â
          La solitude offre Ă  l'homme intellectuellement haut placĂ© un double avantage : le premier, d'ĂȘtre avec soi-mĂȘme, et le second de n'ĂȘtre pas avec les autres.
          â
          â
         
        Arthur Schopenhauer (The Wisdom of Life)
       
        
          â
          LâAfricain a Ă©tĂ© le premier homme sur la Terre, les autres races ne sont venues qu'aprĂšs. Tous les hommes sont donc des immigrĂ©s, sauf les Africains qui sont chez eux ici-bas.
          â
          â
         
        Alain Mabanckou (Black bazar)
       
        
          â
          PremiĂšre catastrophe inĂ©luctable : la Terre va mourir. DeuxiĂšme certitude absolue : je vais mourir aussi. La question du jour est : qui disparaĂźtra le premier ? La Terre ou moi ? Je prĂ©fĂšrerais la Terre, car cela reviendrait au mĂȘme pour moi. Quitte Ă  crever, autant que ce soit en mĂȘme temps que les autres. J'espĂšre la fin du monde, par narcissisme. Peut ĂȘtre tous les hommes sont-ils comme moi cela expliquerait pourquoi ils cherchent par tous les moyens Ă  dĂ©clencher l'Apocalypse : pour ne pas mourir seuls.
          â
          â
         
        FrĂ©dĂ©ric Beigbeder (L'ĂgoĂŻste romantique)
       
        
          â
          Quâest-ce qui dĂ©finit un home? Quelle est la question que lâon pose en premier a un homme, lorsquâon souhaite sâinformer de son Ă©tat ? Dans certaines sociĂ©tĂ©s, on lui demande dâabord sâil est mariĂ©, sâil a des enfants ; dans nos sociĂ©tĂ©s, on sâinterroge en premier lieu sur sa profession. Câest sa place dans le processus de production, et pas son statut de reproducteur, qui dĂ©finit avant tout lâhomme occidental.
          â
          â
         
        Michel Houellebecq (La carte et le territoire)
       
        
          â
          Je condamne l'ignorance qui rĂšgne en ce moment dans les dĂ©mocraties aussi bien que dans les rĂ©gimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le systĂšme, sinon par le rĂ©gime. J'ai souvent rĂ©flĂ©chi Ă  ce que pourrait ĂȘtre l'Ă©ducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des Ă©tudes de base, trĂšs simples, oĂč l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planĂšte dont il devra plus tard mĂ©nager les ressources, qu'il dĂ©pend de l'air, de l'eau, de tous les ĂȘtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout dĂ©truire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tuĂ©s dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongĂšrement, de façon Ă  flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passĂ© pour qu'il se sente reliĂ© aux hommes qui l'ont prĂ©cĂ©dĂ©, pour qu'il les admire lĂ  oĂč ils mĂ©ritent de l'ĂȘtre, sans s'en faire des idoles, non plus que du prĂ©sent ou d'un hypothĂ©tique avenir. On essaierait de le familiariser Ă  la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaĂźtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposĂ©es aux enfants et aux trĂšs jeunes adolescents sous prĂ©texte de biologie ; il apprendrait Ă  donner les premiers soins aux blessĂ©s ; son Ă©ducation sexuelle comprendrait la prĂ©sence Ă  un accouchement, son Ă©ducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en sociĂ©tĂ© est impossible, instruction que les Ă©coles Ă©lĂ©mentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matiĂšre de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays oĂč il se trouve, pour Ă©veiller en lui le respect et dĂ©truire d'avance certains odieux prĂ©jugĂ©s. On lui apprendrait Ă  aimer le travail quand le travail est utile, et Ă  ne pas se laisser prendre Ă  l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatĂ©es, en lui prĂ©parant des caries et des diabĂštes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses vĂ©ritablement importantes plus tĂŽt qu'on ne le fait. (p. 255)
          â
          â
         
        Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
       
        
          â
          Et puis, chose bizarre, le premier symptÎme de l'amour vrai chez un jeune homme, c'est la timidité, chez une jeune fille, c'est la hardiesse.
          â
          â
         
        Victor Hugo (Les Misérables, Tome IV: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis (Les Misérables, #4))
       
        
          â
          ĐĐŸŃŃĐŒ Ń Đ·ŃĐŸĐ·ŃĐŒŃĐČ, ŃĐŸ Ń ĐœĐ” зЎаŃĐ”Đœ Đ»ŃбОŃĐž ĐżĐŸ-ŃĐżŃаĐČĐ¶ĐœŃĐŸĐŒŃ, Ń ĐŽŃĐŒĐ°ĐČ, ŃĐŸ ĐżĐŸĐŒŃŃ ĐČŃĐŽ Đ·ĐœĐ”ĐČагО ĐŽĐŸ ŃĐ°ĐŒĐŸĐłĐŸ ŃДбД. ĐŃĐŽŃаĐș Ń ĐČĐžĐ·ĐœĐ°ĐČ, ŃĐŸ ŃĐœŃŃ ŃДж ĐœĐ” Đ»ŃблŃŃŃ ĐżĐŸ-ŃĐżŃаĐČĐ¶ĐœŃĐŸĐŒŃ, Ń ŃŃДба ĐżŃĐŸŃŃĐŸ Đ·ĐŒĐžŃĐžŃĐžŃŃ Đ· ŃĐžĐŒ, ŃĐŸ Ń ŃаĐșĐžĐč, ŃĐș ŃŃŃ.
          â
          â
         
        ĐĐ»ŃĐ±Đ”Ń ĐĐ°ĐŒŃ (Le premier homme)
       
        
          â
          Ă l'Ăąge de quinze ans Annabelle faisait partie de ces trĂšs rares jeunes filles sur lesquelles tous les hommes s'arrĂȘtent, sans distinction d'Ăąge ni d'Ă©tat; de ces jeunes filles dont le simple passage, le long de la rue commerçante d'une ville d'importance moyenne, accĂ©lĂšre le rythme cardiaque des jeunes gens et des hommes d'Ăąge mĂ»r, fait pousser des grognements de regret aux vieillards. Elle prit rapidement conscience de ce silence qui accompagnait chacune de ses apparitions, dans un cafĂ© ou dans une salle de cours, mais il lui fallut des annĂ©es pour en comprendre pleinement la raison. Au CEG de CrĂ©cy-en-Brie, il Ă©tait communĂ©ment admis qu'elle «était avec» Michel; mais mĂȘme sans cela, Ă  vrai dire, aucun garçon n'aurait osĂ© tenter quoi que ce soit avec elle. Tel est l'un des principaux inconvĂ©nients de l'extrĂȘme beautĂ© chez les jeunes filles: seuls les dragueurs expĂ©rimentĂ©s, cyniques et sans scrupule se sentent Ă  la hauteur; ce sont donc en gĂ©nĂ©ral les ĂȘtres les plus vils qui obtiennent le trĂ©sor de leur virginitĂ©, et ceci constitue pour elles le premier stade d'une irrĂ©mĂ©diable dĂ©chĂ©ance.
          â
          â
         
        Michel Houellebecq (The Elementary Particles)
       
        
          â
          L'Amour qui n'est pas un mot
Mon Dieu jusqu'au dernier moment
Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme
Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme
Comment se pourrait-il comment
Comment se pourrait-il qu'on aime
Ou comment nommer ce tourment
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenĂȘtres
Tu me rends la caresse d'ĂȘtre
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaĂźtre
Notre histoire jusqu'Ă  la fin
C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble
Que la lumiĂšre sur ta joue
Qu'autour de toi le vent se joue
Toujours si je te vois je tremble
Comme Ă  son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble
M'habituer m'habituer
Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué
Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme
S'ils s'habituaient aux nuées
Pour la premiĂšre fois ta bouche
Pour la premiĂšre fois ta voix
D'une aile Ă  la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche
C'est toujours la premiĂšre fois
Quand ta robe en passant me touche
Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la tends
Ma vie en vérité commence
Le jour que je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'as montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fiĂšvres
Et j'ai flambé comme un geniÚvre
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lÚvre
Ma vie est Ă  partir de toi
          â
          â
         
        Louis Aragon
       
        
          â
          - J'ai horreur de m'ĂȘtre livrĂ©e au premier venu, dit Mathilde, en pleurant de rage contre elle-mĂȘme.
- Au premier venu! s'écria Julien, et il s'élança sur une vieille épée du moyen ùge [...] Il eût été le plus heureux des hommes de pouvoir la tuer.
          â
          â
         
        Stendhal (The Red and the Black)
       
        
          â
          Quatre hommes visitent l'Australie pour la premiÚre fois. En voyageant par train, ils aperçoivent le profil d'un mouton noir qui broute. Le premier homme en conclut que les moutons australiens sont noirs. Le second prétend que tout ce que l'on peut conclure est que certains moutons australiens sont noirs. Le troisiÚme objecte que la seule conclusion possible est qu'en Australie, au moins un mouton est noir ! Le quatriÚme homme, un sceptique, conclut : il existe en Australie au moins un mouton dont au moins un des cÎtés est noir !
Raymond Chevalier (Québec Sceptique, 1993)
(p. 200)
          â
          â
         
        Normand Baillargeon (Petit cours d'autodéfense intellectuelle)
       
        
          â
          Et sans doute une guerre est certainement trop beÌte, mais cela ne lâempeÌche pas de durer. La beÌtise insiste toujours, on sâen apercevrait si lâon ne pensait pas toujours aÌ soi. Nos concitoyens aÌ cet eÌgard eÌtaient comme tout le monde, ils pensaient aÌ eux-meÌmes, autrement dit ils eÌtaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fleÌaux. Le fleÌau nâest pas aÌ la mesure de lâhomme, on se dit donc que le fleÌau est irreÌel, câest un mauvais reÌve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais reÌve en mauvais reÌve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce quâils nâont pas pris leurs preÌcautions.
          â
          â
         
        Albert Camus (The Plague)
       
        
          â
          Les marchombres arpentent une voie qui leur est propre. Une voie pavée d'absolu mais périlleuse et solitaire. Une voie sans retour. Rares sont ceux qui s'y lancent. Elle ne t'apportera ni richesse, ni consécration, elle t'offrira en revanche un trésor que les hommes ont oublié : la liberté. Si tu le désires, je peux accompagner tes premiers pas.
          â
          â
         
        Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
       
        
          â
          Je me mis dĂšs lors Ă  lire avec aviditĂ© et bientĂŽt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations rĂ©centes, tous les Ă©lans encore vagues de mon adolescence qui sâĂ©levaient dans mon Ăąme dâune façon si troublante et qui Ă©taient provoquĂ©s par mon dĂ©veloppement si prĂ©coce, tout cela, soudainement, se prĂ©cipita dans une direction, parut se satisfaire complĂštement de ce nouvel aliment et trouver lĂ  son cours rĂ©gulier. BientĂŽt mon cĆur et ma tĂȘte se trouvĂšrent si charmĂ©s, bientĂŽt ma fantaisie se dĂ©veloppa si largement, que jâavais lâair dâoublier tout ce qui mâavait entourĂ©e jusquâalors. Il semblait que le sort lui mĂȘme mâarrĂȘtĂąt sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, Ă  laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de mâabandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur dâoĂč je pouvais contempler lâavenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinĂ©e Ă  vivre tout cet avenir en lâapprenant dâabord par les livres ; de vivre dans les rĂȘves, les espoirs, la douce Ă©motion de mon esprit juvĂ©nile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que jâavais appris et vĂ©cu jusquâĂ  ce jour Ă©tait si noble, si austĂšre, quâune page impure ou mauvaise nâeĂ»t pu dĂ©sormais me sĂ©duire. Mon instinct dâenfant, ma prĂ©cocitĂ©, tout mon passĂ© veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience mâĂ©clairait toute ma vie passĂ©e.
En effet, presque chacune des pages que je lisais mâĂ©tait dĂ©jĂ  connue, semblait dĂ©jĂ  vĂ©cue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ©es.
Et comment pouvais-je ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ©e jusquâĂ  lâoubli du prĂ©sent, jusquâĂ  lâoubli de la rĂ©alitĂ©, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois dâune mĂȘme destinĂ©e, le mĂȘme esprit dâaventure qui rĂšgnent sur la vie de lâhomme, mais qui dĂ©coulent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! Câest cette loi que je soupçonnais, que je tĂąchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait lâair de me prĂ©venir, comme sâil y avait en mon Ăąme quelque chose de prophĂ©tique, et chaque jour lâespoir grandissait, tandis quâen mĂȘme temps croissait de plus en plus mon dĂ©sir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je lâai dĂ©jĂ  dit, ma fantaisie lâemportait sur mon impatience, et, en vĂ©ritĂ©, je nâĂ©tais trĂšs hardie quâen rĂȘve ; dans la rĂ©alitĂ©, je demeurais instinctivement timide devant lâavenir.
          â
          â
         
        Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
       
        
          â
          Une autre soif lui Ă©tait venue, celle des femmes, du luxe et de tout ce que comporte lâexistence parisienne. Il se sentait quelque peu Ă©tourdi, comme un homme qui descend dâun vaisseau; et, dans lâhallucination du premier sommeil, il voyait passer et repasser continuellement les Ă©paules de la Poissarde, les reins de la DĂ©bardeuse, les mollets de la Polonaise, la chevelure de la Sauvagesse. Puis deux grands yeux noirs, qui nâĂ©taient pas dans le bal, parurent; et lĂ©gers comme des papillons, ardents comme des torches, ils allaient, venaient, vibraient, montaient dans la corniche, descendaient jusquâĂ  sa bouche.
FrĂ©dĂ©ric sâacharnait Ă  reconnaĂźtre ces yeux sans y parvenir. Mais dĂ©jĂ  le rĂȘve lâavait pris; il lui semblait quâil Ă©tait attelĂ© prĂšs dâArnoux, au timon dâun fiacre, et que la MarĂ©chale, Ă  califourchon sur lui, lâĂ©ventrait avec ses Ă©perons dâor. (©BeQ)
          â
          â
         
        Gustave Flaubert (Sentimental Education)
       
        
          â
          Si j'étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tĂątant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes
Qui d'autre est capable
de provoquer l'amnésie
octroyer la carence
Ă  ceux qu'il gouverne
Qui d'autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s'arracher le premier
pour s'arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d'autre sait appeler croissance
ce qui est régression
          â
          â
         
        Natasha Kanapé Fontaine (Bleuets et abricots)
       
        
          â
          Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est Ă  moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la sociĂ©tĂ© civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misĂšres et d'horreurs n'eĂ»t point Ă©pargnĂ©s au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossĂ©, eĂ»t criĂ© Ă  ses semblables : Gardez-vous d'Ă©couter cet imposteur ; vous ĂȘtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont Ă  tous, et que la terre n'est Ă  personne
          â
          â
         
        Jean-Jacques Rousseau (Discours sur l'Origine et les Fondements de l'Inegalite Parmi les Hommes Avec: La Reine Fantastique)
       
        
          â
          Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est Ă  moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la sociĂ©tĂ© civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misĂšres et d'horreurs n'eĂ»t point Ă©pargnĂ©s au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossĂ©, eĂ»t criĂ© Ă  ses semblables : Gardez-vous d'Ă©couter cet imposteur ; vous ĂȘtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont Ă  tous, et que la terre n'est Ă  personne.
          â
          â
         
        Jean-Jacques Rousseau (Discours sur l'Origine et les Fondements de l'Inegalite Parmi les Hommes Avec: La Reine Fantastique)
       
        
          â
          « Comment ! est-ce quâon ne va pas se battre ? » dit FrĂ©dĂ©ric Ă  un ouvrier. Lâhomme en blouse lui rĂ©pondit : « Pas si bĂȘtes de nous faire tuer pour les bourgeois Quâils sâarrangent ! » Et un monsieur grommela, tout en regardant de travers le faubourien : « Canailles de socialistes ! Si on pouvait, cette fois, les exterminer ! » FrĂ©dĂ©ric ne comprenait rien Ă  tant de rancune et de sottise. Son dĂ©goĂ»t de Paris en augmenta ; et, le surlendemain, il partit pour Nogent par le premier convoi.
          â
          â
         
        Gustave Flaubert (Sentimental Education)
       
        
          â
          Mes amis, dit Van Helsing, nous avons ici un premier devoir Ă  remplir. Nous allons rendre inefficace la terre que contiennent ces coffres, cette terre sanctifiĂ©e par de pieuses mĂ©moires et que le monstre a fait venir dâun pays lointain pour pouvoir sây rĂ©fugier. Cette terre, il lâa choisie prĂ©cisĂ©ment parce quâelle Ă©tait sanctifiĂ©e ; de sorte que câest en nous servant de son arme Ă  lui que nous lui infligerons sa dĂ©faite ; cette terre Ă©tait consacrĂ©e Ă  lâhomme â maintenant, nous la consacrons Ă  Dieu.
          â
          â
         
        Bram Stoker (Dracula)
       
        
          â
          nomment Sagesse et VĂ©ritĂ©, Jean vous nomme LumiĂšre, les Rois vous nomment Seigneur, lâExode vous appelle Providence, le LĂ©vitique SaintetĂ©, Esdras Justice, la crĂ©ation vous nomme Dieu, lâhomme vous nomme PĂšre ; mais Salomon vous nomme MisĂ©ricorde, et câest lĂ  le plus beau de tous vos noms. » Vers neuf heures du soir, les deux femmes se retiraient et montaient Ă  leurs chambres au premier, le laissant jusquâau matin seul au rez-de-chaussĂ©e. Ici il est nĂ©cessaire que nous donnions une idĂ©e exacte du logis de M. lâĂ©vĂȘque de Digne. q
          â
          â
         
        Victor Hugo (Les Misérables)
       
        
          â
          Vous avez joué au ballon, et vous avez été sobre, lui dit Zadig: apprenez qu'il n'y a point de basilic dans la nature, qu'on se porte toujours bien avec de la sobriété et de l'exercice, et que l'art de faire subsister ensemble l'intempérance et la santé est un art aussi chimérique que la pierre philosophale, l'astrologie judiciaire, et la théologie des mages.
Le premier médecin d'Ogul, sentant combien cet homme était dangereux pour la médecine, s'unit avec l'apothicaire du corps pour envoyer Zadig chercher des basilics dans l'autre monde.
          â
          â
         
        Voltaire (Zadig et autres contes)
       
        
          â
          - Maman, pourquoi les nuages vont dans un sens et nous dans l'autre ?
Isaya sourit, caressa la joue de sa fille du bout des doigts.
- Il y a deux réponses à ta question. Comme à toutes les questions, tu le sais bien. Laquelle veux-tu entendre ?
- Les deux.
-Laquelle en premier alors ?
La fillette plissa le nez.
- Celle du savant.
- Nous allons vers le nord parce que nous cherchons une terre oĂč nous Ă©tablir. Un endroit oĂč construire une belle maison, Ă©lever des coureurs et cultiver des racines de niam. C'est notre rĂȘve depuis des annĂ©es et nous avons quittĂ© Al-Far pour le vivre.
- Je nâaime pas les galettes de niam...
- Nous planterons aussi des fraises, promis. Les nuages, eux, n'ont pas le choix. Ils vont vers le sud parce que le vent les pousse et, comme ils sont trÚs trÚs légers, il sont incapables de lui résister.
- Et la réponse du poÚte ?
- Les hommes sont comme les nuages. Ils sont chassés en avant par un vent mystérieux et invisible face auquel ils sont impuissants. Ils croient maßtriser leur route et se moquent de la faiblesse des nuages, mais leur vent à eux est mille fois plus fort que celui qui souffle là-haut.
La fillette croisa les bras et parut se désintéresser de la conversation afin d'observer un vol de canards au plumage chatoyant qui se posaient sur la riviÚre proche. Indigo, émeraude ou vert pùle, ils se bousculaient dans une cacophonie qui la fit rire aux éclats.
Lorsque les chariots eurent dépassé les volatiles, elle se tourna vers sa mÚre.
- Cette fois, je préfÚre la réponse du savant.
-Pourquoi ? demande Isaya qui avait attendu sereinement la fin de ce qu'elle savait ĂȘtre une intense rĂ©flexion.
- J'aime pas qu'on me pousse en cachette.
          â
          â
         
        Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
       
        
          â
          «Regardez, regardez, continua le comte en saisissant chacun des deux jeunes gens par la main, regardez, car, sur mon Ăąme, c'est curieux, voilĂ  un homme qui Ă©tait rĂ©signĂ© Ă  son sort, qui marchait Ă  l'Ă©chafaud, qui allait mourir comme un lĂąche, c'est vrai, mais enfin il allait mourir sans rĂ©sistance et sans rĂ©crimination: savez-vous ce qui lui donnait quelque force? savez-vous ce qui le consolait? savez-vous ce qui lui faisait prendre son supplice en patience? c'est qu'un autre partageait son angoisse; c'est qu'un autre allait mourir comme lui; c'est qu'un autre allait mourir avant lui! Menez deux moutons Ă  la boucherie, deux bĆufs Ă  l'abattoir, et faites comprendre Ă  l'un d'eux que son compagnon ne mourra pas, le mouton bĂȘlera de joie, le bĆuf mugira de plaisir mais l'homme, l'homme que Dieu a fait Ă  son image, l'homme Ă  qui Dieu a imposĂ© pour premiĂšre, pour unique, pour suprĂȘme loi, l'amour de son prochain, l'homme Ă  qui Dieu a donnĂ© une voix pour exprimer sa pensĂ©e, quel sera son premier cri quand il apprendra que son camarade est sauvĂ©? un blasphĂšme. Honneur Ă  l'homme, ce chef-d'Ćuvre de la nature, ce roi de la crĂ©ation!»
          â
          â
         
        Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo, Tome II  (The Count of Monte Cristo, part 2 of 4))
       
        
          â
          finalement, éperdu d'amour et au comble de la frénésie érotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc.
â Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sĂ»r qu'elle le voulait, voyons! C'Ă©tait une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire.
â Tu vas le manger cru ?
â Oui. 
J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondĂ©ment, soufflant un peu, entre les bouchĂ©es, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'Ă  ce qu'une sueur froide me montĂąt au front. Je continuai mĂȘme un peu au-delĂ , serrant les dents, luttant contre la nausĂ©e, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon mĂ©tier d'homme.
Je fus trÚs malade, on me transporta à l'hÎpital, ma mÚre sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'étais trÚs fier de moi.
Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Ăducation europĂ©enne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire.
Pendant longtemps, Ă  travers mes pĂ©rĂ©grinations, j'ai transportĂ© avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamĂ© au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier Ă©tait toujours lĂ , Ă  portĂ©e de la main. J'Ă©tais toujours prĂȘt Ă  m'y attabler, Ă  donner, une fois de plus, le meilleur de moi-mĂȘme. Ăa ne s'est pas trouvĂ©. Finalement, j'ai abandonnĂ© le soulier quelque part derriĂšre moi. On ne vit pas deux fois.
(La promesse de l'aube, ch. XI)
          â
          â
         
        Romain Gary (Promise at Dawn)
       
        
          â
          La pensée de la mort
Vivre au milieu de ce dĂ©dale de ruelles, de besoins, de voix suscite en moi un bonheur mĂ©lancolique : que de jouissance, d'impatience, de dĂ©sir, que de vie assoiffĂ©e et d'ivresse de vivre se rĂ©vĂšle ici Ă  chaque instant ! Et pourtant tous ces ĂȘtres bruyants, vivants, assoiffĂ©s de vie plongeront bientĂŽt dans un tel silence ! Comme chacun est suivi par son ombre, le sombre compagnon qu'il emmĂšne avec lui ! Il en est toujours comme Ă  l'ultime moment avant le dĂ©part d'un navire d'Ă©migrants : on a plus de choses Ă  se dire que jamais, l'heure presse, l'ocĂ©an et son mutisme dĂ©solĂ© attend, impatient, derriĂšre tout ce bruitâsi avide, si sĂ»r de tenir sa proie. Et tous, tous pensent que le temps Ă©coulĂ© jusqu'alors n'est rien ou peu de chose, que le proche avenir est tout : d'oĂč cette hĂąte, ces cris, cet Ă©tourdissement de soi-mĂȘme, cette duperie de soi-mĂȘme ! Chacun veut ĂȘtre le premier dans cet avenir,âet pourtant c'est la mort et le silence de mort qui est l'unique certitude et le lot commun Ă  tous dans cet avenir ! Qu'il est Ă©trange que cette unique certitude et ce lot commun n'aient presque aucun pouvoir sur les hommes et qu'ils soient Ă  mille lieues de se sentir comme une confrĂ©rie de la mort ! Cela me rend heureux de voir que les hommes ne veulent absolument pas penser la pensĂ©e de la mort ! J'aimerais contribuer en quelque maniĂšre Ă  leur rendre la pensĂ©e de la vie encore cent fois plus digne d'ĂȘtre pensĂ©e.
          â
          â
         
        Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
       
        
          â
          Se penchant a l'oreille d'Antoine: Et ils vivent toujours! L'empereur Constantin adore Apollon. Tu retrouveras la Trinite dans les mysteres de Samothrace, le bapteme chez Isis, la redemption chez Mithra, le martyr d'un Dieu aux fetes de Bacchus. Proserpine est la Vierge!... Aristee, Jesus! ANTOINE reste les yeux baisses; puis tout a coup il repete le symbole de Jerusalem,--comme il s'en souvient,--en poussant a chaque phrase un long soupir: Je crois en un seul Dieu, le Pere,--et en un seul Seigneur, Jesus-Christ,--fils premier-ne de Dieu,--qui s'est incarne et fait homme,--qui a ete crucifie--et enseveli,--qui est monte au ciel,--qui viendra pour juger les vivants et les morts--dont le royaume n'aura pas de fin;--et a un seul
          â
          â
         
        Gustave Flaubert (The Temptation of St. Antony)
       
        
          â
          De ces deux choses combinĂ©es, puissance publique au dehors, bonheur individuel au dedans, rĂ©sulte la prospĂ©ritĂ© sociale. ProspĂ©ritĂ© sociale, cela veut dire lâhomme heureux, le citoyen libre, la nation grande. LâAngleterre rĂ©sout le premier de ces deux problĂšmes. Elle crĂ©e admirablement la richesse ; elle la rĂ©partit mal. Cette solution qui nâest complĂšte que dâun cĂŽtĂ© la mĂšne fatalement Ă  ces deux extrĂȘmes : opulence monstrueuse, misĂšre monstrueuse. Toutes les jouissances Ă  quelques-uns, toutes les privations aux autres, câest-Ă -dire au peuple ; le privilĂšge, lâexception, le monopole, la fĂ©odalitĂ©, naissant du travail mĂȘme. Situation fausse et dangereuse qui assoit la puissance publique sur la misĂšre privĂ©e, qui enracine la grandeur de lâĂ©tat dans les souffrances de lâindividu. Grandeur mal composĂ©e oĂč se combinent tous les Ă©lĂ©ments matĂ©riels et dans laquelle nâentre aucun Ă©lĂ©ment moral.
          â
          â
         
        Victor Hugo (Les Misérables)
       
        
          â
          « Ăcoute, Egor PĂ©trovitch, lui dit-il. Quâest ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton dĂ©sespoir. Tu nâas ni patience ni courage. Maintenant, dans un accĂšs de tristesse, tu dis que
tu nâas pas de talent. Ce nâest pas vrai. Tu as du talent ; je tâassure que tu en as. Je le vois rien quâĂ  la façon dont tu sens et comprends lâart. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu mâas racontĂ© ta vie dâautrefois. Ă cette Ă©poque aussi le dĂ©sespoirte visitait sans que tu tâen rendisses compte. Ă cette Ă©poque aussi, ton premier maĂźtre, cet homme Ă©trange, dont tu mâas tant parlĂ©, a Ă©veillĂ© en toi, pour la premiĂšre fois, lâamour de lâart et a devinĂ© ton talent. Tu lâas senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriĂ©taire, et tu ne savais toi-mĂȘme ce que tu dĂ©sirais. Ton maĂźtre est mort trop tĂŽt. Il tâa laissĂ© seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne tâa pas expliquĂ© toimĂȘme. Tu sentais le besoin dâune autre route plus large, tu pressentais que dâautres buts tâĂ©taient destinĂ©s, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haĂŻ tout ce qui tâentourait alors. Tes six annĂ©es de misĂšre ne sont pas perdues. Tu as travaillĂ©, pensĂ©, tu as reconnu et toi-mĂȘme et tes forces ; tu comprends maintenant lâart et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus enviĂ© que le mien tâest rĂ©servĂ©. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne mĂȘme la dixiĂšme partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriĂ©taire, et, principalement, commence par lâa, b, c. 
« Quâest-ce qui te tourmente ? La pauvretĂ©, la misĂšre ? Mais la pauvretĂ© et la misĂšre forment lâartiste. Elles sont insĂ©parables des dĂ©buts. Maintenant personne nâa encore besoin de toi ; personne ne veut te connaĂźtre. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. Lâenvie, la malignitĂ©, et surtout la bĂȘtise tâopprimeront plus fortement que la misĂšre. Le talent a besoin de sympathie ; il faut quâon le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens tâentoureront quand tu approcheras du but. Ils tĂącheront de regarder avec mĂ©pris ce qui sâest Ă©laborĂ© en toi au prix dâun pĂ©nible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne tâencourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne tâindiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relĂšveront chacune de tes fautes. Ils te montreront prĂ©cisĂ©ment ce quâil y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et dâun air calme et mĂ©prisant ils fĂȘteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent Ă  tort. Il tâarrivera dâoffenser une nullitĂ© qui a de lâamour-propre, et alors malheur Ă  toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront Ă  coups dâĂ©pingles. Moi mĂȘme, je commence Ă  Ă©prouver tout cela. Prends donc des forces dĂšs maintenant. Tu nâes pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne nĂ©glige pas les besognes grossiĂšres, fends du bois, comme je lâai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; lâimpatience est ta maladie. Tu nâas pas assez de simplicitĂ© ; tu ruses trop, tu rĂ©flĂ©chis trop, tu fais trop travailler ta tĂȘte. Tu es audacieux en paroles et lĂąche quand il faut prendra lâarchet en main. Tu as beaucoup dâamour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-ĂȘtre arriveras-tu au but. Sinon, va quand mĂȘme au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
          â
          â
         
        Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
       
        
          â
          Il y en a qui Ă©crivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen de nobles qualitĂ©s du coeur que lâimagination invente ou quâils peuvent avoir. Moi, je fais servir mon gĂ©nie Ă  peindre les dĂ©lices de la cruautĂ© ! DĂ©lices non passagĂšres, artificielles ; mais, qui ont commencĂ© avec lâhomme, finiront avec lui. Le gĂ©nie ne peut-il pas sâallier avec la cruautĂ© dans les rĂ©solutions secrĂštes de la Providence ? ou, parce quâon est cruel, ne peut-on pas avoir du gĂ©nie ? On en verra la preuve dans mes paroles ; il ne tient quâĂ  vous de mâĂ©couter, si vous le voulez bien... Pardon, il me semblait que mes cheveux sâĂ©taient dressĂ©s sur ma tĂȘte ; mais, ce nâest rien, car, avec ma main, je suis parvenu facilement Ă  les remettre dans leur premiĂšre position. Celui qui chante ne prĂ©tend pas que ses cavatines soient une chose inconnue ; au contraire, il se loue de ce que les pensĂ©es hautaines et mĂ©chantes de son hĂ©ros soient dans tous les hommes.
          â
          â
         
        Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
       
        
          â
          La Solitude offre Ă  l'homme intellectuellement haut placĂ© un double avantage : le premier, d'ĂȘtre avec soi-mĂȘme, et le second, de ne pas ĂȘtre avec les autres. On apprĂ©ciera hautement ce dernier si l'on rĂ©flĂ©chit Ă  tout ce que le commerce du monde apporte avec soi de contraintes, de peines et mĂȘme de dangers. "Tout notre malheur vient de ne pouvoir ĂȘtre seuls", a dit La BruyĂšre.
La sociabilitĂ© appartient aux penchants dangereux et pernicieux, car elle nous met en contact avec des ĂȘtres qui en grande majoritĂ© sont moralement mauvais et intellectuellement bornĂ©s ou dĂ©traquĂ©s. L'homme insociable est celui qui n'a pas besoin de tous ces gens-lĂ . Avoir suffisamment en soi pour pouvoir se passer de sociĂ©tĂ© est dĂ©jĂ  un grand bonheur, par la mĂȘme que presque tous nos mauvais dĂ©rivent de la sociĂ©tĂ©, et que la tranquilitĂ© d'esprit qui, aprĂšs la santĂ©, forme l'essentiel de notre bonheur, y est mise en pĂ©ril et ne peut exister sans de longs moments de solitude.
          â
          â
         
        Arthur Schopenhauer
       
        
          â
          Et si on faisait une trĂȘve ? S'il montait le [le Premier ministre] rĂ©conforter et le distraire un peu de sa solitude ? Il pourrait passer la nuit Ă  lui parler, d'homme Ă  homme. Il se garderait de toute polĂ©mique, il ne lui reprocherait rien, ne le culpabiliserait pas mais se contenterait de deviser avec lui, comme avec un ami cher dont on s'efforce, gentiment, de dessiller les yeux, un ami que de mauvaises gens auraient induit en erreur sur une affaire Ă©pineuse, apparemment insoluble mais qui en rĂ©alitĂ© avait une solution simple, logique, Ă©quitable, que les dĂ©tracteurs les plus acharnĂ©s devraient pouvoir accepter aprĂšs une brĂšve dĂ©monstration de son bien-fondĂ©, dans une atmosphĂšre cordiale et dĂ©tendue. A condition Ă©videmment de ne pas se buter, de ne pas s'abriter derriĂšre un mur de grossiers mensonges, d'ouvrir les oreilles, d'envisager l'Ă©ventail des possibilitĂ©s jusque-lĂ  rĂ©solument Ă©cartĂ©es, non par malice mais Ă  cause de prĂ©jugĂ©s, de jugements inflexibles ou de craintes profondĂ©ment enracinĂ©es. (p. 299)
          â
          â
         
        Amos Oz (Fima)
       
        
          â
          L'acculturation des femmes à des comportements humanistes et celle des hommes à la violence et aux comportements à risque sont donc le fruit d'un véritable systÚme culturel qui se perpétue de génération en génération. Les parents en premier lieu, mais également l'entourage de l'enfant et la société dans son ensemble en sont acteurs. Concernant la virilité, l'éducation donnée aux garçons est la clé de voute de ce paradigme. Les conséquences négatives sont considérables et touchent tous les individus de façon plus ou moins dramatique, avec plus ou moins de gravité. L'organisation de notre société s'est faite en fonction de cette donnée, des conduites individuelles jusqu'au politique. Les femmes mettent par exemple en place des stratégies d'évitement de ces violences dÚs qu'elles sont dans l'espace public, et l'état, [...] consacre des moyens humains et financier colossaux pour enrayer le phénomÚne. 
Si tous les hommes ne sont pas des criminels et des délinquants, la quasi totalité des criminels et des délinquants sont des hommes.
          â
          â
         
        Lucile Peytavin (Le coût de la virilité : Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes)
       
        
          â
          Les scribes anciens apprirent non seulement Ă  lire et Ă  Ă©crire, mais aussi Ă  utiliser des catalogues, des dictionnaires, des calendriers, des formulaires et des tableaux. Ils Ă©tudiĂšrent et assimilĂšrent des techniques de catalogage, de rĂ©cupĂ©ration et de traitement de lâinformation trĂšs diffĂ©rentes de celles du cerveau. Dans le cerveau, les donnĂ©es sont associĂ©es librement. Quand, avec mon Ă©pouse, je vais signer une hypothĂšque pour notre nouvelle maison, je me souviens du premier endroit oĂč nous avons vĂ©cu ensemble, ce qui me rappelle notre lune de miel Ă  la Nouvelle-OrlĂ©ans, qui me rappelle les alligators, qui me font penser aux dragons, qui me rappelle LâAnneau des Nibelungen⊠Et soudain, sans mĂȘme mâen rendre compte, je fredonne le leitmotiv de Siegfried devant lâemployĂ© de banque interloquĂ©. Dans la bureaucratie, on se doit de sĂ©parer les choses. Un tiroir pour les hypothĂšques de la maison, un autre pour les certificats de mariage, un troisiĂšme pour les impĂŽts et un quatriĂšme pour les procĂšs. Comment retrouver quoi que ce soit autrement ? Ce qui entre dans plus dâun tiroir, comme les drames wagnĂ©riens (dois-je les ranger dans la rubrique « musique » ou « théùtre », voire inventer carrĂ©ment une nouvelle catĂ©gorie ?), est un terrible casse-tĂȘte. On nâen a donc jamais fini dâajouter, de supprimer et de rĂ©organiser des tiroirs. Pour que ça marche, les gens qui gĂšrent ce systĂšme de tiroirs doivent ĂȘtre reprogrammĂ©s afin quâils cessent de penser en humains et se mettent Ă  penser en employĂ©s de bureau et en comptables. Depuis les temps les plus anciens jusquâĂ  aujourdâhui, tout le monde le sait : les employĂ©s de bureau et les comptables ne pensent pas en ĂȘtres humains. Ils pensent comme on remplit des dossiers. Ce nâest pas leur faute. Sâils ne pensent pas comme ça, leurs tiroirs seront tout mĂ©langĂ©s, et ils seront incapables de rendre les services que leur administration, leur sociĂ©tĂ© ou leur organisation demande. Tel est prĂ©cisĂ©ment lâimpact le plus important de lâĂ©criture sur lâhistoire humaine : elle a progressivement changĂ© la façon dont les hommes pensent et voient le monde. Libre association et pensĂ©e holiste ont laissĂ© la place au compartimentage et Ă  la bureaucratie.
          â
          â
         
        Yuval Noah Harari (Sapiens : Une brÚve histoire de l'humanité)
       
        
          â
          Je ne considĂšre les souffrances et les joies d'autrui que par rapport Ă  moi-mĂȘme, en tant que nourriture qui soutient les forces de mon Ăąme. Moi-mĂȘme, je ne suis pas capable d'aller jusqu'Ă  la folie sous l'emprise de la passion. L'ambition chez moi est assujettie aux circonstances, mais elle s'est manifestĂ©e sous un autre aspect; car l'ambition n'est rien d'autre qu'une soif de puissance; or mon plaisir principal est de soumettre tout ceux qui m'entourent Ă  ma volontĂ©. Ăveiller les sentiments d'amour, de fidĂ©litĂ© ou de crainte, n'est-ce pas lĂ  les signes premiers et le grand triomphe d'un pouvoir absolu ? Ătre pour une personne la cause de souffrances ou de joies, sans avoir sur elle aucun droit positif, n'est-ce pas lĂ  un aliment dĂ©licieux pour notre orgueil ? Et qu'est-ce que le bonheur ? Un orgueil rassasiĂ© ! Si je me considĂ©rait comme l'ĂȘtre le meilleur, le plus puissant du monde, je serais heureux; si tout m'aimaient, je trouverais en moi d'infinies sources d'amour. Le mal enfante le mal. La premiĂšre souffrance nous donne le secret du plaisir de torturer autrui. L'idĂ©e du mal ne peut entrer dans la tĂȘte d'un homme sans qu'il ait le dĂ©sir de l'appliquer Ă  la rĂ©alitĂ©.
          â
          â
         
        Mikhail Lermontov (A Hero of Our Time)
       
        
          â
          Mais rien ne servirait de sâĂȘtre mis Ă  lâabri de tous les motifs personnels de tristesse, si parfois la misanthropie sâemparait de votre Ăąme, en voyant le crime partout heureux, la candeur si rare, lâinnocence si peu connue, la bonne foi si nĂ©gligĂ©e quand elle est sans profit, les gains et les prodigalitĂ©s de la dĂ©bauche Ă©galement odieux ; enfin, lâambition si effrĂ©nĂ©e que, se mĂ©connaissant elle-mĂȘme, elle cherche son Ă©clat dans la bassesse. Alors une sombre nuit environne notre Ăąme, et dans cet anĂ©antissement des vertus impossibles Ă  trouver chez les autres, et nuisibles Ă  celui qui les a, elle se remplit de doute et dâobscuritĂ©. 
Pour nous dĂ©tourner de ces idĂ©es, faisons en sorte que les vices des hommes ne nous paraissent pas odieux, mais ridicules ; et sachons imiter DĂ©mocrite plutĂŽt quâHĂ©raclite. Le premier ne se montrait jamais en public sans pleurer ; le second, sans rire. Lâun, dans tout ce que font les hommes, ne voyait que misĂšre ; le second, quâineptie. Il faut donc attacher peu dâimportance Ă  toutes choses, et ne nous passionner pour aucune.
 Il est plus conforme Ă  lâhumanitĂ© de se moquer des choses de la vie que dâen gĂ©mir. Ajoutez que mieux vaut pour le genre humain sâen moquer, que se lamenter Ă  son sujet.
          â
          â
         
        Seneca
       
        
          â
          Sâil est quelquefois logique de sâen rapporter Ă  lâapparence des phĂ©nomĂšnes, ce premier chant finit ici. Ne soyez pas sĂ©vĂšre pour celui qui ne fait encore quâessayer sa lyre : elle rend un son si Ă©trange ! Cependant, si vous voulez ĂȘtre impartial, vous reconnaĂźtrez dĂ©jĂ  une empreinte forte, au milieu des imperfections. Quant Ă  moi, je vais me remettre au 
travail, pour faire paraĂźtre un deuxiĂšme chant, dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardĂ©. La fin du dix-neuviĂšme siĂšcle verra son poĂšte (cependant, au dĂ©but, il ne doit pas commencer par un chef dâĆuvre, mais suivre la loi de la nature) ; il est nĂ© sur les rives amĂ©ricaines, Ă  lâembouchure de la Plata, lĂ  oĂč deux peuples, jadis rivaux, sâefforcent actuellement de se surpasser par le progrĂšs matĂ©riel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, Ă  travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre Ă©ternelle a placĂ© son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses. Adieu, vieillard, et pense Ă  moi, si tu mâas lu. Toi, jeune homme, ne dĂ©sespĂšre point ; car, tu as un ami dans le vampire, malgrĂ© ton opinion contraire. En comptant lâacarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis !
          â
          â
         
        Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
       
        
          â
          Le premier empereur est appelé l'Empereur du Ciel. Il a déterminé l'ordre du temps qu'il a divisé en dix troncs célestes et douze branches terrestres, le tout formant un cycle. Cet empereur vécut dix-huit mille ans. Le second empereur est l'Empereur de la Terre ; il vécut aussi dix-huit mille ans : on lui attribue la division du mois en trente jours.
 
