traditionnelles que comporte encore lâactuelle humanitĂ©, ce qui coĂŻncidera avec une remanifestation de la spiritualitĂ© primordiale, et, en mĂȘme temps, les possibilitĂ©s anti-traditionnelles et les Ă©lĂ©ments humains qui les incarnent seront rejetĂ©s hors de cet ordre et dĂ©finitivement dĂ©gradĂ©s. Mais si la forme gĂ©nĂ©rale de ces Ă©vĂ©nements Ă venir apparaĂźt comme certaine, le sort qui serait rĂ©servĂ© au monde occidental dans ce « jugement » et la part quâil pourrait avoir dans la restauration finale, dĂ©pendra de lâĂ©tat mental que lâhumanitĂ© occidentale aura au moment oĂč ce changement se produira, et il est comprĂ©hensible que câest seulement dans la mesure oĂč lâOccident aura repris conscience des vĂ©ritĂ©s fondamentales communes Ă toute civilisation traditionnelle quâil pourra ĂȘtre compris dans cette restauration.
â
â
Michel Vùlsan (L'Islam et la fonction de René Guénon)
â
D'autre part, de mĂȘme que les critĂšres d'orthodoxie propres Ă l'exotĂ©risme d'une tradition ne peuvent ĂȘtre appliquĂ©s Ă ce qui appartient Ă autre forme traditionnelle, de mĂȘme ceux qui concernent le monde initiatique et Ă©sotĂ©rique d'une de ces formes ne peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme directement applicables aux domaines correspondants d'une autre : il y a
en effet pour la voie ésotérique de chacune de celles-ci des modalités particuliÚres, bien que d'un ordre plus intérieur, tant pour la doctrine que pour les méthodes correspondantes, et il serait tout à fait insuffisant de parler d'unité ésotérique des formes traditionnelles sans préciser que cette unité concerne seulement les principes universels, en dehors desquels les
adaptations traditionnelles se traduisent par des particularitĂ©s dans l'ordre initiatique et Ă©sotĂ©rique mĂȘme ; s'il n'en Ă©tait pas ainsi, il n'y aurait qu'un seul Ă©sotĂ©risme, et un mĂȘme domaine initiatique, pour toutes les formes d'exotĂ©rismes existants ou possibles.
â
â
Michel Vùlsan (L'Islam et la fonction de René Guénon)
â
Le succĂšs de cette thĂ©orie fut dâailleurs dĂ» pour une bonne part Ă des raisons qui nâont rien de « scientifique », mais qui tiennent directement Ă son caractĂšre antitraditionnel ; pour les mĂȘmes raisons, il est Ă prĂ©voir que, alors mĂȘme quâaucun biologiste sĂ©rieux nây croira plus, elle subsistera longtemps encore dans les manuels scolaires et les ouvrages de vulgarisation.
â
â
René Guénon (The Multiple States of the Being)
â
Pour donner consistance à cette révolution du temps, il suffit de commencer à énumérer les domaines de production de biens et de services dont l'existence actuelle ne se soutient que de la logique de la société marchande, de la double nécessité d'accroßtre sans cesse la production-pour-le-profit et de reproduire l'organisation sociopolitique qui la rend possible. Osons donc trancher à la racine et mesurer l'ampleur des secteurs qui, dans une société non marchande, soucieuse de surcroßt d'écarter toute séparation entre gouvernants et gouvernés, deviendraient parfaitement superflus. On peut éliminer sans hésiter tout le personnel militaire et policier, poursuivre avec les banques, le systÚme financier et les assurances (ces derniÚres seules pÚsent aujourd'hui 15 % du PIB mondial), sans se priver du plaisir d'ajouter la publicité et le marketing( qui absorbent 500 milliards de dépenses annuelles, soit prÚs d'un tiers des budgets militaires mondiaux). Finalement, le principe d'un autogouvernement à tous les échelons, tel qu'on l'a suggéré dans le chapitre précédent, condamnerait l'ensemble des bureaucraties nationales et internationales à une complÚte inutilité.
