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Devant cette nuit chargĂ©e de signes et dâĂ©toiles, je mâouvrais pour la premiĂšre fois Ă la tendre indiffĂ©rence du monde. De lâĂ©prouver si pareil Ă moi, si fraternel enfin, jâai senti que jâavais Ă©tĂ© heureux, et que je lâĂ©tais encore. Pour que tout soit consommĂ©, pour que je me sente moins seul, il me restait Ă souhaiter quâil y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exĂ©cution et quâils mâaccueillent avec des cris de haine
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Albert Camus (The Stranger)
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Quant Ă moi, maintenant, j'ai fermĂ© mon Ăąme. Je ne dis plus Ă personne ce que je crois, ce que je pense et ce que j'aime. Me sachant condamnĂ© Ă l'horrible solitude, je regarde les choses, sans jamais Ă©mettre mon avis. Que m'importent les opinions, les querelles, les plaisirs, les croyances ! Ne pouvant rien partager avec personne, je me suis dĂ©sintĂ©ressĂ© de tout. Ma pensĂ©e, invisible, demeure inexplorĂ©e. J'ai des phrases banales pour rĂ©pondre aux interrogations de chaque jour, et un sourire qui dit "oui", quand je ne veux mĂȘme pas prendre la peine de parler.
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Guy de Maupassant (Le Horla et autres nouvelles fantastiques)
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Longtemps, mon seul but dans la vie Ă©tait de m'autodĂ©truire. Puis, une fois, j'ai eu envie de bonheur. C'est terrible, j'ai honte, pardonnez-moi : un jour, j'ai eu cette vulgaire tentation d'ĂȘtre heureux. Ce que j'ai appris depuis, c'est que c'Ă©tait la meilleure maniĂšre de me dĂ©truire.
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
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Quand j'arrive Ă la gare de l'Est, j'espĂšre toujours secrĂštement qu'il y aura quelqu'un pour m'attendre. C'est con. J'ai beau savoir que ma mĂšre est encore au boulot Ă cette heure-lĂ et que Marc est pas du genre Ă traverser la banlieue pour porter mon sac, j'ai toujours cet espoir dĂ©bile. [...] Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part... C'est quand mĂȘme pas compliquĂ©.
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Anna Gavalda (I Wish Someone Were Waiting for Me Somewhere)
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TrĂšs vite dans ma vie il a Ă©tĂ© trop tard. A dix-huit ans il Ă©tait dĂ©jĂ trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprĂ©vue. A dix-huit ans jâai vieilli.
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Marguerite Duras (The Lover)
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J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.
Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'Ă©tait une amie ;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.
Et pourtant elle est Ă©ternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.
Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.
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Alfred de Musset
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Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n'Ă©tait que vos pas.
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Paul Valéry
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Je suis moi et j'ai l'intention de poursuivre mon chemin, oĂč qu'il me mĂšne.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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J'ai souvent pensĂ© alors que si l'on m'avait fait vivre dans un tronc d'arbre sec, sans autre occupaion que de regarder la fleur du ciel au-dessus de ma tĂȘte, je m'y serais peu Ă peu habituĂ©. J'aurais attendu des passages d'oiseaux ou de rencontres de nuages comme j'attendais ici les curieuses cravates de mon avocat et comme, dans un autre monde, je patientais jusqu'au samedi pour Ă©treindre le corps de Marie.
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Albert Camus (The Stranger)
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J'ai connu et je connais encore, dans ma vie, des bonheurs inouĂŻs. Depuis mon enfance, par exemple, j'ai toujours aimĂ© les concombres salĂ©s, pas les cornichons, mais les concombres, les vrais, les seuls et uniques, ceux qu'on appelle concombres Ă la russe. J'en ai toujours trouvĂ© partout. Souvent, je m'en achĂšte une livre, je m'installe quelque part au soleil, au bord de la mer, ou n'importe oĂč, sur un trottoir ou sur un banc, je mords dans mon concombre et me voilĂ complĂštement heureux. Je reste lĂ , au soleil, le cĆur apaisĂ©, en regardant les choses et les hommes d'un Ćil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'ĂȘtre vĂ©cue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner Ă ce qu'on aime avec un abandon total de soi.
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lĂąches, mĂ©prisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dĂ©pravĂ©es ; le monde n'est qu'un Ă©gout sans fond oĂč les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces ĂȘtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompĂ© en amour, souvent blessĂ© et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arriĂšre ; et on se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompĂ© quelquefois, mais j'ai aimĂ©. C'est moi qui ai vĂ©cu, et non pas un ĂȘtre factice crĂ©Ă© par mon orgueil et mon ennui.
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Alfred de Musset (On ne badine pas avec l'amour)
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Adieu, dit-ilâŠ
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est trĂšs simple : on ne voit bien quâavec le coeur. Lâessentiel est invisible pour les yeux.
- Lâessentiel est invisible pour les yeux, rĂ©pĂ©ta le petit prince, afin de se souvenir.
- Câest le temps que tu a perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
- Câest le temps que jâai perdu pour ma rose⊠fit le petit prince, afin de se souvenir.
- Les hommes ont oubliĂ© cette vĂ©ritĂ©, dit le renard. Mais tu ne dois pas lâoublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisĂ©. Tu es responsable de ta roseâŠ
- Je suis responsable de ma rose⊠répéta le petit prince, afin de se souvenir.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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JĂ©rĂŽme Ferrari (OĂč j'ai laissĂ© mon Ăąme)
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Et moi aussi, je me suis senti prĂȘt Ă tout revivre. Comme si cette grande colĂšre m'avait purgĂ© du mal, vidĂ© d'espoir, devant cette nuit chargĂ©e de signes et d'Ă©toiles, je m'ouvrais pour la premiĂšre fois Ă la tendre indiffĂ©rence du monde. De l'Ă©prouver si pareil Ă moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais Ă©tĂ© heureux, et que je l'Ă©tais encore. Pour que tout soit consommĂ©, pour que je me sente moins seul, il me restait Ă souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exĂ©cution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.
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Albert Camus (The Stranger)
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On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute.
Si donc, je m'ennuie aujourd'hui d'une aventure qui m'a occupé entiÚrement depuis quatre mortels mois, ce n'est pas ma faute.
Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est surement beaucoup dire, il n'est pas Ă©tonnant que l'un ait fini en mĂȘme temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute.
Il suit de là , que depuis quelque temps je t'ai trompée: mais aussi ton impitoyable tendresse m'y forçait en quelque sorte! Ce n'est pas ma faute.
Aujourd'hui, une femme que j'aime Ă©perdument exige que je te sacrifie. Ce n'est pas ma faute.
Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure: mais si la Nature n'a accordé aux hommes que la constance, tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute.
Crois-moi, choisis un autre amant, comme j'ai fait une maĂźtresse. Ce conseil est bon, trĂšs bon; si tu le trouve mauvais, ce n'est pas ma faute.
Adieu, mon ange, je t'ai prise avec plaisir, je te quitte sans regrets: je te reviendrai peut-ĂȘtre. Ainsi va le monde. Ce n'est pas ma faute.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses)
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Le problĂšme c'est que ma tĂȘte n'est jamais reposĂ©e. Mon cerveau est une maison de campagne pour dĂ©mons. Ils y viennent souvent et de plus en plus nombreux. Ils se font des apĂ©ros Ă la liqueur de mes angoisses. Ils se servent de mon stress car ils savent que j'en ai besoin pour avancer. Tout est question de dosage. Trop de stress et mon corps explose. Pas assez, je me paralyse. Mais le dĂ©mon le plus violent, c'est bien moi. Surtout depuis que j'ai perdu la guerre mondiale de l'amour
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Mathias Malzieu (Le plus petit baiser jamais recensé)
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Vous ĂȘtes tout les deux les personnes que j'ai le plus aimĂ©es au monde et j'ai fait de mon mieux possible, croyez-le.
Serrez bien contre vous vos beaux enfants.
Lucile
PS : [...] Je sais bien que ça va vous faire de la peine mais c'est inéluctable à plus ou moins de temps et je préfÚre mourir vivante.
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Delphine de Vigan (Rien ne s'oppose Ă la nuit)
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Dire que j'ai gĂąchĂ© des annĂ©es de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui nâĂ©tait pas mon genre!
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Marcel Proust (Un amour de Swann (Ă la recherche du temps perdu, #1.2))
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J'ai tout donné au soleil.
Tout sauf mon ombre
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Guillaume Apollinaire (Alcools)
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J'ai consultĂ© mon tĂ©lĂ©phone: je n'avais aucun message. C'est Ă cela que servent les tĂ©lĂ©phones portables, Ă se rendre compte que personne ne pense Ă vous. Avant, on pouvait toujours rĂȘver que quelqu'un cherchait Ă vous joindre, Ă vous parler, Ă vous aimer. Nous vivons maintenant avec cet objet qui matĂ©rialise notre solitude.
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David Foenkinos (La tĂȘte de l'emploi)
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En quelque sorte, on avait lâair de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se dĂ©roulait sans mon intervention. Mon sort se rĂ©glait sans quâon prenne mon avis. De temps en temps, jâavais envie dâinterrompre tout le monde et de dire : «Mais tout de mĂȘme, qui est lâaccusĂ© ? Câest important dâĂȘtre lâaccusĂ©. Et jâai quelque chose Ă dire.» Mais rĂ©flexion faite, je nâavais rien Ă dire.
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Albert Camus (L'Ă©tranger)
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-Mon cher jeune homme, dit AglaĂ© en souriant, j'ai Ă©tĂ© professeur de chimie et je vous ferai remarquer qu'il peut y avoir des rĂ©actions en chaĂźne, qui partent trĂšs doucement et, s'alimentant elles-mĂȘmes, peuvent se terminer de façon violente.
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Boris Vian (L'Herbe rouge)
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Mon cas n'est pas unique : j'ai peur de mourir et je suis navrĂ©e d'ĂȘtre au monde. Je n'ai pas travaillĂ©, je n'ai pas Ă©tudiĂ©. J'ai pleurĂ©, j'ai criĂ©. Les larmes et les cris m'ont pris beaucoup de temps.
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Violette Leduc
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J'ai enfin compris pourquoi j'avais honte de m'asseoir dans la Cadillac de mon pĂšre! La raison de ma honte et de la rĂ©volution est la mĂȘme: la diffĂ©rence de classe sociale. Mais j'y pense...on a une bonne Ă la maison!!
