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C'est le temps que tu a perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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n'oublie pas, dit le renard, c'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. -c'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit prince, afin de souvenir...
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince: Pangeran Kecil)
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J'ai perdu assez de temps Ă me justifier, Ă vouloir convaincre, Ă tenter d'expliquer qui je suis et ce que je fais et pourquoi je le fais. Maintenant il faut agir. Et je me fous de ce qu'en pensent les autres.
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Bernard Werber (Le miroir de Cassandre)
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Le temps perdu est comme le pain oubliĂ© sur la table, le pain sec. On peut le donner aux moineaux. On peut aussi le jeter. On peut encore le manger, comme dans l'enfance le pain perdu : trempĂ© dans du lait pour l'adoucir, recouvrir de jaune dâĆuf et de sucre, et cuit dans une poĂȘle. Il n'est pas perdu, le pain perdu, puisqu'on le mange. Il n'est pas perdu le temps perdu, puisqu'on y touche Ă la fin des temps et qu'on y mange Ă sa mort, Ă chaque seconde, Ă chaque bouchĂ©e. (p90)
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Christian Bobin (La part manquante)
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Adieu, dit-ilâŠ
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est trĂšs simple : on ne voit bien quâavec le coeur. Lâessentiel est invisible pour les yeux.
- Lâessentiel est invisible pour les yeux, rĂ©pĂ©ta le petit prince, afin de se souvenir.
- Câest le temps que tu a perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
- Câest le temps que jâai perdu pour ma rose⊠fit le petit prince, afin de se souvenir.
- Les hommes ont oubliĂ© cette vĂ©ritĂ©, dit le renard. Mais tu ne dois pas lâoublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisĂ©. Tu es responsable de ta roseâŠ
- Je suis responsable de ma rose⊠répéta le petit prince, afin de se souvenir.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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Toute grande oeuvre est soit une Iliade soit une OdysĂ©e, les odysĂ©es Ă©tant beaucoup plus nombreuse que les iliades: le Satiricon, La Divine ComĂ©die, Pantagruel, Don Quichotte, et naturellement Ulysse (oĂč l'on reconnaĂźt d'ailleurs l'influence directe de Bouvard et PĂ©cuchet) sont des odysĂ©es, c'est-Ă -dire des rĂ©cits de temps pleins. Les iliades sont au contraire des recherches du temps perdu: devant Troie, sur une Ăźle dĂ©serte ou chez les Guermantes.
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Raymond Queneau
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Quittant Neuilly pour Paris XVIe, nous sommes entrés dans une vitesse sans mémoire, la rapidité des gens qui n'ont plus de temps à perdre, ou plutÎt : nous inventions une nouvelle bourgeoisie qui n'avait plus le luxe de s'intéresser au temps perdu.
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Frédéric Beigbeder
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Que de temps perdu de maniĂšre improductive ! Le sommeil est pour moi Ă©quivalent Ă la mort, et la mort nâest effrayante quâen tant quâelle est un sommeil Ă©ternel qui interrompt mes travaux. Combien de choses inachevĂ©es ! Combien de projets vont mourir !...
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Alexandre BeliaĂŻev (L'homme qui ne dormait pas)
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Visur mes ieĆĄkome savÄs. Mums patinka tik tos knygos, kuriose randame uĆŸfiksuotÄ
savo paÄiĆł pasaulio vizijÄ
arba iĆĄgyvenimÄ
, pasaulÄŻ, kurÄŻ mes patys bĆ«tumÄm norÄjÄ sukurti ir jame gyventi, tai, kÄ
mes bĆ«tumÄm norÄjÄ pasakyti, dalintis su kitais. Mums patinka tik tokie paveikslai, kuriuos mes norÄtumÄm bĆ«ti nutapÄ, tik tokia muzika, kuriÄ
mes norÄtumÄm bĆ«ti sukomponavÄ. DÄl to dabar aĆĄ ânorÄÄiauâ bĆ«ti paraĆĄÄs Stendhalio La Chartreuse de Varme, Tolstojaus Anna Karenina, Prousto A la recherche du temps perdu, Th. Manno Der Tod in Venedig ir Der Zauberberg; sukomponavÄs Vivaldi I quattro staggioni, Mozarto KoncertÄ
klarnetui A-Dur (K. 622), Kvintetus G-Moll ir D-Dur (K. 516, 593), nebaigtas MiĆĄias C-Moll (K. 427), Ravelio Le Tombeau de Couperin; nutapÄs Watteau LâEnseigne de Geisaint, G. de la Tour (de la Tur) La nativitĂ©, kai kuriuos Chardino natiurmortus, Renoiro Le Sentier a travers les champs, Soutineâo Jour de vent Ă Auxerre.
Bet nenorÄÄiau bĆ«ti niekieno poezijos autorius.
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Alfonsas Nyka-NiliĆ«nas (DienoraĆĄÄio fragmentai 1938-1975)
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Depuis que tu es partie, jâai pu compter jusquâau sept millions neuf cent quarante-huit mille cents. Tu as eu le temps dâaller te cacher loin. Je cherche partout. Je ne te trouve pas, je dĂ©sespĂšre. La partie de cache-cache dure trop longtemps. Allez, tu as gagnĂ©, tu peux sortir de ta cachette. Je tâen supplie. Jâai perdu. Jâai tout perdu.
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Jean-Louis Fournier (Veuf (La Bleue) (French Edition))
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C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit prince, afin de se souvenir.
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince)
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le regardait avec un respect attendri, mais pas trop fixement pour ne pas chercher à percer le mystÚre de ses supériorités.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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bémolise le clair de lune. Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement
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Marcel Proust (à la recherche du temps perdu (Edition intégrale ''Les 7 Tomes'' - Version EntiÚrement Illustrée))
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tout le monde sait ça, un plumitif câest un Ă©crivain, câest quelquâun qui tient une plume. Mais câest une horreur de mot. Câest Ă vous faire tomber vos dents de sagesse.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Les faits ne pĂ©nĂštrent pas dans le monde oĂč vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naĂźtre celles-ci, ils ne les dĂ©truisent pas.
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Marcel Proust (Du cote de chez Swann: A la recherche du temps perdu (French Edition))
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C'est le temps que tu as perdu pour ta rose, qui rend ta rose importante.
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Antoine de Saint-Exupéry (Le Petit Prince (French Edition))
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Je dĂ©mĂȘlai seulement que rĂ©pĂ©ter ce que tout le monde pensait nâĂ©tait pas en politique une marque dâinfĂ©rioritĂ© mais de supĂ©rioritĂ©.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Yo no era mĂĄs que el instrumento de unos hĂĄbitos de no trabajar.
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Marcel Proust (Le CÎté de Guermantes: à la recherche du temps perdu (Volume 3))
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Et voici que le monde(qui nâa pas Ă©tĂ© créé une fois, mais aussi souvent quâun artiste original est survenu) nous apparait entiĂšrement diffĂ©rent de lâancien, mais parfaitement clair.
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Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu, Tome III)
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Ressaisir notre vie ; et aussi la vie des autres ; car le style, pour lâĂ©crivain aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision. Il est la rĂ©vĂ©lation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la diffĂ©rence qualitative quâil y a dans la façon dont nous apparaĂźt le monde, diffĂ©rence qui, sâil nây avait pas lâart, resterait le secret Ă©ternel de chacun.
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Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu)
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Mais le plus beau voyage dans le temps que je connaisse câest celui que procure la lecture. On vous croit dans cette piĂšce alors que vous vagabondez dans dâautres siĂšcles. Et cela sans faire le moindre bruit.
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Dany LaferriĂšre (L'art presque perdu de ne rien faire)
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Je fis comme eux avec cet air naturel dâun libre-penseur dans une Ă©glise, lequel ne connaĂźt pas la messe, mais se lĂšve quand tout le monde se lĂšve et se met Ă genoux un peu aprĂšs que tout le monde sâest mis Ă genoux.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Le dĂŽme de l'Institut avait une vraie grĂące, dut-il convenir un peu malgrĂ© lui. Ăvidemment, donner une forme arrondie Ă un bĂątiment ne pouvait se justifier en aucune maniĂšre; sur le plan rationnel, c'Ă©tait simplement de la place perdue. La modernitĂ© Ă©tait peut-ĂȘtre une erreur, se dit Jed pour la premiĂšre fois de sa vie. Question purement rhĂ©torique, d'ailleurs: la modernitĂ© Ă©tait terminĂ©e en Europe occidentale depuis pas mal de temps dĂ©jĂ .
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Michel Houellebecq (La carte et le territoire)
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Nâarrive-t-il pas tous les jours quâun ami nous demande de ne pas manquer de lâexcuser auprĂšs dâune femme Ă qui il a Ă©tĂ© empĂȘchĂ© dâĂ©crire, et que nous nĂ©gligions de le faire, jugeant que cette personne ne peut pas attacher dâimportance Ă un silence qui nâen a pas pour nous.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu #1))
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Avez-vous remarquĂ© que la mort seule rĂ©veille nos sentiments? Comme nous aimons les amis qui viennent de nous quitter, nâest-ce pas? Comme nous admirons ceux de nos maĂźtres qui ne parlent plus, la bouche pleine de terre! Lâhommage vient alors tout naturellement, cet hommage que, peut-ĂȘtre, ils avaient attendu de nous toute leur vie. Mais savez-vous pourquoi nous sommes toujours plus justes et plus gĂ©nĂ©reux avec les morts? La raison est simple ! Avec eux, il nây a pas dâobligation. Ils nous laissent libres, nous pouvons prendre notre temps, caser lâhommage entre le cocktail et une gentille maĂźtresse, Ă temps perdu, en somme. Sâils nous obligeaient Ă quelque chose, ce serait Ă la mĂ©moire, et nous avons la mĂ©moire courte. Non, câest le mort frais que nous aimons chez nos amis, le mort douloureux, notre Ă©motion, nous-mĂȘmes enfin!
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Albert Camus (The Fall)
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; et le petit chemin quâil suit va ĂȘtre gravĂ© dans son souvenir par lâexcitation quâil doit Ă des lieux nouveaux, Ă des actes inaccoutumĂ©s, Ă la causerie rĂ©cente et aux adieux sous la lampe Ă©trangĂšre qui le suivent encore dans le silence de la nuit, Ă la douceur prochaine du retour.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Le chien est un animal si difforme, dâun caractĂšre si dĂ©sordonnĂ©, que de tout temps il a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme un monstre, nĂ© et formĂ© en dĂ©pit de toutes les lois. En effet, lorsque le repos est lâĂ©tat naturel, comment expliquer quâun animal soit toujours remuant, affairĂ©, et cela sans but ni besoin, lors mĂȘme quâil est repu et nâa point peur ? Lorsque la beautĂ© consiste universellement dans la souplesse, la grĂące et la prudence, comment admettre quâun animal soit toujours brutal, hurlant, fou, se jetant au nez des gens, courant aprĂšs les coups de pied et les rebuffades ? Lorsque le favori et le chef-dâoeuvre de la crĂ©ation est le chat, comment comprendre quâun animal le haĂŻsse, coure sur lui sans en avoir reçu une seule Ă©gratignure, et lui casse les reins sans avoir envie de manger sa chair ?
Ces contrariĂ©tĂ©s prouvent que les chien sont des damnĂ©s ; trĂšs certainement les Ăąmes coupables et punies passent dans leurs corps. Elles y souffrent : câest pourquoi ils se tracassent et sâagitent sans cesse. Elles ont perdu la raison : câest pourquoi ils gĂątent tout, se font battre, et sont enchaĂźnĂ©s les trois quarts du jour. Elles haĂŻssent le beau et le bien : câest pourquoi ils tĂąchent de nous Ă©trangler.
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Hippolyte Taine
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Na realidade, todo leitor Ă©, quando lĂȘ, o leitor de si mesmo. A obra nĂŁo passa de uma especie de instrumento Ăłptico oferecido ao leitor a fim de lhe ser possĂvel discernir o que, sem ela, nĂŁo teria certamente visto em si mesmo. O reconhecimento, por seu foro Ăntimo, do que diz o livro, Ă© a prova da verdade deste [...].
