“
Nous, les Arabes, ne sommes pas paresseux. Nous prenons seulement le temps de vivre. Ce qui n'est pas le cas des Occidentaux. Pour eux, le temps, c'est de l'argent.
Pour nous, le temps ça n'a pas de prix. Un verre de thé suffit à notre bonheur, alors qu'aucun bonheur ne leur suffit. Toute la différence est là .
”
”
Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă la nuit)
“
Vivre les malheurs Ă l'avance, c'est les subir deux fois.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
They're us!They've repopulated the world, and now they've achieved the same state of idiocy they were in before, ready to blow themselves up all over again. Great, isn't it? That's the human race!
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Let those who want to dance, dance. Let those who can awaken, awake.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
inside this prison he lived in freedom
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Il serait peut-être bon, il serait peut-être temps de se demander si la perfection n’est pas dans l’enfance, si l’adulte n’est pas qu’un enfant qui a commencé à pourrir.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face Ă face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
des Ă©ternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
l'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
”
”
Guillaume Apollinaire (Alcools)
“
Ils étaient onze, deux Noirs, deux Jaunes, quatre Blancs, et trois allant du café au lait à l’huile d’olive. Mais leurs onze sangs mêlés dans une coupe n’eussent fait qu’un seul sang rouge.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Je vais vous dire quelque chose au sujet des histoires. Elles ne sont pas qu'un amusement, ne vous y trompez pas. Elles sont tout ce que nous savons, voyez-vous, tout ce que nous savons pour combattre la maladie et la mort. Vous n'avez rien si vous n'avez pas les histoires. ( Leslie M. Silko)
”
”
Mathias Malzieu (Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi)
“
Ă” temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'Ă©chappe et fuit ;
Je dis Ă cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
”
”
Alphonse de Lamartine (Poésies choisies)
“
Comment on va faire maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi? Qu'est-ce que ça veut dire la vie sans toi? Qu'est-ce qui se passe pour toi là ? Dur Rien? Du vide? De la nuit, des choses de ciel, du réconfort?
”
”
Mathias Malzieu (Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi)
“
Les jours passent, la nuit reste. Maintenant, tu me manques. Des fois c'est tes bras, des fois c'est tes pas dont je crois reconnaître le bruit. La plupart du temps, c'est toi en entier, avec ta voix et tes petites façons d'être ma mère.
”
”
Mathias Malzieu (Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi)
“
Oh! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux oĂą nous Ă©tions amis
En ce temps-lĂ la vie Ă©tait plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi.
Et le vent du Nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
Les feuilles mortes se ramassent Ă la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi,
Mais mon amour silencieux et fidèle
Sourit toujours et remercie la vie.
Je t'aimais tant, tu Ă©tais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie?
En ce temps-lĂ la vie Ă©tait plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Tu Ă©tais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets.
Et la chanson que tu chantais,
Toujours, toujours je l'entendrai.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais, moi je t'aimais
Et nous vivions, tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
C'est une chanson qui nous ressemble,
Toi tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
”
”
Jacques Prévert
“
Pour moi l'automne n'a jamais été une saison triste. Les feuilles mortes et les jours de plus en plus courts ne m'ont jamais évoqué la fin de quelque chose mais plutôt une attente de l'avenir. Il y a de l'electricité dans l'air, à Paris, les soires d'Octobre à l'heure où la nuit tombe. Même quand il pleut. Je n'ai pas le cafard à cette heure-là , ni le sentiment de la fuite du temps. J'ai l'impression que tout est possible. L'année commence au mois d'octobre. C'est la rentrée des classes et je crois que c'est la saisons des projets.
”
”
Patrick Modiano
“
comment, et par quelle magie, l'espèce humaine continue-t-elle de perdurer sachant ce qu'endure sa propre moitié ? Avec la misogynie décomplexée qui se répand depuis la nuit des temps, c'est un miracle que cette deuxième moitié du monde ne se soit toujours pas réveillée en rage, consciente de sa blessure collective.
”
”
Sophie Pointurier (Femme portant un fusil)
“
Il ne faut pas comprendre, il faut voir. Paris vous guérira. PARIS VOUS GUÉRIRA DU PASSÉ !
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Ils venaient de prendre conscience de l'immensité de leur ignorance.
”
”
Barjavel Rene (La Nuit des temps)
“
Vivre les malheurs d’avance, c’est les subir deux fois. Le moment présent était un moment de joie, il ne fallait pas l’empoisonner.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Sous cette brume empoisonnée par leurs fatigues d'hier, des millions d'hommes s'éveillent, déjà exténués d'aujourd'hui.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Mais ces soucis étaient pour demain, pour tout à l'heure. Vivre les malheurs d'avance, c'est les subir deux fois. Le moment présent était un moment de joie, il ne fallait pas l'empoisonner.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Moi, l'homme, je suis anglais ou patagon et heureux de l'ĂŞtre, mais je suis d'abord l'homme vivant, je ne veux pas tuer et je ne veux pas qu'on me tue. Je refuse la guerre, quelles qu'en soient les raisons.
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
; et le petit chemin qu’il suit va être gravé dans son souvenir par l’excitation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des actes inaccoutumés, à la causerie récente et aux adieux sous la lampe étrangère qui le suivent encore dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du retour.
”
”
Marcel Proust (A la recherche du temps perdu)
“
Puis il réfléchit: la réalité ne coïncide habituellement pas avec les prévisions; avec une logique perverse, il en déduisit que prévoir un détail circonstanciel, c'est empêcher que celui-ci se réalise. Fidèle à cette faible magie, il inventait, pour les empêcher de se réaliser, des péripéties atroces; naturellement, il finit par craindre que ces péripéties ne fussent prophétiques. Misérable dans la nuit, il essayait de s'affirmer en quelque sorte dans la substance fugitive du temps. Il savait que celui-ci se précipitait vers l'aube du 29; il raisonnait à haute voix; je suis maintenant dans la nuit du 22; tant que durera cette nuit (et six nuits de plus) je suis invulnérable, immortel. Il pensait que les nuits de sommeil étaient des piscines profondes et sombres dans lesquels il pouvait se plonger. Il souhaitait parfois avec impatience la décharge définitive qui le libérerait tant bien que mal de son vain travail d'imagination.
