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Longtemps, mon seul but dans la vie Ă©tait de m'autodĂ©truire. Puis, une fois, j'ai eu envie de bonheur. C'est terrible, j'ai honte, pardonnez-moi : un jour, j'ai eu cette vulgaire tentation d'ĂȘtre heureux. Ce que j'ai appris depuis, c'est que c'Ă©tait la meilleure maniĂšre de me dĂ©truire.
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
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La marée baissait encore dans l'étrange mouvement du flux et reflux de l'eau, comme si un coeur immense au centre de la terre ne battait que deux fois par jour.
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Annie Proulx (The Shipping News)
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Elle lui demanda en quoi un jour de pluie pouvait ĂȘtre beau : il lui Ă©numĂ©ra les nuances de couleurs que prendraient le ciel, les arbres et les toits lorsqu'ils se promĂšneraient tantĂŽt, de la puissance sauvage avec laquelle leur apparaĂźtrait l'ocĂ©an, du parapluie qui les rapprocherait pendant la marche, de la joie qu'ils auraient Ă se rĂ©fugier ici pour un thĂ© chaud, des vĂȘtements qui sĂ©cheraient auprĂšs du feu, de la langueur qui en dĂ©coulerait, de l'opportunitĂ© qu'ils auraient de faire plusieurs fois l'amour, du temps qu'ils prendraient Ă se raconter leur vie sous les draps du lit, enfants protĂ©gĂ©s par une tente de la nature dĂ©chaĂźnĂ©e...
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Ăric-Emmanuel Schmitt (Odette Toulemonde et autres histoires)
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Lâamour, câest trĂšs compliquĂ©. Câest Ă la fois la plus extraordinaire et la pire chose qui puisse arriver. Vous le dĂ©couvrirez un jour. Lâamour, ça peut faire trĂšs mal. Vous ne devez pas pour autant avoir peur de tomber, et surtout pas de tomber amoureux, car lâamour, câest aussi trĂšs beau, mais comme tout ce qui est beau, ça vous Ă©blouit et ça vous fait mal aux yeux. Câest pour ça que souvent, on pleure aprĂšs.
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Joël Dicker (La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (Marcus Goldman, #1))
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Ce n'est pas la premiÚre fois que je veux tuer des mouches avec un canon. C'est la cent milliÚme fois. Cela m'arrive tous les jours et tout le jour. Je prévois toujours le pire et je me démÚne toujours comme si c'était le pire. Eh ! Prends donc l'habitude de considérer que les choses ordinaires arrivent aussi.
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Jean Giono (The Horseman on the Roof)
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Pauvres créatures! Si c'est un tort de les aimer, c'est bien le moins qu'on les plaigne. Vous plaignez l'aveugle qui n'a jamais vu les rayons du jour, le sourd qui n'a jamais entendu les accords de la nature, le muet qui n'a jamais pu rendre la voix de son ùme, et, sous un faux prétexte de pudeur, vous ne voulez pas plaindre cette cécité du coeur, cette surdité de ùme, ce mutisme de la conscience qui rendent folle la malheureuse affligée et qui la font malgré elle incapable de voir le bien, d'entendre le Seigneur et de parler la langue pure de l'amour et de la foi.
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Alexandre Dumas fils (La dame aux camélias)
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Parce que les mots, une fois qu'on les a lus, on ne peut pas revenir en arriĂšre, ça se plante dans la matiĂšre grise, les mots sont les racines des arbres de nos pensĂ©es, et nul ne peut savoir jusqu'oĂč ils vont grandir, et si un arbre ne donnera pas, un jour, une forĂȘt.
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Maxime Chattam (Le Coma des mortels)
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Les galĂšres ! Ah ! oui, plutĂŽt mille fois la mort, plutĂŽt lâĂ©chafaud que le bagne, plutĂŽt le nĂ©ant que lâenfer ; plutĂŽt livrer mon cou au couteau de Guillotin quâau carcan de la chiourme ! Les galĂšres, juste ciel !
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Victor Hugo (Le Dernier Jour D'un Condamné ; Claude Gueux)
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La vie est une succession de moments qui ne cessent de changer, comme les pensĂ©es. Parfois ça va, parfois ça ne va pas. MĂȘme si c'est dans la nature humaine de ruminer, il ne faut pas se laisser envahir par une pensĂ©e nĂ©gative, parce que les pensĂ©es sont comme des invitĂ©s, ou des amies des bons jours. SitĂŽt arrivĂ©es, certaines peuvent s'Ă©vaporer, et mĂȘme celles que l'on rumine longtemps peuvent disparaĂźtre en un instant. Les moments sont prĂ©cieux. Parfois ils trainent, d'autres fois ils nous Ă©chappent, et cependant on pourrait tant en profiter. Il suffit de les saisir...
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Cecelia Ahern (How to Fall in Love)
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Cependant mon pÚre fut atteint d'une maladie qui le conduisit en peu de jours au tombeau. II expira dans mes bras. J'appris à connaßtre la mort sur les lÚvres de celui qui m'avait donné la vie. Cette impression fut grande; elle dure encore. C'est la premiÚre fois que l'immortalité de l'ùme s'est présentée clairement à mes yeux. Je ne pus croire que ce corps inanimé était en moi l'auteur de la pensée: je sentis qu'elle me devait venir d'une autre source; et dans une sainte douleur qui approchait de la joie, j'espérai me rejoindre un jour à l'esprit de mon pÚre.
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François-René de Chateaubriand
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J'ai compris que j'avais dĂ©truit l'Ă©quilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage oĂč j'avais Ă©tĂ© heureux. Alors, j'ai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles s'enfonçaient sans qu'il y parĂ»t. Et c'Ă©tait comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.
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Albert Camus (The Stranger)
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Un jour, à propos de la vie, la mienne en particulier: "Ah! Ce n'était que ça."
Je ne veux pas que ce ne soit que ça. Je ne veux pas comprendre et réduire.(La foi du braconnier, p.147)
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Marc Séguin
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Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai compris qu'en toutes circonstances,
JâĂ©tais Ă la bonne place, au bon moment.
Et alors, j'ai pu me relaxer.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle...
l'Estime de soi.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai pu percevoir que mon anxiĂ©tĂ© et ma souffrance Ă©motionnelle
NâĂ©taient rien d'autre qu'un signal
Lorsque je vais Ă l'encontre de mes convictions.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle... l'Authenticité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
J'ai cessé de vouloir une vie différente
Et j'ai commencé à voir que tout ce qui m'arrive
Contribue Ă ma croissance personnelle.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la Maturité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai commencĂ© Ă percevoir l'abus
Dans le fait de forcer une situation ou une personne,
Dans le seul but d'obtenir ce que je veux,
Sachant trĂšs bien que ni la personne ni moi-mĂȘme
Ne sommes prĂȘts et que ce n'est pas le moment...
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... le Respect.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai commencĂ© Ă me libĂ©rer de tout ce qui n'Ă©tait pas salutaire, personnes,
situations, tout ce qui baissait mon énergie.
Au début, ma raison appelait cela de l'égoïsme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... l'Amour propre.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© d'avoir peur du temps libre
Et j'ai arrĂȘtĂ© de faire de grands plans,
Jâai abandonnĂ© les mĂ©ga-projets du futur.
Aujourd'hui, je fais ce qui est correct, ce que j'aime
Quand cela me plait et Ă mon rythme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la Simplicité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© de chercher Ă avoir toujours raison,
Et je me suis rendu compte de toutes les fois oĂč je me suis trompĂ©.
Aujourd'hui, j'ai découvert ... l'Humilité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© de revivre le passĂ©
Et de me préoccuper de l'avenir.
Aujourd'hui, je vis au présent,
LĂ oĂč toute la vie se passe.
Aujourd'hui, je vis une seule journée à la fois.
Et cela s'appelle... la Plénitude.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai compris que ma tĂȘte pouvait me tromper et me dĂ©cevoir.
Mais si je la mets au service de mon coeur,
Elle devient une alliée trÚs précieuse !
Tout ceci, c'est... le Savoir vivre.
Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter.
Du chaos naissent les étoiles.
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Charlie Chaplin
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Chaque fois que je pense a lui, je me souviens d'une anecdote qu'on m'a racontĂ©e : un jour, les Gardes rouges fouillĂšrent sa maison, et trouvĂšrent un livre cachĂ© sous son oreiller, Ă©crit dans une langue Ă©trangĂšre, que personne ne connaissait. La scĂšne n'Ă©tait pas sans ressemblance avec celle de la bande du boiteux autour du Cousin Pons. Il fallut envoyer ce butin Ă l'UniversitĂ© de PĂ©kin pour savoir enfin qu'il s'agissait d'une Bible en latin. Elle coĂ»ta cher au pasteur car, depuis, il Ă©tait forcĂ© de nettoyer la rue, toujours la mĂȘme, du matin au soir, huit heures par jour, quel que fĂ»t le temps. Il finit ainsi par devenir une dĂ©coration mobile du paysage.
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Honoré de Balzac
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Je ne luttais plus contre les coutumes à la fois vénérables et vaines ; tout ce qui met en lumiÚre l'effort de l'homme, ne fût-ce que pour la durée d'un jour, me semblait salutaire en présence d'un monde si prompt à l'oubli.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Pour la premiĂšre fois, en buvant des cerises
à l'eau-de-vi', je me saoûlai.
C'était aux Andelys, je crois, et ma famille
me regardait fort amusée.
Elle ne pensait pas qu'un jour mes fortes cuites
la feraient un peu déchanter
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Raymond Queneau (ChĂȘne et chien / Petite cosmogonie portative /Le Chant du StyrĂšne)
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Câest alors que tout a vacillĂ©. La mer a charriĂ©
un souffle Ă©pais et ardent. Il mâa semblĂ© que le ciel sâouvrait sur
toute son Ă©tendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon ĂȘtre
sâest tendu et jâai crispĂ© ma main sur le revolver. La gĂąchette a
cĂ©dĂ©, jâai touchĂ© le ventre poli de la crosse et câest lĂ , dans le
bruit Ă la fois sec et assourdissant, que tout a commencĂ©. Jâai
secouĂ© la sueur et le soleil. Jâai compris que jâavais dĂ©truit
lâĂ©quilibre du jour, le silence exceptionnel dâune plage oĂč jâavais
Ă©tĂ© heureux. Alors, jâai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles sâenfonçaient sans quâil y parĂ»t. Et câĂ©tait comme
quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur
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Albert Camus (The Stranger)
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Parce qu'il y a certaines habitudes qui deviennent vitales. Aussi futiles soient elles, elles deviennent des points de repĂšres, des choses sur lesquelles on se base pour avancer. Faire sonner trois fois son rĂ©veil le matin avant de se lever. Avoir une marque de cafĂ© favorite. Ătre assis toujours Ă la mĂȘme place Ă table. Lacer sa chaussure gauche avant la droite. Des gestes qui se transforment en rituels et si ça foire un jour plus rien ne va et on se sent perdu.
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Camille L. (Dégradation (Dégradation, #1))
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L'Amour qui n'est pas un mot
Mon Dieu jusqu'au dernier moment
Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme
Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme
Comment se pourrait-il comment
Comment se pourrait-il qu'on aime
Ou comment nommer ce tourment
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenĂȘtres
Tu me rends la caresse d'ĂȘtre
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaĂźtre
Notre histoire jusqu'Ă la fin
C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble
Que la lumiĂšre sur ta joue
Qu'autour de toi le vent se joue
Toujours si je te vois je tremble
Comme Ă son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble
M'habituer m'habituer
Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué
Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme
S'ils s'habituaient aux nuées
Pour la premiĂšre fois ta bouche
Pour la premiĂšre fois ta voix
D'une aile Ă la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche
C'est toujours la premiĂšre fois
Quand ta robe en passant me touche
Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la tends
Ma vie en vérité commence
Le jour que je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'as montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fiĂšvres
Et j'ai flambé comme un geniÚvre
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lÚvre
Ma vie est Ă partir de toi
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Louis Aragon
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Jâai compris que jâavais dĂ©truit lâĂ©quilibre du jour, le silence exceptionnel dâune plage oĂč jâavais Ă©tĂ© heureux. Alors, jâai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles sâenfonçaient sans quâil y parĂ»t. Et câĂ©tait comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.
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Albert Camus (L'Ătranger)
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Un peu comme lorsque je rentre d'un voyage quelque part et que tout le monde me demande comment c'Ă©tait : peu Ă peu mes diffĂ©rentes rĂ©ponses n'en font plus qu'une, mes impressions se resserrent sur elles-mĂȘmes, ouais, c'est cool, lĂ -bas, et tiens, une anecdote marrante... puis ce discours unique se substitue Ă la rĂ©alitĂ© du souvenir.
Du coup, j'ai franchement eu peur. J'ai ressenti cette crainte familiÚre, soudainement intense et sincÚre, qu'une fois toute sensation échappée de ma vie, il ne reste plus de celle-ci qu'un cliché. Et le jour de ma mort, saint Pierre me demanderait :
- C'était comment ?
- Vraiment super, en bas. J'aimais bien la bouffe. m'enfin, avec la tourista... Bon, les gens sont tous trĂšs sympas quand mĂȘme.
Et ça serait tout. (...)
Et j'ai décidé de raconter quelque chose de nouveau sur mon séjour à chaque personne qui voudrait que je lui en parle, sans me répéter une seule fois.
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Benjamin Kunkel (Indecision)
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Il y a cette brĂ»lure de ne rien ĂȘtre autorisĂ© Ă dire, de devoir tout taire, et cette question terrible, cet abĂźme sous les pieds  : si on n'en parle pas, comment prouver que ça existe  ? Un jour, quand l'histoire sera terminĂ©e, puisqu'elle se terminera, nul ne pourra tĂ©moigner qu'elle a eu lieu. L'un des protagonistes (lui) pourra aller jusqu'Ă la nier, s'il le souhaite, jusqu'Ă s'insurger qu'on puisse inventer pareilles sornettes. L'autre (moi) n'aura que sa parole, elle ne pĂšserait pas lourd. Cette parole n'adviendra jamais. Non, je n'ai jamais parlĂ©. Sauf aujourd'hui. Dans ce livre. Pour la premiĂšre fois.
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Philippe Besson (« ArrĂȘte avec tes mensonges »)
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Dites seulement un mot, et vous verrez si tous les charmes et tous les attachements me retiendront ici, non pas un jour, mais une minute. Je volerai Ă vos pieds et dans vos bras, et je vous prouverai mille fois et de milles maniĂšres, que vous ĂȘtes, que vous serez toujours, la vĂ©ritable souveraine de mon cĆur.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons Dangereuses)
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La Cigale, ayant chanté
Tout l'ĂtĂ©,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prĂȘter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'Ă la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oût, foi d'animal,
IntĂ©rĂȘt et principal.
La Fourmi n'est pas prĂȘteuse ;
C'est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle Ă cette emprunteuse.
- Nuit et jour Ă tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »
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Jean de la Fontaine
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Je me suis endormie pour la derniĂšre fois de ma vie. Et Ă mon rĂ©veil, il y avait un homme avec un pistolet. Il a tuĂ© mes parents. Il a tuĂ© ma sĆur. Il a tentĂ© de me tuer. Et les RenĂ©gats ne sont pas venus⊠AprĂšs, chaque fois que je voulais mâendormir, je revivais toute la scĂšne. Alors un beau jour, jâai arrĂȘtĂ© dâessayer.
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Marissa Meyer (Renegades (Renegades, #1))
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- Mais quel Ăąge as-tu pour parler ainsi ?
- Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas. Peut-ĂȘtre quatre mille neuf cent quinze jours, peut-ĂȘtre quatorze ou quinze ans. J'ai parfois l'impression d'ĂȘtre un bĂ©bĂ© et d'autre fois, je sais que j'ai plusieurs siĂšcles. Est-ce important ? Ăa ne m'empĂȘche pas d'ĂȘtre moi, tu ne crois pas ?
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Pierre Bottero (Les FrontiĂšres de glace (La QuĂȘte d'Ewilan, #2))
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Pour moi, ma mÚre avait toujours existé et je n'avais jamais sérieusement pensé que je la verrais disparaßtre un jour, bientÎt. Sa fin se situait, comme sa naissance, dans un temps mystique. Quand je me disais : elle a l'ùge de mourir, c'étaient des mots vides, comme tant de mots. Pour la premiÚre fois, j'apercevais en elle un cadavre en sursis.
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Simone de Beauvoir (A Very Easy Death)
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- Continuons donc notre excursion, repris-je, mais ayons lâĆil aux aguets, quoique lâile paraisse inhabitĂ©e, elle pourrait renfermer, cependant, quelques individus qui seraient moins difficiles que nous sur la nature du gibier!
- He! He! Fit Ned Land, avec un mouvement de mĂąchoire trĂšs significatif.
- Eh bien! Ned! SâĂ©cria Conseil.
- Ma foi, riposta le canadien, je commence Ă comprendre les charmes de lâanthropophagie!
- Ned! Ned! Que dites-vous la! Réplique Conseil. Vous, anthropophage! Mais je ne serai plus en sûreté prÚs de vous, moi qui partage votre cabine! Devrai-je donc me réveiller un jour a demi dévoré?
- Ami Conseil, je vous aime beaucoup, mais pas assez pour vous manger sans nécessité.
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Jules Verne (VINGT MILLE LIEUES SOUS LES MERS (2))
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Qui veut ĂȘtre assassin, de nos jours, doit ĂȘtre un homme de science. Non, non, je n'Ă©tais ni l'un ni l'autre. Mesdames et messieurs les jurĂ©s, la majoritĂ© des pervers sexuels qui brĂ»lent d'avoir avec une gamine quelque relation physique palpitante capable de les faire gĂ©mir de plaisir, sans aller nĂ©cessairement jusqu'au coĂŻt, sont des ĂȘtres insignifiants, inadĂ©quats, passifs, timorĂ©s, qui demandent seulement Ă la sociĂ©tĂ© de leur permettre de poursuivre leur activitĂ©s pratiquement inoffensives, prĂ©tendument aberrantes, de se livrer en toute intimitĂ© Ă leurs petites perversions sexuelles brĂ»lantes et moites sans que la police et la sociĂ©tĂ© ne leur tombent dessus. Nous ne sommes pas des monstres sexuels! Nous ne violons pas comme le font ces braves soldats. Nous sommes des hommes infortunĂ©s et doux, aux yeux de chien battu, suffisamment intĂ©grĂ©s socialement pour maĂźtriser nos pulsions en prĂ©sence des adultes, mais prĂȘts Ă sacrifier des annĂ©es et des annĂ©es de notre vie pour pouvoir toucher une nymphette ne serait-ce qu'une seule fois. Nous ne sommes pas des tueurs, assurĂ©ment. Les poĂštes ne tuent point.
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Vladimir Nabokov (Lolita)
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A un moment jâai mĂȘme laissĂ© Ă©chapper un son qui sâest prolongĂ© malgrĂ© moi en prenant de plus en plus de force, un son qui avait attendu ce jour prĂ©cis pour partir du fond de mes annĂ©es de tĂ©nĂšbres Ă mal aimer des hommes qui mâont mal aimĂ©e en retour et recouvrir ta poitrine comme une brĂ»lure ; câĂ©tait dâabord un son rauque et traĂźnant, une plainte animale qui nâavait rien du sanglot et qui en un vĂ©ritable appel Ă la mort. A ce moment tout sâest arrĂȘtĂ©, je me suis soudain rappelĂ© cette mĂȘme scĂšne vĂ©cu avec toi alors quâon venait de se rencontrer ; ce hurlement avait dĂ©jĂ eu lieu et sa rĂ©pĂ©tition implacable mâa fait taire une fois pour toute. A ce moment aussi tu tâes Ă©cartĂ© de moi, sans doute pour la mĂȘme raison, tu tâes levĂ© dans une brusquerie qui a dĂ©logĂ© OrĂ©o de la chaise de ton bureau. Ne voulant pas te regarder dans les yeux, jâai regardĂ© tes pieds. Mon hurlement avait tracĂ© une ligne infranchissable entre nous, en hurlant je venais de sonner le glas de notre histoire. Tu as dit des paroles que tu avais dĂ©jĂ prononcĂ©es en dâautres circonstances et je suis partie, je savais que plus jamais on ne se reparlerait.