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Marcel Proust (Le Temps retrouvé, 1 (A la recherche du temps perdu, 14))
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les Ă©lans de notre sensibilitĂ© ont peu dâempire sur la suite de nos actes et la conduite de notre vie, et que le respect des obligations morales, la fidĂ©litĂ© aux amis, lâexĂ©cution dâune Ćuvre, lâobservance dâun rĂ©gime, ont un fondement plus sĂ»r dans des habitudes aveugles que dans ces transports momentanĂ©s, ardents et stĂ©riles.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu #1))
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n'oublie pas, dit le renard, c'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. -c'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit prince, afin de souvenir..."
"unutma, dedi tilki, gĂŒlĂŒn için harcadiÄin zamandir gĂŒlĂŒnĂŒ bu kadar önemli yapan. - gĂŒlĂŒm için harcadiÄim zaman... dedi kĂŒĂ§ĂŒk prens, hatirlamak için...
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Antoine de Saint-Exupéry (The Little Prince (Chinese Edition))
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Ce genre de fraudes qui consiste Ă avoir lâaudace de proclamer la vĂ©ritĂ©, mais en y mĂȘlant, pour une bonne part, des mensonges qui la falsifient, est plus rĂ©pandu quâon ne pense et mĂȘme, chez ceux qui ne le pratiquent pas habituellement, certaines crises dans la vie, notamment celles oĂč une liaison amoureuse est en jeu, leur donnent lâoccasion de sây livrer.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Le Goût du néant
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
LâEspoir, dont lâĂ©pĂ©ron attisait ton ardeur,
Ne veut plus tâenfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied Ă chaque obstacle bute.
Résigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,
Lâamour nâa plus de goĂ»t, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte!
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!
Le Printemps adorable a perdu son odeur!
Et le Temps mâengloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur;
Je contemple dâen haut le globe en sa rondeur
Et je nây cherche plus lâabri dâune cahute.
Avalance, veux-tu mâemporter dans ta chute?
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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La muraille de lâescalier oĂč je vis monter le reflet de sa bougie nâexiste plus depuis longtemps. En moi aussi bien des choses ont Ă©tĂ© dĂ©truites que je croyais devoir durer toujours, et de nouvelles se sont Ă©difiĂ©es, donnant naissance Ă des peines et Ă des joies nouvelles que je nâaurais pu prĂ©voir alors, de mĂȘme que les anciennes me sont devenues difficiles Ă comprendre.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Si, comme il arrivait quelquefois, elle avait les traits dâune femme que jâavais connue dans la vie, jâallais me donner tout entier Ă ce but : la retrouver, comme ceux qui partent en voyage pour voir de leurs yeux une citĂ© dĂ©sirĂ©e et sâimaginent quâon peut goĂ»ter dans une rĂ©alitĂ© le charme du songe. Peu Ă peu son souvenir sâĂ©vanouissait, jâavais oubliĂ© la fille de mon rĂȘve.
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Gustave Flaubert (A la recherche du temps perdu)
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L'Ă©tudiant parquĂ© dans le quartier latin y a la connaissance la plus exacte des Temps : il sait quand les haricots et les petits pois rĂ©ussissent, quand la Halle regorge de choux, quelle salade y abonde, et si la betterave a manquĂ©. Une vieille calomnie, rĂ©pĂ©tĂ©e au moment oĂč Lucien y venait, consistait Ă attribuer l'apparition des beafteaks Ă quelque mortalitĂ© sur les chevaux. Peu
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Honoré de Balzac (Etudes de moeurs. 2e livre. ScÚnes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris (French Edition))
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Le systÚme de gouvernement représentatif connaßt aujourd'hui une crise en partie parce qu'il a perdu, avec le temps, toutes les institutions qui pouvaient permettre une participation effective des citoyens et, d'autre part, parce qu'il est gravement atteint par le mal qui affecte le systÚme des partis: la bureaucratisation et la tendance des deux partis à ne représenter que leurs appareils.
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Hannah Arendt (Du Mensonge Ă la violence)
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Comme tous ceux qui possĂšdent une chose, pour savoir ce qui arriverait sâil cessait un moment de la possĂ©der, il avait ĂŽtĂ© cette chose de son esprit, en y laissant tout le reste dans le mĂȘme Ă©tat que quand elle Ă©tait lĂ . Or lâabsence dâune chose, ce nâest pas que cela, ce nâest pas un simple manque partiel, câest un bouleversement de tout le reste, câest un Ă©tat nouveau quâon ne peut prĂ©voir dans lâancien.
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Marcel Proust (à la recherche du temps perdu (Edition intégrale ''Les 7 Tomes'' - Version EntiÚrement Illustrée))
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Car ce que les gens ont fait, ils le recommencent indĂ©finiment. Et quâon aille voir chaque annĂ©e un ami qui les premiĂšres fois nâa pu venir Ă votre rendez-vous, ou sâest enrhumĂ©, on le retrouvera avec un autre rhume quâil aura pris, on le manquera Ă un autre rendez-vous oĂč il ne sera pas venu, pour une mĂȘme raison permanente Ă la place de laquelle il croit voir des raisons variĂ©es, tirĂ©es des circonstances.
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Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
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Ma seule consolation, quand je montais me coucher, Ă©tait que maman viendrait mâembrasser quand je serais dans mon lit. Mais ce bonsoir durait si peu de temps, elle redescendait si vite, que le moment oĂč je lâentendais monter, puis oĂč passait dans le couloir Ă double porte le bruit lĂ©ger de sa robe de jardin en mousseline bleue, Ă laquelle pendaient de petits cordons de paille tressĂ©e, Ă©tait pour moi un moment douloureux.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu #1))
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Il s'Ă©tonna de rĂ©flĂ©chir sur des problĂšmes qu'il ne s'Ă©tait jamais posĂ©s. Et pourtant revenait contre lui, avec un murmure mĂ©lancolique, la masse des douceurs qu'il avait toujours Ă©cartĂ©es: un ocĂ©an perdu. "Tout cela est donc si proche?..." Il s'aperçut qu'il avait peu Ă peu repoussĂ© vers la vieillesse, pour "quand il aurait le temps" ce qui fait douce la vie des hommes.(...) Mais il n'y a pas de paix. Il n'y a peut-ĂȘtre pas de victoire.
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Antoine de Saint-Exupéry
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Nous arrivons Ă un temps oĂč, les fortunes diminuant par leur Ă©galisation, tout s'appauvrira : nous voudrons du linge et des livres Ă bon marchĂ©, comme on commence Ă vouloir de petits tableaux, faute d'espace pour en placer de grands. Les chemises et les livres ne dureront pas, voilĂ tout. La soliditĂ© des produits s'en va de toutes parts. Aussi le problĂšme Ă rĂ©soudre est-il de la plus haute importance pour la littĂ©rature, pour les sciences et pour la politique. Il
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Honoré de Balzac (Etudes de moeurs . 2e livre. ScÚnes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 3. Eve et David (French Edition))
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- Tu crois ça ? Alors, pour toi, les choses sont simples : il y a les bons et les méchants ? Quelle chance tu as ! Tiens, si tu avais le choix au moment des élections entre trois candidats : le premier à moitié paralysé par la polio, souffrant d'hypertension, d'anémie et de nombreuses pathologies lourdes, menteur à l'occasion, consultant une astrologue, trompant sa femme, fumant des cigarettes à la chaßne et buvant trop de martinis ; le deuxiÚme obÚse, ayant déjà perdu trois élections, fait une dépression et deux crises cardiaques, fumant des cigares et s'imbibant le soir au champagne, au porto, au cognac et au whisky avant de prendre deux somnifÚres ; le troisiÚme enfin un héros de guerre décoré, respectant les femmes, aimant les animaux, ne buvant qu'une biÚre de temps en temps et ne fumant pas, lequel choisirais-tu ?
Servaz sourit.
- Je suppose que vous vous attendez à ce que je réponde le troisiÚme ?
- Eh bien bravo, tu viens de rejeter Roosevelt et Churchill et d'élire Adolf Hitler. Tu vois : les choses ne sont jamais ce qu'elles paraissent.
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Bernard Minier
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Mais plus Emma sâapercevait de son amour, plus elle le refoulait, afin quâil ne parĂ»t pas, et pour le diminuer. Elle aurait voulu que LĂ©on sâen doutĂąt ; et elle imaginait des hasards, des catastrophes qui lâeussent facilitĂ©. Ce qui la retenait, sans doute, câĂ©tait la paresse ou lâĂ©pouvante, et la pudeur aussi. Elle songeait quâelle lâavait repoussĂ© trop loin, quâil nâĂ©tait plus temps, que tout Ă©tait perdu. Puis lâorgueil, la joie de se dire : « je suis vertueuse », et de se regarder dans la glace en prenant des poses rĂ©signĂ©es, la consolait un peu du sacrifice quâelle croyait faire.
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Gustave Flaubert (Madame Bovary)
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Quellâanno, quando, un poâ prima del solito, i miei genitori ebbero fissato la data del ritorno a Parigi, la mattina della partenza, poichĂ© per fotografarmi mi avevano fatto arricciare i capelli, sistemato con cautela un cappello che non avevo ancora mai portato e fatto indossare un cappottino di velluto, mia madre, dopo avermi cercato dappertutto, mi trovĂČ in lacrime sul breve, ripido sentiero, vicino a Tansonville, nell'atto di dire addio ai biancospini, mentre abbracciavo i rami pungenti, e, come una principessa da tragedia a cui pesassero quei vani ornamenti, ingrato verso la mano importuna che intrecciando tutti quei nodi aveva avuto cura di raccogliermi i capelli sulla fronte, calpestavo i miei bigodini strappati e il mio cappello nuovo. La mamma non si commosse alle mie lacrime, ma non potĂ© trattenere un grido alla vista del cappello sfondato e del cappotto da buttar via. Non lâudii: «Miei poveri, piccoli biancospini, dicevo piangendo, non voi, certo, vorreste farmi del male, costringermi a partire. Voi, voi non mâavete mai fatto soffrire! PerciĂČ vi amerĂČ sempre». E, asciugandomi le lacrime, promettevo loro che, quando fossi stato grande, non avrei imitato la vita insensata degli altri uomini e, anche a Parigi, nei giorni di primavera, invece di recarmi a far visite e ad ascoltare sciocchezze, sarei corso in campagna a vedere i primi biancospini.
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Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu, Tome I)
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Depuis, plus personne ne parle du 27eme battalion. Pourtant, refusant de rejoindre le ciel, les fantÎmes, les demons nés de cette défaite continuent à errer parmi les buissons, à l'orée de la jungle, sur les rives du ruisseau. On a donné à ce coin de jungle perdu dans les brumes empoisonnées le nom effrayant de "terre des Ames hurlantes". De temps en temps, à l'occasion des cérémonies de l'enfer les morts se rassemblent sur cette langue de terre comme pour la revue des troupes. On peut entendre leurs voix dans le murmure du ruisseau, les plaintes étouffées, lancinantes de la jungle la nuit, les hurlements du vent à travers les gorges des montagnes. On peut les entendre, les comprendre.
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BáșŁo Ninh (The Sorrow of War)
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Ma rose Ă moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble. Mais Ă elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosĂ©e. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle que j'ai abritĂ©e par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tuĂ© les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai Ă©coutĂ©e se plaindre, ou se vanter, ou mĂȘme quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose [...] on ne voit bien qu'avec le cĆur. L'essentiel est invisible pour les yeux...
- C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
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Antoine de Saint-Exupéry (Le Petit Prince)
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Ce papier, qui dâabord a lâinconvĂ©nient de se couper et de se casser, se dissout dans lâeau si facilement quâun livre en papier de coton sây mettrait en bouillie en y restant un quart dâheure, tandis quâun vieux livre ne serait pas perdu en y restant deux heures. On ferait sĂ©cher le vieux livre ; et, quoique jauni, passĂ©, le texte en serait encore lisible, lâĆuvre ne serait pas dĂ©truite. Nous arrivons Ă un temps oĂč, les fortunes diminuant par leur Ă©galisation, tout sâappauvrira : nous voudrons du linge et des livres Ă bon marchĂ©, comme on commence Ă vouloir de petits tableaux, faute dâespace pour en placer de grands. Les chemises et les livres ne dureront pas, voilĂ tout. La soliditĂ© des produits sâen va de toutes parts.