”
”
Jorge Luis Borges (Ficciones)
“
Boire les étoiles au goulot était une technique pour bloquer la machine temporelle. Flouter le passé et le futur quelques heures pour se poser dans l'hyper-présent avec du whisky déguisé en Coca, du rhum caché dans des feuilles de menthe. Je voyais mes démons cavaler a travers les bulles, pieds au plancher comme l'hiver dernier. Je ne pensais qu'a une chose : retrouver un autre temps. Celui d'avant l'explosion de la centrale a rêves. Avant le tremblement de tête, avant les attentats a répétition. Quand on fabriquait des fusées sans ceintures de sécurité. Quand on chevauchait jusqu’à ce que la nuit fonde pour laisser le jour étirer ses grands bras de lumière.
”
”
Mathias Malzieu (Le plus petit baiser jamais recensé)
“
Je me mis dès lors à lire avec avidité et bientôt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations récentes, tous les élans encore vagues de mon adolescence qui s’élevaient dans mon âme d’une façon si troublante et qui étaient provoqués par mon développement si précoce, tout cela, soudainement, se précipita dans une direction, parut se satisfaire complètement de ce nouvel aliment et trouver là son cours régulier. Bientôt mon cœur et ma tête se trouvèrent si charmés, bientôt ma fantaisie se développa si largement, que j’avais l’air d’oublier tout ce qui m’avait entourée jusqu’alors. Il semblait que le sort lui même m’arrêtât sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, à laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de m’abandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur d’où je pouvais contempler l’avenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinée à vivre tout cet avenir en l’apprenant d’abord par les livres ; de vivre dans les rêves, les espoirs, la douce émotion de mon esprit juvénile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que j’avais appris et vécu jusqu’à ce jour était si noble, si austère, qu’une page impure ou mauvaise n’eût pu désormais me séduire. Mon instinct d’enfant, ma précocité, tout mon passé veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience m’éclairait toute ma vie passée.
En effet, presque chacune des pages que je lisais m’était déjà connue, semblait déjà vécue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais déjà éprouvées.
Et comment pouvais-je ne pas être entraînée jusqu’à l’oubli du présent, jusqu’à l’oubli de la réalité, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois d’une même destinée, le même esprit d’aventure qui règnent sur la vie de l’homme, mais qui découlent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! C’est cette loi que je soupçonnais, que je tâchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait l’air de me prévenir, comme s’il y avait en mon âme quelque chose de prophétique, et chaque jour l’espoir grandissait, tandis qu’en même temps croissait de plus en plus mon désir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je l’ai déjà dit, ma fantaisie l’emportait sur mon impatience, et, en vérité, je n’étais très hardie qu’en rêve ; dans la réalité, je demeurais instinctivement timide devant l’avenir.
”
”
Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
“
Allez, en avant ! Il faut que tout s'accélère. Ce soir j'en ai plus rien à foutre des rêves et de la réalité. Dormir, manger et toutes ces conneries d'être vivant, je veux plus en entre parler, fermez vos gueules, les morts, je me tire. Venez, les étoiles, je vous prends une par une ! Allez, venez vous enfoncer dans ma bouche, je suis vide, j'ai de la place. Hantez, faîtes comme chez vous ! Brillez !
”
”
Mathias Malzieu (Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi)
“
Je ne me suis jamais vraiment intéressée à la psychogénéalogie ni aux phénomènes de répétition transmis d'une génération à une autre qui passionnent certains de mes amis. J'ignore comment ces choses (l'inceste, les enfants morts, le suicide, la folie) se transmettent.
Le fait est qu'elles traversent les familles de part en part, comme d'impitoyables malédictions, laissent des empreintes qui résistent au temps et au déni.
”
”
Delphine de Vigan (Rien ne s'oppose Ă la nuit)
“
Il s'étonna de réfléchir sur des problèmes qu'il ne s'était jamais posés. Et pourtant revenait contre lui, avec un murmure mélancolique, la masse des douceurs qu'il avait toujours écartées: un océan perdu. "Tout cela est donc si proche?..." Il s'aperçut qu'il avait peu à peu repoussé vers la vieillesse, pour "quand il aurait le temps" ce qui fait douce la vie des hommes.(...) Mais il n'y a pas de paix. Il n'y a peut-être pas de victoire.
”
”
Antoine de Saint-Exupéry
“
Ce monde-ci était bien meilleur que l'ancien, dirigé par les hommes. Ici, personne ne lui criait dessus, et personne ne criait sur Nana. Personne ne les traitait comme des citoyennes de seconde zone. Dans ce monde, une fillette pouvait rentrer seule chez elle, même à la nuit tombée, sans avoir peur. Dans ce monde, le talent d'une petite fille pouvait se développer en même temps que ses hanches et sa poitrine. Personne ne le tuerait sans l'œuf.
”
”
Stephen King (Sleeping Beauties)
“
La plupart des savants le sont à la manière des enfants. La vaste érudition résulte moins d'une multitude d'idées que d'une multitude d'images. Les dates, les noms propres, les lieux, tous les objets isolés ou dénués d'idées, se retiennent uniquement par la mémoire des signes, et rarement se rappelle-t-on quelqu'une de ces choses sans voir en même temps le recto ou le verso de la page où on l'a lue, ou la figure sous laquelle on la vit la première fois. Telle était à peu près la science à la mode des siècles derniers. Celle de notre siècle est autre chose: on n'étudie plus, on n'observe plus; on rêve, et l'on nous donne gravement pour de la philosophie les rêves de quelques mauvaises nuits. On me dira que je rêve aussi; j'en conviens: mais, ce que les autres n'ont garde de faire, je donne mes rêves pour des rêves, laissant chercher au lecteur s'ils ont quelque chose d'utile aux gens éveillés.