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Marjane Satrapi (Persepolis, Volume 1)
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Jâai rĂ©flĂ©chi, je ne me fais pas dâillusions, je tâaime mais je nâai pas confiance en toi. Puisque ce que nous vivons nâest pas rĂ©el, alors câest un jeu. Je nâai plus lâĂąge de jouer Ă chat. Ne cherche pas Ă mâappeler, ni Ă savoir oĂč je suis, ni comment je vis, je crois que ce nâest plus le problĂšme. Jâai rĂ©flĂ©chi, je pense que câest la meilleure solution, faire comme toi, vivre de mon cĂŽtĂ© en tâaimant bien mais de loin. Je ne veux pas attendre tes coups de tĂ©lĂ©phone, je ne veux pas mâempĂȘcher de tomber amoureuse. Jâai rĂ©flĂ©chi, je veux bien essayer. Câest Ă prendre ou Ă laisserâŠ
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Anna Gavalda (Someone I Loved (Je l'aimais))
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Tant que mes jambes me permettent de fuir, tant que mes bras me permettent de combattre, tant que l'expĂ©rience que j'ai du monde me permet de savoir ce que je peux craindre ou dĂ©sirer, nulle crainte : je puis agir. Mais lorsque le monde des hommes me contraint Ă observer ses lois, lorsque mon dĂ©sir brise son front contre le monde des interdits, lorsque mes mains et mes jambes se trouvent emprisonnĂ©es dans les fers implacables des prĂ©jugĂ©s et des cultures, alors je frissonne, je gĂ©mis et je pleure. Espace, je t'ai perdu et je rentre en moi-mĂȘme. Je m'enferme au faite de mon clocher oĂč, la tĂȘte dans les nuages, je fabrique l'art, la science et la folie.
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Henri Laborit (Ăloge de la fuite)
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La rose complĂšte
Jâai une telle conscience de ton
ĂȘtre, rose complĂšte,
que mon consentement te confond
avec mon cĆur en fĂȘte.
Je te respire comme si tu Ă©tais,
rose, toute la vie,
et je me sens lâami parfait
dâune telle amie.
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Rainer Maria Rilke (The Complete French Poems of Rainer Maria Rilke)
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Rien n'est jamais acquis Ă l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un Ă©trange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble Ă ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-lĂ sans savoir nous regardent passer
Répétant aprÚs moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitĂŽt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs Ă l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux
Il n'y a pas d'amour qui ne soit Ă douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour Ă tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Ătrange Pays dans mon pays lui-mĂȘme)
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MĂ©content de tous et mĂ©content de moi, je voudrais bien me racheter et mâenorguiellir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Ămes de ceux que jâai aimĂ©s, Ăąmes de ceux que jâai chantĂ©s, fortifiez-moi, Ă©loignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptices du monde; et vous, Seigneur mon Dieu! accordez-moi la grĂące de produire quelques beaux vers qui me prouvent Ă moi mĂȘme que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas infĂ©rieur Ă ceux que je mĂ©prise.
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Rainer Maria Rilke (The Notebooks of Malte Laurids Brigge)
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Tout mâavale. Quand jâai les yeux fermĂ©s, câest par mon ventre que je suis avalĂ©e, câest dans mon
ventre que jâĂ©touffe. Quand jâai les yeux ouverts, câest parce que je vois que je suis avalĂ©e, câest dans
le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop
haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mĂšre.
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Réjean Ducharme (L'avalée des avalés)
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Je me tromperai enfin sur certains dĂ©tails plus importants. Mais ça, il faudra me le pardonner. Mon ami ne donnait jamais d'explications. Il me croyait peut-ĂȘtre semblable Ă lui. Mais moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons Ă travers les caisses. Je suis peut-ĂȘtre un peu comme les grandes personnes. J'ai dĂ» vieillir.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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A qui Ă©cris-tu?
-A toi. En fait, je ne t'Ă©cris pas vraiment, j'Ă©cris ce que j'ai envie de faire avec toi...
Il y avait des feuilles partout. Autour d'elle, Ă ses pieds, sur le lit. J'en ai pris une au hasard:
"...Pique-niquer, faire la sieste au bord d'une riviĂšre, manger des pĂȘches, des crevettes, des croissants, du riz gluant, nager, danser, m'acheter des chaussures, de la lingerie, du parfum, lire le journal, lĂ©cher les vitrines, prendre le mĂ©tro, surveiller l'heure, te pousser quand tu prends toute la place, Ă©tendre le linge, aller Ă l'OpĂ©ra, faire des barbecues, rĂąler parce que tu as oubliĂ© le charbon, me laver les dents en mĂȘme temps que toi, t'acheter des caleçons, tondre la pelouse, lire le journal par-dessus ton Ă©paule, t'empĂȘcher de manger trop de cacahuĂštes, visiter les caves de la Loire, et celles de la Hunter Valley, faire l'idiote, jacasser, cueillir des mĂ»res, cuisiner, jardiner, te rĂ©veiller encore parce que tu ronfles, aller au zoo, aux puces, Ă Paris, Ă Londres, te chanter des chansons, arrĂȘter de fumer, te demander de me couper les ongles, acheter de la vaisselle, des bĂȘtises, des choses qui ne servent Ă rien, manger des glaces, regarder les gens, te battre aux Ă©checs, Ă©couter du jazz, du reggae, danser le mambo et le cha-cha-cha, m'ennuyer, faire des caprices, bouder, rire, t'entortiller autour de mon petit doigt, chercher une maison avec vue sur les vaches, remplir d'indĂ©cents Caddie, repeindre un plafond, coudre des rideaux, rester des heures Ă table Ă discuter avec des gens intĂ©ressants, te tenir par la barbichette, te couper les cheveux, enlever les mauvaises herbes, laver la voiture, voir la mer, t'appeler encore, te dire des mots crus, apprendre Ă tricoter, te tricoter une Ă©charpe, dĂ©faire cette horreur, recueillir des chats, des chiens, des perroquets, des Ă©lĂ©phants, louer des bicyclettes, ne pas s'en servir, rester dans un hamac, boire des margaritas Ă l'ombre, tricher, apprendre Ă me servir d'un fer Ă repasser, jeter le fer Ă repasser par la fenĂȘtre, chanter sous la pluie, fuire les touristes, m'enivrer, te dire toute la vĂ©ritĂ©, me souvenir que toute vĂ©ritĂ© n'est pas bonne Ă dire, t'Ă©couter, te donner la main, rĂ©cupĂ©rer mon fer Ă repasser, Ă©couter les paroles des chansons, mettre le rĂ©veil, oublier nos valises, m'arrĂȘter de courir, descendre les poubelles, te demander si tu m'aimes toujours, discuter avec la voisine, te raconter mon enfance, faire des mouillettes, des Ă©tiquettes pour les pots de confiture..."
Et ça continuais comme ça pendant des pages et des pages...
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Anna Gavalda (Someone I Loved (Je l'aimais))
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La Courbe de tes yeux
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumiĂšre,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gĂźt toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
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Paul Ăluard (Capital of Pain)
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C'est là que j'ai passé des soirées assise sur mon lit à regarder mes manques droit dans les yeux, à les affronter un par un...
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Marie-Sissi LabrĂšche
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Je pensais ĂȘtre exilĂ© de mon pays. En revenant sur les traces de mon passĂ©, j'ai compris que je l'Ă©tais de mon enfance? Ce qui me paraĂźt bien plus cruel.
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Gaël Faye (Petit pays)
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J'ai rĂȘvĂ© que je dormais de mon dernier sommeil Ă cĂŽtĂ© d'elle, mon cĆur immobile contre le sien, ma joue glacĂ©e contre la sienne
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Emily Brontë (Les Hauts de Hurlevent, d'Emily Brontë. Volume 1)
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  Depuis que je suis en Europe, mon cher RhĂ©di, j'ai vu bien des gouvernements : ce n'est pas comme en Asie, oĂč les rĂšgles de la politique se trouvent partout les mĂȘmes.
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Montesquieu (Lettres persanes)
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Jâai claquĂ© la porte en laissant sur mon bureau la lettre de dĂ©mission la plus courte de lâhistoire. « Mes dossiers, tu peux te les fourrer dans le cul. Joyeuses FĂȘtes ! »
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Catherine Bourgault (On est pris avec le pÚre Noël !)
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j'ai rĂȘvĂ© , l'autre nuit, que mon corps Ă©tait des mots.
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Abdelkebir Khatibi (La Mémoire Tatouée)
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«⊠mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces ĂȘtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompĂ© en amour, souvent blessĂ© et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arriĂšre et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompĂ© quelquefois, mais j'ai aimĂ©. C'est moi qui ai vĂ©cu, et non pas un ĂȘtre factice crĂ©Ă© par mon orgueil et mon ennui.»
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Alfred de Musset
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Il y a donc de "bons" et de "mauvais" romans.
Le plus souvent, ce sont les seconds que nous trouvons d'abord sur notre route.
Et ma foi, quand ce fut mon tour d'y passer, j'ai le souvenir d'avoir trouvé ça "vachement bien". J'ai eu beaucoup de chance : on ne s'est pas moqué de moi, on n'a pas levé les yeux au ciel, on ne m'a pas traité de crétin. On a juste laissé traßner sur mon passage quelques "bons" romans en se gardant bien de m'interdire les autres.
C'Ă©tait la sagesse. (p. 182)
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Daniel Pennac (Comme un roman)
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- LE VICOMTE, suffoqué :
Ces grands airs arrogants !
Un hobereau qui... qui... n'a mĂȘme pas de gants !
Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses !
- CYRANO :
Moi, c'est moralement que j'ai mes élégances.
Je ne m'attife pas ainsi qu'un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
Je ne sortirais pas avec, par négligence,
Un affront pas trÚs bien lavé, la conscience
Jaune encore de sommeil dans le coin de son oeil,
Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d'indépendance, et de franchise ;
Ce n'est pas une taille avantageuse, c'est
Mon Ăąme que je cambre ainsi qu'en un corset,
Et tout couvert d'exploits qu'en rubans je m'attache,
Retroussant mon esprit ainsi qu'une moustache,
Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Sonner les vérités comme des éperons."
(Acte I, scĂšne IV)
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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O grande ville! c' est dans ton sein palpitant que j'ai trouve ce que je cherchais; mineur patient, j'ai remue tes entrailles pour en faire sortir le mal; maintenant, mon oeuvre est accomplie, ma mission est terminee; maintenant tu ne peux plus m'ofrir ni joies ni douleurs. Adieu, Paris,! adieu!
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Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo: Tome 1)
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S'identifier Ă l'univers mĂȘme. Tout ce qui est moindre que l'univers est soumis Ă la souffrance.
J'ai beau mourir, l'univers continu. Cela ne me console pas si je suis autre que l'univers. Mais si l'univers est Ă mon Ăąme comme un autre corps, ma mort cesse d'avoir pour moi plus d'importance que celle d'un inconnu. De mĂȘme les souffrances.