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Nelly Arcan (Folle)
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D'autres deuils assombrirent mon existence, rendant chaque fois un peu plus fausse la rĂ©sonance de mes plaisirs, avant le jour oĂč je pus entendre sa voix. TirĂ© trop tĂŽt du sommeil pour vaquer Ă mes habitudes, je m'Ă©tais enfermĂ© dans le dĂ©barras minuscule oĂč s'entassent mille tĂ©moins extravagants de mon passĂ© : objets divers auxquels seul le souvenir qu'ils Ă©voquent saurait donner un nom.
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Marcel Béalu (Les messagers clandestins)
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Jâai arpentĂ© les galeries sans fin des grandes bibliothĂšque, les rues de cette ville qui fĂ»t la nĂŽtre, celle oĂč nous partagions presque tous nos souvenirs depuis lâenfance. Hier, jâai marchĂ© le long des quais, sur les pavĂ©s du marchĂ© Ă ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrĂȘtĂ© par-ci par-lĂ , il me semblait que tu mâaccompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar prĂšs du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ?
Je ne sais pas oĂč tu es. Je ne sais pas si tout ce que nous avons vĂ©cu avait un sens, si la vĂ©ritĂ© existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que jâai tenu ma promesse, celle que je tâai faite.
A mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens dâĂ©crire, en amitiĂ© on ne doit rien. Mais voici nĂ©anmoins ma requĂȘte : Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, jâai arpentĂ© les mĂȘmes rues, ri avec toi autour des mĂȘmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles oĂč nous avons posĂ© nos mais et nos regards contient Ă jamais une part de notre histoire. Dis-lui, que jâĂ©tais ton ami, que tu Ă©tais mon frĂšre, peut-ĂȘtre mieux encore puisque nous nous Ă©tions choisis, dis-lui que rien nâa jamais pu nous sĂ©parer, mĂȘme votre dĂ©part si soudain.
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Marc Levy (La prochaine fois)
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On raconte qu'un Anglais vint un jour Ă GenĂšve avec l'intention de visiter le lac ; on le fit monter dans l'une de ces vieilles voitures oĂč l'on s'asseyait de cĂŽtĂ© comme dans les omnibus : or il advint que, par hasard, notre Anglais fut placĂ© de maniĂšre Ă prĂ©senter le dos au lac ; la voiture accomplit paisiblement son voyage circulaire, sans qu'il songeĂąt Ă se retourner une seule fois, et il revint Ă Londres, enchantĂ© du lac de GenĂšve.
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Jules Verne (Cinq semaines en ballon / Une ville flottante / Les forceurs de blocus)
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Habiter authentiquement, câest Ă la fois : sauver la terre (et non sâen faire un maĂźtre absolu) ; accueillir le ciel, câest-Ă -dire laisser ĂȘtre librement le cours des saisons et lâalternance des jours et des nuits qui rythment lâexistence ; câest demeurer attentif aux signes du divin (et non sâenfermer dans lâorgueil dâune raison positiviste Ă©vinçant toute possibilitĂ© dâun sacrĂ©) ; câest enfin sâassumer comme mortel (et non fuir le souci de la mort).
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Jean-Claude Pinson (HABITER EN POETE)
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Au grand jour, Ă voix haute, il dit comme Susan Sontag, qui a Ă©crit lĂ -dessus un essai beau et digne, La Maladie comme mĂ©taphore : l'explication psychique du cancer est Ă la fois un mythe sans fondement scientifique et une vilenie morale, parce qu'elle culpabilise les malades. Cela, c'est la thĂšse officielle, la ligne du Parti. Dans le noir, en revanche, il dit ce que disent Fritz Zorn ou Pierre Cazenave : que son cancer n'Ă©tait pas un agresseur Ă©tranger mais une partie de lui, un ennemi intime et peut-ĂȘtre mĂȘme pas un ennemi. La premiĂšre façon de penser est rationnelle, la seconde est magique. On peut soutenir que devenir adulte, Ă quoi est supposĂ© aider la psychanalyse, c'est abandonner la pensĂ©e magique pour la pensĂ©e rationnelle, mais on peut soutenir aussi qu'il ne faut rien abandonner, que ce qui est vrai Ă un Ă©tage de l'esprit ne l'est pas Ă l'autre et qu'il faut habiter tous les Ă©tages, de la cave au grenier. J'ai l'impression que c'est ce que fait Ătienne.
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Emmanuel CarrĂšre (D'autres vies que la mienne)
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On mâa dit un jour : « Câest si difficile de vivre. » Et je me souviens du ton. Une autre fois, quelquâun a murmurĂ© : « La pire erreur, câest encore de faire souffrir. » Quand tout est fini, la soif de vie est Ă©teinte. Est-ce lĂ ce quâon appelle le bonheur ? En longeant ces souvenirs, nous revĂȘtons tout du mĂȘme vĂȘtement discret et la mort nous apparaĂźt comme une toile de fond aux tons vieillis. Nous revenons sur nous-mĂȘmes. Nous sentons notre dĂ©tresse et nous en aimons mieux. Oui, câest peut-ĂȘtre cela le bonheur, le sentiment apitoyĂ© de notre malheur.
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Albert Camus (L'envers et l'endroit)
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Un jour il voyait des gens du pays trĂšs occupĂ©s Ă arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes dĂ©racinĂ©es Ăšt dĂ©jĂ dessĂ©chĂ©es, et dit : â Câest mort. Cela serait pourtant bon si lâon savait sâen servir. Quant lâortie est jeune, la feuille est un lĂ©gume excellent ; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile dâortie vaut la toile de chanvre. HachĂ©e, lâortie est bonne pour la volaille ; broyĂ©e, elle est bonne pour lĂšs bĂȘtes Ă cornes, La graine de lâortie mĂȘlĂ©e au fourrage donne du luisant au poil des animaux ; la racine mĂȘlĂ©e au sel produit une belle couleur jaune. Câest du reste un excellent foin quâon peut faucher deux fois. Et que faut-il Ă lâortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe Ă mesure quâelle mĂ»rit, et est difficile Ă rĂ©colter. Avec quelque peine quâon prendrait, lâortie serait utile ; on la nĂ©glige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que dâhommes ressemblent Ă lâortie ! â Il ajouta aprĂšs un silence : Mes amis, retenez ceci, il nây a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il nây a que de mauvais cultivateurs.
â
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Victor Hugo (Les Misérables, tome I/3)
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L'Horloge
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientĂŽt comme dans une cible;
Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folĂątre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lĂącher sans en extraire l'or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, Ă tout coup! c'est la loi.
Le jour décroßt; la nuit augmente; souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
TantĂŽt sonnera l'heure oĂč le divin Hasard,
OĂč l'auguste Vertu, ton Ă©pouse encor vierge,
OĂč le repentir mĂȘme (oh! la derniĂšre auberge!),
OĂč tout te dira: Meurs, vieux lĂąche! il est trop tard!
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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En ce qui me concerne, je suis vĂ©gĂ©tarienne Ă quatre-vingt-quinze pour cent. L'exception principale serait le poisson, que je mange peut-ĂȘtre deux fois par semaine pour varier un peu mon rĂ©gime et en n'ignorant pas, d'ailleurs, que dans la mer telle que nous l'avons faite le poisson est lui aussi contaminĂ©. Mais je n'oublie surtout pas l'agonie du poisson tirĂ© par la ligne ou tressautant sur le pont d'une barque. Tout comme ZĂ©non, il me dĂ©plaĂźt de "digĂ©rer des agonies". En tout cas, le moins de volaille possible, et presque uniquement les jours oĂč l'on offre un repas Ă quelqu'un ; pas de veau, pas d'agneau, pas de porc, sauf en de rares occasions un sandwich au jambon mangĂ© au bord d'une route ; et naturellement pas de gibier, ni de bĆuf, bien entendu.
- Pourquoi, bien entendu ?
- Parce que j'ai un profond sentiment d'attachement et de respect pour l'animal dont la femelle nous donne le lait et reprĂ©sente la fertilitĂ© de la terre. Curieusement, dĂšs ma petite enfance, j'ai refusĂ© de manger de la viande et on a eu la grande sagesse de ne pas m'obliger Ă le faire. Plus tard, vers la quinziĂšme annĂ©e, Ă l'Ăąge oĂč l'on veut "ĂȘtre comme tout le monde", j'ai changĂ© d'avis ; puis, vers quarante ans, je suis revenue Ă mon point de vue de la sixiĂšme annĂ©e.(p. 288)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Avez-vous remarquĂ©, StĂ©nio, qu'il y a des heures oĂč nous sommes forcĂ©s d'aimer, des heures oĂč la poĂ©sie nous inonde, oĂč notre cĆur bat plus vite, oĂč notre Ăąme s'Ă©lance hors de nous et brise tous les liens de la volontĂ© poud aller chercher une autre Ăąme oĂč se rĂ©pandre ? Combien de fois, Ă l'entrĂ©e de la nuit, au lever de la lune, aux premiĂšres clartĂ©s du jour, combien de fois, dans le silence de minuit et dans cet autre silence de midi si accablant, si inquiet, si dĂ©vorant, n'ai-je pas senti mon cĆur se prĂ©cipiter vers un but inconnu, vers un bonheur sans forme et sans nom, qui est au ciel, qui est dans l'air, qui est partout, comme un aimant invisible, comme l'amour !
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George Sand (Lélia)
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Je suis disponible Ă toute heure, tous les jours et pour toutes les tĂąches, et il me semble utile de le rĂ©pĂ©ter plusieurs fois d'un ton dĂ©terminĂ©. Ma seule contrainte est mon travail sur le ferry. Je pourrais y renoncer si ce contrat se rĂ©vĂ©lait plus intĂ©ressant, mais il me faudrait davantage de dĂ©tails. La directrice est affligĂ©e par mon comportement. Elle me le dit. "Pour moi aussi, c'est difficile. Vous ne vous en rendez mĂȘme pas compte, tout occupĂ©e que vous ĂȘtes par votre petit nombril. Je me demande souvent ce que les femmes comme vous ont dans la tĂȘte. Qu'est-ce que vous voulez, au fond ? On dit qu'il y a du chĂŽmage, mais regardez : je ne trouve personne. Je ne vous retiens pas, chĂšre madame.
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Florence Aubenas (Le Quai de Ouistreham)
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On sâĂ©gare parfois, on doute de lâĂ©vidence, mĂȘme quand on a dĂ©couvert les secrets dâune bonne vie. Ma solution, bien sĂ»r, ce nâest pas lâidĂ©al. Mais quand on nâaime pas sa vie, quand on sait quâil faut en changer, on nâa pas le choix, nâest-ce pas ? Que faire pour ĂȘtre un autre ? Impossible. Il faudrait nâĂȘtre plus personne, sâoublier pour quelquâun, une fois, au moins. Mais comment ? Ne mâaccablez pas trop. Je suis comme ce vieux mendiant qui ne voulait pas lĂącher ma main, un jour, Ă la terrasse dâun cafĂ© : « Ah ! monsieur, disait-il, ce nâest pas quâon soit mauvais homme, mais on perd la lumiĂšre. » Oui, nous avons perdu la lumiĂšre, les matins, la sainte innocence de celui qui se pardonne Ă lui-mĂȘme.
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Albert Camus (The Fall)
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Pourquoi ce chemin plutĂŽt que cet autre ? OĂč mĂšne-t-il pour nous solliciter si fort ? Quels arbres et quels amis sont vivants derriĂšre lâhorizon de ses pierres, dans le lointain miracle de la chaleur ? Nous sommes venus jusquâici car lĂ oĂč nous Ă©tions ce nâĂ©tait plus possible. On nous tourmentait et on allait nous asservir. Le monde, de nos jours, est hostile aux Transparents. Une fois de plus il a fallu partir⊠Et ce chemin, qui ressemblait Ă un long squelette, nous a conduits Ă un pays qui nâavait que son souffle pour escalader lâavenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinĂ©es entre le crĂ©puscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinĂ©e, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beautĂ©.
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René Char (La Postérité du soleil)
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Un jour il y a plus de quatre milles années de cela, l'empereur Chen Nung voyageait avec son escorte dans une contrée éloignée de son vaste pays.
Comme la route Ă©tait longue et harassante, il demanda Ă prendre un peu de repos Ă l'ombre d'arbres qui le protĂ©gerait du soleil. Le convoi s'arrĂȘta et l'empereur s'assit en tailleur sous un arbuste inconnu. Il rĂ©clama aussitĂŽt un bol d'eau bouillante car il avait grand soif et ne connaissait que ce breuvage pour se dĂ©saltĂ©rer. On s'empressa de lui apporter. C'est alors qu'une feuille tomba dans le bol de l'empereur. Chen Nung but sans s'en rendre compte et un parfum Ă la fois doux et amer lui emplit la gorge. IntriguĂ©, il inspecta le fond de son bol et y trouva la feuille au parfum si envoĂ»tant.
Le thé venait de naßtre.
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Maxence Fermine (Opium)
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On raconte donc qu'il y avait dans un village un paysan. Un beau jour, ledit paysan s'en va dans son champ semer du maĂŻs. Pendant qu'il semait, vient Ă passer par lĂ le Christ flanquĂ© de Saint-Pierre. Mieux aurait valu que le Christ passĂąt son chemin sans s'arrĂȘter ! « â Que sĂšmes-tu lĂ -bas, brave homme ? demanda-t-il au paysan. â Ben, j'sĂšme des pines ! lui rĂ©pondit celui-ci avec outrecuidance. â Tu as bien dit : des pines ? Dieu fasse donc que tu rĂ©coltes alors des pines ! » dit le Christ en bĂ©nissant des deux mains les semailles et en passant son chemin. Et il s'en alla avec Saint-Pierre, lequel n'arrĂȘtait pas de s'Ă©tonner des paroles prononcĂ©es par le Christ, car jamais le seigneur n'avait eu un langage aussi cru. Le paysan, une fois la besogne terminĂ©e, rentra chez lui.Â
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Ion CreangÄ
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Ătes-vous ce quâon appelle un heureux ? Eh bien, vous ĂȘtes triste tous les jours. Chaque jour a son grand chagrin ou son petit souci. Hier, vous trembliez pour une santĂ© qui vous est chĂšre, aujourdâhui vous craignez pour la vĂŽtre, demain ce sera une inquiĂ©tude dâargent, aprĂšs-demain la diatribe dâun calomniateur, lâautre aprĂšs-demain le malheur dâun ami ; puis le temps quâil fait, puis quelque chose de cassĂ© ou de perdu, puis un plaisir que la conscience et la colonne vertĂ©brale vous reprochent ; une autre fois, la marche des affaires publiques. Sans compter les peines de cĆur. Et ainsi de suite. Un nuage se dissipe, un autre se reforme. Ă peine un jour sur cent de pleine joie et de plein soleil. Et vous ĂȘtes de ce petit nombre qui a le bonheur ! Quant aux autres hommes, la nuit stagnante est sur eux.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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Tout paysage nous sort du temps. La nature nous fait le plus souvent dĂ©serter la temporalitĂ©. Chaque fois que nous nous abandonnons Ă ce rĂȘve de la matiĂšre quâest la nature, nous Ă©prouvons une Ă©trange sensationâtourment et charme indĂ©finissables Ă la foisâ, Ă savoir que rien nâa jamais Ă©tĂ©.
Un jour de grand soleil, regardez un arbre dans lâair immobile, avec ses feuilles ressemblant aux broderies dâun cĆur printanier. Vous comprendrez alors que tous les problĂšmes sâeffacent devant la croissance indiffĂ©rente de la nature, devant son inconscience en dehors de laquelle tout est douleur, malĂ©diction, esprit. Ou bien, si vous avez la chance ou la malchance de voir tous les jours un sapin qui se dresse devant votre maison comme une dĂ©nĂ©gation ou une dĂ©monstration de la vie contre elle-mĂȘme, lâinutilitĂ© de lâeffort vous sautera aux yeux et vous souhaiterez tomber sous la coupe de la vie innommĂ©e de la nature. Qui nâa jamais enviĂ© les plantes ignore ce que signifie la terreur de la conscience. Lorsquâon lâa en horreur, on a un faible pour la nature. Lorsquâon nâest plus attirĂ© par lâesprit, on aime le silence de la plante : pas de questions ni de rĂ©ponses.
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Emil M. Cioran (Solitude et destin)
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Dans la bouche de ces prĂ©tendus reprĂ©sentants du prolĂ©tariat, toutes les formules socialistes perdent leur sens rĂ©el. La lutte de classe reste toujours le grand principe ; mais elle doit ĂȘtre subordonnĂ©e Ă la solidaritĂ© nationale1. Lâinternationalisme est un article de foi en lâhonneur duquel les plus modĂ©rĂ©s se dĂ©clarent prĂȘts Ă prononcer les serments les plus solennels; mais le patriotisme impose aussi des devoirs sacrĂ©s2. LâĂ©mancipation des travailleurs doit ĂȘtre lâĆuvre des travailleurs eux-mĂȘmes, comme on lâimprime encore tous les jours, mais la vĂ©ritable Ă©mancipation consiste Ă voter pour un professionnel de la politique, Ă lui assurer les moyens de se faire une bonne situation, Ă se donner un maĂźtre. Enfin lâĂtat doit disparaĂźtre et on se garderait de contester ce quâEngels a Ă©crit lĂ -dessus; mais cette disparition aura lieu seulement dans un avenir si lointain que lâon doit sây prĂ©parer en utilisant provisoirement lâĂtat pour gaver les politiciens de bons morceaux ; et la meilleure politique pour faire disparaĂźtre lâĂtat consiste provisoirement Ă renforcer la machine gouvernementale ; Gribouille, qui se jette Ă lâeau pour ne pas ĂȘtre mouillĂ© par la pluie, nâaurait pas raisonnĂ© autrement. Etc, etc.
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Georges Sorel (Reflections on Violence (Dover Books on History, Political and Social Science))
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Oui, la vie mâa traversĂ©e, je nâai pas rĂȘvĂ©, ces hommes, des milliers, dans mon lit, dans ma bouche, je nâai rien inventĂ© de leur sperme sur moi, sur ma figure, dans mes yeux, jâai tout vu et ça continue encore, tous les jours ou presque, des bouts dâhomme, leur queue seulement, des bouts de queue qui sâĂ©meuvent pour je ne sais quoi car ce nâest pas de moi quâils bandent, ça nâa jamais Ă©tĂ© de moi, câest de ma putasserie, du fait que je suis lĂ pour ça, les sucer, les sucer encore, ces queues qui sâenfilent les unes aux autres comme si jâallais les vider sans retour, faire sortir dâelles une fois pour toutes ce quâelles ont Ă Â dire, et puis de toute façon je ne suis pour rien dans ces Ă©panchements, ça pourrait ĂȘtre une autre, mĂȘme pas une putain mais une poupĂ©e dâair, une parcelle dâimage cristallisĂ©e, le point de fuite dâune bouche qui sâouvre sur eux tandis quâils jouissent de lâidĂ©e quâils se font de ce qui fait jouir, tandis quâils sâaffolent dans les draps en faisant apparaĂźtre çà et lĂ Â un visage grimaçant, des mamelons durcis, une fente trempĂ©e et agitĂ©e de spasmes, tandis quâils tentent de croire que ces bouts de femme leur sont destinĂ©s et quâils sont les seuls à savoir les faire parler, les seuls Ă Â pouvoir les faire plier sous le dĂ©sir quâils ont de les voir plier.