Le troisiÚme empereur est l'Empereur des Hommes. Sous son rÚgne apparaissent les premiÚres ébauches de la vie sociale. Il partage son territoire en neuf parties, et à chacune d'elles il donne pour chef un des membres de sa famille. L'histoire célÚbre pour la premiÚre fois les beautés de la nature et la douceur du climat. Ce rÚgne eut quarante-cinq mille cinq cents ans de durée. 
Pendant ces trois rĂšgnes qui embrassent une pĂ©riode de quatre-vingt-un mille ans, il n'est question ni de l'habitation, ni du vĂȘtement. L'histoire nous dit que les hommes vivaient dans des cavernes, sans crainte des animaux, et la notion de la pudeur n'existait pas parmi eux. 
A la suite de quels événements cet état de choses se transforma-t-il ? L'histoire n'en dit mot. Mais on remarquera les noms des trois premiers empereurs qui comprennent trois termes, le ciel, la terre, les hommes, gradation qui conduit à l'hypothÚse d'une décadence progressive dans l'état de l'humanité.
          â
          â
         
        Tcheng-Ki-Tong (Les Chinois peints par eux-mĂȘmes)
       
        
          â
          comme les mots sont une partie de l'imagination, c'est-Ă -dire que, selon qu'une certaine disposition du corps fait qu'ils se sont arrangĂ©s vaguement dans la mĂ©moire, nous nous formons beaucoup d'idĂ©es chimĂ©riques, il ne faut pas douter que les mots, ainsi que l'imagination, puissent ĂȘtre cause de beaucoup de grossiĂšres erreurs, si nous ne nous tenons fort en garde contre eux. Joignez Ă  cela qu'ils sont constituĂ©s arbitrairement et accommodĂ©s au goĂ»t du vulgaire, si bien que ce ne sont que des signes des choses telles qu'elles sont dans l'imagination, et non pas telles qu'elles sont dans l'entendement ; vĂ©ritĂ© Ă©vidente si l'on considĂšre que la plupart des choses qui sont seulement dans l'entendement ont reçu des noms nĂ©gatifs, comme immatĂ©riel, infini, etc., et beaucoup d'autres idĂ©es qui, quoique rĂ©ellement affirmatives, sont exprimĂ©es sous une forme nĂ©gative, telle qu'incréé, indĂ©pendant, infini, immortel, et cela parce que nous imaginons beaucoup plus facilement les contraires de ces idĂ©es, et que ces contraires, se prĂ©sentant les premiers aux premiers hommes, ont usurpĂ© les noms affirmatifs. Il y a beaucoup de choses que nous affirmons et que nous nions parce que telle est la nature des mots, et non pas la nature des choses. Or, quand on ignore la nature des choses, rien de plus facile que de prendre le faux pour le vrai.
          â
          â
         
        Baruch Spinoza (On the Improvement of Understanding)
       
        
          â
          Cher Monsieur Waters,
Je reçois votre courrier Ă©lectronique en date du 14 avril dernier et suis comme il se doit impressionnĂ© par la complexitĂ© shakespearienne de votre drame. Chaque personnage dans votre histoire a une harmatia en bĂ©ton. La sienne : ĂȘtre trop malade. La vĂŽtre : ĂȘtre trop bien portant. FĂ»t-ce le contraire, vos Ă©toiles n'auraient pas Ă©tĂ© aussi contrariĂ©es, mais c'est dans la natures des Ă©toiles d'ĂȘtre contrariĂ©es. A ce propos, Shakespeare ne s'est jamais autant trompĂ© qu'en mettant ces mots dans la bouche de Cassius : « La faute, cher Brutus, n'en est pas Ă  nos Ă©toiles ; elle en est Ă  nous-mĂȘmes. » Facile Ă  dire lorsqu'on est un noble romain (ou Shakespeare!), mais nos Ă©toiles ne sont jamais Ă  court de tort. Puisque nous en sommes au chapitre des dĂ©faillances de ce cher vieux William, ce que vous me dites de la jeune Hazel me rappelle le sonnet 55, qui commence, bien entendu ainsi : « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d'Ă©clat dans ces mesures que sous la dalle non balayĂ©e que le temps barbouille de sa lie. (Hors sujet, mais : quel cochon, ce temps ! Il bousille tout le monde.) Un bien joli poĂšme, mais trompeur : nul doute que la rime puissante de Shakespeare nous reste en mĂ©moire, mais que nous rappelons-nous de l'homme qu'il cĂ©lĂšbre ? Rien. Nous sommes certains qu'il Ă©tait de sexe masculin, le reste n'est qu'une hypothĂšse. Shakespeare nous raconte des clopinettes sur l'homme qu'il a enseveli Ă  l'intĂ©rieur de son sarcophage linguistique. (Remarquez que, lorsque nous parlons littĂ©rature, nous utilisons le prĂ©sent. Quand nous parlons d'un mort, nous ne sommes pas aussi gentils.) On ne peut pas immortaliser ceux qui nous ont quittĂ©s en Ă©crivant sur eux. La langue enterre, mais ne ressuscite pas. (Avertissement : je ne suis pas le premier Ă  faire cette observation, cf le poĂšme d'Archibald MacLeish « Ni le marbre, ni les mausolĂ©es dorĂ©s » qui renferme ce vers hĂ©roĂŻque : « Vous mourrez et nul ne se souviendra de vous ») Je m'Ă©loigne du sujet, mais votre le problĂšme : les morts ne sont visibles que dans lâĆil dĂ©nuĂ© de paupiĂšre de la mĂ©moire. Dieu merci, les vivants conservent l'aptitude de surprendre et de dĂ©cevoir. Votre Hazel est vivante, Waters, et vous ne pouvez imposer votre volontĂ© contre la dĂ©cision de quelqu'un d'autre, qui plus est lorsque celle-ci est mĂ»rement rĂ©flĂ©chie. Elle souhaite vous Ă©pargner de la peine et vous devriez l'accepter. Il se peut que la logique de la jeune Hazel ne vous convainque pas, mais j'ai parcouru cette vallĂ©e de larmes plus longtemps que vous, et de mon point de vue, Hazel n'est pas la moins saine d'esprit.
	Bien Ă  vous
	Peter Van Houten
          â
          â
         
        John Green (The Fault in Our Stars)
       
        
          â
          Nous nous tĂ»mes l'un et l'autre ; pendant que nous attendions, je l'examinai. Un homme petit et rĂąblĂ©, brun comme un grain de cafĂ©, ayant peut-ĂȘtre une tendance Ă  engraisser, mais pour le moment excessivement mince. Les rides profondes de son visage et de son cou n'Ă©taient pas seulement dues aux annĂ©es et aux intempĂ©ries : elles indiquaient Ă  ne pas s'y tromper les endroits oĂč la chair ou la graisse avait fondu et oĂč la peau s'Ă©tait dĂ©tendue. Le cou Ă©tait simplement une surface oĂč s'entrecroisaient les sillons et les rides et portait les traces laissĂ©es par le soleil brĂ»lant du dĂ©sert. L'ExtrĂȘme-Orient, les Tropiques, le dĂ©sert, chaque rĂ©gion laissait sa marque colorĂ©e. Mais toutes les trois Ă©taient diffĂ©rentes ; et un Ćil qui avait su une fois pouvait ainsi les distinguer aisĂ©ment. La pĂąleur bistrĂ©e pour le premier ; le brun rouge et violent pour la seconde ; et pour le troisiĂšme, le hĂąle sombre et profond qui avait pris, semblait-il, le caractĂšre d'une coloration permanente. Mr. Corbeck avait une grosse tĂȘte pleine et massive ; avec des cheveux en dĂ©sordre, d'un brun-rouge foncĂ©, dĂ©garnis sur les tempes. Son front Ă©tait beau, haut et large ; et pour employer les termes de la physiognomonie, le sinus frontal Ă©tait hardiment marquĂ©. Sa forme carrĂ©e traduisait l'esprit raisonneur ; et la plĂ©nitude sous les yeux le don des langues. Il avait le nez court et large qui dĂ©note l'Ă©nergie ; le menton carrĂ© - qu'on discernait malgrĂ© la barbe Ă©paisse et non soignĂ©e - et la mĂąchoire massive qui montrent l'esprit de dĂ©cision.
« Un homme pas mal pour le désert ! » me disais-je en le regardant.
          â
          â
         
        Bram Stoker (Oeuvres)
       
        
          â
          Depuis que j'ai doue ans, et depuis qu'elle est une terreur, la mort est une marotte. J'en ignorais l'existence jusqu'Ă  ce qu'un camarade de classe, le petit BonnecarĂšre, m'envoyĂąt au cinĂ©ma le Styx, oĂč l'on s'asseyait Ă  l'Ă©poque dans des cercueils, voir L'enterrĂ© vivant, un film de Roger Corman tirĂ© d'un conte 'Edgar Allan Poe. La dĂ©couverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d'un homme qui hurle d'impuissance Ă  l'intĂ©rieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs de les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon pĂšre de me cĂ©der le crĂąne qui avait accompagnĂ© ses Ă©tudes de mĂ©decine, m'hypnotisant de films d'Ă©pouvante et commençant Ă  Ă©crire, sous le pseudonyme d'Hector Lenoir, un conte qui racontair les affres d'un fantĂŽmr rnchaĂźnĂ© dans les oubliettes du chĂąteau des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu'aux stories sĂ©lectionnĂ©es par Hitschcock, errant dans les cimetiĂšres et Ă©trennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d'enants, me dĂ©plaçant jusqu'Ă  Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillĂ©s comme Anthony Perkins dans Psychose, la mort me semblait horriblement belle, fĂ©eriquement atroce, et puis je pris en grippe son bric-Ă -brac, remisai le crĂąne de l'Ă©tudiant de mĂ©decine, fuis les cimetiĂšres comme la peste, j'Ă©tais passĂ© Ă  un autre stade de l'amour de la mort, comme imprĂ©gnĂ© par elle au plus profond je n'avais plus besoin de son dĂ©corum mais d'une intimitĂ© plus grande avec elle, je continuais inlassablement de quĂ©rir son sentiment, le plus prĂ©cieux et le plus haĂŻssable d'entre tous, sa peur et sa convoitise.
          â
          â
         
        Hervé Guibert (à l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie)
       
        
          â
          Un jour, avec des yeux vitreux, ma mĂšre me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dĂ©rision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, Ă  la figure pĂąle et longue. MĂȘme, je te permets de te mettre devant la fenĂȘtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'Ă©prouve le besoin de l'infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'aprĂšs ce qu'on m'a dit. Ăa m'Ă©tonne... je croyais ĂȘtre davantage! Au reste, que m'importe d'oĂč je viens? Moi, si cela avait pu dĂ©pendre de ma volontĂ©, j'aurais voulu ĂȘtre plutĂŽt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempĂȘtes, et du tigre, Ă  la cruautĂ© reconnue: je ne serais pas si mĂ©chant. Vous, qui me regardez, Ă©loignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonnĂ©. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arĂȘtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tĂȘte des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rĂŽde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellĂ©s par le vent des tempĂȘtes, isolĂ© comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flĂ©trie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intĂ©rieur des cheminĂ©es : il ne faut pas que les yeux soient tĂ©moins de la laideur que l'Etre suprĂȘme, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
          â
          â
         
        Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
       
        
          â
          Charlotte se trouvait seule ; aucun de ses frĂšres et sĆurs nâĂ©tait autour dâelle ; elle sâabandonnait Ă  ses rĂ©flexions, qui passaient doucement sa situation en revue. Elle se voyait pour jamais unie Ă  un homme dont elle connaissait lâamour et la fidĂ©litĂ©, Ă  qui elle Ă©tait dĂ©vouĂ©e, dont le calme, la soliditĂ©, semblaient destinĂ©s par le ciel mĂȘme Ă  fonder, pour la vie, le bonheur dâune honnĂȘte femme ; elle sentait ce quâil serait toujours pour elle et pour sa famille. Dâun autre cĂŽtĂ©, Werther lui Ă©tait devenu bien cher ; dĂšs le premier moment oĂč ils avaient appris Ă  se connaĂźtre, la sympathie de leurs caractĂšres sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ©e de la maniĂšre la plus heureuse ; leur longue liaison, tant de situations diverses oĂč ils sâĂ©taient trouvĂ©s, avaient fait sur le cĆur de Charlotte une impression ineffaçable. Tous les sentiments, toutes les pensĂ©es qui lâintĂ©ressaient, elle Ă©tait accoutumĂ©e Ă  les partager avec lui, et le dĂ©part de Werther menaçait de faire dans toute son existence un vide, qui ne pourrait plus ĂȘtre comblĂ©. Oh ! si elle avait pu dans ce moment le changer en un frĂšre ! quâelle se serait trouvĂ©e heureuse !⊠Si elle avait osĂ© le marier avec une de ses amies, elle aurait pu espĂ©rer de rĂ©tablir tout Ă  fait la bonne intelligence entre Albert et lui.
Elle avait passĂ© en revue toutes ses amies, et trouvait Ă  chacune quelque dĂ©faut ; elle nâen voyait aucune Ă  qui elle eĂ»t donnĂ© Werther volontiers.
En faisant toutesâces rĂ©flexions, elle finit par sentir profondĂ©ment, sans se lâexpliquer dâune maniĂšre bien claire, que le secret dĂ©sir, de son cĆur Ă©tait de le garder pour elle, et elle se disait en mĂȘme temps quâelle ne pouvait, quâelle ne devait pas le garder ; son Ăąme pure et belle, jusquâalors si libre et si courageuse, sentit le poids dâune mĂ©lancolie Ă  laquelle est fermĂ©e la perspective du bonheur. Son cĆur Ă©tait oppressĂ©, et un sombre nuage couvrait ses yeux.
          â
          â
         
        Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
       
        
          â
          Cherchez en vous-mĂȘmes. Explorez la raison qui vous commande d'Ă©crire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre cour; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous Ă©tait interdit d'Ă©crire. Ceci surtout : demandez-vous Ă  l'heure la plus silencieuse de votre nuit; me faut-il Ă©crire ? Creusez en vous-mĂȘmes Ă  la recherche d'une rĂ©ponse profonde. Et si celle-ci devait ĂȘtre affirmative, s'il vous Ă©tait donnĂ© d'aller Ă  la rencontre de cette grave question avec un fort et simple "il le faut", alors bĂątissez votre vie selon cette nĂ©cessitĂ©; votre vie, jusqu'en son heure la plus indiffĂ©rente et la plus infime, doit ĂȘtre le signe et le tĂ©moignage de cette impulsion. Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez, aimez et perdez. N'Ă©crivez pas de poĂšmes d'amour; Ă©vitez d'abord les formes qui sont trop courantes et trop habituelles : ce sont les plus difficiles, car il faut la force de la maturitĂ© pour donner, lĂ  oĂč de bonnes et parfois brillantes traditions se prĂ©sentent en foule, ce qui vous est propre. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; dĂ©crivez vos tristesses et vos dĂ©sirs, les pensĂ©es fugaces et la foi en quelque beautĂ©. DĂ©crivez tout cela avec une sincĂ©ritĂ© profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rĂȘves et les objets de votre souvenir. Si votre quotidien vous paraĂźt pauvre, ne l'accusez pas; accusez-vous vous-mĂȘme, dites-vous que vous n'ĂȘtes pas assez poĂšte pour appeler Ă  vous ses richesses; car pour celui qui crĂ©e il n'y a pas de pauvretĂ©, pas de lieu pauvre et indiffĂ©rent. Et fussiez-vous mĂȘme dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir Ă  vos sens aucune des rumeurs du monde, n'auriez-vous pas alors toujours votre enfance, cette dĂ©licieuse et royale richesse, ce trĂ©sor des souvenirs ? Tournez vers elle votre attention. Cherchez Ă  faire resurgir les sensations englouties de ce vaste passĂ©; votre personnalitĂ© s'affirmera, votre solitude s'Ă©tendra pour devenir une demeure de douce lumiĂšre, loin de laquelle passera le bruit des autres." (Lettres Ă  un jeune poĂšte)
          â
          â
         
        Rainer Maria Rilke (Letters to a Young Poet)
       
        
          â
          Il est tragique que si peu de gens « possĂšdent leur Ăąme » avant de mourir. « Rien nâest plus rare pour un homme, dit Emerson, que de commettre un acte bien Ă  lui. » Câest parfaitement vrai. La plupart des gens ne sont pas eux-mĂȘmes. Leurs pensĂ©es sont les opinions des autres, leur vie une imitation, leurs passions une citation. Le Christ fut non seulement lâindividualiste suprĂȘme, mais le premier individualiste de lâhistoire. Certains ont tentĂ© dâen faire un philanthrope ordinaire semblable aux horribles philanthropes du XIXe siĂšcle ou lâont classĂ© comme altruiste parmi les incultes et les sentimentaux. Mais il nâĂ©tait vraiment ni lâun ni lâautre. Naturellement, les pauvres, ceux qui sont enfermĂ©s dans des prisons, les humbles, les misĂ©rables, lui inspiraient de la pitiĂ© ; mais il Ă©prouvait une pitiĂ© plus grande encore pour les possĂ©dants, pour les hĂ©donistes au cĆur dur, pour ceux qui perdent leur libertĂ© Ă  devenir les esclaves de leurs possessions, pour ceux qui sont richement vĂȘtus et vivent dans des palais. La fortune et le plaisir lui paraissaient ĂȘtre de plus grandes tragĂ©dies que la pauvretĂ© et la douleur. Quant Ă  lâaltruisme, qui mieux que lui savait que câest la vocation, et non la volontĂ©, qui nous dĂ©termine et que lâon ne peut cueillir des raisins sur des ronces ou des figues sur des chardons ? Vivre pour les autres nâĂ©tait pas son but conscient et dĂ©fini, ce nâĂ©tait pas sa croyance. Lorsquâil dit : « Pardonnez Ă  vos ennemis », ce nâest pas pour lâamour de lâennemi, mais pour lâamour de soi et parce que lâamour est plus beau que la haine. Lorsquâil adjure ainsi le jeune homme quâil veut sauver : « Vends tout ce que tu possĂšdes et donne-le aux pauvres », ce nâest pas Ă  la condition des pauvres quâil pense, mais Ă  lâĂąme du jeune homme, cette Ăąme que gĂąte la richesse. Dans sa conception de la vie, il sâidentifie Ă  lâartiste qui sait que, par lâinĂ©vitable loi de la perfection de soi, le poĂšte doit chanter, le sculpteur penser en bronze et le peintre faire du monde le miroir de ses impressions, aussi inĂ©vitablement que lâaubĂ©pine doit fleurir au printemps, que le blĂ© doit dorer ses Ă©pis au temps de la moisson et que la lune, dans ses inĂ©luctables phases, doit se mĂ©tamorphoser de bouclier en faucille et de faucille en bouclier.
          â
          â
         