”
”
Jean-Jacques Rousseau (Emile, or On Education)
“
autrefois, il y avait des galeries aux maisons. Et quelque-fois, les gens restaient assis, tard dans la nuit, bavardant s'ils en avaient envie, se balançant dans leurs fauteuils, silencieux s'ils n'éprouvaient pas le besoin de parler. parfois, ils restaient là , tranquillement, à réfléchir à ruminer. Mon oncle dit que les architectes ont supprimé les galeries pour des raisons d'esthétique. Mais mon oncle dit que c'est un prétexte, rien de plus; la véritable raison, cachée en dessous, c'est qu'on ne voulait pas voir des gens passer des heures assis à ne rien faire, à se balancer, à discuter; c'était une forme détestable de vie en commun. Les gens parlaient trop. Et ils avaient le temps de penser. Alors on a détruit les galeries. Et les jardins, aussi. Il ne reste presque plus de jardins...Et voyez les mobiliers. Plus de rocking-chairs. Ils sont trop confortables. Il faut obliger les gens à courir, à prendre de l'exercise.
”
”
Ray Bradbury (Fahrenheit 451)
“
Dans notre isolement de glace, nous avions oublié les haines misérables et stupides du monde. Elles s’étaient encore enflées et raidies pendant ces trois années. Leur monstrueuse imbécillité évoquait pour moi des chiens énormes enchaînés les uns en face des autres, chacun tirant sur sa chaîne en râlant de fureur et ne pensant qu’à la rompre pour aller égorger le chien d’en face. Sans raison. Simplement parce que c’est un autre chien. Ou, peut-être, parce qu’il en a peur…
”
”
René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?
- Oui.
J'ai mis le feu lĂ .
- Mais c'est un crime inouĂŻ !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est lĂ sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
Ă€ mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est Ă toi comprends donc, et c'est toi qui l'Ă©teins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse Ă toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
- Je ne sais pas lire.
”
”
Victor Hugo
“
À chaque instant donné dans le temps, toutes les espèces animales – du moustique à l'éléphant – se trouvent réunies au complet. Elles se sont déjà renouvelées des milliers de fois tout en restant les mêmes. Elles ne savent rien de leurs semblables qui ont vécus avant elles et vivront après elles. C'est l'espèce qui vit toujours. De même que le monde disparaît avec la tombée de la nuit, sans pour autant cesser d'être un seul instant, l'homme et l'animal paraissent disparaître après la mort, alors que leur essence véritable subsiste imperturbablement.
”
”
Arthur Schopenhauer
“
L'Horloge
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientĂ´t comme dans une cible;
Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, Ă tout coup! c'est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
TantĂ´t sonnera l'heure oĂą le divin Hasard,
OĂą l'auguste Vertu, ton Ă©pouse encor vierge,
Où le repentir même (oh! la dernière auberge!),
Où tout te dira: Meurs, vieux lâche! il est trop tard!
”
”
Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
“
Depuis, plus personne ne parle du 27eme battalion. Pourtant, refusant de rejoindre le ciel, les fantômes, les demons nés de cette défaite continuent à errer parmi les buissons, à l'orée de la jungle, sur les rives du ruisseau. On a donné à ce coin de jungle perdu dans les brumes empoisonnées le nom effrayant de "terre des Ames hurlantes". De temps en temps, à l'occasion des cérémonies de l'enfer les morts se rassemblent sur cette langue de terre comme pour la revue des troupes. On peut entendre leurs voix dans le murmure du ruisseau, les plaintes étouffées, lancinantes de la jungle la nuit, les hurlements du vent à travers les gorges des montagnes. On peut les entendre, les comprendre.
”
”
Bảo Ninh (The Sorrow of War)
“
Êtes-vous ce qu’on appelle un heureux ? Eh bien, vous êtes triste tous les jours. Chaque jour a son grand chagrin ou son petit souci. Hier, vous trembliez pour une santé qui vous est chère, aujourd’hui vous craignez pour la vôtre, demain ce sera une inquiétude d’argent, après-demain la diatribe d’un calomniateur, l’autre après-demain le malheur d’un ami ; puis le temps qu’il fait, puis quelque chose de cassé ou de perdu, puis un plaisir que la conscience et la colonne vertébrale vous reprochent ; une autre fois, la marche des affaires publiques. Sans compter les peines de cœur. Et ainsi de suite. Un nuage se dissipe, un autre se reforme. À peine un jour sur cent de pleine joie et de plein soleil. Et vous êtes de ce petit nombre qui a le bonheur ! Quant aux autres hommes, la nuit stagnante est sur eux.
”
”
Victor Hugo (Les Misérables)
“
Mon temps autrefois m'appartenait entièrement, et aux livres. Aujourd'hui, chaque minute consacrée à lire ou à écrire est une minute que je ne passe pas avec ma fille; l'écriture s'accompagne désormais d'une hâte et d'une culpabilité détestables. C'est du temps que je lui dérobe, que je ne retrouverai pas, que j'aurais dû lui consacrer et que je n'aurai jamais passé avec elle. Depuis sa naissance, je me prends à penser au futur antérieur et au conditionnel passé, des temps compliqués qui sont le signe qu'on considère les choses sous un point de vue autre que celui depuis lequel on parle normalement : demain vu au passé, hier comme une possibilité.
Elle dort. Je devrais profiter de ce moment pour écrire, je n'arrive qu'à m'abîmer dans le bruit des vagues. Je voudrais m'étendre sur le sable, rester là jusqu'à la nuit, me laisser emporter par la marée.