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Honoré de Balzac (Illusions perdues; Tome 3 (French Edition))
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Avec le temps, j'ai simplement aperçu que mĂȘme ceux qui Ă©taient meilleurs que d'autres ne pouvaient s'empĂȘcher aujourd'hui de tuer ou de laisser tuer parce que c'Ă©tait dans la logique oĂč ils vivaient, et que nous ne pouvions pas faire un geste en ce monde sans risquer de faire mourir. Oui, j'ai continuĂ© d'avoir honte, j'ai appris cela, que nous Ă©tions tous dans la peste, et j'ai perdu la paix. Je la cherche encore aujourd'hui, essayant de les comprendre tous et de n'ĂȘtre l'ennemi mortel de personne. Je sais seulement qu'il faut faire ce qu'il faut pour ne plus ĂȘtre un pestifĂ©rĂ© et que c'est lĂ ce qui peut, seul, nous faire espĂ©rer la paix, ou une bonne mort Ă son dĂ©faut. C'est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et mĂȘme parfois un peu de bien. Et c'est pourquoi j'ai dĂ©cidĂ© de refuser tout ce qui, de prĂšs ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu'on fasse mourir.
« C'est pourquoi encore cette Ă©pidĂ©mie ne m'apprend rien, sinon qu'il faut la combattre Ă vos cĂŽtĂ©s. Je sais de science certaine (oui, Rieux, je sais tout de la vie, vous le voyez bien) que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n'en est indemne. Et qu'il faut se surveiller sans arrĂȘt pour ne pas ĂȘtre amenĂ©, dans une minute de distraction, Ă respirer dans la figure d'un autre et Ă lui coller l'infection. Ce qui est naturel, c'est le microbe. Le reste, la santĂ©, l'intĂ©gritĂ©, la puretĂ©, si vous voulez, c'est un effet de la volontĂ© et d'une volontĂ© qui ne doit jamais s'arrĂȘter.
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Albert Camus (The Plague)
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Ătes-vous ce quâon appelle un heureux ? Eh bien, vous ĂȘtes triste tous les jours. Chaque jour a son grand chagrin ou son petit souci. Hier, vous trembliez pour une santĂ© qui vous est chĂšre, aujourdâhui vous craignez pour la vĂŽtre, demain ce sera une inquiĂ©tude dâargent, aprĂšs-demain la diatribe dâun calomniateur, lâautre aprĂšs-demain le malheur dâun ami ; puis le temps quâil fait, puis quelque chose de cassĂ© ou de perdu, puis un plaisir que la conscience et la colonne vertĂ©brale vous reprochent ; une autre fois, la marche des affaires publiques. Sans compter les peines de cĆur. Et ainsi de suite. Un nuage se dissipe, un autre se reforme. Ă peine un jour sur cent de pleine joie et de plein soleil. Et vous ĂȘtes de ce petit nombre qui a le bonheur ! Quant aux autres hommes, la nuit stagnante est sur eux.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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JâĂ©tais tout de mĂȘme heureux comme un enfant nĂ© dans une prison ou dans un hĂŽpital et qui ayant cru longtemps que lâorganisme humain ne peut digĂ©rer que du pain sec et des mĂ©dicaments, a appris tout dâun coup que les peches, les abricots, le raisin, ne sont pas une simple parure de la campagne, mais des aliments dĂ©licieux et assimilables. MĂȘme si son geĂŽlier ou son garde-malade ne lui permettent pas de cueillir ce beux fruits, le monde cependant lui paraĂźt meilleur et lâexistence plus clĂ©mente. Car un dĂ©sir nous semple plus beau, nous nous appuyons Ă lui avec plus de confiance quand nous savons dâen dehors de nous la rĂ©alitĂ© sây conforme, mĂȘme si pour nous il nâest pas rĂ©alisable. Et nous pensons avec plus de joie Ă une vie oĂč, Ă condition que nous Ă©cartions pour un instant de notre pensĂ©e le petit obstacle accidentel et particulier qui nous empĂȘche personnellement de le faire, nous pouvons nous imaginer lâassouvissant.
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Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu, Tome II)
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..jâĂ©tais tout de mĂȘme heureux comme un enfant nĂ© dans une prison ou dans un hĂŽpital et qui, ayant cru longtemps que lâorganisme humain ne peut digĂ©rer que du pain sec et des mĂ©dicaments, a appris tout dâun coup que les pĂȘches, les abricots, le raisin, ne sont pas une simple parure de la campagne, mais des aliments dĂ©licieux et assimilables. MĂȘme si son geĂŽlier ou son garde-malade ne lui permettent pas de cueillir ces beaux fruits, le monde cependant lui paraĂźt meilleur et lâexistence plus clĂ©mente. Car un dĂ©sir nous semble plus beau, nous nous appuyons Ă lui avec plus de confiance quand nous savons quâen dehors de nous la rĂ©alitĂ© sây conforme, mĂȘme si pour nous il nâest pas rĂ©alisable. Et nous pensons avec plus de joie Ă une vie oĂč, Ă condition que nous Ă©cartions pour un instant de notre pensĂ©e le petit obstacle accidentel et particulier qui nous empĂȘche personnellement de le faire, nous pouvons nous imaginer lâassouvissant
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Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu, Tome II)
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Lâagonie de notre temps gĂźt lĂ .
Le siĂšcle ne sâeffondre pas faute de soutien matĂ©riel. Jamais lâunivers ne fut si riche, comblĂ© de tant de confort, aidĂ© par une industrialisation Ă ce point productrice.
Jamais il nây eut tant de ressources ni de biens offerts.
Câest le cĆur de lâhomme, et lui seul, qui est en Ă©tat de faillite.
Câest faute dâaimer, câest faute de croire et de se donner, que le monde sâaccable lui-mĂȘme des coups qui lâassassinent.
Le siĂšcle a voulu nâĂȘtre plus que le siĂšcle des appĂ©tits. Son orgueil lâa perdu. Il a cru aux machines, aux stocks, aux lingots, sur lesquels il rĂ©gnerait en maĂźtre. Il a cru, tout autant, Ă la victoire des passions charnelles projetĂ©es au delĂ de toutes les limites, Ă la libĂ©ration des formes les plus diverses des jouissances, sans cesse multipliĂ©es, toujours plus avilies et plus avilissantes, dotĂ©es dâune « technique » qui nâest, en somme, gĂ©nĂ©ralement, quâune accumulation, sans grande imagination, dâassez pauvres vices, dâĂȘtres vidĂ©s.
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Leon Degrelle (Almas ardiendo: notas de paz, de guerra y de exilio)
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- Eh bien... je ne suis pas sûr de pourvoir l'expliquer, mais je viens de me rendre compte que j'avais vécu plus longtemps que mon pÚre, ce à quoi je ne m'étais jamais attendu. C'est juste que... cela me fait bizarre, c'est tout. Toi qui as perdu ta mÚre si jeune, tu n'y penses jamais ?
- Si.
Mon visage était enfoui contre son torse, ma voix se perdant dans les plis de sa chemise.
- ... Autrefois, quand j'étais jeune. C'est comme partir en voyage sans carte.
Sa main dans mon dos s'arrĂȘta un instant.
- Oui, c'est ça. Je savais plus ou moins ce que signifiait ĂȘtre un homme trentenaire, quadragĂ©naire... mais maintenant ?
Il émit un petit bruit, un mélange d'amusement et de perplexité.
- Il faut s'inventer soit-mĂȘme, dis-je doucement. On regarde les autres femmes, ou les autres hommes. On essaie leur vie pour voir si elle nous va. Puis, on cherche Ă l'intĂ©rieur de soi ce qu'on ne trouve pas ailleurs. Et on se demande toujours... toujours... si on a fait ce qu'il fallait.
Sa main Ă©tait lourde et chaude dans mon dos. Il sentit les larmes qui s'Ă©taient brusquement mises Ă couler du coin de mes yeux sur sa chemise. Son autre main se posa sur ma tĂȘte et caressa mes cheveux.
- Oui, c'est ça, répéta-t-il tout doucement.
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Diana Gabaldon (La Croix de feu / Le Temps des rĂȘves (Le Cercle de Pierre #5-6))
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Avant le chariot du supermarchĂ©, le qu'est-ce qu'on va manger ce soir, les Ă©conomies pour s'acheter un canapĂ©, une chaĂźne hi-fi, un appart. Avant les couches, le petit seau et la pelle sur la plage, les hommes que je ne vois plus, les revues de consommateurs pour ne pas se faire entuber, le gigot qu'il aime par-dessus tout et le calcul rĂ©ciproque des libertĂ©s perdues. Une pĂ©riode oĂč l'on peut dĂźner d'un yaourt, faire sa valise en une demi-heure pour un week-end impromptu, parler toute une nuit. Lire un dimanche entier sous les couvertures. S'amollir dans un cafĂ©, regarder les gens entrer et sortir, se sentir flotter entre ces existences anonymes. Faire la fĂȘte sans scrupule quand on a le cafard. Une pĂ©riode oĂč les conversations des adultes installĂ©s paraissent venir d'un univers futile, presque ridicule, on se fiche des embouteillages, des morts de la PentecĂŽte, du prix du bifteck et de la mĂ©tĂ©o. Personne ne vous colle aux semelles encore. Toutes les filles l'ont connue, cette pĂ©riode, plus ou moins longue, plus ou moins intense, mais dĂ©fendu de s'en souvenir avec nostalgie. Quelle honte ! Oser regretter ce temps Ă©goĂŻste, oĂč l'on n'Ă©tait responsable que de soi, douteux, infantile. La vie de jeune fille, ça ne s'enterre pas, ni chanson ni folklore lĂ -dessus, ça n'existe pas. Une pĂ©riode inutile.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Rien, jamais, en effet, ne remplacera le compagnon perdu. On ne se crĂ©e point de vieux camarades. Rien ne vaut le trĂ©sor de tant de souvenirs communs, de tant de mauvaises heures vĂ©cues ensemble, de tant de brouilles, de rĂ©conciliations, de mouvements du cĆur. On ne reconstruit pas ces amitiĂ©s-lĂ . Il est vain, si lâon plante un chĂȘne, dâespĂ©rer sâabriter bientĂŽt sous son feuillage.
Ainsi va la vie. Nous nous sommes enrichis dâabord, nous avons plantĂ© pendant des annĂ©es, mais viennent les annĂ©es oĂč le temps dĂ©fait ce travail et dĂ©boise. Les camarades, un Ă un, nous retirent leur ombre. Et Ă nos deuils se mĂȘle dĂ©sormais le regret secret de vieillir.
Telle est la morale que Mermoz et dâautres nous ont enseignĂ©e. La grandeur dâun mĂ©tier est, peut-ĂȘtre, avant tout, dâunir des hommes : il nâest quâun luxe vĂ©ritable, et câest celui des relations humaines.
En travaillant pour les seuls biens matĂ©riels, nous bĂątissons nous-mĂȘmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui procure rien qui vaille de vivre.
Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui mâont laissĂ© un goĂ»t durable, si je fais le bilan des heures qui ont comptĂ©, Ă coup sĂ»r je retrouve celles que nulle fortune ne mâeĂ»t procurĂ©es. On nâachĂšte pas lâamitiĂ© dâun Mermoz, dâun compagnon que les Ă©preuves vĂ©cues ensemble ont liĂ© Ă nous pour toujours.
