Un Jour A La Fois Quotes

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Longtemps, mon seul but dans la vie Ă©tait de m'autodĂ©truire. Puis, une fois, j'ai eu envie de bonheur. C'est terrible, j'ai honte, pardonnez-moi : un jour, j'ai eu cette vulgaire tentation d'ĂȘtre heureux. Ce que j'ai appris depuis, c'est que c'Ă©tait la meilleure maniĂšre de me dĂ©truire.
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
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La marée baissait encore dans l'étrange mouvement du flux et reflux de l'eau, comme si un coeur immense au centre de la terre ne battait que deux fois par jour.
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Annie Proulx (The Shipping News)
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Elle lui demanda en quoi un jour de pluie pouvait ĂȘtre beau : il lui Ă©numĂ©ra les nuances de couleurs que prendraient le ciel, les arbres et les toits lorsqu'ils se promĂšneraient tantĂŽt, de la puissance sauvage avec laquelle leur apparaĂźtrait l'ocĂ©an, du parapluie qui les rapprocherait pendant la marche, de la joie qu'ils auraient Ă  se rĂ©fugier ici pour un thĂ© chaud, des vĂȘtements qui sĂ©cheraient auprĂšs du feu, de la langueur qui en dĂ©coulerait, de l'opportunitĂ© qu'ils auraient de faire plusieurs fois l'amour, du temps qu'ils prendraient Ă  se raconter leur vie sous les draps du lit, enfants protĂ©gĂ©s par une tente de la nature dĂ©chaĂźnĂ©e...
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Éric-Emmanuel Schmitt (Odette Toulemonde et autres histoires)
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L’amour, c’est trĂšs compliquĂ©. C’est Ă  la fois la plus extraordinaire et la pire chose qui puisse arriver. Vous le dĂ©couvrirez un jour. L’amour, ça peut faire trĂšs mal. Vous ne devez pas pour autant avoir peur de tomber, et surtout pas de tomber amoureux, car l’amour, c’est aussi trĂšs beau, mais comme tout ce qui est beau, ça vous Ă©blouit et ça vous fait mal aux yeux. C’est pour ça que souvent, on pleure aprĂšs.
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Joël Dicker (La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (Marcus Goldman, #1))
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Pauvres créatures! Si c'est un tort de les aimer, c'est bien le moins qu'on les plaigne. Vous plaignez l'aveugle qui n'a jamais vu les rayons du jour, le sourd qui n'a jamais entendu les accords de la nature, le muet qui n'a jamais pu rendre la voix de son ùme, et, sous un faux prétexte de pudeur, vous ne voulez pas plaindre cette cécité du coeur, cette surdité de ùme, ce mutisme de la conscience qui rendent folle la malheureuse affligée et qui la font malgré elle incapable de voir le bien, d'entendre le Seigneur et de parler la langue pure de l'amour et de la foi.
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Alexandre Dumas fils (La Dame aux Camélias)
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Ce n'est pas la premiÚre fois que je veux tuer des mouches avec un canon. C'est la cent milliÚme fois. Cela m'arrive tous les jours et tout le jour. Je prévois toujours le pire et je me démÚne toujours comme si c'était le pire. Eh ! Prends donc l'habitude de considérer que les choses ordinaires arrivent aussi.
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Jean Giono (The Horseman on the Roof)
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Parce que les mots, une fois qu'on les a lus, on ne peut pas revenir en arriĂšre, ça se plante dans la matiĂšre grise, les mots sont les racines des arbres de nos pensĂ©es, et nul ne peut savoir jusqu'oĂč ils vont grandir, et si un arbre ne donnera pas, un jour, une forĂȘt.
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Maxime Chattam (Le Coma des mortels)
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Les galĂšres ! Ah ! oui, plutĂŽt mille fois la mort, plutĂŽt l’échafaud que le bagne, plutĂŽt le nĂ©ant que l’enfer ; plutĂŽt livrer mon cou au couteau de Guillotin qu’au carcan de la chiourme ! Les galĂšres, juste ciel !
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Victor Hugo (Le Dernier Jour D'un Condamné ; Claude Gueux)
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La vie est une succession de moments qui ne cessent de changer, comme les pensĂ©es. Parfois ça va, parfois ça ne va pas. MĂȘme si c'est dans la nature humaine de ruminer, il ne faut pas se laisser envahir par une pensĂ©e nĂ©gative, parce que les pensĂ©es sont comme des invitĂ©s, ou des amies des bons jours. SitĂŽt arrivĂ©es, certaines peuvent s'Ă©vaporer, et mĂȘme celles que l'on rumine longtemps peuvent disparaĂźtre en un instant. Les moments sont prĂ©cieux. Parfois ils trainent, d'autres fois ils nous Ă©chappent, et cependant on pourrait tant en profiter. Il suffit de les saisir...
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Cecelia Ahern (How to Fall in Love)
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Cependant mon pÚre fut atteint d'une maladie qui le conduisit en peu de jours au tombeau. II expira dans mes bras. J'appris à connaßtre la mort sur les lÚvres de celui qui m'avait donné la vie. Cette impression fut grande; elle dure encore. C'est la premiÚre fois que l'immortalité de l'ùme s'est présentée clairement à mes yeux. Je ne pus croire que ce corps inanimé était en moi l'auteur de la pensée: je sentis qu'elle me devait venir d'une autre source; et dans une sainte douleur qui approchait de la joie, j'espérai me rejoindre un jour à l'esprit de mon pÚre.
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François-René de Chateaubriand
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J'ai compris que j'avais dĂ©truit l'Ă©quilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage oĂč j'avais Ă©tĂ© heureux. Alors, j'ai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles s'enfonçaient sans qu'il y parĂ»t. Et c'Ă©tait comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.
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Albert Camus (The Stranger)
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Un jour, à propos de la vie, la mienne en particulier: "Ah! Ce n'était que ça." Je ne veux pas que ce ne soit que ça. Je ne veux pas comprendre et réduire.(La foi du braconnier, p.147)
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Marc SĂ©guin
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Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai compris qu'en toutes circonstances, J’étais Ă  la bonne place, au bon moment. Et alors, j'ai pu me relaxer. Aujourd'hui je sais que cela s'appelle... l'Estime de soi. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai pu percevoir que mon anxiĂ©tĂ© et ma souffrance Ă©motionnelle N’étaient rien d'autre qu'un signal Lorsque je vais Ă  l'encontre de mes convictions. Aujourd'hui je sais que cela s'appelle... l'AuthenticitĂ©. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J'ai cessĂ© de vouloir une vie diffĂ©rente Et j'ai commencĂ© Ă  voir que tout ce qui m'arrive Contribue Ă  ma croissance personnelle. Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la MaturitĂ©. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai commencĂ© Ă  percevoir l'abus Dans le fait de forcer une situation ou une personne, Dans le seul but d'obtenir ce que je veux, Sachant trĂšs bien que ni la personne ni moi-mĂȘme Ne sommes prĂȘts et que ce n'est pas le moment... Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... le Respect. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai commencĂ© Ă  me libĂ©rer de tout ce qui n'Ă©tait pas salutaire, personnes, situations, tout ce qui baissait mon Ă©nergie. Au dĂ©but, ma raison appelait cela de l'Ă©goĂŻsme. Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... l'Amour propre. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai cessĂ© d'avoir peur du temps libre Et j'ai arrĂȘtĂ© de faire de grands plans, J’ai abandonnĂ© les mĂ©ga-projets du futur. Aujourd'hui, je fais ce qui est correct, ce que j'aime Quand cela me plait et Ă  mon rythme. Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la SimplicitĂ©. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai cessĂ© de chercher Ă  avoir toujours raison, Et je me suis rendu compte de toutes les fois oĂč je me suis trompĂ©. Aujourd'hui, j'ai dĂ©couvert ... l'HumilitĂ©. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai cessĂ© de revivre le passĂ© Et de me prĂ©occuper de l'avenir. Aujourd'hui, je vis au prĂ©sent, LĂ  oĂč toute la vie se passe. Aujourd'hui, je vis une seule journĂ©e Ă  la fois. Et cela s'appelle... la PlĂ©nitude. Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai, J’ai compris que ma tĂȘte pouvait me tromper et me dĂ©cevoir. Mais si je la mets au service de mon coeur, Elle devient une alliĂ©e trĂšs prĂ©cieuse ! Tout ceci, c'est... le Savoir vivre. Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter. Du chaos naissent les Ă©toiles.
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Charlie Chaplin
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Chaque fois que je pense a lui, je me souviens d'une anecdote qu'on m'a racontĂ©e : un jour, les Gardes rouges fouillĂšrent sa maison, et trouvĂšrent un livre cachĂ© sous son oreiller, Ă©crit dans une langue Ă©trangĂšre, que personne ne connaissait. La scĂšne n'Ă©tait pas sans ressemblance avec celle de la bande du boiteux autour du Cousin Pons. Il fallut envoyer ce butin Ă  l'UniversitĂ© de PĂ©kin pour savoir enfin qu'il s'agissait d'une Bible en latin. Elle coĂ»ta cher au pasteur car, depuis, il Ă©tait forcĂ© de nettoyer la rue, toujours la mĂȘme, du matin au soir, huit heures par jour, quel que fĂ»t le temps. Il finit ainsi par devenir une dĂ©coration mobile du paysage.
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Honoré de Balzac
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Je ne luttais plus contre les coutumes à la fois vénérables et vaines ; tout ce qui met en lumiÚre l'effort de l'homme, ne fût-ce que pour la durée d'un jour, me semblait salutaire en présence d'un monde si prompt à l'oubli.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Pour la premiÚre fois, en buvant des cerises à l'eau-de-vi', je me saoûlai. C'était aux Andelys, je crois, et ma famille me regardait fort amusée. Elle ne pensait pas qu'un jour mes fortes cuites la feraient un peu déchanter
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Raymond Queneau (ChĂȘne et chien / Petite cosmogonie portative /Le Chant du StyrĂšne)
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C’est alors que tout a vacillĂ©. La mer a charriĂ© un souffle Ă©pais et ardent. Il m’a semblĂ© que le ciel s’ouvrait sur toute son Ă©tendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon ĂȘtre s’est tendu et j’ai crispĂ© ma main sur le revolver. La gĂąchette a cĂ©dĂ©, j’ai touchĂ© le ventre poli de la crosse et c’est lĂ , dans le bruit Ă  la fois sec et assourdissant, que tout a commencĂ©. J’ai secouĂ© la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais dĂ©truit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage oĂč j’avais Ă©tĂ© heureux. Alors, j’ai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles s’enfonçaient sans qu’il y parĂ»t. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur
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Albert Camus (The Stranger)
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Parce qu'il y a certaines habitudes qui deviennent vitales. Aussi futiles soient elles, elles deviennent des points de repĂšres, des choses sur lesquelles on se base pour avancer. Faire sonner trois fois son rĂ©veil le matin avant de se lever. Avoir une marque de cafĂ© favorite. Être assis toujours Ă  la mĂȘme place Ă  table. Lacer sa chaussure gauche avant la droite. Des gestes qui se transforment en rituels et si ça foire un jour plus rien ne va et on se sent perdu.
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Camille L. (DĂ©gradation (DĂ©gradation, #1))
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J’ai compris que j’avais dĂ©truit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage oĂč j’avais Ă©tĂ© heureux. Alors, j’ai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles s’enfonçaient sans qu’il y parĂ»t. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.
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Albert Camus (L'Étranger - Albert Camus (French Edition))
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Un peu comme lorsque je rentre d'un voyage quelque part et que tout le monde me demande comment c'Ă©tait : peu Ă  peu mes diffĂ©rentes rĂ©ponses n'en font plus qu'une, mes impressions se resserrent sur elles-mĂȘmes, ouais, c'est cool, lĂ -bas, et tiens, une anecdote marrante... puis ce discours unique se substitue Ă  la rĂ©alitĂ© du souvenir. Du coup, j'ai franchement eu peur. J'ai ressenti cette crainte familiĂšre, soudainement intense et sincĂšre, qu'une fois toute sensation Ă©chappĂ©e de ma vie, il ne reste plus de celle-ci qu'un clichĂ©. Et le jour de ma mort, saint Pierre me demanderait : - C'Ă©tait comment ? - Vraiment super, en bas. J'aimais bien la bouffe. m'enfin, avec la tourista... Bon, les gens sont tous trĂšs sympas quand mĂȘme. Et ça serait tout. (...) Et j'ai dĂ©cidĂ© de raconter quelque chose de nouveau sur mon sĂ©jour Ă  chaque personne qui voudrait que je lui en parle, sans me rĂ©pĂ©ter une seule fois.
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Benjamin Kunkel (Indecision)
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Il y a cette brĂ»lure de ne rien ĂȘtre autorisĂ© Ă  dire, de devoir tout taire, et cette question terrible, cet abĂźme sous les pieds  : si on n'en parle pas, comment prouver que ça existe  ? Un jour, quand l'histoire sera terminĂ©e, puisqu'elle se terminera, nul ne pourra tĂ©moigner qu'elle a eu lieu. L'un des protagonistes (lui) pourra aller jusqu'Ă  la nier, s'il le souhaite, jusqu'Ă  s'insurger qu'on puisse inventer pareilles sornettes. L'autre (moi) n'aura que sa parole, elle ne pĂšserait pas lourd. Cette parole n'adviendra jamais. Non, je n'ai jamais parlĂ©. Sauf aujourd'hui. Dans ce livre. Pour la premiĂšre fois.
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Philippe Besson (" ArrĂȘte avec tes mensonges ")
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Dites seulement un mot, et vous verrez si tous les charmes et tous les attachements me retiendront ici, non pas un jour, mais une minute. Je volerai Ă  vos pieds et dans vos bras, et je vous prouverai mille fois et de milles maniĂšres, que vous ĂȘtes, que vous serez toujours, la vĂ©ritable souveraine de mon cƓur.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons Dangereuses)
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La Cigale, ayant chantĂ© Tout l'ÉtĂ©, Se trouva fort dĂ©pourvue Quand la bise fut venue. Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prĂȘter Quelque grain pour subsister Jusqu'Ă  la saison nouvelle. Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l'OĂ»t, foi d'animal, IntĂ©rĂȘt et principal. La Fourmi n'est pas prĂȘteuse ; C'est lĂ  son moindre dĂ©faut. « Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle Ă  cette emprunteuse. - Nuit et jour Ă  tout venant Je chantais, ne vous dĂ©plaise. - Vous chantiez ? j'en suis fort aise. Eh bien ! dansez maintenant. »
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Jean de la Fontaine
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Je me suis endormie pour la derniĂšre fois de ma vie. Et Ă  mon rĂ©veil, il y avait un homme avec un pistolet. Il a tuĂ© mes parents. Il a tuĂ© ma sƓur. Il a tentĂ© de me tuer. Et les RenĂ©gats ne sont pas venus
 AprĂšs, chaque fois que je voulais m’endormir, je revivais toute la scĂšne. Alors un beau jour, j’ai arrĂȘtĂ© d’essayer.
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Marissa Meyer (Renegades (Renegades, #1))
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- Mais quel Ăąge as-tu pour parler ainsi ? - Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas. Peut-ĂȘtre quatre mille neuf cent quinze jours, peut-ĂȘtre quatorze ou quinze ans. J'ai parfois l'impression d'ĂȘtre un bĂ©bĂ© et d'autre fois, je sais que j'ai plusieurs siĂšcles. Est-ce important ? Ça ne m'empĂȘche pas d'ĂȘtre moi, tu ne crois pas ?
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Pierre Bottero (Les FrontiĂšres de glace (La QuĂȘte d'Ewilan, #2))
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L'Amour qui n'est pas un mot Mon Dieu jusqu'au dernier moment Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme Comment se pourrait-il comment Comment se pourrait-il qu'on aime Ou comment nommer ce tourment Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habitĂ© par le chant Elsa mon amour ma jeunesse O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenĂȘtres Tu me rends la caresse d'ĂȘtre Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaĂźtre Notre histoire jusqu'Ă  la fin C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble Que la lumiĂšre sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme Ă  son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble M'habituer m'habituer Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme Peut-on s'habituer aux flammes Elles vous ont avant tuĂ© Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme S'ils s'habituaient aux nuĂ©es Pour la premiĂšre fois ta bouche Pour la premiĂšre fois ta voix D'une aile Ă  la cime des bois L'arbre frĂ©mit jusqu'Ă  la souche C'est toujours la premiĂšre fois Quand ta robe en passant me touche Prends ce fruit lourd et palpitant Jettes-en la moitiĂ© vĂ©reuse Tu peux mordre la part heureuse Trente ans perdus et puis trente ans Au moins que ta morsure creuse C'est ma vie et je te la tends Ma vie en vĂ©ritĂ© commence Le jour que je t'ai rencontrĂ©e Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce Ă  ma dĂ©mence Et qui m'as montrĂ© la contrĂ©e Que la bontĂ© seule ensemence Tu vins au coeur du dĂ©sarroi Pour chasser les mauvaises fiĂšvres Et j'ai flambĂ© comme un geniĂšvre A la NoĂ«l entre tes doigts Je suis nĂ© vraiment de ta lĂšvre Ma vie est Ă  partir de toi
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Louis Aragon
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Pour moi, ma mÚre avait toujours existé et je n'avais jamais sérieusement pensé que je la verrais disparaßtre un jour, bientÎt. Sa fin se situait, comme sa naissance, dans un temps mystique. Quand je me disais : elle a l'ùge de mourir, c'étaient des mots vides, comme tant de mots. Pour la premiÚre fois, j'apercevais en elle un cadavre en sursis.
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Simone de Beauvoir (A Very Easy Death)
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- Continuons donc notre excursion, repris-je, mais ayons l’Ɠil aux aguets, quoique l’ile paraisse inhabitĂ©e, elle pourrait renfermer, cependant, quelques individus qui seraient moins difficiles que nous sur la nature du gibier! - He! He! Fit Ned Land, avec un mouvement de mĂąchoire trĂšs significatif. - Eh bien! Ned! S’écria Conseil. - Ma foi, riposta le canadien, je commence Ă  comprendre les charmes de l’anthropophagie! - Ned! Ned! Que dites-vous la! RĂ©plique Conseil. Vous, anthropophage! Mais je ne serai plus en sĂ»retĂ© prĂšs de vous, moi qui partage votre cabine! Devrai-je donc me rĂ©veiller un jour a demi dĂ©vorĂ©? - Ami Conseil, je vous aime beaucoup, mais pas assez pour vous manger sans nĂ©cessitĂ©.