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Nelly Arcan (Putain)
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AssurĂ©ment, si mon mal pouvait se guĂ©rir, ces gens le guĂ©riraient. Câest aujourdâhui mon jour de naissance ; et, de grand matin, je reçois dâAlbert un petit paquet. En lâouvrant, ce qui frappe dâabord mes yeux, câest un des nĆuds de rubans rosĂ©s que Charlotte portait, le premier jour oĂč je la vis, et que depuis lors je lâavais quelquefois priĂ©e de me donner ; puis deux petits volumes in-douze, le petit HomĂšre de Wetstein, Ă©dition que jâavais souvent dĂ©sirĂ©e, pour.ne pas traĂźner Ă la promenade celle dâErnesti. VoilĂ comme ils prĂ©viennent mes dĂ©sirs, comme ils cherchent Ă me tĂ©moigner toutes les petites complaisances de lâamitiĂ©, mille fois plus prĂ©cieuses que ces prĂ©sents magnifiques, par lesquels la vanitĂ© du donateur nous humilie. Je baise ce nĆud mille fois le jour, et, Ă chaque aspiration, je savoure le souvenir des fĂ©licitĂ©s dont me comblĂšrent ce peu de jours heureux, passĂ©s pour jamais. Wilhelm, câest comme cela, et je ne murmure point : les fleurs de la terre ne sont que des apparitions. Combien se flĂ©trissent sans laisser aucune trace. Combien peu fructifient, et combien peu de ces fruits mĂ»rissent ! Et pourtant il en est assez encore ; et pourtantâŠ. ĂŽ mon frĂšreâŠ. pouvons-nous nĂ©gliger les fruits mĂ»rs, les mĂ©priser, et, sans en jouir, les abandonner Ă la pourriture ?
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Le premier empereur est appelé l'Empereur du Ciel. Il a déterminé l'ordre du temps qu'il a divisé en dix troncs célestes et douze branches terrestres, le tout formant un cycle. Cet empereur vécut dix-huit mille ans. Le second empereur est l'Empereur de la Terre ; il vécut aussi dix-huit mille ans : on lui attribue la division du mois en trente jours.
Le troisiÚme empereur est l'Empereur des Hommes. Sous son rÚgne apparaissent les premiÚres ébauches de la vie sociale. Il partage son territoire en neuf parties, et à chacune d'elles il donne pour chef un des membres de sa famille. L'histoire célÚbre pour la premiÚre fois les beautés de la nature et la douceur du climat. Ce rÚgne eut quarante-cinq mille cinq cents ans de durée.
Pendant ces trois rĂšgnes qui embrassent une pĂ©riode de quatre-vingt-un mille ans, il n'est question ni de l'habitation, ni du vĂȘtement. L'histoire nous dit que les hommes vivaient dans des cavernes, sans crainte des animaux, et la notion de la pudeur n'existait pas parmi eux.
A la suite de quels événements cet état de choses se transforma-t-il ? L'histoire n'en dit mot. Mais on remarquera les noms des trois premiers empereurs qui comprennent trois termes, le ciel, la terre, les hommes, gradation qui conduit à l'hypothÚse d'une décadence progressive dans l'état de l'humanité.
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Tcheng-Ki-Tong (Les Chinois peints par eux-mĂȘmes)
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Vous avez Ă©tĂ© enfant, lecteur, et vous ĂȘtes peut-ĂȘtre assez heureux pour l'ĂȘtre encore. Il n'est pas que vous n'ayez plus d'une fois (et pour mon compte j'y ai passĂ© des journĂ©es entiĂšres, les mieux employĂ©es de ma vie) suivi de broussaille en broussaille, au bord d'une eau vive, par un jour de soleil, quelque belle demoiselle verte ou bleue, brisant son vol Ă angles brusques et baisant le bout de toutes les branches. Vous vous rappelez avec quelle curiositĂ© amoureuse votre pensĂ©e et votre regard s'attachaient Ă ce petit tourbillon sifflant et bourdonnant, d'ailes de pourpre et d'azur, au milieu duquel flottait une forme insaisissable voilĂ©e par la rapiditĂ© mĂȘme de son mouvement. L'ĂȘtre aĂ©rien qui se dessinait confusĂ©ment Ă travers ce frĂ©missement d'ailes vous paraissait chimĂ©rique, imaginaire, impossible Ă toucher, impossible Ă voir. Mais lorsque enfin la demoiselle se reposait Ă la pointe d'un roseau et que vous pouviez examiner, en retenant votre souffle, les longues ailes de gaze, la longue robe d'Ă©mail, les deux globes de cristal, quel Ă©tonnement n'Ă©prouviez-vous pas et quelle peur de voir de nouveau la forme s'en aller en ombre et l'ĂȘtre en chimĂšre ! Rappelez-vous ces impressions, et vous vous rendrez aisĂ©ment compte de ce que ressentait Gringoire en contemplant sous sa forme visible et palpable cette Esmeralda qu'il n'avait entrevue jusque-lĂ qu'Ă travers un tourbillon de danse, de chant et de tumulte.
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Victor Hugo (Notre-Dame de ParĂs)
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Je me rappelle mon entrĂ©e sur la scĂšne, Ă mon premier concert. [âŠ] Je n'aimais pas ce public pour qui l'art n'est qu'une vanitĂ© nĂ©cessaire, ces visage composĂ©s dissimulant les Ăąmes, l'absence des Ăąmes. Je concevais mal qu'on pĂ»t jouer devant des inconnus, Ă heure fixe, pour un salaire versĂ© d'avance. Je devinais les apprĂ©ciations toutes faites, qu'ils se croyaient obligĂ©s de formuler en sortant ; je haĂŻssais leur goĂ»t pour l'emphase inutile, l'intĂ©rĂȘt mĂȘme qu'ils me portaient, parce que j'Ă©tais de leur monde, et l'Ă©clat factice dont se paraient les femmes. Je prĂ©fĂ©rais encore les auditeurs de concerts populaires, donnĂ©s le soir dans quelque salle misĂ©rable, oĂč j'acceptais parfois de jouer gratuitement. Des gens venaient lĂ dans l'espoir de s'instruire. Ils n'Ă©taient pas plus intelligents que les autres, ils Ă©taient seulement de meilleur volontĂ©. Ils avaient dĂ», aprĂšs leur repas, s'habiller le mieux possible ; ils avaient dĂ» consentir Ă avoir froid, pendant deux longues heures, dans une salle presque noire. Les gens qui vont au théùtre cherchent Ă s'oublier eux-mĂȘmes ; ceux qui vont au concert cherchent plutĂŽt Ă se retrouver. Entre la dispersion du jour et la dissolution du sommeil, ils se retrempent dans ce qu'ils sont. Visage fatiguĂ©s des auditeurs du soir, visages qui se dĂ©tendent dans leurs rĂȘves et semblent s'y baigner. Mon visage⊠En ne suis-je pas aussi trĂšs pauvre, moi qui n'ai ni amour, ni foi, ni dĂ©sir avouable, moi qui n'ai que moi-mĂȘme sur qui compter, et qui me suis presque toujours infidĂšle ? (p. 82-83)
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Marguerite Yourcenar (Alexis ou le Traité du vain combat / Le Coup de grùce)
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Les gens ont peur dâĂȘtre bannis socialement ou obligĂ©s de quitter le pays. Il y a des lignes rouges que personne nâose dĂ©passer, sur lesquelles veillent lâEtat et les oulĂ©mas. Je me souviens de la virulence avec laquelle un alem de lâEstablishment avait excommuniĂ© le philosophe Mohamed Aziz Lahbabi. Celui-ci mâavait appelĂ© pour me demander de raisonner le alem en question. « Dis-lui que je fais mes priĂšres, que je ne suis pas un mĂ©crĂ©ant ». Jâai eu Ă faire moi-mĂȘme Ă un alem, le jour oĂč il mâa conviĂ©, sur le ton de la dĂ©fiance, Ă un dĂ©bat sur la culture musulmane. Il Ă©tait question, au dĂ©part, quâAbdellah Laroui et Mehdi Mandjera soient Ă mes cĂŽtĂ©s pour confronter nos idĂ©es avec cinq oulĂ©mas de la vieille Ă©cole. Jâai essayĂ© finalement de mâen sortir tout seul, sans mâĂ©loigner de la logique coranique. A vrai dire, je me sens obligĂ©, en tant que dĂ©fenseur dâune laĂŻcitĂ© tolĂ©rante, dâacquĂ©rir continuellement des connaissances religieuses prĂ©cises. En fait, entre 1968 et 1972, je me suis sĂ©rieusement penchĂ© sur lâexĂ©gĂšse du Coran, dont lâune des versions les plus exhaustives en 10 volumes que jâai lue quatre fois. Peu importe Ă quel degrĂ© de croyance je me situais, je voulais mâinstruire. Dans la foulĂ©e, jâai dĂ©cidĂ© de prendre une posture dâavocat sans prĂ©jugĂ©, se proposant de dĂ©fendre un client sans savoir sâil avait raison ou tort. Et en lâoccurrence, je me suis fait lâavocat de lâIslam. Or, un avocat ne peut que donner raison Ă son client. Jâai alors Ă©crit mon livre, Ce que dit le muezzin. Me suis-je convaincu moi-mĂȘme, Ă lâarrivĂ©e ? En tout cas, jâai au moins rendu hommage Ă la religion dans laquelle jâavais Ă©tĂ© Ă©levĂ©.
[Interview Economia, Octobre 2010]
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Mohammed Chafik
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La CitĂ© de la Puissance Divine Ă©tait dâabord du bruit. Des bruits qui couvraient dâautres bruits. Des projectiles tirĂ©s en plein jour pour effrayer un commerçant qui ne voulait pas sâacquitter de la redevance envers le gang du moment qui rançonnait, des postes de radio dont le volume Ă©tait mis Ă fond, chacun Ă©mettant un programme diffĂ©rent, des voisins qui sâinsultaient, des cris dâenfants quâon tapait ; des gosses qui Ă©taient en train de courir, jouer, maigres, handicapĂ©s parce quâils avaient eu des accidents divers, que leurs parents pendant leur gestation avaient bu trop dâalcool, fumĂ© des substances interdites, qui subissaient la cruautĂ© de leurs camarades ; des mioches trop nombreux qui tĂ©moignaient du taux Ă©levĂ© de la natalitĂ©, nĂ©s dâamours Ă©phĂ©mĂšres, de viols ou des Ćuvres de Dieu lui-mĂȘme. Des jeunes femmes qui priaient Ă longueur de journĂ©e, affirmaient trĂšs sĂ©rieusement avoir Ă©tĂ© engrossĂ©es par le Saint-Esprit et racontaient leurs songes Ă des gens Ă©bahis qui croiraient nâimporte quoi tant ils Ă©taient paumĂ©s, dĂ©sespĂ©rĂ©s ; les fous, trop nombreux, les alcooliques, les droguĂ©s, les Ă©clopĂ©s du dernier tremblement de terre ou victimes des gangs, les aveugles, les morts que lâon pleurait, les prĂ©dicateurs qui serraient la main Ă Dieu plusieurs fois par jour, les marchands ambulants qui vantaient haut et fort leurs produits ; les chiens, maigres, qui se ressemblaient tous, reniflant partout Ă la recherche de nourriture, sautillant sur trois pattes, avec un Ćil crevĂ©, une blessure infectĂ©e parce que tout le monde se dĂ©foulait sur les chiens errants, par plaisir, par habitude, par dĂ©sĆuvrement ; les caillasser Ă©tait un rĂ©flexe, chez les enfants et les adultes.
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Emmelie ProphĂšte (Les villages de Dieu)
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Il y a sous la sociĂ©tĂ©, insistons-y, et, jusquâau jour oĂč lâignorance sera dissipĂ©e, il y aura la grande caverne du mal. Cette cave est au-dessous de toutes et est lâennemie de toutes. Câest la haine sans exception. Cette cave ne connaĂźt pas de philosophes ; son poignard nâa jamais taillĂ© de plume. Sa noirceur nâa aucun rapport avec la noirceur sublime de lâĂ©critoire. Jamais les doigts de la nuit qui se crispent sous ce plafond asphyxiant nâont feuilletĂ© un livre ni dĂ©pliĂ© un journal. Babeuf est un exploiteur pour Cartouche ! Marat est un aristocrate pour Schinderhannes. Cette cave a pour but lâeffondrement de tout.
De tout. Y compris les sapes supĂ©rieures, quâelle exĂšcre. Elle ne mine pas seulement, dans son fourmillement hideux, lâordre social actuel ; elle mine la philosophie, elle mine la science, elle mine le droit, elle mine la pensĂ©e humaine, elle mine la civilisation, elle mine la rĂ©volution, elle mine le progrĂšs. Elle sâappelle tout simplement vol, prostitution, meurtre et assassinat. Elle est tĂ©nĂšbres, et elle veut le chaos. Sa voĂ»te est faite dâignorance.
Toutes les autres, celles dâen haut, nâont quâun but, la supprimer. Câest lĂ que tendent, par tous leurs organes Ă la fois, par lâamĂ©lioration du rĂ©el comme par la contemplation de lâabsolu, la philosophie et le progrĂšs. DĂ©truisez la cave Ignorance, vous dĂ©truisez la taupe Crime.
Condensons en quelques mots une partie de ce que nous venons dâĂ©crire. Lâunique pĂ©ril social, câest lâOmbre. HumanitĂ©, câest identitĂ©. Tous les hommes sont la mĂȘme argile. Nulle diffĂ©rence, ici-bas du moins, dans la prĂ©destination. MĂȘme ombre avant, mĂȘme chair pendant, mĂȘme cendre aprĂšs. Mais lâignorance mĂȘlĂ©e Ă la pĂąte humaine la noircit. Cette incurable noirceur gagne le dedans de lâhomme et y devient le Mal.
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Victor Hugo (Les Miserables)
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Il songea, une nouvelle fois, que, petit, un jour, il portait un lapin par les pattes de derriĂšre. C'Ă©tait en Sicile, les pattes Ă©taient attachĂ©es avec de la ficelle, il marchait Ă cĂŽtĂ© de son pĂšre, son pĂšre trimbalait un panier de pommes de terre, et il sentait que le sang s'accumulait dans la petite tĂȘte du lapin, le lapin Ă©tait juste dans la posture de Saint-Pierre le jour de sa mort, les yeux du lapin muet avait un vertige infini de souffrance et de terreur, il aurait suffi de mettre l'animal dans l'autre sens, la tĂȘte en haut, alors, au moins, avant la mort inĂ©vitable, il aurait cessĂ© de souffrir, mais il n'osa pas. Par consĂ©quent, lui, petit, dĂ©jĂ Ă©tait pris dans l'omertĂ du monde, dans cette complicitĂ© gĂ©nĂ©rale qui nous fait, en gros, accepter des mers et des montagnes de souffrance et de terreur, les reconnaitre pour lĂ©gitimes, nĂ©cessaires, bonnes, justes.
Si l'on se mettait, par exemple, Ă souffrir pour un lapin, il faudrait, tout de suite, souffrir aussi pour les chevaux, les mouches, les rats, les vieillards. C'est pourquoi il avait continuĂ© Ă tenir l'animal Ă l'envers, par ses pattes ficelĂ©es, tout en sentant que le regret s'accumulait en lui, s'accumulait jusqu'Ă former un dĂ©pĂŽt pesant dans la tĂȘte de l'animal, enflammant ses yeux de sang et de terreur, mais l'omertĂ , dĂ©jĂ , Ă©tait la plus forte, la complicitĂ© taciturne des hommes entre eux, des ĂȘtres entre eux. Demandez Ă qui vous voudrez. Un lapin, pour un trajet donnĂ©, se porte la tĂȘte en bas, ficelĂ© par les pattes de derriĂšre, c'est la loi. Un bambin, sur un chemin, dans la grande Ăźle, dans la Sicile, il ne va pas, de lui-mĂȘme, accomplir la rĂ©volution, tourner l'animal dans l'autre sens, dans le sens du pardon, du bien-ĂȘtre, au risque de troubler le pas de son pĂšre, son pĂšre portait les pommes de terre.
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Jacques Audiberti (Le MaĂźtre De Milan)
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« Je connais son odeur. Ce petit grain de beautĂ© dans son cou quand elle relĂšve ses cheveux. Elle a la lĂšvre supĂ©rieure un peu plus charnue que lâinfĂ©rieure. La courbe de son poignet, quand elle tient un stylo. Câest mal, câest vraiment mal, mais je connais les contours de sa silhouette. Jây pense en me couchant, et puis je me lĂšve, je vais bosser, et elle est lĂ , et câest insupportable. Je lui dis des trucs avec lesquels je sais quâelle sera dâaccord, juste pour lâentendre me rĂ©pondre : « Hm-hm. » Câest sensuel comme la sensation de lâeau chaude sur mon dos, putain. Elle est mariĂ©e. Elle est brillante. Elle me fait confiance, et la seule chose que jâai en tĂȘte câest de lâamener dans mon bureau, la dĂ©shabiller, lui faire des choses inavouables. Et jâai envie de le lui dire. Jâai envie de lui dire quâelle est  lumineuse, elle brille dâun tel Ă©clat dans mon esprit que ça mâempĂȘche parfois de me concentrer. Parfois jâoublie pourquoi je suis entrĂ© dans la piĂšce. Je suis distrait. Jâai envie de la pousser contre un mur, et jâai envie quâelle se blottisse contre moi. Jâai envie de remonter le temps pour aller mettre un coup de poing Ă son stupide mari le jour oĂč je lâai rencontrĂ©, et ensuite repartir dans le futur pour lui en coller un autre. Jâai envie de lui acheter des fleurs, de la nourriture, des livres. Jâai envie de lui tenir la main, et de lâenfermer dans ma chambre. Elle est tout ce que jâai toujours voulu, et je veux me lâinjecter dans les veines, et Ă la fois ne plus jamais la revoir. Elle est unique, et ces sentiments, ils sont intolĂ©rables, putain. Ils Ă©taient Ă moitiĂ© en sommeil tant quâelle Ă©tait absente, mais, maintenant elle est lĂ , et je ne contrĂŽle plus mon corps, comme un putain dâado, et je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux rien faire, alors je vais juste⊠ne rien faire.  »
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Ali Hazelwood (Love on the Brain)
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Cette sĂ©paration alchimique, si dangereuse que les philophes hermĂ©tiques nâen parlaient quâĂ mots couverts, si ardue que de longues vies sâĂ©taient usĂ©es en vain Ă lâobtenir, il lâavait confondue jadis avec une rĂ©bellion facile. Puis, rejetant ce fatras de rĂȘvasseries aussi antiques que lâillusion humaine, ne retenant de ses maĂźtres alchimistes que quelques recettes pragmatiques, il avait choisi de dissoudre et de coaguler la matiĂšre dans le sens dâune expĂ©rimentation faite avec le corps des choses. Maintenant, les deux branches de la parabole se rejoignaient ; la mors philosophica, sâĂ©tait accomplie : lâopĂ©rateur brĂ»lĂ© par les acides de la recherche Ă©tait Ă la fois sujet et objet, alambic fragile et, au fond du rĂ©ceptacle, prĂ©cipitĂ© noir. LâexpĂ©rience quâon avait cru pouvoir confiner Ă lâofficine sâĂ©tait Ă©tendue Ă tout. Sâen suivait-il que les phases subsĂ©quentes de lâaventure alchimique fussent autre chose que des songes, et quâun jour il connaĂźtrait aussi la puretĂ© ascĂ©tique de lâ Ćuvre au Blanc, puis le triomphe de lâesprit et des sens qui caractĂ©rise lâ Ćuvre au Rouge ? Du fond de la lĂ©zarde naissait une ChimĂšre. Il disait Oui par audace, comme autrefois par audace il avait dit Non. Il sâarrĂȘtait soudain, tirant violemment sur ses propres rĂȘnes. La premiĂšre phase de lâĆuvre avait demandĂ© toute sa vie. Le temps et les forces manquaient pour aller plus loin, Ă supposer quâil y eĂ»t une route, et que par cette route un homme pĂ»t passer. Ou ce pourrissement des idĂ©es, cette mort des instincts, ce broiement des formes preque insupportables Ă la nature humaine seraient rapidement suivis par la mort vĂ©ritable, et il serait curieux de voir par quelle voie, ou lâesprit revenu des domaines du vertige reprendrait ses routines habituelles, muni seulement de facultĂ©s plus libres et comme nettoyĂ©es. Il serait beau dâen voir les effets.