”
”
Dominique Fortier
“
- Ma mère dit que le cinéma substituait à notre regard un monde qui s'accordait à nos désirs... souffla-t-il.
Mais Nuit et Brouillard ne cadrait pas avec cette définition.
- Le cinéma est plutôt comme une bataille, déclara Fuji.
- Une bataille contre quoi ?
- Contre mille ennemis différents et contradictoires. Contre l'ennui. Contre la frénésie. Contre le quotidien désenchanté. Contre les lendemains qui chantent. Contre les bourrasques qui avalent nos cauchemars. Contre les usines qui broient nos rêves. Contre les laisses invisibles qui nous étranglent. Contre les habitudes qui nous ferment les yeux.
Fuji soupira et reprit :
- Et dans cette bataille, Nuit et Brouillard, avec son texte et ses images implacables, lutte aux avant-postes. Contre l'oubli. Contre les monstres du passé. Contre l'effacement des crimes effroyables de l'Histoire. Nuit et Brouillard lutte contre tout cela. Et prouve que le cinéma peut abriter le temps.
”
”
Guillaume Guéraud (La Brigade De L'oeil)
“
Le tunnel qui mène au centre-ville, il a vraiment un truc. Quand il fait nuit, c'est splendide. Tout simplement splendide. D'abord, t'es de l'autre côté de la montagne et il fait sombre, et la radio est à fond. Dès que tu entres dans le tunnel, le vent disparaît d'un coup et tu plisses les yeux à cause des lumières au-dessus de toi. Quand tu t'habitues à la lumière, tu peux voir le bout du tunnel au loin, et pendant ce temps, comme les ondes passent plus, le son de la radio faiblit. Alors tu te retrouves au milieu du tunnel au loin et tout devient très calme, comme un rêve. Tu vois le bout qui se rapproche et t'as qu'une envie, c'est d'y arriver. Et finalement, juste au moment où tu penses que tu l'atteindras jamais, tu vois la sortie devant toi. Et le vent t'attend. Et tu sors du tunnel à toute vitesse, pour te retrouver sur le pont. Et elle est là . La ville. Un million de lumières et d'immeubles, et tout à l'air aussi excitant que la première fois où tu l'as vue. C'est vraiment une belle entrée en scène.
”
”
Stephen Chbosky (The Perks of Being a Wallflower)
“
Wilhelm, que serait pour notre cœur le monde sans l’amour ? Ce qu’une lanterne magique est sans lumière. A peine la petite lampe est-elle introduite, que les images les plus variées apparaissent sur la muraille blanche. Et ne fussent-elles que des fantômes passagers, cela fait pourtant notre bonheur, lorsque nous nous arrêtons devant, comme des enfants joyeux, nous extasiant sur ces apparitions merveilleuses. Aujourd’hui je n’ai pu aller voir Charlotte : une société inévitable m’a retenu. Que faire ? J’ai envoyé chez elle mon domestique, uniquement pour avoir quelqu’un près de moi qui eût approché d’elle aujourd’hui. Avec quelle impatience je l’attendais ! avec quelle joie je l’ai revu ! Je l’aurais embrassé, si j’avais osé m’en croire.
On conte que la pierre de Bologne, si on l’expose au soleil, en absorbe les rayons, et qu’elle éclaire quelque temps pendant la nuit. Il en était de même pour moi de ce garçon. L’idée que les yeux de Charlotte s’étaient arrêtés sur son visage, sur ses joues, sur les boutons de son habit et le collet de son surtout, me rendait tout cela précieux et sacré. Dans ce moment, je n’aurais pas donné mon valet pour mille écus. Sa présence nie faisait du bien…. Dieu te garde d’en rire ! Wilhelm, sont-ce là des fantômes, si nous sommes heureux ?
”
”
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
“
MOI, TROUBADOUR
Moi troubadour et la fille d'amour
Nous errons la nuit autour des lanternes ;
Signes de mouchoir, adieu sans retour
À toi notre étoile, astre de déveine.
Nous allons ailleurs vers un sort meilleur
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que les fleurs ne perdent couleur.
Moi troubadour et la fille d'amour
Qui de son caveau tirons la beauté
Marcherons à présent rompus, hébétés
Par la vie, par l'astre et par la rengaine.
Aux portes de l'ombre allons-nous buter
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que le temps des moissons ne vienne ?
Et dans le cœur blanc des nuits de septembre
Nous nous blottirons, icĂ´nes sans voix,
Dans les coins perdus, dans l'oubli des chambres
Nous rappellerons, frappant de nos doigts,
Que de notre vie sont mortes les branches
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que le temps des moissons ne vienne.
Vous entendrez des mots silencieux
Assis pensifs dans l'ombre et dans l'absence
Mille soleils brûleront dans vos cieux
Hommes Ă genoux dans un rĂŞve immense,
Et ce jour viendra pour tous ceux, tous ceux
Dont la vie fleurit, dont la vie commence
Avant que le blé ne sorte des graines
Avant que le temps des moissons ne vienne.