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Jules Verne (VINGT MILLE LIEUES SOUS LES MERS (2))
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Qui veut ĂȘtre assassin, de nos jours, doit ĂȘtre un homme de science. Non, non, je n'Ă©tais ni l'un ni l'autre. Mesdames et messieurs les jurĂ©s, la majoritĂ© des pervers sexuels qui brĂ»lent d'avoir avec une gamine quelque relation physique palpitante capable de les faire gĂ©mir de plaisir, sans aller nĂ©cessairement jusqu'au coĂŻt, sont des ĂȘtres insignifiants, inadĂ©quats, passifs, timorĂ©s, qui demandent seulement Ă  la sociĂ©tĂ© de leur permettre de poursuivre leur activitĂ©s pratiquement inoffensives, prĂ©tendument aberrantes, de se livrer en toute intimitĂ© Ă  leurs petites perversions sexuelles brĂ»lantes et moites sans que la police et la sociĂ©tĂ© ne leur tombent dessus. Nous ne sommes pas des monstres sexuels! Nous ne violons pas comme le font ces braves soldats. Nous sommes des hommes infortunĂ©s et doux, aux yeux de chien battu, suffisamment intĂ©grĂ©s socialement pour maĂźtriser nos pulsions en prĂ©sence des adultes, mais prĂȘts Ă  sacrifier des annĂ©es et des annĂ©es de notre vie pour pouvoir toucher une nymphette ne serait-ce qu'une seule fois. Nous ne sommes pas des tueurs, assurĂ©ment. Les poĂštes ne tuent point.
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Vladimir Nabokov (Lolita)
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A un moment j’ai mĂȘme laissĂ© Ă©chapper un son qui s’est prolongĂ© malgrĂ© moi en prenant de plus en plus de force, un son qui avait attendu ce jour prĂ©cis pour partir du fond de mes annĂ©es de tĂ©nĂšbres Ă  mal aimer des hommes qui m’ont mal aimĂ©e en retour et recouvrir ta poitrine comme une brĂ»lure ; c’était d’abord un son rauque et traĂźnant, une plainte animale qui n’avait rien du sanglot et qui en un vĂ©ritable appel Ă  la mort. A ce moment tout s’est arrĂȘtĂ©, je me suis soudain rappelĂ© cette mĂȘme scĂšne vĂ©cu avec toi alors qu’on venait de se rencontrer ; ce hurlement avait dĂ©jĂ  eu lieu et sa rĂ©pĂ©tition implacable m’a fait taire une fois pour toute. A ce moment aussi tu t’es Ă©cartĂ© de moi, sans doute pour la mĂȘme raison, tu t’es levĂ© dans une brusquerie qui a dĂ©logĂ© OrĂ©o de la chaise de ton bureau. Ne voulant pas te regarder dans les yeux, j’ai regardĂ© tes pieds. Mon hurlement avait tracĂ© une ligne infranchissable entre nous, en hurlant je venais de sonner le glas de notre histoire. Tu as dit des paroles que tu avais dĂ©jĂ  prononcĂ©es en d’autres circonstances et je suis partie, je savais que plus jamais on ne se reparlerait.
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Nelly Arcan (Folle)
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D'autres deuils assombrirent mon existence, rendant chaque fois un peu plus fausse la rĂ©sonance de mes plaisirs, avant le jour oĂč je pus entendre sa voix. TirĂ© trop tĂŽt du sommeil pour vaquer Ă  mes habitudes, je m'Ă©tais enfermĂ© dans le dĂ©barras minuscule oĂč s'entassent mille tĂ©moins extravagants de mon passĂ© : objets divers auxquels seul le souvenir qu'ils Ă©voquent saurait donner un nom.
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Marcel BĂ©alu (Les messagers clandestins)
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J’ai arpentĂ© les galeries sans fin des grandes bibliothĂšque, les rues de cette ville qui fĂ»t la nĂŽtre, celle oĂč nous partagions presque tous nos souvenirs depuis l’enfance. Hier, j’ai marchĂ© le long des quais, sur les pavĂ©s du marchĂ© Ă  ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrĂȘtĂ© par-ci par-lĂ , il me semblait que tu m’accompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar prĂšs du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ? Je ne sais pas oĂč tu es. Je ne sais pas si tout ce que nous avons vĂ©cu avait un sens, si la vĂ©ritĂ© existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que j’ai tenu ma promesse, celle que je t’ai faite. A mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens d’écrire, en amitiĂ© on ne doit rien. Mais voici nĂ©anmoins ma requĂȘte : Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, j’ai arpentĂ© les mĂȘmes rues, ri avec toi autour des mĂȘmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles oĂč nous avons posĂ© nos mais et nos regards contient Ă  jamais une part de notre histoire. Dis-lui, que j’étais ton ami, que tu Ă©tais mon frĂšre, peut-ĂȘtre mieux encore puisque nous nous Ă©tions choisis, dis-lui que rien n’a jamais pu nous sĂ©parer, mĂȘme votre dĂ©part si soudain.
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Marc Levy (La prochaine fois)
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On raconte qu'un Anglais vint un jour Ă  GenĂšve avec l'intention de visiter le lac ; on le fit monter dans l'une de ces vieilles voitures oĂč l'on s'asseyait de cĂŽtĂ© comme dans les omnibus : or il advint que, par hasard, notre Anglais fut placĂ© de maniĂšre Ă  prĂ©senter le dos au lac ; la voiture accomplit paisiblement son voyage circulaire, sans qu'il songeĂąt Ă  se retourner une seule fois, et il revint Ă  Londres, enchantĂ© du lac de GenĂšve.
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Jules Verne (Cinq semaines en ballon / Une ville flottante / Les forceurs de blocus)
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Habiter authentiquement, c’est Ă  la fois : sauver la terre (et non s’en faire un maĂźtre absolu) ; accueillir le ciel, c’est-Ă -dire laisser ĂȘtre librement le cours des saisons et l’alternance des jours et des nuits qui rythment l’existence ; c’est demeurer attentif aux signes du divin (et non s’enfermer dans l’orgueil d’une raison positiviste Ă©vinçant toute possibilitĂ© d’un sacrĂ©) ; c’est enfin s’assumer comme mortel (et non fuir le souci de la mort).
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Jean-Claude Pinson (HABITER EN POETE)
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On m’a dit un jour : « C’est si difficile de vivre. » Et je me souviens du ton. Une autre fois, quelqu’un a murmurĂ© : « La pire erreur, c’est encore de faire souffrir. » Quand tout est fini, la soif de vie est Ă©teinte. Est-ce lĂ  ce qu’on appelle le bonheur ? En longeant ces souvenirs, nous revĂȘtons tout du mĂȘme vĂȘtement discret et la mort nous apparaĂźt comme une toile de fond aux tons vieillis. Nous revenons sur nous-mĂȘmes. Nous sentons notre dĂ©tresse et nous en aimons mieux. Oui, c’est peut-ĂȘtre cela le bonheur, le sentiment apitoyĂ© de notre malheur.
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Albert Camus (L'envers et l'endroit)
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Un jour il voyait des gens du pays trĂšs occupĂ©s Ă  arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes dĂ©racinĂ©es Ăšt dĂ©jĂ  dessĂ©chĂ©es, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quant l’ortie est jeune, la feuille est un lĂ©gume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre. HachĂ©e, l’ortie est bonne pour la volaille ; broyĂ©e, elle est bonne pour lĂšs bĂȘtes Ă  cornes, La graine de l’ortie mĂȘlĂ©e au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mĂȘlĂ©e au sel produit une belle couleur jaune. C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il Ă  l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe Ă  mesure qu’elle mĂ»rit, et est difficile Ă  rĂ©colter. Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la nĂ©glige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent Ă  l’ortie ! — Il ajouta aprĂšs un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.
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Victor Hugo (Les Misérables, tome I/3)
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L'Horloge Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi! Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi Se planteront bientĂŽt comme dans une cible; Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dĂ©vore un morceau du dĂ©lice A chaque homme accordĂ© pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois, Et j'ai pompĂ© ta vie avec ma trompe immonde! Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor! (Mon gosier de mĂ©tal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folĂątre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lĂącher sans en extraire l'or! Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, Ă  tout coup! c'est la loi. Le jour dĂ©croĂźt; la nuit augmente; souviens-toi! Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide. TantĂŽt sonnera l'heure oĂč le divin Hasard, OĂč l'auguste Vertu, ton Ă©pouse encor vierge, OĂč le repentir mĂȘme (oh! la derniĂšre auberge!), OĂč tout te dira: Meurs, vieux lĂąche! il est trop tard!
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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En ce qui me concerne, je suis vĂ©gĂ©tarienne Ă  quatre-vingt-quinze pour cent. L'exception principale serait le poisson, que je mange peut-ĂȘtre deux fois par semaine pour varier un peu mon rĂ©gime et en n'ignorant pas, d'ailleurs, que dans la mer telle que nous l'avons faite le poisson est lui aussi contaminĂ©. Mais je n'oublie surtout pas l'agonie du poisson tirĂ© par la ligne ou tressautant sur le pont d'une barque. Tout comme ZĂ©non, il me dĂ©plaĂźt de "digĂ©rer des agonies". En tout cas, le moins de volaille possible, et presque uniquement les jours oĂč l'on offre un repas Ă  quelqu'un ; pas de veau, pas d'agneau, pas de porc, sauf en de rares occasions un sandwich au jambon mangĂ© au bord d'une route ; et naturellement pas de gibier, ni de bƓuf, bien entendu. - Pourquoi, bien entendu ? - Parce que j'ai un profond sentiment d'attachement et de respect pour l'animal dont la femelle nous donne le lait et reprĂ©sente la fertilitĂ© de la terre. Curieusement, dĂšs ma petite enfance, j'ai refusĂ© de manger de la viande et on a eu la grande sagesse de ne pas m'obliger Ă  le faire. Plus tard, vers la quinziĂšme annĂ©e, Ă  l'Ăąge oĂč l'on veut "ĂȘtre comme tout le monde", j'ai changĂ© d'avis ; puis, vers quarante ans, je suis revenue Ă  mon point de vue de la sixiĂšme annĂ©e.(p. 288)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Avez-vous remarquĂ©, StĂ©nio, qu'il y a des heures oĂč nous sommes forcĂ©s d'aimer, des heures oĂč la poĂ©sie nous inonde, oĂč notre cƓur bat plus vite, oĂč notre Ăąme s'Ă©lance hors de nous et brise tous les liens de la volontĂ© poud aller chercher une autre Ăąme oĂč se rĂ©pandre ? Combien de fois, Ă  l'entrĂ©e de la nuit, au lever de la lune, aux premiĂšres clartĂ©s du jour, combien de fois, dans le silence de minuit et dans cet autre silence de midi si accablant, si inquiet, si dĂ©vorant, n'ai-je pas senti mon cƓur se prĂ©cipiter vers un but inconnu, vers un bonheur sans forme et sans nom, qui est au ciel, qui est dans l'air, qui est partout, comme un aimant invisible, comme l'amour !
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George Sand (LĂ©lia)
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Je suis disponible Ă  toute heure, tous les jours et pour toutes les tĂąches, et il me semble utile de le rĂ©pĂ©ter plusieurs fois d'un ton dĂ©terminĂ©. Ma seule contrainte est mon travail sur le ferry. Je pourrais y renoncer si ce contrat se rĂ©vĂ©lait plus intĂ©ressant, mais il me faudrait davantage de dĂ©tails. La directrice est affligĂ©e par mon comportement. Elle me le dit. "Pour moi aussi, c'est difficile. Vous ne vous en rendez mĂȘme pas compte, tout occupĂ©e que vous ĂȘtes par votre petit nombril. Je me demande souvent ce que les femmes comme vous ont dans la tĂȘte. Qu'est-ce que vous voulez, au fond ? On dit qu'il y a du chĂŽmage, mais regardez : je ne trouve personne. Je ne vous retiens pas, chĂšre madame.
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Florence Aubenas (Le Quai de Ouistreham)
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Pourquoi ce chemin plutĂŽt que cet autre ? OĂč mĂšne-t-il pour nous solliciter si fort ? Quels arbres et quels amis sont vivants derriĂšre l’horizon de ses pierres, dans le lointain miracle de la chaleur ? Nous sommes venus jusqu’ici car lĂ  oĂč nous Ă©tions ce n’était plus possible. On nous tourmentait et on allait nous asservir. Le monde, de nos jours, est hostile aux Transparents. Une fois de plus il a fallu partir
 Et ce chemin, qui ressemblait Ă  un long squelette, nous a conduits Ă  un pays qui n’avait que son souffle pour escalader l’avenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinĂ©es entre le crĂ©puscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinĂ©e, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beautĂ©.
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René Char (La Postérité du soleil)
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Un jour il y a plus de quatre milles annĂ©es de cela, l'empereur Chen Nung voyageait avec son escorte dans une contrĂ©e Ă©loignĂ©e de son vaste pays. Comme la route Ă©tait longue et harassante, il demanda Ă  prendre un peu de repos Ă  l'ombre d'arbres qui le protĂ©gerait du soleil. Le convoi s'arrĂȘta et l'empereur s'assit en tailleur sous un arbuste inconnu. Il rĂ©clama aussitĂŽt un bol d'eau bouillante car il avait grand soif et ne connaissait que ce breuvage pour se dĂ©saltĂ©rer. On s'empressa de lui apporter. C'est alors qu'une feuille tomba dans le bol de l'empereur. Chen Nung but sans s'en rendre compte et un parfum Ă  la fois doux et amer lui emplit la gorge. IntriguĂ©, il inspecta le fond de son bol et y trouva la feuille au parfum si envoĂ»tant. Le thĂ© venait de naĂźtre.
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Maxence Fermine (Opium)
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On raconte donc qu'il y avait dans un village un paysan. Un beau jour, ledit paysan s'en va dans son champ semer du maĂŻs. Pendant qu'il semait, vient Ă  passer par lĂ  le Christ flanquĂ© de Saint-Pierre. Mieux aurait valu que le Christ passĂąt son chemin sans s'arrĂȘter ! « – Que sĂšmes-tu lĂ -bas, brave homme ? demanda-t-il au paysan. – Ben, j'sĂšme des pines ! lui rĂ©pondit celui-ci avec outrecuidance. – Tu as bien dit : des pines ? Dieu fasse donc que tu rĂ©coltes alors des pines ! » dit le Christ en bĂ©nissant des deux mains les semailles et en passant son chemin. Et il s'en alla avec Saint-Pierre, lequel n'arrĂȘtait pas de s'Ă©tonner des paroles prononcĂ©es par le Christ, car jamais le seigneur n'avait eu un langage aussi cru. Le paysan, une fois la besogne terminĂ©e, rentra chez lui. 
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Ion Creangă
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Êtes-vous ce qu’on appelle un heureux ? Eh bien, vous ĂȘtes triste tous les jours. Chaque jour a son grand chagrin ou son petit souci. Hier, vous trembliez pour une santĂ© qui vous est chĂšre, aujourd’hui vous craignez pour la vĂŽtre, demain ce sera une inquiĂ©tude d’argent, aprĂšs-demain la diatribe d’un calomniateur, l’autre aprĂšs-demain le malheur d’un ami ; puis le temps qu’il fait, puis quelque chose de cassĂ© ou de perdu, puis un plaisir que la conscience et la colonne vertĂ©brale vous reprochent ; une autre fois, la marche des affaires publiques. Sans compter les peines de cƓur. Et ainsi de suite. Un nuage se dissipe, un autre se reforme. À peine un jour sur cent de pleine joie et de plein soleil. Et vous ĂȘtes de ce petit nombre qui a le bonheur ! Quant aux autres hommes, la nuit stagnante est sur eux.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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Au grand jour, Ă  voix haute, il dit comme Susan Sontag, qui a Ă©crit lĂ -dessus un essai beau et digne, La Maladie comme mĂ©taphore : l'explication psychique du cancer est Ă  la fois un mythe sans fondement scientifique et une vilenie morale, parce qu'elle culpabilise les malades. Cela, c'est la thĂšse officielle, la ligne du Parti. Dans le noir, en revanche, il dit ce que disent Fritz Zorn ou Pierre Cazenave : que son cancer n'Ă©tait pas un agresseur Ă©tranger mais une partie de lui, un ennemi intime et peut-ĂȘtre mĂȘme pas un ennemi. La premiĂšre façon de penser est rationnelle, la seconde est magique. On peut soutenir que devenir adulte, Ă  quoi est supposĂ© aider la psychanalyse, c'est abandonner la pensĂ©e magique pour la pensĂ©e rationnelle, mais on peut soutenir aussi qu'il ne faut rien abandonner, que ce qui est vrai Ă  un Ă©tage de l'esprit ne l'est pas Ă  l'autre et qu'il faut habiter tous les Ă©tages, de la cave au grenier. J'ai l'impression que c'est ce que fait Étienne.
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Emmanuel CarrĂšre (D'autres vies que la mienne)
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Tout paysage nous sort du temps. La nature nous fait le plus souvent dĂ©serter la temporalitĂ©. Chaque fois que nous nous abandonnons Ă  ce rĂȘve de la matiĂšre qu’est la nature, nous Ă©prouvons une Ă©trange sensation—tourment et charme indĂ©finissables Ă  la fois—, Ă  savoir que rien n’a jamais Ă©tĂ©. Un jour de grand soleil, regardez un arbre dans l’air immobile, avec ses feuilles ressemblant aux broderies d’un cƓur printanier. Vous comprendrez alors que tous les problĂšmes s’effacent devant la croissance indiffĂ©rente de la nature, devant son inconscience en dehors de laquelle tout est douleur, malĂ©diction, esprit. Ou bien, si vous avez la chance ou la malchance de voir tous les jours un sapin qui se dresse devant votre maison comme une dĂ©nĂ©gation ou une dĂ©monstration de la vie contre elle-mĂȘme, l’inutilitĂ© de l’effort vous sautera aux yeux et vous souhaiterez tomber sous la coupe de la vie innommĂ©e de la nature. Qui n’a jamais enviĂ© les plantes ignore ce que signifie la terreur de la conscience. Lorsqu’on l’a en horreur, on a un faible pour la nature. Lorsqu’on n’est plus attirĂ© par l’esprit, on aime le silence de la plante : pas de questions ni de rĂ©ponses.
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Emil M. Cioran (Solitude et destin)
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Dans la bouche de ces prĂ©tendus reprĂ©sentants du prolĂ©tariat, toutes les formules socialistes perdent leur sens rĂ©el. La lutte de classe reste toujours le grand principe ; mais elle doit ĂȘtre subordonnĂ©e Ă  la solidaritĂ© nationale1. L’internationalisme est un article de foi en l’honneur duquel les plus modĂ©rĂ©s se dĂ©clarent prĂȘts Ă  prononcer les serments les plus solennels; mais le patriotisme impose aussi des devoirs sacrĂ©s2. L’émancipation des travailleurs doit ĂȘtre l’Ɠuvre des travailleurs eux-mĂȘmes, comme on l’imprime encore tous les jours, mais la vĂ©ritable Ă©mancipation consiste Ă  voter pour un professionnel de la politique, Ă  lui assurer les moyens de se faire une bonne situation, Ă  se donner un maĂźtre. Enfin l’État doit disparaĂźtre et on se garderait de contester ce qu’Engels a Ă©crit lĂ -dessus; mais cette disparition aura lieu seulement dans un avenir si lointain que l’on doit s’y prĂ©parer en utilisant provisoirement l’État pour gaver les politiciens de bons morceaux ; et la meilleure politique pour faire disparaĂźtre l’État consiste provisoirement Ă  renforcer la machine gouvernementale ; Gribouille, qui se jette Ă  l’eau pour ne pas ĂȘtre mouillĂ© par la pluie, n’aurait pas raisonnĂ© autrement. Etc, etc.