Dens pans considĂ©rables de l'appareil industriel seront abandonnĂ©s, Ă commencer par la production d'armes et d'Ă©quipements militaires. Les impĂ©ratifs Ă©cologiques et l'affirmation de l'agriculture paysanne rendront caduque une grande partie de l'industrie chimique (notamment l'Ă©crasant secteur agrochimique) comme des biotechnologies fortement contestĂ©es (OGM notamment). Le secteur agroalimentaire, exemple type d'une marchandisation perverse des formes de production, s'Ă©vanouira, au profit d'une valorisation de l'autoproduction et des circuits locaux de production/consommation. [âŠ] on voit que chaque abandon de production de biens et de services aura des effets dĂ©multiplicateurs importants, puisque les besoins en Ă©difices (bureaux, installations industrielles), en matĂ©riaux et en Ă©nergie, en infrastructures et en transports, s'en trouveront diminuĂ©s d'autant. Le secteur de la construction sera par consĂ©quent ramenĂ© Ă une Ă©chelle bien plus raisonnable qu'aujourd'hui, ce qu'accentuerait encore la rĂ©gĂ©nĂ©ration des pratiques d'autoconstruction (ou du moins une participation directe des utilisateurs eux-mĂȘmes, aux cĂŽtĂ©s d'artisans plus expĂ©rimentĂ©s). Chaque suppression dans la production de biens et de services Ă©liminera Ă son tour toutes les productions nĂ©cessaires Ă son installation, Ă son fonctionnement, sans oublier la gestion des dĂ©chets engendrĂ©s par chacune de ces activitĂ©s. Pour donner un exemple parmi tant d'autres, la suppression de la publicitĂ© (jointe Ă celle des bureaucraties et Ă d'autres changements technico-culturels) entraĂźnera une diminution considĂ©rable de la consommation de papier, c'est-Ă -dire aussi de toute la chaĂźne industrielle qui lui est associĂ©e, dans laquelle il faut inclure exploitation forestiĂšre, produits chimiques, matĂ©riaux nĂ©cessaires aux installations industrielles, transport, etc.
Sans nier la pertinence de maintenir des Ă©changes Ă longue distance, le fait de privilĂ©gier, dans toute la mesure du possible, les activitĂ©s locales et de supprimer les absurdes dĂ©tours de production qui caractĂ©risent l'Ă©conomie capitaliste (lesquels mĂšnent, par exemple, l'ail chinois jusqu'en Europe et de l'eau - oui, de l'eau ! - des Alpes jusqu'au Mexique) rĂ©duira Ă peu de chose la chaĂźne commerciale actuelle et restreindra encore les besoins en transport. Joint Ă l'abandon d'une logique de production et d'organisation centrĂ©e sur l'automobile et le fĂ©tichisme Ă©golĂątre qui la soutient, tout cela entraĂźnera une forte contraction de la consommation Ă©nergĂ©tique, qui pourra ĂȘtre satisfaite grĂące aux Ă©nergies renouvelables, produites, dans la mesure du possible, localement. En consĂ©quence, tout ce qui fonde le poids Ă©crasant du secteur Ă©nergĂ©tique dans l'Ă©conomie mondiale actuelle s'Ă©vanouira pour l'essentiel. (p. 91-92)
â
â
JĂ©rĂŽme Baschet (AdiĂłs al Capitalismo: AutonomĂa, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
â
Le premier point Ă prendre en compte est le fait que la production globale actuelle est quantitativement suffisante pour assurer l'alimentation de l'ensemble de la population mondiale. La disponibilitĂ© alimentaire mondiale est de 2 790 calories par jour et par personne (donnĂ©es de 2001-2003), ce qui pourrait ĂȘtre suffisant. La sous-alimentation qui affecte aujourd'hui un milliard d'individus pourrait ĂȘtre Ă©radiquĂ©e par ure rĂ©organisation de la production, notamment avec une rĂ©orientation vers la multiplicitĂ© des cultures vivriĂšres et par un rééquilibrage du stock calorique, fort mal distribuĂ© (3 490 calories par jour et par personne dans les pays dĂ©veloppĂ©s, contre 2 254 en Afrique subsaharienne). Quant Ă la malnutrition (carences en vitamines et minĂ©raux) et Ă son envers, l'obĂ©sitĂ© et le surpoids (provoquĂ©s essentiellement par la diffusion des habitudes alimentaires promues par le secteur agroalimentaire et la grande distribution), qui affectent chacune un milliard d'individus, ils pourraient ĂȘtre rĂ©sorbĂ©s, sans augmentation