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Simone Weil (La pesanteur et la grace (annoté-illustré): Des citations fulgurantes (French Edition))
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Sonnet VIII
Je vis, je meurs : je me brûle et me noie,
Jâai chaud extrĂȘme en endurant froidure ;
La vie mâest et trop molle et trop dure,
Jâai grands ennuis entremĂȘlĂ©s de joie.
Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment jâendure,
Mon bien sâen va, et Ă jamais il dure,
Tout en un coup je sĂšche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mĂšne
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie ĂȘtre certaine,
Et ĂȘtre en haut de mon dĂ©sirĂ© heur,
Il me remet en mon premier malheur.
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Louise LabĂ© (Ćuvres complĂštes: Sonnets, Elegies, DĂ©bat de folie et d'amour)
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De guiche.
"Portez-les-lui."
Cyrano, tenté et un peu charmé.
"VraimentâŠ"
De guiche.
"Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques versâŠ"
Cyrano, dont le visage sâest immĂ©diatement rembruni.
"Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
En pensant quâon y peut changer une virgule."
De guiche.
"Mais quand un vers lui plaĂźt, en revanche, mon cher,
Il le paye trĂšs cher."
Cyrano.
"Il le paye moins cher
Que moi, lorsque jâai fait un vers, et que je lâaime,
Je me le paye, en me le chantant Ă moi-mĂȘme !"
De guiche.
"Vous ĂȘtes fier."
Cyrano.
"Vraiment, vous lâavez remarquĂ© ?
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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En ce temps que j'ai dit devant,
Sur le Noël, morte saison,
Que les loups se vivent de vent
Et qu'on se tient en sa maison,
Pour le frimas, prĂšs du tison,
Me vint un vouloir de briser
La trĂšs amoureuse prison
Qui faisoit mon cĆur dĂ©briser.
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François Villon (Le Lais (French Edition))
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J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-pÚre, il y en avait partout ; défense était de les faire épousseter sauf une fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà , je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothÚque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait...
â
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Jean-Paul Sartre
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- LE VICOMTE, suffoqué :
Ces grands airs arrogants !
Un hobereau qui... qui... n'a mĂȘme pas de gants !
Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses !
- CYRANO :
Moi, c'est moralement que j'ai mes élégances.
Je ne m'attife pas ainsi qu'un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
Je ne sortirais pas avec, par négligence,
Un affront pas trÚs bien lavé, la conscience
Jaune encore de sommeil dans le coin de son oeil,
Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d'indépendance et de franchise ;
Ce n'est pas une taille avantageuse, c'est
Mon Ăąme que je cambre ainsi qu'en un corset,
Et tout couvert d'exploits qu'en rubans je m'attache,
Retroussant mon esprit ainsi qu'une moustache,
Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Sonner les vérités comme des éperons.
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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Mais surtout, surtout Jonathan, un matin oĂč passait le facteur, un petit matin gros et froid, un matin oĂč il ouvrait sa grande sacoche jaune et pleine; soufflant de la buĂ©e en cherchant le courrier, j'ai ressenti un frisson qui a couru tout mon corps et m'a effarĂ©e. Un frisson qui m'a gelĂ©e sur place, un frisson qui s'est transformĂ© en Ă©clair et m'a foudroyĂ© la nuque : j'ai compris que j'attendais vos lettres, j'attendais vos mots, j'attendais vos descriptions d'auberges, de routes, de famille française, de soupe au chou...
J'Ă©tais en train de vous attendre.
J'allais donc souffrir de vous.
Et je ne veux plus souffrir Jonathan.
En ce mois de décembre, j'ai couru à Paris, j'ai couru dans Fécamps, j'ai couru dans ma maison, j'ai couru dans la librairie pour me sauver de vous, vous abandonner sur vos petites routes aux arbres secs et noirs.
J'avais peur
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Katherine Pancol (Un homme Ă distance)
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En rentrant hier soir dans mon appartement, jâai aperçu dâemblĂ©e quâil manquait quelque chose. Câest cela qui mâest venu Ă lâesprit en premier : il manque quelque chose. Jâai contemplĂ© un paysage clairsemĂ©. Je nâai pas pensĂ©Â : il manque quelquâun.
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Philippe Besson (Son frĂšre)
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Chacun se présentait : nom, ùge, diagnostic et humeur du jour. Je m'appelle Hazel, avais-je dit quand mon tour était arrivé. J'ai seize ans. Cancer de la thyroïde à l'origine, mais mes poumons sont truffés de métastases depuis longtemps. Sinon ça va.
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John Green (The Fault in Our Stars)
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Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
Ă la douleur que j'ai, que j'ai!
Tous les étangs gisent gelés,
Mon Ăąme est noire: OĂč vis-je? OĂč vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle NorvĂšge
D'oĂč les blonds ciels s'en sont allĂ©s.
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
Ă tout l'ennui que j'ai, que j'ai!...
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Ămile Nelligan Soir d'hiver
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Je dois dire qu'en dehors des cas oĂč elle m'exposa au ridicule, cette timiditĂ© insurmontable n'a jamais tournĂ© Ă mon dĂ©savantage. Bien au contraire, j'ai mis ce handicap Ă profit en apprenant Ă devenir concis.
Jadis je cherchais mes mots. Aujourd'hui je prends plaisir à en réduire le nombre.
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Mahatma Gandhi (Non-Violent Resistance (Satyagraha))
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J'ai Ă©tĂ© nourri aux lettres dĂšs mon enfance, et pour ce qu'on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquĂ©rir une connaissance claire et assurĂ©e de tout ce qui est utile Ă la vie, j'avais un extrĂȘme dĂ©sir de les apprendre. Mais sitĂŽt que j'eus achevĂ© tout ce cours d'Ă©tudes au bout duquel on a coutume d'ĂȘtre reçu au rang des doctes, je changeai entiĂšrement d'opinion. Car je me trouvais embarassĂ© de tant de doutes et d'erreurs qu'il me semblait n'avoir fait autre profit en tachant de m'instruire, sinon que j'avais dĂ©couvert de plus en plus mon ignorance. (1ere partie, para 6)
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René Descartes (Discours de la méthode: suivi des Méditations métaphysiques)
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Ma Solitude
Pour avoir si souvent dormi
Avec ma solitude
Je m'en suis fait presqu'une amie
Une douce habitude
Ell' ne me quitte pas d'un pas
FidĂšle comme une ombre
Elle m'a suivi çà et lĂ
Aux quatre coins du monde
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Quand elle est au creux de mon lit
Elle prend toute la place
Et nous passons de longues nuits
Tous les deux face Ă face
Je ne sais pas vraiment jusqu'oĂč
Ira cette complice
Faudra-t-il que j'y prenne goût
Ou que je réagisse?
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Par elle, j'ai autant appris
Que j'ai versé de larmes
Si parfois je la répudie
Jamais elle ne désarme
Et si je préfÚre l'amour
D'une autre courtisane
Elle sera Ă mon dernier jour
Ma derniĂšre compagne
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
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Georges Moustaki
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_ (Omar ibn el Khattab) lorsque j'ai entendu le ProphĂšte, que la grĂące de Dieu lui soit assurĂ©e, nous dire: "Aujourd'hui j'ai parachevĂ© mon bienfait Ă votre Ă©gard", certe oui, j'ai pleurĂ©. Ce mĂȘme jour d'Arafat, le ProphĂšte m'a demandĂ© la raison de mes pleurs, j'ai rĂ©pondu: " Ce qui me fait pleurer, c'est que, jusqu'Ă prĂ©sent, nous Ă©tions dans un accroissement constant dans notre religion, mais si, Ă prĂ©sent, elle est achevĂ©e, il faut dire qu'il n' y a pas de choses qui atteignent leur plĂ©nitude sans que, par la suite, elles ne s'amoindrissent!" Et le ProphĂšte m'ayant Ă©coutĂ© a rĂ©pondu aprĂšs un long moment: "Certes, Omar, tu as dis vrai!
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Assia Djebar (Loin de MĂ©dine)
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Petit Ă petit, j'ai la impression que le goĂ»t de la lecture prend de plus en plus de place. Il me permet de me trouver seul avec une histoire, dans un coin du parc o sur mon lit. Ce que j'aime par-dessus tout, c'est cette possibilitĂ© que j'ai de m'arrĂȘter, de revenir en arriĂšre et de relire autant de fois que j'ai le dĂ©sire.
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Robert Bober (Quoi de neuf sur la guerre?)
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Jâai toujours imaginĂ© que la franchise et un certain amour de la vĂ©ritĂ© faisaient partie du fondement mĂȘme de mon caractĂšre. Or me voici impliquĂ© dans une relation qui fait du mensonge, de la ruse et de la dissimulation des nĂ©cessitĂ©s presque quotidiennes et Ă ma grande surprise, je dĂ©couvre que je ne suis pas si mauvais que ça
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Hjalmar Söderberg (Den allvarsamma leken)
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De mĂȘme, ces obsĂ©dĂ©s des points de suspension semblent vous dire : ah, si on me laissait faire, vous verriez cette superbe description que je vous brosserais lĂ , et ce dialogue percutant, et cette analyse brillante. J'ai tout ça au bout des doigts, mais bon je me retiens. pour cette fois ! On a envie de leur suggĂ©rer Ă l'oreille : laissez-vous donc tenter, mon vieux, ne muselez plus ainsi ce gĂ©nie qu'on devine en vous et qui ne demande qu'Ă nous exploser Ă la gueule. LĂąchez-vous et le monde de la littĂ©rature en sera sous le choc, je vous le garantis.
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Anne-Laure Bondoux (Et je danse, aussi)
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Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai compris qu'en toutes circonstances,
JâĂ©tais Ă la bonne place, au bon moment.
Et alors, j'ai pu me relaxer.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle...
l'Estime de soi.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai pu percevoir que mon anxiĂ©tĂ© et ma souffrance Ă©motionnelle
NâĂ©taient rien d'autre qu'un signal
Lorsque je vais Ă l'encontre de mes convictions.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle... l'Authenticité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
J'ai cessé de vouloir une vie différente
Et j'ai commencé à voir que tout ce qui m'arrive
Contribue Ă ma croissance personnelle.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la Maturité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai commencĂ© Ă percevoir l'abus
Dans le fait de forcer une situation ou une personne,
Dans le seul but d'obtenir ce que je veux,
Sachant trĂšs bien que ni la personne ni moi-mĂȘme
Ne sommes prĂȘts et que ce n'est pas le moment...
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... le Respect.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai commencĂ© Ă me libĂ©rer de tout ce qui n'Ă©tait pas salutaire, personnes,
situations, tout ce qui baissait mon Ă©nergie.
Au début, ma raison appelait cela de l'égoïsme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... l'Amour propre.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© d'avoir peur du temps libre
Et j'ai arrĂȘtĂ© de faire de grands plans,
Jâai abandonnĂ© les mĂ©ga-projets du futur.