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Georges Sorel (Reflections on Violence (Dover Books on History, Political and Social Science))
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Oui, la vie m’a traversĂ©e, je n’ai pas rĂȘvĂ©, ces hommes, des milliers, dans mon lit, dans ma bouche, je n’ai rien inventĂ© de leur sperme sur moi, sur ma figure, dans mes yeux, j’ai tout vu et ça continue encore, tous les jours ou presque, des bouts d’homme, leur queue seulement, des bouts de queue qui s’émeuvent pour je ne sais quoi car ce n’est pas de moi qu’ils bandent, ça n’a jamais Ă©tĂ© de moi, c’est de ma putasserie, du fait que je suis lĂ  pour ça, les sucer, les sucer encore, ces queues qui s’enfilent les unes aux autres comme si j’allais les vider sans retour, faire sortir d’elles une fois pour toutes ce qu’elles ont à dire, et puis de toute façon je ne suis pour rien dans ces Ă©panchements, ça pourrait ĂȘtre une autre, mĂȘme pas une putain mais une poupĂ©e d’air, une parcelle d’image cristallisĂ©e, le point de fuite d’une bouche qui s’ouvre sur eux tandis qu’ils jouissent de l’idĂ©e qu’ils se font de ce qui fait jouir, tandis qu’ils s’affolent dans les draps en faisant apparaĂźtre çà et là un visage grimaçant, des mamelons durcis, une fente trempĂ©e et agitĂ©e de spasmes, tandis qu’ils tentent de croire que ces bouts de femme leur sont destinĂ©s et qu’ils sont les seuls à savoir les faire parler, les seuls à pouvoir les faire plier sous le dĂ©sir qu’ils ont de les voir plier.
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Nelly Arcan (Putain)
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AssurĂ©ment, si mon mal pouvait se guĂ©rir, ces gens le guĂ©riraient. C’est aujourd’hui mon jour de naissance ; et, de grand matin, je reçois d’Albert un petit paquet. En l’ouvrant, ce qui frappe d’abord mes yeux, c’est un des nƓuds de rubans rosĂ©s que Charlotte portait, le premier jour oĂč je la vis, et que depuis lors je l’avais quelquefois priĂ©e de me donner ; puis deux petits volumes in-douze, le petit HomĂšre de Wetstein, Ă©dition que j’avais souvent dĂ©sirĂ©e, pour.ne pas traĂźner Ă  la promenade celle d’Ernesti. VoilĂ  comme ils prĂ©viennent mes dĂ©sirs, comme ils cherchent Ă  me tĂ©moigner toutes les petites complaisances de l’amitiĂ©, mille fois plus prĂ©cieuses que ces prĂ©sents magnifiques, par lesquels la vanitĂ© du donateur nous humilie. Je baise ce nƓud mille fois le jour, et, Ă  chaque aspiration, je savoure le souvenir des fĂ©licitĂ©s dont me comblĂšrent ce peu de jours heureux, passĂ©s pour jamais. Wilhelm, c’est comme cela, et je ne murmure point : les fleurs de la terre ne sont que des apparitions. Combien se flĂ©trissent sans laisser aucune trace. Combien peu fructifient, et combien peu de ces fruits mĂ»rissent ! Et pourtant il en est assez encore ; et pourtant
. ĂŽ mon frĂšre
. pouvons-nous nĂ©gliger les fruits mĂ»rs, les mĂ©priser, et, sans en jouir, les abandonner Ă  la pourriture ?
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Le premier empereur est appelĂ© l'Empereur du Ciel. Il a dĂ©terminĂ© l'ordre du temps qu'il a divisĂ© en dix troncs cĂ©lestes et douze branches terrestres, le tout formant un cycle. Cet empereur vĂ©cut dix-huit mille ans. Le second empereur est l'Empereur de la Terre ; il vĂ©cut aussi dix-huit mille ans : on lui attribue la division du mois en trente jours. Le troisiĂšme empereur est l'Empereur des Hommes. Sous son rĂšgne apparaissent les premiĂšres Ă©bauches de la vie sociale. Il partage son territoire en neuf parties, et Ă  chacune d'elles il donne pour chef un des membres de sa famille. L'histoire cĂ©lĂšbre pour la premiĂšre fois les beautĂ©s de la nature et la douceur du climat. Ce rĂšgne eut quarante-cinq mille cinq cents ans de durĂ©e. Pendant ces trois rĂšgnes qui embrassent une pĂ©riode de quatre-vingt-un mille ans, il n'est question ni de l'habitation, ni du vĂȘtement. L'histoire nous dit que les hommes vivaient dans des cavernes, sans crainte des animaux, et la notion de la pudeur n'existait pas parmi eux. A la suite de quels Ă©vĂ©nements cet Ă©tat de choses se transforma-t-il ? L'histoire n'en dit mot. Mais on remarquera les noms des trois premiers empereurs qui comprennent trois termes, le ciel, la terre, les hommes, gradation qui conduit Ă  l'hypothĂšse d'une dĂ©cadence progressive dans l'Ă©tat de l'humanitĂ©.
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Tcheng-Ki-Tong (Les Chinois peints par eux-mĂȘmes)
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Vous avez Ă©tĂ© enfant, lecteur, et vous ĂȘtes peut-ĂȘtre assez heureux pour l'ĂȘtre encore. Il n'est pas que vous n'ayez plus d'une fois (et pour mon compte j'y ai passĂ© des journĂ©es entiĂšres, les mieux employĂ©es de ma vie) suivi de broussaille en broussaille, au bord d'une eau vive, par un jour de soleil, quelque belle demoiselle verte ou bleue, brisant son vol Ă  angles brusques et baisant le bout de toutes les branches. Vous vous rappelez avec quelle curiositĂ© amoureuse votre pensĂ©e et votre regard s'attachaient Ă  ce petit tourbillon sifflant et bourdonnant, d'ailes de pourpre et d'azur, au milieu duquel flottait une forme insaisissable voilĂ©e par la rapiditĂ© mĂȘme de son mouvement. L'ĂȘtre aĂ©rien qui se dessinait confusĂ©ment Ă  travers ce frĂ©missement d'ailes vous paraissait chimĂ©rique, imaginaire, impossible Ă  toucher, impossible Ă  voir. Mais lorsque enfin la demoiselle se reposait Ă  la pointe d'un roseau et que vous pouviez examiner, en retenant votre souffle, les longues ailes de gaze, la longue robe d'Ă©mail, les deux globes de cristal, quel Ă©tonnement n'Ă©prouviez-vous pas et quelle peur de voir de nouveau la forme s'en aller en ombre et l'ĂȘtre en chimĂšre ! Rappelez-vous ces impressions, et vous vous rendrez aisĂ©ment compte de ce que ressentait Gringoire en contemplant sous sa forme visible et palpable cette Esmeralda qu'il n'avait entrevue jusque-lĂ  qu'Ă  travers un tourbillon de danse, de chant et de tumulte.
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Victor Hugo (Notre-Dame de ParĂ­s)
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Je me rappelle mon entrĂ©e sur la scĂšne, Ă  mon premier concert. [
] Je n'aimais pas ce public pour qui l'art n'est qu'une vanitĂ© nĂ©cessaire, ces visage composĂ©s dissimulant les Ăąmes, l'absence des Ăąmes. Je concevais mal qu'on pĂ»t jouer devant des inconnus, Ă  heure fixe, pour un salaire versĂ© d'avance. Je devinais les apprĂ©ciations toutes faites, qu'ils se croyaient obligĂ©s de formuler en sortant ; je haĂŻssais leur goĂ»t pour l'emphase inutile, l'intĂ©rĂȘt mĂȘme qu'ils me portaient, parce que j'Ă©tais de leur monde, et l'Ă©clat factice dont se paraient les femmes. Je prĂ©fĂ©rais encore les auditeurs de concerts populaires, donnĂ©s le soir dans quelque salle misĂ©rable, oĂč j'acceptais parfois de jouer gratuitement. Des gens venaient lĂ  dans l'espoir de s'instruire. Ils n'Ă©taient pas plus intelligents que les autres, ils Ă©taient seulement de meilleur volontĂ©. Ils avaient dĂ», aprĂšs leur repas, s'habiller le mieux possible ; ils avaient dĂ» consentir Ă  avoir froid, pendant deux longues heures, dans une salle presque noire. Les gens qui vont au thĂ©Ăątre cherchent Ă  s'oublier eux-mĂȘmes ; ceux qui vont au concert cherchent plutĂŽt Ă  se retrouver. Entre la dispersion du jour et la dissolution du sommeil, ils se retrempent dans ce qu'ils sont. Visage fatiguĂ©s des auditeurs du soir, visages qui se dĂ©tendent dans leurs rĂȘves et semblent s'y baigner. Mon visage
 En ne suis-je pas aussi trĂšs pauvre, moi qui n'ai ni amour, ni foi, ni dĂ©sir avouable, moi qui n'ai que moi-mĂȘme sur qui compter, et qui me suis presque toujours infidĂšle ? (p. 82-83)
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Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grùce)
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Les gens ont peur d’ĂȘtre bannis socialement ou obligĂ©s de quitter le pays. Il y a des lignes rouges que personne n’ose dĂ©passer, sur lesquelles veillent l’Etat et les oulĂ©mas. Je me souviens de la virulence avec laquelle un alem de l’Establishment avait excommuniĂ© le philosophe Mohamed Aziz Lahbabi. Celui-ci m’avait appelĂ© pour me demander de raisonner le alem en question. « Dis-lui que je fais mes priĂšres, que je ne suis pas un mĂ©crĂ©ant ». J’ai eu Ă  faire moi-mĂȘme Ă  un alem, le jour oĂč il m’a conviĂ©, sur le ton de la dĂ©fiance, Ă  un dĂ©bat sur la culture musulmane. Il Ă©tait question, au dĂ©part, qu’Abdellah Laroui et Mehdi Mandjera soient Ă  mes cĂŽtĂ©s pour confronter nos idĂ©es avec cinq oulĂ©mas de la vieille Ă©cole. J’ai essayĂ© finalement de m’en sortir tout seul, sans m’éloigner de la logique coranique. A vrai dire, je me sens obligĂ©, en tant que dĂ©fenseur d’une laĂŻcitĂ© tolĂ©rante, d’acquĂ©rir continuellement des connaissances religieuses prĂ©cises. En fait, entre 1968 et 1972, je me suis sĂ©rieusement penchĂ© sur l’exĂ©gĂšse du Coran, dont l’une des versions les plus exhaustives en 10 volumes que j’ai lue quatre fois. Peu importe Ă  quel degrĂ© de croyance je me situais, je voulais m’instruire. Dans la foulĂ©e, j’ai dĂ©cidĂ© de prendre une posture d’avocat sans prĂ©jugĂ©, se proposant de dĂ©fendre un client sans savoir s’il avait raison ou tort. Et en l’occurrence, je me suis fait l’avocat de l’Islam. Or, un avocat ne peut que donner raison Ă  son client. J’ai alors Ă©crit mon livre, Ce que dit le muezzin. Me suis-je convaincu moi-mĂȘme, Ă  l’arrivĂ©e ? En tout cas, j’ai au moins rendu hommage Ă  la religion dans laquelle j’avais Ă©tĂ© Ă©levĂ©. [Interview Economia, Octobre 2010]
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Mohammed Chafik
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La CitĂ© de la Puissance Divine Ă©tait d’abord du bruit. Des bruits qui couvraient d’autres bruits. Des projectiles tirĂ©s en plein jour pour effrayer un commerçant qui ne voulait pas s’acquitter de la redevance envers le gang du moment qui rançonnait, des postes de radio dont le volume Ă©tait mis Ă  fond, chacun Ă©mettant un programme diffĂ©rent, des voisins qui s’insultaient, des cris d’enfants qu’on tapait ; des gosses qui Ă©taient en train de courir, jouer, maigres, handicapĂ©s parce qu’ils avaient eu des accidents divers, que leurs parents pendant leur gestation avaient bu trop d’alcool, fumĂ© des substances interdites, qui subissaient la cruautĂ© de leurs camarades ; des mioches trop nombreux qui tĂ©moignaient du taux Ă©levĂ© de la natalitĂ©, nĂ©s d’amours Ă©phĂ©mĂšres, de viols ou des Ɠuvres de Dieu lui-mĂȘme. Des jeunes femmes qui priaient Ă  longueur de journĂ©e, affirmaient trĂšs sĂ©rieusement avoir Ă©tĂ© engrossĂ©es par le Saint-Esprit et racontaient leurs songes Ă  des gens Ă©bahis qui croiraient n’importe quoi tant ils Ă©taient paumĂ©s, dĂ©sespĂ©rĂ©s ; les fous, trop nombreux, les alcooliques, les droguĂ©s, les Ă©clopĂ©s du dernier tremblement de terre ou victimes des gangs, les aveugles, les morts que l’on pleurait, les prĂ©dicateurs qui serraient la main Ă  Dieu plusieurs fois par jour, les marchands ambulants qui vantaient haut et fort leurs produits ; les chiens, maigres, qui se ressemblaient tous, reniflant partout Ă  la recherche de nourriture, sautillant sur trois pattes, avec un Ɠil crevĂ©, une blessure infectĂ©e parce que tout le monde se dĂ©foulait sur les chiens errants, par plaisir, par habitude, par dĂ©sƓuvrement ; les caillasser Ă©tait un rĂ©flexe, chez les enfants et les adultes.
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Emmelie ProphĂšte (Les villages de Dieu)
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Il y a sous la sociĂ©tĂ©, insistons-y, et, jusqu’au jour oĂč l’ignorance sera dissipĂ©e, il y aura la grande caverne du mal. Cette cave est au-dessous de toutes et est l’ennemie de toutes. C’est la haine sans exception. Cette cave ne connaĂźt pas de philosophes ; son poignard n’a jamais taillĂ© de plume. Sa noirceur n’a aucun rapport avec la noirceur sublime de l’écritoire. Jamais les doigts de la nuit qui se crispent sous ce plafond asphyxiant n’ont feuilletĂ© un livre ni dĂ©pliĂ© un journal. Babeuf est un exploiteur pour Cartouche ! Marat est un aristocrate pour Schinderhannes. Cette cave a pour but l’effondrement de tout. De tout. Y compris les sapes supĂ©rieures, qu’elle exĂšcre. Elle ne mine pas seulement, dans son fourmillement hideux, l’ordre social actuel ; elle mine la philosophie, elle mine la science, elle mine le droit, elle mine la pensĂ©e humaine, elle mine la civilisation, elle mine la rĂ©volution, elle mine le progrĂšs. Elle s’appelle tout simplement vol, prostitution, meurtre et assassinat. Elle est tĂ©nĂšbres, et elle veut le chaos. Sa voĂ»te est faite d’ignorance. Toutes les autres, celles d’en haut, n’ont qu’un but, la supprimer. C’est lĂ  que tendent, par tous leurs organes Ă  la fois, par l’amĂ©lioration du rĂ©el comme par la contemplation de l’absolu, la philosophie et le progrĂšs. DĂ©truisez la cave Ignorance, vous dĂ©truisez la taupe Crime. Condensons en quelques mots une partie de ce que nous venons d’écrire. L’unique pĂ©ril social, c’est l’Ombre. HumanitĂ©, c’est identitĂ©. Tous les hommes sont la mĂȘme argile. Nulle diffĂ©rence, ici-bas du moins, dans la prĂ©destination. MĂȘme ombre avant, mĂȘme chair pendant, mĂȘme cendre aprĂšs. Mais l’ignorance mĂȘlĂ©e Ă  la pĂąte humaine la noircit. Cette incurable noirceur gagne le dedans de l’homme et y devient le Mal.
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Victor Hugo (Les Miserables)
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Il songea, une nouvelle fois, que, petit, un jour, il portait un lapin par les pattes de derriĂšre. C'Ă©tait en Sicile, les pattes Ă©taient attachĂ©es avec de la ficelle, il marchait Ă  cĂŽtĂ© de son pĂšre, son pĂšre trimbalait un panier de pommes de terre, et il sentait que le sang s'accumulait dans la petite tĂȘte du lapin, le lapin Ă©tait juste dans la posture de Saint-Pierre le jour de sa mort, les yeux du lapin muet avait un vertige infini de souffrance et de terreur, il aurait suffi de mettre l'animal dans l'autre sens, la tĂȘte en haut, alors, au moins, avant la mort inĂ©vitable, il aurait cessĂ© de souffrir, mais il n'osa pas. Par consĂ©quent, lui, petit, dĂ©jĂ  Ă©tait pris dans l'omertĂ  du monde, dans cette complicitĂ© gĂ©nĂ©rale qui nous fait, en gros, accepter des mers et des montagnes de souffrance et de terreur, les reconnaitre pour lĂ©gitimes, nĂ©cessaires, bonnes, justes. Si l'on se mettait, par exemple, Ă  souffrir pour un lapin, il faudrait, tout de suite, souffrir aussi pour les chevaux, les mouches, les rats, les vieillards. C'est pourquoi il avait continuĂ© Ă  tenir l'animal Ă  l'envers, par ses pattes ficelĂ©es, tout en sentant que le regret s'accumulait en lui, s'accumulait jusqu'Ă  former un dĂ©pĂŽt pesant dans la tĂȘte de l'animal, enflammant ses yeux de sang et de terreur, mais l'omertĂ , dĂ©jĂ , Ă©tait la plus forte, la complicitĂ© taciturne des hommes entre eux, des ĂȘtres entre eux. Demandez Ă  qui vous voudrez. Un lapin, pour un trajet donnĂ©, se porte la tĂȘte en bas, ficelĂ© par les pattes de derriĂšre, c'est la loi. Un bambin, sur un chemin, dans la grande Ăźle, dans la Sicile, il ne va pas, de lui-mĂȘme, accomplir la rĂ©volution, tourner l'animal dans l'autre sens, dans le sens du pardon, du bien-ĂȘtre, au risque de troubler le pas de son pĂšre, son pĂšre portait les pommes de terre.