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Marguerite Yourcenar
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Il vécut dans notre baraque une douce captivité jusqu'à l'heure du départ. Il se faisait décrire vingt fois par jour le facile voyage : il descendrait d'avion à Agadir, et on lui remettrait, dans cette escale, un billet d'autocar pour Marrakech. Bark jouait à l'homme libre, comme un enfant joue à l'explorateur : cette démarche vers la vie, cet autocar, ces foules, ces villes qu'il allait revoir.
Laubergue vint me trouver au nom de Marchal et d'Abgrall. Il ne fallait pas que Bark crevùt de faim en débarquant. Ils me donnaient mille francs pour lui ; Bark pourrait ainsi chercher du travail.
Et je pensais Ă ces vieilles dames des bonnes Ćuvres qui « font la charitĂ© », donnent vingt francs et exigent la reconnaissance. Laubergue, Marchal, Abgrall, mĂ©caniciens d'avions, en donnaient mille, ne faisaient pas la charitĂ©, exigeaient encore moins de reconnaissance. Ils n'agissaient pas non plus par pitiĂ©, comme ces mĂȘmes vieilles dames qui rĂȘvent au bonheur. Ils contribuaient simplement Ă rendre Ă un homme sa dignitĂ© d'homme. Ils savaient trop bien, comme moi-mĂȘme, qu'une fois passĂ©e l'ivresse du retour, la premiĂšre amie fidĂšle qui viendrait au-devant de Bark, serait la misĂšre, et qu'il peinerait avant trois mois quelque part sur les voies de chemin de fer, Ă dĂ©raciner des traverses. Il serait moins heureux qu'au dĂ©sert chez nous. Mais il avait le droit d'ĂȘtre lui-mĂȘme parmi les siens.
« Allons, vieux. Bark, va et sois un homme. »
L'avion vibrait, prĂȘt Ă partir. Bark se penchait une derniĂšre fois vers l'immense dĂ©solation de Cap Juby. Devant l'avion deux cents Maures s'Ă©taient groupĂ©s pour bien voir quel visage prend un esclave aux portes de la vie. Ils le rĂ©cupĂ©reraient un peu plus loin en cas de panne.
Et nous faisions des signes d'adieu à notre nouveau-né de cinquante ans, un peu troublés de le hasarder vers le monde.
« Adieu, Bark !
- Non.
- Comment : non ?
- Non. Je suis Mohammed ben Lhaoussin. »
p103
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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_ Pourquoi sont-ils si méprisants ? demanda Chloé. Ce n'est pas tellement bien de travailler...
_ On leur a dit que câĂ©tait bien, dit Colin. En gĂ©nĂ©ral, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement.
_ En tout cas, c'est idiot de faire un travail que des machines pourraient faire.
_ Il faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera?
_ Oh! Evidemment, dit ChloĂ©. Pour faire un Ćuf, il faut une poule, mais, une fois qu'on a la poule, on peut avoir des tas dâĆufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule.
_ Il faudrait savoir, dit Colin, qui empĂȘche de faire des machines. C'est le temps qui doit manquer. Les gens perdent leur temps Ă vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travailler.
_ Ce n'est pas plutÎt le contraire? dit Chloé.
_ Non, dit Colin. S'ils avaient le temps de construire les machines, aprĂšs ils n'auraient plus besoin de rien faire. Ce que je veux dire c'est qu'ils travaillent pour vivre au lieu de travailler Ă construire des machines qui les feraient vivre sans travailler.
_ C'est compliqué, estima Chloé.
_ Non, dit Colin. C'est trĂšs simple. Ăa devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais, on perd tellement de temps Ă faire des choses qui s'usent...
- Mais, tu crois qu'ils n'aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller Ă la piscine et aux divertissements?
- Non, dit Colin. Parce qu'ils n'y pensent pas.
- Mais est-ce que c'est leur faute si ils croient que c'est bien de travailler?
- Non, dit Colin, ce n'est pas leur faute. C'est parce qu'on leur a dit : « Le travail, c'est sacré, c'est bien, c'est beau, c'est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit à tout. » Seulement, on s'arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter.
_ Mais, alors, ils sont bĂȘtes? dit ChloĂ©.
_ Oui, ils sont bĂȘtes, dit Colin. C'est pour ça qu'ils sont d'accord avec ceux qui leur font croire que le travail c'est ce qu'il y a de mieux. Ăa leur Ă©vite de rĂ©flĂ©chir et de chercher Ă progresser et Ă ne plus travailler.
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Boris Vian (L'écume des jours)
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« Nous sommes toujours en 1929 et, cette annĂ©e-lĂ , George Washington Hill (1884-1946), prĂ©sident de lâAmerican Tobacco Co., dĂ©cide de s'attaquer au tabou qui interdit Ă une femme de fumer en public, un tabou qui, thĂ©oriquement, faisait perdre Ă sa compagnie la moitiĂ© de ses profits. Hill embauche Bernays, qui, de son cĂŽtĂ©, consulte aussitĂŽt le psychanalyste Abraham Arden Brill (1874-1948), une des premiĂšres personnes Ă exercer cette profession aux Ătats-Unis. Brill explique Ă Bernays que la cigarette est un symbole phallique reprĂ©sentant le pouvoir sexuel du mĂąle : sâil Ă©tait possible de lier la cigarette Ă une forme de contestation de ce pouvoir, assure Brill, alors les femmes, en possession de leurs propres pĂ©nis, fumeraient.
La ville de New York tient chaque annĂ©e, Ă PĂąques, une cĂ©lĂšbre et trĂšs courue parade. Lors de celle de 1929, un groupe de jeunes femmes avaient cachĂ© des cigarettes sous leurs vĂȘtements et, Ă un signal donnĂ©, elles les sortirent et les allumĂšrent devant des journalistes et des photographes qui avaient Ă©tĂ© prĂ©venus que des suffragettes allaient faire un coup dâĂ©clat. Dans les jours qui suivirent, lâĂ©vĂ©nement Ă©tait dans tous les journaux et sur toutes les lĂšvres. Les jeunes femmes expliquĂšrent que ce qu'elles allumaient ainsi, c'Ă©tait des « flambeaux de la libertĂ© » (torches of freedom). On devine sans mal qui avait donnĂ© le signal de cet allumage collectif de cigarettes et qui avait inventĂ© ce slogan ; comme on devine aussi qu'il s'Ă©tait agi Ă chaque fois de la mĂȘme personne et que c'est encore elle qui avait alertĂ© les mĂ©dias.
Le symbolisme ainsi créé rendait hautement probable que toute personne adhérant à la cause des suffragettes serait également, dans ta controverse qui ne manquerait pas de s'ensuivre sur la question du droit des femmes de fumer en public, du cÎté de ceux et de celles qui le défendaient - cette position étant justement celle que les cigarettiers souhaitaient voir se répandre. Fumer étant devenu socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à cette nouvelle clientÚle allaient exploser. »
Norman Baillargeon, prĂ©face du livre dâEdward Bernays, « Propaganda ».
(Ă. Bernays Ă©tait le neveu de S. Freud)
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Norman Baillargeon
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277. Providence personnelle. Il existe un certain point supĂ©rieur de la vie : lorsque nous lâavons atteint, malgrĂ© notre libertĂ© et quoi que nous dĂ©niions au beau chaos de lâexistence toute raison prĂ©voyante et toute bontĂ©, nous sommes encore une fois en grand danger de servitude intellectuelle et nous avons Ă faire nos preuves les plus difficiles. Car câest maintenant seulement que notre esprit est violemment envahi par lâidĂ©e dâune providence personnelle, une idĂ©e qui a pour elle le meilleur avocat, lâapparence Ă©vidente, maintenant que nous pouvons constater que toutes, toutes choses qui nous frappent, tournent toujours Ă notre bien. La vie de chaque jour et de chaque heure semble vouloir dĂ©montrer cela toujours Ă nouveau ; que ce soit nâimporte quoi, le beau comme le mauvais temps, la perte dâun ami, une maladie, une calomnie, la non-arrivĂ©e dâune lettre, un pied foulĂ©, un regard jetĂ© dans un magasin, un argument quâon vous oppose, le fait dâouvrir un livre, un rĂȘve, une fraude : tout cela nous apparaĂźt, immĂ©diatement, ou peu de temps aprĂšs, comme quelque chose qui « ne pouvait pas manquer », â quelque chose qui est plein de sens et dâune profonde utilitĂ©, prĂ©cisĂ©ment pour nous ! Y a-t-il une plus dangereuse sĂ©duction que de retirer sa foi aux dieux dâĂpicure, ces insouciants inconnus, pour croire Ă une divinitĂ© quelconque, soucieuse et mesquine, qui connaĂźt personnellement chaque petit cheveu sur notre tĂȘte et que les services les plus dĂ©testables ne dĂ©goĂ»tent point ? Eh bien ! â je veux dire malgrĂ© tout cela, â laissons en repos les dieux et aussi les gĂ©nies serviables, pour nous contenter dâadmettre que maintenant notre habiletĂ©, pratique et thĂ©orique, Ă interprĂ©ter et Ă arranger les Ă©vĂ©nements atteint son apogĂ©e. Ne pensons pas non plus trop de bien de cette dextĂ©ritĂ© de notre sagesse, si nous sommes parfois surpris de la merveilleuse harmonie que produit le jeu sur notre instrument : une harmonie trop belle pour que nous osions nous lâattribuer Ă nous-mĂȘmes. En effet, de-ci de-lĂ , il y a quelquâun qui se joue de nous â le cher hasard : Ă lâoccasion, il nous conduit la main et la providence la plus sage ne saurait imaginer de musique plus belle que celle qui rĂ©ussit alors sous notre folle main.
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Friedrich Nietzsche (Oeuvres complÚtes (24 titres annotés))
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Un matin oĂč jâĂ©tais Ă lâĂ©cole, un incident a eu lieu sur notre parcelle en prĂ©sence de Papa. Une violente dispute avait Ă©clatĂ© entre ProthĂ© et Innocent. Je ne sais pas de quoi il sâagissait, mais Innocent a levĂ© la main sur ProthĂ©. Papa a immĂ©diatement licenciĂ© Innocent, qui ne voulait pas prĂ©senter ses excuses et qui menaçait tout le monde.
La tension permanente rendait les gens nerveux. Ils devenaient sensibles au moindre bruit, Ă©taient sur leurs gardes dans la rue, regardaient dans leur rĂ©troviseur pour ĂȘtre sĂ»rs de nâĂȘtre pas suivi. Chacun Ă©tait aux aguets. Un jour, en plein cours de gĂ©ographie, un pneu a Ă©clatĂ© derriĂšre la clĂŽture, sur le boulevard de lâIndĂ©pendance, et toute la classe, y compris le professeur, sâest jetĂ© Ă plat ventre sous les tables.
Ă lâĂ©cole, les relations entre les Ă©lĂšves burundais avaient changĂ©. CâĂ©tait subtil, mais je mâen rendais compte. Il y avait beaucoup dâallusions mystĂ©rieuses, de propos implicites. Lorsquâil fallait crĂ©er des groupes, en sport ou pour prĂ©parer des exposĂ©s, on dĂ©celait rapidement une gĂȘne. Je nâarrivais pas Ă mâexpliquer ce changement brutal, cet embarras palpable.
JusquâĂ ce jour, Ă la rĂ©crĂ©ation, oĂč deux garçons burundais se sont battus derriĂšre le grand prĂ©au, Ă lâabri du regard des profs et des surveillants. Les autres Ă©lĂšves burundais, Ă©chaudĂ©s par lâaltercation, se sont rapidement sĂ©parĂ©s en deux groupes, chacun soutenant un garçon. « Sales Hutu », disaient les uns, « sales Tutsi » rĂ©pliquaient les autres.
Cet aprĂšs-midi-lĂ , pour la premiĂšre fois de ma vie, je suis entrĂ© dans la rĂ©alitĂ© profonde de ce pays. Jâai dĂ©couvert lâantagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de dĂ©marcation qui obligeait chacun Ă ĂȘtre dâun camp ou dâun autre. Ce camp, tel un prĂ©nom quâon attribue Ă un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait Ă jamais. Hutu ou tutsi. CâĂ©tait soit lâun soit lâautre. Pile ou face. Comme un aveugle qui recouvre la vue, jâai alors commencĂ© Ă comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les maniĂšres qui mâĂ©chappaient depuis toujours.
La guerre, sans quâon lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je nâai pas pu. JâĂ©tais nĂ© avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais.
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Gaël Faye (Petit pays)
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Maldoror, Ă©coute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence Ă©gale Ă la tienne. Un jour, tu mâappelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je nâai pas dĂ©menti la confiance que tu mâavais vouĂ©e. Je ne suis quâun simple habitant des roseaux, câest vrai ; mais, grĂące Ă ton propre contact, ne prenant que ce quâil y avait de beau en toi, ma raison sâest agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de lâabĂźme. Ceux qui sâintitulent tes amis te regardent, frappĂ©s de consternation, chaque fois quâils te rencontrent, pĂąle et voĂ»tĂ©, dans les théùtres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis quâil porte son maĂźtre-fantĂŽme, enveloppĂ© dans un long manteau noir. Abandonne ces pensĂ©es, qui rendent ton cĆur vide comme un dĂ©sert ; elles sont plus brĂ»lantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne tâen aperçois pas, et que tu crois ĂȘtre dans ton naturel, chaque fois quâil sort de ta bouche des paroles insensĂ©es, quoique pleines dâune infernale grandeur. Malheureux ! quâas-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ă triste reste dâune intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant dâamour ! Tu nâas engendrĂ© que des malĂ©dictions, plus affreuses que la vue de panthĂšres affamĂ©es ! Moi, je prĂ©fĂ©rerais avoir les paupiĂšres collĂ©es, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassinĂ© un homme, que ne pas ĂȘtre toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractĂšre qui mâĂ©tonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dĂ©rision ceux qui lâhabitent, Ă©pave pourrie, ballottĂ©e par le scepticisme ? Si tu ne tây plais pas, il faut retourner dans les sphĂšres dâoĂč tu viens. Un habitant des citĂ©s ne doit pas rĂ©sider dans les villages, pareil Ă un Ă©tranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphĂšres plus spacieuses que la nĂŽtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons mĂȘme pas concevoir. Eh bien, va-tâen !⊠retire-toi de ce sol mobile !⊠montre enfin ton essence divine, que tu as cachĂ©e jusquâici ; et, le plus tĂŽt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphĂšre, que nous nâenvions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu Ă reconnaĂźtre si tu es un homme ou plus quâun homme ! Adieu donc ; nâespĂšre plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour lâĂ©ternitĂ©, afin dâimplorer ton pardon !
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Comte de Lautréamont
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On apprit quâil avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, en dehors de la ville, en proie Ă un accĂšs de folie furieuse. On lâavait conduit Ă lâhĂŽpital oĂč il Ă©tait mort deux jours aprĂšs.
Une mort pareille Ă©tait la consĂ©quence nĂ©cessaire, naturelle, de toute sa vie. Il devait mourir ainsi, quand tout ce qui le soutenait dans la vie disparaissait dâun coup comme une vision, comme un rĂȘve vide. Il mourut aprĂšs avoir perdu son dernier espoir, aprĂšs avoir eu la vision nette de tout ce qui avait leurrĂ© et soutenu sa vie. La vĂ©ritĂ© lâaveugla de son Ă©clat insoutenabe . et ce qui Ă©tait le mensonge lui apparut tel Ă lui-mĂȘme. Pendant la derniĂšre heure de sa vie, il avait entendu un gĂ©nie merveilleux qui lui avait contĂ© sa propre existence et lâavait condamnĂ© pour toujours. Avec le dernier son jailli du violon du gĂ©nial S... sâĂ©tait dĂ©voilĂ© Ă ses yeux tout le mystĂšre de lâart, et le gĂ©nie, Ă©ternellement jeune, puissant et vrai, lâavait Ă©crasĂ© de sa vĂ©ritĂ©. Il semblait que tout ce qui lâavait tourmentĂ© durant toute sa vie, par des souffrances mystĂ©rieuses, indicibles, tout ce quâil nâavait vu jusquâĂ ce jour que dans un rĂȘve et quâil fuyait avec horreur et se masquait par le mensonge de toute sa vie, tout ce quâil pressentait et redoutait, tout cela, tout dâun coup, brillait Ă ses yeux qui, obstinĂ©ment, ne voulaient par reconnaĂźtre que la lumiĂšre est la lumiĂšre, et que les tĂ©nĂšbres sont les tĂ©nĂšbres. La vĂ©ritĂ© Ă©tait intolĂ©rable pour ces yeux qui voyaient clair pour la premiĂšre fois ; elle lâaveugla et dĂ©truisit sa raison.
Elle lâavait frappĂ© brusquement, comme la foudre. Soudain sâĂ©tait rĂ©alisĂ© ce quâil avait attendu toute sa vie avec un tremblement de terreur. Il semblait que durant toute sa vie une hache avait Ă©tĂ© suspendue au-dessus de sa tĂȘte ; que toute sa vie il avait attendu Ă chaque instant, dans des souffrance indicibles, que cette hache le frappĂąt. Enfin elle lâavait frappĂ©. Le coup Ă©tait mortel. Il voulait sâenfuir, mais il ne savait oĂč aller. Le dernier espoir sâĂ©tait Ă©vanoui, le dernier prĂ©texte anĂ©anti. Celle dont la vie lui avait Ă©tĂ© un fardeau pendant de longues annĂ©es, celle dont la mort, ainsi quâil le croyait dans son aveuglement, devait amener sa rĂ©surrection Ă lui, Ă©tait morte. Enfin il Ă©tait seul ; rien ne le gĂȘnait. Il Ă©tait enfin libre ! Pour la derniĂšre fois, dans un accĂšs de dĂ©sespoir, il avait voulu se juger soi-mĂȘme, se condamner impitoyablement comme un juge Ă©quitable ; mais son archet avait faibli et nâavait pu que rĂ©pĂ©ter faiblement la derniĂšre phrase musicale du gĂ©nie. Ă ce moment, la folie, qui le guettait depuis dix ans, lâavait frappĂ© irrĂ©missiblement
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Adieu, vous que j'aimais. Ce n'est point ma faute si le corps humain ne peut résister trois jours sans boire. Je ne me croyais pas prisonnier ainsi des fontaines. Je ne soupçonnais pas une aussi courte autonomie. On croit que l'homme peut s'en aller droit devant soi. On croit que l'homme est libre. On ne voit pas la corde qui le rattache au puits, qui le rattache, comme un cordon ombilical, au ventre de la terre. S'il fait un pas de plus, il meurt.
