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Souvent il arrivait que papa et Jacky martĂšlent de concert. Pas un mot, pas un cri, juste des souffles mĂȘlĂ©s comme font les amants. De lourds coups sur lâacier, de petits sur lâenclume, en rythme cadencĂ©, sorte de concerto pour enclume et marteaux oĂč la basse continue nâĂ©tait autre que celle de leurs respirations. Et puis ces escarbilles, toujours ces escarbilles, petites Ă©toiles filantes que chacun dâeux apprivoisait pour quâelles nâaillent pas, comme des baisers voraces, mordre le corps de lâautre. Et assis sur un banc ou sur un tas de ferraille, un enfant de cinq ans regarde leurs poitrails, Ă©coute leurs silences dans cet orage dâacier et ne croit plus Ă rien, ni Ă Dieu, ni Ă Diable, ni Ă tous ces hĂ©ros que dĂ©jĂ il pressent puisquâil sent bien, ce gosse, quâil arrive Ă la vie de parfois dĂ©faillir, ou simplement faillir, et quâil faut certains soirs, pour supporter son poids, accepter les lĂ©gendes et les mythes quâont inventĂ©s les hommes afin de sâendormir un petit peu plus grand et Ă peine moins mortel. Heureusement pour lui, foin dâUlysse, de Titans, de dragons flamboyants et de dieux en jupette plus ou moins ridicules, il les a sous les yeux ces lares de pleine chair qui dressent des Ă©clairs et crĂ©ent des Ă©popĂ©es avec chaque barre de fer.
Lâodeur de la limaille, du fer chauffĂ© Ă rouge, du fer chauffĂ© Ă blanc, lâodeur des corps en sueur qui parfois sâeffaçaient derriĂšre la fumĂ©e blanche, lâodeur des grains dâacier en gerbes braisillantes, lâodeur mĂȘme des marteaux, masses, pinces, massettes, et lâodeur de lâenclume qui les recueillait tous.
Papa et Jacky, ferronniers dâart ; ils maĂźtrisaient le feu mais ignoraient Vulcain, PromĂ©thĂ©e et Wotan, Zeus ou HĂ©phaĂŻstos. Les dieux du Walhalla, dâOlympe ou de lâIliade leur Ă©taient inconnus. MĂȘme saint Ăloi, patron des forgerons, ne les concernait pas. Ils Ă©taient incultes, câest-Ă -dire intelligents mais sans les livres capables de leur nommer, soit cette intelligence, soit cette inculture. Ils sâen moquaient, de tout cela, des trois divinitĂ©s, des quatre horizons, des douze travaux dâHercule ou des Mille et Une Nuits.
Ă quoi bon sâinventer des dieux de pacotille quand on en a sous la main et que lâon parvient, Ă coups brefs et prĂ©cis, Ă leur donner la forme que lâon veut. Pas besoin de lĂ©gende, ils se crĂ©aient la leur, façonnant dans lâacier les mots pour la chanter.
Et lâenfant de cinq ans lorsquâil lui adviendra, plus tard, beaucoup plus tard, dâapercevoir Tarzan sautant de liane en liane en se frappant le torse Ă grands coups de battoir pour ne rien forger dâautre quâun long cri ridicule, rira comme un beau diable sâil est vrai quâil sâavĂšre, dans lâHadĂšs ou ailleurs, quâun diable puisse ĂȘtre beau.
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