quantitative globale, par une rĂ©orientation vers une agriculture paysanne dĂ©veloppant des pratiques agro-Ă©cologiques. Si l'agriculture industrielle actuelle fait valoir de maniĂšre tronquĂ©e sa supĂ©rioritĂ©, notamment en termes de productivitĂ© par hectare, une Ă©valuation plus globale, incluant l'ensemble des coĂ»ts directs et indirects (notamment Ă©cologiques), invite Ă faire pencher la balance de l'efficacitĂ© du cĂŽtĂ© de l'agriculture paysanne. De fait, l'agriculture industrialisĂ©e est entraĂźnĂ©e dans un cercle vicieux, marquĂ© notamment par l'Ă©puisement et la salinisation des sols, la multiplication des insectes rĂ©sistant aux pesticides, la hausse des pathologies du bĂ©tail ; en outre, elle provoque une baisse du pouvoir nutritif des produits, notamment des fruits et lĂ©gumes Ă croissance rapide. Enfin, il faut indiquer que les surfaces agricoles consacrĂ©es Ă des cultures non alimentaires (agrocarburants notamment) doivent ĂȘtre restituĂ©es Ă leur vocation initiale, ce qui offre une marge de manĆuvre importante pour assurer Ă l'ensemble de l'humanitĂ© une alimentation quantitativement et qualitativement satisfaisante. On dispose Ă©galement de deux leviers importants pour atteindre et maintenir cet impĂ©ratif Ă©lĂ©mentaire : d'une part, une limitation de l'Ă©levage, particuliĂšrement glouton en Ă©nergie et en surfaces (40 % des grains actuellement produits sont destinĂ©s Ă l'alimentation animale) et Ă©cologiquement dangereux (importantes Ă©missions de gaz Ă effet de serre) ; d'autre part, une Ă©limination du gĂąchis alimentaire (Ă©valuĂ© Ă 30 % au moins dans le systĂšme alimentaire industriel mondial, et Ă 100 milliards de dollars par an uniquement aux Ătats-Unis). (p. 190-192)
â
â
JĂ©rĂŽme Baschet (AdiĂłs al Capitalismo: AutonomĂa, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)
â
« Les bolcheviks, une fois consolidĂ© et lĂ©galisĂ© leur pouvoir, en tant que socialistes Ă©tatistes qui croient en la direction centralisĂ©e et autoritaire, commenceront Ă diriger la vie du pays et du peuple du sommet. [âŠ] Les bolcheviks dĂ©velopperont une autoritĂ© politique et un appareil d'Ătat qui Ă©craseront toute opposition avec une poigne de fer. »
â
â
Voline
â
Une personne n'est pas, comme je l'avais cru, claire et immobile devant nous avec ses qualitĂ©s, ses dĂ©faut, ses projets, ses intentions Ă notre Ă©gard (comme un jardin qu'on regarde, avec toutes ses plate-bandes, Ă travers une grille), mais est une ombre oĂč nous ne pouvons jamais pĂ©nĂ©trer, pour laquelle il n'existe pas de connaissance directe, au sujet de quoi nous nous faisons des croyances nombreuses Ă l'aide de paroles et mĂȘme d'actions, lesquelles les unes et les autres ne nous donnent que des renseignements insuffisant et d'ailleurs contradictoires, une ombre oĂč nous pouvons tour Ă tour imaginer avec autant de vraisemblance que brillent la haine et l'amour.
â
â
Marcel Proust
â
Les AmĂ©ricains, en 1945, dĂ©comptaient plus de 1 million de Noirs hommes et femmes mobilisĂ©s, dont plus de 200 000 furent envoyĂ©s pour la seule France. Comme ils Ă©vitaient dâarmer leurs soldats noirs, la plupart servaient dâauxiliaires (chauffeurs, mĂ©caniciens, etc.), particuliĂšrement exposĂ©s parce que dans lâincapacitĂ© de se dĂ©fendre. Seuls un peu plus de 30 000 dâentre eux participĂšrent directement au combat, dont une flottille aĂ©rienne dite Tuskeegee Airmen spĂ©cialisĂ©e dans des missions de bombardement en territoire ennemi (32 aviateurs noirs amĂ©ricains furent faits prisonniers)27.
â
â
Catherine Coquery-Vidrovitch (Des victimes oubliées du nazisme (Documents) (French Edition))
â
La pensée moderne n'est pas, d'une façon définitive, une doctrine parmi d'autres, elle est ce qu'exige telle phase de son déroulement, et elle sera ce qu'en fera la science matérialiste et expérimentale, ou ce qu'en fera la machine; ce n'est plus l'intellect humain, c'est la machine - ou la physique, la chimie, la biologie - qui décident ce qu'est l'homme, ce qu'est l'intelligence, ce qu'est la vérité.