Ă part votre souffrance, je ne regrette rien. Tout compte fait, j'ai eu la meilleure part. Si je rentrais, je recommencerais. J'ai besoin de vivre. Dans les villes, il n'y a plus de vie humaine.
Il ne s'agit point ici d'aviation. L'avion, ce n'est pas une fin, c'est un moyen. Ce n'est pas pour l'avion que l'on risque sa vie. Ce n'est pas non plus pour sa charrue que le paysan laboure. Mais, par l'avion, on quitte les villes et leurs comptables, et l'on retrouve une vérité paysanne.
On fait un travail d'homme et l'on connaßt des soucis d'homme. On est en contact avec le vent, avec les étoiles, avec la nuit, avec le sable, avec la mer. On ruse avec les forces naturelles. On attend l'aube comme le jardinier attend le printemps. On attend l'escale comme une Terre promise, et l'on cherche sa vérité dans les étoiles.
Je ne me plaindrai pas. Depuis trois jours, j'ai marchĂ©, j'ai eu soif, j'ai suivi des pistes dans le sable, j'ai fait de la rosĂ©e mon espĂ©rance. J'ai cherchĂ© Ă joindre mon espĂšce, dont j'avais oubliĂ© oĂč elle logeait sur la terre. Et ce sont lĂ des soucis de vivants. Je ne puis pas ne pas les juger plus importants que le choix, le soir, d'un music-hall.
Je ne comprends plus ces populations des trains de banlieue, ces hommes qui se croient des hommes, et qui cependant sont réduits, par une pression qu'ils ne sentent pas, comme les fourmis, à l'usage qui en est fait. De quoi remplissent-ils, quand ils sont libres, leurs absurdes petits dimanches ?
Une fois, en Russie, j'ai entendu jouer du Mozart dans une usine. Je l'ai écrit. J'ai reçu deux cents lettres d'injures. Je n'en veux pas à ceux qui préfÚrent le beuglant. Ils ne connaissent point d'autre chant. J'en veux au tenancier du beuglant. Je n'aime pas que l'on abßme les hommes.
Moi je suis heureux dans mon métier. Je me sens paysan des escales. Dans le train de banlieue, je sens mon agonie bien autrement qu'ici ! Ici, tout compte fait, quel luxe !...
Je ne regrette rien. J'ai jouĂ©, j'ai perdu. C'est dans l'ordre de mon mĂ©tier. Mais, tout de mĂȘme, je l'ai respirĂ©, le vent de la mer.
Ceux qui l'ont goûté une fois n'oublient pas cette nourriture. N'est-ce pas, mes camarades ? Et il ne s'agit pas de vivre dangereusement. Cette formule est prétentieuse. Les toréadors ne me plaisent guÚre. Ce n'est pas le danger que j'aime. Je sais ce que j'aime. C'est la vie.
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre dâune pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu dâune foule Ă©trangĂšre, tout Ă fait Ă©trangĂšre Ă mes sentiments, je nâai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cĆur inâait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e mâa saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, câest le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cĆur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce nâest pas une illusion dâoptique. Je mâen amuse, ou plutĂŽt on sâamuse de moi comme dâune ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet dâaller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je mâoublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne lâai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes sâest Ă©vanoui ; lâenchantement qui, le matin, mâarrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je nâai trouvĂ© ici quâune femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si lâon peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ qui fait de jolis compliments ! » Cela nâest pas tout Ă fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; jâai beaucoup dâesprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finementâŠ. «Ni mentir, ajouterez-vous, car lâun ne va pas sans lâautre, entendez-vous ?⊠» Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup dâĂąme, on le voit dâabord Ă la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă charge ; il ne satisfait aucun des vĆux de son cĆur. Elle aspire Ă sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă vous, Charlotte ! Que de fois nâest-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !⊠Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si jâĂ©tais assis Ă vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; lâorage est passĂ© ; et moiâŠ. il faut que je rentre dans ma cageâŠ. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?⊠Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Jâai remarquĂ© souvent que quand deux amis pĂ©tersbourgeois se rencontrent quelque part, aprĂšs sâĂȘtre saluĂ©s, ils demandent en mĂȘme temps : Quoi de neuf ? il y a une tristesse particuliĂšre dans leurs voix, quelle quâait Ă©tĂ© lâintonation initiale de leur conversation. En effet, une dĂ©sespĂ©rance totale est liĂ©e Ă cette question Ă PĂ©tersbourg. Mais le plus agaçant câest que, trĂšs souvent, lâhomme qui la pose est tout Ă fait indiffĂ©rent, un PĂ©tersbourgeois de naissance, qui connaĂźt trĂšs bien la coutume, sait dâavance quâon ne lui rĂ©pondra rien, quâil nây a rien de nouveau, quâil a posĂ© cette question peut-ĂȘtre mille fois sans aucun succĂšs ; cependant, il la pose, et il a lâair de sây intĂ©resser, comme si les convenances lâobligeaient de participer lui aussi Ă la vie publique, dâavoir des intĂ©rĂȘts publics. Mais les intĂ©rĂȘts publics... Câest-Ă -dire nous ne nions pas que nous ayons des intĂ©rĂȘts publics ; nous tous aimons ardemment la patrie, nous aimons notre cher PĂ©tersbourg, nous aimons jouer si lâoccasion se prĂ©sente. En un mot il y a beaucoup dâintĂ©rĂȘts publics. Mais ce quâil y a surtout chez nous, ce sont les groupes. On sait que PĂ©tersbourg nâest que la rĂ©union dâun nombre considĂ©rable de petits groupes dont chacun a ses statuts, ses conventions, ses lois, sa logique et son oracle. Câest en quelque sorte le produit de notre caractĂšre national qui a encore peur de la vie publique et tient plutĂŽt au foyer. En outre, la vie publique exige un certain art ; il faut sây prĂ©parer ; il faut beaucoup de conditions. Aussi, lâon prĂ©fĂšre la maison. LĂ , tout est plus simple ; il ne faut aucun art ; on est plus tranquille. Dans le groupe, on vous rĂ©pondra bravement Ă la question : Quoi de neuf ? La question reçoit tout de suite un sens particulier, et lâon vous rĂ©pond ou par un potin, ou par un bĂąillement, ou par quelque chose qui vous force vous-mĂȘme Ă bĂąiller cyniquement, magistralement. Dans le groupe, on peut traĂźner de la façon la meilleure et la plus douce une vie utile entre le bĂąillement et le ragot, jusquâau moment oĂč la grippe, ou bien la fiĂšvre chaude, visite votre demeure ; et vous quittez alors la vie stoĂŻquement, avec indiffĂ©rence, sans savoir comment et pourquoi tout cela Ă©tait avec vous jusquâalors. Aujourdâhui, dans lâobscuritĂ©, au crĂ©puscule, aprĂšs une triste journĂ©e, plein dâĂ©tonnement que tout se soit arrangĂ© ainsi, il semble quâon ait vĂ©cu, quâon ait atteint quelque chose, et tout Ă coup, on ne sait pas pourquoi, il faut quitter ce monde agrĂ©able et sans soucis pour Ă©migrer dans un monde meilleur. Dans certains groupes, dâailleurs, on parle fortement de la cause. Quelques personnes instruites et bien intentionnĂ©es se rĂ©unissent. On bannit sĂ©vĂšrement tous les plaisirs innocents, comme les potins et la prĂ©fĂ©rence, et, avec un entrain incomprĂ©hensible, on parle de diffĂ©rents sujets trĂšs importants. Enfin, aprĂšs avoir bavardĂ©, parlĂ©, rĂ©solu quelques questions dâutilitĂ© gĂ©nĂ©rale, et aprĂšs avoir rĂ©ussi Ă imposer aux uns et aux autres une opinion sur toutes choses, le groupe est saisi dâune irritation quelconque et commence Ă sâaffaiblir considĂ©rablement. Finalement, tous se fĂąchent les uns contre les autres. On se dit quelques dures vĂ©ritĂ©s. Quelques caractĂšres tranchants se font jour et tout se termine par la dislocation totale. Ensuite on se calme ; on fait provision de bon sens et, peu Ă peu, lâon se rĂ©unit de nouveau dans le groupe dĂ©crit ci-dessus. Sans doute il est agrĂ©able de vivre ainsi. Mais Ă la longue cela devient irritant ; cela irrite fortement.
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Fyodor Dostoevsky
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JULIETTE.âOh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la libertĂ©. Terre vile, rends-toi Ă la terre; que tout mouvement sâarrĂȘte, et quâune mĂȘme biĂšre presse de son poids et RomĂ©o et toi.
LA NOURRICE.âO Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que jâeusse! O aimable Tybalt, honnĂȘte cavalier, faut-il que jâaie vĂ©cu pour te voir mort!
JULIETTE.âQuelle est donc cette tempĂȘte qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? RomĂ©o est-il tuĂ©, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chĂ©ri et mon Ă©poux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-lĂ sont morts?
LA NOURRICE.âTybalt est mort, et RomĂ©o est banni: RomĂ©o, qui lâa tuĂ©, est banni.
JULIETTE.âO Dieu! la main de RomĂ©o a-t-elle versĂ© le sang de Tybalt?
LA NOURRICE.âIl lâa fait, il lâa fait! O jour de malheur! il lâa fait!
JULIETTE.âO coeur de serpent cachĂ© sous un visage semblable Ă une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angĂ©lique dĂ©mon, corbeau couvert des plumes dâune colombe, agneau transportĂ© de la rage du loup, mĂ©prisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais Ă juste titre, damnable saint, traĂźtre plein dâhonneur! O nature, quâallais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de lâĂąme dâun dĂ©mon? Jamais livre contenant une aussi infĂąme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais?
LA NOURRICE.âIl nây a plus ni sincĂ©ritĂ©, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! oĂč est mon valet? Donnez-moi un peu dâaqua vitĂŠâŠ.. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit Ă RomĂ©o!
JULIETTE.âMaudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il nâest pas nĂ© pour la honte: la honte rougirait de sâasseoir sur son front; câest un trĂŽne oĂč on peut couronner lâhonneur, unique souverain de la terre entiĂšre. Oh! quelle brutalitĂ© me lâa fait maltraiter ainsi?
LA NOURRICE.âQuoi! vous direz du bien de celui qui a tuĂ© votre cousin?
JULIETTE.âEh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre Ă©poux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je lâai ainsi dĂ©chirĂ©? Mais pourquoi, traĂźtre, as-tu tuĂ© mon cousin? Ah! ce traĂźtre de cousin a voulu tuer mon Ă©poux.âRentrez, larmes insensĂ©es, rentrez dans votre source; câest au malheur quâappartient ce tribut que par mĂ©prise vous offrez Ă la joie. Mon Ă©poux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon Ă©poux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleurĂ©-je? Ah! câest quâil y a lĂ un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui mâa assassinĂ©e.âJe voudrais bien lâoublier; mais, ĂŽ ciel! il pĂšse sur ma mĂ©moire comme une offense digne de la damnation sur lâĂąme du pĂ©cheur. Tybalt est mort, et RomĂ©o estâŠ.. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tuĂ© pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt Ă©tait un assez grand malheur, tout eĂ»t-il fini lĂ ; ou si les cruelles douleurs se plaisent Ă marcher ensemble, et quâil faille nĂ©cessairement que dâautres peines les accompagnent, pourquoi, aprĂšs mâavoir dit: «Tybalt est mort,» nâa-t-elle pas continuĂ©: «ton pĂšre aussi, ou ta mĂšre, ou tous les deux?» cela eĂ»t excitĂ© en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arriĂšre-garde qui a suivi la mort de Tybalt, RomĂ©o est banni; par ce seul mot, pĂšre, mĂšre, Tybalt, RomĂ©o, Juliette, tous sont assassinĂ©s, tous morts. RomĂ©o banni! Il nây a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort quâapporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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Ătre aimĂ© d'une jeune fille chaste, lui rĂ©vĂ©ler le premier cet Ă©trange mystĂšre de l'amour, certes, c'est une grande fĂ©licitĂ©, mais c'est la chose du monde la plus simple. S'emparer d'un cĆur qui n'a pas l'habitude des attaques, c'est entrer dans une ville ouverte et sans garnison. L'Ă©ducation, le sentiment des devoirs et la famille sont de trĂšs fortes sentinelles ; mais il n'y a sentinelles si vigilantes que ne trompe une fille de seize ans, Ă qui, par la voix de l'homme qu'elle aime, la nature donne ses premiers conseils d'amour qui sont d'autant plus ardents qu'ils paraissent plus purs. Plus la jeune fille croit au bien, plus elle s'abandonne facilement, sinon Ă l'amant, du moins Ă l'amour, car Ă©tant sans dĂ©fiance, elle est sans force, et se faire aimer d'elle est un triomphe que tout homme de vingt-cinq ans pourra se donner quand il voudra. Et cela est si vrai que voyez comme on entoure les jeunes filles de surveillance et de remparts ! Les couvents n'ont pas de murs assez hauts, les mĂšres de serrures assez fortes, la religion de devoirs assez continus pour renfermer tous ces charmants oiseaux dans leur cage, sur laquelle on ne se donne mĂȘme pas la peine de jeter des fleurs. Aussi comme elles doivent dĂ©sirer ce monde qu'on leur cache, comme elles doivent croire qu'il est tentant, comme elles doivent Ă©couter la premiĂšre voix qui, Ă travers les barreaux, vient leur en raconter les secrets, et bĂ©nir la main qui lĂšve, la premiĂšre, un coin du voile mystĂ©rieux. Mais ĂȘtre rĂ©ellement aimĂ© d'une courtisane, c'est une victoire bien autrement difficile. Chez elles, le corps a usĂ© l'Ăąme, les sens ont brĂ»lĂ© le cĆur, la dĂ©bauche a cuirassĂ© les sentiments. Les mots qu'on leur dit, elles les savent depuis longtemps ; les moyens que l'on emploie, elles les connaissent, l'amour mĂȘme qu'elles inspirent, elles l'ont vendu. Elles aiment par mĂ©tier et non par entraĂźnement. Elles sont mieux gardĂ©es par leurs calculs qu'une vierge par sa mĂšre et son couvent ; aussi ont-elles inventĂ© le mot caprice pour ces amours sans trafic qu'elles se donnent de temps en temps comme repos, comme excuse, ou comme consolation ; semblables Ă ces usuriers qui rançonnent mille individus, et qui croient tout racheter en prĂȘtant un jour vingt francs Ă quelque pauvre diable qui meurt de faim, sans exiger d'intĂ©rĂȘt et sans lui demander de reçu. Puis, quand Dieu permet l'amour Ă une courtisane, cet amour, qui semble d'abord un pardon, devient presque toujours pour elle un chĂątiment. Il n'y a pas d'absolution sans pĂ©nitence. Quand une crĂ©ature, qui a tout son passĂ© Ă se reprocher, se sent tout Ă coup prise d'un amour profond, sincĂšre, irrĂ©sistible, dont elle ne se fĂ»t jamais crue capable ; quand elle a avouĂ© cet amour, comme l'homme aimĂ© ainsi la domine ! Comme il se sent fort avec ce droit cruel de lui dire : « vous ne faites pas plus pour de l'amour que vous n'avez fait pour de l'argent. » Alors elles ne savent quelles preuves donner. Un enfant, raconte la fable, aprĂšs s'ĂȘtre longtemps amusĂ© dans un champ Ă crier : « au secours ! » Pour dĂ©ranger des travailleurs, fut dĂ©vorĂ© un jour par un ours, sans que ceux qu'il avait trompĂ©s si souvent crussent cette fois aux cris rĂ©els qu'il poussait. Il en est de mĂȘme de ces malheureuses filles, quand elles aiment sĂ©rieusement. Elles ont menti tant de fois qu'on ne veut plus les croire, et elles sont, au milieu de leurs remords, dĂ©vorĂ©es par leur amour. De lĂ , ces grands dĂ©vouements, ces austĂšres retraites dont quelques-unes ont donnĂ© l'exemple. Mais, quand l'homme qui inspire cet amour rĂ©dempteur a l'Ăąme assez gĂ©nĂ©reuse pour l'accepter sans se souvenir du passĂ©, quand il s'y abandonne, quand il aime enfin, comme il est aimĂ©, cet homme Ă©puise d'un coup toutes les Ă©motions terrestres, et aprĂšs cet amour son cĆur sera fermé à  tout autre.