Cette nuit de vol et ses cent mille Ă©toiles, cette sĂ©rĂ©nitĂ©, cette souverainetĂ© de quelques heures, lâargent ne les achĂšte pas.
p35-p36
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Antoine de Saint-Exupéry (Tierra de los hombres)
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Faut-il regretter le temps des guerres "Ă sens" ? souhaiter que les guerres d'aujourd'hui "retrouvent" leur sens perdu ? le monde irait-il mieux, moins bien, indiffĂ©remment, si les guerres avaient, comme jadis, ce sens qui les justifiait ? Une part de moi, celle qui a la nostalgie des guerres de rĂ©sistance et des guerres antifascistes, a tendance Ă dire : oui, bien sĂ»r ; rien n'est plus navrant que la guerre aveugle et insensĂ©e ; la civilisation c'est quand les hommes, tant qu'Ă faire, savent Ă peu prĂšs pourquoi ils se combattent ; d'autant que, dans une guerre qui a du sens, quand les gens savent Ă peu prĂšs quel est leur but de guerre et quel est celui de leur adversaire, le temps de la raison, de la nĂ©gociation, de la transaction finit toujours par succĂ©der Ă celui de la violence ; et d'autant (autre argument) que les guerres sensĂ©es sont aussi celles qui, par principe, sont les plus accessibles Ă la mĂ©diation, Ă l'intervention - ce sont les seules sur lesquelles des tiers, des arbitres, des observateurs engagĂ©s, peuvent espĂ©rer avoir quelque prise...Une autre part hĂ©site. L'autre part de moi, celle qui soupçonne les guerres Ă sens d'ĂȘtre les plus sanglantes, celle qui tient la "machine Ă sens" pour une machine de servitude et le fait de donner un sens Ă ce qui n'en a pas, c'est-Ă -dire Ă la souffrance des hommes, pour un des tours les plus sournois par quoi le Diabolique nous tient, celle qui sait, en un mot, qu'on n'envoie jamais mieux les pauvres gens au casse-pipe qu'en leur racontant qu'ils participent d'une grande aventure ou travaillent Ă se sauver, cette part-lĂ , donc, rĂ©pond : "non ; le pire c'Ă©tait le sens"; le pire c'est, comme disait Blanchot, "que le dĂ©sastre prenne sens au lieu de prendre corps" ; le pire, le plus terrible, c'est d'habiller de sens le pur insensĂ© de la guerre ; pas question de regretter, non, le "temps maudit du sens". (ch. 10
De l'insensé, encore)
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Bernard-Henri Lévy (War, Evil, and the End of History)
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J'achÚte un roman marocain d'expression française le vendredi.
Je commence Ă le lire le samedi et dĂšs les premiĂšres pages, je crie: "Encore un qui croit que la littĂ©rature, c'est raconter son enfance et sublimer ou dramatiser son passĂ©. Je me dis; "continue quand mĂȘme, il a ratĂ© le dĂ©but mais tu trouveras sĂ»rement quelque chose de beau plus loin." Rien, walou, nada, niet. chercher des effets de styles, une narration travaillĂ©e, un souffle, une sensibilitĂ©, une sincĂ©ritĂ© est inutile. Tout sonne faux.
Le mec continue de nous bassiner avec ses misĂšres et ses amours d'enfance en utilisant la langue la plus plate que j'ai eu Ă lire ces derniers temps.
Pourquoi tant d'égocentrisme et de nombrilisme?
L'HĂGĂMONIE DU "JE" EST DEVENUE UN VĂRITABLE CANCER POUR LA LITTĂRATURE MAROCAINE.
Beaucoup de ceux qui s'adonnent à l'écriture au Maroc, surtout en français, croient qu'écrire, c'est reparler de leur mÚre, leur pÚre, leurs voisins, leurs frustrations... et surtout LEUR PERSONNE. Si au moins ils avaient l'existence d'un Rimbaud ou d'un Dostoïevski.
Je continue Ă lire malgrĂ© tout, d'abord parce que je suis maso, et ensuite pour ne pas ĂȘtre injuste Ă l'Ă©gard de l'auteur. Peine perdue. Le livre me tombe des mains et je le balance loin de moi Ă la page 94. MĂȘme le masochisme a des limites.
Je n'ai rien contre quelqu'un qui raconte sa vie. Je n'ai rien contre un nombriliste, un égocentrique, un maniaque, un narcissique, un mégalo, etc, du moment qu'il me propose un objet littéraire, un vrai, avec un style... Oui un style. Je ne dis pas avec une langue parfaite; non; je dis avec sa langue à lui, qui fait ressortir sa sincérité, son dilemme, ses tripes, son ùme. C'est ça le style qui fait l'oeuvre et non pas le bavardage.
Pour le bavardage, le "regardez-moi, je suis beau et je suis devenu écrivain"; le "Admirez-moi!", il y a les JamaÀs Fna (avec tous mes respects pour les conteurs de Jamaa Fna) et les Shows.
Alors SVP! un peu de respect pour la littérature.
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Mokhtar Chaoui
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La sociĂ©tĂ© moderne a commis la sĂ©rieuse faute de substituer, dĂšs le plus bas Ăąge, lâĂ©cole Ă lâenseignement familial. Elle y a Ă©tĂ© obligĂ©e par la trahison des femmes. Celles-ci abandonnent leurs enfants au kindergarten pour sâoccuper de leur carriĂšre, de leurs ambitions mondaines, de leurs plaisirs sexuels, de leurs fantaisies littĂ©raires ou artistiques, ou simplement pour jouer au bridge, aller au cinĂ©ma, perdre leur temps dans une paresse affairĂ©e. Elles ont causĂ© ainsi lâextinction du groupe familial, oĂč lâenfant grandissait en compagnie dâadultes et apprenait beaucoup dâeux. Les jeunes chiens Ă©levĂ©s dans des chenils avec des animaux du mĂȘme Ăąge sont moins dĂ©veloppĂ©s que ceux qui courent en libertĂ© avec leurs parents. Il en est de mĂȘme des enfants perdus dans la foule des autres enfants et de ceux qui vivent avec des adultes intelligents. Lâenfant modĂšle facilement ses activitĂ©s physiologiques, affectives et mentales sur celles de son milieu. Aussi reçoit-il peu des enfants de son Ăąge. Quand il est rĂ©duit Ă nâĂȘtre quâune unitĂ© dans une Ă©cole, il se dĂ©veloppe mal. Pour progresser, lâindividu demande la solitude relative, et lâattention du petit groupe familial.
Câest Ă©galement grĂące Ă son ignorance de lâindividu que la sociĂ©tĂ© moderne atrophie les adultes. Lâhomme ne supporte pas impunĂ©ment le mode dâexistence et le travail uniforme et stupide imposĂ© aux ouvriers dâusine, aux employĂ©s de bureau, Ă ceux qui doivent assurer la production en masse. Dans lâimmensitĂ© des villes modernes, il est isolĂ© et perdu. Il est une abstraction Ă©conomique, une tĂȘte du troupeau. Il perd sa qualitĂ© dâindividu. Il nâa ni responsabilitĂ©, ni dignitĂ©. Au milieu de la foule Ă©mergent les riches, les politiciens puissants, les bandits de grande envergure. Les autres ne sont quâune poussiĂšre anonyme. Au contraire, lâindividu garde sa personnalitĂ© quand il fait partie dâun groupe oĂč il est connu, dâun village, dâune petite ville, oĂč son importance relative est plus grande, dont il peut espĂ©rer devenir, Ă son tour, un citoyen influent. La mĂ©connaissance thĂ©orique de lâindividualitĂ© a amenĂ© sa disparition rĂ©elle.
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Alexis Carrel (ۧÙŰ„ÙŰłŰ§Ù Ű°ÙÙ Ű§ÙÙ
ŰŹÙÙÙ)
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PEER GYNT
L'Ăąme, souffle et lumiĂšre du verbe, te viendra
plus tard, ma fille Quand, en lettres d'or, sur le
fond rose de l'Orient, apparaĂźtront ces mots :
Voici le jour, alors commenceront les leçons ; ne crains rien, tu seras instruite. Mais je serais un sot de vouloir, dans le calme de cette tiĂšde nuit,me parer de quelques baillons d'un vieux savoir usĂ©, pour te traiter en maĂźtre d'Ă©cole. AprĂšs tout, le principal, quand on y rĂ©flĂ©chit, ce n'est point l'Ăąme, c'est le cĆur.
ANITRA
Parle seigneur. Quand tu parles, il me semble
voir comme des lueurs d'opale.
PBER GYNT
La raison poussĂ©e Ă l'excĂšs est de la bĂȘtise. La
poltronnerie s'Ă©panouit en cruautĂ©. L'exagĂ©ration de la vĂ©ritĂ©, c'est de la sagesse Ă l'envers. Oui, mon enfant, le diable m'emporte s'il n'y a pas de par le monde des ĂȘtres gavĂ©s d'Ăąme qui n'en ont que plus de peine Ă voir clair. J'ai connu un individu de cette sorte, une vraie perle pourtant, qui a manquĂ© son but et perdu la boussole.
Vois-tu ce désert qui entoure l'oasis? Je n'aurais qu'à agiter mon turban pour que les flots de l'Océan en comblassent toute l'étendue. Mais je serais un imbécile de créer ainsi des continents et des mers nouvelles. Sais-tu, ce que c'est que de vivre?
ANITRA
Enseigne-le-moi.
PEER GYNT
C'est planer au-dessus du temps qui coule, en
descendre le courant sans se mouiller les pieds, et sans jamais rien perdre de soi-mĂȘme. Pour ĂȘtre celui qu'on est, ma petite amie, il faut la force de l'Ăąge! Un vieil aigle perd son piumage, une vieille rosse son allure, une vieille commĂšre ses dents. La peau se ride, et l'Ăąme aussi. Jeunesse ! jeunesse ! Par toi je veux rĂ©gner non sur les palmes et les vignes de quelque Gyntiana, mais sur la pensĂ©e vierge d'une femme dont je serai le sultan ardent et vigoureux. Je t'ai fait, ma petite, la grĂące de te sĂ©duire, d'Ă©lire ton cĆur pour y fonder un kalifat nouveau. Je veux ĂȘtre le maĂźtre de tes soupirs. Dans mon
royaume, j'introduirai le régime absolu. Nous
séparer sera la mort... pour toi, s'entend. Pas une fibre, pas une parcelle de toi qei ne m'appartienne. Ni oui, ni non, tu n'auras d'autre volonté que la mienne. Ta chevelure, noire comme la nuit, et tout ce qui, chez toi, est doux à nommer, s'inclinera devant mon pouvoir souverain. Ce seront mes jardins de Babylone.