(p. 406-407 de L'Anthologie de la poésie yiddish de Charles Dobzynski)
”
”
Itzik Manger
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Avant le chariot du supermarché, le qu'est-ce qu'on va manger ce soir, les économies pour s'acheter un canapé, une chaîne hi-fi, un appart. Avant les couches, le petit seau et la pelle sur la plage, les hommes que je ne vois plus, les revues de consommateurs pour ne pas se faire entuber, le gigot qu'il aime par-dessus tout et le calcul réciproque des libertés perdues. Une période où l'on peut dîner d'un yaourt, faire sa valise en une demi-heure pour un week-end impromptu, parler toute une nuit. Lire un dimanche entier sous les couvertures. S'amollir dans un café, regarder les gens entrer et sortir, se sentir flotter entre ces existences anonymes. Faire la fête sans scrupule quand on a le cafard. Une période où les conversations des adultes installés paraissent venir d'un univers futile, presque ridicule, on se fiche des embouteillages, des morts de la Pentecôte, du prix du bifteck et de la météo. Personne ne vous colle aux semelles encore. Toutes les filles l'ont connue, cette période, plus ou moins longue, plus ou moins intense, mais défendu de s'en souvenir avec nostalgie. Quelle honte ! Oser regretter ce temps égoïste, où l'on n'était responsable que de soi, douteux, infantile. La vie de jeune fille, ça ne s'enterre pas, ni chanson ni folklore là -dessus, ça n'existe pas. Une période inutile.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Un jour, avec des yeux vitreux, ma mère me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dérision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, à la figure pâle et longue. Même, je te permets de te mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'éprouve le besoin de l'infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'après ce qu'on m'a dit. Ça m'étonne... je croyais être davantage! Au reste, que m'importe d'où je viens? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j'aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue: je ne serais pas si méchant. Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intérieur des cheminées : il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l'Etre suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
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Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
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Porteurs
Notre monde repose sur les épaules de l'autre. Sur des enfants au travail, sur des plantations et des matières premières payées bon marché : des épaules d'inconnus portent notre poids, obèse de disproportion de richesses. Je l'ai vu.
Dans les ascensions qui durent bien des jours vers les camps de base des hautes altitudes, des hommes et aussi des femmes et des enfants portent notre poids dans des hottes tressées. Tables, chaises, vaisselle, tentes, cuisinières, combustibles cordes, matériel d'escalade, nourriture pour plusieurs semaines, en somme un village pour vivre là où il n'y a rien.
Ils portent notre poids pour le prix moyen de trois cents roupies népalaises par jour, moins de quatre euros. Les hottes pèsent quarante kilos, mais certains en portent de plus lourdes. Les étapes sont longues, elles fatiguent le voyageur avec son petit sac à dos et le minimum nécessaire.
Des porteurs de tout notre confort marchent avec des tongs ou bien pieds nus sur des pentes qui manquent d'oxygène, la température baissant. La nuit, ils campent en plein air autour d'un feu, ils font cuire du riz et des légumes cueillis dans les parages, tant que quelque chose sort de terre. Au Népal, la végétation monte jusqu'à trois mille cinq cents mètres.
Nous autres, nous dormons dans une tente avec un repas chaud cuisiné par eux.
Ils portent notre poids et ne perdent pas un gramme. Il ne manque pas un mouchoir au bagage remis en fin d'Ă©tape.
Ils ne sont pas plus faits pour l'altitude que nous, la nuit je les entends tousser. Ce sont souvent des paysans des basses vallées de rizières. Nous avançons péniblement en silence, eux ne renoncent pas à se parler, à raconter, tout en marchant.
Nous habillés de couches de technologie légère, aérée, chaude, coupe-vent, et cetera, eux avec des vêtements usés, des pulls en laine archiélimés : ils portent notre poids et sourient cent plus que le plus extraverti de nos joyeux compères.
Ils nous préparent des pâtes avec l'eau de la neige, ils nous ont même apporté des oeufs ici, à cinq mille mètres. Sans eux, nous ne serions ni agiles, ni athlétiques, ni riches. Ils disparaissent en fin de transport, ils se dispersent dans les vallées, juste à temps pour le travail du riz et de l'orge. (p. 11-12)
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Erri De Luca (Sulla traccia di Nives)
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PEER GYNT
L'âme, souffle et lumière du verbe, te viendra
plus tard, ma fille Quand, en lettres d'or, sur le
fond rose de l'Orient, apparaîtront ces mots :
Voici le jour, alors commenceront les leçons ; ne crains rien, tu seras instruite. Mais je serais un sot de vouloir, dans le calme de cette tiède nuit,me parer de quelques baillons d'un vieux savoir usé, pour te traiter en maître d'école. Après tout, le principal, quand on y réfléchit, ce n'est point l'âme, c'est le cœur.
ANITRA
Parle seigneur. Quand tu parles, il me semble
voir comme des lueurs d'opale.
PBER GYNT
La raison poussée à l'excès est de la bêtise. La
poltronnerie s'épanouit en cruauté. L'exagération de la vérité, c'est de la sagesse à l'envers. Oui, mon enfant, le diable m'emporte s'il n'y a pas de par le monde des êtres gavés d'âme qui n'en ont que plus de peine à voir clair. J'ai connu un individu de cette sorte, une vraie perle pourtant, qui a manqué son but et perdu la boussole.
Vois-tu ce désert qui entoure l'oasis? Je n'aurais qu'à agiter mon turban pour que les flots de l'Océan en comblassent toute l'étendue. Mais je serais un imbécile de créer ainsi des continents et des mers nouvelles. Sais-tu, ce que c'est que de vivre?
ANITRA
Enseigne-le-moi.
PEER GYNT
C'est planer au-dessus du temps qui coule, en
descendre le courant sans se mouiller les pieds, et sans jamais rien perdre de soi-même. Pour être celui qu'on est, ma petite amie, il faut la force de l'âge! Un vieil aigle perd son piumage, une vieille rosse son allure, une vieille commère ses dents. La peau se ride, et l'âme aussi. Jeunesse ! jeunesse ! Par toi je veux régner non sur les palmes et les vignes de quelque Gyntiana, mais sur la pensée vierge d'une femme dont je serai le sultan ardent et vigoureux. Je t'ai fait, ma petite, la grâce de te séduire, d'élire ton cœur pour y fonder un kalifat nouveau. Je veux être le maître de tes soupirs. Dans mon
royaume, j'introduirai le régime absolu. Nous
séparer sera la mort... pour toi, s'entend. Pas une fibre, pas une parcelle de toi qei ne m'appartienne. Ni oui, ni non, tu n'auras d'autre volonté que la mienne. Ta chevelure, noire comme la nuit, et tout ce qui, chez toi, est doux à nommer, s'inclinera devant mon pouvoir souverain. Ce seront mes jardins de Babylone.