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Alexandre Dumas fils (La dame aux camélias)
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Les hommes, disais-je, se plaignent souvent de compter peu de beaux jours et beaucoup de mauvais, et il me semble que, la plupart du temps, câest mal Ă propos. Si nous avions sans cesse le cĆur ouvert pour jouir des biens que Dieu nous dispense chaque jour, nous aurions assez de force pour supporter le mal quand il vient. â Mais nous ne sommes pas les maĂźtres de notre humeur, dit la mĂšre ; combien de choses dĂ©pendent de lâĂ©tat du corps ! Quand on nâest pas bien, on est mal partout. » Jâen tombai dâaccord et jâajoutai : « Eh bien, considĂ©rons la chose comme une maladie, et demandons-nous sâil nây a point de remĂšde. â Câest parler sagement, dit Charlotte : pour moi, jâestime que nous y pouvons beaucoup. Je le sais par expĂ©rience. Si quelque chose me contrarie et veut me chagriner, je cours au jardin et me promĂšne, en chantant quelques contredanses : cela se passe aussitĂŽt. â Câest ce que je voulais dire, repris-je Ă lâinstant : il en est de la mauvaise humeur absolument comme de la paresse ; car câest une sorte de paresse. Par notre nature, nous y sommes fort enclins, et cependant, si nous avons une fois la force de nous surmonter, le travail nous devient facile, et nous trouvons dans lâactivitĂ© un vĂ©ritable plaisir. » FrĂ©dĂ©rique Ă©tait fort attentive, et le jeune homme mâobjecta quâon nâĂ©tait pas maĂźtre de soi, et surtout quâon ne pouvait commander Ă ses sentiments. « II sâagit ici, rĂ©pliquai-je, dâun sentiment dĂ©sagrĂ©able, dont chacun est bien aise de se dĂ©livrer, et personne ne sait jusquâoĂč ses forces sâĂ©tendent avant de les avoir essayĂ©es. AssurĂ©ment, celui qui est malade consultera tous les mĂ©decins, et il ne refusera pas les traitements les plus pĂ©nibles, les potions les plus amĂšres, pour recouvrer la santĂ© dĂ©sirĂ©e. [...] Vous avez appelĂ© la mauvaise humeur un vice : cela me semble exagĂ©rĂ©. â Nullement, lui rĂ©pondis-je, si une chose avec laquelle on nuit Ă son prochain et Ă soi-mĂȘme mĂ©rite ce nom. Nâest-ce pas assez que nous ne puissions nous rendre heureux les uns les autres ? faut-il encore nous ravir mutuellement le plaisir que chacun peut quelquefois se procurer ? Et nommez-moi lâhomme de mauvaise humeur, qui soit en mĂȘme temps assez ferme pour la dissimuler, la supporter seul, sans troubler la joie autour de lui ! Nâest-ce pas plutĂŽt un secret dĂ©plaisir de notre propre indignitĂ©, un mĂ©contentement de nous-mĂȘmes, qui se lie toujours avec une envie aiguillonnĂ©e par une folle vanitĂ© ? Nous voyons heureux des gens qui ne nous doivent pas leur bonheur, et cela nous est insupportable. » Charlotte me sourit, en voyant avec quelle Ă©motion je parlais, et une larme dans les yeux de FrĂ©dĂ©rique mâexcita Ă continuer. « Malheur, mâĂ©criai-je, Ă ceux qui se servent de lâempire quâils ont sur un cĆur, pour lui ravir les joies innocentes dont il est lui-mĂȘme la source ! Tous les prĂ©sents, toutes les prĂ©venances du monde, ne peuvent compenser un moment de joie spontanĂ©e, que nous empoisonne une envieuse importunitĂ© de notre tyran. [...] Si seulement on se disait chaque jour : Tu ne peux rien pour tes amis que respecter leurs plaisirs et augmenter leur bonheur en le goĂ»tant avec eux. Peux-tu, quand le fond de leur ĂȘtre est tourmentĂ© par une passion inquiĂšte, brisĂ© par la souffrance, leur verser une goutte de baume consolateur ?⊠Et, quand la derniĂšre, la plus douloureuse maladie surprendra la personne que tu auras tourmentĂ©e dans la fleur de ses jours, quâelle sera couchĂ©e dans la plus dĂ©plorable langueur, que son Ćil Ă©teint regardera le ciel, que la sueur de la mort passera sur son front livide, et que, debout devant le lit, comme un condamnĂ©, dans le sentiment profond quâavec tout ton pouvoir tu ne peux rien, lâangoisse te saisira jusquâau fond de lâĂąme, Ă la pensĂ©e que tu donnerais tout au monde pour faire passer dans le sein de la crĂ©ature mourante une goutte de rafraĂźchissement, une Ă©tincelle de courage !âŠ
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Les deux femmes, vĂȘtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sĆur, elles jetĂšrent dessus des fleurs et de lâeau bĂ©nite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans lâappartement sa lueur rougeĂątre et terne comme le regard dâun cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumĂšrent deux petites bougies qui Ă©taient sur la table de nuit, sâagenouillĂšrent et me dirent de prier comme elles.
Je priai, oh ! bien fort, le plus quâil mâĂ©tait possible ! mais rien⊠LĂ©lia ne remuait pas !
Je fus longtemps ainsi agenouillĂ©, la tĂȘte sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait quâen pensant, en pleurant, en me dĂ©chirant lâĂąme avec des priĂšres et des vĆux, jâobtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indĂ©cises et dont on ne distinguait rien si ce nâest, Ă une place, une forme ronde qui devait ĂȘtre La tĂȘte, et plus bas une autre qui semblait ĂȘtre les pieds. Je croyais, moi, pauvre naĂŻf enfant, je croyais que la priĂšre pouvait rendre la vie Ă un cadavre, tant jâavais de foi et de candeur !
Oh ! on ne sait ce quâa dâamer et de sombre une nuit ainsi passĂ©e Ă prier sur un cadavre, Ă pleurer, Ă vouloir faire renaĂźtre le nĂ©ant ! On ne sait tout ce quâil y a de hideux et dâhorrible dans une nuit de larmes et de sanglots, Ă la lueur de deux cierges mortuaires, entourĂ© de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vĂ©nales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scĂšne de dĂ©sespoir et de deuil vous remplit le cĆur : enfant, de tristesse et dâamertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de dĂ©sespoir !
Le jour arriva.
Mais quand le jour commença Ă paraĂźtre, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient Ă mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissĂšrent seul. Je courus aprĂšs elles, et me traĂźnant Ă leurs pieds, mâattachant Ă leurs vĂȘtements :
â Ma sĆur ! leur dis-je, eh bien, ma sĆur ! oui, LĂ©lia ! oĂč est-elle ?
Elles me regardÚrent étonnées.
â Ma sĆur ! vous mâavez dit de prier, jâai priĂ© pour quâelle revienne, vous mâavez trompĂ© !
â Mais câĂ©tait pour son Ăąme !
Son Ăąme ? Quâest-ce que cela signifiait ? On mâavait souvent parlĂ© de Dieu, jamais de lâĂąme.
Dieu, je comprenais cela au moins, car si lâon mâeĂ»t demandĂ© ce quâil Ă©tait, eh bien, jâaurais pris La linotte de LĂ©lia, et, lui brisant la tĂȘte entre mes mains, jâaurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais lâĂąme ? lâĂąme ? quâest-ce cela ?
Jâeus la hardiesse de le leur demander, mais elles sâen allĂšrent sans me rĂ©pondre.
Son Ăąme ! eh bien, elles mâont trompĂ©, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, câĂ©tait LĂ©lia, LĂ©lia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; câĂ©tait Lelia, ma belle petite sĆur aux grands yeux bleus, LĂ©lia qui mâembrassait le soir aprĂšs sa poupĂ©e, aprĂšs son mouton chĂ©ri, aprĂšs sa linotte. Pauvre sĆur ! câĂ©tait toi que je demandais Ă grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me rĂ©pondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as priĂ© non pour elle, mais tu as priĂ© pour son Ăąme ! quelque chose dâinconnu, de vague comme un mot dâune langue Ă©trangĂšre ; tu as priĂ© pour un souffle, pour un mot, pour le nĂ©ant, pour son Ăąme enfin ! »
Son Ăąme, son Ăąme, je la mĂ©prise, son Ăąme, je la regrette, je nây pense plus. Quâest-ce que ça me fait Ă moi, son Ăąme ? savez-vous ce que câest que son Ăąme ? Mais câest son corps que je veux ! câest son regard, sa vie, câest elle enfin ! et vous ne mâavez rien rendu de tout cela.
Ces femmes mâont trompĂ©, eh bien, je les ai maudites.
Cette malĂ©diction est retombĂ©e sur moi, philosophe imbĂ©cile qui ne sais pas comprendre un mot sans LâĂ©peler, croire Ă une Ăąme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au PromĂ©thĂ©e dâEschyle, je brave les coups et que je mĂ©prise trop pour blasphĂ©mer.
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Gustave Flaubert (La derniÚre heure : Conte philosophique inachevé)
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Le parc dâĂtat de lâĂźle Saint George me convient parfaitement. DĂ©jĂ isolĂ© Ă lâextrĂ©mitĂ© dâune Ăźle protĂ©gĂ©e des foules par un pont Ă pĂ©age, il est presque dĂ©sert en cette saison. Je peux courir sur la plage au moins une heure chaque matin sans rencontrer personne.
Seul un hĂ©ron me voit venir, sâenvole Ă mon approche et va se poser un peu plus loin, pour repartir dĂšs que jâarrive encore trop prĂšs Ă son goĂ»t. AprĂšs avoir rĂ©pĂ©tĂ© quatre ou cinq fois ce manĂšge, il fuit vers la mer, me contourne Ă bonne distance et revient se poser Ă son premier point de dĂ©part. Ă mon retour, une demi-heure plus tard, il recommence. VoilĂ deux jours que cela se passe ainsi, et il nâa pas encore appris Ă me contourner pour de bon la premiĂšre fois quâil mâaperçoit. Sâil nâavait pas sa tĂȘte Ă©bouriffĂ©e et prĂ©tentieuse de hĂ©ron, on pourrait croire quâil veut jouer.
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François Barcelo (Le voyageur à six roues)
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Il faut découvrir le visage de cette bourgeoisie française dont Le Jour et Gringoire ont été, pendant la crise, les porte-paroles. Il ne s'agit plus, avec elle, de soumission inconsciente. TrÚs lucidement, bien qu'ils se couvrent encore de formes bienséantes, ils admirent. Bourgeois, ils admirent la puissance et le succÚs. Décadents, ils frémissent sous les maniÚres brutales. Petits-bourgeois par le coeur, ils s'extasient sur les alignements, la pompe, la parade, sur ce comédien mystique qui devant cent mille hommes, quand les dieux le saisissent, pousse un bouton pour faire converger sur lui une batterie de propriétaires en alarmes, ils voient dans ces masses compactes, dans cette police insinuée jusqu'aux ramures de la vie privée, dans cet ordre de fer, la garde prétorienne qu'ils n'osent demander aux démocraties contre les menaces "du communisme". Toute leur pensée internationale s'est épuisée à creuser une ligne Maginot en marge des dynamismes européens. Toute leur pensée politique se réduit à préparer, avec un béton humain, une ligne Maginot inviolable contre les dynamismes révolutionnaires. Ils se trompent sans doute radicalement sur le sens des fascismes, qui n'utilisent la force bourgeoise que comme une plaque tournante. Mais ils pensent avec celui d'entre eux qui disait il y a 50 ans se sentir plus prÚs d'un hobereau prussien que d'un ouvrier français. On ne comprendra rien au comportement de cette fraction de la bourgeoisie française si on ne l'entend murmurer à mi-voix : «
PlutÎt Hitler que Blum ».
Une bourgeoisie aux abois ; une politique sans foi ni loi ; un peuple usĂ© de dĂ©ceptions et de divertissements, voilĂ les responsables de la dĂ©mission de la France. Puisque ce n'est pas la premiĂšre fois que nous prenons position sur le problĂšme qui lui a offert l'occasion, il nous faut maintenant montrer oĂč elle a pu s'inscrire.
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Emmanuel Mounier
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les jours passent vite alors quâon aurait pu croire le contraire lorsquâon est lĂ , assis, Ă attendre je ne sais quoi, Ă boire et Ă boire encore jusquâĂ devenir le prisonnier des vertiges, Ă voir la Terre tourner autour dâelle mĂȘme et du Soleil mĂȘme si je nâai jamais cru Ă ces thĂ©ories de merde que je rĂ©pĂ©tais Ă mes Ă©lĂšves lorsque jâĂ©tais encore un homme pareil aux autres, faut vraiment ĂȘtre un illuminĂ© pour dĂ©biter des Ă©normitĂ©s de ce genre parce que moi, Ă vrai dire, quand je bois mon pot,quand je suis assis peinard Ă lâentrĂ©e du CrĂ©dit a voyagĂ©, je ne rĂ©alise pas que la Terre que je vois lĂ puisse ĂȘtre ronde, quâelle puisse sâamuser Ă tourner au tour dâelle-mĂȘme et autour du Soleil comme si elle nâavait rien dâautre Ă foutre que de se causer des vertiges dâavion Ă papier, quâon me dĂ©montre donc Ă quel moment elle tourne autour dâelle-mĂȘme, Ă quel moment elle arrive Ă tourner autour du Soleil, faut ĂȘtre rĂ©aliste, voyons, ne mous laissons pas embobiner par ces penseurs qui devaient se raser Ă lâaide dâun vulgaire silex ou dâune pierre maladroitement taillĂ©e pendant que les plus modernes dâentre eux utilisaient de la pierre polie, en fait, grosso modo, si je devais analyser tout ça de trĂšs prĂšs, je dirais quâon distinguait jadis deux grandes catĂ©gories de penseurs, dâun cĂŽtĂ© y avait ceux qui pĂ©taient dans les baignoires pour crier Ă plusieurs reprises « jâai trouvĂ© , jâai trouvĂ© », mais quâest-ce quâon en a foutre quâils aient trouvĂ©, ils nâavaient quâĂ garder leur dĂ©couverte pour eux, moi jâai eu Ă mâimmerger quelques fois dans la riviĂšre Tchinouka qui a emportĂ© ma pauvre mĂšre, je nâai rien trouvĂ© de spectaculaire dans ces eaux grises oĂč tout corps quâon y plonge ne subit mĂȘme pas la fameuse poussĂ©e verticale de bas en haut, câest dâailleurs pour cela que toute la merde de notre quartier Trois â cents est tapie au fond des eaux, quâon me dise alors comment cette merde arrive Ă Ă©chapper Ă la poussĂ©e dâArchimerde, et puis y avait la deuxiĂšme grande catĂ©gorie dâilluminĂ©s qui nâĂ©taient que des oisifs, des vrais fainĂ©ants, ils Ă©taient toujours assis sous un pommier du coin et attendaient de recevoir des pommes sur la tĂȘte pour une histoire dâattraction ou de pesanteur, moi je suis contre ces idĂ©es reçues, et je dis que la Terre est plate comme lâavenue de lâindĂ©pendance qui passe devant Le CrĂ©dit a voyagĂ©, y a rien a rajouter, je proclame que la Terre est tristement immobile, que câest le Soleil qui sâexcite autour de nous parce que je le vois moi-mĂȘme parader au dessus de la toiture de mon bar prĂ©fĂ©rĂ©, quâon ne me raconte pas dâhistoire Ă dormir debout, et le premier qui vient encore mâexpliquer que la Terre est ronde, quâelle tourne autour dâelle âmĂȘme et autour du Soleil, celui lĂ je le dĂ©capite sur le champ, mĂȘme sâil sâĂ©crie « et pourtant elle tourne »
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Alain Mabanckou (Broken Glass)
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De cette assise sortent les spirales des liserons Ă cloches blanches, les brindilles de la bugrane rose, mĂȘlĂ©es de quelques fougĂšres, de quelques jeunes pousses de chĂȘne aux feuilles magnifiquement colorĂ©es et lustrĂ©es ; toutes sâavancent prosternĂ©es, humbles comme des saules pleureurs, timides et suppliantes comme des priĂšres. Au-dessus, voyez les fibrilles dĂ©liĂ©es, fleuries, sans cesse agitĂ©es de lâamourette purpurine qui verse Ă flots ses anthĂšres presque jaunes ; les pyramides neigeuses du paturin des champs et des eaux, la verte chevelure des bromes stĂ©riles, les panaches effilĂ©s de ces agrostis nommĂ©s les Ă©pis du vent ; violĂątres espĂ©rances dont se couronnent les premiers rĂȘves et qui se dĂ©tachent sur le fond gris de lis oĂč la lumiĂšre rayonne autour de ces herbes en fleurs. Mais dĂ©jĂ plus haut, quelques roses du Bengale clairsemĂ©es parmi les folles dentelles du daucus, les plumes de la linaigrette, les marabous de la reine des prĂ©s, les ombellules du cerfeuil sauvage, les blonds cheveux de la clĂ©matite en fruits, les mignons sautoirs de la croisette au blanc de lait, les corymbes des millefeuilles, les tiges diffuses de la fumeterre aux fleurs roses et noires, les vrilles de la vigne, les brins tortueux des chĂšvrefeuilles ; enfin tout ce que ces naĂŻves crĂ©atures ont de plus Ă©chevelĂ©, de plus dĂ©chirĂ©, des flammes et de triples dards, des feuilles lancĂ©olĂ©es, dĂ©chiquetĂ©es, des tiges tourmentĂ©es comme les dĂ©sirs entortillĂ©s au fond de lâĂąme. Du sein de ce prolixe torrent dâamour qui dĂ©borde, sâĂ©lance un magnifique double pavot rouge accompagnĂ© de ses glands prĂȘts Ă sâouvrir, dĂ©ployant les flammĂšches de son incendie au- dessus des jasmins Ă©toilĂ©s et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans lâair en reflĂ©tant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! Quelle femme enivrĂ©e par la senteur dâAphrodise cachĂ©e dans la flouve, ne comprendra ce luxe dâidĂ©es soumises, cette blanche tendresse troublĂ©e par des mouvements indomptĂ©s, et ce rouge dĂ©sir de lâamour qui demande un bonheur refusĂ© dans les luttes cent fois recommencĂ©es de la passion contenue, infatigable, Ă©ternelle ? Mettez ce discours dans la lumiĂšre dâune croisĂ©e, afin dâen montrer les frais dĂ©tails, les dĂ©licates oppositions, les arabesques, afin que la souveraine Ă©mue y voie une fleur plus Ă©panouie et dâoĂč tombe une larme ; elle sera bien prĂšs de sâabandonner, il faudra quâun ange ou la voix son enfant la retienne au bord de lâabĂźme. Que donne-t-on Ă Dieu ? des parfums, de la lumiĂšre et des chants, les expressions les plus Ă©purĂ©es de notre nature. Eh! bien, tout ce quâon offre Ă Dieu nâĂ©tait-il pas offert Ă lâamour dans ce poĂšme de fleurs lumineuses qui bourdonnait incessamment ses mĂ©lodies au cĆur, en y caressant des voluptĂ©s cachĂ©es, des espĂ©rances inavouĂ©es, des illusions qui sâenflamment et sâĂ©teignent comme des fils de la vierge par une nuit chaude.
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Honoré de Balzac
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Ne laisse pas le savoir mourir dans un coin de ta tĂȘte Ă©nonça-t-il d'une voix lourde, comme si se trouvait dans ces mots toute l'essence de la foi. Fais en sorte qu'il imprĂšgne ton coeur, tes actes et qu'il te permette chaque jour de devenir quelqu'un de meilleur. N'oublie jamais ça Nour. Emmagasiner des tas de choses ne sert Ă rien si ça ne te pousse pas d'abord Ă rĂ©former ton Ăąme et Ă propager le bien autour de toi. Elle est lĂ la vraie piĂ©tĂ©.
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Nawela Noor (Le choix de Nour. LâĂ©veil)
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Un Rinpoché entra dans une grotte
Son compagnon
Mura la grotte de lâextĂ©rieur
Seul dans lâobscuritĂ©
Dans lâobscuritĂ© il nây avait que des priĂšres
Une fois par jour on lui faisait passer du thé et de la tsampa
Douze ans comme ça
Trente ans comme ça
Ă lâintĂ©rieur le temps avait disparu
Il a reçu une visite
Celle de la mort
Dix ans aprĂšs sa mort
Le compagnon qui lâavait laissĂ© lĂ revint et ouvrit la grotte
Il y avait des os
Et sous les os jaillissait une source
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Ko Un (Himalaya Poems (Green Integer))
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L'histoire, la grande histoire, n'est jamais ce qu'en pensent ceux qui la subissent, aveuglĂ©s Ă dessein comme ils se trouvent par ses meneurs occultes. Le secret agissant de la grande histoire il faut le chercher dans les raisons vivantes de ceux qui la font et la dĂ©font, dans le silence et dans les tĂ©nĂšbres du dessous des cartes, loin du regard et hors de l'attention des masses, et ceux-lĂ savent que l'histoire avance ou recule, qu'elle s'illumine et s'obscurcit, chaque fois, suivant le travail intĂ©rieur d'une volontĂ© qui, elle, se maintient au-delĂ du cours de l'histoire, une volontĂ© transhistorique". Il s'agit lĂ d'une perspective non conventionnelle de la marche de l'histoire, ce que Julius Evola appelait la "quatriĂšme dimension" de l'histoire. Et, dans le mĂȘme article, je poursuivais : "C'est sous le jour de cette conception intĂ©riorisante de l'histoire qu'il faudra savoir - savoir d'avance, tout est la -qui, en Union SoviĂ©tique, finira par l'emporter, Ă l'heure voulue, sur l'autre camp, implacablement, pour s'engager aussitĂŽt Ă changer - dans un sens ou dans l'autre - la direction et jusqu'Ă la face mĂȘme de l'histoire du monde. Aujourd'hui comme hier, tel est le but unique : changer la face du monde.