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Henrik Ibsen (Peer Gynt)
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Mais jâavais revu tantĂŽt lâune, tantĂŽt lâautre, des chambres que jâavais habitĂ©es dans ma vie, et je finissais par me les rappeler toutes dans les longues rĂȘveries qui suivaient mon rĂ©veil ; chambres dâhiver oĂč quand on est couchĂ©, on se blottit la tĂȘte dans un nid quâon se tresse avec les choses les plus disparates : un coin de lâoreiller, le haut des couvertures, un bout de chĂąle, le bord du lit, et un numĂ©ro des DĂ©bats roses, quâon finit par cimenter ensemble selon la technique des oiseaux en sây appuyant indĂ©finiment ; oĂč, par un temps glacial, le plaisir quâon goĂ»te est de se sentir sĂ©parĂ© du dehors (comme lâhirondelle de mer qui a son nid au fond dâun souterrain dans la chaleur de la terre), et oĂč, le feu Ă©tant entretenu toute la nuit dans la cheminĂ©e, on dort dans un grand manteau dâair chaud et fumeux, traversĂ© des lueurs des tisons qui se rallument, sorte dâimpalpable alcĂŽve, de chaude caverne creusĂ©e au sein de la chambre mĂȘme, zone ardente et mobile en ses contours thermiques, aĂ©rĂ©e de souffles qui nous rafraĂźchissent la figure et viennent des angles, des parties voisines de la fenĂȘtre ou Ă©loignĂ©es du foyer et qui se sont refroidies ; â chambres dâĂ©tĂ© oĂč lâon aime ĂȘtre uni Ă la nuit tiĂšde, oĂč le clair de lune appuyĂ© aux volets entrâouverts, jette jusquâau pied du lit son Ă©chelle enchantĂ©e, oĂč on dort presque en plein air, comme la mĂ©sange balancĂ©e par la brise Ă la pointe dâun rayon â ; parfois la chambre Louis XVI, si gaie que mĂȘme le premier soir je nây avais pas Ă©tĂ© trop malheureux, et oĂč les colonnettes qui soutenaient lĂ©gĂšrement le plafond sâĂ©cartaient avec tant de grĂące pour montrer et rĂ©server la place du lit ; parfois au contraire celle, petite et si Ă©levĂ©e de plafond, creusĂ©e en forme de pyramide dans la hauteur de deux Ă©tages et partiellement revĂȘtue dâacajou, oĂč, dĂšs la premiĂšre seconde, jâavais Ă©tĂ© intoxiquĂ© moralement par lâodeur inconnue du vĂ©tiver, convaincu de lâhostilitĂ© des rideaux violets et de lâinsolente indiffĂ©rence de la pendule qui jacassait tout haut comme si je nâeusse pas Ă©tĂ© lĂ Â ; â oĂč une Ă©trange et impitoyable glace Ă pieds quadrangulaires barrant obliquement un des angles de la piĂšce se creusait Ă vif dans la douce plĂ©nitude de mon champ visuel accoutumĂ© un emplacement qui nây Ă©tait pas prĂ©vu ; â oĂč ma pensĂ©e, sâefforçant pendant des heures de se disloquer, de sâĂ©tirer en hauteur pour prendre exactement la forme de la chambre et arriver Ă remplir jusquâen haut son gigantesque entonnoir, avait souffert bien de dures nuits, tandis que jâĂ©tais Ă©tendu dans mon lit, les yeux levĂ©s, lâoreille anxieuse, la narine rĂ©tive, le cĆur battant ; jusquâĂ ce que lâhabitude eĂ»t changĂ© la couleur des rideaux, fait taire la pendule, enseignĂ© la pitiĂ© Ă la glace oblique et cruelle, dissimulĂ©, sinon chassĂ© complĂštement, lâodeur du vĂ©tiver et notablement diminuĂ© la hauteur apparente du plafond.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu #1))
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moi je suis fĂąchĂ© contre notre cercle patriarcal parce quâil y vient toujours un homme du type le plus insupportable. Vous tous, messieurs, le connaissez trĂšs bien. Son nom est LĂ©gion. Câest un homme qui a bon coeur, et nâa rien quâun bon coeur. Comme si câĂ©tait une chose rare Ă notre Ă©poque dâavoir bon coeur ; comme si, enfin, on avait besoin dâavoir bon coeur ; cet Ă©ternel bon coeur ! Lâhomme douĂ© dâune si belle qualitĂ© a lâair, dans la vie, tout Ă fait sĂ»r que son bon coeur lui suffira pour ĂȘtre toujours content et heureux. Il est si sĂ»r du succĂšs quâil nĂ©glige tout autre moyen en venant au monde. Par exemple, il ne connaĂźt ni mesure ni retenue. Tout, chez lui, est dĂ©bordant, Ă coeur ouvert. Cet homme est enclin Ă vous aimer soudain, Ă se lier dâamitiĂ©, et il est convaincu quâaussitĂŽt, rĂ©ciproquement, tous lâaimeront, par ce seul fait quâil sâest mis Ă aimer tout le monde. Son bon coeur nâa mĂȘme jamais pensĂ© que câest peu dâaimer chaudement, quâil faut possĂ©der lâart de se faire aimer, sans quoi tout est perdu, sans quoi la vie nâest pas la vie, ni pour son coeur aimant ni pour le malheureux que, naĂŻvement, il a choisi comme objet de son attachement profond. Si cet homme se procure un ami, aussitĂŽt celui-ci se transforme pour lui en un meuble dâusage, quelque chose comme un crachoir. Tout ce quâil a dans le coeur, nâimporte quelle saletĂ©, comme dit Gogol, tout sâenvole de la langue et tombe dans le coeur de lâami. Lâami est obligĂ© de tout Ă©couter et de compatir Ă tout. Si ce monsieur est trompĂ© par sa maĂźtresse, ou sâil perd aux cartes, aussitĂŽt, comme un ours, il fond, sans y ĂȘtre invitĂ©, sur lâĂąme de lâami et y dĂ©verse tous ses soucis. Souvent il ne remarque mĂȘme pas que lâami lui-mĂȘme a des chagrins par-dessus la tĂȘte : ou ses enfants sont morts, ou un malheur est arrivĂ© Ă sa femme, ou il est excĂ©dĂ© par ce monsieur au coeur aimant. Enfin on lui fait dĂ©licatement sentir que le temps est splendide et quâil faut en profiter pour une promenade solitaire. Si cet homme aime une femme, il lâoffensera mille fois par son caractĂšre avant que son coeur aimant le remarque, avant de remarquer (si toutefois il en est capable) que cette femme sâĂ©tiole de son amour, quâelle est dĂ©goĂ»tĂ©e dâĂȘtre avec lui, quâil empoisonne toute son existence. Oui, câest seulement dans lâisolement, dans un coin, et surtout dans un groupe que se forme cette belle oeuvre de la nature, ce « spĂ©cimen de notre matiĂšre brute », comme disent les AmĂ©ricains, en qui il nây a pas une goutte dâart, en qui tout est naturel. Un homme pareil oublie â il ne soupçonne mĂȘme pas â, dans son inconscience totale, que la vie est un art, que vivre câest faire oeuvre dâart par soi-mĂȘme ; que ce nâest que dans le lien des intĂ©rĂȘts, dans la sympathie pour toute la sociĂ©tĂ© et ses exigences directes, et non dans lâindiffĂ©rence destructrice de la sociĂ©tĂ©, non dans lâisolement, que son capital, son trĂ©sor, son bon coeur, peut se transformer en un vrai diamant taillĂ©.
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Fyodor Dostoevsky
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Le dément
- N'avez-vous pas entendu parler de ce dément qui, dans la clarté de midi alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! »
âĂtant donnĂ© qu'il y avait justement lĂ beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, il dĂ©chaĂźna un Ă©norme Ă©clat de rire. S'est-il donc perdu ? disait l'un. S'est-il Ă©garĂ© comme un enfant ? disait l'autre. Ou bien s'est-il cachĂ© ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarquĂ© ? A-t-il Ă©migrĂ© ?âainsi criaient-ils en riant dans une grande pagaille. Le dĂ©ment se prĂ©cipita au milieu d'eux et les transperça du regard.
« OĂč est passĂ© Dieu ? lança-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tuĂ©,âvous et moi ! Nous sommes tous ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment pĂ»mes-nous boire la mer jusqu'Ă la derniĂšre goutte ? Qui nous donna l'Ă©ponge pour faire disparaĂźtre tout l'horizon ? Que fĂźmes-nous en dĂ©tachant cette terre de son soleil ? OĂč l'emporte sa course dĂ©sormais ? OĂč nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abĂźmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arriĂšre, de cĂŽtĂ©, en avant, de tous les cĂŽtĂ©s ? Est-il encore un haut et un bas ? N'errons-nous pas comme Ă travers un nĂ©ant infini ? L'espace vide ne rĂ©pand-il pas son souffle sur nous ? Ne s'est-il pas mis Ă faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes Ă midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la dĂ©composition divine ?âles dieux aussi se dĂ©composent ! Dieu est mort ! Dieu demeure mort ! Et nous l'avons tuĂ© ! Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins ? Ce que le monde possĂ©dait jusqu'alors de plus saint et de plus puissant, nos couteaux l'ont vidĂ© de son sang,âqui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles cĂ©rĂ©monies expiatoires, quels jeux sacrĂ©s nous faudra-t-il inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne nous faut-il pas devenir nous-mĂȘmes des dieux pour apparaĂźtre seulement dignes de lui ? Jamais il n'y eut acte plus grand,âet quiconque naĂźt aprĂšs nous appartient du fait de cet acte Ă une histoire supĂ©rieure Ă ce que fut jusqu'alors toute histoire ! »
Le dément se tut alors et considéra de nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient déconcertés. Il jeta enfin sa lanterne à terre : elle se brisa et s'éteignit.
« Je viens trop tĂŽt, dit-il alors, ce n'est pas encore mon heure. Cet Ă©vĂ©nement formidable est encore en route et voyage,âil n'est pas encore arrivĂ© jusqu'aux oreilles des hommes. La foudre et le tonnerre ont besoin de temps, la lumiĂšre des astres a besoin de temps, les actes ont besoin de temps, mĂȘme aprĂšs qu'ils ont Ă©tĂ© accomplis, pour ĂȘtre vus et entendus. Cet acte est encore plus Ă©loignĂ© d'eux que les plus Ă©loignĂ©s des astres,âet pourtant ce sont eux qui l'ont accompli. »
On raconte encore que ce mĂȘme jour, le dĂ©ment aurait fait irruption dans diffĂ©rentes Ă©glises et y aurait entonnĂ© son Requiem aeternam deo. ExpulsĂ© et interrogĂ©, il se serait contentĂ© de rĂ©torquer constamment ceci :
« Que sont donc encore ces églises si ce ne sont pas les caveaux et les tombeaux de Dieu ? »
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Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
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Je lâai priĂ© de me suivre dans une piĂšce fermĂ©e. Il a refusĂ© de sâasseoir. Je me suis alors assis devant lui et durant une heure et quart, je lui ai parlĂ© de sa mort imminente. Je lui ai dĂ©crit la progression des symptĂŽmes. De sa souffrance. Du dĂ©lire fĂ©brile. De la puanteur croissante de sa pourriture⊠JâĂ©tais tour Ă tour dĂ©tachĂ© et proche, froid et compatissant, prĂ©cis et grossier. Ătrange corps Ă corps. Bras de fer vaguement pervers. En un sens, jâavais gagnĂ© dâavance, moi qui Ă©tais bien vivant et bien portant. Mais, aussi bien, jâavais perdu dâavance car lui, le presque mort, nâavait plus rien Ă perdre. Il marchait dans la piĂšce, tantĂŽt nerveux, tantĂŽt ailleurs. Parfois Ă©mu. Souvent ricanant. Maniaque. Jouissant de la folle immortalitĂ© du mĂ©galomane. Il tenait sa vie et sa mort dans sa main. Il Ă©tait tout-puissant. Devant ce Dieu, je nâĂ©tais rien. Il jouait tout, dĂ©cidait de tout. Moi, je blablatais Ă ses pieds, fonctionnaire, prĂ©posĂ© au guichet de la santĂ© pĂ©pĂšre. Ridicule valet de la normalitĂ©, mon urgence nâĂ©tait pas la sienne. Son temps nâĂ©tait pas le mien. Il Ă©tait dâune autre essence, dâune autre hauteur.
Câest comme ça quand ils sont jeunes. La jeunesse est immortelle. Elle ignore le temps. Aussi la mort nâa pas de poids. Elle nâest que bande dessinĂ©e. Rigolade. Câest une mort de carton. Une affaire hĂ©roĂŻque de violence, de rĂ©volte et de sang. Une explosion. Un orgasme. Une giclure. La mort fait bander. Elle est affaire de couilles. Histoire dâhomme. Crever jeune, câest dire merde au monde. Et le foutre bien profond. La jeunesse, Ă la face du temps, pisse de lâinfini.
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Patrick Declerck (Les naufragés - Avec les clochards de Paris)
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LĂ comme partout, je connais tout le monde et je ne connais personne; beaucoup les choses et fort peu les personnes. Mais les choses elles-mĂȘmes y semblent des personnes, des personnes rares, d'une essence dĂ©licate et que la vie aurait déçue.
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Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu)
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Elles sont posées là , sur mes cuisses. Quelques minuscules brûlures s'y dévoilent. La peau est crevassée, c'est-à -dire qu'elle a souffert des erreurs et tentatives d'un temps qui n'est plus. Le métacarpe, lui, est indemne. Il bouge nécessairement sous le poids de l'écriture, des rencontres, des fruits que je pÚle. [...] Ce sont elles, les mains, que nous brandissons en manifestant, celles qui deviennent poings devant les inégalités, celles qui se nouent devant l'insensé, qui caressent ce qui est possible, celles que des hommes raidissent à défaut de savoir parler. Ce sont elles qui touchent draps, meubles, sucre, chiennes et médicaments. Ce sont elles qui ramÚnent les genoux contre la poitrine, l'obscurité en un instant, l'enfant perdu, l'encre à la feuille, la conviction à ceux qui doutent. Ce sont elles qui à la fois nourrissent et détruisent l'intégralité de ce qui sait luire. Certains d'entre nous vivront un siÚcle à n'en connaßtre que les jeux. Certains d'entre nous ne sauront qu'applaudir. Moi, enfant, je priais.
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Marie-Ălaine Guay (Les entailles)
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Un jour jâeus lâidĂ©e de lui emmener Nil pour la distraire, car elle trouvait le temps « long Ă pĂ©rir ».
â Viendrais-tu, Nil, chanter pour ma mĂšre Ă moi qui a perdu toutes ses chansons ?