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Jacques Audiberti (Le MaĂźtre De Milan)
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« Je connais son odeur. Ce petit grain de beautĂ© dans son cou quand elle relĂšve ses cheveux. Elle a la lĂšvre supĂ©rieure un peu plus charnue que l’infĂ©rieure. La courbe de son poignet, quand elle tient un stylo. C’est mal, c’est vraiment mal, mais je connais les contours de sa silhouette. J’y pense en me couchant, et puis je me lĂšve, je vais bosser, et elle est lĂ , et c’est insupportable. Je lui dis des trucs avec lesquels je sais qu’elle sera d’accord, juste pour l’entendre me rĂ©pondre : « Hm-hm. » C’est sensuel comme la sensation de l’eau chaude sur mon dos, putain. Elle est mariĂ©e. Elle est brillante. Elle me fait confiance, et la seule chose que j’ai en tĂȘte c’est de l’amener dans mon bureau, la dĂ©shabiller, lui faire des choses inavouables. Et j’ai envie de le lui dire. J’ai envie de lui dire qu’elle est  lumineuse, elle brille d’un tel Ă©clat dans mon esprit que ça m’empĂȘche parfois de me concentrer. Parfois j’oublie pourquoi je suis entrĂ© dans la piĂšce. Je suis distrait. J’ai envie de la pousser contre un mur, et j’ai envie qu’elle se blottisse contre moi. J’ai envie de remonter le temps pour aller mettre un coup de poing Ă  son stupide mari le jour oĂč je l’ai rencontrĂ©, et ensuite repartir dans le futur pour lui en coller un autre. J’ai envie de lui acheter des fleurs, de la nourriture, des livres. J’ai envie de lui tenir la main, et de l’enfermer dans ma chambre. Elle est tout ce que j’ai toujours voulu, et je veux me l’injecter dans les veines, et Ă  la fois ne plus jamais la revoir. Elle est unique, et ces sentiments, ils sont intolĂ©rables, putain. Ils Ă©taient Ă  moitiĂ© en sommeil tant qu’elle Ă©tait absente, mais, maintenant elle est lĂ , et je ne contrĂŽle plus mon corps, comme un putain d’ado, et je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux rien faire, alors je vais juste
 ne rien faire.  »
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Ali Hazelwood (Love on the Brain)
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Cette sĂ©paration alchimique, si dangereuse que les philophes hermĂ©tiques n’en parlaient qu’à mots couverts, si ardue que de longues vies s’étaient usĂ©es en vain Ă  l’obtenir, il l’avait confondue jadis avec une rĂ©bellion facile. Puis, rejetant ce fatras de rĂȘvasseries aussi antiques que l’illusion humaine, ne retenant de ses maĂźtres alchimistes que quelques recettes pragmatiques, il avait choisi de dissoudre et de coaguler la matiĂšre dans le sens d’une expĂ©rimentation faite avec le corps des choses. Maintenant, les deux branches de la parabole se rejoignaient ; la mors philosophica, s’était accomplie : l’opĂ©rateur brĂ»lĂ© par les acides de la recherche Ă©tait Ă  la fois sujet et objet, alambic fragile et, au fond du rĂ©ceptacle, prĂ©cipitĂ© noir. L’expĂ©rience qu’on avait cru pouvoir confiner Ă  l’officine s’était Ă©tendue Ă  tout. S’en suivait-il que les phases subsĂ©quentes de l’aventure alchimique fussent autre chose que des songes, et qu’un jour il connaĂźtrait aussi la puretĂ© ascĂ©tique de l’ ƒuvre au Blanc, puis le triomphe de l’esprit et des sens qui caractĂ©rise l’ ƒuvre au Rouge ? Du fond de la lĂ©zarde naissait une ChimĂšre. Il disait Oui par audace, comme autrefois par audace il avait dit Non. Il s’arrĂȘtait soudain, tirant violemment sur ses propres rĂȘnes. La premiĂšre phase de l’ƒuvre avait demandĂ© toute sa vie. Le temps et les forces manquaient pour aller plus loin, Ă  supposer qu’il y eĂ»t une route, et que par cette route un homme pĂ»t passer. Ou ce pourrissement des idĂ©es, cette mort des instincts, ce broiement des formes preque insupportables Ă  la nature humaine seraient rapidement suivis par la mort vĂ©ritable, et il serait curieux de voir par quelle voie, ou l’esprit revenu des domaines du vertige reprendrait ses routines habituelles, muni seulement de facultĂ©s plus libres et comme nettoyĂ©es. Il serait beau d’en voir les effets.
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Marguerite Yourcenar
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_ Pourquoi sont-ils si mĂ©prisants ? demanda ChloĂ©. Ce n'est pas tellement bien de travailler... _ On leur a dit que c’était bien, dit Colin. En gĂ©nĂ©ral, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement. _ En tout cas, c'est idiot de faire un travail que des machines pourraient faire. _ Il faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera? _ Oh! Evidemment, dit ChloĂ©. Pour faire un Ɠuf, il faut une poule, mais, une fois qu'on a la poule, on peut avoir des tas d’Ɠufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule. _ Il faudrait savoir, dit Colin, qui empĂȘche de faire des machines. C'est le temps qui doit manquer. Les gens perdent leur temps Ă  vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travailler. _ Ce n'est pas plutĂŽt le contraire? dit ChloĂ©. _ Non, dit Colin. S'ils avaient le temps de construire les machines, aprĂšs ils n'auraient plus besoin de rien faire. Ce que je veux dire c'est qu'ils travaillent pour vivre au lieu de travailler Ă  construire des machines qui les feraient vivre sans travailler. _ C'est compliquĂ©, estima ChloĂ©. _ Non, dit Colin. C'est trĂšs simple. Ça devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais, on perd tellement de temps Ă  faire des choses qui s'usent... - Mais, tu crois qu'ils n'aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller Ă  la piscine et aux divertissements? - Non, dit Colin. Parce qu'ils n'y pensent pas. - Mais est-ce que c'est leur faute si ils croient que c'est bien de travailler? - Non, dit Colin, ce n'est pas leur faute. C'est parce qu'on leur a dit : « Le travail, c'est sacrĂ©, c'est bien, c'est beau, c'est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit Ă  tout. » Seulement, on s'arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter. _ Mais, alors, ils sont bĂȘtes? dit ChloĂ©. _ Oui, ils sont bĂȘtes, dit Colin. C'est pour ça qu'ils sont d'accord avec ceux qui leur font croire que le travail c'est ce qu'il y a de mieux. Ça leur Ă©vite de rĂ©flĂ©chir et de chercher Ă  progresser et Ă  ne plus travailler.
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Boris Vian (L'Écume des jours)
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« Nous sommes toujours en 1929 et, cette annĂ©e-lĂ , George Washington Hill (1884-1946), prĂ©sident de l’American Tobacco Co., dĂ©cide de s'attaquer au tabou qui interdit Ă  une femme de fumer en public, un tabou qui, thĂ©oriquement, faisait perdre Ă  sa compagnie la moitiĂ© de ses profits. Hill embauche Bernays, qui, de son cĂŽtĂ©, consulte aussitĂŽt le psychanalyste Abraham Arden Brill (1874-1948), une des premiĂšres personnes Ă  exercer cette profession aux États-Unis. Brill explique Ă  Bernays que la cigarette est un symbole phallique reprĂ©sentant le pouvoir sexuel du mĂąle : s’il Ă©tait possible de lier la cigarette Ă  une forme de contestation de ce pouvoir, assure Brill, alors les femmes, en possession de leurs propres pĂ©nis, fumeraient. La ville de New York tient chaque annĂ©e, Ă  PĂąques, une cĂ©lĂšbre et trĂšs courue parade. Lors de celle de 1929, un groupe de jeunes femmes avaient cachĂ© des cigarettes sous leurs vĂȘtements et, Ă  un signal donnĂ©, elles les sortirent et les allumĂšrent devant des journalistes et des photographes qui avaient Ă©tĂ© prĂ©venus que des suffragettes allaient faire un coup d’éclat. Dans les jours qui suivirent, l’évĂ©nement Ă©tait dans tous les journaux et sur toutes les lĂšvres. Les jeunes femmes expliquĂšrent que ce qu'elles allumaient ainsi, c'Ă©tait des « flambeaux de la libertĂ© » (torches of freedom). On devine sans mal qui avait donnĂ© le signal de cet allumage collectif de cigarettes et qui avait inventĂ© ce slogan ; comme on devine aussi qu'il s'Ă©tait agi Ă  chaque fois de la mĂȘme personne et que c'est encore elle qui avait alertĂ© les mĂ©dias. Le symbolisme ainsi crĂ©Ă© rendait hautement probable que toute personne adhĂ©rant Ă  la cause des suffragettes serait Ă©galement, dans ta controverse qui ne manquerait pas de s'ensuivre sur la question du droit des femmes de fumer en public, du cĂŽtĂ© de ceux et de celles qui le dĂ©fendaient - cette position Ă©tant justement celle que les cigarettiers souhaitaient voir se rĂ©pandre. Fumer Ă©tant devenu socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes Ă  cette nouvelle clientĂšle allaient exploser. » Norman Baillargeon, prĂ©face du livre d’Edward Bernays, « Propaganda ». (É. Bernays Ă©tait le neveu de S. Freud)
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Norman Baillargeon
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277. Providence personnelle. Il existe un certain point supĂ©rieur de la vie : lorsque nous l’avons atteint, malgrĂ© notre libertĂ© et quoi que nous dĂ©niions au beau chaos de l’existence toute raison prĂ©voyante et toute bontĂ©, nous sommes encore une fois en grand danger de servitude intellectuelle et nous avons Ă  faire nos preuves les plus difficiles. Car c’est maintenant seulement que notre esprit est violemment envahi par l’idĂ©e d’une providence personnelle, une idĂ©e qui a pour elle le meilleur avocat, l’apparence Ă©vidente, maintenant que nous pouvons constater que toutes, toutes choses qui nous frappent, tournent toujours Ă  notre bien. La vie de chaque jour et de chaque heure semble vouloir dĂ©montrer cela toujours Ă  nouveau ; que ce soit n’importe quoi, le beau comme le mauvais temps, la perte d’un ami, une maladie, une calomnie, la non-arrivĂ©e d’une lettre, un pied foulĂ©, un regard jetĂ© dans un magasin, un argument qu’on vous oppose, le fait d’ouvrir un livre, un rĂȘve, une fraude : tout cela nous apparaĂźt, immĂ©diatement, ou peu de temps aprĂšs, comme quelque chose qui « ne pouvait pas manquer », — quelque chose qui est plein de sens et d’une profonde utilitĂ©, prĂ©cisĂ©ment pour nous ! Y a-t-il une plus dangereuse sĂ©duction que de retirer sa foi aux dieux d’Épicure, ces insouciants inconnus, pour croire Ă  une divinitĂ© quelconque, soucieuse et mesquine, qui connaĂźt personnellement chaque petit cheveu sur notre tĂȘte et que les services les plus dĂ©testables ne dĂ©goĂ»tent point ? Eh bien ! — je veux dire malgrĂ© tout cela, — laissons en repos les dieux et aussi les gĂ©nies serviables, pour nous contenter d’admettre que maintenant notre habiletĂ©, pratique et thĂ©orique, Ă  interprĂ©ter et Ă  arranger les Ă©vĂ©nements atteint son apogĂ©e. Ne pensons pas non plus trop de bien de cette dextĂ©ritĂ© de notre sagesse, si nous sommes parfois surpris de la merveilleuse harmonie que produit le jeu sur notre instrument : une harmonie trop belle pour que nous osions nous l’attribuer Ă  nous-mĂȘmes. En effet, de-ci de-lĂ , il y a quelqu’un qui se joue de nous — le cher hasard : Ă  l’occasion, il nous conduit la main et la providence la plus sage ne saurait imaginer de musique plus belle que celle qui rĂ©ussit alors sous notre folle main.
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Friedrich Nietzsche (Oeuvres complÚtes (24 titres annotés))
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Maldoror, Ă©coute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence Ă©gale Ă  la tienne. Un jour, tu m’appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n’ai pas dĂ©menti la confiance que tu m’avais vouĂ©e. Je ne suis qu’un simple habitant des roseaux, c’est vrai ; mais, grĂące Ă  ton propre contact, ne prenant que ce qu’il y avait de beau en toi, ma raison s’est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l’abĂźme. Ceux qui s’intitulent tes amis te regardent, frappĂ©s de consternation, chaque fois qu’ils te rencontrent, pĂąle et voĂ»tĂ©, dans les thĂ©Ăątres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu’il porte son maĂźtre-fantĂŽme, enveloppĂ© dans un long manteau noir. Abandonne ces pensĂ©es, qui rendent ton cƓur vide comme un dĂ©sert ; elles sont plus brĂ»lantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t’en aperçois pas, et que tu crois ĂȘtre dans ton naturel, chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensĂ©es, quoique pleines d’une infernale grandeur. Malheureux ! qu’as-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ô triste reste d’une intelligence immortelle, que Dieu avait crĂ©Ă©e avec tant d’amour ! Tu n’as engendrĂ© que des malĂ©dictions, plus affreuses que la vue de panthĂšres affamĂ©es ! Moi, je prĂ©fĂ©rerais avoir les paupiĂšres collĂ©es, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassinĂ© un homme, que ne pas ĂȘtre toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractĂšre qui m’étonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dĂ©rision ceux qui l’habitent, Ă©pave pourrie, ballottĂ©e par le scepticisme ? Si tu ne t’y plais pas, il faut retourner dans les sphĂšres d’oĂč tu viens. Un habitant des citĂ©s ne doit pas rĂ©sider dans les villages, pareil Ă  un Ă©tranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphĂšres plus spacieuses que la nĂŽtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons mĂȘme pas concevoir. Eh bien, va-t’en !
 retire-toi de ce sol mobile !
 montre enfin ton essence divine, que tu as cachĂ©e jusqu’ici ; et, le plus tĂŽt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphĂšre, que nous n’envions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu Ă  reconnaĂźtre si tu es un homme ou plus qu’un homme ! Adieu donc ; n’espĂšre plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour l’éternitĂ©, afin d’implorer ton pardon !
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Comte de Lautréamont
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On apprit qu’il avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, en dehors de la ville, en proie Ă  un accĂšs de folie furieuse. On l’avait conduit Ă  l’hĂŽpital oĂč il Ă©tait mort deux jours aprĂšs. Une mort pareille Ă©tait la consĂ©quence nĂ©cessaire, naturelle, de toute sa vie. Il devait mourir ainsi, quand tout ce qui le soutenait dans la vie disparaissait d’un coup comme une vision, comme un rĂȘve vide. Il mourut aprĂšs avoir perdu son dernier espoir, aprĂšs avoir eu la vision nette de tout ce qui avait leurrĂ© et soutenu sa vie. La vĂ©ritĂ© l’aveugla de son Ă©clat insoutenabe . et ce qui Ă©tait le mensonge lui apparut tel Ă  lui-mĂȘme. Pendant la derniĂšre heure de sa vie, il avait entendu un gĂ©nie merveilleux qui lui avait contĂ© sa propre existence et l’avait condamnĂ© pour toujours. Avec le dernier son jailli du violon du gĂ©nial S... s’était dĂ©voilĂ© Ă  ses yeux tout le mystĂšre de l’art, et le gĂ©nie, Ă©ternellement jeune, puissant et vrai, l’avait Ă©crasĂ© de sa vĂ©ritĂ©. Il semblait que tout ce qui l’avait tourmentĂ© durant toute sa vie, par des souffrances mystĂ©rieuses, indicibles, tout ce qu’il n’avait vu jusqu’à ce jour que dans un rĂȘve et qu’il fuyait avec horreur et se masquait par le mensonge de toute sa vie, tout ce qu’il pressentait et redoutait, tout cela, tout d’un coup, brillait Ă  ses yeux qui, obstinĂ©ment, ne voulaient par reconnaĂźtre que la lumiĂšre est la lumiĂšre, et que les tĂ©nĂšbres sont les tĂ©nĂšbres. La vĂ©ritĂ© Ă©tait intolĂ©rable pour ces yeux qui voyaient clair pour la premiĂšre fois ; elle l’aveugla et dĂ©truisit sa raison. Elle l’avait frappĂ© brusquement, comme la foudre. Soudain s’était rĂ©alisĂ© ce qu’il avait attendu toute sa vie avec un tremblement de terreur. Il semblait que durant toute sa vie une hache avait Ă©tĂ© suspendue au-dessus de sa tĂȘte ; que toute sa vie il avait attendu Ă  chaque instant, dans des souffrance indicibles, que cette hache le frappĂąt. Enfin elle l’avait frappĂ©. Le coup Ă©tait mortel. Il voulait s’enfuir, mais il ne savait oĂč aller. Le dernier espoir s’était Ă©vanoui, le dernier prĂ©texte anĂ©anti. Celle dont la vie lui avait Ă©tĂ© un fardeau pendant de longues annĂ©es, celle dont la mort, ainsi qu’il le croyait dans son aveuglement, devait amener sa rĂ©surrection Ă  lui, Ă©tait morte. Enfin il Ă©tait seul ; rien ne le gĂȘnait. Il Ă©tait enfin libre ! Pour la derniĂšre fois, dans un accĂšs de dĂ©sespoir, il avait voulu se juger soi-mĂȘme, se condamner impitoyablement comme un juge Ă©quitable ; mais son archet avait faibli et n’avait pu que rĂ©pĂ©ter faiblement la derniĂšre phrase musicale du gĂ©nie. À ce moment, la folie, qui le guettait depuis dix ans, l’avait frappĂ© irrĂ©missiblement
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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De cette assise sortent les spirales des liserons Ă  cloches blanches, les brindilles de la bugrane rose, mĂȘlĂ©es de quelques fougĂšres, de quelques jeunes pousses de chĂȘne aux feuilles magnifiquement colorĂ©es et lustrĂ©es ; toutes s’avancent prosternĂ©es, humbles comme des saules pleureurs, timides et suppliantes comme des priĂšres. Au-dessus, voyez les fibrilles dĂ©liĂ©es, fleuries, sans cesse agitĂ©es de l’amourette purpurine qui verse Ă  flots ses anthĂšres presque jaunes ; les pyramides neigeuses du paturin des champs et des eaux, la verte chevelure des bromes stĂ©riles, les panaches effilĂ©s de ces agrostis nommĂ©s les Ă©pis du vent ; violĂątres espĂ©rances dont se couronnent les premiers rĂȘves et qui se dĂ©tachent sur le fond gris de lis oĂč la lumiĂšre rayonne autour de ces herbes en fleurs. Mais dĂ©jĂ  plus haut, quelques roses du Bengale clairsemĂ©es parmi les folles dentelles du daucus, les plumes de la linaigrette, les marabous de la reine des prĂ©s, les ombellules du cerfeuil sauvage, les blonds cheveux de la clĂ©matite en fruits, les mignons sautoirs de la croisette au blanc de lait, les corymbes des millefeuilles, les tiges diffuses de la fumeterre aux fleurs roses et noires, les vrilles de la vigne, les brins tortueux des chĂšvrefeuilles ; enfin tout ce que ces naĂŻves crĂ©atures ont de plus Ă©chevelĂ©, de plus dĂ©chirĂ©, des flammes et de triples dards, des feuilles lancĂ©olĂ©es, dĂ©chiquetĂ©es, des tiges tourmentĂ©es comme les dĂ©sirs entortillĂ©s au fond de l’ñme. Du sein de ce prolixe torrent d’amour qui dĂ©borde, s’élance un magnifique double pavot rouge accompagnĂ© de ses glands prĂȘts Ă  s’ouvrir, dĂ©ployant les flammĂšches de son incendie au- dessus des jasmins Ă©toilĂ©s et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans l’air en reflĂ©tant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! Quelle femme enivrĂ©e par la senteur d’Aphrodise cachĂ©e dans la flouve, ne comprendra ce luxe d’idĂ©es soumises, cette blanche tendresse troublĂ©e par des mouvements indomptĂ©s, et ce rouge dĂ©sir de l’amour qui demande un bonheur refusĂ© dans les luttes cent fois recommencĂ©es de la passion contenue, infatigable, Ă©ternelle ? Mettez ce discours dans la lumiĂšre d’une croisĂ©e, afin d’en montrer les frais dĂ©tails, les dĂ©licates oppositions, les arabesques, afin que la souveraine Ă©mue y voie une fleur plus Ă©panouie et d’oĂč tombe une larme ; elle sera bien prĂšs de s’abandonner, il faudra qu’un ange ou la voix son enfant la retienne au bord de l’abĂźme. Que donne-t-on Ă  Dieu ? des parfums, de la lumiĂšre et des chants, les expressions les plus Ă©purĂ©es de notre nature. Eh! bien, tout ce qu’on offre Ă  Dieu n’était-il pas offert Ă  l’amour dans ce poĂšme de fleurs lumineuses qui bourdonnait incessamment ses mĂ©lodies au cƓur, en y caressant des voluptĂ©s cachĂ©es, des espĂ©rances inavouĂ©es, des illusions qui s’enflamment et s’éteignent comme des fils de la vierge par une nuit chaude.