        Oscar Wilde (De Profundis)
       
        
          â
          Qu'il renie sagement en lui le roi noir dépossédé il n'est plus qu'un captif heureux.
Un jour, pourtant, on le dĂ©livrera. Quand il sera trop vieux pour valoir ou sa nourriture ou ses vĂȘtements, on lui accordera une libertĂ© dĂ©mesurĂ©e. Pendant trois jours, il se proposera en vain de tente en tente, chaque jour plus faible, et vers la fin du troisiĂšme jour, toujours sagement il se couchera sur le sable. J'en ai vu ainsi, Ă  Juby, mourir nus. Les Maures coudoyaient leur longue agonie, mais sans cruautĂ©, et les petits des Maures jouaient prĂšs de l'Ă©pave sombre, et, Ă  chaque aube, couraient voir par jeu si elle remuait encore, mais sans rire du vieux serviteur. Cela Ă©tait dans l'ordre naturel. C'Ă©tait comme si on lui eĂ»t dit : « Tu as bien travaillĂ©, tu as droit au sommeil, va dormir. » Lui, toujours allongĂ©, Ă©prouvait la faim qui n'est qu'un vertige, mais non l'injustice qui seule tourmente. Il se mĂȘlait peu Ă  peu Ă  la terre. SĂ©chĂ© par le soleil et reçu par la terre. Trente annĂ©es de travail, puis ce droit au sommeil et Ă  la terre.
Le premier que je rencontrai, je ne l'entendis pas gĂ©mir : mais il n'avait pas contre qui gĂ©mir. Je devinais en lui une sorte d'obscur consentement, celui du montagnard perdu, Ă  bout de forces, et qui se couche dans la neige, s'enveloppe dans ses rĂȘves et dans la neige. Ce ne fut pas sa souffrance qui me tourmenta. Je n'y croyais guĂšre. Mais, dans la mort d'un homme, un monde inconnu meurt, et je me demandais quelles Ă©taient les images qui sombraient en lui. Quelles plantations du SĂ©nĂ©gal, quelles villes blanches du Sud-Marocain s'enfonçaient peu Ă  peu dans l'oubli. Je ne pouvais connaĂźtre si, dans cette masse noire, s'Ă©teignaient simplement des soucis misĂ©rables le thĂ© Ă  prĂ©parer, les bĂȘtes Ă  conduire au puits. si s'endormait une Ăąme d'esclave, ou si, ressuscitĂ© par une remontĂ©e de souvenirs, l'homme mourait dans sa grandeur. L'os dur du crĂąne Ă©tait pour moi pareil Ă  la vieille caisse aux trĂ©sors. Je ne savais quelles soies de couleur, quelles images de fĂȘtes, quels vestiges tellement dĂ©suets ici, tellement inutiles dans ce dĂ©sert, y avaient Ă©chappĂ© au naufrage. Cette caisse Ă©tait lĂ , bouclĂ©e, et lourde. Je ne savais quelle part du monde se dĂ©faisait dans l'homme pendant le gigantesque sommeil des derniers jours, se dĂ©faisait dans cette conscience et cette chair qui, peu Ă  peu, redevenaient nuit et racine.
p98-99
          â
          â
         
        Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
       
        
          â
          Maldoror, Ă©coute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence Ă©gale Ă  la tienne. Un jour, tu mâappelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je nâai pas dĂ©menti la confiance que tu mâavais vouĂ©e. Je ne suis quâun simple habitant des roseaux, câest vrai ; mais, grĂące Ă  ton propre contact, ne prenant que ce quâil y avait de beau en toi, ma raison sâest agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de lâabĂźme. Ceux qui sâintitulent tes amis te regardent, frappĂ©s de consternation, chaque fois quâils te rencontrent, pĂąle et voĂ»tĂ©, dans les théùtres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis quâil porte son maĂźtre-fantĂŽme, enveloppĂ© dans un long manteau noir. Abandonne ces pensĂ©es, qui rendent ton cĆur vide comme un dĂ©sert ; elles sont plus brĂ»lantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne tâen aperçois pas, et que tu crois ĂȘtre dans ton naturel, chaque fois quâil sort de ta bouche des paroles insensĂ©es, quoique pleines dâune infernale grandeur. Malheureux ! quâas-tu dit depuis le jour de ta naissance ? Ă triste reste dâune intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant dâamour ! Tu nâas engendrĂ© que des malĂ©dictions, plus affreuses que la vue de panthĂšres affamĂ©es ! Moi, je prĂ©fĂ©rerais avoir les paupiĂšres collĂ©es, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassinĂ© un homme, que ne pas ĂȘtre toi ! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractĂšre qui mâĂ©tonne ? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dĂ©rision ceux qui lâhabitent, Ă©pave pourrie, ballottĂ©e par le scepticisme ? Si tu ne tây plais pas, il faut retourner dans les sphĂšres dâoĂč tu viens. Un habitant des citĂ©s ne doit pas rĂ©sider dans les villages, pareil Ă  un Ă©tranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphĂšres plus spacieuses que la nĂŽtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons mĂȘme pas concevoir. Eh bien, va-tâen !⊠retire-toi de ce sol mobile !⊠montre enfin ton essence divine, que tu as cachĂ©e jusquâici ; et, le plus tĂŽt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphĂšre, que nous nâenvions point, orgueilleux que tu es ! Car, je ne suis pas parvenu Ă  reconnaĂźtre si tu es un homme ou plus quâun homme ! Adieu donc ; nâespĂšre plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour lâĂ©ternitĂ©, afin dâimplorer ton pardon !
          â
          â
         
        Comte de Lautréamont
       
        
          â
          « Les Arabes auraient facilement pu ĂȘtre aveuglĂ©s par leurs premiĂšres conquĂȘtes et maltraiter leurs opposants ou les forcer Ă  embrasser l'islam, qu'ils souhaitaient rĂ©pandre Ă  travers le monde. Mais ils Ă©vitĂšrent cela. Les premiers califes, qui possĂ©daient un gĂ©nie politique que l'on retrouve rarement chez les adhĂ©rents aux nouvelles religions, avaient compris que la religion et les systĂšmes de pensĂ©e ne s'imposent pas par la force. Alors, ils traitĂšrent les peuples de Syrie, d'Ăgypte, d'Espagne et de tous les pays dont ils prirent le contrĂŽle avec beaucoup de considĂ©ration, comme on a pu le voir. Ils leur permirent de conserver intactes leurs lois, leurs rĂšgles et leurs croyances et ne leur imposĂšrent que la jizya, qui Ă©tait d'un montant dĂ©risoire lorsque comparĂ© Ă  ce qu'ils avaient du payer comme taxes, auparavant, en Ă©change de leur sĂ©curitĂ©. La vĂ©ritĂ© est que jamais les nations n'avaient connu de conquĂ©rants plus tolĂ©rants que les musulmans ni de religion plus tolĂ©rante que l'Islam. »
- La civilisation des arabes, p.154,
__________________________
Remarque : La Jizya n'était imposé qu'aux hommes adultes en bonne santé. Pas aux femmes, aux enfants, aux handicapés, aux personnes ùgées, aux pauvres et aux moines.
***************************
Le Coran est entrĂ© dans peu de dĂ©veloppements sur le droit de propriĂ©tĂ©, mais tout ce qui le concerne a Ă©tĂ© bien rĂ©glĂ© par les commentateurs. Ce droit a toujours Ă©tĂ© trĂšs respectĂ© par les Arabes, mĂȘme Ă  l'Ă©gard des peuples vaincus. La terre, qui Ă©tait enlevĂ©e Ă  ces derniers par la conquĂȘte, leur Ă©tait rendue moyennant un tribut qui dĂ©passait rarement le cinquiĂšme de la rĂ©colte.
L'occupation individuelle fondée sur le travail constituait pour les Arabes un droit à la propriété. Dans leur opinion, défricher c'est vivifier la terre morte, créer une valeur, et par conséquent un droit à la propriété. La prescription n'étant pas reconnue par la plupart des commentateurs, le droit de revendication est illimité. Le rite malékite admet cependant la prescription par dix ans entre étrangers, quarante entre parents. L'étranger ne peut acquérir de terre ni posséder d'esclaves sur le sol musulman,mais ce terme d'étrangers s'adresse seulement aux infidÚles, les musulmans, à quelque nation qu'ils appartiennent, ne sont jamais des étrangers les uns pour les autres. Un Chinois mahométan, par le seul fait qu'il est mahométan, a sur le sol de l'islam tous les droits que peut posséder l'Arabe qui y est né. Le droit musulman diffÚre à ce point de vue d'une façon fondamentale du droit civil chez les peuples Européens."
Gustave Le Bon - La civilisation des arabes, Livre IV, section 2 : "Institutions sociales des arabes
          â
          â
         
        Gustave Le Bon (Ű۶ۧ۱۩ ۧÙŰč۱ۚ)
       
        
          â
          Le « mythe », comme lâ« idole » nâa jamais Ă©tĂ© quâun symbole incompris : lâun est dans lâordre verbal ce que lâautre est dans lâordre figuratif ; chez les Grecs, la poĂ©sie produisit le premier comme lâart produisit la seconde ; mais, chez les peuples Ă  qui, comme les Orientaux, le naturalisme et lâanthropomorphisme sont Ă©galement Ă©trangers, ni lâun ni lâautre ne pouvaient prendre naissance, et ils ne le purent en effet que dans lâimagination dâOccidentaux qui voulurent se faire les interprĂštes de ce quâils ne comprenaient point. LâinterprĂ©tation naturaliste renverse proprement les rapports : un phĂ©nomĂšne naturel peut, aussi bien que nâimporte quoi dans lâordre sensible, ĂȘtre pris pour symboliser une idĂ©e ou un principe, et le symbole nâa de sens et de raison dâĂȘtre quâautant quâil est dâun ordre infĂ©rieur Ă  ce qui est symbolisĂ©. De mĂȘme, câest sans doute une tendance gĂ©nĂ©rale et naturelle Ă  lâhomme que dâutiliser la forme humaine dans le symbolisme ; mais cela, qui ne prĂȘte pas en soi Ă  plus dâobjections que lâemploi dâun schĂ©ma gĂ©omĂ©trique ou de tout autre mode de reprĂ©sentation, ne constitue nullement lâanthropomorphisme, tant que lâhomme nâest point dupe de la figuration quâil a adoptĂ©e. En Chine et dans lâInde, il nây eut jamais rien dâanalogue Ă  ce qui se produisit en GrĂšce, et les symboles Ă  figure humaine, quoique dâun usage courant, nây devinrent jamais des « idoles » ; et lâon peut encore noter Ă  ce propos combien le symbolisme sâoppose Ă  la conception occidentale de lâart : rien nâest moins symbolique que lâart grec, et rien ne lâest plus que les arts orientaux ; mais lĂ  oĂč lâart nâest en somme quâun moyen dâexpression et comme un vĂ©hicule de certaines conceptions intellectuelles, il ne saurait Ă©videmment ĂȘtre regardĂ© comme une fin en soi, ce qui ne peut arriver que chez les peuples Ă  sentimentalitĂ© prĂ©dominante. Câest Ă  ces mĂȘmes peuples seulement que lâanthropomorphisme est naturel, et il est Ă  remarquer que ce sont ceux chez lesquels, pour la mĂȘme raison, a pu se constituer le point de vue proprement religieux ; mais, dâailleurs, la religion sây est toujours efforcĂ©e de rĂ©agir contre la tendance anthropomorphique et de la combattre en principe, alors mĂȘme que sa conception plus ou moins faussĂ©e dans lâesprit populaire contribuait parfois au contraire Ă  la dĂ©velopper en fait. Les peuples dits sĂ©mitiques, comme les Juifs et les Arabes, sont voisins sous ce rapport des peuples occidentaux : il ne saurait, en effet, y avoir dâautre raison Ă  lâinterdiction des symboles Ă  figure humaine, commune au JudaĂŻsme et Ă  lâIslamisme, mais avec cette restriction que, dans ce dernier, elle ne fut jamais appliquĂ©e rigoureusement chez les Persans, pour qui lâusage de tels symboles offrait moins de dangers, parce que, plus orientaux que les Arabes, et dâailleurs dâune tout autre race, ils Ă©taient beaucoup moins portĂ©s Ă  lâanthropomorphisme.
          â
          â
         
        René Guénon (Introduction to the Study of the Hindu Doctrines)
       
        
          â
          [...] Pourtant, sâil nâexiste pas de moyen infaillible pour permettre au futur disciple dâidentifier un MaĂźtre authentique par une procĂ©dure mentale uniquement, il existe nĂ©anmoins cette maxime Ă©sotĂ©rique universelle (127) que tout aspirant trouvera un guide authentique sâil le mĂ©rite. De mĂȘme que cette autre maxime quâen rĂ©alitĂ©, et en dĂ©pit des apparences, ce nâest pas celui qui cherche qui choisit la voie, mais la voie qui le choisit. En dâautres termes, puisque le MaĂźtre incarne la voie, il a, mystĂ©rieusement et providentiellement, une fonction active Ă  lâĂ©gard de celui qui cherche, avant mĂȘme que lâinitiation Ă©tablisse la relation maĂźtre-disciple. Ce qui permet de comprendre lâanecdote suivante, racontĂ©e par le Shaykh marocain al-âArabĂź ad-DarqĂąwĂź (mort en 1823), lâun des plus grands MaĂźtres soufis de ces derniers siĂšcles. Au moment en question, il Ă©tait un jeune homme, mais qui reprĂ©sentait dĂ©jĂ  son propre Shaykh, âAlĂź al-Jamal, Ă  qui il se plaignit un jour de devoir aller dans tel endroit oĂč il craignait de ne trouver aucune compagnie spirituelle. Son Shaykh lui coupa la parole : « Engendre celui quâil te faut! » Et un peu plus tard, il lui rĂ©itĂ©ra le mĂȘme ordre, au pluriel : « Engendre-les! »(128) Nous avons vu que le premier pas dans la voie spirituelle est de « renaĂźtre »; et toutes ces considĂ©rations laissent entendre que nul ne « mĂ©rite » un MaĂźtre sans avoir Ă©prouvĂ© une certaine conscience dâ« inexistence » ou de vide, avant-goĂ»t de la pauvretĂ© spirituelle (faqr) dâoĂč le faqĂźr tire son nom. La porte ouverte est une image de cet Ă©tat, et le Shaykh ad-DarqĂąwĂź dĂ©clare que lâun des moyens les plus puissants pour obtenir la solution Ă  un problĂšme spirituel est de tenir ouverte « la porte de la nĂ©cessitĂ© »(129) et de prendre garde quâelle ne se referme. On peut ainsi en dĂ©duire que ce « mĂ©rite » se mesurera au degrĂ© dâacuitĂ© du sens de la nĂ©cessitĂ© chez celui qui cherche un MaĂźtre, ou au degrĂ© de vacuitĂ© de son Ăąme, qui doit ĂȘtre en effet suffisamment vide pour prĂ©cipiter lâavĂšnement de ce qui lui est nĂ©cessaire. Et soulignons pour terminer que cette « passivitĂ© » nâest pas incompatible avec lâattitude plus active prescrite par le Christ : « Cherchez et vous trouverez; frappez et lâon vous ouvrira », puisque la maniĂšre la plus efficace de « frapper » est de prier, et que supplier est la preuve dâun vide et lâaveu dâun dĂ©nuement, dâune « nĂ©cessitĂ© » justement. En un mot, le futur disciple a, aussi bien que le MaĂźtre, des qualifications Ă  actualiser.
127. Voir, dans le Treasury of Traditional Wisdom de Whitall Perry, Ă  la section rĂ©servĂ©e au MaĂźtre spirituel, pp. 288-95, les citations sur ce point particulier, de mĂȘme que sur dâautres en rapport avec cet appendice.
128. Lettres d'un MaĂźtre soufi, pp. 27-28.
129. Ibid., p. 20. - Le texte dit : « porte de la droiture », erreur de traduction corrigĂ©e par lâauteur, le terme arabe ayant bien le sens de « nĂ©cessitĂ© », et mĂȘme de « besoin urgent ». (NdT)
          â
          â
         
        Martin Lings (The Eleventh Hour: The spiritual crisis of the modern world in the light of tradition and prophecy)
       
        
          â
          Il faut que je vous Ă©crive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre dâune pauvre auberge de village, oĂč je me suis rĂ©fugiĂ© contre le mauvais temps. Dans ce triste gĂźte de D., oĂč je me traĂźne au milieu dâune foule Ă©trangĂšre, tout Ă  fait Ă©trangĂšre Ă  mes sentiments, je nâai pas eu un moment, pas un seul, oĂč le cĆur inâait dit de vous Ă©crire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grĂȘle se dĂ©chaĂźnent contre ma petite fenĂȘtre, ici, vous avez Ă©tĂ© ma premiĂšre pensĂ©e. DĂšs que je fus entrĂ©, votre image, ĂŽ Charlotte, votre pensĂ©e mâa saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, câest le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon Ăąme se dessĂšche ! Pas un moment oĂč le cĆur soit plein ! pas une heure fortunĂ©e ! rien, rien ! Je suis lĂ  comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce nâest pas une illusion dâoptique. Je mâen amuse, ou plutĂŽt on sâamuse de moi comme dâune ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet dâaller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je mâoublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lĂšve, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne lâai plus ; le charme qui me tenait Ă©veillĂ© dans les nuits profondes sâest Ă©vanoui ; lâenchantement qui, le matin, mâarrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je nâai trouvĂ© ici quâune femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ĂŽ Charlotte, si lâon peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilĂ  qui fait de jolis compliments ! » Cela nâest pas tout Ă  fait imaginaire : depuis quelque temps je suis trĂšs-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; jâai beaucoup dâesprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finementâŠ. «Ni mentir, ajouterez-vous, car lâun ne va pas sans lâautre, entendez-vous ?⊠» Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup dâĂąme, on le voit dâabord Ă  la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est Ă  charge ; il ne satisfait aucun des vĆux de son cĆur. Elle aspire Ă  sortir de ce tumulte, et nous rĂȘvons, des heures entiĂšres, au mijieu de scĂšnes champĂȘtres, un bonheur sans mĂ©lange ; hĂ©las ! nous rĂȘvons Ă  vous, Charlotte ! Que de fois nâest-elle pas obligĂ©e de vous rendre hommage !⊠Non pas obligĂ©e : elle le fait de bon grĂ© ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si jâĂ©tais assis Ă  vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrĂ©e Ă©blouissante de neige ; lâorage est passĂ© ; et moiâŠ. il faut que je rentre dans ma cageâŠ. Adieu. Albert est-il auprĂšs de vous ? Et comment ?⊠Dieu veuille me pardonner cette question !
          â
          â
         
        Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
       
        
          â
          Wilhelm, on deviendrait furieux de voir quâil y ait des hommes incapables de goĂ»ter et de sentir le peu de biens qui ont encore quelque valeur sur la terre. Tu connais les noyers sous lesquels je me .suis assis avec Charlotte, Ă  StâŠ, chez le bon pasteur, ces magnifiques noyers, qui, Dieu le sait, me remplissaient toujours dâune joie calme et profonde. Quelle paix, quelle fraĂźcheur ils rĂ©pandaient sur le presbytĂšre ! Que les rameaux Ă©taient majestueux ! Et le souvenir enfin des vĂ©nĂ©rables pasteurs qui les avaient plantĂ©s, tant dâannĂ©es auparavant !⊠Le maĂźtre dâĂ©cole nous a dit souvent le nom de lâun dâeux, quâil avait appris de son grand-pĂšre. Ce fut sans doute un homme vertueux, et, sous ces arbres, sa mĂ©moire me fut toujours sacrĂ©e. Eh bien, le maĂźtre dâĂ©cole avait hier les larmes aux yeux, comme nous parlions ensemble de ce quâon les avait abattus. Abattus ! jâen suis furieux, je pourrais tuer le chien qui a portĂ© le premier coup de hache. Moi, qui serais capable de prendre le deuil, si, dâune couple dâarbres tels que ceux-lĂ , qui auraient existĂ© dans ma cour, lâun venait Ă  mourir de vieillesse, il faut que je voie une chose pareille !⊠Cher Wilhelm, il y a cependant une compensation. Chose admirable que lâhumanitĂ© ! Tout le village murmure, et jâespĂšre que la femme du pasteur sâapercevra au beurre, aux Ćufs et autres marques dâamitiĂ©, de la blessure quâelle a faite Ă  sa paroisse. Car câest elle, la femme du nouveau pasteur (notre vieux est mort), une personne sĂšche, maladive, qui fait bien de ne prendre au monde aucun intĂ©rĂȘt, attendu que personne nâen prend Ă  elle. Une folle, qui se pique dâĂȘtre savante ; qui se mĂȘle de lâĂ©tude du canon ; qui travaille Ă©normĂ©ment Ă  la nouvelle rĂ©formation morale et critique du christianisme ; Ă  qui les rĂȘveries de Lavater font lever les Ă©paules ; dont la santĂ© est tout Ă  fait dĂ©labrĂ©e, et qui ne goĂ»te, par consĂ©quent, aucune joie sur la terre de Dieu ! Une pareille crĂ©ature Ă©tait seule capable de faire abattre mes noyers. Vois-tu, je nâen reviens pas. Figure-toi que les feuilles tombĂ©es lui rendent la cour humide et malpropre ; les arbres interceptent le jour Ă  madame, et, quand les noix sont mĂ»res, les enfants y jettent des pierres, et cela lui donne sur les nerfs, la trouble dans ses profondes mĂ©ditations, lorsquâelle pĂšse et met en parallĂšle Kennikot, Semler et MichaĂ«lis. Quand jâai vu les gens du village, surtout les vieux, si mĂ©contents, je leur ai dit : « Pourquoi lâavez-vous souffert ?â A la campagne, mâontils rĂ©pondu, quand le maire veut quelque chose, que peut-on /aire ? * Mais voici une bonne aventure. : le- pasteur espĂ©rait aussi tirer quelque avantage des caprices de sa femme, qui dâordinaire ne rendent pas sa soupe plus grasse, et il croyait partager le produit avec le maire ; la chambre des domaines en fut avertie et dit : « A moi, sâil vous plaĂźt ! » car elle avait dâanciennes prĂ©tentions sur la partie du presbytĂšre oĂč les arbres Ă©taient plantĂ©s, et elle les a vendus aux enchĂšres. Ils sont Ă  bas ! Oh ! si jâĂ©tais prince, la femme du pasteur, le maire, la chambre des domaines, apprendraientâŠ. Prince !⊠Eh ! si jâĂ©tais prince, que mâimporteraient les arbres de mon pays ?
          â
          â
         
        Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
       
        
          â
          Quand on me retrouvera, les yeux brûlés on imaginera que j'ai beaucoup appelé et beaucoup souffert. Mais les élans, mais les regrets, mais les tendres souffrances, ce sont encore des richesses. Et moi je n'ai plus de richesses. Les fraßches jeunes filles, au soir de leur premier amour, connaissent le chagrin et pleurent. Le chagrin est lié aux frémissements de la vie. Et moi je n'ai plus de richesses. Les fraßches jeunes filles, au soir de leur premier amour, connaissent le chagrin et pleurent. Le chagrin est lié aux frémissements de la vie. Et moi je n'ai plus de chagrin.
Le désert, c'est moi. Je ne forme plus de salive, mais je ne forme plus, non plus, les images douces vers lesquelles j'aurais pu gémir. Le soleil a séché en moi la source des larmes.
[...]
Je regarde PrĂ©vot. Il est frappĂ© du mĂȘme Ă©tonnement que moi, mais il ne comprend pas non plus ce qu'il Ă©prouve.
[...]
Nous sommes sauvés, il y a des traces dans le sable !...
Ah ! nous avions perdu la piste de l'espÚce humaine, nous étions retranchés d'avec la tribu, nous nous étions retrouvés seuls au monde, oubliés par une migration universelle, et voici que nous découvrons, imprimés dans le sable, les pieds miraculeux de l'homme.
[...]
Et cependant, nous ne sommes point sauvés encore. Il ne nous suffit pas d'attendre. Dans quelques heures, on ne pourra plus nous secourir. La marche de la soif, une fois la toux commencée, est trop rapide. Et notre gorge.
Mais je crois en cette caravane, qui se balance quelque part, dans le désert.
Nous avons donc marché encore, et tout à coup j'ai entendu le chant du coq. Guillaumet m'avait dit : « Vers la fin, j'entendais des coqs dans les Andes. J'entendais aussi des chemins de fer. »
Je me souviens de son rĂ©cit Ă  l'instant mĂȘme oĂč le coq chante et je me dis : « Ce sont mes yeux qui m'ont trompĂ© d'abord. C'est sans doute l'effet de la soif. Mes oreilles ont mieux rĂ©sistĂ©. » Mais PrĂ©vot m'a saisi par le bras :
« Vous avez entendu ?
- Quoi ?
- Le coq !
- Alors... Alors... »
Alors, bien sûr, imbécile, c'est la vie...
J'ai eu une derniÚre hallucination : celle de trois chiens qui se poursuivaient. Prévot, qui regardait aussi, n'a rien vu. Mais nous sommes deux à tendre les bras vers ce Bédouin. Nous sommes deux à user vers lui tout le souffle de nos poitrines. Nous sommes deux à rire de bonheur !...
Mais nos voix ne portent pas Ă  trente mĂštres. Nos cordes vocales sont dĂ©jĂ  sĂšches. Nous nous parlions tout bas l'un Ă  l'autre, et nous ne l'avions mĂȘme pas remarquĂ© !
Mais ce BĂ©douin et son chameau, qui viennent de se dĂ©masquer de derriĂšre le tertre, voilĂ  que lentement, lentement, ils s'Ă©loignent. Peut-ĂȘtre cet homme est-il seul. Un dĂ©mon cruel nous l'a montrĂ© et le retire...
Et nous ne pourrions plus courir !
Un autre Arabe apparaßt de profil sur la dune. Nous hurlons, mais tout bas. Alors, nous agitons les bras et nous avons l'impression de remplir le ciel de signaux immenses. Mais ce Bédouin regarde toujours vers la droite...
Et voici que, sans hĂąte, il a amorcĂ© un quart de tour. Ă la seconde mĂȘme oĂč il se prĂ©sentera de face, tout sera accompli. Ă la seconde mĂȘme oĂč il regardera vers nous, il aura dĂ©jĂ  effacĂ© en nous la soif, la mort et les mirages. Il a amorcĂ© un quart de tour qui, dĂ©jĂ , change le monde. Par un mouvement de son seul buste, par la promenade de son seul regard, il crĂ©e la vie, et il me paraĂźt semblable Ă  un dieu...
C'est un miracle... Il marche vers nous sur le sable, comme un dieu sur la mer...
L'Arabe nous a simplement regardés. Il a pressé, des mains, sur nos épaules, et nous lui avons obéi. Nous nous sommes étendus. Il n'y a plus ici ni races, ni langages, ni divisions. Il y a ce nomade pauvre qui a posé sur nos épaules des mains d'archange.
          â
          â
         
        Antoine de Saint-Exupéry
       
        
          â
          Ătre aimĂ© d'une jeune fille chaste, lui rĂ©vĂ©ler le premier cet Ă©trange mystĂšre de l'amour, certes, c'est une grande fĂ©licitĂ©, mais c'est la chose du monde la plus simple. S'emparer d'un cĆur qui n'a pas l'habitude des attaques, c'est entrer dans une ville ouverte et sans garnison. L'Ă©ducation, le sentiment des devoirs et la famille sont de trĂšs fortes sentinelles ; mais il n'y a sentinelles si vigilantes que ne trompe une fille de seize ans, Ă  qui, par la voix de l'homme qu'elle aime, la nature donne ses premiers conseils d'amour qui sont d'autant plus ardents qu'ils paraissent plus purs. Plus la jeune fille croit au bien, plus elle s'abandonne facilement, sinon Ă  l'amant, du moins Ă  l'amour, car Ă©tant sans dĂ©fiance, elle est sans force, et se faire aimer d'elle est un triomphe que tout homme de vingt-cinq ans pourra se donner quand il voudra. Et cela est si vrai que voyez comme on entoure les jeunes filles de surveillance et de remparts ! Les couvents n'ont pas de murs assez hauts, les mĂšres de serrures assez fortes, la religion de devoirs assez continus pour renfermer tous ces charmants oiseaux dans leur cage, sur laquelle on ne se donne mĂȘme pas la peine de jeter des fleurs. Aussi comme elles doivent dĂ©sirer ce monde qu'on leur cache, comme elles doivent croire qu'il est tentant, comme elles doivent Ă©couter la premiĂšre voix qui, Ă  travers les barreaux, vient leur en raconter les secrets, et bĂ©nir la main qui lĂšve, la premiĂšre, un coin du voile mystĂ©rieux. Mais ĂȘtre rĂ©ellement aimĂ© d'une courtisane, c'est une victoire bien autrement difficile. Chez elles, le corps a usĂ© l'Ăąme, les sens ont brĂ»lĂ© le cĆur, la dĂ©bauche a cuirassĂ© les sentiments. Les mots qu'on leur dit, elles les savent depuis longtemps ; les moyens que l'on emploie, elles les connaissent, l'amour mĂȘme qu'elles inspirent, elles l'ont vendu. Elles aiment par mĂ©tier et non par entraĂźnement. Elles sont mieux gardĂ©es par leurs calculs qu'une vierge par sa mĂšre et son couvent ; aussi ont-elles inventĂ© le mot caprice pour ces amours sans trafic qu'elles se donnent de temps en temps comme repos, comme excuse, ou comme consolation ; semblables Ă  ces usuriers qui rançonnent mille individus, et qui croient tout racheter en prĂȘtant un jour vingt francs Ă  quelque pauvre diable qui meurt de faim, sans exiger d'intĂ©rĂȘt et sans lui demander de reçu. Puis, quand Dieu permet l'amour Ă  une courtisane, cet amour, qui semble d'abord un pardon, devient presque toujours pour elle un chĂątiment. Il n'y a pas d'absolution sans pĂ©nitence. Quand une crĂ©ature, qui a tout son passĂ© Ă  se reprocher, se sent tout Ă  coup prise d'un amour profond, sincĂšre, irrĂ©sistible, dont elle ne se fĂ»t jamais crue capable ; quand elle a avouĂ© cet amour, comme l'homme aimĂ© ainsi la domine ! Comme il se sent fort avec ce droit cruel de lui dire : « vous ne faites pas plus pour de l'amour que vous n'avez fait pour de l'argent. » Alors elles ne savent quelles preuves donner. Un enfant, raconte la fable, aprĂšs s'ĂȘtre longtemps amusĂ© dans un champ Ă  crier : « au secours ! » Pour dĂ©ranger des travailleurs, fut dĂ©vorĂ© un jour par un ours, sans que ceux qu'il avait trompĂ©s si souvent crussent cette fois aux cris rĂ©els qu'il poussait. Il en est de mĂȘme de ces malheureuses filles, quand elles aiment sĂ©rieusement. Elles ont menti tant de fois qu'on ne veut plus les croire, et elles sont, au milieu de leurs remords, dĂ©vorĂ©es par leur amour. De lĂ , ces grands dĂ©vouements, ces austĂšres retraites dont quelques-unes ont donnĂ© l'exemple. Mais, quand l'homme qui inspire cet amour rĂ©dempteur a l'Ăąme assez gĂ©nĂ©reuse pour l'accepter sans se souvenir du passĂ©, quand il s'y abandonne, quand il aime enfin, comme il est aimĂ©, cet homme Ă©puise d'un coup toutes les Ă©motions terrestres, et aprĂšs cet amour son cĆur sera fermé à tout autre.
          â
          â
         
        Alexandre Dumas fils (La dame aux camélias)
       
        
          â
          Et cependant, je me découvris plein de songes.
Ils me vinrent sans bruit, comme des eaux de source, et je ne compris pas, tout d'abord, la douceur qui m'envahissait. Il n'y eut point de voix, ni d'images, mais le sentiment d'une présence, d'une amitié trÚs proche et déjà à demi devinée. Puis, je compris et m'abandonnai, les yeux fermés, aux enchantements de ma mémoire.
Il était, quelque part, un parc chargé de sapins noirs et de tilleuls, et une vieille maison que j'aimais. Peu importait qu'elle fût éloignée ou proche, qu'elle ne pût ni me réchauffer dans ma chair ni m'abriter, réduite ici au rÎle de songe il suffisait qu'elle existùt pour remplir ma nuit de sa présence. Je n'étais plus ce corps échoué sur une grÚve, je m'orientais, j'étais l'enfant de cette maison, plein du souvenir de ses odeurs, plein de la fraßcheur de ses vestibules, plein des voix qui l'avaient animée.
[...]
Non, je ne logeais plus entre le sable et les Ă©toiles. Je ne recevais plus du dĂ©cor qu'un message froid. Et ce goĂ»t mĂȘme d'Ă©ternitĂ© que j'avais cru tenir de lui, j'en dĂ©couvrais maintenant l'origine. Je revoyais les grandes armoires solennelles de la maison. Elles s'entrouvraient sur des piles de draps blancs comme neige. Elles s'entrouvraient sur des provisions glacĂ©es de neige. La vieille gouvernante trottait comme un rat de l'une Ă  l'autre, toujours vĂ©rifiant, dĂ©pliant, repliant, recomptant le linge blanchi, s'Ă©criant : « Ah ! mon Dieu, quel malheur » Ă  chaque signe d'une usure qui menaçait l'Ă©ternitĂ© de la maison, aussitĂŽt courant se brĂ»ler les yeux sous quelque lampe, Ă  rĂ©parer la trame de ces nappes d'autel, Ă  ravauder ces voiles de trois-mĂąts, Ă  servir je ne sais quoi de plus grand qu'elle, un Dieu ou un navire.
Ah ! je te dois bien une page. Quand je rentrais de mes premiers voyages, mademoiselle, je te retrouvais l'aiguille Ă  la main, noyĂ©e jusqu'aux genoux dans tes surplis blancs, et chaque annĂ©e un peu plus ridĂ©e, un peu plus blanchie, prĂ©parant toujours de tes mains ces draps sans plis pour nos sommeils, ces nappes sans coutures pour nos dĂźners, ces fĂȘtes de cristaux et de lumiĂšre. Je te visitais dans ta lingerie, je m'asseyais en face de toi, je te racontais mes pĂ©rils de mort pour t'Ă©mouvoir, pour t'ouvrir les yeux sur le monde, pour te corrompre. Je n'avais guĂšre changĂ©, disais-tu. Enfant, je trouais dĂ©jĂ  mes chemises. - Ah ! quel malheur ! - et je m'Ă©corchais aux genoux ; puis je revenais Ă  la maison pour me faire panser, comme ce soir. Mais non, mais non, mademoiselle ! ce n'Ă©tait plus du fond du parc que je rentrais, mais du bout du monde, et je ramenais avec moi l'odeur Ăącre des solitudes, le tourbillon des vents de sable, les lunes Ă©clatantes des tropiques ! Bien sĂ»r, me disais-tu, les garçons courent, se rompent les os, et se croient trĂšs forts. Mais non, mais non, mademoiselle, j'ai vu plus loin que ce parc ! Si tu savais comme ces ombrages sont peu de chose ! Qu'ils semblent bien perdus parmi les sables, les granits, les forĂȘts vierges, les marais de la terre. Sais-tu seulement qu'il est des territoires oĂč les hommes, s'ils vous rencontrent, Ă©paulent aussitĂŽt leur carabine ? Sais-tu mĂȘme qu'il est des dĂ©serts oĂč l'on dort, dans la nuit glacĂ©e, sans toit, mademoiselle, sans lit, sans draps.
« Ah ! barbare », disais-tu.
Je n'entamais pas mieux sa foi que je n'eusse entamé la foi d'une servante d'église. Et je plaignais son humble destinée qui la faisait aveugle et sourde.
[...]
Mes songes sont plus rĂ©els que ces dunes, que cette lune, que ces prĂ©sences. Ah ! le merveilleux d'une maison n'est point qu'elle vous abrite ou vous rĂ©chauffe, ni qu'on en possĂšde les murs. Mais bien qu'elle ait lentement dĂ©posĂ© en nous ces provisions de douceur. Qu'elle forme, dans le fond du cĆur, ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes.
Mon Sahara, mon Sahara, te voilà tout entier enchanté par une fileuse de laine !
p64-66
          â
          â
         
        Antoine de Saint-Exupéry
       
        
          â
          Il s'était limité à deux conseils parentaux succincts, le premier étant que si un homme ne maßtrisai pas le cours de la vie, alors il en deviendrait forcément le jouet, et le second - la maxime de Montaigne, que le signe le plus évident de la sagesse, c'était une constante bonne humeur.
          â
          â
         
        Amor Towles (A Gentleman in Moscow)
       
        
          â
          Ainsi, j'avais appris comment mon pays avait été conquis par la France. On ne m'en avait jamais parlé. Ce n'était pas que nos aßnés voulaient dissimuler ce pan de notre histoire peu glorieux mais ils en étaient ignorants. Un coup d'éventail. Le dey Hussein d'Alger - sorte d'administrateur -, qui gérait l'Algérie pour le compte de l'empire ottoman, avait exigé du représentant du roi Charles X qu'il honore la dette de son pays. à l'époque, l'Algérie était le premier exportateur de céréales pour la France. Le représentant de Charles X avait méprisé Hussein, arguant qu'un sous-fifre ne donnait pas d'ordre au roi de France. Hussein, humilié et ridiculisé devant sa cour, l'avait souffleté trois fois avec son éventail. Quelques mois plus tard, Charles X envoyait son armada corriger la piÚtre armée du Dey Hussein. Battu sans livrer combat, il avait été chassé comme un malpropre d'Alger. Quatre-vingt-dix ans plus tard, des hommes comme moi se retrouvaient à porter l'uniforme pour défendre cette France qui nous avait mis à genoux.
          â
          â
         
        Akli Tadjer (d'Amour et de Guerre)
       