Il avait une façon dâacquiescer, sans mot dire, en plaçant sa petite main dans la mienne comme pour signifier : « Tu sais bien que jâirais avec toi jusquâau bout du monde⊠» qui mâallait droit au cĆur.
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Gabrielle Roy (Children of My Heart)
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L'industrie du transport façonne son produit : l'usage. ChassĂ© du monde oĂč les personnes sont douĂ©es d'autonomie, il a aussi perdu l'impression de se trouver au centre du monde. Il a conscience de manque de plus en plus de temps, bien qu'il utilise chaque jour la voiture, le train, l'autobus, le mĂ©tro et l'ascenseur, le tout pour franchir en moyenne trente kilomĂštres, souvent dans un rayon de moins de dix kilomĂštres. Le sol se dĂ©robe sous ses pieds, il est clouĂ© Ă la roue. Qu'il prenne le mĂ©tro ou l'avion, il a toujours le sentiment d'avancer moins vite ou moins bien que les autres et il est jaloux des raccourcis qu'empruntent les privilĂ©giĂ©s pour Ă©chapper Ă l'exaspĂ©ration créée par la circulation. EnchaĂźnĂ© Ă l'horaire de son train de banlieue, il rĂȘve d'avoir une auto. ĂpuisĂ© par les embouteillages aux heures de pointe, il envie le riche qui se dĂ©place Ă contre-sens. Il paie sa voiture de sa poche, mais il sait trop bien que le PDG utilise les voitures de l'entreprise, fait passer son essence dans les frais gĂ©nĂ©raux ou se fait louer une voiture sans bourse dĂ©lier. L'usager se trouve tout au bas de l'Ă©chelle oĂč sans cesse augmentent l'inĂ©galitĂ©, le manque de temps et sa propre impuissance, mais pour y mettre fin il s'accroche Ă l'espoir fou d'obtenir plus de la mĂȘme chose : une circulation amĂ©liorĂ©e par des transports plus rapides. Il rĂ©clame des amĂ©liorations techniques des vĂ©hicules, des voies de circulation et des horaires ; ou bien il appelle de ses vĆux une rĂ©volution qui organise des transports publics rapides en nationalisant les moyens de transport. Jamais il ne calcule le prix qu'il lui en coĂ»tera pour ĂȘtre ainsi vĂ©hiculĂ© dans un avenir meilleur. Il oublie que de toute accĂ©lĂ©ration supplĂ©mentaire il payera lui-mĂȘme la facture, sous forme d'impĂŽts directs ou de taxes multiples. Il ne mesure pas le coĂ»t indirect du remplacement des voitures privĂ©es par des transports publics aussi rapides. Il est incapable d'imaginer les avantages apportĂ©s par l'abandon de l'automobile et le recours Ă la force musculaire de chacun.
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Ivan Illich (Energy and Equity)
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Les faits ne pĂ©nĂštrent pas dans le monde oĂč vivent nos croyances, ils nâont pas fait naĂźtre celles-ci, ils ne les dĂ©truisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants dĂ©mentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies se succĂ©dant sans interruption dans une famille ne la fera pas douter de la bontĂ© de son Dieu ou du talent de son mĂ©decin.
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Marcel Proust (Ă la recherche du temps perdu: (complĂšte) (French Edition))
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La peinture et la sculpture se ressemblent dans le désir qu'elles partagent de donner forme à la réalité du monde : il faut fixer, sur le tendu de la toile, ou dans le charnu de la pierre, le mouvement ondoyant et multiple du temps qui passe et du monde qui bruit.
Mais elles diffÚrent en un point majeur : quand le peintre ajoute, le sculpteur retranche. [...] Il existe beaucoup d'écrivains qui sont des peintres ; plus rares sont ceux qui s'apparentent à des sculpteurs.
Peintre, évidemment, Victor Hugo : ses romans sont des fresques, ses poÚmes, des tableaux. [...V]eut-il montrer un marin aux prises avec une bourrasque en Manche qu'il en fait une Iliade, trempée d'adjectifs sonores, éclaboussant tout de métaphores écumantes.
[...] Sculpteur, ValĂ©ry [...]. Il noircit ses cahiers. Des bordĂ©es de lignes, tirĂ©es en rafales. [...] Et de ces traĂźnĂ©es d'encre, il extraira ses pĂ©pites [...]. Ainsi : « Le temps du monde fini commence. » A la fin, la phrase a jailli, ensemencĂ©e de tout ce qui n'a plus sa raison d'ĂȘtre, de toutes ces scories insignifiantes, vouĂ©es Ă la corbeille. [...] Et le reste ne valait pas d'ĂȘtre gravĂ©.
[...] Les peintres ajoutent de la substance [au] monde. Les sculpteurs retranchent, pour mieux donner.
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Frank Lanot (Ăloge du temps perdu - Ă l'usage de ceux qui aiment les livres et la lecture)
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Time Regained.
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Marcel Proust (Le Temps Perdu)
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Mais mĂȘme au point de vue des plus insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout matĂ©riellement constituĂ©, identique pour tout le monde et dont chacun n'a qu'Ă aller prendre connaissance comme d'un cahier des charges ou d'un testament; notre personnalitĂ© sociale est une crĂ©ation de la pensĂ©e des autres. MĂȘme l'acte si simple que nous appelons «voir une personne que nous connaissons» est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l'apparence physique de l'ĂȘtre que nous voyons de toutes les notions que nous avons sur lui, et dans l'aspect total que nous nous reprĂ©sentons, ces notions ont certainement la plus grande part.
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Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann: à la recherche du temps perdu I | Texte présenté et annoté par Olivier Donato. (French Edition))
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Soit nous réussissons à faire de cette traversée du temps
retrouvĂ© une expĂ©rience proustienne (mĂ©moire, pastille Ă
la bergamote, exercice de la sensibilitĂ©), soit câest le vrai
effondrement : celui de soi-mĂȘme.Heinrich von Kleist dans Michael Kohlhaas donne une
clef : « du fond de sa douleur de voir le monde dans un si
monstrueux désordre, surgissait la satisfaction secrÚte de
sentir lâordre rĂ©gner dĂ©sormais dans son cĆur ». Ă chacun est offerte une occasion (rĂ©munĂ©rĂ©e) de faire un peu
dâordre en son cĆur.Une inĂ©galitĂ© immĂ©diate se rĂ©vĂšle. Certains ont une vie
intĂ©rieure, dâautres non. JâĂ©prouve de la compassion pour
ceux qui passeront ces journĂ©es loin dâun jardin. Mais jâen
ai aussi pour ceux qui nâaiment pas la lecture et ne « se
doute[nt] pas le moins du monde quâun Rembrandt, un
Beethoven, un Dante, ou un Napoléon ont jamais existé »,
comme lâĂ©crit Zweig au dĂ©but du Joueur d âĂ©chec.On peut savoir grĂ© au prĂ©sident Macron dâavoir lancĂ©
dans son discours du lundi 16 mars le plus churchilien
mot dâordre : « Lisez. » Câest tout de mĂȘme plus beau que
« Enrichissez-vous » de Guizot.Julien Gracq dans En lisant, en Ă©crivant donnait semblable indication thĂ©rapeutique : « Le livre ouvre un lointain Ă la vie, que lâimage envoĂ»te et immobilise. » Vous
voulez explorer vos confins ? Ouvrez des livres. Devant un
Ă©cran, vous serez deux fois confinĂ©s !Le temps est une substance. Il se modĂšle. Nous lâavions
perdu, on le retrouve. Câest une grĂące. La rĂ©volution Ă©cologique commence par une Ă©cologie du temps.
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Sylvain Tesson (Que ferons-nous de cette épreuve ? Entretien avec Vincent Tremolet de Villers)
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Le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaßt le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun.
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Marcel Proust (A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU - Ădition intĂ©grale en 2 volumes - VOLUME I: Du cĂŽtĂ© de chez Swann - Ă l'ombre des jeunes filles en fleurs - Le cĂŽtĂ© de guermantes)
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Lorsquâil se dĂ©tourne finalement pour monter dans un wagon, elle a le temps dâapercevoir ses prunelles bleues. Perdues. DĂ©solĂ©es. NoyĂ©es.
Ăa lui retourne le ventre.
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Fanny R.J. (AprĂšs)
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Une analyse adĂ©quate de la mythologie diffuse de l'homme moderne demanderait des volumes. Car, laĂŻcisĂ©s, dĂ©gradĂ©s, camouflĂ©s, les mythes et les images mythiques de rencontrent partout : il n'est que de les reconnaitre. Nous avons fait allusion Ă la structure mythologique des rĂ©jouissances du Nouvel An ou des fĂȘtes qui saluent un "commencement" : on dĂ©chiffre encore la nostalgie de la renovatio, l'espoir que le monde se renouvelle, qu'on peut commencer une nouvelle Histoire dans un monde rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©, c'est-Ă -dire créé Ă nouveau. On multiplierait facilement les exemples. Le Mythe du Paradis perdu survit encore dans les images de l'Ile paradisiaque et du paysage Ă©dĂ©nique, territoire privilĂ©giĂ© oĂč les lois sont abolies, oĂč le temps s'arrĂȘte
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Mircea Eliade (Myths, Dreams and Mysteries: The Encounter Between Contemporary Faiths and Archaic Realities)
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La fin tronquĂ©e de Marc Les derniĂšres phrases de lâĂvangile de Marc semblent ne pas ĂȘtre de lui. Plusieurs spĂ©cialistes pensent que nous sommes en face dâune difficultĂ©. En effet, la conclusion de Marc dans nos Bibles est absente des meilleurs et des plus anciens manuscrits. Ce qui fait planer un doute sur lâauthenticitĂ© des douze derniers versets. Câest dans les copies du IIe siĂšcle quâune fin semble ajoutĂ©e, pour terminer un texte qui reste en suspend. Il est possible que les derniĂšres pages authentiques de lâĂvangile de Marc aient Ă©tĂ© perdues. Il est possible aussi que Marc nâait pas eu le temps de terminer son texte, ce qui sous-entend une fin tragique et prĂ©coce de lâĂ©vangĂ©liste, et ce qui accentue la dimension dâurgence, dĂ©jĂ mentionnĂ©e, Ă rĂ©diger ce texte.
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Eric Denimal (La Bible pour les Nuls (French Edition))
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Cette nuit-lĂ , il est seul sans lâĂȘtre vraiment, car les fantĂŽmes de son passĂ© font sentir leur prĂ©sence. Et le temps passe, comme il sait si bien le faire. Louis a perdu toute notion des heures. La nuit distend et tord le rĂ©el. Quand les premiĂšres lueurs de lâaube apparaissent, il est Ă©puisĂ©.
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Julie Turconi (Les Marches)
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Mais si c'Ă©tait l'exil, dans la majoritĂ© des cas c'Ă©tait l'exil chez soi. Et quoique le narrateur n'ait connu que l'exil de tout le monde, il ne doit pas oublier ceux, comme le journaliste Rambert ou d'autres, pour qui, au contraire, les peines de la sĂ©paration s'amplifiĂšrent du fait que, voyageurs surpris par la peste et retenus dans la ville, ils se trouvaient Ă©loignĂ©s Ă la fois de l'ĂȘtre qu'ils ne pouvaient rejoindre et du pays qui Ă©tait le leur. Dans l'exil gĂ©nĂ©ral, ils Ă©taient les plus exilĂ©s, car si le temps suscitait chez eux, comme chez tous, l'angoisse qui lui est propre, ils Ă©taient attachĂ©s aussi Ă l'espace et se heurtaient sans cesse aux murs qui sĂ©paraient leur refuge empestĂ© de leur patrie perdue. C'Ă©tait eux sans doute qu'on voyait errer Ă toute heure du jour dans la ville poussiĂ©reuse, appelant en silence des soirs qu'ils Ă©taient seuls Ă connaĂźtre, et les matins de leur pays. Ils nourrissaient alors leur mal de signes impondĂ©rables et de messages dĂ©concertants comme un vol d'hirondelles, une rosĂ©e de couchant, ou ces rayons bizarres que le soleil abandonne parfois dans les rues dĂ©sertes. Ce monde extĂ©rieur qui peut toujours sauver de tout, ils fermaient les yeux sur lui, entĂȘtĂ©s qu'ils Ă©taient Ă caresser leurs chimĂšres trop rĂ©elles et Ă poursuivre de toutes leurs forces les images d'une terre oĂč une certaine lumiĂšre, deux ou trois collines, l'arbre favori et des visages de femmes composaient un climat pour eux irremplaçable.