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Honoré de Balzac
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre d’une pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu d’une foule Ă©trangĂšre, tout Ă  fait Ă©trangĂšre Ă  mes sentiments, je n’ai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cƓur in’ait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e m’a saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, c’est le premier instant de bonheur que je retrouve. Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cƓur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ  comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce n’est pas une illusion d’optique. Je m’en amuse, ou plutĂŽt on s’amuse de moi comme d’une ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet d’aller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je m’oublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha. Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne l’ai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes s’est Ă©vanoui ; l’enchantement qui, le matin, m’arrachait au sommeil a fui loin de moi. Je n’ai trouvĂ© ici qu’une femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si l’on peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ  qui fait de jolis compliments ! » Cela n’est pas tout Ă  fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; j’ai beaucoup d’esprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finement
. «Ni mentir, ajouterez-vous, car l’un ne va pas sans l’autre, entendez-vous ?
 » Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup d’ñme, on le voit d’abord Ă  la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă  charge ; il ne satisfait aucun des vƓux de son cƓur. Elle aspire Ă  sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă  vous, Charlotte ! Que de fois n’est-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !
 Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime. Oh ! si j’étais assis Ă  vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante ! Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; l’orage est passĂ© ; et moi
. il faut que je rentre dans ma cage
. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?
 Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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J’ai remarquĂ© souvent que quand deux amis pĂ©tersbourgeois se rencontrent quelque part, aprĂšs s’ĂȘtre saluĂ©s, ils demandent en mĂȘme temps : Quoi de neuf ? il y a une tristesse particuliĂšre dans leurs voix, quelle qu’ait Ă©tĂ© l’intonation initiale de leur conversation. En effet, une dĂ©sespĂ©rance totale est liĂ©e Ă  cette question Ă  PĂ©tersbourg. Mais le plus agaçant c’est que, trĂšs souvent, l’homme qui la pose est tout Ă  fait indiffĂ©rent, un PĂ©tersbourgeois de naissance, qui connaĂźt trĂšs bien la coutume, sait d’avance qu’on ne lui rĂ©pondra rien, qu’il n’y a rien de nouveau, qu’il a posĂ© cette question peut-ĂȘtre mille fois sans aucun succĂšs ; cependant, il la pose, et il a l’air de s’y intĂ©resser, comme si les convenances l’obligeaient de participer lui aussi Ă  la vie publique, d’avoir des intĂ©rĂȘts publics. Mais les intĂ©rĂȘts publics... C’est-Ă -dire nous ne nions pas que nous ayons des intĂ©rĂȘts publics ; nous tous aimons ardemment la patrie, nous aimons notre cher PĂ©tersbourg, nous aimons jouer si l’occasion se prĂ©sente. En un mot il y a beaucoup d’intĂ©rĂȘts publics. Mais ce qu’il y a surtout chez nous, ce sont les groupes. On sait que PĂ©tersbourg n’est que la rĂ©union d’un nombre considĂ©rable de petits groupes dont chacun a ses statuts, ses conventions, ses lois, sa logique et son oracle. C’est en quelque sorte le produit de notre caractĂšre national qui a encore peur de la vie publique et tient plutĂŽt au foyer. En outre, la vie publique exige un certain art ; il faut s’y prĂ©parer ; il faut beaucoup de conditions. Aussi, l’on prĂ©fĂšre la maison. LĂ , tout est plus simple ; il ne faut aucun art ; on est plus tranquille. Dans le groupe, on vous rĂ©pondra bravement Ă  la question : Quoi de neuf ? La question reçoit tout de suite un sens particulier, et l’on vous rĂ©pond ou par un potin, ou par un bĂąillement, ou par quelque chose qui vous force vous-mĂȘme Ă  bĂąiller cyniquement, magistralement. Dans le groupe, on peut traĂźner de la façon la meilleure et la plus douce une vie utile entre le bĂąillement et le ragot, jusqu’au moment oĂč la grippe, ou bien la fiĂšvre chaude, visite votre demeure ; et vous quittez alors la vie stoĂŻquement, avec indiffĂ©rence, sans savoir comment et pourquoi tout cela Ă©tait avec vous jusqu’alors. Aujourd’hui, dans l’obscuritĂ©, au crĂ©puscule, aprĂšs une triste journĂ©e, plein d’étonnement que tout se soit arrangĂ© ainsi, il semble qu’on ait vĂ©cu, qu’on ait atteint quelque chose, et tout Ă  coup, on ne sait pas pourquoi, il faut quitter ce monde agrĂ©able et sans soucis pour Ă©migrer dans un monde meilleur. Dans certains groupes, d’ailleurs, on parle fortement de la cause. Quelques personnes instruites et bien intentionnĂ©es se rĂ©unissent. On bannit sĂ©vĂšrement tous les plaisirs innocents, comme les potins et la prĂ©fĂ©rence, et, avec un entrain incomprĂ©hensible, on parle de diffĂ©rents sujets trĂšs importants. Enfin, aprĂšs avoir bavardĂ©, parlĂ©, rĂ©solu quelques questions d’utilitĂ© gĂ©nĂ©rale, et aprĂšs avoir rĂ©ussi Ă  imposer aux uns et aux autres une opinion sur toutes choses, le groupe est saisi d’une irritation quelconque et commence Ă  s’affaiblir considĂ©rablement. Finalement, tous se fĂąchent les uns contre les autres. On se dit quelques dures vĂ©ritĂ©s. Quelques caractĂšres tranchants se font jour et tout se termine par la dislocation totale. Ensuite on se calme ; on fait provision de bon sens et, peu Ă  peu, l’on se rĂ©unit de nouveau dans le groupe dĂ©crit ci-dessus. Sans doute il est agrĂ©able de vivre ainsi. Mais Ă  la longue cela devient irritant ; cela irrite fortement.
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Fyodor Dostoevsky
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JULIETTE.—Oh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la libertĂ©. Terre vile, rends-toi Ă  la terre; que tout mouvement s’arrĂȘte, et qu’une mĂȘme biĂšre presse de son poids et RomĂ©o et toi. LA NOURRICE.—O Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que j’eusse! O aimable Tybalt, honnĂȘte cavalier, faut-il que j’aie vĂ©cu pour te voir mort! JULIETTE.—Quelle est donc cette tempĂȘte qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? RomĂ©o est-il tuĂ©, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chĂ©ri et mon Ă©poux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-lĂ  sont morts? LA NOURRICE.—Tybalt est mort, et RomĂ©o est banni: RomĂ©o, qui l’a tuĂ©, est banni. JULIETTE.—O Dieu! la main de RomĂ©o a-t-elle versĂ© le sang de Tybalt? LA NOURRICE.—Il l’a fait, il l’a fait! O jour de malheur! il l’a fait! JULIETTE.—O coeur de serpent cachĂ© sous un visage semblable Ă  une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angĂ©lique dĂ©mon, corbeau couvert des plumes d’une colombe, agneau transportĂ© de la rage du loup, mĂ©prisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais Ă  juste titre, damnable saint, traĂźtre plein d’honneur! O nature, qu’allais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de l’ñme d’un dĂ©mon? Jamais livre contenant une aussi infĂąme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais? LA NOURRICE.—Il n’y a plus ni sincĂ©ritĂ©, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! oĂč est mon valet? Donnez-moi un peu d’aqua vité
.. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit Ă  RomĂ©o! JULIETTE.—Maudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il n’est pas nĂ© pour la honte: la honte rougirait de s’asseoir sur son front; c’est un trĂŽne oĂč on peut couronner l’honneur, unique souverain de la terre entiĂšre. Oh! quelle brutalitĂ© me l’a fait maltraiter ainsi? LA NOURRICE.—Quoi! vous direz du bien de celui qui a tuĂ© votre cousin? JULIETTE.—Eh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre Ă©poux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je l’ai ainsi dĂ©chirĂ©? Mais pourquoi, traĂźtre, as-tu tuĂ© mon cousin? Ah! ce traĂźtre de cousin a voulu tuer mon Ă©poux.—Rentrez, larmes insensĂ©es, rentrez dans votre source; c’est au malheur qu’appartient ce tribut que par mĂ©prise vous offrez Ă  la joie. Mon Ă©poux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon Ă©poux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleurĂ©-je? Ah! c’est qu’il y a lĂ  un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui m’a assassinĂ©e.—Je voudrais bien l’oublier; mais, ĂŽ ciel! il pĂšse sur ma mĂ©moire comme une offense digne de la damnation sur l’ñme du pĂ©cheur. Tybalt est mort, et RomĂ©o est
.. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tuĂ© pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt Ă©tait un assez grand malheur, tout eĂ»t-il fini lĂ ; ou si les cruelles douleurs se plaisent Ă  marcher ensemble, et qu’il faille nĂ©cessairement que d’autres peines les accompagnent, pourquoi, aprĂšs m’avoir dit: «Tybalt est mort,» n’a-t-elle pas continuĂ©: «ton pĂšre aussi, ou ta mĂšre, ou tous les deux?» cela eĂ»t excitĂ© en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arriĂšre-garde qui a suivi la mort de Tybalt, RomĂ©o est banni; par ce seul mot, pĂšre, mĂšre, Tybalt, RomĂ©o, Juliette, tous sont assassinĂ©s, tous morts. RomĂ©o banni! Il n’y a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort qu’apporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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Les hommes, disais-je, se plaignent souvent de compter peu de beaux jours et beaucoup de mauvais, et il me semble que, la plupart du temps, c’est mal Ă  propos. Si nous avions sans cesse le cƓur ouvert pour jouir des biens que Dieu nous dispense chaque jour, nous aurions assez de force pour supporter le mal quand il vient. — Mais nous ne sommes pas les maĂźtres de notre humeur, dit la mĂšre ; combien de choses dĂ©pendent de l’état du corps ! Quand on n’est pas bien, on est mal partout. » J’en tombai d’accord et j’ajoutai : « Eh bien, considĂ©rons la chose comme une maladie, et demandons-nous s’il n’y a point de remĂšde. — C’est parler sagement, dit Charlotte : pour moi, j’estime que nous y pouvons beaucoup. Je le sais par expĂ©rience. Si quelque chose me contrarie et veut me chagriner, je cours au jardin et me promĂšne, en chantant quelques contredanses : cela se passe aussitĂŽt. — C’est ce que je voulais dire, repris-je Ă  l’instant : il en est de la mauvaise humeur absolument comme de la paresse ; car c’est une sorte de paresse. Par notre nature, nous y sommes fort enclins, et cependant, si nous avons une fois la force de nous surmonter, le travail nous devient facile, et nous trouvons dans l’activitĂ© un vĂ©ritable plaisir. » FrĂ©dĂ©rique Ă©tait fort attentive, et le jeune homme m’objecta qu’on n’était pas maĂźtre de soi, et surtout qu’on ne pouvait commander Ă  ses sentiments. « II s’agit ici, rĂ©pliquai-je, d’un sentiment dĂ©sagrĂ©able, dont chacun est bien aise de se dĂ©livrer, et personne ne sait jusqu’oĂč ses forces s’étendent avant de les avoir essayĂ©es. AssurĂ©ment, celui qui est malade consultera tous les mĂ©decins, et il ne refusera pas les traitements les plus pĂ©nibles, les potions les plus amĂšres, pour recouvrer la santĂ© dĂ©sirĂ©e. [...] Vous avez appelĂ© la mauvaise humeur un vice : cela me semble exagĂ©rĂ©. — Nullement, lui rĂ©pondis-je, si une chose avec laquelle on nuit Ă  son prochain et Ă  soi-mĂȘme mĂ©rite ce nom. N’est-ce pas assez que nous ne puissions nous rendre heureux les uns les autres ? faut-il encore nous ravir mutuellement le plaisir que chacun peut quelquefois se procurer ? Et nommez-moi l’homme de mauvaise humeur, qui soit en mĂȘme temps assez ferme pour la dissimuler, la supporter seul, sans troubler la joie autour de lui ! N’est-ce pas plutĂŽt un secret dĂ©plaisir de notre propre indignitĂ©, un mĂ©contentement de nous-mĂȘmes, qui se lie toujours avec une envie aiguillonnĂ©e par une folle vanitĂ© ? Nous voyons heureux des gens qui ne nous doivent pas leur bonheur, et cela nous est insupportable. » Charlotte me sourit, en voyant avec quelle Ă©motion je parlais, et une larme dans les yeux de FrĂ©dĂ©rique m’excita Ă  continuer. « Malheur, m’écriai-je, Ă  ceux qui se servent de l’empire qu’ils ont sur un cƓur, pour lui ravir les joies innocentes dont il est lui-mĂȘme la source ! Tous les prĂ©sents, toutes les prĂ©venances du monde, ne peuvent compenser un moment de joie spontanĂ©e, que nous empoisonne une envieuse importunitĂ© de notre tyran. [...] Si seulement on se disait chaque jour : Tu ne peux rien pour tes amis que respecter leurs plaisirs et augmenter leur bonheur en le goĂ»tant avec eux. Peux-tu, quand le fond de leur ĂȘtre est tourmentĂ© par une passion inquiĂšte, brisĂ© par la souffrance, leur verser une goutte de baume consolateur ?
 Et, quand la derniĂšre, la plus douloureuse maladie surprendra la personne que tu auras tourmentĂ©e dans la fleur de ses jours, qu’elle sera couchĂ©e dans la plus dĂ©plorable langueur, que son Ɠil Ă©teint regardera le ciel, que la sueur de la mort passera sur son front livide, et que, debout devant le lit, comme un condamnĂ©, dans le sentiment profond qu’avec tout ton pouvoir tu ne peux rien, l’angoisse te saisira jusqu’au fond de l’ñme, Ă  la pensĂ©e que tu donnerais tout au monde pour faire passer dans le sein de la crĂ©ature mourante une goutte de rafraĂźchissement, une Ă©tincelle de courage !

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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Les deux femmes, vĂȘtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sƓur, elles jetĂšrent dessus des fleurs et de l’eau bĂ©nite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeĂątre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumĂšrent deux petites bougies qui Ă©taient sur la table de nuit, s’agenouillĂšrent et me dirent de prier comme elles. Je priai, oh ! bien fort, le plus qu’il m’était possible ! mais rien
 LĂ©lia ne remuait pas ! Je fus longtemps ainsi agenouillĂ©, la tĂȘte sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me dĂ©chirant l’ñme avec des priĂšres et des vƓux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indĂ©cises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, Ă  une place, une forme ronde qui devait ĂȘtre La tĂȘte, et plus bas une autre qui semblait ĂȘtre les pieds. Je croyais, moi, pauvre naĂŻf enfant, je croyais que la priĂšre pouvait rendre la vie Ă  un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur ! Oh ! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passĂ©e Ă  prier sur un cadavre, Ă  pleurer, Ă  vouloir faire renaĂźtre le nĂ©ant ! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, Ă  la lueur de deux cierges mortuaires, entourĂ© de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vĂ©nales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scĂšne de dĂ©sespoir et de deuil vous remplit le cƓur : enfant, de tristesse et d’amertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de dĂ©sespoir ! Le jour arriva. Mais quand le jour commença Ă  paraĂźtre, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient Ă  mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissĂšrent seul. Je courus aprĂšs elles, et me traĂźnant Ă  leurs pieds, m’attachant Ă  leurs vĂȘtements : — Ma sƓur ! leur dis-je, eh bien, ma sƓur ! oui, LĂ©lia ! oĂč est-elle ? Elles me regardĂšrent Ă©tonnĂ©es. — Ma sƓur ! vous m’avez dit de prier, j’ai priĂ© pour qu’elle revienne, vous m’avez trompĂ© ! — Mais c’était pour son Ăąme ! Son Ăąme ? Qu’est-ce que cela signifiait ? On m’avait souvent parlĂ© de Dieu, jamais de l’ñme. Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eĂ»t demandĂ© ce qu’il Ă©tait, eh bien, j’aurais pris La linotte de LĂ©lia, et, lui brisant la tĂȘte entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais l’ñme ? l’ñme ? qu’est-ce cela ? J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allĂšrent sans me rĂ©pondre. Son Ăąme ! eh bien, elles m’ont trompĂ©, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était LĂ©lia, LĂ©lia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; c’était Lelia, ma belle petite sƓur aux grands yeux bleus, LĂ©lia qui m’embrassait le soir aprĂšs sa poupĂ©e, aprĂšs son mouton chĂ©ri, aprĂšs sa linotte. Pauvre sƓur ! c’était toi que je demandais Ă  grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me rĂ©pondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as priĂ© non pour elle, mais tu as priĂ© pour son Ăąme ! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue Ă©trangĂšre ; tu as priĂ© pour un souffle, pour un mot, pour le nĂ©ant, pour son Ăąme enfin ! » Son Ăąme, son Ăąme, je la mĂ©prise, son Ăąme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait Ă  moi, son Ăąme ? savez-vous ce que c’est que son Ăąme ? Mais c’est son corps que je veux ! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin ! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela. Ces femmes m’ont trompĂ©, eh bien, je les ai maudites. Cette malĂ©diction est retombĂ©e sur moi, philosophe imbĂ©cile qui ne sais pas comprendre un mot sans L’épeler, croire Ă  une Ăąme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au PromĂ©thĂ©e d’Eschyle, je brave les coups et que je mĂ©prise trop pour blasphĂ©mer.
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Gustave Flaubert (La derniÚre heure : Conte philosophique inachevé)
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Pour la premiĂšre fois quelqu’un criait pour qu’elle se retourne, quelqu’un l’appelait, qui savait nommer cette souffrance, la souffrance de son corps. Pour la premiĂšre fois quelqu’un venait la chercher lĂ  oĂč les autres ne pouvaient pas, n’avaient plus la force.