Aujourd'hui, je fais ce qui est correct, ce que j'aime
Quand cela me plait et Ă mon rythme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la Simplicité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© de chercher Ă avoir toujours raison,
Et je me suis rendu compte de toutes les fois oĂč je me suis trompĂ©.
Aujourd'hui, j'ai découvert ... l'Humilité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© de revivre le passĂ©
Et de me préoccuper de l'avenir.
Aujourd'hui, je vis au présent,
LĂ oĂč toute la vie se passe.
Aujourd'hui, je vis une seule journée à la fois.
Et cela s'appelle... la Plénitude.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai compris que ma tĂȘte pouvait me tromper et me dĂ©cevoir.
Mais si je la mets au service de mon coeur,
Elle devient une alliée trÚs précieuse !
Tout ceci, c'est... le Savoir vivre.
Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter.
Du chaos naissent les Ă©toiles.
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Charlie Chaplin
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Mais comment font ces autres Ă qui tout rĂ©ussit? Quâon me dise mes fautes, mes chimĂšres aussi. Moi jâoffrirais mon Ăąme, mon coeur et tout mon temps, mais jâai beau tout donner, tout nâest pas suffisant.
...
Sâil suffisait quâon sâaime, sâil suffisait dâaimer, si lâon changeait les choses un peu, rien quâen aimant donner. Sâil suffisait quâon sâaime, sâil suffisait dâaimer, je ferais de ce monde un rĂȘve, une Ă©ternitĂ©.
â
â
CĂ©line Dion
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Dans tes yeux mon enfant
j'ai lu l'exil.
Toi? qui es né
Loin du pays,
Tes cheveux ont la couleur de l'olive
A laquelle nous n'avons plus
Le droit de toucher.
Dans l'éclat de tes dents serrées,
Mon enfant,
Je regarde
Des milliers d'étoiles calcinées,
Nos terres volées,
Nos maisons bombardées,
Des bouquets de poings
Tombants sous les orangers.
Dans le mercure de tes larmes,
Mon enfant,
J'ai lu lâexil,
L'exil d'un peuple.
â
â
Mokhtar El Amraoui
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Lorsque jâai commencĂ© Ă voyager en Gwendalavir aux cĂŽtĂ©s d'EwĂŹlan et de Salim, je savais que, au fil de mon Ă©criture, ma route croiserait celle d'une multitude de personnages. Personnages attachants ou irritants, discrets ou hauts en couleurs, pertinents ou impertinents, sympathiques ou malĂ©fiques... Je savais cela et je m'en rĂ©jouissais.
Rien, en revanche, ne m'avait préparé à une rencontre qui allait bouleverser ma vie.
Rien ne m'avait préparé à Ellana.
Elle est arrivĂ©e dans la QuĂȘte Ă sa maniĂšre, tout en finesse tonitruante, en dĂ©licatesse remarquable, en discrĂ©tion Ă©tincelante. Elle est arrivĂ©e Ă un moment clef, elle qui se moque des serrures, Ă un moment charniĂšre, elle qui se rit des portes, au sein dâun groupe constituĂ©, elle pourtant pĂ©trie dâindĂ©pendance, son caractĂšre forgĂ© au feu de la solitude.
Elle est arrivĂ©e, s'est glissĂ©e dans la confiance d'Ewilan avec l'aisance d'un songe, a captĂ© le regard dâEdwin et son respect, a sĂ©duit Salim, conquis maĂźtre Duom... Je lâai regardĂ©e agir, admiratif ; sans me douter un instant de la toile que sa prĂ©sence, son charisme, sa beautĂ© tissaient autour de moi.
Aucun calcul de sa part. Ellana vit, elle ne calcule pas. Elle s'est contentĂ©e d'ĂȘtre et, ce faisant, elle a tranquillement troquĂ© son statut de personnage secondaire pour celui de figure emblĂ©matique d'une double trilogie qui ne portait pourtant pas son nom. Convaincue du pouvoir de l'ombre, elle n'a pas cherchĂ© la lumiĂšre, a Ă©paulĂ© Ewilan dans sa quĂȘte d'identitĂ© puis dans sa recherche d'une parade au danger qui menaçait l'Empire.
Sans elle, Ewilan n'aurait pas retrouvĂ© ses parents, sans elle, l'Empire aurait succombĂ© Ă la soif de pouvoir des Valinguites, mais elle nâen a tirĂ© aucune gloire, trop Ă©quilibrĂ©e pour ignorer que la victoire s'appuyait sur les Ă©paules d'un groupe de compagnons soudĂ©s par une indĂ©fectible amitiĂ©.
Lorsque j'ai posé le dernier mot du dernier tome de la saga d'Ewilan, je pensais que chacun de ses compagnons avait mérité le repos. Que chacun d'eux allait suivre son chemin, chercher son bonheur, vivre sa vie de personnage libéré par l'auteur aprÚs une éprouvante aventure littéraire.
Chacun ?
Pas Ellana.
Impossible de la quitter. Elle hante mes rĂȘves, se promĂšne dans mon quotidien, fluide et insaisissable, transforme ma vision des choses et ma perception des autres, crochĂšte mes pensĂ©es intimes, escalade mes dĂ©sirs secrets...
Un auteur peut-il tomber amoureux de l'un de ses personnages ?
Est-ce moi qui ai crĂ©Ă© Ellana ou n'ai-je vraiment commencĂ© Ă exister que le jour oĂč elle est apparue ? Nos routes sont-elles liĂ©es Ă jamais ?
â Il y a deux rĂ©ponses Ă ces questions, souffle le vent Ă mon oreille. Comme Ă toutes les questions. Celle du savant et celle du poĂšte.
â Celle du savant ? Celle du poĂšte ? Qu'est-ce que...
â Chut... Ăcris.
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Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
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C'est dans ma neuviĂšme annĂ©e que j'ai appris le hollandais. A cette Ă©poque-lĂ , j'avais un papa, un chic type dans mon genre, qui voulait que ses enfants rĂ©ussissent dans la vie. Lui n'avait pas beaucoup travaillĂ© Ă l'Ă©cole ; ce qui ne l'empĂȘchait pas, tous les Ă©tĂ©s, de nous acheter Ă ma sĆur Christine et Ă moi des "cahiers de vacances". Le lundi soir, elle avait dĂ©jĂ fait son cahier jusqu'au jeudi. Moi, je n'ai jamais pu terminer le mien.
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Marie-Aude Murail (Le hollandais sans peine)
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Jâai toujours pensĂ© que lâhomme naĂźt avec des goĂ»ts absolus et avec tous les germes de son caractĂšre futur ; son but est prĂ©cisĂ©ment de rĂ©aliser son caractĂšre. Tout le mal vient de ce que les circonstances mettent parfois des obstacles Ă cette rĂ©alisation. Je passais en revue toutes mes mauvaises actions, tous les actes qui autrefois troublaient ma conscience, et je pus constater que tous provenaient du dĂ©saccord entre mon caractĂšre et la vie que jâai menĂ©e.
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â
Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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Câest alors que tout a vacillĂ©. La mer a charriĂ©
un souffle Ă©pais et ardent. Il mâa semblĂ© que le ciel sâouvrait sur
toute son Ă©tendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon ĂȘtre
sâest tendu et jâai crispĂ© ma main sur le revolver. La gĂąchette a
cĂ©dĂ©, jâai touchĂ© le ventre poli de la crosse et câest lĂ , dans le
bruit Ă la fois sec et assourdissant, que tout a commencĂ©. Jâai
secouĂ© la sueur et le soleil. Jâai compris que jâavais dĂ©truit
lâĂ©quilibre du jour, le silence exceptionnel dâune plage oĂč jâavais
Ă©tĂ© heureux. Alors, jâai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles sâenfonçaient sans quâil y parĂ»t. Et câĂ©tait comme
quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur
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Albert Camus (The Stranger)
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Toute ma vie, j'ai été habitué à ce que les autres se trompent sur mon compte. C'est le lot de tout homme public. Il lui faut une solide cuirasse; car s'il fallait donner des explications pour se justifier quand on se méprend sur vos intentions, la vie deviendrait insupportable. Je me suis fait une rÚgle de ne jamais intervenir pour rectifier ce genre d'erreur, à moins que ne l'exige la cause que je défends. Ce principe m'a épargné bien du temps et bien des tracas.
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Mahatma Gandhi (Non-Violent Resistance (Satyagraha))
â
Je le vis, je rougis, je pĂąlis Ă sa vue ;
Un trouble sâĂ©leva dans mon Ăąme Ă©perdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus VĂ©nus et ses feux redoutables,
Dâun sang quâelle poursuit tourments inĂ©vitables !
Par des vĆux assidus je crus les dĂ©tourner :
Je lui bĂątis un temple, et pris soin de lâorner ;
De victimes moi-mĂȘme Ă toute heure entourĂ©e,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
Dâun incurable amour remĂšdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brĂ»lait lâencens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
Jâadorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
MĂȘme au pied des autels que je faisais fumer,
Jâoffrais tout Ă ce dieu que je nâosais nommer.
Je lâĂ©vitais partout. Ă comble de misĂšre !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pĂšre.
Contre moi-mĂȘme enfin jâosai me rĂ©volter :
Jâexcitai mon courage Ă le persĂ©cuter.
Pour bannir lâennemi dont jâĂ©tais idolĂątre,
Jâaffectai les chagrins dâune injuste marĂątre ;
Je pressai son exil ; et mes cris Ă©ternels
LâarrachĂšrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, ĆNONE ; et, depuis son absence,
Mes jours moins agitĂ©s coulaient dans lâinnocence :
Soumise Ă mon Ă©poux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon Ă©poux lui-mĂȘme Ă TrĂ©zĂšne amenĂ©e,
Jâai revu lâennemi que jâavais Ă©loignĂ© :
Ma blessure trop vive aussitÎt a saigné.
Ce nâest plus une ardeur dans mes veines cachĂ©e :
Câest VĂ©nus tout entiĂšre Ă sa proie attachĂ©e.
Jâai conçu pour mon crime une juste terreur ;
Jâai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ;
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je nâai pu soutenir tes larmes, tes combats :
Je tâai tout avouĂ© ; je ne mâen repens pas.
Pourvu que, de ma mort respectant les approches,
Tu ne mâaffliges plus par dâinjustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prĂȘt Ă sâexhaler.
â
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Jean Racine (PhĂšdre)
â
Toute ma vie fut la promesse
De cette rencontre avec toi.
Câest Dieu qui tâenvoie, je le sais
Pour me garder jusquâĂ la mortâŠ
Tu apparaissais dans mes rĂȘves ;
Sans te voir je te chérissais
Ton regard me faisait languir,
Ta voix résonnait dans mon ùme
Depuis toujours⊠En vérité
Je tâai reconnu tout de suite.
