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Pour donner consistance à cette révolution du temps, il suffit de commencer à énumérer les domaines de production de biens et de services dont l'existence actuelle ne se soutient que de la logique de la société marchande, de la double nécessité d'accroître sans cesse la production-pour-le-profit et de reproduire l'organisation sociopolitique qui la rend possible. Osons donc trancher à la racine et mesurer l'ampleur des secteurs qui, dans une société non marchande, soucieuse de surcroît d'écarter toute séparation entre gouvernants et gouvernés, deviendraient parfaitement superflus. On peut éliminer sans hésiter tout le personnel militaire et policier, poursuivre avec les banques, le système financier et les assurances (ces dernières seules pèsent aujourd'hui 15 % du PIB mondial), sans se priver du plaisir d'ajouter la publicité et le marketing( qui absorbent 500 milliards de dépenses annuelles, soit près d'un tiers des budgets militaires mondiaux). Finalement, le principe d'un autogouvernement à tous les échelons, tel qu'on l'a suggéré dans le chapitre précédent, condamnerait l'ensemble des bureaucraties nationales et internationales à une complète inutilité.
Dens pans considérables de l'appareil industriel seront abandonnés, à commencer par la production d'armes et d'équipements militaires. Les impératifs écologiques et l'affirmation de l'agriculture paysanne rendront caduque une grande partie de l'industrie chimique (notamment l'écrasant secteur agrochimique) comme des biotechnologies fortement contestées (OGM notamment). Le secteur agroalimentaire, exemple type d'une marchandisation perverse des formes de production, s'évanouira, au profit d'une valorisation de l'autoproduction et des circuits locaux de production/consommation. […] on voit que chaque abandon de production de biens et de services aura des effets démultiplicateurs importants, puisque les besoins en édifices (bureaux, installations industrielles), en matériaux et en énergie, en infrastructures et en transports, s'en trouveront diminués d'autant. Le secteur de la construction sera par conséquent ramené à une échelle bien plus raisonnable qu'aujourd'hui, ce qu'accentuerait encore la régénération des pratiques d'autoconstruction (ou du moins une participation directe des utilisateurs eux-mêmes, aux côtés d'artisans plus expérimentés). Chaque suppression dans la production de biens et de services éliminera à son tour toutes les productions nécessaires à son installation, à son fonctionnement, sans oublier la gestion des déchets engendrés par chacune de ces activités. Pour donner un exemple parmi tant d'autres, la suppression de la publicité (jointe à celle des bureaucraties et à d'autres changements technico-culturels) entraînera une diminution considérable de la consommation de papier, c'est-à -dire aussi de toute la chaîne industrielle qui lui est associée, dans laquelle il faut inclure exploitation forestière, produits chimiques, matériaux nécessaires aux installations industrielles, transport, etc.
Sans nier la pertinence de maintenir des échanges à longue distance, le fait de privilégier, dans toute la mesure du possible, les activités locales et de supprimer les absurdes détours de production qui caractérisent l'économie capitaliste (lesquels mènent, par exemple, l'ail chinois jusqu'en Europe et de l'eau - oui, de l'eau ! - des Alpes jusqu'au Mexique) réduira à peu de chose la chaîne commerciale actuelle et restreindra encore les besoins en transport. Joint à l'abandon d'une logique de production et d'organisation centrée sur l'automobile et le fétichisme égolâtre qui la soutient, tout cela entraînera une forte contraction de la consommation énergétique, qui pourra être satisfaite grâce aux énergies renouvelables, produites, dans la mesure du possible, localement. En conséquence, tout ce qui fonde le poids écrasant du secteur énergétique dans l'économie mondiale actuelle s'évanouira pour l'essentiel. (p. 91-92)
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JĂ©rĂ´me Baschet (AdiĂłs al Capitalismo: AutonomĂa, sociedad del buen vivir y multiplicidad de mundos)