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Delphine de Vigan
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II L'Association bretonne. Il est une institution qui distingue la Bretagne des autres provinces et oĂč se rĂ©flĂšte son gĂ©nie, l'Association bretonne. Dans ce pays couvert encore de landes et de terres incultes, et oĂč il reste tant de ruines des anciens Ăąges, des hommes intelligents ont compris que ces deux intĂ©rĂȘts ne devaient pas ĂȘtre sĂ©parĂ©s, les progrĂšs de l'agriculture et l'Ă©tude des monuments de l'histoire locale. Les comices agricoles ne s'occupent que des travaux d'agriculture, les sociĂ©tĂ©s savantes que de l'esprit; l'Association bretonne les a rĂ©unis: elle est Ă  la fois une association agricole et une association littĂ©raire. Aux expĂ©riences de l'agriculture, aux recherches archĂ©ologiques, elle donne de la suite et de l'unitĂ©; les efforts ne sont plus isolĂ©s, ils se font avec ensemble; l'Association bretonne continue, au XIXe siĂšcle, l'oeuvre des moines des premiers temps du christianisme dans la Gaule, qui dĂ©frichaient le sol et Ă©clairaient les Ăąmes. Un appel a Ă©tĂ© fait dans les cinq dĂ©partements de la Bretagne Ă  tous ceux qui avaient Ă  coeur les intĂ©rĂȘts de leur patrie, aux Ă©crivains et aux propriĂ©taires, aux gentilshommes et aux simples paysans, et les adhĂ©sions sont arrivĂ©es de toutes parts. L'Association a deux moyens d'action: un bulletin mensuel, et un congrĂšs annuel. Le bulletin rend compte des travaux des associĂ©s, des expĂ©riences, des essais, des dĂ©couvertes scientifiques; le congrĂšs ouvre des concours, tient des sĂ©ances publiques, distribue des prix et des rĂ©compenses. Afin de faciliter les rĂ©unions et d'en faire profiter tout le pays, le congrĂšs se tient alternativement dans chaque dĂ©partement; une annĂ©e Ă  Rennes, une autre Ă  Saint-Brieuc, une autre fois Ă  VitrĂ© ou Ă  Redon; en 1858, il s'est rĂ©uni Ă  Quimper. A chaque congrĂšs, des questions nouvelles sont agitĂ©es, discutĂ©es, Ă©claircies[1]: ces savants modestes qui consacrent leurs veilles Ă  des recherches longues et pĂ©nibles, sont assurĂ©s que leurs travaux ne seront pas ignorĂ©s; tant d'intelligences vives et distinguĂ©es, qui demeureraient oisives dans le calme des petites villes, voient devant elles un but Ă  leurs efforts; la publicitĂ© en est assurĂ©e, ils seront connus et apprĂ©ciĂ©s. D'un bout de la province Ă  l'autre, de Rennes Ă  Brest, de Nantes Ă  Saint-Malo, on se communique ses oeuvres et ses plans; tel antiquaire, Ă  Saint-Brieuc, s'occupe des mĂȘmes recherches qu'un autre Ă  Quimper: il est un jour dans l'annĂ©e oĂč ils se retrouvent, oĂč se resserrent les liens d'Ă©tudes et d'amitiĂ©. [Note 1: Voir l'Appendice.] Le congrĂšs est un centre moral et intellectuel, bien plus, un centre national: ces congrĂšs sont de vĂ©ritables assises bretonnes; ils remplacent les anciens États: on y voit rĂ©unis, comme aux États, les trois ordres, le clergĂ©, la noblesse et le tiers-Ă©tat, le tiers-Ă©tat plus nombreux qu'avant la RĂ©volution, et de plus, mĂȘlĂ©s aux nobles et aux bourgeois, les paysans. La Bretagne est une des provinces de France oĂč les propriĂ©taires vivent le plus sur leurs terres; beaucoup y passent l'annĂ©e tout entiĂšre. De lĂ  une communautĂ© d'habitudes, un Ă©change de services, des relations plus familiĂšres et plus intimes, qui n'ĂŽtent rien au respect d'une part, Ă  la dignitĂ© de l'autre. PropriĂ©taires et fermiers, rĂ©unis au congrĂšs, sont soumis aux mĂȘmes conditions et jugĂ©s par les mĂȘmes lois; souvent le propriĂ©taire concourt avec son fermier. Dans ces mĂȘlĂ©es animĂ©es, oĂč l'on se communique ses procĂ©dĂ©s, oĂč l'on s'aide de ses conseils, oĂč l'on distribue des prix et des encouragements, les riches propriĂ©taires et les nobles traitent les paysans sur le pied de l'Ă©galitĂ©; ici, la supĂ©rioritĂ© est au plus habile: c'est un paysan, GuĂ©venoux, qui, en 1857, eut les honneurs du congrĂšs de Redon. Voici quatorze ans que l'Association bretonne existe; l'ardeur a toujours Ă©tĂ© en croissant; les congrĂšs sont devenus des solennitĂ©s: on y vient de tous les points
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Anonymous
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le vocabulaire prĂ©sent certaines obligations bloque ma perception une autre dimension une vision sans altĂ©ration sans mur d'illusion bloquant ma perception oublier les prĂ©sentations aucune prescription ni medication en phase crĂ©ation j'y mais toutes mes Ă©motions aucune intention de vous parler de mes erreurs passer je reprĂ©sente le vocabulaire prĂ©sent soyez indulgent ne regarder pas devant ne regarder pas derriĂšre regarder sur place ne soyer pas vorace fait vous une place as la chaleur de votre sueur apprenez de vos erreurs de votre malheur et oblitĂ©rer votre peur soyer indulgent guarder ce qui est amenĂ© Ă  se dissiper est impossible si tu ne veux pas couler tu dois apprendre Ă  nager et prenez de la force car se monde et devenu bien trop fĂ©roce je n'ai aucunement l'intention d'ĂȘtre pour toi une recrĂ©ation attention a toute division de la concentration comme une vision d'illusion l'exclusion de toutes perceptions des Ă©motions sans aucune comprĂ©hension des bonnes et des mauvaises intentions mode concentration, attention Ă  la reverberation, de mauvaise rĂ©action, un pion tu veux de l'action, retourne faire ta preparation sans aucune interaction aucun besoin d'explication pas besoin de prĂ©sentations aucune prescription ni medication en phase crĂ©ation j'y mais toutes mes Ă©motions toutes ces voix un endroit empreint au dĂ©sarroi au milieu de toutes ces voix les combats sont sans foi, ni loi au milieu de toutes ces voix aucun cote pour s'Ă©chapper se coucher et auctanperer tu peux oublier mon esprit et lĂ  pour cree prisonnier jamais je suis lĂ  pour te montrer avec les penser des moments passer et le vocabulaire de l'instant prĂ©sent pour un futur dĂ©cent absent non Ă©crivant insistant sur des jours bien plus clement pour mon prĂ©sent et l'esprit rempli d'Ă©crit il n'est pas abruti par de la technologie Élaborer de ma penser souvent plein de mots entreposer pas le temps de me reposer je ne vais pas abandonner oĂč me dĂ©rober aucune prescription ni medication en phase crĂ©ation j'y mais toutes mes Ă©motions enfermer entre deux dimensions aucun besoin de prĂ©sentation ou de te parler de mes intentions des erreurs sont passĂ© et maintenant je reprĂ©sente le vocabulaire prĂ©sent.
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Marty Bisson milo
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Mais si c'Ă©tait l'exil, dans la majoritĂ© des cas c'Ă©tait l'exil chez soi. Et quoique le narrateur n'ait connu que l'exil de tout le monde, il ne doit pas oublier ceux, comme le journaliste Rambert ou d'autres, pour qui, au contraire, les peines de la sĂ©paration s'amplifiĂšrent du fait que, voyageurs surpris par la peste et retenus dans la ville, ils se trouvaient Ă©loignĂ©s Ă  la fois de l'ĂȘtre qu'ils ne pouvaient rejoindre et du pays qui Ă©tait le leur. Dans l'exil gĂ©nĂ©ral, ils Ă©taient les plus exilĂ©s, car si le temps suscitait chez eux, comme chez tous, l'angoisse qui lui est propre, ils Ă©taient attachĂ©s aussi Ă  l'espace et se heurtaient sans cesse aux murs qui sĂ©paraient leur refuge empestĂ© de leur patrie perdue. C'Ă©tait eux sans doute qu'on voyait errer Ă  toute heure du jour dans la ville poussiĂ©reuse, appelant en silence des soirs qu'ils Ă©taient seuls Ă  connaĂźtre, et les matins de leur pays. Ils nourrissaient alors leur mal de signes impondĂ©rables et de messages dĂ©concertants comme un vol d'hirondelles, une rosĂ©e de couchant, ou ces rayons bizarres que le soleil abandonne parfois dans les rues dĂ©sertes. Ce monde extĂ©rieur qui peut toujours sauver de tout, ils fermaient les yeux sur lui, entĂȘtĂ©s qu'ils Ă©taient Ă  caresser leurs chimĂšres trop rĂ©elles et Ă  poursuivre de toutes leurs forces les images d'une terre oĂč une certaine lumiĂšre, deux ou trois collines, l'arbre favori et des visages de femmes composaient un climat pour eux irremplaçable.
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Albert Camus (The Plague)
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MĂȘme si le marchĂ© Jean-Talon est un bazar fantĂŽme Ă  cette heure, je tombe sur un distributeur automatique Ă  poĂšmes. Incroyable. Je ne savais mĂȘme pas que ça existait. Cadeau du ciel. ÉclairĂ© par un halo de lune, je peine Ă  lire ce qu'il m'offre : poĂšmes pour un enterrement de vie de garçon, poĂšmes pour un dĂ©cĂšs, poĂšmes pour l'indĂ©pendance d'une nation, poĂšmes trois fois par jour, poĂšmes en poudre, poĂšmes pour la rĂ©solution du conflit israĂ©lo-palestinien, etc. AllĂ©luia : poĂšmes pour reconquĂ©rir une femme.
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Francis Juteau (Montréal insomniaque)
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– Vous ĂȘtes comme Ardisson, vous dĂ©lirez sur Warhol? Il se retourna sur un homme mince Ă  la barbe poivre et sel taillĂ©e court façon papier de verre. – Je ne sais pas, dit Bernard en regardant Ă  nouveau le tableau, c’est dĂ©jĂ  un peu le passĂ©, Warhol, non? affirma-t-il pour se donner une contenance. L’autre le regarda avec attention et Bernard lui raconta sa dĂ©couverte des colonnes de Buren, de la pyramide du Louvre et de ces graffitis sur les palissades, ces formes neuves, cet hippopotame. Il se surprit lui-mĂȘme en employant plusieurs fois le mot radical. Moi aussi, je vais faire mes grands travaux, conclut-it en vidant sa troisiĂšme coupe de champagne. – C’est Basquiat qu’il vous faut. L’homme Ă  la barbe de trois jours avait lĂąchĂ© cette sentence d’une voix grave. Vous connaissez Jean-Michel Basquiat? Bernard hocha nĂ©gativement la tĂȘte. Il est encore accessible, voici la carte de ma galerie. – Tu parles encore de Basquiat? le coupa un homme aussitĂŽt rejoint par un autre qui faisait tanguer sa coupe d’un air moqueur. – Ne les Ă©coutez pas, ce sont des gens des musĂ©es. La conversation fut vive, d’aprĂšs ce que comprit Bernard, une exposition allait avoir lieu au Centre Pompidou, inititulĂ©e «L’époque, la mode, la morale, la passioné» afin de mettre en lumiĂšre les courants artistiques internationaux des annĂ©es 1980 et personne n’avait cru bon d’y reprĂ©senter des Ɠuvres de ce Basquiat. – Honte sur vous! leur dit l’homme Ă  la barbe papier de verre. Et tandis que les trois se tenaient tĂȘte sur ce mystĂ©rieux peintre, Bernard attrapa une nouvelle coupe de champagne et songea Ă  son aĂŻeul.
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Antoine Laurain (The President's Hat)
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Une chaleur enivrante m'a enveloppĂ©e, comme si je me tenais au cƓur d'un brasier. Je ne connaissais pas cette Ă©motion, j'aurais Ă©tĂ© incapable de la nommer - sans doute parce que personne n'avait jamais cru en moi jusqu'Ă  ce jour. Ou alors en une version de moi tout autre, moins capable. Locke, mon pĂšre et Jane avaient tous cru en la January timide qui hantait les couloirs de la Maison Locke, qui avait dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin de leur protection. Mais Samuel me regardait Ă  prĂ©sent comme s'il s'attendait Ă  me voir manger du feu ou danser sur des nuages d'orages. Comme s'il s'attendait Ă  me voir accomplir un acte miraculeux, courageux et impossible. Sa confiance Ă©tait une armure que je revĂȘtais, une paire d'ailes que je dĂ©ployais, un ocĂ©an au-delĂ  de mes limites ; sa confiance se rapprochait dangereusement de l'amour. J'ai encore contemplĂ© son visage l'espace d'une seconde avide, le temps de laisser sa foi pĂ©nĂ©trer tous les pores de ma peau, puis je me suis tournĂ©e vers la porte. J'ai empli mes poumons d'air chargĂ© d'iode et de fumĂ©e, consciente de la confiance de Samuel derriĂšre moi tel un vent chaud gonflant la voile d'un navire, et j'ai posĂ© la plume sur la page. La porte s'ouvre, ais-je Ă©crit, et je croyais Ă  chacune des lettres que j'avais couchĂ©es sur le papier.
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Alix E. Harrow (The Ten Thousand Doors of January)
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Tous les soirs, le prĂ©sident reçoit une longue note confidentielle qui dit les drames, les dangers et les dĂ©rives de la sociĂ©tĂ© française. On ne ressort pas indemne d’une telle lecture
 Le poids de la responsabilitĂ© vous tombe dessus. "Vous avez le singe sur l’épaule", dit Emmanuel Macron. Il est au cƓur de ce mistigri tragique, il subit la mort, il peut la donner. La nuit tombe deux fois. Il est tard, gĂ©nĂ©ralement, quand le chef de l’État se plonge dans un amas de notes, des dizaines de pages qui disent tout de la noirceur humaine. Ici, des attentats sont dĂ©jouĂ©s, y compris en 2019 Ă  deux pas de l’ÉlysĂ©e, opĂ©ration fomentĂ©e par des terroristes en herbe – l’un des auteurs putatifs est ĂągĂ© de dix-sept ans. LĂ , des TchĂ©tchĂšnes, accompagnĂ©s d’un imam, rĂšglent leurs comptes dĂšs que leur commerce est menacĂ©. PrĂ©cisons qu’il s’agit de drogue. La CĂŽte d’Azur accueille de nouveaux touristes : aprĂšs la mafia russe, les NigĂ©rians goĂ»tent la baie des Anges. Le crime est global, le crime est local, les faits divers sordides. Une grand-mĂšre violĂ©e par des migrants, ça frappe
 Les informations viennent de la Direction gĂ©nĂ©rale de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, du service central du Renseignement territorial, de la prĂ©fecture de police de Paris, de la Division du renseignement de la gendarmerie nationale. La bureaucratie française a du bon
 L’impeccable prĂ©sentation de ces notes, sa rĂ©gularitĂ©, sa monotonie presque, permettent de crĂ©er de la distance entre la violence et la raison qu’il faut garder Ă  la tĂȘte de l’État. Chaque jour, le prĂ©sident reçoit une synthĂšse de documents avec un titre, un rĂ©sumĂ© logĂ© dans un cartouche et une analyse Ă©tayĂ©e. La livraison du week-end couvre le samedi et le dimanche. Dans le bureau voisin, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ÉlysĂ©e, Alexis Kohler, est destinataire d’un dossier identique. Il arrive aux deux hommes d’échanger dans la foulĂ©e, comme pour se partager un fardeau. [
] "Si ces notes Ă©taient publiĂ©es dans la presse
 ", relĂšve l’un de ceux qui les ont reçues. Comment ne pas cĂ©der Ă  l’effet de loupe, comment garder l’ñme sereine, prĂ©server une forme de recul ? Bernard Cazeneuve, qui avait accĂšs aux mĂȘmes informations lorsqu’il Ă©tait Ă  Beauvau, Ă©crit dans son livre À l’épreuve de la violence : "La question n’est plus de savoir si les Ă©lĂ©ments se dĂ©chaĂźneront, ou si par miracle nous serons Ă©pargnĂ©s, mais bien de deviner quand le tonnerre grondera, aprĂšs que la foudre se sera abattue sur nous.
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Corinne LhaĂŻk (La nuit tombe deux fois (Documents) (French Edition))
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La reine n’était plus rĂ©gente. Elle avait offert un garçon au trĂŽne d’Arcavie et l’avait guidĂ© jusqu’à ce jour fatidique : elle avait accompli son devoir. DĂ©sormais, son existence se rĂ©sumait Ă  un souvenir silencieux. On lui rendrait hommage en Ă©rigeant une statue Ă  son effigie dans l’allĂ©e des Reines. Tel le bloc de marbre taillĂ© Ă  son image, elle serait impĂ©rissable, inaliĂ©nable, immortelle. Et par-dessus tout, dĂ©pourvue de la parole. En cet instant, Esther rĂȘvait de briser les sculptures de toutes ces femmes de roi Ă  qui l’on avait ĂŽtĂ© la voix. Une fois leurs ersatz de pierre dĂ©truits, entendrait-on leurs cris rĂ©voltĂ©s ?
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Olivia Gometz (Les Carmidor : Trahir et Survivre (Les Carmidor, #1))
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Les godillots de ma mĂšre J’ignorais tout des godillots de Van Gogh. Je connaissais les godillots de ma mĂšre. Je savais combien de fois ils avaient Ă©tĂ© rĂ©parĂ©s, Je connaissais les semelles usĂ©es, le nombre de nƓuds qu’avaient les lacets, la pointe d’un clou qui, une fois, Ă©tait entrĂ©e dans mon talon droit. Maman travaillait un jour sur deux, c’est-Ă -dire qu’un jour elle travaillait et un jour elle restait Ă  la maison. Ils Ă©taient ainsi ses horaires. Le jour oĂč elle restait Ă  la maison j’allais Ă  l’école. Avec ses godillots. Maman mettait Ă  l’intĂ©rieur, tout au bout des boulettes de finette faites avec de vieux pyjamas. Elle choisissait toujours des motifs floraux, et seulement de la finette blanche. Elle mettait aussi sur les semelles amincies des godillots, d’autres morceaux de finette blanche pour que je ne sente pas les fines couches de glace. C’est ainsi que j’allais Ă  l’école. Avec ses godillots. Le bĂątiment de l’école Ă©tait un ange. L’ange se penchait et attachait mieux mes lacets puis il essuyait la boue sur les godillots avec une boule de duvet et des plumes d’ange. De ses ailes. Puis il se levait et me regardait. Il commençait Ă  pleurer. Moi, je ne pleurais pas. L’ange me conduisait jusqu’à la porte de la classe. C’est comme ça que j’ai appris pour les godillots de Van Gogh. Mais aujourd’hui, je n’ai plus les godillots de ma mĂšre. L’ange les a pris pour les porter lui-mĂȘme. (Ghetele mamei, traduit du roumain par Gabrielle Danoux)
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Clelia Ifrim
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Mardi 23 10 h 40. Finie l'attente, un jour de plus que la derniĂšre fois, une descente infinie. Je murmurais tout haut, il y a dix minutes, « il faut rompre », avec horreur. Je vais partir Ă  Reims, revenir, et peut-ĂȘtre – le pire – ne le verrai-je pas Ă  la sĂ©ance de cinĂ©ma jeudi soir. Peu Ă  peu, je suis submergĂ©e par cette atroce pensĂ©e : qu'il soit retournĂ© en URSS brusquement – ou sans vouloir me le dire, d'oĂč la passion de la derniĂšre rencontre.