Ce fut pour moi un froid, un feu,
Et dans mon cĆur, jâai dit : câest lui !
Je tâentendais dans le silence,
Quand jâallais secourir les pauvres
Ou quand la priĂšre apaisait
Lâangoisse de mon Ăąme en peine.
â
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Alexander Pushkin (Eugene Onegin)
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Quelle bouillie, quelle bouillie ! Il faut mettre de l'ordre dans ma tĂȘte. Depuis qu'ils m'ont coupĂ© la langue, une autre langue, je ne sais pas, marche sans arrĂȘt dans mon crĂąne, quelque chose parle, ou quel-qu'un, qui se tait soudain et puis tout recommence ĂŽ j'entends trop de choses que je ne dis pourtant pas, quelle bouillie, et si j'ouvre la bou-che, c'est comme un bruit de cailloux remuĂ©s. De l'ordre, un ordre, dit la langue, et elle parle d'autre chose en mĂȘme temps, oui j'ai toujours dĂ©sirĂ© l'ordre !!
â
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Albert Camus (Exile and the Kingdom)
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Pour la premiÚre fois de ma vie, mon passé me surprend. J'ai envie de parler en silence. De me parler. J'ai envie que ce jeune type qui ne sait pas ce qui l'attend mais qui porte son sourire comme un laissez-passer s'avance vers moi. J'aimerais le voir arriver vers moi avec mes vingt ans de moins, s'asseoir à mes cÎtés, me sourire timidement, mettre ses mains dans ses poches et garder le silence. J'aimerais que ce jeune type avec mes vingt de moins ne me juge pas. J'aimerais qu'il me pardonne de l'avoir trahi.
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David . Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Chers Amis,
Ce que vous avez pris pour mes oeuvres nâĂ©tait que les dĂ©chets de moi-mĂȘme, ces raclures de lâĂąme que lâhomme normal nâaccueille pas.
Que mon mal depuis lors ait reculĂ© ou avancĂ©, la question pour moi nâest pas lĂ , elle est dans la douleur et la sidĂ©ration persistante de mon esprit.
Me voici de retour Ă M..., oĂč jâai retrouvĂ© la sensation dâengourdissement et de vertige, ce besoin brusque et fou de sommeil, cette perte soudaine de mes forces avec un sentiment de vaste douleur, dâabrutissement instantanĂ©.
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Antonin Artaud (L'Ombilic des Limbes: suivi de Le PĂšse-nerfs et autres textes)
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Gamberge
Tu gamberges. Tu regardes ta vie. Ăa ne colle pas. Alors tu dĂ©primes. Combien de vies ratĂ©es pour une vie rĂ©ussie ? C'est quoi, les proportions ? Qu'est-ce que j'ai mal fait pour en arriver lĂ ? C'est quand, que j'ai merdĂ© ? J'ai encore le temps de me rattraper ? Combien de chances il me reste pour m'en sortir pas trop mal ? Elle peut encore changer, ma vie ? Je ne suis pas fait pour cette vie-lĂ ? Ăa se change, une vie ? Je veux dire, ça se change vraiment ? C'est quoi, le problĂšme ? C'est ma nĂ©vrose ? Comment on fait pour tordre une nĂ©vrose ? J'ai mangĂ© mon pain blanc, alors ? JE l'ai mangĂ© sans m'en rendre compte, c'est ça ? Je vais encore ramer longtemps comme ça ? C'est encore loin, l'AmĂ©rique ? Est-ce qu'un jour moi aussi je mĂąchouillerai un brin d'herbe sous un saule en me disant que la vie est belle ? Qu'elle est sacrement belle ? Faut que j'arrĂȘte de gamberger, c'est pas bon.
â
â
David . Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
â
Un peu comme lorsque je rentre d'un voyage quelque part et que tout le monde me demande comment c'Ă©tait : peu Ă peu mes diffĂ©rentes rĂ©ponses n'en font plus qu'une, mes impressions se resserrent sur elles-mĂȘmes, ouais, c'est cool, lĂ -bas, et tiens, une anecdote marrante... puis ce discours unique se substitue Ă la rĂ©alitĂ© du souvenir.
Du coup, j'ai franchement eu peur. J'ai ressenti cette crainte familiÚre, soudainement intense et sincÚre, qu'une fois toute sensation échappée de ma vie, il ne reste plus de celle-ci qu'un cliché. Et le jour de ma mort, saint Pierre me demanderait :
- C'Ă©tait comment ?
- Vraiment super, en bas. J'aimais bien la bouffe. m'enfin, avec la tourista... Bon, les gens sont tous trĂšs sympas quand mĂȘme.
Et ça serait tout. (...)
Et j'ai décidé de raconter quelque chose de nouveau sur mon séjour à chaque personne qui voudrait que je lui en parle, sans me répéter une seule fois.
â
â
Benjamin Kunkel (Indecision)
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Un trĂšs vieil ami de mon pĂšre, sorti premier de l'Ăcole normale, avait dĂ» Ă cet exploit de dĂ©buter dans un quartier de Marseille : quartier pouilleux, peuplĂ© de misĂ©rables oĂč nul n'osait se hasarder la nuit. Il y resta de ses dĂ©buts Ă sa retraite, quarante ans dans la mĂȘme classe, quarante ans sur la mĂȘme chaise.
Et comme un soir mon pĂšre lui disait :
« Tu n'as donc jamais eu d'ambition ?
- Oh mais si ! dit-il, j'en ai eu ! Et je crois que j'ai bien rĂ©ussi ! Pense qu'en vingt ans, mon prĂ©dĂ©cesseur a vu guillotiner six de ses Ă©lĂšves. Moi, en quarante ans, je n'en ai eu que deux, et un graciĂ© de justesse. Ăa valait la peine de rester lĂ . »
â
â
Marcel Pagnol (La Gloire de mon pĂšre)
â
Ma bohĂšme
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! lĂ ! lĂ ! que d'amours splendides j'ai rĂȘvĂ©es !
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rĂȘveur, j'Ă©grenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge Ă©tait Ă la Grande-Ourse.
- Mes Ă©toiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les Ă©coutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre oĂč je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
OĂč, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les Ă©lastiques
De mes souliers blessés, un pied prÚs de mon coeur !
â
â
Arthur Rimbaud (Poésies)
â
L'Amour qui n'est pas un mot
Mon Dieu jusqu'au dernier moment
Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme
Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme
Comment se pourrait-il comment
Comment se pourrait-il qu'on aime
Ou comment nommer ce tourment
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenĂȘtres
Tu me rends la caresse d'ĂȘtre
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaĂźtre
Notre histoire jusqu'Ă la fin
C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble
Que la lumiĂšre sur ta joue
Qu'autour de toi le vent se joue
Toujours si je te vois je tremble
Comme Ă son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble
M'habituer m'habituer
Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué
Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme
S'ils s'habituaient aux nuées
Pour la premiĂšre fois ta bouche
Pour la premiĂšre fois ta voix
D'une aile Ă la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche
C'est toujours la premiĂšre fois
Quand ta robe en passant me touche
Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la tends
Ma vie en vérité commence
Le jour que je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'as montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fiĂšvres
Et j'ai flambé comme un geniÚvre
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lÚvre
Ma vie est Ă partir de toi
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Louis Aragon
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Le camion n'est plus qu'un point. Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sĂ©vĂšres. Le paysage se rĂ©vĂšle, intense. Le pays me saute au visage. c'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La prĂ©sence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquĂȘte qui rend jouissance des choses.
Il fait -33°. Le camion s'est fondu Ă la brume. Le silence descend du ciel sous la forme de petits copeaux blancs. Ătre seul, c'est entendre le silence. Une rafale. Le grĂ©sil brouille la vue. Je pousse un hurlement. J'Ă©carte les bras, tends mon visage au vide glacĂ© et rentre au chaud.
J'ai atteint le débarcadÚre de ma vie.
Je vais enfin savoir si j'ai une vie intérieure.
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Sylvain Tesson (Dans les forĂȘts de SibĂ©rie)
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Ma liberté
Longtemps je t'ai gardée
Comme une perle rare
Ma liberté
c'est toi qui m'as aidé
A larguer les amarres
Pour aller n'importe oĂč
Pour aller jusqu'au bout
Des chemins de fortune
Pour cueillir en rĂȘvant
Une rose des vents
Sur un rayon de lune
Ma liberté
Devant tes volontés
Mon Ăąme Ă©tait soumise
Ma liberté
je t'avais tout donné
Ma derniĂšre chemise
Et combien j'ai souffert
Pour pouvoir satisfaire
Tes moindres exigences
J'ai changé de pays
J'ai perdu mes amis
Pour gagner ta confiance
Ma liberté
Tu as su désarmer
Toutes mes habitudes
Ma liberté
toi qui m'as fait aimer
MĂȘme la solitude
Toi qui m'as fait sourire
Quand je voyais finir
Une belle aventure
Toi qui m'as protégé
Quand j'allais me cacher
Pour soigner mes blessures
Ma liberté
Pourtant je t'ai quittée
Une nuit de décembre
J'ai déserté les chemins écartés
Que nous suivions ensemble
Lorsque sans me méfier
Les pieds et poings liés
Je me suis laissé faire
Et je t'ai trahie pour
Une prison d'amour
Et sa belle geĂŽliĂšre
Et je t'ai trahie pour
Une prison d'amour
Et sa belle geĂŽliĂšre
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Georges Moustaki
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A un moment jâai mĂȘme laissĂ© Ă©chapper un son qui sâest prolongĂ© malgrĂ© moi en prenant de plus en plus de force, un son qui avait attendu ce jour prĂ©cis pour partir du fond de mes annĂ©es de tĂ©nĂšbres Ă mal aimer des hommes qui mâont mal aimĂ©e en retour et recouvrir ta poitrine comme une brĂ»lure ; câĂ©tait dâabord un son rauque et traĂźnant, une plainte animale qui nâavait rien du sanglot et qui en un vĂ©ritable appel Ă la mort. A ce moment tout sâest arrĂȘtĂ©, je me suis soudain rappelĂ© cette mĂȘme scĂšne vĂ©cu avec toi alors quâon venait de se rencontrer ; ce hurlement avait dĂ©jĂ eu lieu et sa rĂ©pĂ©tition implacable mâa fait taire une fois pour toute. A ce moment aussi tu tâes Ă©cartĂ© de moi, sans doute pour la mĂȘme raison, tu tâes levĂ© dans une brusquerie qui a dĂ©logĂ© OrĂ©o de la chaise de ton bureau. Ne voulant pas te regarder dans les yeux, jâai regardĂ© tes pieds. Mon hurlement avait tracĂ© une ligne infranchissable entre nous, en hurlant je venais de sonner le glas de notre histoire. Tu as dit des paroles que tu avais dĂ©jĂ prononcĂ©es en dâautres circonstances et je suis partie, je savais que plus jamais on ne se reparlerait.