        
          â
          les jours passent vite alors quâon aurait pu croire le contraire lorsquâon est lĂ , assis, Ă  attendre je ne sais quoi, Ă  boire et Ă  boire encore jusquâĂ  devenir le prisonnier des vertiges, Ă  voir la Terre tourner autour dâelle mĂȘme et du Soleil mĂȘme si je nâai jamais cru Ă  ces thĂ©ories de merde que je rĂ©pĂ©tais Ă  mes Ă©lĂšves lorsque jâĂ©tais encore un homme pareil aux autres, faut vraiment ĂȘtre un illuminĂ© pour dĂ©biter des Ă©normitĂ©s de ce genre parce que moi, Ă  vrai dire, quand je bois mon pot,quand je suis assis peinard Ă  lâentrĂ©e du CrĂ©dit a voyagĂ©, je ne rĂ©alise pas que la Terre que je vois lĂ  puisse ĂȘtre ronde, quâelle puisse sâamuser Ă  tourner au tour dâelle-mĂȘme et autour du Soleil comme si elle nâavait rien dâautre Ă  foutre que de se causer des vertiges dâavion Ă  papier, quâon me dĂ©montre donc Ă  quel moment elle tourne autour dâelle-mĂȘme, Ă  quel moment elle arrive Ă  tourner autour du Soleil, faut ĂȘtre rĂ©aliste, voyons, ne mous laissons pas embobiner par ces penseurs qui devaient se raser Ă  lâaide dâun vulgaire silex ou dâune pierre maladroitement taillĂ©e pendant que les plus modernes dâentre eux utilisaient de la pierre polie, en fait, grosso modo, si je devais analyser tout ça de trĂšs prĂšs, je dirais quâon distinguait jadis deux grandes catĂ©gories de penseurs, dâun cĂŽtĂ© y avait ceux qui pĂ©taient dans les baignoires pour crier Ă  plusieurs reprises « jâai trouvĂ© , jâai trouvĂ© », mais quâest-ce quâon en a foutre quâils aient trouvĂ©, ils nâavaient quâĂ  garder leur dĂ©couverte pour eux, moi jâai eu Ă  mâimmerger quelques fois dans la riviĂšre Tchinouka qui a emportĂ© ma pauvre mĂšre, je nâai rien trouvĂ© de spectaculaire dans ces eaux grises oĂč tout corps quâon y plonge ne subit mĂȘme pas la fameuse poussĂ©e verticale de bas en haut, câest dâailleurs pour cela que toute la merde de notre quartier Trois â cents est tapie au fond des eaux, quâon me dise alors comment cette merde arrive Ă  Ă©chapper Ă  la poussĂ©e dâArchimerde, et puis y avait la deuxiĂšme grande catĂ©gorie dâilluminĂ©s qui nâĂ©taient que des oisifs, des vrais fainĂ©ants, ils Ă©taient toujours assis sous un pommier du coin et attendaient de recevoir des pommes sur la tĂȘte pour une histoire dâattraction ou de pesanteur, moi je suis contre ces idĂ©es reçues, et je dis que la Terre est plate comme lâavenue de lâindĂ©pendance qui passe devant Le CrĂ©dit a voyagĂ©, y a rien a rajouter, je proclame que la Terre est tristement immobile, que câest le Soleil qui sâexcite autour de nous parce que je le vois moi-mĂȘme parader au dessus de la toiture de mon bar prĂ©fĂ©rĂ©, quâon ne me raconte pas dâhistoire Ă  dormir debout, et le premier qui vient encore mâexpliquer que la Terre est ronde, quâelle tourne autour dâelle âmĂȘme et autour du Soleil, celui lĂ  je le dĂ©capite sur le champ, mĂȘme sâil sâĂ©crie « et pourtant elle tourne »
          â
          â
         
        Alain Mabanckou (Broken Glass)
       
        
          â
          Instruire la dĂ©mocratie, ranimer s'il se peut ses croyances, purifier ses mĆurs, rĂ©gler ses mouvements, substituer peu Ă  peu la science des affaires Ă  son inexpĂ©rience, la connaissance de ses vrais intĂ©rĂȘts Ă  ses aveugles instincts; adapter son gouvernement aux temps et aux lieux; le modifier suivant les circonstances et les hommes: tel est le premier des devoirs imposĂ© de nos jours Ă  ceux qui dirigent la sociĂ©tĂ©. Il faut une science politique nouvelle Ă  un monde tout nouveau.
          â
          â
         
        Alexis de Tocqueville (De La DĂ©mocratie En AmĂ©rique (INCLUANT TOUS LES TOMES, ANNOTĂ DâUNE BIOGRAPHIE))
       
        
          â
          On ne saura jamais quel a Ă©tĂ© le patient zĂ©ro de l'hystĂ©rie. Le promoteur de cette maladie pourrait ĂȘtre le serpent qui a incitĂ© Eve Ă  donner la pomme dĂ©fendue Ă  Adam. La nuditĂ© leur apparut alors comme une menace, puis la sexualitĂ© comme un danger permanent. L'hystĂ©rie du paradis terrestre Ă©tait alors unisexe et le port de vĂȘtements en a Ă©tĂ© le premier symptĂŽme. 
Dans l'Ăgypte pharaonique, l'hystĂ©rie est devenue sexuĂ©e, elle ne concernait plus que le genre fĂ©minin, car la mĂ©decine Ă©tait une exclusivitĂ© masculine. Les maladies oĂč le corps s'exprimait de façon incomprĂ©hensible ne pouvaient toucher que des femmes. Les symptĂŽmes erratiques de l'hystĂ©rie Ă©taient interprĂ©tĂ©s comme une errance de l'utĂ©rus Ă  travers toutes les parties du corps. Pour ramener l'utĂ©rus Ă  sa place, les mĂ©decins prescrivaient des fumigations de cire brĂ»lĂ©e Ă  l'entrĂ©e du vagin. On ignore les rĂ©sultats de cette mĂ©thode; on peut au moins supposer que le mal changeait de nature. 
Plus tard, c'est l'exorcisme qui devint le traitement idĂ©al, suite au diagnostic allĂ©guant une possession du corps par le dĂ©mon. Il s'agissait toujours du corps des femmes, car les thĂ©rapeutes, tous mĂąles, Ă©taient Ă©galement prĂȘtres et ne pouvaient ĂȘtre pĂ©nĂ©trĂ©s par le dĂ©mon, ou alors avec la discrĂ©tion qui convient aux hommes d'Ăglise.
Beaucoup plus tard, quand les symptÎmes de l'hystérie ont été mis en évidence chez les mùles sapiens, il a bien fallu innocenter l'utérus et le démon. On a alors choisi le cerveau comme siÚge de la maladie; il eût été inconvenant de choisir la prostate ou les testicules.
          â
          â
         
        Luc Perino (Patients zéro - Histoires inversées de la médecine)
       
        
          â
          Ma conscience accrue de a prĂ©sence des hommes dans mes cours et le fait qu'ils ont tendance Ă  participer plus activement aux discussions font en sorte que je suis portĂ©e Ă  apprendre leurs nos en premier. Ă quel point cette reconnaissance des hommes, mĂȘme si elle est due Ă  la peur, contribue-t-elle Ă  leur rĂ©ussite en gĂ©nĂ©ral?
          â
          â
         
        Vivek Shraya (I'm Afraid of Men.)
       
        
          â
          Quâest-ce qui dĂ©finit un homme ? Quelle est la question que lâon pose en premier Ă  un homme, lorsquâon souhaite sâinformer de son Ă©tat ? Dans certaines sociĂ©tĂ©s, on lui demande dâabord sâil est mariĂ©, sâil a des enfants ; dans nos sociĂ©tĂ©s, on sâinterroge en premier lieu sur sa profession. Câest sa place dans le processus de production, et pas son statut de reproducteur, qui dĂ©finit avant tout lâhomme occidental. »
          â
          â
         
        Michel Houellebecq (La carte et le territoire (French Edition))
       
        
          â
          Zelfs in de beklaagdenbank is het altijd interessant om over jezelf te horen praten.
          â
          â
         
        Albert Camus (L'Ătranger âą La Peste âą La Chute âą Le Premier Homme)
       
        
          â
          Je suis de plus en plus certain que l'homme est un animal malheureux, abandonnĂ© dans le monde, condamnĂ© Ă  se trouver une modalitĂ© de vie propre, telle que la nature n'en a jamais connu. Sa prĂ©tendue libertĂ© le fait souffrir plus que n'importe quell forme de vie captive dans la nature. Rien d'Ă©tonnant, par consĂ©quent, Ă  ce que l'homme en arrive parfois Ă  ĂȘtre jaloux d'une plante, d'une fleure. [...] Seule cette Ă©chappĂ©e cosmique, vĂ©cue suivant l'arabesque des formes vitales et le pittoresque des plants, saurait rĂ©veiller en moi l'envie de redevenir homme. Car si la diffĂ©rence de l'animal Ă  l'homme consiste en ceci, que le premier ne saurait ĂȘtre autre chose qu'animal, tandis que l'homme peut ĂȘtre non-homme, c'est-Ă -dire autre chose que lui-mĂȘme - eh bien, je suis un non-homme.
          â
          â
         
        Emil M. Cioran (Oeuvres)
       
        
          â
          Je suis nĂ©. Je nâinsisterai pas sur ce fait, peu caractĂ©ristique en lui-mĂȘme. Mais ce petit malheur devait ĂȘtre le premier maillon dâune chaĂźne de calamitĂ©s du mĂȘme ordre : imposĂ©es par les circonstances, jamais librement acceptĂ©es. Lâhomme vient au monde de façon peu digne, indĂ©pendante non seulement de sa propre volontĂ© mais souvent mĂȘme de celle des auteurs responsables. Ainsi la naissance est-elle une leçon de choses, la premiĂšre mais non la moins magistrale. La nature nous dit, comme elle nous le rĂ©pĂ©tera plus tard jusquâĂ  la nausĂ©e : « Tu es le plus faible, tu dois te laisser faire. » NaĂźtre nâest que la premiĂšre Ă©tape dâune longue sĂ©rie noire. On commence en se laissant enfanter ; puis on se fait nourrir, instruire, Ă©duquer, et lâon devient ainsi, petit Ă  petit, la proie des hommes, des
femmes et des Ă©vĂ©nements. Et lâhabitude est si bien prise quâil devient bientĂŽt impossible de remonter le courant.
          â
          â
         
        Marcel Lévy (Das Leben und ich)
       
        
          â
          йД, ŃĐŸ ĐșаŃĐ°Ń ĐŸĐŽĐœĐžŃ
, ĐČŃŃŃĐ°Ń ŃĐœŃĐžŃ
          â
          â
         
        ĐĐ»ŃĐ±Đ”Ń ĐĐ°ĐŒŃ (Le premier homme)
       
        
          â
          I am on your side. But you have no way of knowing it, because your heart is blind.
          â
          â
         
        Albert Camus (L'Ătranger âą La Peste âą La Chute âą Le Premier Homme)
       
        
          â
          ĐŻ бŃĐČ ĐŽĐ”ŃŃ ĐœĐ° ĐżŃĐČĐŽĐŸŃĐŸĐ·Ń ĐŒŃж Đ·Đ»ĐžĐŽĐœŃĐŒĐž Ń ŃĐŸĐœŃĐ”ĐŒ. ĐĐ»ĐžĐŽĐœŃ ĐœĐ” ĐŽĐŸĐ·ĐČĐŸĐ»ŃлО ĐŒĐ”ĐœŃ ĐżĐŸĐČŃŃĐžŃĐž, ĐœŃбОŃĐŸ ĐČŃĐ” гаŃазЎ ĐČ ŃŃŃĐŸŃŃŃ Ńа ĐżŃĐŽ ŃĐŸĐœŃĐ”ĐŒ; ŃĐŸĐœŃĐ” ĐœĐ°ĐČŃĐ°Đ»ĐŸ ĐŒĐ”ĐœĐ”, ŃĐŸ ŃŃŃĐŸŃŃŃ â ŃĐ” ŃĐ” ĐœĐ” ĐČŃĐ”. ĐĐŒŃĐœĐžŃĐž жОŃŃŃ â ŃаĐș, алД ŃŃĐ»ŃĐșĐž ĐœĐ” ŃĐČŃŃ, ŃĐșĐžĐč Ń ĐŸĐ±ĐŸĐ¶ĐœŃĐČаĐČ.
          â
          â
         
        ĐĐ»ŃĐ±Đ”Ń ĐĐ°ĐŒŃ (Le premier homme)
       
        
          â
          Tenir dans mes mains le seul livre de ma mÚre m'a ramené à notre premier traumatisme. Quelque chose s'était alors brisé entre nous deux. Je devais avoir quatre ans, elle était sortie faire ne course en me laissant avec Sita, ma nourrice haïtienne. Lorsqu'elle est revenue, je savais qu'un homme malfaisant avait pris les traits de ma mÚre, pour me faire du mal. à partir de ce jour-là, je me suis méfié d'elle. On l'avait remplacée.
          â
          â
         
        Alain Farah (Pourquoi Bologne)
       
        
          â
          A la question de savoir ce que les hommes veulent donc atteindre avant tout, je me dis que le premier but des hommes est tout de mĂȘme le bonheur. Sous le nom de bonheur, je me figure un Ă©tat qui consiste en ce que le fait dâexister ne constitue en aucune maniĂšre un tourment pour lâhomme, quâon aime bien vivre et mĂȘme que la vie nous apporte du plaisir. (p. 242)
          â
          â
         
        Fritz Zorn (Mars)
       
        
          â
          Pour ĂȘtre Ă©lu en tant que chef, il faut que le candidat fasse preuve de qualitĂ©s hors du commun, les Ă©crasants devoirs d'un cacique nâĂ©tant vraiment pas pour n'importe qui. Il faut avoir le prestige ou l'altruisme dans le sang, car les hommes les plus en vue refusent presque toujours de se faire Ă©lire Ă  cette fonction somme toute trĂšs peu enviable.
          â
          â
         
        Emanuel Abran (Ni Dieu Ni Diable, Vierge Noire, Livre Premier (French Edition))
       
        
          â
          Il faudrait vivre en spectateur de sa propre vie. Pour y ajouter le rĂȘve qui l'achĂšverait. Mais on vit, et les autres rĂȘvent votre vie.
          â
          â
         
        Albert Camus (The First Man)
       
        
          â
          En France, les lois du travail sont d'inspiration marxiste...Elles reposent pour la plupart sur l'idĂ©e sous-jacente de la lutte des classes...Dans cette logique, l'entreprise est un champ clos dont le client est curieusement absent, alors qu'il est Ă  la base de tout, oĂč s'opposent de façon ontologique patrons et personnel, considĂ©rĂ©s comme dirigeants et esclaves. L'Etat s'impose alors comme l'arbitre obligatoire, Ă  grands coups de rĂšglementations dont l'effet premier est de couper les liens humains, pourtant essentiels Ă  la vie d'entreprise. On dĂ©truit ce qui fait la beautĂ© de l'humanitĂ©: les rapports gratuits entre les hommes.
          â
          â
         
        François Michelin (Et pourquoi pas? (French Edition))
       
        
          â
          L'homme, comme tous les ĂȘtres organisĂ©s, a une passion naturelle pour l'oisivetĂ©. Il y a pourtant deux motifs qui le portent au travail: le besoin de vivre, le dĂ©sir d'amĂ©liorer les conditions de l'existence. L'expĂ©rience a prouvĂ© que la plupart des hommes ne pouvaient ĂȘtre suffisament excitĂ©s au travail que par le premier de ces motifs, et que le second n'Ă©tait puissant que sur un petit nombre. Or, un Ă©tablissement charitable, ouvert indistinctement Ă  tous ceux qui sont dans le besoir, ou une loi qui donne Ă  tous les pauvres, quelle que soit l'origine de la pauvretĂ©, un droit au secours du public, affaiblit ou dĂ©triut le premier stimulant et ne laisse intact que le second.
          â
          â
         
        Alexis de Tocqueville (Sur le paupérisme)
       
        
          â
          LES ERREURS DE TRADUCTION ONT LA VIE DURE ! Nombre de textes religieux ont fait lâobjet de multiples traductions et sont donc soumis Ă  autant de risques dâerreurs dâinterprĂ©tation. Le rĂ©cit de GenĂšse 2 avance que la femme fut créée de la cĂŽte du premier homme. Mais cette interprĂ©tation du texte dĂ©coule de la traduction de lâhĂ©breu tsĂȘla qui ne signifie pas cĂŽte mais âcĂŽtĂ©â (comme dans âĂ  cĂŽtĂ©â). Le mal sera fait, puisque beaucoup ont tendance Ă  croire vrai tout ce qui est rĂ©pĂ©té⊠Il en est de mĂȘme pour lâĂ©pisode relatant le pĂ©chĂ© originel : Ăve persuade Adam de goĂ»ter au fruit interdit de lâarbre de la connaissance du bien et du mal. Ce fruit nâest pas une pomme, comme les textes successifs lâavancent. Mais Ă  force dâĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©e, cette erreur de traduction finira de convaincre que lâarbre plantĂ© dans le jardin de la CrĂ©ation est un pommier. Lâerreur de saint JĂ©rĂŽme, traducteur des textes bibliques au Ve siĂšcle, est dâavoir confondu le terme latin malum âpommeâ avec le terme malus âmalâ. En fait le pommier en question Ă©tait sans doute un figuier.
          â
          â
         
        Patrick Banon (Pour mieux comprendre les religions (French Edition))
       
        
          â
          Il y a une logique dans la succession de ces plaies. Le Nil devient rouge comme le sang. Sans doute une crue inhabituelle du Nil a drainĂ© des argiles rouges polluant lâeau au point dây tuer les poissons. AprĂšs ce phĂ©nomĂšne, il y a une invasion de grenouilles. Ces gentils batraciens fuyaient sans doute le Nil polluĂ©. Puis, autre plaie, les mouches et les moustiques pullulent. Les cadavres de poissons et autres animaux empoisonnĂ©s au bord du Nil y sont sans doute pour quelque chose. AprĂšs quoi, câest le bĂ©tail qui est malade et les hommes qui attrapent des furoncles. Responsables, les insectes piquants. Parce quâun malheur nâarrive jamais seul, aprĂšs six plaies, la septiĂšme : la grĂȘle. LĂ , câest la mĂ©tĂ©o qui se dĂ©chaĂźne. Cette grĂȘle hache les cultures, et ce quâil en reste est ensuite attaquĂ© par lâinvasion de sauterelles comme ces pays en connaissent parfois. Est-ce un vent venant dâĂthiopie qui amena les sauterelles avant dâamener des poussiĂšres telles que, durant trois jours, on nây voyait plus rien ? Enfin, derniĂšre et terrifiante plaie : la mort des premiers-nĂ©s mĂąles de chaque famille Ă©gyptienne ! Un Ă©cho affreux Ă  tous ces garçons hĂ©breux jetĂ©s dans le Nil.
          â
          â
         
        Eric Denimal (La Bible pour les Nuls (French Edition))
       
        
          â
          Dans son rapport inaugural, le Forum, Ă  propos de la mondialisation qu'il a symbolisĂ©e sous ses formes les plus conquĂ©rantes et sĂ»res d'elles-mĂȘmes, Ă©voque avec un sens exquis de l'euphĂ©misme "un risque de dĂ©sillusion". Mais dans les conversations, c'est autre chose. DĂ©sillusion ? Crise ? InĂ©galitĂ©s ? D'accord, si vous y tenez, mais enfin, comme nous le dit le trĂšs cordial et chaleureux PDG de la banque amĂ©ricaine Western Union, soyons clairs : si on ne paie pas les leaders comme ils le mĂ©ritent, ils s'en iront voir ailleurs. Et puis, capitalisme, ça veut dire quoi ? Si vous avez 100 dollars d'Ă©conomies et que vous les mettez Ă  la banque en espĂ©rant en avoir bientĂŽt 105, vous ĂȘtes un capitaliste, ni plus ni moins que moi. Et plus ces capitalistes comme vous et moi (il a rĂ©ellement dit "comme vous et moi", et mĂȘme si nous gagnons fort dĂ©cemment notre vie, mĂȘme si nous ne connaissons pas le salaire exact du PDG de la Western Union, pour ne rien dire de ses stock-options, ce "comme vous et moi" mĂ©rite Ă  notre sens le pompon de la "brĂšve de comptoir" version Davos), plus ces capitalistes comme vous et moi, donc, gagneront d'argent, plus ils en auront Ă  donner, pardon Ă  redistribuer, aux pauvres. L'idĂ©e ne semble pas effleurer cet homme enthousiaste, et Ă  sa façon, gĂ©nĂ©reux, que ce ne serait pas plus mal si les pauvres Ă©taient en mesure d'en gagner eux-mĂȘms et ne dĂ©pendaient pas des bonnes dispositions des riches. Faire le maximum d'argent, et ensuite le maximum de bien, ou pour les plus sophistiquĂ©s faire le maximum de bien en faisant le maximum d'argent, c'est le mantra du Forum, oĂč on n'est pas grand-chose si on n'a pas sa fondation caritative, et c'est mieux que rien, sans doute "(vous voudriez quoi ? Le communisme ?"). Ce qui est moins bien que rien, en revanche, beaucoup moins bien, c'est l'effarante langue de bois dans laquelle ce mantra se dĂ©cline. Ces mots dont tout le monde se gargarise : prĂ©occupation sociĂ©tale, dimension humaine, conscience globale, changement de paradigme⊠De mĂȘme que l'imagerie marxiste se reprĂ©sentait autrefois les capitalistes ventrus, en chapeau haut de forme et suçant avec voluptĂ© le sang du prolĂ©tariat, on a tendance Ă  se reprĂ©senter les super-riches et super-puissants rĂ©unis Ă  Davos comme des cyniques, Ă  l'image de ces traders de Chicago qui, en rĂ©ponse Ă  Occupy Wall Street, ont dĂ©ployĂ© au dernier Ă©tage de leur tour une banderole proclamant : "Nous sommes les 1%". Mais ces petits cyniques-lĂ  Ă©taient des naĂŻfs, alors que les grands fauves qu'on cĂŽtoie Ă  Davos ne semblent, eux, pas cyniques du tout. Ils semblent sincĂšrement convaincus des bienfaits qu'ils apportent au monde, sincĂšrement convaincus que leur ingĂ©nierie financiĂšre et philanthropique (Ă  les entendre, c'est pareil) est la seule façon de nĂ©gocier en douceur le fameux changement de paradigme qui est l'autre nom de l'entrĂ©e dans l'Ăąge d'or. Ăa nous a Ă©tonnĂ©s dĂšs le premier jour, le parfum de new age qui baigne ce jamboree de mĂąles dominants en costumes gris. Au second, il devient entĂȘtant, et au troisiĂšme on n'en peut plus, on suffoque dans ce nuage de discours et de slogans tout droit sortis de manuels de dĂ©veloppement personnel et de positive thinking. Alors, bien sĂ»r, on n'avait pas besoin de venir jusqu'ici pour se douter que l'optimisme est d'une pratique plus aisĂ©e aux heureux du monde qu'Ă  ses gueux, mais son inflation, sa dĂ©connexion de toute expĂ©rience ordinaire sont ici tels que l'observateur le plus modĂ©rĂ© se retrouve Ă  osciller entre, sur le versant idĂ©aliste, une indignation rĂ©volutionnaire, et, sur le versant misanthrope, le sarcasme le plus noir. (p. 439-441)
          â
          â
         
