Ma Premiere Fois Quotes

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L'Amour qui n'est pas un mot Mon Dieu jusqu'au dernier moment Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme Comment se pourrait-il comment Comment se pourrait-il qu'on aime Ou comment nommer ce tourment Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habitĂ© par le chant Elsa mon amour ma jeunesse O forte et douce comme un vin Pareille au soleil des fenĂȘtres Tu me rends la caresse d'ĂȘtre Tu me rends la soif et la faim De vivre encore et de connaĂźtre Notre histoire jusqu'Ă  la fin C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble Que la lumiĂšre sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme Ă  son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble M'habituer m'habituer Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme Peut-on s'habituer aux flammes Elles vous ont avant tuĂ© Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme S'ils s'habituaient aux nuĂ©es Pour la premiĂšre fois ta bouche Pour la premiĂšre fois ta voix D'une aile Ă  la cime des bois L'arbre frĂ©mit jusqu'Ă  la souche C'est toujours la premiĂšre fois Quand ta robe en passant me touche Prends ce fruit lourd et palpitant Jettes-en la moitiĂ© vĂ©reuse Tu peux mordre la part heureuse Trente ans perdus et puis trente ans Au moins que ta morsure creuse C'est ma vie et je te la tends Ma vie en vĂ©ritĂ© commence Le jour que je t'ai rencontrĂ©e Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce Ă  ma dĂ©mence Et qui m'as montrĂ© la contrĂ©e Que la bontĂ© seule ensemence Tu vins au coeur du dĂ©sarroi Pour chasser les mauvaises fiĂšvres Et j'ai flambĂ© comme un geniĂšvre A la NoĂ«l entre tes doigts Je suis nĂ© vraiment de ta lĂšvre Ma vie est Ă  partir de toi
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Louis Aragon
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finalement, Ă©perdu d'amour et au comble de la frĂ©nĂ©sie Ă©rotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc. — Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sĂ»r qu'elle le voulait, voyons! C'Ă©tait une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire. — Tu vas le manger cru ? — Oui. J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondĂ©ment, soufflant un peu, entre les bouchĂ©es, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'Ă  ce qu'une sueur froide me montĂąt au front. Je continuai mĂȘme un peu au-delĂ , serrant les dents, luttant contre la nausĂ©e, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon mĂ©tier d'homme. Je fus trĂšs malade, on me transporta Ă  l'hĂŽpital, ma mĂšre sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'Ă©tais trĂšs fier de moi. Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Éducation europĂ©enne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire. Pendant longtemps, Ă  travers mes pĂ©rĂ©grinations, j'ai transportĂ© avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamĂ© au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier Ă©tait toujours lĂ , Ă  portĂ©e de la main. J'Ă©tais toujours prĂȘt Ă  m'y attabler, Ă  donner, une fois de plus, le meilleur de moi-mĂȘme. Ça ne s'est pas trouvĂ©. Finalement, j'ai abandonnĂ© le soulier quelque part derriĂšre moi. On ne vit pas deux fois. (La promesse de l'aube, ch. XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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« Écoute, Egor PĂ©trovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton dĂ©sespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accĂšs de tristesse, tu dis que tu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as racontĂ© ta vie d’autrefois. À cette Ă©poque aussi le dĂ©sespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette Ă©poque aussi, ton premier maĂźtre, cet homme Ă©trange, dont tu m’as tant parlĂ©, a Ă©veillĂ© en toi, pour la premiĂšre fois, l’amour de l’art et a devinĂ© ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriĂ©taire, et tu ne savais toi-mĂȘme ce que tu dĂ©sirais. Ton maĂźtre est mort trop tĂŽt. Il t’a laissĂ© seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliquĂ© toimĂȘme. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinĂ©s, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haĂŻ tout ce qui t’entourait alors. Tes six annĂ©es de misĂšre ne sont pas perdues. Tu as travaillĂ©, pensĂ©, tu as reconnu et toi-mĂȘme et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus enviĂ© que le mien t’est rĂ©servĂ©. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne mĂȘme la dixiĂšme partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriĂ©taire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvretĂ©, la misĂšre ? Mais la pauvretĂ© et la misĂšre forment l’artiste. Elles sont insĂ©parables des dĂ©buts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaĂźtre. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignitĂ©, et surtout la bĂȘtise t’opprimeront plus fortement que la misĂšre. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tĂącheront de regarder avec mĂ©pris ce qui s’est Ă©laborĂ© en toi au prix d’un pĂ©nible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relĂšveront chacune de tes fautes. Ils te montreront prĂ©cisĂ©ment ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et mĂ©prisant ils fĂȘteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent Ă  tort. Il t’arrivera d’offenser une nullitĂ© qui a de l’amour-propre, et alors malheur Ă  toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront Ă  coups d’épingles. Moi mĂȘme, je commence Ă  Ă©prouver tout cela. Prends donc des forces dĂšs maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne nĂ©glige pas les besognes grossiĂšres, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicitĂ© ; tu ruses trop, tu rĂ©flĂ©chis trop, tu fais trop travailler ta tĂȘte. Tu es audacieux en paroles et lĂąche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-ĂȘtre arriveras-tu au but. Sinon, va quand mĂȘme au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Il (M. Eliade, N.d.a.) se sert pas mal de GuĂ©non, sans jamais le citer. En 1948, je l’ai rencontrĂ© et nous avons bavardĂ© chez moi de ses convictions et de ses recherches. Il m’a affirmĂ© qu’il Ă©tait d’accord avec GuĂ©non en tout point, mais que sa position et ses projets universitaires l’empĂȘchaient de le reconnaĂźtre ouvertement. J’ai communiquĂ© cela Ă  GuĂ©non qui, dans les comptes-rendus sur ses premiers livres, tint compte de ce que je lui avais dit. Eliade me disait qu’il pensait se servir de la politique du `cheval de Troie’ : une fois bien installĂ© dans le monde scientifique et aprĂšs avoir recueilli les preuves `scientifiques’ des doctrines traditionnelles, il aurait finalement exposĂ© Ă  la lumiĂšre du jour la vĂ©ritĂ© traditionnelle. Je crois qu’il se vantait : il est ou craintif ou trop prudent. Il a malheureusement rencontrĂ© des catholiques hostiles Ă  GuĂ©non et depuis lors il est beaucoup moins enthousiaste, Ă  supposer qu’il le fĂ»t jamais. Il y a deux ans, je l’ai rencontrĂ© dans la rue et lui ai dit que ses projets allaient plus lentement, alors il m’annonça qu’il allait publier quelque chose ; en tout cas, il n’a jamais citĂ© le nom de GuĂ©non, ni en bien ni en mal, mais certaines de ces accusations envers les traditionalistes m’ont fait une pĂ©nible impression. Lettre de Michel VĂąlsan Ă  Vasile Lovinescu, 12 mai 1957.
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Michel VĂąlsan
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Il etait plutot fin, donc, le sable, delie, ne s'agglomerait pas, c'etait de la pierre, en fait, de la pierre pilee, rien a voir ou presque avec la poussiere, c'est ce que je veux dire. Mais plus maintenant. C'est que ca vole, quand meme, le sable. Et il volait, la, sous les pieds des enfants, et partout ca retombait, et pour la premiere fois j'ai vu la plage comme une grande plage de poussiere. Je dis grande parce que j n'avais jamais vu autant de poussiere, meme chez moi, apres le depart de Constance. Et j'ai forcement pense a Laura, mais ce n'est pas ca, je n'ai pas eu a y penser, bien sur, j'y pensais, je ne faisais que ca, mais j'y pensais avec recul, enfin j'essayais, parce que le moins qu'on puisse dire c'est que j'avais besoin de distance, sauf que je n'arrivais pas a' en prendre, de la distance, je souffrais, c'est egalement le moins qu'on puisse dire, et le seul resultat de mes efforts c'etait ca: penser que je m'etais trompe, que Laura en fin de compte n'avait jamais convenu, depuis le debut, ni pour le menage, ni comme femme, donc, comme femme susceptible d'apporter un peu d'order, dans ma vie, et alors j'en trouvais la verfication maintenant, sur le sable, ce sable que je n'avais jamais aime, au fond, pas plus que la poussiere, ou Laura me laissait, jusqu'a la mordre. Et j'ai vu que le gens s'y couchaient, dans ce sable, que n'etait plus que poussiere, maintenant, et je me suis dit je suis comme eux, a cette difference pres qu'ils sont beaucoup plus forts, eux. Parce qu'ils s'entrainen, en fait. A y retourner, donc. A la poussiere, oui. Je pensais ca aussi parce que je me sentais mort, bien sur, mais tout de meme. Et je le pensais encore parce que j n'etais pas pret, moi. Je me sentais mort depuis deux minutes, seulement. Mort, mais supris.