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Nelly Arcan (Folle)
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Mais comment? Comment fais-tu pour surmonter ça, mon chéri? lui avait-elle demandé. Tu as enduré tellement d'épreuves, mais tu es toujours content. Comment fais-tu?
-J'ai choisi de l'ĂȘtre, avait-il rĂ©pondu. Je peux laisser ruiner mon passĂ©, consacrer mon temps Ă haĂŻr les gens pourc e qu'ils m'ont fait, comme mon pĂšre l'a fait, ou je peux pardonner et oublier.
-Mais ce n'est pas si facile."
Il avait sourit, de son sourire de Franck.
"Oui, mais, Trésor, c'est tellement moins fatigant; Il suffit de pardonner une fois. Tandis que la rancune, il faut l'entretenir à longueur de journée, et recommencer tous les jours. Il faudrait que je fasse une liste pour m'assurer que je hais bien tous ceux qui m'ont causé du tort. Non, avait-il ajouté, on a tous la possibilité de pardonner.
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M.L. Stedman (The Light Between Oceans)
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Jâai arpentĂ© les galeries sans fin des grandes bibliothĂšque, les rues de cette ville qui fĂ»t la nĂŽtre, celle oĂč nous partagions presque tous nos souvenirs depuis lâenfance. Hier, jâai marchĂ© le long des quais, sur les pavĂ©s du marchĂ© Ă ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrĂȘtĂ© par-ci par-lĂ , il me semblait que tu mâaccompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar prĂšs du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ?
Je ne sais pas oĂč tu es. Je ne sais pas si tout ce que nous avons vĂ©cu avait un sens, si la vĂ©ritĂ© existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que jâai tenu ma promesse, celle que je tâai faite.
A mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens dâĂ©crire, en amitiĂ© on ne doit rien. Mais voici nĂ©anmoins ma requĂȘte : Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, jâai arpentĂ© les mĂȘmes rues, ri avec toi autour des mĂȘmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles oĂč nous avons posĂ© nos mais et nos regards contient Ă jamais une part de notre histoire. Dis-lui, que jâĂ©tais ton ami, que tu Ă©tais mon frĂšre, peut-ĂȘtre mieux encore puisque nous nous Ă©tions choisis, dis-lui que rien nâa jamais pu nous sĂ©parer, mĂȘme votre dĂ©part si soudain.
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Marc Levy (La prochaine fois)
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- Alors ?
- J'ai du plaisir Ă sentir mon corps se remettre Ă fonctionner, Salim. Je me dĂ©lecte de mes enjambĂ©es qui se fluidifient, du frottement de mes bras contre mon torse, de l'oxygĂšne qui entre dans mes poumons, j'apprĂ©cie mĂȘme la douleur dans mes muscles et mon souffle court... Comprends-tu ?
- Je crois, oui, répondit Salim soudain attentif.
- Alors Ă©coute la suite. Je dĂ©sire marcher pour redevenir moi-mĂȘme mais, par-dessus tout, je dĂ©sire dĂ©couvrir un trajet que j'ai effectuĂ© dans tes bras et dont je ne garde pas le moindre souvenir. Si j'en Ă©tais capable, je l'accomplirais en te portant sur mon dos pour comprendre la force qui t'a soutenu, sans boire et sans manger, sans certitude pour motiver tes pas. Je veux marcher parce que je te suis redevable, Salim, c'est le seul moyen dont je dispose pour rembourser une infime partie de ma dette. Un pas sur le cĂŽtĂ© amoindrirait ton geste et je t'aime trop pour te diminuer.
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Pierre Bottero (La ForĂȘt des captifs (Les Mondes d'Ewilan, #1))
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[...] Un soir nous étions plusieurs ministres à rompre le jeûne au Palais Royal de FÚs, en présence de Sa Majesté, tout au début de son rÚgne. A ma gauche Si Mohamed El-Fassi, à ma droite une autre personnalité. Ayant devant moi la soupiÚre, El-Fassi me demanda de le servir.
- "Non", lui répondis-je.
-"Et pourquoi", dit-il, étonné ?
- "Parce que, simplement, tu avais proclamé que la langue Tamazight n'est pas une langue et qu'il n'y avait pas lieu d'avancer son apport sur le plan de notre civilisation".
Oui, j'ai dit cela.
- "Mais d'abord mon bol , et je raconte!"
Ăcoutons-le :
- "A l'Ă©poque oĂč j'ai Ă©tĂ© prisonnier avec d'autres nationalistes, Ă AĂŻn-Kardous, j'ai demandĂ© Ă un fqih berbĂ©risant de m'initier Ă la langue berbĂšre. Il m'a rĂ©pondu : "Pourquoi voudrais-tu perdre ton temps pour un jargon mĂ©prisĂ© par Dieu lui-mĂȘme ? Et, continuant : "Le CrĂ©ateur a donnĂ© Ă chaque peuple une langue mais, Ă la fin, il a dĂ» se rendre compte que l'un d'entre deux a Ă©tĂ© oubliĂ©. Il trouva la solution en ramassant les restes des langues Ă©parpillĂ©es sur le sol, et offrit cette mixture, ne pouvant faire autrement, Ă ce bon peuple Amazigh".
- "On dĂ©nonce mĂȘme Dieu", ai-je rĂ©torquĂ©, furieux. "Mais tu viens de donner la preuve de l'universalitĂ© de la langue berbĂšre."
- "Universelle!" plaisanta mon autre voisin... "Elle n'est mĂȘme pas dans les archives".
La discussion devient générale, les uns pour, les autres... Sa Majesté, pour mettre fin à toutes nos grandes phrases, posa cette question à El-Fassi :
- "Le berbĂšre est-il une langue, oui ou non ?"
- "A la rĂ©flexion, oui, MajestĂ©; il a ses contes et ses lĂ©gendes, sa poĂ©sie, et ses structures ne peuvent ĂȘtre niĂ©es".
- "Alors," conclut Sa Majesté, "nous aborderons cette question dans une vingtaine d'années. Contentons-nous, maintenant, de consolider notre unité.
(Tifinagh N°1 - Repris de "Le Maroc des potentialités, 1989, p276-280)
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Mahjoubi Aherdan (Le Maroc des potentialités)
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Quand j'ai cessé de voir trouble, j'ai aperçu une belle brune qui m'observait. Alice m'avait vu dégouliner. Je ne sais
pas si c'est l'émotion, ou le contraste avec le lieu, mais j'ai ressenti une immense attirance pour cette mystérieuse
apparition en pull moulant noir. Plus tard, Alice m'avoua qu'elle m'avait trouvé trÚs beau: mettons cette erreur
d'appréciation sur le compte de l'instinct maternel. L'essentiel, c'est que mon attirance était réciproque - elle avait
envie de me consoler, cela se voyait. Cette rencontre m'a appris que la meilleure chose Ă faire dans un enterrement,
c'est de tomber amoureux.
C'Ă©tait une amie d'une cousine. Elle me prĂ©senta son mari, Antoine, trĂšs sympa, trop, peut-ĂȘtre. Pendant qu'elle
embrassait mes joues mouillées, elle comprit que j'avais compris qu'elle avait vu que j'avais vu qu'elle m'avait
regardé comme elle m'avait regardé. Je me souviendrai toujours de la premiÚre chose que je lui ai dite:
â J'aime bien la structure osseuse de ton visage.
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
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L'Horloge
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientĂŽt comme dans une cible;
Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folĂątre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lĂącher sans en extraire l'or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, Ă tout coup! c'est la loi.
Le jour décroßt; la nuit augmente; souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
TantĂŽt sonnera l'heure oĂč le divin Hasard,
OĂč l'auguste Vertu, ton Ă©pouse encor vierge,
OĂč le repentir mĂȘme (oh! la derniĂšre auberge!),
OĂč tout te dira: Meurs, vieux lĂąche! il est trop tard!
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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finalement, éperdu d'amour et au comble de la frénésie érotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc.
â Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sĂ»r qu'elle le voulait, voyons! C'Ă©tait une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire.
â Tu vas le manger cru ?
â Oui.
J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondĂ©ment, soufflant un peu, entre les bouchĂ©es, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'Ă ce qu'une sueur froide me montĂąt au front. Je continuai mĂȘme un peu au-delĂ , serrant les dents, luttant contre la nausĂ©e, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon mĂ©tier d'homme.
Je fus trĂšs malade, on me transporta Ă l'hĂŽpital, ma mĂšre sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'Ă©tais trĂšs fier de moi.
Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Ăducation europĂ©enne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire.
Pendant longtemps, Ă travers mes pĂ©rĂ©grinations, j'ai transportĂ© avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamĂ© au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier Ă©tait toujours lĂ , Ă portĂ©e de la main. J'Ă©tais toujours prĂȘt Ă m'y attabler, Ă donner, une fois de plus, le meilleur de moi-mĂȘme. Ăa ne s'est pas trouvĂ©. Finalement, j'ai abandonnĂ© le soulier quelque part derriĂšre moi. On ne vit pas deux fois.
(La promesse de l'aube, ch. XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Seigneur je suis trÚs fatigué.
Je suis né fatigué.
Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mĂšne Ă leur Ă©cole.
Seigneur, je ne veux plus aller Ă leur Ă©cole,
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.
Je veux suivre mon pĂšre dans les ravines fraĂźches
Quand la nuit flotte encore dans le mystĂšre des bois
OĂč glissent les esprits que l'aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi,
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers,
Je veux me réveiller
Lorsque lĂ -bas mugit la sirĂšne des blancs
Et que l'Usine
Sur l'océan des cannes
Comme un bateau ancré
Vomit dans la campagne son Ă©quipage nĂšgre...
Seigneur, je ne veux plus aller Ă leur Ă©cole,
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.
Ils racontent qu'il faut qu'un petit nĂšgre y aille
Pour qu'il devienne pareil
Aux messieurs de la ville
Aux messieurs comme il faut
Mais moi je ne veux pas
Devenir, comme ils disent,
Un monsieur de la ville,
Un monsieur comme il faut.
Je préfÚre flùner le long des sucreries
OĂč sont les sacs repus
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune.
Je prĂ©fĂšre vers l'heure oĂč la lune amoureuse
Parle bas à l'oreille des cocotiers penchés
Ecouter ce que dit dans la nuit
La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Zamba et de compĂšre Lapin
Et bien d'autres choses encore
Qui ne sont pas dans les livres.
Les nÚgres, vous le savez, n'ont que trop travaillé.
Pourquoi faut-il de plus apprendre dans les livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d'ici ?
Et puis elle est vraiment trop triste leur Ă©cole,
Triste comme
Ces messieurs de la ville,
Ces messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées.
Seigneur, je ne veux plus aller Ă leur Ă©cole.