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Annie Ernaux (Se perdre (French Edition))
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Journal de Kitty Winthrop Samedi 30 mars 1940 Cette guerre dure depuis beaucoup trop longtemps – bien plus de six mois maintenant. La vie est devenue insupportable. Tout le monde s’active, il n’y a rien Ă  manger, pas de nouveaux vĂȘtements, pas de domestiques, pas de lumiĂšre aprĂšs la tombĂ©e de a nuit et pas d'hommes. Il faut traĂźner partout son masque Ă  gaz et filer aux abris antiaĂ©riens chaque fois qu’on entend les sirĂšnes (bien qu’elles ne se soient pas dĂ©clenchĂ©es souvent jusqu’ici). Tous les soirs, on est obligĂ©s de tirer d’épais rideaux noirs pour occulter toutes les fenĂȘtres afin qu’il ne filtre aucune lumiĂšre susceptible d’attirer l’Ɠil des nazis sur l’endroit oĂč nous habitons. On entend les nouvelles Ă  la radio sur fond d’interminable friture, et tout le monde passe son temps Ă  dire « chut » et Ă  m’empĂȘcher de jouer du piano. Journal de Mrs. Tilling Samedi 3 aoĂ»t 1940 Nous venons de vivre deux jours atroces. J’ai vraiment un mauvais pressentiment Ă  propos de cette guerre, celui que nous allons ĂȘtre vaincus et perdre notre pays, notre culture, notre libertĂ©. Que nous allons tout donner, toute notre Ă©nergie au combat, tous nos espoirs, nos rĂȘves, tout donner de nous-mĂȘmes. Et que les nazis arriveront et qu’il ne restera rien. Nous ne serons que des squelettes sans substance, nous les laisserons nous piĂ©tiner, diriger nos vies, notre quotidien, nos enfants – si tant est qu’il nous en reste.
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Jennifer Ryan (The Chilbury Ladies' Choir)
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Chaque fois je vais sentir moins et souvenant plus, mais quelle est la mémoire, mais le langage des sentiments, un dictionnaire des visages et des jours et des parfums qui reviennent comme des verbes et des adjectifs dans la parole." Marelle
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Julio CortĂĄzar (Hopscotch)
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Les pays les plus prospĂšres ont rĂ©ussi Ă  accumuler des pouvoirs de destruction tels que d'anĂ©antir, cent fois, non seulement tous les ĂȘtres humains qui ont existĂ© Ă  ce jour, mais aussi la totalitĂ© de tous les ĂȘtres vivants qui ont jamais dessinĂ© souffle sur cette planĂšte du malheur. Un jour comme aujourd'hui, mon maĂźtre William Faulkner dit: «Je refuse d'accepter la fin de l'homme." Je tomberais indigne de se tenir dans ce lieu qui Ă©tait le sien, si je devais pas pleinement conscients que la tragĂ©die colossale qu'il a refusĂ© de reconnaĂźtre, il y a trente-deux ans est maintenant, pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but de l'humanitĂ©, rien de plus qu'un simple possibilitĂ© scientifique. Face Ă  cette rĂ©alitĂ© impressionnante qui a dĂ» sembler une simple utopie Ă  travers tout le temps humain, nous, les inventeurs de contes, qui croire quoi que ce soit, se sentent en droit de croire qu'il n'y a pas encore trop tard pour participer Ă  la crĂ©ation de l'utopie opposĂ©e . Une nouvelle et radicale utopie de la vie, oĂč personne ne sera en mesure de dĂ©cider pour les autres comment ils meurent, oĂč l'amour se rĂ©vĂ©lera vrai bonheur et ĂȘtre possible, et oĂč les races condamnĂ©es Ă  cent ans de solitude aura enfin et pour toujours , une deuxiĂšme chance sur la terre." ― Gabriel Garcí­a MĂĄrquez, Nobel lecture (8 DĂ©cembre 1982)
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Gabriel GarcĂ­a MĂĄrquez
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On s’égare parfois, on doute de l’évidence, mĂȘme quand on a dĂ©couvert les secrets d’une bonne vie. Ma solution, bien sĂ»r, ce n’est pas l’idĂ©al. Mais quand on n’aime pas sa vie, quand on sait qu’il faut en changer, on n’a pas le choix, n’est-ce pas ? Que faire pour ĂȘtre un autre ? Impossible. Il faudrait n’ĂȘtre plus personne, s’oublier pour quelqu’un, une fois, au moins. Mais comment ? Ne m’accablez pas trop. Je suis comme ce vieux mendiant qui ne voulait pas lĂącher ma main, un jour, Ă  la terrasse d’un cafĂ© : « Ah ! monsieur, disait-il, ce n’est pas qu’on soit mauvais homme, mais on perd la lumiĂšre. » Oui, nous avons perdu la lumiĂšre, les matins, la sainte innocence de celui qui se pardonne Ă  lui-mĂȘme.
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Albert Camus (The Fall)
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RĂ©trospectivement, je me demande pourquoi je me suis privĂ© d'un truc [la guerre] aussi romanesque et valorisant. Un peu par trouille : j'y serais sans doute allĂ© si je n'avais appris, au moment oĂč on me le proposait, que Jean Hatzfeld venait d'ĂȘtre amputĂ© d'une jambe aprĂšs avoir reçu lĂ -bas une rafale de kalachnikov. Mais je ne veux pas m'accabler : c'Ă©tait aussi par circonspection. Je me mĂ©fiais, je me mĂ©fie toujours des unions sacrĂ©es - mĂȘme rĂ©duites au petit cercle qui m'entoure. Autant je me crois sincĂšrement incapable de violence gratuite, autant je m'imagine volontiers, peut-ĂȘtre trop, les raisons ou concours de circonstances qui auraient pu en d'autres temps me pousser vers la collaboration, le stalinisme ou la rĂ©volution culturelle. J'ai peut-ĂȘtre trop tendance aussi Ă  me demander si, parmi les valeurs qui vont de soi dans mon milieu, celles que les gens de mon Ă©poque, de mon pays, de ma classe sociale, croient indĂ©passables, Ă©ternelles et universelles, il ne s'en trouverait pas qui paraĂźtront un jour grotesques, scandaleuses ou tout simplement erronĂ©es. Quand des gens peu recommandables comme Limonov ou ses pareils disent que l'idĂ©ologie des droits de l'homme et de la dĂ©mocratie, c'est exactement aujourd'hui l'Ă©quivalent du colonialisme catholique - les mĂȘmes bonnes intentions, la mĂȘme bonne foi, la mĂȘme certitude absolue d'apporter aux sauvages le vrai, le beau, le bien -, cet argument relativiste ne m'enchante pas, mais je n'ai rien de bien solide Ă  lui opposer. Et comme je suis facilement, sur les questions politiques, de l'avis du dernier qui a parlĂ©, je prĂȘtais une oreille attentive aux esprits subtils expliquant qu'Izetbegović, prĂ©sentĂ© comme un apĂŽtre de la tolĂ©rance, Ă©tait en rĂ©alitĂ© un Musulman fondamentaliste, entourĂ© de Moudajhidines, rĂ©solu Ă  instaurer Ă  Sarajevo une rĂ©publique islamique et fortement intĂ©ressĂ©, contrairement Ă  Milosević, Ă  ce que le siĂšge et la guerre durent le plus longtemps possible. Que les Serbes, dans leur histoire, avaient assez subi le joug ottoman pour qu'on comprenne qu'ils n'aient pas envie d'y repiquer. Enfin, que sur toutes les photos publiĂ©es par la presse et montrant des victimes des Serbes, une sur deux si on regardait bien Ă©tait une victime serbe. Je hochais la tĂȘte : oui, c'Ă©tait plus compliquĂ© que ça. (p. 310-311)
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Emmanuel CarrĂšre (Limonov)
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Une argumentation voisine de celle que nous venons de proposer est la suivante, et nous en avons fait Ă©tat plus d'une fois : si les hommes sont assez sots pour avoir pu croire pendant des millĂ©naires au divin, au surnaturel, Ă  l'immortalitĂ© – dans l'hypothĂšse que ce soient lĂ  des illusions –, il est impossible qu'ils soient devenus un beau jour assez intelligents pour pouvoir se rendre compte de leurs erreurs ; qu'ils soient devenus intelligents sans qu'on sache pourquoi et sans qu'aucune acquisition morale dĂ©cisive ne vienne corroborer ce miracle. Et de mĂȘme : si des hommes comme le Christ ont cru au surnaturel, il est impossible que des hommes comme les encyclopĂ©distes aient eu raison de ne pas y croire.
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Frithjof Schuon (From the Divine to the Human: Survey of Metaphsis and Epistemology (The Library of Traditional Wisdom))
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[L]a vie vous offre une chance parfois [...] mais lorsqu'on est trop lĂąche ou trop indĂ©cis pour la saisir la vie reprend ses cartes, il y a un moment pour faire les choses et pour entrer dans un bonheur possible, ce moment dure quelques jours, parfois quelques semaines ou mĂȘme quelques mois mais il ne se produit qu'une fois et une seule, et si l'on veut y revenir plus tard c'est tout simplement impossible, il n'y a plus de place pour l'enthousiasme, la croyance et la foi, demeure une rĂ©signation douce, une pitiĂ© rĂ©ciproque et attristĂ©e, la sensation inutile et juste que quelque chose aurait pu avoir lieu, qu'on s'est simplement montrĂ© indigne du don qui vous avait Ă©tĂ© fait.
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Michel Houellebecq
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[...] Si encore ils ne faisaient que se complaire dans l’affirmation de la supĂ©rioritĂ© imaginaire qu’ils s’attribuent, cette illusion ne ferait de tort qu’à eux-mĂȘmes ; mais ce qui est le plus terrible, c’est leur fureur de prosĂ©lytisme : chez eux, l’esprit de conquĂȘte se dĂ©guise sous des prĂ©textes « moralistes », et c’est au nom de la « libertĂ© » qu’ils veulent contraindre le monde entier Ă  les imiter ! Le plus Ă©tonnant, c’est que, dans leur infatuation, ils s’imaginent de bonne foi qu’ils ont du « prestige » auprĂšs de tous les autres peuples : parce qu’on les redoute comme on redoute une force brutale, ils croient qu’on les admire ; l’homme qui est menacĂ© d’ĂȘtre Ă©crasĂ© par une avalanche est-il pour cela frappĂ© de respect et d’admiration ? La seule impression que les inventions mĂ©caniques, par exemple, produisent sur la gĂ©nĂ©ralitĂ© des Orientaux, c’est une impression de profonde rĂ©pulsion ; tout cela leur parait assurĂ©ment plus gĂȘnant qu’avantageux, et, s’ils se trouvent obligĂ©s d’accepter certaines nĂ©cessitĂ©s de l’époque actuelle, c’est avec l’espoir de s’en dĂ©barrasser un jour ou l’autre ; cela ne les intĂ©resse pas et ne les intĂ©ressera jamais vĂ©ritablement.
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René Guénon (East and West)
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L'Islam a perpĂ©tuĂ© jusqu'Ă  nos jours le monde biblique, que le Christianisme, une fois europĂ©anisĂ©, ne pouvait plus reprĂ©senter ; sans islam, le Catholicisme eĂ»t vite fait d'envahir tout le Proche Orient, ce qui eĂ»t signifiĂ© la destruction de l'Orthodoxie et des autres Eglises d'Orient et la romanisation – donc l'europĂ©anisation – de notre monde jusqu'aux confins de l'Inde ; le monde biblique serait mort. On peut dire que l'Islam a eu le rĂŽle providentiel d'arrĂȘter le temps – donc d'exclure l'Europe – sur la partie biblique du globe et de stabiliser, tout en l'universalisant, le monde d'Abraham, qui fut aussi celui de JĂ©sus ; le JudaĂŻsme Ă©tant Ă©migrĂ© et dispersĂ©, et le Christianisme s'Ă©tant romanisĂ©, hellĂ©nisĂ© et germanisĂ©, Dieu « se repentit » - pour employer le mot de la GenĂšse – de ce dĂ©veloppement unilatĂ©ral et suscita l'Islam, qu'il fit surgir du dĂ©sert, ambiance ou arriĂšre-plan du MonothĂ©isme originel. Il y a lĂ  un jeu d'Ă©quilibre et de compensation dont les exotĂ©rismes ne sauraient rendre compte, et il serait absurde de le leur demander (1). (1) Titus Burckhardt, ayant lu ces lignes, nous a communiquĂ© au sujet du cycle Abraham-Mohammed les rĂ©flexions suivantes : « Il est significatif que la langue arabe soit la plus archaĂŻque de toutes les langues sĂ©mitiques vivantes : son phonĂ©tisme conserve, Ă  un son prĂšs, tous les sons indiquĂ©s par les plus anciens alphabĂštes sĂ©mitiques, et sa morphologie se retrouve dans le cĂ©lĂšbre code de Hammourabi, qui est Ă  peu prĂšs contemporain d'Abraham. » - « En fait, la Mecque avec la Kaaba construite par Abraham et IsmaĂ«l, est la ville sacrĂ©e oubliĂ©e, - oubliĂ©e Ă  la fois par le JudaĂŻsme, qui ignore le rĂŽle prophĂ©tique d'IsmaĂ«l, et par le Chrisianisme, qui a hĂ©ritĂ© le mĂȘme point de vue. Le sanctuaire de la Mecque, lequel est au ProphĂšte ce que le Temple de JĂ©rusalem est au Christ, - en un certain sens tout au moins, - est comme la « pierre rejetĂ©e par les bĂątisseurs » et qui devient la pierre d'angle. Cette oublie du sanctuaire ismaĂ©lien, en mĂȘme temps que la continuitĂ© Abraham-IsmaĂ«l-Mohammed, - le ProphĂšte arabe Ă©tant de descendance ismaĂ©lienne, - ce double facteur nous montre comment l'Ă©conomie divine aime Ă  combiner le gĂ©omĂ©trique avec l'imprĂ©vu. Sans aucune importance est ici l'opinion de ceux qui voient dans l'origine abrahamique de la Kaaba un mythe musulman rĂ©trospectif, et qui perdent totalement de vue que les anciens Arabes possĂ©daient une mĂ©moire gĂ©nĂ©alogique Ă  la fois extraordinaire et mĂ©ticuleuse, comme d'ailleurs la plupart des nomades ou semi-nomades.
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Frithjof Schuon (Form and Substance in the Religions (Library of Perennial Philosophy))
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L’état humain — ou tout autre Ă©tat « central » analogue — est comme entourĂ© d’un cercle de feu : il n’y a lĂ  qu’un choix, ou bien Ă©chapper au « courant des formes » par le haut, en direction de Dieu, ou bien sortir de l’humanitĂ© par le bas, Ă  travers le feu, lequel est comme la sanction de la trahison de ceux qui n’ont pas rĂ©alisĂ© le sens divin de la condition humaine; si « la condition humaine est difficile Ă  atteindre», comme l’estiment les Asiates « transmigrationnistes », elle est Ă©galement difficile Ă  quitter, pour la mĂȘme raison de position centrale et de majestĂ© thĂ©omorphe. Les hommes vont au feu parce qu’ils sont des dieux, et ils en sortent parce qu’ils ne sont que des crĂ©atures; Dieu seul pourrait aller Ă©ternellement en enfer s’il pouvait pĂ©cher. Ou encore : l’état humain est tout prĂšs du Soleil divin, s’il est possible de parler ici de « proximitĂ© »; le feu est la rançon Ă©ventuelle — Ă  rebours — de cette situation privilĂ©giĂ©e; on peut mesurer celle-ci Ă  l’intensitĂ© et Ă  l’inextin-guibilitĂ© du feu. Il faut conclure de la gravitĂ© de l’enfer Ă  la grandeur de l’homme, et non pas, inversement, de l’apparente innocence de l’homme Ă  l’injustice supposĂ©e de l’enfer. [...] Bien des hommes de notre temps tiennent en somme le langage suivant : « Dieu existe ou il n ’existe pas ; s’il existe et s’il est ce qu’on dit, il reconnaĂźtra que nous sommes bons et que nous ne mĂ©ritons aucun chĂątiment » ; c’est-a-dire qu’ils veulent bien croire Ă  son existence s’il est conforme Ă  ce qu’ils s’imaginent et s’il reconnaĂźt la valeur qu’ils s’attribuent Ă  eux-mĂȘmes. C’est oublier, d’une part, que nous ne pouvons connaĂźtre les mesures avec lesquelles l’Absolu nous juge, et d’autre part, que le « feu » d’outre-tombe n’est rien d ’autre, en dĂ©finitive, que notre propre intellect qui s’actualise Ă  l'encontre de notre faussetĂ©, ou en d’autres termes, qu’il est la vĂ©ritĂ© immanente qui Ă©clate au grand jour. A la mort, l’homme est confrontĂ© avec l’espace inouĂŻ d’une rĂ©alitĂ©, non plus fragmentaire, mais totale, puis avec la norme de ce qu’il a prĂ©tendu ĂȘtre, puisque cette norme fait partie du RĂ©el ; l’homme se condamne donc lui-mĂȘme, ce sont — d’aprĂšs le Koran — ses membres mĂȘmes qui l’accusent ; ses violations, une fois le mensonge dĂ©passĂ©, le transforment en flammes ; la nature dĂ©sĂ©quilibrĂ©e et faussĂ©e, avec toute sa vaine assurance, est une tunique de Nessus. L’homme ne brĂ»le pas que pour ses pĂ©chĂ©s; il brĂ»le pour sa majestĂ© d’image de Dieu. C’est le parti pris d’ériger la dĂ©chĂ©ance en norme et l’ignorance en gage d’impunitĂ© que le Koran stigmatise avec vĂ©hĂ©mence — on pourrait presque dire : par anticipation — en confrontant l’assurance de ses contradicteur avec les affres de la fin du monde (1). En rĂ©sumĂ©, tout le problĂšme de la culpabilitĂ© se rĂ©duit au rapport de la cause Ă  l’effet. Que l’homme soit loin d'ĂȘtre bon, l’histoire ancienne et rĂ©cente le prouve surabondamment, l’homme n’a pas l’innocence de l’animal, il a conscience de son imperfection, puisqu’il en possĂšde la notion ; donc il est responsable. Ce qu’on appelle en terminologie morale la faute de l’homme et le chĂątiment de Dieu, n’est rien d ’autre, en soi, que le heurt du dĂ©sĂ©quilibre humain avec l’Equilibre immanent ; cette notion est capitale.[...] (1) C'est la mĂȘme un des thĂšmes les plus instamment rĂ©pĂ©tĂ©s de ce livre sacrĂ©, qui marque parfois son caractĂšre d'ultime message par une Ă©loquence presque dĂ©sespĂ©rĂ©e.