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Christian Oster (Une femme de ménage)
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Ses visites Ă©taient la grande distraction de ma tante LĂ©onie qui ne recevait plus guĂšre personne d’autre, en dehors de M. le CurĂ©. Ma tante avait peu Ă  peu Ă©vincĂ© tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort Ă  ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catĂ©gories de gens qu’elle dĂ©testait. Les uns, les pires et dont elle s’était dĂ©barrassĂ©e les premiers, Ă©taient ceux qui lui conseillaient de ne pas « s’écouter » et professaient, fĂ»t-ce nĂ©gativement et en ne la manifestant que par certains silences de dĂ©sapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur l’estomac deux mĂ©chantes gorgĂ©es d’eau de Vichy !) lui feraient plus de bien que son lit et ses mĂ©decines. L’autre catĂ©gorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle Ă©tait plus gravement malade qu’elle ne pensait, qu’elle Ă©tait aussi gravement malade qu’elle le disait. Aussi, ceux qu’elle avait laissĂ© monter aprĂšs quelques hĂ©sitations et sur les officieuses instances de Françoise et qui, au cours de leur visite, avaient montrĂ© combien ils Ă©taient indignes de la faveur qu’on leur faisait en risquant timidement un : « Ne croyez-vous pas que si vous vous secouiez un peu par un beau temps », ou qui, au contraire, quand elle leur avait dit : « Je suis bien bas, bien bas, c’est la fin, mes pauvres amis », lui avaient rĂ©pondu : « Ah ! quand on n’a pas la santĂ© ! Mais vous pouvez durer encore comme ça », ceux-lĂ , les uns comme les autres, Ă©taient sĂ»rs de ne plus jamais ĂȘtre reçus. Et si Françoise s’amusait de l’air Ă©pouvantĂ© de ma tante quand de son lit elle avait aperçu dans la rue du Saint-Esprit une de ces personnes qui avait l’air de venir chez elle ou quand elle avait entendu un coup de sonnette, elle riait encore bien plus, et comme d’un bon tour, des ruses toujours victorieuses de ma tante pour arriver Ă  les faire congĂ©dier et de leur mine dĂ©confite en s’en retournant sans l’avoir vue, et, au fond admirait sa maĂźtresse qu’elle jugeait supĂ©rieure Ă  tous ces gens puisqu’elle ne voulait pas les recevoir. En somme, ma tante exigeait Ă  la fois qu’on l’approuvĂąt dans son rĂ©gime, qu’on la plaignĂźt pour ses souffrances et qu’on la rassurĂąt sur son avenir.
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Marcel Proust (Swann’s Way (In Search of Lost Time, #1))
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Maldoror, Ă©coute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence Ă©gale Ă  la tienne. Un jour, tu m’appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n’ai pas dĂ©menti la confiance que tu m’avais vouĂ©e. Je ne suis qu’un simple habitant des roseaux, c’est vrai ; mais, grĂące Ă  ton propre contact, ne prenant que ce qu’il y avait de beau en toi, ma raison s’est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l’abĂźme. Ceux qui s’intitulent tes amis te regardent, frappĂ©s de consternation, chaque fois qu’ils te rencontrent, pĂąle et voĂ»tĂ©, dans les thĂ©Ăątres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu’il porte son maĂźtre-fantĂŽme, enveloppĂ© dans un long manteau noir. Abandonne ces pensĂ©es, qui rendent ton cƓur vide comme un dĂ©sert ; elles sont plus brĂ»lantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t’en aperçois pas, et que tu crois ĂȘtre dans ton naturel, chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensĂ©es, quoique pleines d’une infernale grandeur. Malheureux ! qu’as-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ô triste reste d’une intelligence immortelle, que Dieu avait crĂ©Ă©e avec tant d’amour ! Tu n’as engendrĂ© que des malĂ©dictions, plus affreuses que la vue de panthĂšres affamĂ©es ! Moi, je prĂ©fĂ©rerais avoir les paupiĂšres collĂ©es, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassinĂ© un homme, que ne pas ĂȘtre toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractĂšre qui m’étonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dĂ©rision ceux qui l’habitent, Ă©pave pourrie, ballottĂ©e par le scepticisme ? Si tu ne t’y plais pas, il faut retourner dans les sphĂšres d’oĂč tu viens. Un habitant des citĂ©s ne doit pas rĂ©sider dans les villages, pareil Ă  un Ă©tranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphĂšres plus spacieuses que la nĂŽtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons mĂȘme pas concevoir. Eh bien, va-t’en !