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Guy Tirolien (Balles d'or: PoÚmes (Poésie) (French Edition))
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En ce qui me concerne, je suis vĂ©gĂ©tarienne Ă quatre-vingt-quinze pour cent. L'exception principale serait le poisson, que je mange peut-ĂȘtre deux fois par semaine pour varier un peu mon rĂ©gime et en n'ignorant pas, d'ailleurs, que dans la mer telle que nous l'avons faite le poisson est lui aussi contaminĂ©. Mais je n'oublie surtout pas l'agonie du poisson tirĂ© par la ligne ou tressautant sur le pont d'une barque. Tout comme ZĂ©non, il me dĂ©plaĂźt de "digĂ©rer des agonies". En tout cas, le moins de volaille possible, et presque uniquement les jours oĂč l'on offre un repas Ă quelqu'un ; pas de veau, pas d'agneau, pas de porc, sauf en de rares occasions un sandwich au jambon mangĂ© au bord d'une route ; et naturellement pas de gibier, ni de bĆuf, bien entendu.
- Pourquoi, bien entendu ?
- Parce que j'ai un profond sentiment d'attachement et de respect pour l'animal dont la femelle nous donne le lait et reprĂ©sente la fertilitĂ© de la terre. Curieusement, dĂšs ma petite enfance, j'ai refusĂ© de manger de la viande et on a eu la grande sagesse de ne pas m'obliger Ă le faire. Plus tard, vers la quinziĂšme annĂ©e, Ă l'Ăąge oĂč l'on veut "ĂȘtre comme tout le monde", j'ai changĂ© d'avis ; puis, vers quarante ans, je suis revenue Ă mon point de vue de la sixiĂšme annĂ©e.(p. 288)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Alors toi, le moins qu'on puisse dire, c'est que je t'aurais mĂ©ritĂ©e. Primo, ça faisait des annĂ©es que je t'attendais. Des annĂ©es que j'avais juste le droit de tremper mes lĂšvres dans le bonheur et puis pas plus. Deusio, quand je te rencontre il faut que tu sois maquĂ©e avec un poulpe qui te colle de partout. Et tertio, quand enfin mademoiselle est dispo, il faut que tu me fasses poireauter des semaines et des semaines, genre laisse-moi digĂ©rer mon histoire avec Dudulle et faire mon rot. Tu crois que ça peut ĂȘtre simple ? Comme Ă la tĂ©lĂ© ou sur grand Ă©cran ? Ils se rencontrent, ils se plaisent, ils s'aiment, allez zou ! emballez, c'est pesĂ©. Eh ben, nan ! Il faut que ça soit compliquĂ©, il faut que mademoiselle prenne tout son temps, qu'elle s'Ă©broue un peu, qu'elle remette de l'ordre sans sa tĂȘte, qu'elle fasse une pose, alors que moi, je suis lĂ , tendu comme un arc, les pieds bien calĂ©s dans les starting-blocks, les doigts bien posĂ©s sur la ligne, concentrĂ©, parce qu'un dĂ©but d'histoire, faut surtout pas le rater, faut se donner Ă fond, je le sais, c'est pas une premiĂšre pour moi, avec toutes les histoires foireuses que je viens d'enquiller, j'ai largement eu le temps de m'entraĂźner. Comme un sportif, je me suis entraĂźnĂ©. Je suis prĂȘt, moi. Y a plus qu'Ă donner le dĂ©part. Quand mademoiselle sera disposĂ©e.
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David . Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Il y a quelqu'un que je n'ai encore jamais eu envie de tuer.
C'est toi.
Tu peux marcher dans les rues, tu peux boire et marcher dans les rues, je ne te tuerai pas.
N'aie pas peur. La ville est sans danger. Le seul danger dans la ville, c'est moi.
Je marche, je marche dans les rues, je tue.
Mais toi, tu n'as rien Ă craindre.
Si je te suis, c'est parce que j'aime le rythme de tes pas. Tu titubes. C'est beau. On pourrait dire que tu boites. Et que tu es bossu. Tu ne l'es pas vraiment. De temps en temps tu te redresses, et tu marches droit. Mais moi, je t'aime dans les heures avancées de la nuit, quand tu es faible, quand tu trébuches, quand tu te voûtes.
Je te suis, tu trembles. De froid ou de peur. Il fait chaud pourtant.
Jamais, presque jamais, peut-ĂȘtre jamais il n'avait fait si chaud dans notre ville.
Et de quoi pourrais-tu avoir peur?
De moi?
Je ne suis pas ton ennemi. Je t'aime.
Et personne d'autre ne pourrait te faire du mal.
N'aie pas peur. je suis lĂ . Je te protĂšge.
Pourtant, je souffre aussi.
Mes larmes - grosses gouttes de pluie - me coulent sur le visage. La nuit me voile. La lune m'éclaire. Les nuages me cachent. Le vent me déchire. J'ai une sorte de tendresse pour toi. Cela m'arrive parfois. Tres rarement.
Pourquoi pour toi? Je n'en sais rien.
Je veux te suivre trĂšs loin, partout, longtemps.
Je veux te voir souffrir encore plus.
Je veux que tu en aies assez de tout le reste.
Je veux que tu viennes me supplier de te prendre.
Je veux que tu me désires. Que tu aies envie de moi, que tu m'aimes, que tu m'appelles.
Alors, je te prendrai dans mes bras, je te serrerai sur mon coeur, tu seras mon enfant, mon amant, mon amour.
Je t'emporterai.
Tu avais peur de naĂźtre, et maintenant tu as peur de mourir.
Tu as peur de tout.
Il ne faut pas avoir peur.
Il y a simplement une grande roue qui tourne. Elle s'appelle ĂternitĂ©.
C'est moi qui fais tourner la grande roue.
Tu ne dois pas avoir peur de moi.
Ni de la grande roue.
La seule chose qui puisse faire peur, qui puisse faire mal, c'est la vie, et tu la connais déjà .
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Ăgota KristĂłf
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Cette sociĂ©tĂ©, que j'ai remarquĂ©e la premiĂšre dans ma vie, est aussi la premiĂšre qui ait disparu Ă mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bĂ©nĂ©diction, le rendre peu Ă peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mĂšre forcĂ©e de renoncer Ă son quadrille, faute des partners accoutumĂ©s; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour oĂč mon aĂŻeule tomba la derniĂšre. Elle et sa sĆur s'Ă©taient promis de s'entre-appeler aussitĂŽt que l'une aurait devancĂ© l'autre; elles se tinrent parole, et madame de BedĂ©e ne survĂ©cut que peu de mois Ă mademoiselle de Boisteilleul.
Je suis peut-ĂȘtre le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existĂ©. Vingt fois, depuis cette Ă©poque, j'ai fait la mĂȘme observation; vingt fois des sociĂ©tĂ©s se sont formĂ©es et dissoutes autour de moi. Cette impossibilitĂ© de durĂ©e et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'Ă©tend de lĂ sur notre maison, me ramĂšnent sans cesse Ă la nĂ©cessitĂ© de l'isolement.
Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fiĂšvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chĂšre! car comment abandonner sans dĂ©sespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir Ă©ternellement sur son cĆur?
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François-René de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)
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J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la thĂ©orie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inĂ©branlable." Il me disait cela plein de passion et sur le ton d'un pĂšre disant : "Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches Ă l'Ă©glise !" Quelque peu Ă©tonnĂ©, je lui demandai : "Un bastion -- contre quoi ?" Il me rĂ©pondit : "Contre le flot de vase noire deâŠ" Ici il hĂ©sita un moment pour ajouter : "⊠de l'occultisme !" Ce qui m'alarma d'abord, c'Ă©tait le "bastion" et le "dogme" ; un dogme c'est-Ă -dire une profession de foi indiscutable, on ne l'impose que lĂ oĂč l'on veut une fois pour toutes Ă©craser un doute. Cela n'a plus rien d'un jugement scientifique, mais relĂšve uniquement d'une volontĂ© personnelle de puissance.
Ce choc frappa au cĆur notre amitiĂ©. Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position. Freud semblait entendre par "occultisme" Ă peu prĂšs tout ce que la philosophie et la religion -- ainsi que la parapsychologie qui naissait vers cette Ă©poque -- pouvaient dire de l'Ăąme. Pour moi, la thĂ©orie sexuelle Ă©tait tout aussi "occulte" -- c'est-Ă -dire non dĂ©montrĂ©e, simple hypothĂšse possible, comme bien d'autres conceptions spĂ©culatives. Une vĂ©ritĂ© scientifique Ă©tait pour moi une hypothĂšse momentanĂ©ment satisfaisante, mais non un article de foi Ă©ternellement valable. (p. 244)
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C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
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L'isolement
Souvent sur la montagne, Ă l'ombre du vieux chĂȘne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promĂšne au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues Ă©cumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
LĂ le lac immobile Ă©tend ses eaux dormantes
OĂč l'Ă©toile du soir se lĂšve dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flÚche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrĂȘte, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mĂȘle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon ùme indifférente
N'Ă©prouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'Ă©chauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud Ă l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense Ă©tendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumiĂšres,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forĂȘts, solitudes si chĂšres,
Un seul ĂȘtre vous manque, et tout est dĂ©peuplĂ© !
Que le tour du soleil ou commence ou s'achĂšve,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lĂšve,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriĂšre,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien Ă l'immense univers.
Mais peut-ĂȘtre au-delĂ des bornes de sa sphĂšre,
Lieux oĂč le vrai soleil Ă©claire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rĂȘvĂ© paraĂźtrait Ă mes yeux !
LĂ , je m'enivrerais Ă la source oĂč j'aspire ;
LĂ , je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute ùme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne pußs-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'Ă©lancer jusqu'Ă toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand lĂ feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'Ă©lĂšve et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesniĆĄtva)
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Quand je vis avec mes semblables, ma pensĂ©e s'occupe d'eux si exclusivement, soit pour les aider Ă vivre bien, soit pour comprendre pourquoi ils vivent mal, que j'oublie absolument de vivre pour mon compte. Quand je m'aperçois que j'ai fait pour eux mon possible et que je ne leur suis plus nĂ©cessaire, ou, ce qui arrive plus souvent, que je ne leur suis bon Ă rien, j'Ă©prouve le besoin de vivre avec ce moi intĂ©rieur qui s'identifie Ă la nature et au rĂȘve de la vie dans l'Ă©ternel et dans l'infini. La nature, je le sais, parle dans l'homme plus que dans les arbres et les rochers; mais elle y parle follement, elle y est plus souvent dĂ©lirante que sage, elle y est pleine d'illusions ou de mensonges. Les animaux sauvages eux-mĂȘmes sont tourmentĂ©s d'un besoin d'existence qui nous empĂȘche de savoir ce qu'ils pensent et si leurs obscures manifestations ne sont pas trompeuses. DĂšs qu'ils subissent des besoins et des passions, ils doivent les satisfaire Ă tout prix, et toute logique de leur instinct de conservation doit cĂ©der Ă cette sauvage logique de la faim et de l'amour. OĂč donc trouver, oĂč donc surprendre la voix du vrai absolu dans la nature? HĂ©las, dans le silence des choses inertes, dans le mutisme de ce qui ne ment pas! la face impassible du rocher qui boit le soleil, le front sans ombre du glacier qui regarde la lune, la morne altitude des lieux inaccessibles, exercent sur nous un rassĂ©rĂ©nement inexplicable. LĂ , nous nous sentons comme suspendus entre ciel et terre, dans une rĂ©gion d'idĂ©es oĂč il ne peut y avoir que Dieu ou rien, et, s'il n'y a rien, nous sentons que nous ne sommes rien nous-mĂȘmes et que nous n'existons pas; car rien ne peut se passer de sa raison d'ĂȘtre.