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Albert Camus (The Plague)
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Nous rentrons de la ville, la tĂȘte en dĂ©sordre et le coeur essoufflĂ©, pour trouver tout changĂ©. En quatre jours, pendant lesquels j'ai lĂąchĂ© un peu de ma substance pour gagner ma vie, le jardin, le bois, le ciel, l'air et l'eau ont poursuivi l'inexorable mĂ©tamorphose, et je suis envahi, perdu, quasiment tourmentĂ©. Est-ce que j'avance, moi, est-ce que je progresse, est-ce que je me mĂ©tamorphose ? Ou bien est-ce que je vis dans un temps immuable, immobile oĂč "je m'attends infiniment", comme l'Ă©crit Flannery [O'Connor]?
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Robert Lalonde (Le Monde sur le flanc de la truite)
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On avance, comme saoulĂ©, on marche en perdant de temps en temps le souffle, on est un intrus qui s'obstine, qui cherche follement Ă se sentir de nouveau chez lui, dans ce temps et cet espace neufs, saturĂ©s, et qui vous refoulent. Vous ĂȘtes l'Ă©tranger, le dĂ©serteur, celui qui a fuit, qui ne sait plus oĂč en sont les oiseaux de leurs amours, de leurs fouilles, de leurs nids, oĂč en sont les branches, les vers, les salamandres. Vous vous ĂȘtes absentĂ© et tout a tellement progressĂ©, mĂ»ri, tout s'est tellement dĂ©ployĂ©, que vous vagabondez en exilĂ© parmi les mille commencements qui vous ont pris de vitesse, et qui vous dĂ©passent grandement.
Vous tombez assis sur une chaise qui ne vous reconnaĂźt plus, qui est d'un accueil rĂȘche et frisquet, vous surprend les fesses avec des rugositĂ©s de bois rĂ©cemment tourmentĂ© par de la pluie et du vent que vous n'avez pas connus. Vous soufflez difficultueusement, comme un convalescent Ă qui on a pĂ©rilleusement permis cette sortie aventureuse dans l'univers en fusion oĂč vous risquez d'aggraver votre souffrance, ce mal dont vous ignorez tout encore, et qui a quelque chose Ă voir avec votre absence, votre Ă©ternelle distraction, votre effrayant et inguĂ©rissable dĂ©sir d'ĂȘtre une crĂ©ature sĂ©parĂ©e, grandiose, unique, gagnante. Vous vous laissez brasser, secouer, venter. Vous rattraper lentement le morceau de saison perdu, vaille que vaille, vous revenez, et de loin, vous le savez bien. Mais d'oĂč? OĂč Ă©tiez-vous?
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Robert Lalonde (Le Monde sur le flanc de la truite)
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â Le centre de gravitĂ© de lâEurope va se dĂ©placer. Vers le monde anglo-saxon et, finalement, vers lâAmĂ©rique. Vous voyez bien aujourdâhui comment la francophonie sâĂ©teint Ă petit feu⊠La dĂ©rive nordique Ă©loignera la France de son histoire originelle, de sa parentĂ© affective, la MĂ©diterranĂ©e â mare nostrum.
JâĂ©tais fascinĂ© par sa vaste culture et son sens de lâHistoire. Il me dit que, si elle se faisait, lâEurope de Maastricht se dĂ©tournerait de lâAfrique. Seule une Europe latine pouvait comprendre et fixer les populations sur place. Comme ces paroles rĂ©sonnent aujourdâhui ! Il me confia lâavoir rĂ©pĂ©tĂ© Ă Roland Dumas : « Vous avez tort de soutenir ce sinistre traitĂ©. Il fera obstacle Ă ce que la MĂ©diterranĂ©e puisse devenir, autour de la France, de lâEspagne et du Maroc, une zone dâĂ©quilibre, un lac de TibĂ©riade, autour duquel les trois religions et les fils dâAbraham pourraient trouver des points dâharmonie et prĂ©venir les grandes transhumances de la misĂšre et de lâenvie. »
Le roi paraissait fort mobilisé sur ce sujet. Presque intarissable :
â Vos Ă©lites sont ballotĂ©es sur des mers sans rivage, elles ont perdu toutes les boussoles.
â De quelles boussoles parlez-vous ?
â De celles qui nous conduisent dans lâespace et le temps : celles des cartes, des aiguilles et de la pĂ©rennitĂ©. La gĂ©ographie, qui est la seule composante invariable de lâHistoire ; et la famille, qui en est le principe et la sĂšve. Je ne vous envie pas.
Il était redevenu le souverain impérieux. Me voyant surpris, il lùcha brutalement :
â Vous parquez vos vieux. Dans des maisons de retraite. Vous exilez la sagesse. Vous avez aboli la gratitude, et donc lâespoir. Il nây pas dâavenir pour un peuple qui perd ses livres vivants et nâa plus dâamour-propre. Qui abhorre son propre visage. Si vous ne retrouvez pas la fiertĂ©, vous ĂȘtes perdus.
Lâentretien dura encore quelque temps. Le roi Hassan II parlait beaucoup. Il se dĂ©solait de voir la France choir dans la haine de soi. Je nâignorais pas quâil dirigeait son pays dâune main de fer. Mais son amour sincĂšre pour la France me toucha.
Il rĂ©pĂ©ta plusieurs fois le mot de PĂ©guy : « Quand une sociĂ©tĂ© ne peut plus enseigner, câest que cette sociĂ©tĂ© ne peut pas sâenseigner. »"
pp. 146-147
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Philippe de Villiers (Le moment est venu de dire ce que j'ai vu)
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Combien de fois au cours de ces derniĂšres annĂ©es nâa-t-on pas entendu un(e) responsable « en situation » expliquer « les yeux dans les yeux » que le pays Ă©tait « à la croisĂ©e des chemins », ou affirmer que telle « rĂ©forme dâampleur » Ă©tait « la mĂšre de toutes les batailles » ? Quels que soient les gouvernements, tout nouvel accord est forcĂ©ment qualifiĂ© de « gagnant-gagnant », de mĂȘme que lâemploi, lâĂ©ducation ou la lutte contre le terrorisme sont toujours « la prioritĂ© des prioritĂ©s »⊠Ces mots, forts en apparence, ont en rĂ©alitĂ© perdu de leur substance au fil du temps : des coquilles vides rendant leurs locuteurs inaudibles par les Français qui Ă©prouvent de plus en plus de dĂ©fiance envers leurs dirigeants.
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Anonymous
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Tout le monde a la sensation d'avoir eu la possibilité d'améliorer son existence à un instant clé de sa vie, et la certitude d'avoir fait le mauvais choix. Nous faisons tous le bilan à un moment ou un autre. Nous avons alors majoritairement le sentiment amer d'avoir perdu du temps, qu'on aurait pu mieux faire. Différemment en tout cas. Et ça, ce n'est pas réservé aux adultes.
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Eli Esseriam (Cavalier pĂąle : Elias (Apocalypsis, #4))
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Câest lâinstant oĂč le malade qui a Ă©tĂ© obligĂ© de partir en voyage et a dĂ» coucher dans un hĂŽtel inconnu, rĂ©veillĂ© par une crise, se rĂ©jouit en apercevant sous la porte une raie de jour. Quel bonheur ! câest dĂ©jĂ le matin ! Dans un moment les domestiques seront levĂ©s, il pourra sonner, on viendra lui porter secours. LâespĂ©rance dâĂȘtre soulagĂ© lui donne du courage pour souffrir. Justement il a cru entendre des pas ; les pas se rapprochent, puis sâĂ©loignent. Et la raie de jour qui Ă©tait sous sa porte a disparu. Câest minuit ; on vient dâĂ©teindre le gaz ; le dernier domestique est parti et il faudra rester toute la nuit Ă souffrir sans remĂšde.
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Marcel Proust (Du cĂŽtĂ© de chez Swann : Ădition intĂ©grale (Ă la recherche du temps perdu, #1&4-6))
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LâimpĂ©ratrice Tarunesh inclina son visage gĂ©nĂ©reux aux traits rĂ©guliers Ă son adresse, bien que le jeune Sorcelier ne puisse affirmer si câĂ©tait en signe de remerciement ou une simple notification de sa remarque. Le Dejazmach Elias sembla vouloir en tirer parti :
- Voyez, Ă Reine des Rois, une bĂȘte fauve et quoi dâautre par-dessus le marchĂ© ! Permettez-moi de risquer ma vie plutĂŽt que dâexposer votre auguste personne inutilementâŠ
Il y eut des murmures dâapprobation mais CĂ©lian nota que Nyssa, qui Ă son grand plaisir le rejoignait, ne partageait visiblement pas lâavis dâElias.
- Votre inquiĂ©tude nâest pas de mise, Dejazmach, sâexclama Tarunesh avec une douceur voilĂ©e, ses yeux brillants emplis dâassurance. Le jour oĂč une bĂȘte des herbes grasses aura ma vie, je ne serai effectivement plus digne de rĂ©gner ! Assez perdu de temps.
Selamawit, Mengistu, escortez notre Nigiste Negest ! commanda le Dejazmach Elias en se redressant vivement, se tournant vers les guerriers et la foule assemblés derriÚre lui.
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Cyrille Mendes (Les Ăpieurs d'Ombre)
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Les exemples irakien et libyen devraient nous dessiller : le regime change, comme disent les AmĂ©ricains, cela ne marche pas. DĂ©jĂ , du temps de la colonisation, les changements de rĂ©gime par la force et la politique de la canonniĂšre nâavaient pas fait preuve de leur efficacitĂ© Ă long terme. Mais aujourdâhui, oĂč lâon a perdu toute expĂ©rience humaine des gestions coloniales, lâon ne sait pas faire. Lâenfer africain et moyen-oriental est pavĂ© des bonnes intentions occidentales.
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Randa Kassis (Le Chaos Syrien, printemps arabes et minorités face à l'islamisme (French Edition))
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Beaucoup d'entre nous cherchons Ă donner du sens Ă nos vies, mais nos vies n'ont de sens que si nous sommes capables d'accomplir ces trois destinĂ©es: aimer, ĂȘtre aimĂ© et savoir pardonner. Le reste n'est que du temps perdu.
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Joël Dicker
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Nous avons dĂ©jĂ parlĂ© de la notion temporelle propre Ă chaque saison, l'Ă©tĂ© Ă©tant l'Ă©poque oĂč il ne faut plus attendre, quand la rĂ©colte est mĂ»re, pour la recueillir. J'ai ainsi connu des Ă©tĂ©s bretons oĂč les pluies risquaient de gĂącher le travail de toute une annĂ©e; les Recteurs, en chaire, autorisaient exceptionnellement le travail le dimanche. Cette pĂ©riode de rĂ©colte n'est pas une phase tranquille oĂč il suffit de contempler les champs de blĂ© mĂ»r, mais une pĂ©riode de travail impĂ©ratif pour mettre la rĂ©colte Ă l'abri Ă temps. Les cultivateurs de l'Ă©poque -- comme maintenant -- n'avaient pas toujours leur temps normal de sommeil; l'Ă©tĂ©, quand il fallait suivre les battages de ferme en ferme, les paysans finissaient Ă la nuit pour reprendre Ă l'aube dans la ferme suivante, ce qui ne les empĂȘchait pas, d'ailleurs, d'aller au bal le samedi et d'y gagner une nouvelle nuit blanche.