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Jean Parvulesco
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Ă une soie
Je te revois tendue et sans vent dans les ombres
Propice et large soie étalée sans un pli
Tendre comme un discours de musique profonde
Et suave de trois cruautés agrandies.
Le morceau appelant mon cĆur Ă©tait le rouge
Non pas rouge mais rose en pétales séchés
Non pas de fleurs mais par angoisse un peu lilas
Des tons exquis du sang longtemps assassiné
De Marat. Et le blanc portait comment un soleil
Le reflet jaunissant des plus calmes peintures
La douceur de la mort
Et le travail de lui lâhuile Ă des couchants vermeils.
Le bleu seul était dur comme les yeux des airs
Lâopaque ciel qui tient la majestĂ© divine
PrisonniĂšre en lui ainsi quâau premier jour
Le ciel terrible et pur Ă la hampe guerriĂšre.
Mais surtout la Parole en sortait la criante
La violente importante et parole dâeffroi
Ou parole dâamour lue la premiĂšre fois
Ă haĂŻr, adorer, Ă laisser ou Ă prendre.
La parole adorée dans des lettres dorées
Qui font relief en trébuchante maladresse
Qui hésitent comme en souffrant
Ă retourner dâun soc le monde labourĂ©.
Paroles feu riant ! Perspectives humaines
Ouvertes par les mots Ă©tranges dâun enfant
Et lâhistoire achevĂ©e les pierres calcinĂ©es
à remettre en poussiÚre et jeter sur les chaßnes !
La parole pour plaire Ă Dieu disait Justice
Sur les bois engluĂ©s dâun holocauste fort
Lâhonneur avait rempli le sacrifice
Et le drapeau disait : Liberté ou la Mort.
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Pierre Jean Jouve
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Une chaleur enivrante m'a enveloppĂ©e, comme si je me tenais au cĆur d'un brasier. Je ne connaissais pas cette Ă©motion, j'aurais Ă©tĂ© incapable de la nommer - sans doute parce que personne n'avait jamais cru en moi jusqu'Ă ce jour. Ou alors en une version de moi tout autre, moins capable. Locke, mon pĂšre et Jane avaient tous cru en la January timide qui hantait les couloirs de la Maison Locke, qui avait dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin de leur protection. Mais Samuel me regardait Ă prĂ©sent comme s'il s'attendait Ă me voir manger du feu ou danser sur des nuages d'orages. Comme s'il s'attendait Ă me voir accomplir un acte miraculeux, courageux et impossible.
Sa confiance Ă©tait une armure que je revĂȘtais, une paire d'ailes que je dĂ©ployais, un ocĂ©an au-delĂ de mes limites ; sa confiance se rapprochait dangereusement de l'amour.
J'ai encore contemplé son visage l'espace d'une seconde avide, le temps de laisser sa foi pénétrer tous les pores de ma peau, puis je me suis tournée vers la porte. J'ai empli mes poumons d'air chargé d'iode et de fumée, consciente de la confiance de Samuel derriÚre moi tel un vent chaud gonflant la voile d'un navire, et j'ai posé la plume sur la page.
La porte s'ouvre, ais-je écrit, et je croyais à chacune des lettres que j'avais couchées sur le papier.
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Alix E. Harrow (The Ten Thousand Doors of January)
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Au centre de notre cerveau, les zones du systĂšme de rĂ©compense sont Ă la base du comportement humain. Aire tegmentale ventrale, noyau accumbens, pallidum, hypothalamus, cortex prĂ©frontal. Vous croyez que vous ĂȘtes libre ? Câest une illusion. La prison est Ă lâintĂ©rieur de votre crĂąne. Chaque fois que vous agissez dâune certaine façon, câest parce que la dopamine vous motive Ă le faire. Et vous recommencez parce que les opioĂŻdes et les cannabinoĂŻdes renforcent votre attachement au mĂȘme acte. Les neuromĂ©diateurs vous commandent. Vous devenez dĂ©pendant. Donnez les outils Ă un rat, plantez-lui une Ă©lectrode au bon endroit du cerveau et une pĂ©dale pour dĂ©clencher une excitation Ă©lectrique, et il passera son temps Ă sâautostimuler. Il Ă©prouvera une sensation de plaisir proche de lâorgasme et continuera indĂ©finiment, quitte Ă mourir, Ă bout de forces. Câest inscrit dans notre ADN de mammifĂšre. Le succĂšs est une drogue. Et comme toutes les drogues, on a envie de recommencer.
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Patrick Bauwen (Le Jour du chien (French Edition))
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â Ă Lune Noire, sache que je tâai attendue. Non, mon attente nâa pas Ă©tĂ© pieuse et bercĂ©e dâune fĂ©licitĂ©e bĂ©ate. Mes espoirs, je les ai conservĂ©s contre moi en affrontant les tempĂȘtes de la nature. Mes craintes, je les ai endossĂ©es avec peine et, souvent, elles mâont valu dâĂ©pouvantables souffrances. Quant Ă mes croyances, elles chancĂšlent chaque jour, avançant fĂ©brilement sur la crĂȘte dâune montagne acĂ©rĂ©e. Non, belle Lune Noire, je nâai pas Ă©tĂ© le dĂ©vot infaillible. Jâai encaissĂ© les douleurs et jâen ai souvent questionnĂ© la cause, me demandant si les dieux veillaient vraiment sur lâindigent que je suis... Jâai interrogĂ© lâOcĂ©an CĂ©leste, jâai invoquĂ© le Grand PĂȘcheur dans les moments de dĂ©tresse, et jâai remerciĂ© les Constellations Silencieuses lorsque le sort mâĂ©tait propice. Mais jamais, jamais je nâai obtenu de rĂ©ponse. Pas un signe. Pas une faveur, pas une mise en garde. Rien ! Alors jâai continuĂ© Ă croire et jâai contemplĂ© chacun de tes croissants. Jâai chĂ©ri chaque pas sous lâĂ©clat argentĂ© de ta lumiĂšre. Mais, peu Ă peu, je suis forcĂ© dâadmettre que mon regard est tombĂ© et que jâai plus souvent observĂ© mes pieds que ta robe. Nuit aprĂšs nuit, ma foi sâest faite tĂ©nue⊠Et je regrette, aujourdâhui, dâavoir parfois pensĂ© que lâinterposition ne viendrait pas. Que lâĂ©clipse nâĂ©tait quâune fable, quâun rĂȘve mal placĂ© dans mon esprit puĂ©ril. Un rĂȘve idiot qui avait induit les sages en erreurâŠ
Comme je regrette ! Comme je suis confus et contrit de dĂ©couvrir, Ă prĂ©sent, que le tort sâĂ©tait saisi de moi⊠La puissance de ton ombre est manifeste : FeâRah Grundt ne peut que sâincliner ! Quant Ă ton aura⊠Quelle⊠Quelle splendeur ! Jâai devant mes yeux la plus magnifique fantasmagorie quâil mâait Ă©tĂ© donnĂ© de voir. Câest tellement plus grandiose que dans mon rĂȘve. Et, plus sublime encore que dans mes tentatives dâimagination Ă©veillĂ©e ! LâĂ©clipse⊠LâĂ©clipse est assurĂ©ment le tournant de mon existence, jâen suis convaincu. Car mĂȘme si tu me rĂ©pudies, mĂȘme si tu mâignores, mĂȘme si tu te contraries de mes paroles et choisis de mâen punir, je serai â Ă superbe Lune Noire â Ă jamais changĂ©, en mon ĂȘtre tout entier, de tâavoir pu observer.
Sur ces paroles fiĂ©vreuses et enflammĂ©es dâun amour sincĂšre dont il sâignorait capable, Welihann se tait puis pose un genou Ă terre. Les yeux brillants, il plonge dans la noirceur du cercle magique et cligne le moins possible des paupiĂšres, bien dĂ©cidĂ© Ă ne pas en perdre la moindre miette. Le spectacle, dâune beautĂ© enivrante, le transporte et ranime toute sa foi. Il se sent transpercĂ© de lĂ©gendes, envahi de gloire, portĂ© en avant par les chants des AncĂȘtres, pĂ©nĂ©trĂ© par les mille gĂ©nĂ©rations lâayant prĂ©cĂ©dĂ©, ayant foulĂ© ces steppes, ayant grimpĂ© ces concrĂ©tions, sâĂ©tant faufilĂ©s entre les prĂ©dĂ©cesseurs de ces arbres⊠Il est Welihann, il est les Anciens, il est le PassĂ© et lâAvenir de son peuple. Il convoie en son ĂȘtre la culture dâune tribu et voyage Ă dos de rĂȘves sur les Ă©paules du monde. Il nâest plus quâun avec la Nature et devient, loin, au fond de lui, le messager des MĂŒkâAtah. Le pourvoyeur de Vie, façonnĂ© dâAmour et disposĂ© Ă embrasser la Mort. Il est Welihann, lâenfant au destin diffĂ©rent, lâenfant libre et sans chemin tracĂ©, capable dâouvrir sous chacun de ses pas, les pages de chapitres interdits, inconnus, impossibles ou dĂ©sirĂ©s. Il est Welihann, lâenfant-homme, lâenfant-frĂšre, le frĂšre-homme que personne nâattend et que tout le monde espĂšre, le prophĂšte malvenu, le maudit habitĂ© par la fortune.
Il est Welihann et il sait, Ă prĂ©sent, combien son destin compte, combien lâĂ©clipse importe. Il est Welihann et il sait que son nom promet et devine que son sort ne sera rien de moins quâexceptionnel.
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Alexandre Jarry (Sous les constellations silencieuses (Les Apothéoses))
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Les pertes sont inĂ©vitables, sauf le cas de Madoff. Vous avez besoin d'accepter ce fait vous ne pouvez pas Ă©viter les perd. Essayer d'Ă©viter les pertes ne fera que provoquer des pertes plus importantes. Votre travail consiste à «essayer» les garder petits. Lorsque vous dĂ©tailler exactement ce que vous ĂȘtes prĂȘt Ă risquer un Trading d'accepter le fait que le Trading ne pas avoir Ă travailler. Acceptez le fait que vous pouvez perdre de l'argent. Cet argent vous ĂȘtes prĂȘt Ă perdre doit ĂȘtre une petite quantitĂ© qui n'affecte pas votre Ă©tat Ă©motionnel ou votre compte de trading. Par exemple, si vous disposez d'un compte de trading 100.000 $ et que vous ĂȘtes prĂȘt Ă risquer 1% sur un Trade vous vous tenez la possibilitĂ© de perdre 1000 $. Si vous ne pouvez pas tolĂ©rer que vous pouvez rĂ©duire votre risque sur le Trading Ă un pourcentage infĂ©rieur ou tout simplement peut-ĂȘtre la Trade n'est pas pour vous. Vous avez besoin d'accepter l'incertitude la plus complĂšte lorsque nous faisons des Ă©changes. La seule certitude est l'incertitude. Une fois que votre serviteur internaliser ce fait de commencer la construction de la patience et de la discipline. La discipline est d'avoir des rĂšgles de Trade et ayant la capacitĂ© de les suivre parce que vous avez acceptĂ© les risques inhĂ©rents lors de la Trade ainsi que la
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Trend Following mentor (Les fautes des jours de bourse (Trend Following Mentor) (French Edition))
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Au reste, les Germains ne croient pas que ce soit honorer les dieux, de les peindre comme des hommes, ou de les renfermer dans les temples; ils se contentent de leur consacrer des bois et des forĂȘts, dans l'obscuritĂ© desquels ils imaginent que rĂ©side la divinitĂ©. X. Ils sont fort adonnĂ©s aux augures et aux sorts, et n'y observent pas grande cĂ©rĂ©monie. Ils coupent une branche de quelque arbre fruitier en plusieurs piĂšces, et le marquent de certains caractĂšres. Ils les jettent ensuite, au hasard, sur un drap blanc. Alors le prĂȘtre, si c'est en public, ou le pĂšre de famille, si c'est dans quelque maison particuliĂšre, lĂšve chaque brin trois fois, aprĂšs avoir invoquĂ© les dieux, et les interprĂšte selon les caractĂšres qu'il y a faits. Si l'entreprise se trouve dĂ©fendue, ils ne passent point plus avant; car on ne consulte point deux fois sur un mĂȘme sujet, en un mĂȘme jour; mais si elle est approuvĂ©e, on jette le sort une seconde fois, pour en avoir la confirmation. Ils consultent aussi le vol et le chant des oiseaux: le hennissement des chevaux est encore pour eux un prĂ©sage trĂšs-assurĂ©. Ils en nourrissent de blancs dans leurs bois sacrĂ©s, et ils croiraient faire une profanation s'ils les employaient aux usages ordinaires.
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Anonymous
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Elle voulait sâĂ©vader, fuir toujours plus
loin, rompre de maniĂšre brutale avec la vie courante, pour respirer Ă lâair libre. Et puis il y avait
aussi cette peur panique, de temps en temps, Ă la perspective que les comparses que vous avez
laissés derriÚre vous puissent vous retrouver et vous demander des comptes. Il fallait se cacher
pour Ă©chapper Ă ces maĂźtres chanteurs en espĂ©rant quâun jour vous seriez dĂ©finitivement hors de
leur portĂ©e. LĂ -haut, dans lâair des cimes. Ou lâair du large. Je comprenais bien ça. Moi aussi, je
traĂźnais encore les mauvais souvenirs et les figures de cauchemar de mon enfance auxquels je
comptais faire une fois pour toutes un bras dâhonneur.
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Patrick Modiano
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La monnaie est souvent mythifiĂ©e, conçue comme magique et obscure. Son ambivalence fondamentale favorise l'Ă©mergence dans les esprits du sentiment d'un mystĂšre : le dieu monnaie est, par ses modes de crĂ©ation et de gestion, Ă la fois public et privĂ©. Banques commerciales et banques centrales contribuent Ă son apparition, Ă son mouvement, Ă sa destruction. Face Ă cette ambivalence qui ne peut ĂȘtre Ă©liminĂ©e, parce qu'elle exprime dans ce domaine technique la nĂ©cessaire dualitĂ© individu-collectivitĂ©, la thĂ©orie politique classique, libĂ©rale ou autoritaire, ne peut proposer que des reprĂ©sentations partielles. Le libĂ©ralisme anglo-saxon n'arrivera jamais Ă masquer complĂštement l'action de l'Ătat, dĂ©finisseur et garant des rĂšgles, acteur majeur de la gestion monĂ©taire au jour le jour. Il ne peut que tenter d'oublier l'expĂ©rience innommable d'un dollar Ă©chappant entre 1980 et 1985 Ă toute pesanteur Ă©conomique par la grĂące de l'Ătat. Il est frappĂ© de cĂ©citĂ© devant une Ă©vidence majeure : les marchĂ©s financiers, lieu d'agitation des libres individus, n'en finissent pas de spĂ©culer sur les obligations d'Ătat, dont la rentabilitĂ© est assurĂ©e par l'existence de l'impĂŽt, c'est-Ă -dire la capacitĂ© d'un Ătat Ă extraire de sa sociĂ©tĂ© la richesse par un mĂ©canisme non marchand de contrainte. La thĂ©orie allemande de la monnaie ne pourra quant Ă elle jamais imposer la rĂ©alitĂ© d'une monnaie fixant a priori un ordre social et Ă©chappant complĂštement aux acteurs dĂ©centralisĂ©s de la vie Ă©conomique. Les banques crĂ©ent de la monnaie par le crĂ©dit. Reste qu'au-delĂ de cette ambivalence, indĂ©passable, chacune des deux traditions idĂ©ologiques, libĂ©rale ou autoritaire, adore l'un des deux visages du Janus monĂ©taire.
Au moment mĂȘme oĂč les Ătats-Unis dĂ©finissaient une conception pragmatique monĂ©taire, selon laquelle un Ă©quilibre des pouvoirs doit assurer l'Ă©mergence d'une monnaie accompagnant les Ă©volutions et rythmes naturels de la sociĂ©tĂ©, l'Europe occidentale accouchait, par Ă©tapes, d'une conception radicalement opposĂ©e, dominatrice, castratrice, de plus en plus souvent dĂ©signĂ©e dans le monde anglo-saxon, par l'expression sado-monĂ©tarisme. L'euro doit rĂ©former la sociĂ©tĂ©, mieux, crĂ©er un nouveau monde europĂ©en. Chacune des sociĂ©tĂ©s rĂ©ellement existantes, chaque nation, doit s'adapter, transfomer ses structures et ses rythmes naturels en fonction d'impĂ©ratifs monĂ©taires dĂ©cidĂ©es d'en-haut, a priori. Tel est le sens idĂ©ologique des critĂšres rigides de Maastricht et des punitions de Dublin qui fixent des rĂšgles monĂ©taires et budgĂ©taires auxquelles les individus devront se soumettre dans l'Ă©ternitĂ©. Cette monnaie autoritaire est le reflet d'un autre systĂšme de culture, fondĂ© par d'autres structures anthropologiques. La conception anglo-saxonne de la monnaie reflĂšte les valeurs libĂ©rales de la famille nuclĂ©aire absolue ; la conception autoritaire du continent europĂ©en les valeurs autoritaires de la famille souche. Face Ă la monnaie, l'individu est comme face Ă toute institution, libre ou soumis. L'Ă©mergence de conceptions opposĂ©es de la monnaie n'est que le dernier avatar d'une opposition plurisĂ©culaire entre libĂ©ralisme anglo-saxon et autoritarisme continental. Mais comment la France, lieu de naissance de l'une des deux grandes traditions libĂ©rales, dĂ©contractĂ©e dans sa gestion monĂ©taire jusqu'au dĂ©but des annĂ©es 80, a-t-elle bien pu changer de camp, abandonner l'individualisme du monde atlantique pour suivre les disciplines de l'Europe centrale ?
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Emmanuel Todd (L'illusion économique. Essai sur la stagnation des sociétés développées)
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Mais si c'Ă©tait l'exil, dans la majoritĂ© des cas c'Ă©tait l'exil chez soi. Et quoique le narrateur n'ait connu que l'exil de tout le monde, il ne doit pas oublier ceux, comme le journaliste Rambert ou d'autres, pour qui, au contraire, les peines de la sĂ©paration s'amplifiĂšrent du fait que, voyageurs surpris par la peste et retenus dans la ville, ils se trouvaient Ă©loignĂ©s Ă la fois de l'ĂȘtre qu'ils ne pouvaient rejoindre et du pays qui Ă©tait le leur. Dans l'exil gĂ©nĂ©ral, ils Ă©taient les plus exilĂ©s, car si le temps suscitait chez eux, comme chez tous, l'angoisse qui lui est propre, ils Ă©taient attachĂ©s aussi Ă l'espace et se heurtaient sans cesse aux murs qui sĂ©paraient leur refuge empestĂ© de leur patrie perdue. C'Ă©tait eux sans doute qu'on voyait errer Ă toute heure du jour dans la ville poussiĂ©reuse, appelant en silence des soirs qu'ils Ă©taient seuls Ă connaĂźtre, et les matins de leur pays. Ils nourrissaient alors leur mal de signes impondĂ©rables et de messages dĂ©concertants comme un vol d'hirondelles, une rosĂ©e de couchant, ou ces rayons bizarres que le soleil abandonne parfois dans les rues dĂ©sertes. Ce monde extĂ©rieur qui peut toujours sauver de tout, ils fermaient les yeux sur lui, entĂȘtĂ©s qu'ils Ă©taient Ă caresser leurs chimĂšres trop rĂ©elles et Ă poursuivre de toutes leurs forces les images d'une terre oĂč une certaine lumiĂšre, deux ou trois collines, l'arbre favori et des visages de femmes composaient un climat pour eux irremplaçable.