 retire-toi de ce sol mobile !
 montre enfin ton essence divine, que tu as cachĂ©e jusqu’ici ; et, le plus tĂŽt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphĂšre, que nous n’envions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu Ă  reconnaĂźtre si tu es un homme ou plus qu’un homme ! Adieu donc ; n’espĂšre plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour l’éternitĂ©, afin d’implorer ton pardon !
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Comte de Lautréamont
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Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre d’une pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu d’une foule Ă©trangĂšre, tout Ă  fait Ă©trangĂšre Ă  mes sentiments, je n’ai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cƓur in’ait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e m’a saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, c’est le premier instant de bonheur que je retrouve. Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cƓur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ  comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce n’est pas une illusion d’optique. Je m’en amuse, ou plutĂŽt on s’amuse de moi comme d’une ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet d’aller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je m’oublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha. Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne l’ai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes s’est Ă©vanoui ; l’enchantement qui, le matin, m’arrachait au sommeil a fui loin de moi. Je n’ai trouvĂ© ici qu’une femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si l’on peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ  qui fait de jolis compliments ! » Cela n’est pas tout Ă  fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; j’ai beaucoup d’esprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finement
. «Ni mentir, ajouterez-vous, car l’un ne va pas sans l’autre, entendez-vous ?
 » Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup d’ñme, on le voit d’abord Ă  la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă  charge ; il ne satisfait aucun des vƓux de son cƓur. Elle aspire Ă  sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă  vous, Charlotte ! Que de fois n’est-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !
 Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime. Oh ! si j’étais assis Ă  vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante ! Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; l’orage est passĂ© ; et moi
. il faut que je rentre dans ma cage
. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?
 Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Mon fils, Avinoam Bezalel, est nĂ© Ă  Bucarest en 1945. Il a le nom de mon pĂšre–et un grand nombre de ses qualitĂ©s. Le jour de sa naissance coĂŻncidait exactement avec Yom Kipour et, quand j’arrivai au Temple Coral, un messager m’attendait avec la bonne nouvelle. La tradition voulait que le grand rabbin sur le premier Ă  ouvrir l’Arche sainte le jour de Kippour. Et, tandis qu’apparaissaient devant moi les rouleaux de la Torah, le hazzan entonna le texte liturgique qui se termine avec la supplication. « Je te prie, ĂŽ mon Dieu, de donner Ta grĂące au fils que Tu m’as donné  ». Chaque annĂ©e, Ă  Kippour, quand je lis ce verset, je remercie Dieu du don inestimable qu'il nous a fait, Ă  ma femme et Ă  moi, en la personne de notre fils. À lui aussi j’ai enseignĂ© personnellement la Bible, le Talmud et la pensĂ©e juive. Il devait manifester trĂšs tĂŽt son attachement Ă  MaĂŻmonide, qui fut Ă  la fois rabbin et mĂ©decin et