Dans ces conditions, l'esprit dĂ©pend de plus en plus du « climat » produit par ses propres crĂ©ations : l'homme ne sait plus juger humainement, c'est-Ă -dire en fonction d'un absolu qui est la substance mĂȘme de l'intelligence; s'Ă©garant dans un relativisme sans issue, il se laisse juger, dĂ©terminer, classer par les contingences de la science et de la technique; ne pouvant Ă©chapper Ă la vertigineuse fatalitĂ© qu'elles lui imposent et ne voulant pas avouer son erreur (1), il ne lui reste plus qu'Ă abdiquer sa dignitĂ© d'homme et sa libertĂ©.
C'est la science et la machine qui Ă leur tour crĂ©ent l'homme, et c'est elles qui « crĂ©ent Dieu », s'il est permis de s'exprimer ainsi (2); car le vide laissĂ© par Dieu ne peut rester un vide, la rĂ©alitĂ© de Dieu et son empreinte dans la nature humaine exigent un succĂ©danĂ© de divinitĂ©, un faux absolu qui puisse remplir le nĂ©ant d'une intelligence privĂ©e de sa substance. On parle beaucoup d' « humanisme » Ă notre Ă©poque, mais on oublie que l'homme, dĂšs lors qu'il abandonne ses prĂ©rogatives Ă la matiĂšre, Ă la machine et au savoir quantitatif cesse d'ĂȘtre rĂ©ellement « humain ». (3)
(1) Il y a lĂ comme une perversion de l'instinct de conservation, un besoin de consolider l'erreur pour avoir la conscience tranquille.
(2) Les spéculations teilhardiennes offrent un exemple frappant d'une théologie succombée aux microscopes et aux télescopes, aux machines et à leurs conséquences philosophiques et sociales, - « chute » qui serait exclue s'il y avait là la moindre connaissance intellective directe des réalisations immatérielles. Le cÎté « inhumain » de la dite doctrine est d'ailleurs trÚs révélateur.
(3) Le plus intĂ©gralement « humain », c'est ce qui donne Ă l'homme les meilleurs chances pour l'au-delĂ , et c'est aussi, par lĂ mĂȘme, ce qui correspond le plus profondĂ©ment Ă sa nature
â
â
Frithjof Schuon (Understanding Islam)
â
La spĂ©cificitĂ© de la littĂ©rature, art majeur d'un Occident qui sous nos yeux se termine, n'est pourtant pas bien difficile Ă dĂ©finir. Autant que la littĂ©rature, la musique peut dĂ©terminer un bouleversement, un renversement Ă©motif, une tristesse ou une extase absolues ; autant que la littĂ©rature, la peinture peut gĂ©nĂ©rer un Ă©merveillement, un regard neuf portĂ© sur le monde. Mais seule la littĂ©rature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l'intĂ©gralitĂ© de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idĂ©es fixes, ses croyances ; avec tout ce qui l'Ă©meut, l'intĂ©resse, l'excite ou lui rĂ©pugne. Seule la littĂ©rature peut vous permettre d'entrer en contact avec l'esprit d'un mort, de maniĂšre plus directe, plus complĂšte et plus profonde que ne le ferait mĂȘme la conversation avec un ami
â
â
Michel Houellebecq (Soumission)
â
La nouvelle prose, câest lâĂ©vĂ©nement, le combat lui-mĂȘme, et non sa description. Un document, la participation directe de lâauteur aux Ă©vĂ©nements de la vie. Une prose vĂ©cue, en document.
â
â
Varlam Shalamov
â
Souvent, quand les gens m'abordent, c'est pour me raconter un Ă©pisode de leur vie, par exemple : "J'ai vu votre reportage sur l'euthanasie, ma mĂšre m'en a parlĂ©, et je ne sais pas quoi en penser." Ăa va dans toutes les directions, et je ne considĂšre pas cela comme le symptĂŽme d'une crise des valeurs. C'est ce que prĂ©tend le Vatican et c'est de la foutaise. Au contraire, depuis que les gens ont quittĂ© les bancs d'Ă©glise, donc l'institution qui avait des rĂ©ponses toutes prĂ©parĂ©es aux interrogations sur le sens de la vie, ils ont entrepris un cheminement plus personnel et, mon dieu - si je puis dire -, plus authentique.