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Frithjof Schuon (Understanding Islam)
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Les lois sacrĂ©es (sharñ’i’) sont toutes des lumiĂšres. La loi de Muhammad – qu’AllĂąh rĂ©pande sur lui Sa GrĂące unitive et Sa Paix !- est parmi ces lumiĂšres comme le soleil (5) : les lumiĂšres des planĂštes sont Ă  la fois prĂ©sentes et cachĂ©es, ce qui est comparable aux abrogations opĂ©rĂ©es par sa loi – sur lui la GrĂące et la Paix ! – en dĂ©pit de la prĂ©sence des Lois antĂ©rieures. C’est pourquoi cette Loi universelle qui est nĂŽtre implique nĂ©cessairement pour nous la Foi en l’ensemble des prophĂštes ; nous devons croire que les Lois qu’ils ont communiquĂ©es sont l’expression d’un Droit sacrĂ© vĂ©ritable (haqq) (6). Leur abrogation ne signifie nullement qu’elles sont mensongĂšres : cette derniĂšre opinion est celle des ignorants ! » (7) (5) Il ne s’agit pas d’une simple image, mais d’un symbolisme prĂ©cis liĂ© Ă  la fonction solaire de sayyidnĂą IdrĂźs, ce que confirme l’indication complĂ©mentaire donnĂ©e aussitĂŽt, selon laquelle les Lois antĂ©rieures Ă  l’Islam sont compatibles aux « lumiĂšres des planĂštes ». (6) Ceci est liĂ© selon Ibn ArabĂź, Ă  la fonction de la Pierre Noire qui, au Jour du Jugement, tĂ©moignera en faveur de ceux qui l’auront « touchĂ©e avec vĂ©ritĂ© », c’est-Ă -dire qui auront Ă©tĂ© fidĂšles au Pacte primordial conclu entre AllĂąh et les « descendants d’Adam », quelle que soit la Loi sacrĂ©e qu’ils auront suivie. (7) FutĂ»hĂąt, chap.339. [Extrait du chap 339 des FUTUHAT AL-MAKKIYYA traduit par Charles-AndrĂ© Gilis,in "L'Esprit universel de l'Islam".]
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Charles-André Gilis
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Sans doute n'y a-t-il qu'une chance sur un million pour que tu lises cette lettre, mais ça ne m'empĂȘche pas de l'Ă©crire avec le fol espoir que tu finisses par la recevoir .. Alors voilĂ  : Je voulais seulement te dire .. Te dire que ma vie est toujours pleine de toi et que mille fois par jour, je t'envoie mes pensĂ©es dans l'espoir qu'elles t'atteignent. Te dire que sans toi je meurs Ă  petit feu, parce que tu es mon vĂ©ritable point d'ancrage. Te dire que j'ai tout gardĂ© de nous : nos chassĂ©s-croisĂ©s, nos souffles qui s'emmĂȘlent, nos abandons, notre lumiĂšre, et que tout reste en moi et me contamine comme une infection dont je refuse de guĂ©rir.Te dire que j'ai essayĂ© de te fuir, mais que tout me ramĂšne Ă  toi et si je devais ne jamais te revoir, j'aimerais que tu saches que je ne regrettes rien. Que les morsures cruelles de la douleur pĂšsent de peu de poids face Ă  la parenthĂšse de notre amour.
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Guillaume Musso (Je reviens te chercher)
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Le gouvernement (chinois, 1) a toujours manifestĂ©, au sujet de l'islamisme, une opinion plus ou moins favorable, et l'on peut citer de nombreux dĂ©crets, publiĂ©s Ă  diverses Ă©poques, pour rappeler aux populations que la doctrine de Mahomet n'a pas d'autre but que d'enseigner la pratique du bien, ainsi que l'observation des obligations naturelles et des devoirs sociaux, et que si elle prĂ©sente quelques diffĂ©rences avec les autres doctrines, il fallait considĂ©rer ces diffĂ©rences comme de simples questions de pays et de mƓurs parfaitement comprises par son fondateur. « Les mahomĂ©tans », disait l'empereur Yong-Tching, infligeant en 1732 un blĂąme sĂ©vĂšre au grand juge du Ngan-Hoey, qui lui avait adressĂ© contre la religion musulmane un rapport malveillant et mensonger, « sont devenus enfants du pays, et appartiennent, comme tous les autres, Ă  la grande famille chinoise. J'entends qu'on les laisse libres de professer leur religion, et qu'ils soient traitĂ©s comme mes autres sujets, pourvu qu'ils respectent les lois de l'empire. La religion est une affaire de conscience que nul n'a le droit de scruter. » (1) Sous la dynastie des Ming, en l'an 1384, l'empereur Tai-Tsou fit lui-mĂȘme l'Ă©loge de Mahomet en cent caractĂšres gravĂ©s sur une tablette qu'il donna Ă  un de ses ministres mahomĂ©tans. Cette inscription Ă©tait ainsi conçue : « Les livres arabes expliquent la crĂ©ation de l'univers. Le fondateur et le propagateur de la religion musulmane est un grand saint, nĂ© en Occident, il a reçu du ciel 30 volumes d'un livre sacrĂ© qui lui a servi Ă  Ă©clairer le monde entier. C'Ă©tait un grand roi et un grand maĂźtre, c'est le premier des saints ; il coopĂšre aux mouvements du ciel, il protĂšge les royaumes et les peuples, il a prescrit des priĂšres orales qui doivent ĂȘtre rĂ©citĂ©es cinq fois par jour ; il a ordonnĂ© Ă©galement la priĂšre mentale. La base de sa doctrine est l'adoration du vrai Seigneur. Elle augmente le courage du pauvre, console les malheureux, pĂ©nĂštre le cachĂ© et l'obscur, sauve les vivants et dĂ©livre les morts. Cette doctrine, conforme Ă  celle de l'antiquitĂ© et du prĂ©sent, repousse et combat les superstitions. C'est la doctrine pure. Mahomet est rĂ©ellement un grand saint. »
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Philibert Dabry de Thiersant
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Qu’une semblable ivresse existĂąt quand on aime, cela ne m’était pas nouveau ; je savais ce que c’était que cette aurĂ©ole dont rayonne la bien-aimĂ©e. Mais exciter de tels battements de cƓur, Ă©voquer de pareils fantĂŽmes, rien qu’avec sa beautĂ©, des fleurs et la peau bigarrĂ©e d’une bĂȘte fĂ©roce ! avec de certains mouvements, une certaine façon de tourner en cercle, qu’elle a apprise de quelque baladin, avec les contours d’un beau bras ; et cela sans une parole, sans une pensĂ©e, sans qu’elle daigne paraĂźtre le savoir ! Qu’était donc le chaos, si c’est lĂ  l’Ɠuvre des sept jours ? Ce n’était pourtant pas de l’amour que je ressentais, et je ne puis dire autre chose sinon que c’était de la soif. Pour la premiĂšre fois de ma vie je sentais vibrer dans mon ĂȘtre une corde Ă©trangĂšre Ă  mon cƓur. La vue de ce bel animal en avait fait rugir un autre dans mes entrailles.
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Alfred de Musset (La confession d'un enfant du siĂšcle)
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Le plus passionnant, ce sont les six volumes suivants de l'Histoire des origines du christianisme, oĂč est racontĂ©e en dĂ©tail cette histoire beaucoup moins connue : comment une petite secte juive, fondĂ©e par des pĂȘcheurs illettrĂ©s, soudĂ©e par une croyance saugrenue sur laquelle aucune personne raisonnable n'aurait misĂ© un sesterce, a en moins de trois siĂšcles dĂ©vorĂ© de l'intĂ©rieur l'Empire romain et, contre toute vraisemblance, perdurĂ© jusqu'Ă  nos jours. Et ce qui est passionnant, ce n'est pas seulement l'histoire en soi extraordinaire que Renan raconte, mais l'extraordinaire honnĂȘtetĂ© avec laquelle il la raconte, je veux dire sa façon d'expliquer au lecteur comment il fait sa cuisine d'historien : de quelles sources il dispose, comment il les exploite et en vertu de quels prĂ©supposĂ©s. J'ai sa façon d'Ă©crire l'histoire, non pas ad probandum, comme il dit, mais ad narrandum : pas pour prouver quelque chose, mais simplement pour raconte ce qui s'est passĂ©. J'aime sa bonne foi tĂȘtue, le scrupule qu'il met Ă  distinguer le certain du probable, le probable du possible, le possible du douteux, et le calme avec lequel il rĂ©pond aux plus violents de ses critiques : " Quant aux personnes qui ont besoin, dans l'intĂ©rĂȘt de leur croyance, que je sois un ignorant, un esprit faux ou un homme de mauvaise foi, je n'ai pas la prĂ©tention de modifier leur opinion. Si ell est nĂ©cessaire Ă  leur repos, je m'en voudrais de les dĂ©sabuser." (p. 176-177)
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Emmanuel CarrĂšre (Le Royaume)
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La monnaie est souvent mythifiĂ©e, conçue comme magique et obscure. Son ambivalence fondamentale favorise l'Ă©mergence dans les esprits du sentiment d'un mystĂšre : le dieu monnaie est, par ses modes de crĂ©ation et de gestion, Ă  la fois public et privĂ©. Banques commerciales et banques centrales contribuent Ă  son apparition, Ă  son mouvement, Ă  sa destruction. Face Ă  cette ambivalence qui ne peut ĂȘtre Ă©liminĂ©e, parce qu'elle exprime dans ce domaine technique la nĂ©cessaire dualitĂ© individu-collectivitĂ©, la thĂ©orie politique classique, libĂ©rale ou autoritaire, ne peut proposer que des reprĂ©sentations partielles. Le libĂ©ralisme anglo-saxon n'arrivera jamais Ă  masquer complĂštement l'action de l'État, dĂ©finisseur et garant des rĂšgles, acteur majeur de la gestion monĂ©taire au jour le jour. Il ne peut que tenter d'oublier l'expĂ©rience innommable d'un dollar Ă©chappant entre 1980 et 1985 Ă  toute pesanteur Ă©conomique par la grĂące de l'État. Il est frappĂ© de cĂ©citĂ© devant une Ă©vidence majeure : les marchĂ©s financiers, lieu d'agitation des libres individus, n'en finissent pas de spĂ©culer sur les obligations d'État, dont la rentabilitĂ© est assurĂ©e par l'existence de l'impĂŽt, c'est-Ă -dire la capacitĂ© d'un État Ă  extraire de sa sociĂ©tĂ© la richesse par un mĂ©canisme non marchand de contrainte. La thĂ©orie allemande de la monnaie ne pourra quant Ă  elle jamais imposer la rĂ©alitĂ© d'une monnaie fixant a priori un ordre social et Ă©chappant complĂštement aux acteurs dĂ©centralisĂ©s de la vie Ă©conomique. Les banques crĂ©ent de la monnaie par le crĂ©dit. Reste qu'au-delĂ  de cette ambivalence, indĂ©passable, chacune des deux traditions idĂ©ologiques, libĂ©rale ou autoritaire, adore l'un des deux visages du Janus monĂ©taire. Au moment mĂȘme oĂč les États-Unis dĂ©finissaient une conception pragmatique monĂ©taire, selon laquelle un Ă©quilibre des pouvoirs doit assurer l'Ă©mergence d'une monnaie accompagnant les Ă©volutions et rythmes naturels de la sociĂ©tĂ©, l'Europe occidentale accouchait, par Ă©tapes, d'une conception radicalement opposĂ©e, dominatrice, castratrice, de plus en plus souvent dĂ©signĂ©e dans le monde anglo-saxon, par l'expression sado-monĂ©tarisme. L'euro doit rĂ©former la sociĂ©tĂ©, mieux, crĂ©er un nouveau monde europĂ©en. Chacune des sociĂ©tĂ©s rĂ©ellement existantes, chaque nation, doit s'adapter, transfomer ses structures et ses rythmes naturels en fonction d'impĂ©ratifs monĂ©taires dĂ©cidĂ©es d'en-haut, a priori. Tel est le sens idĂ©ologique des critĂšres rigides de Maastricht et des punitions de Dublin qui fixent des rĂšgles monĂ©taires et budgĂ©taires auxquelles les individus devront se soumettre dans l'Ă©ternitĂ©. Cette monnaie autoritaire est le reflet d'un autre systĂšme de culture, fondĂ© par d'autres structures anthropologiques. La conception anglo-saxonne de la monnaie reflĂšte les valeurs libĂ©rales de la famille nuclĂ©aire absolue ; la conception autoritaire du continent europĂ©en les valeurs autoritaires de la famille souche. Face Ă  la monnaie, l'individu est comme face Ă  toute institution, libre ou soumis. L'Ă©mergence de conceptions opposĂ©es de la monnaie n'est que le dernier avatar d'une opposition plurisĂ©culaire entre libĂ©ralisme anglo-saxon et autoritarisme continental. Mais comment la France, lieu de naissance de l'une des deux grandes traditions libĂ©rales, dĂ©contractĂ©e dans sa gestion monĂ©taire jusqu'au dĂ©but des annĂ©es 80, a-t-elle bien pu changer de camp, abandonner l'individualisme du monde atlantique pour suivre les disciplines de l'Europe centrale ?
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Emmanuel Todd (L'illusion économique. Essai sur la stagnation des sociétés développées)
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- Georges, connais-tu Victor Hugo? J'ai ouvert la bouche en grand. Le phalangiste a ajustĂ© son arme, regard perdu dans le jour tombĂ©. - Tu connais? "Demain, dĂšs l'aube, Ă  l'heure oĂč blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends..." a rĂ©citĂ© le tueur. J'ai tremblĂ© Ă  mon tour. Mon corps, sans retenue. J'ai pleurĂ©. Tant pis. (...) "J'irai par la forĂȘt, j'irai par la montagne, Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixĂ©s sur mes pensĂ©es, Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbĂ©, les mains croisĂ©es, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit". Et puis il a tirĂ©. Deux coups. Un troisiĂšme, juste aprĂšs. Cette fois sans trembler, sans que je sente rien venir. Son corps Ă©tait raide de guerre. Mes larmes n'y ont rien fait. Ni la beautĂ© d'Aurore, ni la fragilitĂ© de Louise, ni mon effroi. Il a tirĂ© sur la ville, sur le souffle du vent. IL a tirĂ© sur les lueurs d'espoir, sur la tristesse des hommes. Il a tirĂ© sur moi, sur nous tous. Il a tirĂ© sur l'or du soir qui tombe, le bouquet de houx vert et les bruyĂšres en fleur.
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Sorj Chalandon (Le quatriĂšme mur)
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Les Grandes puissances, avec les Etats-Unis d’AmĂ©rique en tĂȘte, humilient les pays du Tiers-monde et leurs dirigeants qui s’y prĂȘtent sans trop d’objections avant d’humilier, Ă  leur tour, leurs propres populations. Celles-ci subissent donc une double humiliation Ă  laquelle s’ajoute une troisiĂšme – l’auto-humiliation quand l’on s’abstient de rĂ©agir. On est en droit de parler d’ « humiliocratie », c’est-Ă -dire d’un systĂšme politico-culturel qui exploite les inĂ©galitĂ©s des rapports de force Ă  la fois externes et internes. L’humiliation Ă©mane d’une volontĂ© consciente d’agresser la dignitĂ© des autres et pas simplement de dominer. C’est une des denrĂ©es la plus mondialisĂ©e, de nos jours, par ceux qui la gĂ©nĂšrent et l’entretiennent. C’est aussi celle qui suscite de moins en moins d’indignation des gouvernants, des peuples humiliĂ©s eux-mĂȘmes ou de l’opinion publique internationale.
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Mahdi Elmandjra
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Les pertes sont inĂ©vitables, sauf le cas de Madoff. Vous avez besoin d'accepter ce fait vous ne pouvez pas Ă©viter les perd. Essayer d'Ă©viter les pertes ne fera que provoquer des pertes plus importantes. Votre travail consiste Ă  «essayer» les garder petits. Lorsque vous dĂ©tailler exactement ce que vous ĂȘtes prĂȘt Ă  risquer un Trading d'accepter le fait que le Trading ne pas avoir Ă  travailler. Acceptez le fait que vous pouvez perdre de l'argent. Cet argent vous ĂȘtes prĂȘt Ă  perdre doit ĂȘtre une petite quantitĂ© qui n'affecte pas votre Ă©tat Ă©motionnel ou votre compte de trading. Par exemple, si vous disposez d'un compte de trading 100.000 $ et que vous ĂȘtes prĂȘt Ă  risquer 1% sur un Trade vous vous tenez la possibilitĂ© de perdre 1000 $. Si vous ne pouvez pas tolĂ©rer que vous pouvez rĂ©duire votre risque sur le Trading Ă  un pourcentage infĂ©rieur ou tout simplement peut-ĂȘtre la Trade n'est pas pour vous. Vous avez besoin d'accepter l'incertitude la plus complĂšte lorsque nous faisons des Ă©changes. La seule certitude est l'incertitude. Une fois que votre serviteur internaliser ce fait de commencer la construction de la patience et de la discipline. La discipline est d'avoir des rĂšgles de Trade et ayant la capacitĂ© de les suivre parce que vous avez acceptĂ© les risques inhĂ©rents lors de la Trade ainsi que la
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Trend Following mentor (Les fautes des jours de bourse (Trend Following Mentor) (French Edition))
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La science moderne se prĂ©sente dans le monde comme le principal ou le seul facteur de vĂ©ritĂ© ; selon ce style de certitude, connaĂźtre Charlemagne, c’est savoir combien a pesĂ© son crĂąne et quelle a Ă©tĂ© sa taille. Au point de vue de la vĂ©ritĂ© totale — redisons-le une fois de plus — il vaut mille fois mieux croire que Dieu a crĂ©Ă© le monde en six jours et que l’au-delĂ  se situe sous le disque terrestre ou dans le ciel tournant, que de connaĂźtre la distance d’une nĂ©buleuse Ă  une autre tout en ignorant que les phĂ©nomĂšnes ne font que manifester une RĂ©alitĂ© transcendante qui nous dĂ©termine de toutes parts et qui donne Ă  notre condition humaine tout son sens et tout son contenu ; aussi les grandes traditions, conscientes de ce qu’un savoir promĂ©thĂ©en mĂšnerait Ă  la perte de la vĂ©ritĂ© essentielle et salvatrice, n’ont-elles jamais prescrit ni encouragĂ© cette accumulation de connaissances tout extĂ©rieures et, en fait, mortelles pour l’homme. On affirme couramment que telle ou telle prouesse scientifique « fait honneur au genre humain », et autres niaiseries de ce genre, comme si l’homme faisait honneur Ă  sa nature autrement qu’en se dĂ©passant, et comme s’il se dĂ©passait ailleurs que dans la conscience d’absolu et dans la saintetĂ©.
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Frithjof Schuon (Light on the Ancient Worlds: A New Translation with Selected Letters (Library of Perennial Philosophy))