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Albert Camus (The Plague)
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Se savoir vivant c'est se savoir, non pas protégé et spectateur, mais marchant, cherchant, fouillant, à la fois téméraire et incertain, inquiet, espérant, n'ayant qu'une semaine, qu'un jour pour voir, connaßtre, comprendre.
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Robert Lalonde (Le Monde sur le flanc de la truite)
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le vocabulaire présent
certaines obligations bloque ma perception
une autre dimension une vision sans altération
sans mur d'illusion bloquant ma perception
oublier les présentations
aucune prescription ni medication
en phase création j'y mais toutes mes émotions
aucune intention de vous parler de mes erreurs
passer je représente le vocabulaire présent
soyez indulgent
ne regarder pas devant ne regarder pas derriĂšre regarder sur place ne soyer pas vorace
fait vous une place as la chaleur
de votre sueur
apprenez de vos erreurs
de votre malheur
et oblitérer votre peur
soyer indulgent
guarder ce qui est amené à se dissiper
est impossible
si tu ne veux pas couler tu dois apprendre Ă nager et prenez de la force
car se monde et devenu bien trop féroce
je n'ai aucunement l'intention d'ĂȘtre pour toi une recrĂ©ation
attention a toute division de la concentration
comme une vision d'illusion
l'exclusion de toutes perceptions des émotions
sans aucune compréhension des bonnes et des mauvaises intentions
mode concentration,
attention Ă la reverberation,
de mauvaise réaction,
un pion tu veux de l'action,
retourne faire ta preparation
sans aucune interaction
aucun besoin d'explication
pas besoin de présentations
aucune prescription ni medication
en phase création j'y mais toutes mes émotions
toutes ces voix
un endroit empreint au désarroi
au milieu de toutes ces voix
les combats
sont sans foi, ni loi
au milieu de toutes ces voix
aucun cote pour s'échapper se coucher et auctanperer tu peux oublier
mon esprit et lĂ pour cree
prisonnier jamais
je suis lĂ pour te montrer
avec les penser des moments passer
et le vocabulaire de l'instant présent
pour un futur décent
absent non écrivant
insistant
sur des jours bien plus clement
pour mon présent
et
l'esprit rempli d'écrit
il n'est pas abruti
par de la technologie
Ălaborer de ma penser
souvent plein de mots entreposer
pas le temps de me reposer
je ne vais pas abandonner
oĂč me dĂ©rober
aucune prescription ni medication
en phase création j'y mais toutes mes émotions
enfermer entre deux dimensions
aucun besoin de présentation
ou de te parler de mes intentions
des erreurs sont passé
et maintenant
je représente le vocabulaire présent.
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Marty Bisson milo
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On fĂȘtait un jour, solennellement, ses Palmes acadĂ©miques : trois ans plus tard, il « prenait sa retraite », c'est-Ă -dire que le rĂšglement la lui imposait. Alors, souriant de plaisir, il disait : « Je vais enfin pouvoir planter mes choux ! »
Sur quoi, il se couchait, et il mourait.
J'en ai connu beaucoup, de ces maĂźtres d'autrefois.
Ils avaient une fois totale dans la beauté de leurs mission, une confiance radieuse dans l'avenir de la race humaine. Ils méprisaient l'argent et le luxe, ils refusaient un avancement pour laisser la place à un autre, ou pour continuer la tùche commencée dans un village déshérité.
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Marcel Pagnol (La Gloire de mon pĂšre)
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Quâune semblable ivresse existĂąt quand on aime, cela ne mâĂ©tait pas nouveau ; je savais ce que câĂ©tait que cette aurĂ©ole dont rayonne la bien-aimĂ©e. Mais exciter de tels battements de cĆur, Ă©voquer de pareils fantĂŽmes, rien quâavec sa beautĂ©, des fleurs et la peau bigarrĂ©e dâune bĂȘte fĂ©roce ! avec de certains mouvements, une certaine façon de tourner en cercle, quâelle a apprise de quelque baladin, avec les contours dâun beau bras ; et cela sans une parole, sans une pensĂ©e, sans quâelle daigne paraĂźtre le savoir ! QuâĂ©tait donc le chaos, si câest lĂ lâĆuvre des sept jours ?
Ce nâĂ©tait pourtant pas de lâamour que je ressentais, et je ne puis dire autre chose sinon que câĂ©tait de la soif. Pour la premiĂšre fois de ma vie je sentais vibrer dans mon ĂȘtre une corde Ă©trangĂšre Ă mon cĆur. La vue de ce bel animal en avait fait rugir un autre dans mes entrailles.
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Alfred de Musset (La confession d'un enfant du siĂšcle)
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Le plus passionnant, ce sont les six volumes suivants de l'Histoire des origines du christianisme, oĂč est racontĂ©e en dĂ©tail cette histoire beaucoup moins connue : comment une petite secte juive, fondĂ©e par des pĂȘcheurs illettrĂ©s, soudĂ©e par une croyance saugrenue sur laquelle aucune personne raisonnable n'aurait misĂ© un sesterce, a en moins de trois siĂšcles dĂ©vorĂ© de l'intĂ©rieur l'Empire romain et, contre toute vraisemblance, perdurĂ© jusqu'Ă nos jours. Et ce qui est passionnant, ce n'est pas seulement l'histoire en soi extraordinaire que Renan raconte, mais l'extraordinaire honnĂȘtetĂ© avec laquelle il la raconte, je veux dire sa façon d'expliquer au lecteur comment il fait sa cuisine d'historien : de quelles sources il dispose, comment il les exploite et en vertu de quels prĂ©supposĂ©s. J'ai sa façon d'Ă©crire l'histoire, non pas ad probandum, comme il dit, mais ad narrandum : pas pour prouver quelque chose, mais simplement pour raconte ce qui s'est passĂ©. J'aime sa bonne foi tĂȘtue, le scrupule qu'il met Ă distinguer le certain du probable, le probable du possible, le possible du douteux, et le calme avec lequel il rĂ©pond aux plus violents de ses critiques : " Quant aux personnes qui ont besoin, dans l'intĂ©rĂȘt de leur croyance, que je sois un ignorant, un esprit faux ou un homme de mauvaise foi, je n'ai pas la prĂ©tention de modifier leur opinion. Si ell est nĂ©cessaire Ă leur repos, je m'en voudrais de les dĂ©sabuser." (p. 176-177)
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Emmanuel CarrĂšre (Le Royaume)
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La part dévolue à Génio Staglioffa dans la régence de hommes, ceux de son propre pays, faisait partie d'un plan supérieur et invisible. La réussite de ce plan se trouvait exiger le bonheur, le pouvoir et le succÚs de Génio Staglioffa. Mais cela ne parvenait pas à le calmer tout à fait. Briller, non seulement dans l'éloquence mais dans la politique a son degré concret, fécond, aménager au jour le jour la vitalité publique, modeler l'industrie lombarde, immeubles de trente étages pour la périphérie, réseaux de routes, ces inimitables journaux, ces orphelinats, ces laboratoires, les automobilistes invités à modérer leur klaxon bestial, le dégoût de l'immonde cigarette enfin communiqué aux citoyens, les mots étrangers éliminés de la langue nationale, fallait-il en tirer tant de gloire? Tant de fois, Tant de fois des hommes de valeur et de commandement avaient bùti et rebùti leur empire, leur peuple, leur cité! Ils étaient morts.
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Jacques Audiberti (Le MaĂźtre De Milan)
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II L'Association bretonne. Il est une institution qui distingue la Bretagne des autres provinces et oĂč se rĂ©flĂšte son gĂ©nie, l'Association bretonne. Dans ce pays couvert encore de landes et de terres incultes, et oĂč il reste tant de ruines des anciens Ăąges, des hommes intelligents ont compris que ces deux intĂ©rĂȘts ne devaient pas ĂȘtre sĂ©parĂ©s, les progrĂšs de l'agriculture et l'Ă©tude des monuments de l'histoire locale. Les comices agricoles ne s'occupent que des travaux d'agriculture, les sociĂ©tĂ©s savantes que de l'esprit; l'Association bretonne les a rĂ©unis: elle est Ă la fois une association agricole et une association littĂ©raire. Aux expĂ©riences de l'agriculture, aux recherches archĂ©ologiques, elle donne de la suite et de l'unitĂ©; les efforts ne sont plus isolĂ©s, ils se font avec ensemble; l'Association bretonne continue, au XIXe siĂšcle, l'oeuvre des moines des premiers temps du christianisme dans la Gaule, qui dĂ©frichaient le sol et Ă©clairaient les Ăąmes. Un appel a Ă©tĂ© fait dans les cinq dĂ©partements de la Bretagne Ă tous ceux qui avaient Ă coeur les intĂ©rĂȘts de leur patrie, aux Ă©crivains et aux propriĂ©taires, aux gentilshommes et aux simples paysans, et les adhĂ©sions sont arrivĂ©es de toutes parts. L'Association a deux moyens d'action: un bulletin mensuel, et un congrĂšs annuel. Le bulletin rend compte des travaux des associĂ©s, des expĂ©riences, des essais, des dĂ©couvertes scientifiques; le congrĂšs ouvre des concours, tient des sĂ©ances publiques, distribue des prix et des rĂ©compenses. Afin de faciliter les rĂ©unions et d'en faire profiter tout le pays, le congrĂšs se tient alternativement dans chaque dĂ©partement; une annĂ©e Ă Rennes, une autre Ă Saint-Brieuc, une autre fois Ă VitrĂ© ou Ă Redon; en 1858, il s'est rĂ©uni Ă Quimper. A chaque congrĂšs, des questions nouvelles sont agitĂ©es, discutĂ©es, Ă©claircies[1]: ces savants modestes qui consacrent leurs veilles Ă des recherches longues et pĂ©nibles, sont assurĂ©s que leurs travaux ne seront pas ignorĂ©s; tant d'intelligences vives et distinguĂ©es, qui demeureraient oisives dans le calme des petites villes, voient devant elles un but Ă leurs efforts; la publicitĂ© en est assurĂ©e, ils seront connus et apprĂ©ciĂ©s. D'un bout de la province Ă l'autre, de Rennes Ă Brest, de Nantes Ă Saint-Malo, on se communique ses oeuvres et ses plans; tel antiquaire, Ă Saint-Brieuc, s'occupe des mĂȘmes recherches qu'un autre Ă Quimper: il est un jour dans l'annĂ©e oĂč ils se retrouvent, oĂč se resserrent les liens d'Ă©tudes et d'amitiĂ©. [Note 1: Voir l'Appendice.] Le congrĂšs est un centre moral et intellectuel, bien plus, un centre national: ces congrĂšs sont de vĂ©ritables assises bretonnes; ils remplacent les anciens Ătats: on y voit rĂ©unis, comme aux Ătats, les trois ordres, le clergĂ©, la noblesse et le tiers-Ă©tat, le tiers-Ă©tat plus nombreux qu'avant la RĂ©volution, et de plus, mĂȘlĂ©s aux nobles et aux bourgeois, les paysans. La Bretagne est une des provinces de France oĂč les propriĂ©taires vivent le plus sur leurs terres; beaucoup y passent l'annĂ©e tout entiĂšre. De lĂ une communautĂ© d'habitudes, un Ă©change de services, des relations plus familiĂšres et plus intimes, qui n'ĂŽtent rien au respect d'une part, Ă la dignitĂ© de l'autre. PropriĂ©taires et fermiers, rĂ©unis au congrĂšs, sont soumis aux mĂȘmes conditions et jugĂ©s par les mĂȘmes lois; souvent le propriĂ©taire concourt avec son fermier. Dans ces mĂȘlĂ©es animĂ©es, oĂč l'on se communique ses procĂ©dĂ©s, oĂč l'on s'aide de ses conseils, oĂč l'on distribue des prix et des encouragements, les riches propriĂ©taires et les nobles traitent les paysans sur le pied de l'Ă©galitĂ©; ici, la supĂ©rioritĂ© est au plus habile: c'est un paysan, GuĂ©venoux, qui, en 1857, eut les honneurs du congrĂšs de Redon. Voici quatorze ans que l'Association bretonne existe; l'ardeur a toujours Ă©tĂ© en croissant; les congrĂšs sont devenus des solennitĂ©s: on y vient de tous les points
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Anonymous
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Les Grandes puissances, avec les Etats-Unis dâAmĂ©rique en tĂȘte, humilient les pays du Tiers-monde et leurs dirigeants qui sây prĂȘtent sans trop dâobjections avant dâhumilier, Ă leur tour, leurs propres populations. Celles-ci subissent donc une double humiliation Ă laquelle sâajoute une troisiĂšme â lâauto-humiliation quand lâon sâabstient de rĂ©agir. On est en droit de parler dâ « humiliocratie », câest-Ă -dire dâun systĂšme politico-culturel qui exploite les inĂ©galitĂ©s des rapports de force Ă la fois externes et internes.
Lâhumiliation Ă©mane dâune volontĂ© consciente dâagresser la dignitĂ© des autres et pas simplement de dominer. Câest une des denrĂ©es la plus mondialisĂ©e, de nos jours, par ceux qui la gĂ©nĂšrent et lâentretiennent. Câest aussi celle qui suscite de moins en moins dâindignation des gouvernants, des peuples humiliĂ©s eux-mĂȘmes ou de lâopinion publique internationale.
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Mahdi Elmandjra
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Le gouvernement (chinois, 1) a toujours manifestĂ©, au sujet de l'islamisme, une opinion plus ou moins favorable, et l'on peut citer de nombreux dĂ©crets, publiĂ©s Ă diverses Ă©poques, pour rappeler aux populations que la doctrine de Mahomet n'a pas d'autre but que d'enseigner la pratique du bien, ainsi que l'observation des obligations naturelles et des devoirs sociaux, et que si elle prĂ©sente quelques diffĂ©rences avec les autres doctrines, il fallait considĂ©rer ces diffĂ©rences comme de simples questions de pays et de mĆurs parfaitement comprises par son fondateur.
« Les mahométans », disait l'empereur Yong-Tching, infligeant en 1732 un blùme sévÚre au grand juge du Ngan-Hoey, qui lui avait adressé contre la religion musulmane un rapport malveillant et mensonger, « sont devenus enfants du pays, et appartiennent, comme tous les autres, à la grande famille chinoise. J'entends qu'on les laisse libres de professer leur religion, et qu'ils soient traités comme mes autres sujets, pourvu qu'ils respectent les lois de l'empire. La religion est une affaire de conscience que nul n'a le droit de scruter. »
(1) Sous la dynastie des Ming, en l'an 1384, l'empereur Tai-Tsou fit lui-mĂȘme l'Ă©loge de Mahomet en cent caractĂšres gravĂ©s sur une tablette qu'il donna Ă un de ses ministres mahomĂ©tans. Cette inscription Ă©tait ainsi conçue : « Les livres arabes expliquent la crĂ©ation de l'univers. Le fondateur et le propagateur de la religion musulmane est un grand saint, nĂ© en Occident, il a reçu du ciel 30 volumes d'un livre sacrĂ© qui lui a servi Ă Ă©clairer le monde entier. C'Ă©tait un grand roi et un grand maĂźtre, c'est le premier des saints ; il coopĂšre aux mouvements du ciel, il protĂšge les royaumes et les peuples, il a prescrit des priĂšres orales qui doivent ĂȘtre rĂ©citĂ©es cinq fois par jour ; il a ordonnĂ© Ă©galement la priĂšre mentale. La base de sa doctrine est l'adoration du vrai Seigneur. Elle augmente le courage du pauvre, console les malheureux, pĂ©nĂštre le cachĂ© et l'obscur, sauve les vivants et dĂ©livre les morts. Cette doctrine, conforme Ă celle de l'antiquitĂ© et du prĂ©sent, repousse et combat les superstitions. C'est la doctrine pure. Mahomet est rĂ©ellement un grand saint. »
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Philibert Dabry de Thiersant
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La science moderne se prĂ©sente dans le monde comme le principal ou le seul facteur de vĂ©ritĂ© ; selon ce style de certitude, connaĂźtre Charlemagne, câest savoir combien a pesĂ© son crĂąne et quelle a Ă©tĂ© sa taille. Au point de vue de la vĂ©ritĂ© totale â redisons-le une fois de plus â il vaut mille fois mieux croire que Dieu a créé le monde en six jours et que lâau-delĂ se situe sous le disque terrestre ou dans le ciel tournant, que de connaĂźtre la distance dâune nĂ©buleuse Ă une autre tout en ignorant que les phĂ©nomĂšnes ne font que manifester une RĂ©alitĂ© transcendante qui nous dĂ©termine de toutes parts et qui donne Ă notre condition humaine tout son sens et tout son contenu ; aussi les grandes traditions, conscientes de ce quâun savoir promĂ©thĂ©en mĂšnerait Ă la perte de la vĂ©ritĂ© essentielle et salvatrice, nâont-elles jamais prescrit ni encouragĂ© cette accumulation de connaissances tout extĂ©rieures et, en fait, mortelles pour lâhomme. On affirme couramment que telle ou telle prouesse scientifique « fait honneur au genre humain », et autres niaiseries de ce genre, comme si lâhomme faisait honneur Ă sa nature autrement quâen se dĂ©passant, et comme sâil se dĂ©passait ailleurs que dans la conscience dâabsolu et dans la saintetĂ©.
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Frithjof Schuon (Light on the Ancient Worlds: A New Translation with Selected Letters (The Library of Perennial Philosophy))
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Les lois sacrĂ©es (sharĂąâiâ) sont toutes des lumiĂšres. La loi de Muhammad â quâAllĂąh rĂ©pande sur lui Sa GrĂące unitive et Sa Paix !- est parmi ces lumiĂšres comme le soleil (5) : les lumiĂšres des planĂštes sont Ă la fois prĂ©sentes et cachĂ©es, ce qui est comparable aux abrogations opĂ©rĂ©es par sa loi â sur lui la GrĂące et la Paix ! â en dĂ©pit de la prĂ©sence des Lois antĂ©rieures. Câest pourquoi cette Loi universelle qui est nĂŽtre implique nĂ©cessairement pour nous la Foi en lâensemble des prophĂštes ; nous devons croire que les Lois quâils ont communiquĂ©es sont lâexpression dâun Droit sacrĂ© vĂ©ritable (haqq) (6). Leur abrogation ne signifie nullement quâelles sont mensongĂšres : cette derniĂšre opinion est celle des ignorants ! » (7)
(5) Il ne sâagit pas dâune simple image, mais dâun symbolisme prĂ©cis liĂ© Ă la fonction solaire de sayyidnĂą IdrĂźs, ce que confirme lâindication complĂ©mentaire donnĂ©e aussitĂŽt, selon laquelle les Lois antĂ©rieures Ă lâIslam sont compatibles aux « lumiĂšres des planĂštes ».
(6) Ceci est liĂ© selon Ibn ArabĂź, Ă la fonction de la Pierre Noire qui, au Jour du Jugement, tĂ©moignera en faveur de ceux qui lâauront « touchĂ©e avec vĂ©ritĂ© », câest-Ă -dire qui auront Ă©tĂ© fidĂšles au Pacte primordial conclu entre AllĂąh et les « descendants dâAdam », quelle que soit la Loi sacrĂ©e quâils auront suivie.
(7) Futûhùt, chap.339.
[Extrait du chap 339 des FUTUHAT AL-MAKKIYYA traduit par Charles-André Gilis,in "L'Esprit universel de l'Islam".]
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Charles-André Gilis