        Emmanuel CarrĂšre (Il est avantageux d'avoir oĂč aller)
       
        
          â
          « Celui qui me voit, celui-lĂ  voit la VĂ©ritĂ© » (man raanĂź faqad raa el-Haqq). Câest lĂ , en effet, le mystĂšre de la manifestation « prophĂ©tique » (3) ; et lâon sait que suivant la tradition hĂ©braĂŻque Ă©galement, Metatron est lâagent des « thĂ©ophanies » et le principe mĂȘme de la prophĂ©tie (4), ce qui, exprimĂ© en langage islamique, revient Ă  dire quâil nâest autre quâEr-RĂ»h el-mohammediyah, en qui tous les prophĂštes et les envoyĂ©s divins ne sont quâun, et qui a, dans le « monde dâen bas », son expression ultime dans celui qui est leur « sceau » (KhĂątam el-anbiùï waâl-mursalĂźn), câest-Ă -dire qui les rĂ©unit en une synthĂšse finale qui est le reflet de leur unitĂ© principielle dans le « monde dâen-haut » (oĂč il est awwal Khalqiâ Llah, ce qui est le dernier dans lâordre manifestĂ© Ă©tant analogiquement le premier dans lâordre principiel), et qui est ainsi le « seigneur des premiers et des derniers » (seyid el-awwalĂźna walâakhirĂźn). Câest par lĂ , et par lĂ  seulement, que peuvent rĂ©ellement ĂȘtre compris, dans leur sens profond, tous les noms et les titres du ProphĂšte, qui sont en dĂ©finitive ceux-mĂȘme de lâ« Homme universel » (El-InsĂąn el-KĂąmil), totalisant finalement en lui tous les degrĂ©s de lâExistence, comme il les contenait tous en lui dĂšs lâorigine : alayhi çalatu Rabbil-Arshi dawman, « que sur lui la priĂšre du Seigneur du TrĂŽne soit perpĂ©tuellement » !
          â
          â
         
        René Guénon (Scritti sull'esoterismo islamico e il Taoismo)
       
        
          â
          A Schönbrunn, les fĂȘtes se suivent et se ressemblent, indiffĂ©rentes au temps qui passe, au monde qui change, aux moeurs qui Ă©voluent. ElĂ©gantes, poudrĂ©es, chamarrĂ©es, brillant des mille Ă©clats des diamants, des cristaux, de lâargenterie ; Ă©voluant aux pays glissĂ©s des valses, menuets et quadrilles ; bruissant de robes de soie, cliquetant de mĂ©dailles, bourdonnant dâintrigues de cour ; si charmantes, si convenables, si ennuyeuses ⊠Pendant que lâon se pavane, selon un protocole immuable, dans les salons rococo et les jardins au cordeau, les premiĂšres locomotives Ă  vapeur ahanent sur les premiers kilomĂštres de rails, dâĂ©normes machines de fonte et dâacier remplacent des contingents dâouvriers dans les usines, lâĂ©clairage au gaz arrive dans les théùtres et bientĂŽt dans les rues, on parvient Ă  produire et stocker de lâĂ©lectricitĂ©, Niepce et Daguerre impressionnent les premiĂšres plaques photographiques ⊠Des idĂ©es nouvelles issues de la RĂ©volution, sur la libertĂ©, lâĂ©galitĂ©, les droits de lâhomme, sâĂ©chafaudent en systĂšmes et sâenracinent dans les coeurs, un esprit de rĂ©volte fermente au centre des villes, au fond des campagnes, au sein des armĂ©es, partout le poids Ă©crasant de cette monarchie obsolĂšte devient insupportableâŠ
Franz sait tout cela qui, du haut de ses onze printemps, regarde pavoiser ce beau monde. Boulimique de savoir et dâinformations, François lui raconte raconte toutes ses visions dĂšs quâils ont lâoccasion dâĂȘtre seuls ; les sociĂ©tĂ©s quâil lui dĂ©crit sont bien loin de lâatmosphĂšre empesĂ©e de Schönbrunn, les gens dont il lui parle sont bien plus vivants que ces momies figĂ©es dans leurs convenances. Aussi le petit duc pose-tâil sur cette fĂȘte - sa fĂȘte, pourtant - le regard blasĂ©, impatient et las de celui qui sait quâil assiste Ă  la lente agonie dâun systĂšme sclĂ©rosĂ©, mais sans pouvoir y changer quoi que ce soit, ni avancer ni retarder lâĂ©chĂ©ance.
          â
          â
         
        Jean-Marc Ligny (La Dame Blanche)
       
        
          â
          Le premier symbole oĂč nous reconnaissons l'humanitĂ© dans ses vestiges est la sĂ©pulture, et le truchement de la mort se reconnaĂźt en toute relation oĂč l'homme vient Ă  la vie de son histoire.
          â
          â
         
        Jacques Lacan
       
        
          â
          Câest une erreur commune â et caractĂ©ristique pour la mentalitĂ© «positive» ou «existentialiste» de notre Ă©poque â que de croire que la constatation dâun fait dĂ©pend de la connaissance des causes ou des remĂšdes, suivant les cas, comme si lâhomme nâavait pas le droit de voir ce quâil ne peut ni expliquer ni modifier; on appelle «critique stĂ©rile» le signalement dâun mal et on oublie que le premier pas vers une guĂ©rison Ă©ventuelle est la constatation de la maladie. Quoi quâil en soit, toute situation offre la possibilitĂ©, sinon dâune solution objective, du moins dâune mise en valeur subjective, dâune libĂ©ration par lâesprit; qui comprend la vraie nature du machinisme, Ă©chappera par lĂ  mĂȘme aux servitudes psychologiques de la machine, ce qui est dĂ©jĂ  beaucoup. Nous disons cela sans aucun «optimisme», et sans perdre de vue que le monde actuel est un «mal nĂ©cessaire» dont la racine mĂ©taphysique est, en derniĂšre analyse, dans lâinfinitĂ© du Possible divin.
          â
          â
         
        Frithjof Schuon (Caste e Razze)
       
        
          â
          Homo erectus ne se rĂ©fugie plus dans les arbres, câest un vĂ©ritable chasseur qui parcourt de grandes distances en milieu dĂ©couvert. Il est bien adaptĂ© Ă  la chaleur des savanes et des steppes. Il est peut-ĂȘtre le premier Ă  possĂ©der une peau nue, capable de transpirer.
          â
          â
         
        Jean-Jacques Hublin (Quand d'autres hommes peuplaient la Terre : nouveaux regards sur nos origines)
       
        
          â
          Plusieurs espĂšces humaines ont ainsi coexistĂ© sur la planĂšte jusquâĂ  une Ă©poque extraordinairement rĂ©cente. Tandis que le primitif Homo erectus et peut-ĂȘtre Homo floresiensis se maintenaient en Asie, lâhomme de NĂ©andertal et lâancĂȘtre de lâhomme moderne, dont nous parlerons dans les chapitres suivants, prospĂ©raient dĂ©jĂ , en Europe pour le premier, en Afrique pour le second. Cette coexistence sur la planĂšte bouleverse une conception linĂ©aire de lâĂ©volution de lâhomme et pose la question de sa place dans la nature. Lâexistence dâune seule espĂšce humaine dominatrice est lâexception actuelle, aprĂšs trois millions dâannĂ©es au cours desquelles la rĂ©partition des territoires entre plusieurs hominines avait Ă©tĂ© la rĂšgle.
          â
          â
         
        Jean-Jacques Hublin (Quand d'autres hommes peuplaient la Terre : nouveaux regards sur nos origines)
       
        
          â
          Nous pouvons supposer que les premiers hommes modernes europĂ©ens avaient la peau sombre des populations tropicales. La couleur de la peau est, schĂ©matiquement, liĂ©e Ă  la quantitĂ© dâultraviolets qui atteignent le sol. Une
peau sombre protÚge contre les risques de cancers de la peau. En revanche, sous les hautes latitudes, une peau claire facilite la pénétration des rayons ultraviolets nécessaires à la synthÚse de la vitamine D, dont la carence provoque le rachitisme.
          â
          â
         
        Jean-Jacques Hublin (Quand d'autres hommes peuplaient la Terre : nouveaux regards sur nos origines)
       
        
          â
          La tradition biblique rapporte que la fĂ©licitĂ© du premier homme avant la chute avait pour condition l'absence du travail, l'oisivitĂ©. L'homme dĂ©chu a conservĂ© le gout de l'oisivitĂ©, mais la malĂ©diction pĂšse sur l'homme non pas seulement parce que nous devons gagner notre pain Ă  la sueur de notre front mais parce que, en vertu de notre nature, nous ne pouvons ĂȘtre Ă  la fois oisifs et en paix. Une voix mystĂ©rieuse nous dit qu'il est coupable d'ĂȘtre oisif. Si l'homme pouvait se trouver dans une situation oĂč tout en demeurant oisif il sentirait qu'il est utile et remplie son devoir, il retrouverait une des conditions de la fĂ©licitĂ© originelle.
          â
          â
         
        Leo Tolstoy (War and Peace)
       
        
          â
          Pendant des millĂ©naires, l'homme a Ă©tĂ© le dĂ©tenteur du pouvoir ; il ne supporte pas l'idĂ©e que cela va finir avec lui, il veut le transmettre Ă  un autre ĂȘtre, semblable Ă  lui. Qui a le pouvoir jouit d'un grand prestige ; il prend la dimension d'un symbole, il a le droit et le devoir de se rĂ©aliser au maximum, on attend de lui qu'il devienne un individu, il est considĂ©rĂ© pour ce qu'il sera.
On attend de la femme qu'elle soit un objet, et elle est considĂ©rĂ©e pour ce qu'elle donnera. Deux destins tout Ă  fait diffĂ©rents. Le premier implique la possibilitĂ© d'utiliser toutes les ressources personnelles, les ressources du milieu et celles d'autrui pour se rĂ©aliser, c'est le laissez-passer pour le futur, le bien-ĂȘtre par l'Ă©goĂŻsme. Le second destin prĂ©voit au contraire le renoncement aux aspirations personnelles et l'intĂ©riorisation de ses propres Ă©nergies pour laisser aux autres toutes les possibilitĂ©s. Le monde se maintient justement par la mise en rĂ©serve de toutes les Ă©nergies fĂ©minines, qui sont lĂ  comme un grand rĂ©servoir, Ă  la disposition de ceux qui emploient les leurs Ă  la poursuite de leurs ambitions de pouvoir.
          â
          â
         
        Elena Gianini Belotti (Dalla parte delle bambine)
       
        
          â
          II L'Association bretonne. Il est une institution qui distingue la Bretagne des autres provinces et oĂč se rĂ©flĂšte son gĂ©nie, l'Association bretonne. Dans ce pays couvert encore de landes et de terres incultes, et oĂč il reste tant de ruines des anciens Ăąges, des hommes intelligents ont compris que ces deux intĂ©rĂȘts ne devaient pas ĂȘtre sĂ©parĂ©s, les progrĂšs de l'agriculture et l'Ă©tude des monuments de l'histoire locale. Les comices agricoles ne s'occupent que des travaux d'agriculture, les sociĂ©tĂ©s savantes que de l'esprit; l'Association bretonne les a rĂ©unis: elle est Ă  la fois une association agricole et une association littĂ©raire. Aux expĂ©riences de l'agriculture, aux recherches archĂ©ologiques, elle donne de la suite et de l'unitĂ©; les efforts ne sont plus isolĂ©s, ils se font avec ensemble; l'Association bretonne continue, au XIXe siĂšcle, l'oeuvre des moines des premiers temps du christianisme dans la Gaule, qui dĂ©frichaient le sol et Ă©clairaient les Ăąmes. Un appel a Ă©tĂ© fait dans les cinq dĂ©partements de la Bretagne Ă  tous ceux qui avaient Ă  coeur les intĂ©rĂȘts de leur patrie, aux Ă©crivains et aux propriĂ©taires, aux gentilshommes et aux simples paysans, et les adhĂ©sions sont arrivĂ©es de toutes parts. L'Association a deux moyens d'action: un bulletin mensuel, et un congrĂšs annuel. Le bulletin rend compte des travaux des associĂ©s, des expĂ©riences, des essais, des dĂ©couvertes scientifiques; le congrĂšs ouvre des concours, tient des sĂ©ances publiques, distribue des prix et des rĂ©compenses. Afin de faciliter les rĂ©unions et d'en faire profiter tout le pays, le congrĂšs se tient alternativement dans chaque dĂ©partement; une annĂ©e Ă  Rennes, une autre Ă  Saint-Brieuc, une autre fois Ă  VitrĂ© ou Ă  Redon; en 1858, il s'est rĂ©uni Ă  Quimper. A chaque congrĂšs, des questions nouvelles sont agitĂ©es, discutĂ©es, Ă©claircies[1]: ces savants modestes qui consacrent leurs veilles Ă  des recherches longues et pĂ©nibles, sont assurĂ©s que leurs travaux ne seront pas ignorĂ©s; tant d'intelligences vives et distinguĂ©es, qui demeureraient oisives dans le calme des petites villes, voient devant elles un but Ă  leurs efforts; la publicitĂ© en est assurĂ©e, ils seront connus et apprĂ©ciĂ©s. D'un bout de la province Ă  l'autre, de Rennes Ă  Brest, de Nantes Ă  Saint-Malo, on se communique ses oeuvres et ses plans; tel antiquaire, Ă  Saint-Brieuc, s'occupe des mĂȘmes recherches qu'un autre Ă  Quimper: il est un jour dans l'annĂ©e oĂč ils se retrouvent, oĂč se resserrent les liens d'Ă©tudes et d'amitiĂ©. [Note 1: Voir l'Appendice.] Le congrĂšs est un centre moral et intellectuel, bien plus, un centre national: ces congrĂšs sont de vĂ©ritables assises bretonnes; ils remplacent les anciens Ătats: on y voit rĂ©unis, comme aux Ătats, les trois ordres, le clergĂ©, la noblesse et le tiers-Ă©tat, le tiers-Ă©tat plus nombreux qu'avant la RĂ©volution, et de plus, mĂȘlĂ©s aux nobles et aux bourgeois, les paysans. La Bretagne est une des provinces de France oĂč les propriĂ©taires vivent le plus sur leurs terres; beaucoup y passent l'annĂ©e tout entiĂšre. De lĂ  une communautĂ© d'habitudes, un Ă©change de services, des relations plus familiĂšres et plus intimes, qui n'ĂŽtent rien au respect d'une part, Ă  la dignitĂ© de l'autre. PropriĂ©taires et fermiers, rĂ©unis au congrĂšs, sont soumis aux mĂȘmes conditions et jugĂ©s par les mĂȘmes lois; souvent le propriĂ©taire concourt avec son fermier. Dans ces mĂȘlĂ©es animĂ©es, oĂč l'on se communique ses procĂ©dĂ©s, oĂč l'on s'aide de ses conseils, oĂč l'on distribue des prix et des encouragements, les riches propriĂ©taires et les nobles traitent les paysans sur le pied de l'Ă©galitĂ©; ici, la supĂ©rioritĂ© est au plus habile: c'est un paysan, GuĂ©venoux, qui, en 1857, eut les honneurs du congrĂšs de Redon. Voici quatorze ans que l'Association bretonne existe; l'ardeur a toujours Ă©tĂ© en croissant; les congrĂšs sont devenus des solennitĂ©s: on y vient de tous les points
          â
          â
         
        Anonymous
       
        
          â
          Aurions-Nous Ă©chouĂ© ? Au premier jour, Nous avons dĂ©cidĂ© de sceller la magie pour crĂ©er une nouvelle Ăšre de paix pour les Hommes. Nos pouvoirs ont, depuis lors, Ă©tĂ© emprisonnĂ©s dans de vulgaires pierres dissĂ©minĂ©es dans tout Iriah. Mais lâun dâentre Nous clame que malgrĂ© toutes nos prĂ©cautions, le procĂ©dĂ© inverse reste possible. [...] Malheur Ă  celui qui se retrouvera possĂ©dĂ© par cette magieâŠ
          â
          â
         
        Iman Eyitayo (Le visage de l'ombre (Coeur de Flammes, #1))
       
        
          â
          Ă lâĂ©poque primordiale, lâhomme Ă©tait, en lui-mĂȘme, parfaitement Ă©quilibrĂ© quant au complĂ©mentarisme du yin et du yang ; dâautre part, il Ă©tait yin ou passif par rapport au Principe seul, et yang ou actif par rapport au Cosmos ou Ă  lâensemble des choses manifestĂ©es ; il se tournait donc naturellement vers le Nord, qui est yin, comme vers son propre complĂ©mentaire. Au contraire, lâhomme des Ă©poques ultĂ©rieures, par suite de la dĂ©gĂ©nĂ©rescence spirituelle qui correspond Ă  la marche descendante du cycle, est devenu yin par rapport au Cosmos ; il doit donc se tourner vers le Sud, qui est yang, pour en recevoir les influences du principe complĂ©mentaire de celui qui est devenu prĂ©dominant en lui, et pour rĂ©tablir, dans la mesure du possible, lâĂ©quilibre entre le yin et le yang. La premiĂšre de ces deux orientations peut ĂȘtre dite « polaire », tandis que la seconde est proprement « solaire » : dans le premier cas, lâhomme, regardant lâĂtoile polaire ou le « faĂźte du Ciel », a lâEst Ă  sa droite et lâOuest Ă  sa gauche ; dans le second cas, regardant le Soleil au mĂ©ridien, il a au contraire lâEst Ă  sa gauche et lâOuest Ă  sa droite ; et ceci donne lâexplication dâune particularitĂ© qui, dans la tradition extrĂȘme-orientale, peut paraĂźtre assez Ă©trange Ă  ceux qui nâen connaissent pas la raison
          â
          â
         
        René Guénon (La Grande Triade)
       