qui l'influença certainement dans le choix de ses Ă©tudes. Il rĂ©solut en effet de devenir mĂ©decin pour pouvoir soulager et aider ceux qui souffrent. Il Ă©tait encore Ă©tudiant quand il reçut un prix de l’universitĂ© de GenĂšve pour un mĂ©moire sur le thĂšme « MĂ©decine et judaĂŻsme », qui fut publiĂ© plus tard sous forme de livre Ă  Tel-Aviv, en hĂ©breu et en anglais, et trĂšs bien accueilli en IsraĂ«l, en Europe et en AmĂ©rique. Aujourd’hui, Avinoam Bezalel enseigne la neurologie ophtalmologie Ă  GenĂšve et est reconnu comme un des meilleurs spĂ©cialistes europĂ©ens en ce domaine. Autour d’un grand nombre de publications, il est souvent invitĂ© Ă  faire des confĂ©rences dans des universitĂ©s d’Europe, des États-Unis et d’AmĂ©rique du Sud. Il a Ă©pousĂ© Edith Abensur, qui est mĂ©decin et descend d’une trĂšs ancienne famille sĂ©pharade dont les origines remontent Ă  l’Espagne d’avant l’Inquisition. (p. 280–281)
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Alexandre Safran (Un tăciune smuls flăcărilor: Comunitatea evreiască din Romùnia, 1939-1947 : memorii (Romanian Edition))
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Ce qu’il racontait, c’est-Ă -dire sa vie, me faisait plus d’effet que sa façon de le raconter. Mais quelle vie ! Quelle Ă©nergie ! Cette Ă©nergie, hĂ©las, au lieu de me stimuler, m’enfonçait un peu plus, page aprĂšs page, dans la dĂ©pression et la haine de moi-mĂȘme. Plus je le lisais, plus je me sentais taillĂ© dans une Ă©toffe terne et mĂ©diocre, vouĂ© Ă  tenir dans le monde un rĂŽle de figurant, et de figurant amer, envieux, de figurant qui rĂȘve des premiers rĂŽles en sachant bien qu’il ne les aura jamais parce qu’il manque de charisme, de gĂ©nĂ©rositĂ©, de courage, de tout sauf de l’affreuse luciditĂ© des ratĂ©s. J’aurais pu me rassurer en me disant que ce que je ressentais lĂ , Limonov l’avait ressenti lui aussi, qu’il divisait comme je le faisais alors l’humanitĂ© en forts et en faibles, gagnants et perdants, VIP et piĂ©taille, qu’il vivait tenaillĂ© par l’angoisse de faire partie de la seconde catĂ©gorie et que c’est prĂ©cisĂ©ment cette angoisse, si crĂ»ment exprimĂ©e, qui donnait sa force Ă  son livre. Mais je ne voyais pas cela. Tout ce que je voyais, c’est que lui Ă©tait Ă  la fois un aventurier et un Ă©crivain publiĂ©, alors que je n’étais et ne serais jamais ni l’un ni l’autre, la seule et dĂ©risoire aventure de ma vie s’étant soldĂ©e par un manuscrit qui n’intĂ©ressait personne et deux cantines remplies de maillots de bain ridicule
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Emmanuel CarrĂšre (Limonov)
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les jours passent vite alors qu’on aurait pu croire le contraire lorsqu’on est lĂ , assis, Ă  attendre je ne sais quoi, Ă  boire et Ă  boire encore jusqu’à devenir le prisonnier des vertiges, Ă  voir la Terre tourner autour d’elle mĂȘme et du Soleil mĂȘme si je n’ai jamais cru Ă  ces thĂ©ories de merde que je rĂ©pĂ©tais Ă  mes Ă©lĂšves lorsque j’étais encore un homme pareil aux autres, faut vraiment ĂȘtre un illuminĂ© pour dĂ©biter des Ă©normitĂ©s de ce genre parce que moi, Ă  vrai dire, quand je bois mon pot,quand je suis assis peinard Ă  l’entrĂ©e du CrĂ©dit a voyagĂ©, je ne rĂ©alise pas que la Terre que je vois lĂ  puisse ĂȘtre ronde, qu’elle puisse s’amuser Ă  tourner au tour d’elle-mĂȘme et autour du Soleil comme si elle n’avait rien d’autre Ă  foutre que de se causer des vertiges d’avion Ă  papier, qu’on me dĂ©montre donc Ă  quel moment elle tourne autour d’elle-mĂȘme, Ă  quel moment elle arrive Ă  tourner autour du Soleil, faut ĂȘtre rĂ©aliste, voyons, ne mous laissons pas embobiner par ces penseurs qui devaient se raser Ă  l’aide