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George Sand (Le dernier amour)
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Moi qui ai eu la chance, malgrĂ© quelques grosses sĂ©quelles, de me relever et de retrouver une autonomie totale, je pense souvent Ă cette incroyable pĂ©riode de ma vie et surtout Ă tous mes compagnons dâinfortune. Ă part Samia, peut-ĂȘtre, je sais pertinemment que les autres sont toujours dans leurfauteuil, quâils sont contraints Ă une assistance permanente, quâils ont toujours droit aux sondages urinaires, aux transferts, aux fauteuils-douches, aux sĂ©ances de verticalisation⊠Ils sont pour toujours confrontĂ©s Ă ces mots qui ont Ă©tĂ© mon quotidien, cette annĂ©e-lĂ
Jâai fait trois autres centres de rĂ©Ă©ducation par la suite, mais jamais je nâai autant ressenti la violence de cette immersion dans le monde du handicap que lors de ces quelques mois. Jamais je nâai retrouvĂ© autant de malheur et autant dâenvie de vivre rĂ©unis en un mĂȘme lieu, jamais je nâai croisĂ© autant de souffrance et dâĂ©nergie, autant dâhorreur et dâhumour. Et jamais plus je nâai ressenti autant dâintensitĂ© dans le rapport des ĂȘtres humains Ă lâincertitude de leur avenir ..
Je ne connaissais rien de ce monde-lĂ avant mon accident. Je me demande mĂȘme si jây avais dĂ©jĂ vraiment pensĂ©. Bien sĂ»r, cette expĂ©rience aussi difficile pour moi que pour mon entourage proche mâa beaucoup appris sur moi-mĂȘme, sur la fragilitĂ© de lâexistence (et celle des vertĂšbres cervicales). Personne dâautre ne sait mieux que moi aujourdâhui quâune catastrophe nâarrive pas quâaux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mĂ©rite le plus .
Mais, au-delĂ de ces lourds enseignements et de ces grandes considĂ©rations, ce qui me reste surtout de cette pĂ©riode, ce sont les visages et les regards que jâai croisĂ©s dans ce centre. Ce sont les souvenirs de ces ĂȘtres qui, Ă lâheure oĂč jâĂ©cris ces lignes, continuent chaque jour de mener un combat quâils nâont jamais lâimpression de gagner.Si cette Ă©preuve mâa fait grandir et progresser, câest surtout grĂące aux rencontres quâelle mâaura offertes.
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Grand corps malade (Patients)
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Et puis, le manque est arrivĂ©, dans le moment oĂč je mây attendais le moins, il est arrivĂ© alors que jâavais presque fini par croire Ă mon amnĂ©sie.
Câest terrible, la morsure du manque. Ăa frappe sans prĂ©venir, lâattaque est sournoise tout dâabord, on ressent juste une vive douleur qui disparaĂźt presque dans la foulĂ©e, câest bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitĂŽt, on considĂšre que lâattaque est passĂ©e, on nâest mĂȘme pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on nâa pas eu le temps de sâinquiĂ©ter, câest parti si vite, on se sent dĂ©jĂ beaucoup mieux, on se sent mĂȘme parfaitement bien, tout de mĂȘme on garde un souvenir dĂ©sagrĂ©able de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y rĂ©ussit, la vie continue, le monde nous appelle, lâurgence commande.
Et puis, ça revient, le jour dâaprĂšs, lâattaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un mĂ©chant rictus, on se dit : quelque chose est Ă l'Ćuvre Ă lâintĂ©rieur, on pense Ă ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers gĂ©nĂ©ralisĂ©s jusque-lĂ insoupçonnables, on Ă©prouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment.
Et puis, le mal devient lancinant, il sâinstalle comme un intrus quâon nâest pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend quâon ne sâen dĂ©barrassera pas, quâon est foutu.
Oui, un jour, le manque est arrivé. Le manque de lui.
Au dĂ©but, jâai fait comme si je ne mâen rendais pas compte, le traitant par lâindiffĂ©rence, par le mĂ©pris, je me savais plus fort que lui, jâĂ©tais en mesure de le dominer, de lâĂ©liminer, câĂ©tait juste une question de volontĂ© ou de temps, je nâĂ©tais pas le genre Ă me laisser abattre par quelque chose dâaussi tĂ©nu, dâaussi risible.
Et puis, il mâa fallu me rendre Ă lâĂ©vidence : ce match, je nâĂ©tais pas en train de le gagner, jâallais peut-ĂȘtre mĂȘme le perdre, et je ne possĂ©dais pas le moyen dâĂ©chapper Ă cette dĂ©route et plus je luttais, plus je cĂ©dais du terrain ; plus je niais la rĂ©alitĂ©, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaĂźtre : jâĂ©tais dĂ©vorĂ© par ça, le manque de lui.
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Philippe Besson (Un homme accidentel)
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Cher Monsieur Waters,
Je reçois votre courrier Ă©lectronique en date du 14 avril dernier et suis comme il se doit impressionnĂ© par la complexitĂ© shakespearienne de votre drame. Chaque personnage dans votre histoire a une harmatia en bĂ©ton. La sienne : ĂȘtre trop malade. La vĂŽtre : ĂȘtre trop bien portant. FĂ»t-ce le contraire, vos Ă©toiles n'auraient pas Ă©tĂ© aussi contrariĂ©es, mais c'est dans la natures des Ă©toiles d'ĂȘtre contrariĂ©es. A ce propos, Shakespeare ne s'est jamais autant trompĂ© qu'en mettant ces mots dans la bouche de Cassius : « La faute, cher Brutus, n'en est pas Ă nos Ă©toiles ; elle en est Ă nous-mĂȘmes. » Facile Ă dire lorsqu'on est un noble romain (ou Shakespeare!), mais nos Ă©toiles ne sont jamais Ă court de tort. Puisque nous en sommes au chapitre des dĂ©faillances de ce cher vieux William, ce que vous me dites de la jeune Hazel me rappelle le sonnet 55, qui commence, bien entendu ainsi : « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d'Ă©clat dans ces mesures que sous la dalle non balayĂ©e que le temps barbouille de sa lie. (Hors sujet, mais : quel cochon, ce temps ! Il bousille tout le monde.) Un bien joli poĂšme, mais trompeur : nul doute que la rime puissante de Shakespeare nous reste en mĂ©moire, mais que nous rappelons-nous de l'homme qu'il cĂ©lĂšbre ? Rien. Nous sommes certains qu'il Ă©tait de sexe masculin, le reste n'est qu'une hypothĂšse. Shakespeare nous raconte des clopinettes sur l'homme qu'il a enseveli Ă l'intĂ©rieur de son sarcophage linguistique. (Remarquez que, lorsque nous parlons littĂ©rature, nous utilisons le prĂ©sent. Quand nous parlons d'un mort, nous ne sommes pas aussi gentils.) On ne peut pas immortaliser ceux qui nous ont quittĂ©s en Ă©crivant sur eux. La langue enterre, mais ne ressuscite pas. (Avertissement : je ne suis pas le premier Ă faire cette observation, cf le poĂšme d'Archibald MacLeish « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s » qui renferme ce vers hĂ©roĂŻque : « Vous mourrez et nul ne se souviendra de vous ») Je m'Ă©loigne du sujet, mais votre le problĂšme : les morts ne sont visibles que dans lâĆil dĂ©nuĂ© de paupiĂšre de la mĂ©moire. Dieu merci, les vivants conservent l'aptitude de surprendre et de dĂ©cevoir. Votre Hazel est vivante, Waters, et vous ne pouvez imposer votre volontĂ© contre la dĂ©cision de quelqu'un d'autre, qui plus est lorsque celle-ci est mĂ»rement rĂ©flĂ©chie. Elle souhaite vous Ă©pargner de la peine et vous devriez l'accepter. Il se peut que la logique de la jeune Hazel ne vous convainque pas, mais j'ai parcouru cette vallĂ©e de larmes plus longtemps que vous, et de mon point de vue, Hazel n'est pas la moins saine d'esprit.
Bien Ă vous
Peter Van Houten
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John Green (The Fault in Our Stars)
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Mais les signes de ce qui m'attendait rĂ©ellement, je les ai tous nĂ©gligĂ©s. Je travaille mon diplĂŽme sur le surrĂ©alisme Ă la bibliothĂšque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-ĂȘtre mes derniĂšres semaines de fille seule, libre d'aller oĂč je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans ĂȘtre dĂ©rangĂ©e. Je vais perdre dĂ©finitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublĂ©, Ă deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drĂŽle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idĂ©es de fille unique, Ă©gocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal Ă©levĂ©e au fond. Un jour, il a du travail, il est fatiguĂ©, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se prĂ©cipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hĂ©sitation, comme si elles avaient dans la tĂȘte toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-ĂȘtre, pour quatre personnes ou plus aux goĂ»ts diffĂ©rents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmĂ©e par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarchĂ©. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il Ă©tait en train d'Ă©couter de la musique. Il a tout dĂ©ballĂ© avec un plaisir de gamin. Les poires Ă©taient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournĂ©s au restau universitaire, j'ai oubliĂ©. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai Ă©touffĂ©s. SublimĂ©s. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de libertĂ©, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du mĂ©nage, un peu. Et alors, tu renĂącles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles rĂ©ussissent Ă tout "concilier", sourire aux lĂšvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libĂ©rĂ©e de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'Ă©quilibre. L'homme, l'Ă©paule solide, anti-mĂ©taphysique, dissipateur d'idĂ©es tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons mĂȘme disparaĂźtront, je ris forcĂ©ment, obscurĂ©ment j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est Ă©goĂŻste et qu'il ne s'intĂ©resse guĂšre Ă ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient Ă mon secours : "Tous les hommes sont Ă©goĂŻstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altĂ©ritĂ©", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)