        
          â
          Toutefois, cette participation du peuple, c'est-Ă -dire d'hommes reprĂ©sentant la moyenne de la collectivitĂ©, Ă  la spiritualitĂ© de l'Ă©lite ne s'explique pas uniquement par des raisons d'opportunitĂ©, mais aussi, et surtout, par la loi de polaritĂ© ou de compensation suivant laquelle « les extrĂȘmes se touchent. », et c'est pour cela que « la voix du peuple est la Voix de Dieu » (Vox populi, Vox Dei) ; nous voulons dire que le peuple est, en tant que porteur passif et inconscient des symboles, comme la pĂ©riphĂ©rie ou le reflet passif ou fĂ©minin de l'Ă©lite qui, elle, possĂšde et transmet les symboles en mode actif et conscient. C'est lĂ  ce qui explique aussi l'affinitĂ© curieuse et apparemment paradoxale qui existe entre le peuple et l'Ă©lite ; par exemple, le TaoĂŻsme est Ă©sotĂ©rique et populaire Ă  la fois, tandis que le Confucianisme est exotĂ©rique et plus ou moins aristocratique et lettrĂ© ; ou bien, pour prendre un autre exemple, les confrĂ©ries soufiques ont toujours eu, Ă  cotĂ© de leur aspect d'Ă©lite, un aspect populaire en quelque sorte corrĂ©latif ; cela parce que le peuple n'a pas seulement un aspect pĂ©riphĂ©rique, mais aussi un aspect de totalitĂ©, et celle-ci correspond analogiquement au centre. On peut dire que les fonctions intellectuelles du peuple sont l'artisanat et le folklore, le premier reprĂ©sentant la mĂ©thode ou la rĂ©alisation et le second la doctrine ; le peuple reflĂšte ainsi passivement et collectivement la fonction essentielle de l'Ă©lite, Ă  savoir la transmission de l'aspect proprement intellectuel de la tradition, aspect dont le vĂȘtement sera le symbolisme sous toutes ses formes.
          â
          â
         
        Frithjof Schuon
       
        
          â
          Que signifie quâil nây pas une continuation de lâĆuvre de RenĂ© GuĂ©non par consensus ? Je ne sais ce que font les Maçons guĂ©noniens, mais je sais que le groupe soufique de VĂąlsan correspond pleinement Ă  tout ce que dĂ©sirait GuĂ©non ; quant Ă  moi lâĆuvre de GuĂ©non en tant quâensemble indivisible ne me concerne pas puisque je nâen accepte pas tous les axiomes, et on ne peut en bonne logique me reprocher de ne pas avoir rĂ©alisĂ© un programme que je nâai jamais eu lâintention de rĂ©aliser. »
« On peut ironiser sur des « excommunications rĂ©ciproques » quand il sâagit dâune secte intrinsĂšquement hĂ©tĂ©rodoxe, donc dâune caricature, â de mormons, de bĂ©haĂŻstes, dâanthroposophes â mais non quand il sâagit dâun milieu normal et honorable se rĂ©fĂ©rant Ă  des vĂ©ritĂ©s spirituelles ; dans ce dernier cas, mĂȘme les anathĂšmes peuvent ĂȘtre honorables, et il y eut dans tous les climats, dans les premiers siĂšcles du Christianisme aussi bien quâaux dĂ©buts de lâIslam, et jusque dans les ordres monastiques et les confrĂ©ries. « Les divergences des sages sont une bĂ©nĂ©diction » disait le ProphĂšte. Les guĂ©noniens, dans leur ensemble sont des hommes respectables, et il faut respecter mĂȘme leur divergences, lesquelles ne peuvent prĂȘter au ridicule, ou plutĂŽt au mĂ©pris, que dans les cas oĂč un individu se mĂȘle sottement ou effrontĂ©ment des choses qui le dĂ©passent ; or je revendique la plus rigoureuse honorabilitĂ© non seulement pour moi-mĂȘme, mais aussi pour mon ancien adversaire VĂąlsan, dont jâai toujours respectĂ© la position â ce fut celle de GuĂ©non â et avec lequel jâai eu de bons rapports jusquâĂ  sa mort, malgrĂ© nos divergences. Mais il va sans dire que je ne saurais revendiquer cette honorabilitĂ© pour des personnes, guĂ©noniennes ou non, qui nâont ni vertu ni bonne foi. »
« VĂąlsan me disait une fois quâil y a peu dâhommes intelligents parmi les guĂ©noniens, quelquâen puisse ĂȘtre la raison ; il parlait Ă©videmment, non dâun groupe, mais de tous les guĂ©noniens ; et il avait une certaine expĂ©rience de leur moyenne, comme je lâai moi-mĂȘme. Une des raisons de cet Ă©tat de choses est la suivante : lâĂ©sotĂ©risme attire, non seulement les hommes dâĂ©lite mais aussi les mĂ©diocres souffrant de sentiments dâinfĂ©rioritĂ© quâils cherchent Ă  compenser par quelque sublimation ; et il y a ausi des psychopathes Ă  la recherche soit dâun espace de rĂȘve, soit dâun abri donnant un sentiment de sĂ©curitĂ©. On ne peut pas empĂȘcher que de tels hommes existent, mais ce nâest pas une raison pour ĂȘtre dupe de leur « orthodoxie », ni surtout de leur mythomanie. »
« Jâajouterai que VĂąlsan fut la personnification du guĂ©nonisme intĂ©gral et inflexible, quâil fut â lui seul â le « dauphin » de GuĂ©non ; quâil fut un homme fort intelligent et profondĂ©ment spirituel, en sorte quâil me fut possible dâavoir avec lui les meilleurs rapports, malgrĂ© nos divergences. Câest dâailleurs sa paix avec moi, et son dĂ©sir de mâavoir comme collaborateur Ă  la revue, qui est le principal chef dâaccusation de la part des sectaires de Turin ; »
[Frithjof Schuon â Lettre Ă  Jean-Pierre Laurant (Pully avril 1976)]
          â
          â
         
        Frithjof Schuon
       
        
          â
          Marie est la « servante du Seigneur », la servante par excellence, ce qui indique une similitude annonciatrice de la fonction du ProphĂšte de lâislĂąm. Ce caractĂšre servitorial est liĂ© au symbolisme du voile. Selon Michel VĂąlsan : « La RĂ©alitĂ© muhammadienne constitue le mystĂšre du Verbe suprĂȘme et universel, car elle est en mĂȘme temps la ThĂ©ophanie intĂ©grale (de lâEssence, des Attributs et des Actes) et son occultation sous le voile de la Servitude absolue et totale ». Câest parce quâelle est la servante parfaite que Marie est toujours voilĂ©e, aussi bien dans ses apparitions que dans les reprĂ©sentations de lâArt sacrĂ©, notamment celui des icĂŽnes. Comme elle est, par ailleurs, le modĂšle de toutes les vertus, lâEglise aurait Ă©tĂ© bien inspirĂ©e de reconnaĂźtre que lâattachement islamique au port du voile pouvait constituer un exemple pour les femmes catholiques. Les querelles et les rĂ©sistances modernes sur ce point sont rĂ©vĂ©latrices dâun Ă©tat dâesprit antitraditionnel. Ibn ArabĂź enseigne que le statut subordonnĂ© de la femme exprime, non pas un abaissement, mais au contraire sa supĂ©rioritĂ© spirituelle sur lâhomme qui, créé directement Ă  lâimage de Dieu, a tendance Ă  oublier sa servitude et Ă  se poser en rival de son CrĂ©ateur . Toute forme traditionnelle est fondĂ©e sur une alliance impliquant une soumission Ă  la volontĂ© divine ; câest ce quâindique parfaitement le terme « islam » qui apparaĂźt, par lĂ  mĂȘme, comme une dĂ©signation de la Tradition universelle. Au lieu de reconnaĂźtre cette signification traditionnelle du voile de Marie, lâĂglise, sur cette question comme sur beaucoup dâautres, donne lâimpression de suivre lâair du temps et, sans doute pour mieux se dĂ©marquer de lâislĂąm, dâencourager les femmes catholiques, en particulier les souveraines, Ă  se montrer tĂȘte nue ailleurs quâau Vatican. Lâenseignement de saint Paul est cependant fort clair, et semblable Ă  celui de lâislam : « Femmes, soyez soumises Ă  vos maris, comme il se doit dans le Seigneur » (Col, 3, 18) ; « Je ne permets pas Ă  la femme dâenseigner ni de faire la loi Ă  lâhomme. Quâelle se tienne tranquille. Câest Adam en effet qui fut formĂ© le premier, Eve ensuite. Et ce nâest pas Adam qui se laissa sĂ©duire » (I Tim, 2, 12-13).
          â
          â
         
        Charles-AndrĂ© Gilis (La papautĂ© contre l'Islam - GenĂšse dâune dĂ©rive)
       
        
          â
          La guillotine avait quittĂ© la Pointe-Ă -Pitre, elle hantait maintenant les deux ailes de l'Ăźle, escaladait les mornes les plus raides, les plus abandonnĂ©s, Ă  la recherche de citoyens qui ne comprenaient pas leurs nouveaux devoirs. N'ombre d'entre eux, fuyant la libertĂ©, l'Ă©galitĂ© et la fraternitĂ©, gagnaient l'obscuritĂ© profonde des bois, s'y reposaient de leurs nouveaux tourments. Des dĂ©tachements spĂ©ciaux Ă©taient sur leurs traces jour et nuit. On ne disposait plus de chiens Ă  nĂšgres, les grands dogues mouchetĂ©s d'antan, ceux-ci ayant Ă©tĂ© exterminĂ©s dĂšs les premiers jours de l'Abolition ; mais les nĂšgres rĂ©publicains y supplĂ©aient eux-mĂȘmes, trĂšs efficacement, grĂące Ă  leur expĂ©rience, Ă  leurs affinitĂ©s secrĂȘtes avec les hommes des bois, et Ă  toutes les possibilitĂ©s que leur donnait le partage en commun d'une peau noire. Peu Ă  peu disparurent toutes les bandes organisĂ©es, puis les groupes, les unitĂ©s de deux ou trois. 
Seul demeura le campement des marrons de la Goyave, bastion ultime des nÚgres d'eau salée de Guadeloupe.
          â
          â
         
        André Schwarz-Bart (LaMulatresse Solitude)
       
        
          â
          Il faudrait pouvoir restituer au mot « philosophie » sa signification originelle : la philosophie â l'« amour de la sagesse » â est la science de tous les principes fondamentaux ; cette science opĂšre avec l'intuition, qui « perçoit », et non avec la seule raison, qui « conclut ». Subjectivement parlant, l'essence de la philosophie est la certitude ; pour les modernes au contraire, l'essence de la philosophie est le doute : le philosophe est censĂ© raisonner sans aucune prĂ©misse (voraussetzungsloses Denken), comme si cette condition n'Ă©tait pas elle-mĂȘme une idĂ©e prĂ©conçue ; c'est la contradiction classique de tout relativisme. On doute de tout, sauf du doute(1).
La solution du problĂšme de la connaissance â si problĂšme il y a â ne saurait ĂȘtre ce suicide intellectuel qu'est la promotion du doute ; c'est au contraire le recours Ă  une source de certitude qui transcende le mĂ©canisme mental, et cette source â la seule qui soit â est le pur Intellect, ou l'Intelligence en soi. Le soi-disant « siĂšcle des lumiĂšres » n'en soupçonnait pas l'existence ; tout ce que l'Intellect pouvait offrir â de Pythagore jusqu'aux scolastiques â n'Ă©tait pour les encyclopĂ©distes que dogmatisme naĂŻf, voire « obscurantisme ». Fort paradoxalement, le culte de la raison a fini dans cet infra-rationalisme â ou dans cet « Ă©sotĂ©risme de la sottise » â qu'est l'existentialisme sous toutes ses formes ; c'est remplacer illusoirement l'intelligence par de l'« existence ».
D'aucuns ont cru pouvoir remplacer la prĂ©misse de la pensĂ©e par cet Ă©lĂ©ment arbitraire, empirique et tout subjectif qu'est la « personnalitĂ© » du penseur, ce qui est la destruction mĂȘme de la notion de vĂ©ritĂ© ; autant renoncer Ă  toute philosophie. Plus la pensĂ©e veut ĂȘtre « concrĂšte », et plus elle est perverse ; cela a commencĂ© avec l'empirisme, premier pas vers le dĂ©mantĂšlement de l'esprit ; on cherche l'originalitĂ©, et pĂ©risse la vĂ©ritĂ©(2).
(...)
!
Somme toute, la philosophie moderne est la codification d'une infirmitĂ© acquise ; l'atrophie intellectuelle de l'homme marquĂ© par la « chute » avait pour consĂ©quence une hypertrophie de l'intelligence pratique, d'oĂč en fin de compte l'explosion des sciences physiques et l'apparition de pseudo-sciences telles que la psychologie et la sociologie.
          â
          â
         
        Frithjof Schuon (The Transfiguration of Man)
       
        
          â
          IsraĂ«l est lâessence de la spiritualitĂ© proprement judaĂŻque et le patriarche Ă©ponyme du peuple juif. Ătymologiquement, ce Nom est liĂ© Ă  une idĂ©e de puissance et de victoire, car il signifie : âȘ que Dieu rĂšgne ! QuâIl se montre fort ! â«. Et câest ce Nom sacrĂ© qui va ĂȘtre porte par un Etat moderne, subversif dans sa constitution mĂȘme puisquâil prĂ©tend mettre fin par des moyens profanes a une sanction divine ! Il faut toute lâindiffĂ©rence et lâinconscience du monde occidentale pour ne pas rĂ©aliser lâĂ©normitĂ© dâune telle usurpation. Imagine-t-on une âȘ RĂ©publique dâAllah â«, un âȘ Royaume du Christ-Roi â« ou âȘ du Voyage Nocturne â« sâinstallant en Palestine ? En lâoccurrence, lâacte profanateur est dâautant plus dangereux quâil comporte une astuce tactique. La prĂ©occupation majeure dâun Etat illĂ©gitime, pour ne pas dire sa hantise, est naturellement dâĂȘtre reconnu. Or, dans le cas prĂ©sent cette reconnaissance ne porte pas seulement sur lâexistence de cet Etat, mais aussi sur le droit Ă  porter le nom quâil sâest attribuĂ©. ReconnaĂźtre lâ âȘ Etat dâIsraĂ«l â« implique que lâon valide la profanation dont il sâest rendu coupable, que lâon devienne son complice, et surtout quâon le dĂ©clare, Ă  tort, favorisĂ© par une bĂ©nĂ©diction divine et investi de la charge dâinstaurer le rĂšgne de Dieu et dâassurer Sa puissance. Combattre un tel Etat, câest le renforcer ; le reconnaĂźtre, câest le renforcer davantage : tel est le dilemme infernal. Pour tout esprit traditionnel, la seule attitude lĂ©gitime, fondĂ©e Ă  la fois sur la vĂ©ritĂ© et le droit, est de refuser cette reconnaissance, quel que soit le prix Ă  payer pour ce dĂ©ni. Le premier devoir dâun juif orthodoxe, dâun chrĂ©tien ou dâun musulman est de ne pas reconnaĂźtre lâEtat juif. Ceci dit, il va de soi que la duplicitĂ© et la faiblesse des hommes nâont pas le pouvoir de modifier le Droit divin ou de le rendre caduc. En vertu de sa mission propre et grĂące Ă  sa position cyclique, lâislam est mieux Ă  mĂȘme que toute autre religion de veiller au respect de ce Droit et au maintien de lâorthodoxie traditionnelle. On peut tenir pour assurĂ© quâil nâacceptera jamais le fais accompli.
          â
          â
         
        Charles-André Gilis
       
        
          â
          Jamais aucun agent ne voudrait lire ses textes⊠Il continuait de les Ă©crire pour vider son esprit de toutes les idĂ©es qui le hantaient. Les coucher sur papier Ă©tait une forme de thĂ©rapie bon marchĂ©, mais son revers Ă©tait tout autre. Il ne serait jamais un Ă©crivain publiĂ©, son nom ne se retrouverait jamais sur la couverture de ses romans, aucun lecteur ne lâachĂšterait dans une librairie. Il sauvegarda ses documents dâun clic, puis jeta la clĂ© USB dans un bocal au fond du premier tiroir de son bureau, avec les onze prĂ©cĂ©dentes. Il referma le tiroir sans mĂȘme une priĂšre. Il Ă©tait vouĂ© Ă  lâĂ©chec, sa mĂšre le lui avait toujours dit.
          â
          â
         
        Jo Ann von Haff (La Réelle Hauteur Des Hommes)
       
        
          â
          Pour moi, une nouvelle vie commençait, et, dorĂ©navant, ce serait ma vie, fruit de mes dĂ©cisions, de mes choix, de ma volontĂ©. Adieu les doutes, les hĂ©sitations, les peurs d'ĂȘtre jugĂ©, de ne pas ĂȘtre capable, de ne pas ĂȘtre aimĂ©. Je vivrai chaque instant en conscience, en accord avec moi-mĂȘme et avec mes valeurs. Je resterai altruiste, mais en gardant Ă  l'esprit que le premier cadeau Ă  faire aux autres est mon Ă©quilibre. J'accepterai les difficultĂ©s comme des Ă©preuves Ă  passer, des cadeaux que m'offre la vie pour apprendre ce que je dois apprendre afin d'Ă©voluer. Je ne serai plus victime des Ă©vĂ©nements, mais acteur d'un jeu dont les rĂšgles se dĂ©couvrent au fur et Ă  mesure, et dont la finalitĂ© gardera toujours une part de mystĂšre.
          â
          â
         
        Laurent Gounelle (L'homme qui voulait ĂȘtre heureux)
       
        
          â
          J'etais arrete a regarder, dans une exposition d'oeuvres de Rodin, une enorme main de bronze, la ,,Main de Dieu''.La paume en etait a moitie fermee et dans cette paume, extatiques, enlaces, luttaient et se melaient un homme et une femme.
Une jeune fille s'approcha et s'arreta a cote de moi.Troublee elle aussi, elle regardait l'inquietant et eternel enlacement de l'homme et de la femme.Elle etait mince, bien habillee, avec d'epais cheveux blonds, un menton fort, des levres etroites.Elle avait quelque chose de decide et de viril.Et moi qui deteste engager des conversations faciles, je ne sais ce qui me poussa.Je me retournai:
-A quoi pensez-vous?
-Si on pouvait s'echapper! murmura-t-elle avec depit.
-Pour aller ou?La main de Dieu est partout.Pas de salut.Vous le regrettez?
-Non.Il se peut que l'amour soit la joie la plus intense sur cette terre.C'est possible.Mais maintenant que je vois cette main de bronze, je voudrais m'echapper.
-Vous preferez la liberte?
-Oui.
-Mais si ce n'est que lorsqu'on obeit a la main de bronze qu'on est libres?Si le mot "Dieu" n'avait pas le sens commode que lui donne la masse?
 Elle me regarda,inquiete.Ses yeux etaient d'un gris metallique, ses levres seches et ameres.
-Je ne comprends pas, dit-elle, et elle s'eloigna, comme effrayee.
Elle disparut.[...]Oui , je m'etais mal conduit, Zorba avait raison.C'etait un bon pretexte que cette main de bronze, la premiere prise de contact etait reussie, les premieres douces paroles amorcees, et nous aurions pu, sans en prendre conscience ni l'un ni l'autre, noue etreindre et nous unir en toute tranquillite dans la paume de Dieu.Mais moi je m'etais elance brusquement de la terre vers le ciel et la femme effarouchee s'etait enfuie.
          â
          â
         
        Nikos Kazantzakis
       
        
          â
          Les femmes conduisent quand la vitesse est limitĂ©e ; elles fument quand le tabac tue ; elles obtiennent la paritĂ© quand la politique ne sert plus Ă  grand-chose ; elles votent Ă  gauche quand la RĂ©volution est finie ; elles deviennent un argument de marketing littĂ©raire quand la littĂ©rature se meurt ; elles dĂ©couvrent le football quand la magie de mon enfance est devenue un tiroir-caisse. Il y a une malĂ©diction fĂ©minine qui est lâenvers de la bĂ©nĂ©diction. Elles ne dĂ©truisent pas, elles protĂšgent. Elles ne crĂ©ent pas, elles entretiennent. Elles nâinventent pas, elles conservent. Elles ne forcent pas, elles prĂ©servent. Elles ne transgressent pas, elles civilisent. Elles ne rĂšgnent pas, elles rĂ©gentent. En se fĂ©minisant, les hommes se stĂ©rilisent, ils sâinterdisent toute audace, toute innovation, toute transgression. Ils se contentent de conserver. On explique en gĂ©nĂ©ral la stagnation intellectuelle et Ă©conomique de lâEurope par le vieillissement de sa population. On ne songe jamais -ou on nâose jamais songer- Ă  sa fĂ©minisation.
          â
          â
         
        Ăric Zemmour (Le Premier Sexe)