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Henrik Ibsen (Peer Gynt)
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en vérité il est très agréable de se réunir, de s’asseoir et de bavarder des intérêts publics. Parfois même je suis prêt à chanter de joie, quand je rentre dans la société et vois des hommes solides, sérieux, très bien élevés, qui se sont réunis, parlent de quelque chose sans rien perdre de leur dignité. De quoi parlent-ils ? ça c’est une autre question. J’oublie même, parfois, de pénétrer le sens de la conversation, me contentant du tableau seul.
Mais jusqu’ici, je n’ai jamais pu pénétrer le sens de ce dont s’entretiennent chez nous les gens du monde qui n’appartiennent pas à un certain groupe. Dieu sait ce que c’est. Sans doute quelque chose de charmant, puisque ce sont des gens charmants. Mais tout cela paraît incompréhensible. On dirait toujours que la conversation vient de commencer ; comme si l’on accordait les instruments. On reste assis pendant deux heures et, tout ce temps, on ne fait que commencer la conversation. Parfois tous ont l’air de parler de choses sérieuses, de choses qui provoquent la réflexion. Mais ensuite, quand vous vous demandez de quoi ils ont parlé, vous êtes incapable de le dire : de gants, d’agriculture, ou de la constance de l’amour féminin ? De sorte que, parfois, je l’avoue, l’ennui me gagne. On a l’impression de rentrer par une nuit sombre à la maison en regardant tristement de côté et d’entendre soudain de la musique. C’est un bal, un vrai bal. Dans les fenêtres brillamment éclairées passent des ombres ; on entend des murmures de voix, des glissements de pas ; sur le perron se tiennent des agents. Vous passez devant, distrait, ému ; le désir de quelque chose s’est éveillé en vous. Il vous semble avoir entendu le battement de la vie, et, cependant, vous n’emportez avec vous que son pâle motif, l’idée, l’ombre, presque rien. Et l’on passe comme si l’on n’avait pas confiance. On entend autre chose. On entend, à travers les motifs incolores de notre vie courante, un autre motif, pénétrant et triste, comme dans le bal des Capulet de Berlioz. L’angoisse et le doute rongent votre coeur, comme cette angoisse qui est au fond du motif lent de la triste chanson russe :
Écoutez... d’autres sons résonnent.
Tristesse et orgie désespérées...
Est-ce un brigand qui a entonné, là -bas, la chanson ?
Ou une jeune fille qui pleure à l’heure triste des adieux ?
Non ; ce sont les faucheurs qui rentrent de leur travail...
Autour sont les forĂŞts et les steppes de Saratov.
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Fyodor Dostoevsky
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Mais j’avais revu tantôt l’une, tantôt l’autre, des chambres que j’avais habitées dans ma vie, et je finissais par me les rappeler toutes dans les longues rêveries qui suivaient mon réveil ; chambres d’hiver où quand on est couché, on se blottit la tête dans un nid qu’on se tresse avec les choses les plus disparates : un coin de l’oreiller, le haut des couvertures, un bout de châle, le bord du lit, et un numéro des Débats roses, qu’on finit par cimenter ensemble selon la technique des oiseaux en s’y appuyant indéfiniment ; où, par un temps glacial, le plaisir qu’on goûte est de se sentir séparé du dehors (comme l’hirondelle de mer qui a son nid au fond d’un souterrain dans la chaleur de la terre), et où, le feu étant entretenu toute la nuit dans la cheminée, on dort dans un grand manteau d’air chaud et fumeux, traversé des lueurs des tisons qui se rallument, sorte d’impalpable alcôve, de chaude caverne creusée au sein de la chambre même, zone ardente et mobile en ses contours thermiques, aérée de souffles qui nous rafraîchissent la figure et viennent des angles, des parties voisines de la fenêtre ou éloignées du foyer et qui se sont refroidies ; – chambres d’été où l’on aime être uni à la nuit tiède, où le clair de lune appuyé aux volets entr’ouverts, jette jusqu’au pied du lit son échelle enchantée, où on dort presque en plein air, comme la mésange balancée par la brise à la pointe d’un rayon – ; parfois la chambre Louis XVI, si gaie que même le premier soir je n’y avais pas été trop malheureux, et où les colonnettes qui soutenaient légèrement le plafond s’écartaient avec tant de grâce pour montrer et réserver la place du lit ; parfois au contraire celle, petite et si élevée de plafond, creusée en forme de pyramide dans la hauteur de deux étages et partiellement revêtue d’acajou, où, dès la première seconde, j’avais été intoxiqué moralement par l’odeur inconnue du vétiver, convaincu de l’hostilité des rideaux violets et de l’insolente indifférence de la pendule qui jacassait tout haut comme si je n’eusse pas été là  ; – où une étrange et impitoyable glace à pieds quadrangulaires barrant obliquement un des angles de la pièce se creusait à vif dans la douce plénitude de mon champ visuel accoutumé un emplacement qui n’y était pas prévu ; – où ma pensée, s’efforçant pendant des heures de se disloquer, de s’étirer en hauteur pour prendre exactement la forme de la chambre et arriver à remplir jusqu’en haut son gigantesque entonnoir, avait souffert bien de dures nuits, tandis que j’étais étendu dans mon lit, les yeux levés, l’oreille anxieuse, la narine rétive, le cœur battant ; jusqu’à ce que l’habitude eût changé la couleur des rideaux, fait taire la pendule, enseigné la pitié à la glace oblique et cruelle, dissimulé, sinon chassé complètement, l’odeur du vétiver et notablement diminué la hauteur apparente du plafond.