La rĂ©colte n'attends pas, « quand le vin est tirĂ©, il faut le boire » ; si le fruit du travail psychologique n'est pas engrangĂ© en temps voulu, il risque d'ĂȘtre perdu. Psychologiquement, on peut dire que si le sujet ne prends pas conscience de certains progrĂšs, de certains Ă©volutions, aux moments oĂč ceux-ci se prĂ©sentent, ils risquent d'ĂȘtre perdus et de repartir dans l'inconscient. Il faudra un nouveau cycle pour retrouver Ă nouveau les solutions nĂ©gligĂ©es. Il est nĂ©cessaire de reconnaĂźtre que les choses ont changĂ©. Ainsi, en faisant avec quelqu'un le bilan d'une annĂ©e d'entretiens et en se reportant aux problĂšmes qui se posaient un an plus tĂŽt, il est possible de mesurer le chemin parcouru, de s'apercevoir que des problĂšmes, cruciaux alors, sont pasĂ©s au second plan et ont Ă©tĂ© rĂ©solus. Il est permis d'espĂ©rer que les nouvelles questions qui se posent trouveront elles aussi leurs rĂ©ponses. Ainsi, le sujet n'a pas l'impression de nager continuellement dans la mĂȘme problĂ©matique, comme s'il tournait en rond, et pourra mĂȘme dĂ©couvrir que si certains questions reviennent Ă l'ordre du jour, elles le font selon un mouvement spirale qui ne pose plus de problĂšmes de la mĂȘme façon que l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente. C'est la prise de conscience du chemin parcouru hier qui peut donner le courage d'en entreprendre un nouveau demain.
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Marie-Claire Dolghin-Loyer
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Per me l'atto di pensare e quello di esprimere i pensieri non sono simultanei, e neppure necessariamente consecutivi. So di pensare e parlare nella stessa lingua, e so che in teoria non câĂš ragione per cui io non possa comunicare i miei pensieri non appena si formano o immediatamente dopo; eppure la lingua in cui io penso e quella in cui parlo sembrano spesso talmente lontane che mi pare impossibile colmare il vuoto sul momento, o anche retroattivamente.
Mi ha sempre affascinato lâidea della traduzione simultanea, come alle Nazioni Unite, dove nel pubblico tutti hanno gli auricolari e si sa che nelle retrovie gli interpreti ascoltano quello che viene detto e lo trasformano in unâaltra lingua. Capisco che questo sia possibile, ma per me ha del miracoloso â che le parole siano lanciate in aria in una lingua e ricadano a terra in unâaltra come una palla. Credo che nel mio cervello ci sia una specie di setaccio che impedisce un rapido (e tanto meno simultaneo) travaso dei pensieri in parole. Un poâ come il filtro nello scarico della vasca da bagno; câĂš qualcosa che mantiene i miei pensieri nel cervello, e cosĂŹ bisogna cavarli a forza, come quegli schifosi grovigli di capelli bagnati.
Riflettevo sui concetti di pensiero e di linguaggio, a quanto sarebbe stato difficile esprimerli â o quantomeno spossante, come se pensarli fosse giĂ abbastanza e dirli fosse pleonastico o riduttivo, perchĂ© lo sanno tutti che la traduzione svilisce un testo, Ăš sempre meglio leggere un libro nella lingua originale (Ă la recherche du temps perdu). Le traduzioni sono delle approssimazioni soggettive e questo Ăš esattamente quello che provo quando parlo: quello che dico non Ăš quello che penso ma solo quello che piĂč gli si avvicina, con tutti i limiti e le imperfezioni del linguaggio. Quindi penso spesso che sia meglio stare zitto anzichĂ© esprimermi in modo inesatto.
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Peter Cameron
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Il regarde autour de lui la ville dans la nuit, les silhouettes tranquilles des passants, ses bùtiments, ses éclairages, les voitures qu'il croise, les feux aux carrefours, égrenant, imperturbables, leur code de couleurs, tout cet ordonnancement, ce décorum nocturne, opérationnel de la civilisation industrielle, et il se demande comment tout ça tient encore debout, tous ces réseaux, cette énergie, cet assemblage complexe, tant cela lui semble relever d'un chùteau de cartes auquel on en rajoute sans cesse une autre puis une autre en pariant sur la stabilité de l'ensemble. Il est persuadé, Jourdan, que ça va se casser la gueule, que les lumiÚres s'éteindront, que les images saturant les écrans, les voix surgies du lointain n'arriveront plus nulle part, perdues dans d'infranchissables distances comme ces oueds absorbés par le désert. Il ne sait pas quand ni comment mais il est sûr que ça se produira, chaos climatique, incendies géants, épidémies, les conjugaisons du pire sont déjà imprimées, leurs rÚgles implacables connues de tous, au futur exclusivement. Temps barbare vers quoi on apprend encore des enfants à marcher.
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Hervé Le Corre (Traverser la nuit)
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Les bergers qui vivent en Ă©tĂ© sur les sommets de HÄÈmaÈul Mare sont tĂ©moins, souvent avec effroi, de certaines tempĂȘtes terrifiantes. Nulle part, aussi loin que se portent les regards et aussi loin que va lâimagination Ă lâintĂ©rieur des frontiĂšres du pays, il ne pleut, il ne neige et il ne vente tant, et avec autant de fureur, que sur ce colosse de pierre, contre lequel se brisent tous les nuages dâArdeal.
Au bord dâun prĂ©cipice, un sapin se met Ă vaciller, jusquâĂ ce quâil touche celui de gauche, ensuite celui de droite, comme sâil faisait ses adieux aux frĂšres avec lesquels il avait passĂ© son enfance, et, dâun saut tragique, il se jette dans le vide. Dâautres, emportĂ©s par la folie gĂ©nĂ©rale, se prĂ©cipitent Ă sa suite vers des destinations inconnues et fatales. On les retrouvera plus tard, qui sait oĂč, mordant la poussiĂšre et couverts de blessures profondes, comme des soldats tombĂ©s au combat.
Une seule tempĂȘte, qui a fait rage il y a dĂ©jĂ un certain temps sur ce monde dĂ©vastĂ© par de violents tremblements dâair a arrachĂ© de ses flancs cinquante milliers de sapins, les emportant dans les ravins. On les y aperçoit encore maintenant, tel un amas dâossements frĂȘles, emmĂȘlĂ©s chaotiquement, qui pourrissent au fond des vallĂ©es perdues.
MĂȘme les pics les plus orgueilleux se sentent menacĂ©s par les ouragans qui se dĂ©chaĂźnent contre eux. Aveugles, brutales, les masses dâair les frappent de plein fouet, essayant de les arracher de leur place. Mais les pics, obstinĂ©s, rĂ©sistent. Face Ă la puissance brute des Ă©lĂ©ments, ils opposent la leur, avec des dizaines dâarĂȘtes tranchantes, qui sâentrechoquent violemment.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
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Travaux en vert («opĂ©rations en vert» ou «façons en vert»)âopposĂ©s aux «travaux dâhiver» â sont, disent les dictionnaires, «l'ensemble des opĂ©rations culturales (rognage, lâĂ©bourgeonnage, Ă©claircissages, la vendange en vert, le pincement, lâĂ©cimage, le rognage, l'entre-cĆur, lâeffeuillage etc.) que les vignerons pratiquent sur la vigne au cours de la pĂ©riode vĂ©gĂ©tative» et «ils ont le plus souvent pour but de favoriser le mĂ»rissement des grappes». Travaux en vert câest, donc, une mĂ©taphore qui renvoie Ă des choses trĂšs prĂ©cises. Comme pour la vigne et pour le bon vin sont nĂ©cessaires toutes sortes de «travaux», parfois, quand la culture devient «sauvage» (par l'abandon aussi) des «opĂ©rations», des «travaux» de toutes sortes sont, de mĂȘme nĂ©cessaires. C'est la conclusion du personnage du livre, prof Ă la FacultĂ© de Lettres (comme moi), qui doit parler de la poĂ©sie devant un «public» qui a perdu complĂštement, par ignorance aussi, le goĂ»t de la poĂ©sie, la vraie. La prof essaie de faire ses «travaux» et son «plaidoyer pour la poĂ©sie» dâune façon «alternative», en mĂ©langeant des citations des grands Ă©crivains et des allusions Ă la culture underground ou Ă la culture pop, des personnages de bandes dessinĂ©es et de Muppetâs Show, des films, des groupes de musiques etc. etc.
J'ai fait, en 324 pages, une sorte d'histoire de la poésie, avec la participation des poÚtes de partout, de tous les temps. J'ai convoqué aussi «les hypocrites lecteurs» (semblables et frÚres!). J'espÚre que les fragments du livre roumain traduit en français peuvent donner une idée du projet de ce... Bildungspoem.
(p. 9-10)
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Simona Popescu (LucrÄri Ăźn verde sau Pledoaria mea pentru poezie)
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Achats
Il me semblait, le souvenir est tellement clair
Que jâĂ©tais dans un grand magasin alimentaire
Saturé de byzantines effluves :
Vanille, cannelle, olives.
Un magasin comme une cité autour
Mais perdu dans le clair-obscur.
Palpitaient de temps en temps des lumiĂšres
Venant du rayon des denrées étrangÚres
Vers les boutiques secondaires
Avec du linge et des lampadaires quand, a travers la vitre
souillée,
Je tâai vue mĂ©langer une sorte de pĂątĂ©e,
Pour assaisonner les harengs ou maquereaux
Et soudainement je suis tombé amoureux.
Alors tu as souri avec les paupiĂšres,
Tu as touché des soupapes légÚres,
Tu as rangé les boites de conserves de goujon,
Tu as secoué tes mÚches, essuyé tes mains au blouson
Et devant moi tu es venue.
TâĂ©tais petite, le regard un peu embu,
Tu te tenais, pieds nus et toute rose,
Comme dans les photos dâenfance on gardait la pose
Et tu mâas dit que mĂȘme si pour moi seul vivais
Dans des chambres, magasins, ou tramways,
Il ne sera rien de pareil, jamais
Car mon ĂȘtre entier Ă©tait changĂ©
Et peut-ĂȘtre il ne te reste souvenance
Des temps heureux vĂ©cus Ă lâAssistance
La façon dont ensemble on se gaussait
En sortant nos doigts de la couette matelassée.
Alors vers les manufactures je me suis tourné
Et acheter plein de choses jâai commencĂ©
Sans aucun choix, sans logique,
En souvenir des saisons devenues épiques.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Leonid Dimov
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On le savait, on lâavait su au dĂ©but dans un Ă©clair de luciditĂ©, mais ensuite, pendant le reste de notre vie, on a perdu ce savoir. Comme quand on se lĂšve la nuit et quâon tĂątonne dans lâobscuritĂ© de la chambre pour aller aux toilettes : on se sent perdu, on allume une fraction de seconde, on Ă©teint aussitĂŽt et ce flash nous montre le chemin, mais seulement le temps nĂ©cessaire pour aller faire pipi et revenir nous coucher. La fois suivante, on sera Ă nouveau perdu.
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Sandro Veronesi (Il colibrĂŹ)
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Une raison de survie
Mes poĂšmes demeureront
brillants sur tes doigts
comme des perles de nacre
une maniÚre de prévenir le temps
quâil ne saurait pas tout dĂ©truire
car je suis mandaté
Ă garder tes doigts
qui cherchent dans le sommeil mon corps
perdu entre les étoiles
*
[Un motiv de supravieÈuire
Poemele mele vor rÄmĂąne
strÄlucind pe degetele tale
ca niÈte bobiÈe de mÄrgÄritar
un fel de a preveni timpul
cÄ el nu poate distruge tot
cÄ eu sĂźnt pus aici
sÄ pÄstrez degetele tale
care Ăźmi cautÄ Ăźn somn trupul
pierdut printre stele]
(p. 37)
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Dan Laurentiu (Femeie dormind)
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Ă regarder les uns souffrir, les autres se damner pour une ration de pain ; Ă sâefforcer de faire les braves pour ne pas devenir victimes ; nous avions tous perdu le fil du temps et de la vie. Notre humanitĂ© commençait dĂ©jĂ Ă nous Ă©chapper.
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Luc-Angélique Gounot (Odyssée d'un forçat)
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Mon plaisir ne serait plus dans le monde mais dans la littérature.
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Marcel Proust (A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU - Ădition intĂ©grale en 2 volumes - VOLUME I: Du cĂŽtĂ© de chez Swann - Ă l'ombre des jeunes filles en fleurs - Le cĂŽtĂ© de guermantes)
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C'est toujours l'attachement Ă l'objet qui entraine la mort du possesseur
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Marcel Proust (Le temps retrouvé: A la recherche du temps perdu)
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Le bonheur seul est salutaire pour le corps
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Marcel Proust (Le temps retrouvé: A la recherche du temps perdu)
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Une Ćuvre est Ă la fois le souvenir de nos amours passĂ©es et la prophĂ©tie de nos amours nouvelles
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Marcel Proust (Le temps retrouvé: A la recherche du temps perdu)