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[...] Un soir nous étions plusieurs ministres à rompre le jeûne au Palais Royal de Fès, en présence de Sa Majesté, tout au début de son règne. A ma gauche Si Mohamed El-Fassi, à ma droite une autre personnalité. Ayant devant moi la soupière, El-Fassi me demanda de le servir.
- "Non", lui répondis-je.
-"Et pourquoi", dit-il, étonné ?
- "Parce que, simplement, tu avais proclamé que la langue Tamazight n'est pas une langue et qu'il n'y avait pas lieu d'avancer son apport sur le plan de notre civilisation".
Oui, j'ai dit cela.
- "Mais d'abord mon bol , et je raconte!"
Écoutons-le :
- "A l'époque où j'ai été prisonnier avec d'autres nationalistes, à Aïn-Kardous, j'ai demandé à un fqih berbérisant de m'initier à la langue berbère. Il m'a répondu : "Pourquoi voudrais-tu perdre ton temps pour un jargon méprisé par Dieu lui-même ? Et, continuant : "Le Créateur a donné à chaque peuple une langue mais, à la fin, il a dû se rendre compte que l'un d'entre deux a été oublié. Il trouva la solution en ramassant les restes des langues éparpillées sur le sol, et offrit cette mixture, ne pouvant faire autrement, à ce bon peuple Amazigh".
- "On dénonce même Dieu", ai-je rétorqué, furieux. "Mais tu viens de donner la preuve de l'universalité de la langue berbère."
- "Universelle!" plaisanta mon autre voisin... "Elle n'est mĂŞme pas dans les archives".
La discussion devient générale, les uns pour, les autres... Sa Majesté, pour mettre fin à toutes nos grandes phrases, posa cette question à El-Fassi :
- "Le berbère est-il une langue, oui ou non ?"
- "A la réflexion, oui, Majesté; il a ses contes et ses légendes, sa poésie, et ses structures ne peuvent être niées".
- "Alors," conclut Sa Majesté, "nous aborderons cette question dans une vingtaine d'années. Contentons-nous, maintenant, de consolider notre unité.
(Tifinagh N°1 - Repris de "Le Maroc des potentialités, 1989, p276-280)
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