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Marcel Proust (Du côté de chez Swann (à la recherche du temps perdu #1))
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Il faut que je vous écrive, mon aimable Charlotte, ici, dans la chambre d’une pauvre auberge de village, où je me suis réfugié contre le mauvais temps. Dans ce triste gîte de D., où je me traîne au milieu d’une foule étrangère, tout à fait étrangère à mes sentiments, je n’ai pas eu un moment, pas un seul, où le cœur in’ait dit de vous écrire : et maintenant, dans cette cabane, dans cette solitude, dans cette prison, tandis que la neige et la grêle se déchaînent contre ma petite fenêtre, ici, vous avez été ma première pensée. Dès que je fus entré, votre image, ô Charlotte, votre pensée m’a saisi, si sainte, si vivante ! Bon Dieu, c’est le premier instant de bonheur que je retrouve.
Si vous me voyiez, mon amie, dans ce torrent de dissipations ! Comme toute mon âme se dessèche ! Pas un moment où le cœur soit plein ! pas une heure fortunée ! rien, rien ! Je suis là comme devant une chambre obscure : je vois de petits hommes et de petits chevaux tourner devant moi, et je me demande souvent si ce n’est pas une illusion d’optique. Je m’en amuse, ou plutôt on s’amuse de moi comme d’une ma"rionnette ; je prends quelquefois mon voisin par sa main de bois, et je recule en frissonnant. Le soir, je fais le projet d’aller voir lever le soleil, et je reste au lit ; le jour, je me promets le plaisir du clair de lune, et je m’oublie dans ma chambre. Je ne sais trop pourquoi je me lève, pourquoi je me coucha.
Le levain qui faisait fermenter ma vie, je ne l’ai plus ; le charme qui me tenait éveillé dans les nuits profondes s’est évanoui ; l’enchantement qui, le matin, m’arrachait au sommeil a fui loin de moi.
Je n’ai trouvé ici qu’une femme, une seule, Mlle de B. Elle vous ressemble, ô Charlotte, si l’on peut vous ressembler. «.Eh quoi ? direz-vous, le voilà qui fait de jolis compliments ! » Cela n’est pas tout à fait imaginaire : depuis quelque temps je suis très-aimable, parce que je ne puis faire autre chose ; j’ai beaucoup d’esprit, at les dames disent que personne ne sait louer aussi finement…. «Ni mentir, ajouterez-vous, car l’un ne va pas sans l’autre, entendez-vous ?… » Je voulais parler de Mlle B. Elle a beaucoup d’âme, on le voit d’abord à la flamme de ses yeux bleus. Son rang lui est à charge ; il ne satisfait aucun des vœux de son cœur. Elle aspire à sortir de ce tumulte, et nous rêvons, des heures entières, au mijieu de scènes champêtres, un bonheur sans mélange ; hélas ! nous rêvons à vous, Charlotte ! Que de fois n’est-elle pas obligée de vous rendre hommage !… Non pas obligée : elle le fait de bon gré ; elle entend volontiers parler de vous ; elle vous aime.
Oh ! si j’étais assis à vos pieds, dans la petite chambre, gracieuse et tranquille ! si nos chers petits jouaient ensemble autour de moi, et, quand leur bruit vous fatiguerait, si je pouvais les rassembler en cercle et les calmer avec une histoire effrayante !
Le soleil se couche avec magnificence sur la contrée éblouissante de neige ; l’orage est passé ; et moi…. il faut que je rentre dans ma cage…. Adieu. Albert est-il auprès de vous ? Et comment ?… Dieu veuille me pardonner cette question !
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Le dément
- N'avez-vous pas entendu parler de ce dément qui, dans la clarté de midi alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! »
–Étant donné qu'il y avait justement là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, il déchaîna un énorme éclat de rire. S'est-il donc perdu ? disait l'un. S'est-il égaré comme un enfant ? disait l'autre. Ou bien s'est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarqué ? A-t-il émigré ?–ainsi criaient-ils en riant dans une grande pagaille. Le dément se précipita au milieu d'eux et les transperça du regard.
« Où est passé Dieu ? lança-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tué,–vous et moi ! Nous sommes tous ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment pûmes-nous boire la mer jusqu'à la dernière goutte ? Qui nous donna l'éponge pour faire disparaître tout l'horizon ? Que fîmes-nous en détachant cette terre de son soleil ? Où l'emporte sa course désormais ? Où nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abîmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arrière, de côté, en avant, de tous les côtés ? Est-il encore un haut et un bas ? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ? L'espace vide ne répand-il pas son souffle sur nous ? Ne s'est-il pas mis à faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes à midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ?–les dieux aussi se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu demeure mort ! Et nous l'avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins ? Ce que le monde possédait jusqu'alors de plus saint et de plus puissant, nos couteaux l'ont vidé de son sang,–qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles cérémonies expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour apparaître seulement dignes de lui ? Jamais il n'y eut acte plus grand,–et quiconque naît après nous appartient du fait de cet acte à une histoire supérieure à ce que fut jusqu'alors toute histoire ! »
Le dément se tut alors et considéra de nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient déconcertés. Il jeta enfin sa lanterne à terre : elle se brisa et s'éteignit.
