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Ah, qu'elle fut bien la reine des Iles, du Labyrinthe et du Moulin à vent!
Ce qui était royal, c'était son rire.
C'était une grande fille souriante qui avait l'air tendre, intelligent, ironique et grave des Françaises. Elle sentait la pipe, la lavande, l'eau de Javel et l'herbe mouillée. Et on aimait ce mélange dès qu'on approchait d'elle.
Je n'oublierai jamais non plus ses mains trop longues, ses cheveux lourds et ses dents blanches. Mais on ne la connaissait pas tant qu'on ne l'avait pas entendue rire. Car son rire ne lui ressemblait pas, du moins se le figurait-on la première fois qu'on l'entendait. Parce qu'elle avait l'air d'un maigre adolescent, on s'attendait à un rire âpre, aigu, ou même méchant, ou ironique tout au moins, qui eût senti, comme ses mains, le chlore et la lavande. Et c'était tout le contraire. Il s'épanouissait comme des grappes de lilas, et quand il éclatait en plein c'était comme un jardin de juin, de pivoines, de roses, de fleurs rouges, avec des timbres d'instruments, dorés, ambrés, des cuivres et des cordes, un carillon et un reposoir de Fête-Dieu, un rire de reine, je ne sais comment dire. Si bien que son corps de plante grimpante, son menton de chat, ses yeux de félin, tout ce qu'il y avait en elle de pâle et d'anguleux, son regard vert, son teint d'aquarelle, n'avaient plus l'air que de l'alibi de la femme inattendue qui se cachait en elle, - et qui devait être la vraie, car le rire est une chose sérieuse, - et que l'harmonie du tout rappelait celle d'une eau verte qui reflète le grand soleil (il fallait de l'eau pour l'expliquer, sa fluidité, ses contrastes).
Si son fiancé avait fait d'elle, je ne sais trop pourquoi, la reine des Choses qui Volent, elle ne m'est jamais apparue que comme la reine des Choses Liquides, celles qui coulent et qui s'enfuient, - mais qui reflètent les châteaux et les villes, - la reine des brumes, des eaux, des algues. Et son rire, au milieu de cet océan vert, était comme une île de corail.
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