d’un vulgaire silex ou d’une pierre maladroitement taillĂ©e pendant que les plus modernes d’entre eux utilisaient de la pierre polie, en fait, grosso modo, si je devais analyser tout ça de trĂšs prĂšs, je dirais qu’on distinguait jadis deux grandes catĂ©gories de penseurs, d’un cĂŽtĂ© y avait ceux qui pĂ©taient dans les baignoires pour crier Ă  plusieurs reprises « j’ai trouvĂ© , j’ai trouvĂ© », mais qu’est-ce qu’on en a foutre qu’ils aient trouvĂ©, ils n’avaient qu’à garder leur dĂ©couverte pour eux, moi j’ai eu Ă  m’immerger quelques fois dans la riviĂšre Tchinouka qui a emportĂ© ma pauvre mĂšre, je n’ai rien trouvĂ© de spectaculaire dans ces eaux grises oĂč tout corps qu’on y plonge ne subit mĂȘme pas la fameuse poussĂ©e verticale de bas en haut, c’est d’ailleurs pour cela que toute la merde de notre quartier Trois – cents est tapie au fond des eaux, qu’on me dise alors comment cette merde arrive Ă  Ă©chapper Ă  la poussĂ©e d’Archimerde, et puis y avait la deuxiĂšme grande catĂ©gorie d’illuminĂ©s qui n’étaient que des oisifs, des vrais fainĂ©ants, ils Ă©taient toujours assis sous un pommier du coin et attendaient de recevoir des pommes sur la tĂȘte pour une histoire d’attraction ou de pesanteur, moi je suis contre ces idĂ©es reçues, et je dis que la Terre est plate comme l’avenue de l’indĂ©pendance qui passe devant Le CrĂ©dit a voyagĂ©, y a rien a rajouter, je proclame que la Terre est tristement immobile, que c’est le Soleil qui s’excite autour de nous parce que je le vois moi-mĂȘme parader au dessus de la toiture de mon bar prĂ©fĂ©rĂ©, qu’on ne me raconte pas d’histoire Ă  dormir debout, et le premier qui vient encore m’expliquer que la Terre est ronde, qu’elle tourne autour d’elle –mĂȘme et autour du Soleil, celui lĂ  je le dĂ©capite sur le champ, mĂȘme s’il s’écrie « et pourtant elle tourne »
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Alain Mabanckou (Broken Glass)
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Dans les commentaires dĂ©lirants auxquels l'article de l'avocat donna lieu, devait revenir sous les formes les plus insolites la comparaison avec le sourire de la Joconde. MaĂźtre Homaire avait, entre autres, Ă©crit : « Dans le voile bleutĂ© du petit matin, confondu avec les voiles des noces, il Ă©manait de la mort d'Hadriana SiloĂ© une espĂšce d'envoĂ»tement sublunaire considĂ©rablement renforcĂ© par l'allĂ©gresse Ă©nigmatique des lĂšvres. Comme chez Mona Lisa, le charme du visage semblait pivoter sur lui-mĂȘme, complĂštement purifiĂ© des contingences consternantes du dĂ©cĂšs et portĂ© Ă  merveille Ă  l'incandescence intĂ©rieure qui sied Ă  l'Ă©ternelle beautĂ© fĂ©minine. » A la fin de 1946, Ă  mon arrivĂ©e Ă  Paris, je me prĂ©cipitai, haletant, au musĂ©e du Louvre, vers la cĂ©lĂšbre toile de Leonardo, comme au premier rendez-vous pris loin de Jacmel avec Nana SiloĂ©. J'en fus profondĂ©ment déçu. La Joconde Ă©tait bien le chef-d'Ɠuvre d'un peintre gĂ©nial, mais, comparĂ©e Ă  la jeune fille de mon souvenir, elle semblait plutĂŽt ricaner, sans aucun feu intĂ©rieur. Dans la trame de ma nostalgie inguĂ©rissable, Hadriana avait son maquillage de mariĂ©e intact ; la peau de son cou et de ses mains Ă©tait aussi lisse et fraĂźche qu'une mangue cueillie juste avant le lever du soleil. La mort avait donnĂ© Ă  sa beautĂ© un air de joyeuse profondeur comme si elle Ă©tait intĂ©rieurement absorbĂ©e par un rĂȘve plus prodigieux que la vie et la mort Ă  la fois. Sa bouche n'Ă©voquait pas un sourire lĂ©gendaire, mais un fruit Ă©clatant de fraĂźcheur auquel toute bouche assoiffĂ©e aurait voulu mordre jusqu'Ă  l'extase.
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RenĂ© Depestre (Hadriana dans tous mes rĂȘves (French Edition))