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.. Et protège, mon Dieu, Vitea et Lulu, et papi et babouchka. Et prends soin, mon Dieu, de l'âme de maman et de papa et d'Archimède... où qu'il soit, parce que papi et babouchka y tenaient comme à la prunelle de leurs yeux, car il avait coûté très cher. Quand ils ont vendu toutes ces choses qui brillaient dans la boîte que nous avons sauvée de la vieille maison, quand maman nous a quittés. La bague à la pierre verte avec laquelle on a acheté la vache, la petite chaîne en or pour le fourrage, la montre de papi, celle avec un couvercle gravé, qui est partie pour deux sacs de farine de maïs, et la parure de perles qui s'est transformée en Archimède - même si, en réalité, il ne s'appelait pas comme ça, car il n'y avait que papi qui connaissait son vrai nom, et lorsqu'il le lui chuchotait à l'oreille, qu'est-ce qu'il était content, le cochon, comme un petit chien, il faisait même le beau. Quand ils l'ont tué, babouchka s'est fâchée si fort qu'elle en a encore pris une cuite. Elle pleurait et criait : Flambez Joseph Vissarionovitch, brûlez-le, que le feu de l'enfer le brûle ! Elle criait si fort qu'il a fallu que Sacha et papi la ramènent de force à la maison, pour qu'elle arrête de pleurer sur le sort du pauvre Archimède.
Et, mon Dieu, prends soin aussi de l'âme de papi, même si babouchka ne l'a pas aimé aussi fort qu'Archimède, parce qu'elle n'a presque pas pleuré lorsqu'il est parti. Même qu'elle n'a plus parlé avec personne pendant près de trois semaines, et qu'elle a cessé de nous disputer pour un rien. Et après elle est partie de la maison sans rien dire. Et pardonne-nous, mon Dieu, de nous être tellement réjouis quand elle nous a laissés avec Sacha. Mais jusqu'à la fin elle nous a manqué, parce que Sacha ne nous donnait pas tellement à manger et nous laissait seuls la nuit, et le jour il dormait et ne jouait plus avec nous, comme il le faisait dans l'autre maison.
Et je te remercie, mon Dieu, de nous avoir ramené babouchka, même si maigre et avec des taches violettes et vertes sur le visage. Parce que nous l'aimions, même chauve, même si elle était moche et ressemblait à Baba Yaga.
Mais mon Dieu, tu peux oublier Lulu, qui m'a mordu fort quand je lui ai dit que maman était un ange, et qui s'est roulé par terre en hurlant. Il me poursuivait partout et il a balancé des pierres sur mon saule, celui où Vitea et moi avions fait une chaumière de petites branches, pour que je puisse m'exercer chaque jour, comme j'ai promis à maman, là, dans la vieille maison, sur la terrasse, quand nous regardions le soir ce long chemin noir et plein de pierres, sur lequel passaient sans cesse des hommes et des bêtes. Les pauvres, ils marchaient très lentement, et certains s'arrêtaient devant notre porte, et babouchka leur donnait à manger - mais pas à tous. Après, elle les chassait et papi tirait un coup de fusil en l'air, mais ils revenaient, ils revenaient et ça ne s'arrêtait pas...
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