â
â
Alain Crevier (à Propos de la vie: le sens de la vie selon 20 personnalités)
â
« Capitant nous a rĂ©unis pour nous annoncer que Jean GuĂ©henno crĂ©ait un service dâĂ©ducation des adultes â un âbureau de lâĂ©ducation populaireâ â et a demandĂ© qui voulait sâen charger. Jâai levĂ© la main Ă la surprise gĂ©nĂ©rale. » DĂ©goĂ»tĂ©e de lâĂ©ducation nationale, Mlle Faure ne veut plus enseigner aux enfants. « La âlaĂŻcitĂ©â [Ă prendre ici au sens de « neutralitĂ© politique »] imposĂ©e aux enseignants ne me convenait plus. Elle empĂȘchait toute explication franche, directe, câest-Ă -dire politique, avec la jeunesse. La laĂŻcitĂ© devenait une religion qui isolait comme les autres. Dans un cadre dâĂ©ducation des adultes, il me semblait quâon pourrait dire tout ce quâon voudrait. DâoĂč mon choix pour lâĂ©ducation populaire : cadre neuf, cadre libre, oĂč pourrait se dĂ©velopper lâesprit critique. »
â
â
Christiane Faure
â
La reconnaissance des religions Ă©trangĂšres dĂ©pend de diverses contingences psychologiques ou mĂȘme simplement gĂ©ographiques, et surtout, elle nâa en soi aucun aspect de nĂ©cessitĂ© spirituelle : aucune rĂ©vĂ©lation ne la suggĂšre dâune maniĂšre directe, pour dire le moins; des sages comme Plotin et Porphyre, malgrĂ© leur Ă©sotĂ©risme pythagoricien et leur connaissance mĂ©taphysique, nâont pas compris le Christianisme. Dans un ordre dâidĂ©es analogue, lâexclusivisme rĂ©ciproque des Ă©coles hindoues, â Shankara ne fait nullement exception, â prouve bien que, dans les conditions normales, la comprĂ©hension de formes Ă©trangĂšres nâest point une manifestation nĂ©cessaire du dĂ©passement des formes ; nous dirons mĂȘme que, si un effort de comprĂ©hension nâa pas lieu, cela est en rapport avec la « foi » (non la « croyance », mais la «ferveur », shraddhĂą en sanscrit) qui exclut toute faiblesse et toute hĂ©sitation, et sans laquelle il nây a pas de voie possible.
â
â
Frithjof Schuon (Spiritual Perspectives and Human Facts)
â
Dans lâintellection, câest Dieu qui est « sujet », car lâhomme comme tel ne saurait exercer une activitĂ© sur Dieu, qui seul est pur Acte; la crĂ©ature est toujours passive Ă lâĂ©gard du CrĂ©ateur et de ses grĂąces. Il est impossible que Dieu soit lâobjet dâune connaissance dont il ne serait pas le sujet; Ă lâobjection quâen derniĂšre analyse Dieu est toujours le sujet de toute connaissance rĂ©elle, nous rĂ©pondrons que Dieu est sujet indirect dans la mesure oĂč la connaissance est indirecte, et sujet direct dans la mesure oĂč la connaissance est directe; or, la pure intellection se distingue prĂ©cisĂ©ment par son caractĂšre direct, bien quâil y ait, lĂ aussi, des degrĂ©s.
â
â
Frithjof Schuon (Spiritual Perspectives and Human Facts)
â
Ăcrite dans un style oĂč les mots durs et directs ainsi que les formules abruptes ne tirent pourtant pas Ă ras de la basse prose lâexpression quâun lyrisme de bon aloi Ă©lĂšve vers ce que lâauteur considĂšre comme « une poĂ©sie qui penseâŠpour ne dire que les choses fondamentales », cette Ćuvre aurait pu emprunter le titre dâun poĂšme quâil contient: Aux pays des pyramides inversĂ©es. Fouillant le passĂ©, regardant en face le prĂ©sent et scrutant lâavenir, elle exprime la nostalgie, les frustrations et la rĂ©volte. Elle est Ă la fois un cri du cĆur et une interrogation pathĂ©tique sur le destin de lâAfrique qui survit en marge du grand destin qui devait ĂȘtre le sien. En effet les pyramides Ă©voquent le temps de gloire du continent noir qui, aujourdâhui, ploie sous le poids de la dette et subit les contradictions dâune « dĂ©mocratie âŠmaquillĂ©e, enrobĂ©e de faux-semblants. » Marouba FALL, Ecrivain, Dramaturge !
