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â Ă Lune Noire, sache que je tâai attendue. Non, mon attente nâa pas Ă©tĂ© pieuse et bercĂ©e dâune fĂ©licitĂ©e bĂ©ate. Mes espoirs, je les ai conservĂ©s contre moi en affrontant les tempĂȘtes de la nature. Mes craintes, je les ai endossĂ©es avec peine et, souvent, elles mâont valu dâĂ©pouvantables souffrances. Quant Ă mes croyances, elles chancĂšlent chaque jour, avançant fĂ©brilement sur la crĂȘte dâune montagne acĂ©rĂ©e. Non, belle Lune Noire, je nâai pas Ă©tĂ© le dĂ©vot infaillible. Jâai encaissĂ© les douleurs et jâen ai souvent questionnĂ© la cause, me demandant si les dieux veillaient vraiment sur lâindigent que je suis... Jâai interrogĂ© lâOcĂ©an CĂ©leste, jâai invoquĂ© le Grand PĂȘcheur dans les moments de dĂ©tresse, et jâai remerciĂ© les Constellations Silencieuses lorsque le sort mâĂ©tait propice. Mais jamais, jamais je nâai obtenu de rĂ©ponse. Pas un signe. Pas une faveur, pas une mise en garde. Rien ! Alors jâai continuĂ© Ă croire et jâai contemplĂ© chacun de tes croissants. Jâai chĂ©ri chaque pas sous lâĂ©clat argentĂ© de ta lumiĂšre. Mais, peu Ă peu, je suis forcĂ© dâadmettre que mon regard est tombĂ© et que jâai plus souvent observĂ© mes pieds que ta robe. Nuit aprĂšs nuit, ma foi sâest faite tĂ©nue⊠Et je regrette, aujourdâhui, dâavoir parfois pensĂ© que lâinterposition ne viendrait pas. Que lâĂ©clipse nâĂ©tait quâune fable, quâun rĂȘve mal placĂ© dans mon esprit puĂ©ril. Un rĂȘve idiot qui avait induit les sages en erreurâŠ
Comme je regrette ! Comme je suis confus et contrit de dĂ©couvrir, Ă prĂ©sent, que le tort sâĂ©tait saisi de moi⊠La puissance de ton ombre est manifeste : FeâRah Grundt ne peut que sâincliner ! Quant Ă ton aura⊠Quelle⊠Quelle splendeur ! Jâai devant mes yeux la plus magnifique fantasmagorie quâil mâait Ă©tĂ© donnĂ© de voir. Câest tellement plus grandiose que dans mon rĂȘve. Et, plus sublime encore que dans mes tentatives dâimagination Ă©veillĂ©e ! LâĂ©clipse⊠LâĂ©clipse est assurĂ©ment le tournant de mon existence, jâen suis convaincu. Car mĂȘme si tu me rĂ©pudies, mĂȘme si tu mâignores, mĂȘme si tu te contraries de mes paroles et choisis de mâen punir, je serai â Ă superbe Lune Noire â Ă jamais changĂ©, en mon ĂȘtre tout entier, de tâavoir pu observer.
Sur ces paroles fiĂ©vreuses et enflammĂ©es dâun amour sincĂšre dont il sâignorait capable, Welihann se tait puis pose un genou Ă terre. Les yeux brillants, il plonge dans la noirceur du cercle magique et cligne le moins possible des paupiĂšres, bien dĂ©cidĂ© Ă ne pas en perdre la moindre miette. Le spectacle, dâune beautĂ© enivrante, le transporte et ranime toute sa foi. Il se sent transpercĂ© de lĂ©gendes, envahi de gloire, portĂ© en avant par les chants des AncĂȘtres, pĂ©nĂ©trĂ© par les mille gĂ©nĂ©rations lâayant prĂ©cĂ©dĂ©, ayant foulĂ© ces steppes, ayant grimpĂ© ces concrĂ©tions, sâĂ©tant faufilĂ©s entre les prĂ©dĂ©cesseurs de ces arbres⊠Il est Welihann, il est les Anciens, il est le PassĂ© et lâAvenir de son peuple. Il convoie en son ĂȘtre la culture dâune tribu et voyage Ă dos de rĂȘves sur les Ă©paules du monde. Il nâest plus quâun avec la Nature et devient, loin, au fond de lui, le messager des MĂŒkâAtah. Le pourvoyeur de Vie, façonnĂ© dâAmour et disposĂ© Ă embrasser la Mort. Il est Welihann, lâenfant au destin diffĂ©rent, lâenfant libre et sans chemin tracĂ©, capable dâouvrir sous chacun de ses pas, les pages de chapitres interdits, inconnus, impossibles ou dĂ©sirĂ©s. Il est Welihann, lâenfant-homme, lâenfant-frĂšre, le frĂšre-homme que personne nâattend et que tout le monde espĂšre, le prophĂšte malvenu, le maudit habitĂ© par la fortune.
Il est Welihann et il sait, Ă prĂ©sent, combien son destin compte, combien lâĂ©clipse importe. Il est Welihann et il sait que son nom promet et devine que son sort ne sera rien de moins quâexceptionnel.
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