â
â
Abdou Karim GUEYE Poésie Comme un amas de pyramides inversées
â
Je commence Ă comprendre que toute ma vie je souffrirais de l'absence de quelqu'un avec qui partager un mouvement de l'esprit ou de l'Ăąme, une atmosphĂšre commune, une direction. (p65)
â
â
Christine Fizscher (La derniĂšre femme de sa vie (La Bleue) (French Edition))
â
On le voit, la question est systĂ©mique ; il faut une sorte boussole au leadership pour lui permettre dâassumer une fonction de prĂ©vention ; lâadage sâapplique alors Ă la gestion des affaires de la citĂ© : « Mieux vaut prĂ©venir que guĂ©rir ». On le pressent aussi, la direction de la citĂ© et le leadership ont besoin de la connaissance et de la sagesse, du savoir, mais dâun savoir qui est maturitĂ©. Le leadership et la gouvernance ont besoin dâune harmonie qui est un certain degrĂ© de consensus sur des valeurs et des principes essentiels, mais ceci suppose aussi un certain degrĂ© dâordre, de sĂ©curitĂ© et de discipline.
â
â
Abdou Karim GUEYE Le Coeur et l'Esprit
â
La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rÎle éminemment révolutionnaire.
Partout oĂč elle a conquis le pouvoir, elle a dĂ©truit les relations fĂ©odales, patriarcales et idylliques. Tous les liens variĂ©s qui unissent l'homme fĂ©odal Ă ses supĂ©rieurs naturels, elle les a brisĂ©s sans pitiĂ© pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intĂ©rĂȘt, les dures exigences du «paiement comptant». Elle a noyĂ© les frissons sacrĂ©s de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalitĂ© petite-bourgeoise dans les eaux glacĂ©es du calcul Ă©goĂŻste. Elle a supprimĂ© la dignitĂ© de l'individu devenu simple valeur d'Ă©change; aux innombrables libertĂ©s dĂ»ment garanties et si chĂšrement conquises, elle a substituĂ© l'unique et impitoyable libertĂ© de commerce. En un mot, Ă l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a substituĂ© une exploitation ouverte, Ă©hontĂ©e, directe, brutale.
La bourgeoisie a dĂ©pouillĂ© de leur aurĂ©ole toutes les activitĂ©s considĂ©rĂ©es jusqu'alors, avec un saint respect, comme vĂ©nĂ©rables. Le mĂ©decin, le juriste, le prĂȘtre, le poĂšte, l'homme de science, elle en a fait des salariĂ©s Ă ses gages.
La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité touchante qui recouvrait les rapports familiaux et les a réduits à de simples rapports d'argent.
â
â
Karl Marx
â
A l'inhibition sexuelle résultant directement de la fixation aux parents, viennent s'ajouter les sentiments de culpabilité qui dérivent de l'énormité de la haine accumulée au cours d'années de vie familiale.
Si cette haine reste consciente elle peut devenir un puissant facteur révolutionnaire individuel : elle poussera le sujet à rompre les attaches familiales et pourra servir à promouvoir une action dirigée contre les conditions productrices de cette haine.
Si au contraire cette haine est refoulĂ©e, elle donne naissance aux attitudes inverses de fidĂ©litĂ© aveugle et d'obĂ©issance infantile. Ces attitudes constituent bien entendu un lourd handicap pour celui qui veut militer dans un mouvement libĂ©ral ; un individu de ce genre pourra fort bien ĂȘtre partisan d'une libertĂ© complĂšte, et en mĂȘme temps envoyer ses enfants Ă l'Ă©cole du dimanche, ou continuer Ă frĂ©quenter l'Ă©glise "pour ne pas faire de peine Ă ses vieux parents" ; il prĂ©sentera des symptĂŽmes d'indĂ©cision et de dĂ©pendance, sĂ©quelles de la fixation Ă la famille ; il ne pourra vraiment combattre pour la libertĂ©.
Mais la mĂȘme situation familiale peut aussi produire l'individu "nĂ©vrotiquement rĂ©volutionnaire", spĂ©cimen frĂ©quent chez les intellectuels bourgeois. Les sentiments de culpabilitĂ©, liĂ©s aux sentiments rĂ©volutionnaires, en font un militant peu sĂ»r dans un mouvement rĂ©volutionnaire. (p. 140)
â
â
Wilhelm Reich (The Sexual Revolution: Toward a Self-governing Character Structure)