« Je viens trop tôt, dit-il alors, ce n'est pas encore mon heure. Cet événement formidable est encore en route et voyage,–il n'est pas encore arrivé jusqu'aux oreilles des hommes. La foudre et le tonnerre ont besoin de temps, la lumière des astres a besoin de temps, les actes ont besoin de temps, même après qu'ils ont été accomplis, pour être vus et entendus. Cet acte est encore plus éloigné d'eux que les plus éloignés des astres,–et pourtant ce sont eux qui l'ont accompli. »
On raconte encore que ce même jour, le dément aurait fait irruption dans différentes églises et y aurait entonné son Requiem aeternam deo. Expulsé et interrogé, il se serait contenté de rétorquer constamment ceci :
« Que sont donc encore ces églises si ce ne sont pas les caveaux et les tombeaux de Dieu ? »
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Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
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Les hommes, disais-je, se plaignent souvent de compter peu de beaux jours et beaucoup de mauvais, et il me semble que, la plupart du temps, c’est mal à propos. Si nous avions sans cesse le cœur ouvert pour jouir des biens que Dieu nous dispense chaque jour, nous aurions assez de force pour supporter le mal quand il vient. — Mais nous ne sommes pas les maîtres de notre humeur, dit la mère ; combien de choses dépendent de l’état du corps ! Quand on n’est pas bien, on est mal partout. » J’en tombai d’accord et j’ajoutai : « Eh bien, considérons la chose comme une maladie, et demandons-nous s’il n’y a point de remède. — C’est parler sagement, dit Charlotte : pour moi, j’estime que nous y pouvons beaucoup. Je le sais par expérience. Si quelque chose me contrarie et veut me chagriner, je cours au jardin et me promène, en chantant quelques contredanses : cela se passe aussitôt. — C’est ce que je voulais dire, repris-je à l’instant : il en est de la mauvaise humeur absolument comme de la paresse ; car c’est une sorte de paresse. Par notre nature, nous y sommes fort enclins, et cependant, si nous avons une fois la force de nous surmonter, le travail nous devient facile, et nous trouvons dans l’activité un véritable plaisir. » Frédérique était fort attentive, et le jeune homme m’objecta qu’on n’était pas maître de soi, et surtout qu’on ne pouvait commander à ses sentiments. « II s’agit ici, répliquai-je, d’un sentiment désagréable, dont chacun est bien aise de se délivrer, et personne ne sait jusqu’où ses forces s’étendent avant de les avoir essayées. Assurément, celui qui est malade consultera tous les médecins, et il ne refusera pas les traitements les plus pénibles, les potions les plus amères, pour recouvrer la santé désirée. [...] Vous avez appelé la mauvaise humeur un vice : cela me semble exagéré. — Nullement, lui répondis-je, si une chose avec laquelle on nuit à son prochain et à soi-même mérite ce nom. N’est-ce pas assez que nous ne puissions nous rendre heureux les uns les autres ? faut-il encore nous ravir mutuellement le plaisir que chacun peut quelquefois se procurer ? Et nommez-moi l’homme de mauvaise humeur, qui soit en même temps assez ferme pour la dissimuler, la supporter seul, sans troubler la joie autour de lui ! N’est-ce pas plutôt un secret déplaisir de notre propre indignité, un mécontentement de nous-mêmes, qui se lie toujours avec une envie aiguillonnée par une folle vanité ? Nous voyons heureux des gens qui ne nous doivent pas leur bonheur, et cela nous est insupportable. » Charlotte me sourit, en voyant avec quelle émotion je parlais, et une larme dans les yeux de Frédérique m’excita à continuer. « Malheur, m’écriai-je, à ceux qui se servent de l’empire qu’ils ont sur un cœur, pour lui ravir les joies innocentes dont il est lui-même la source ! Tous les présents, toutes les prévenances du monde, ne peuvent compenser un moment de joie spontanée, que nous empoisonne une envieuse importunité de notre tyran. [...] Si seulement on se disait chaque jour : Tu ne peux rien pour tes amis que respecter leurs plaisirs et augmenter leur bonheur en le goûtant avec eux. Peux-tu, quand le fond de leur être est tourmenté par une passion inquiète, brisé par la souffrance, leur verser une goutte de baume consolateur ?… Et, quand la dernière, la plus douloureuse maladie surprendra la personne que tu auras tourmentée dans la fleur de ses jours, qu’elle sera couchée dans la plus déplorable langueur, que son œil éteint regardera le ciel, que la sueur de la mort passera sur son front livide, et que, debout devant le lit, comme un condamné, dans le sentiment profond qu’avec tout ton pouvoir tu ne peux rien, l’angoisse te saisira jusqu’au fond de l’âme, à la pensée que tu donnerais tout au monde pour faire passer dans le sein de la créature mourante une goutte de rafraîchissement, une étincelle de courage !…
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Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
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Mais le premier de tous est un savant illustre, qui n'appartient pas seulement à la Bretagne, mais à la France, le célèbre voyageur en Égypte, M. Caillaud. Doué de l'esprit le plus sagace et le plus pénétrant, il a fait en histoire naturelle plusieurs découvertes, une surtout, des plus intéressantes, pour laquelle la Hollande lui a décerné, il y a peu d'années, un prix extraordinaire, la découverte du procédé de perforation des pholades. On avait jusqu'alors cru que les pholades, petits mollusques très-communs sur les côtes de Bretagne, employaient, pour percer le dur granit où elles vivent, un acide qu'elles distillaient à travers les valves de leur coquille. M. Caillaud eut des doutes à ce sujet: il recueillit, près du Pouliguen, des pholades attachées à des morceaux de roc (gneiss), les plaça dans un bocal d'eau de mer incessamment renouvelée, et attendit l'effet de leur travail. Huit jours, quinze jours se passèrent sans que les pholades donnassent signe de vie, lorsqu'une nuit il fut éveillé par un bruit de scie qui retentissait dans le bocal; il se lève, et, à la lueur d'une lampe, il voit un des petits animaux se tournant et se retournant à droite et à gauche, avec un mouvement régulier, à la manière d'une vrille qui perce un trou; puis, après un certain temps, la pholade s'arrête, et un jet de poussière fine obscurcit l'eau du bocal; c'était le résidu de son travail, la partie du roc pulvérisé où elle avait pénétré, dont elle se débarrassait et qu'elle chassait au dehors. Et tour à tour le savant, attentif et charmé, surprend une à une les pholades accomplissant leur patient ouvrage, et se creusant leur demeure, l'arrondissant et la polissant, comme avec la râpe la plus délicate, sans autre instrument que leur coquille; et cette coquille, au lieu de se détériorer par le frottement continu, se développe à mesure que le travail avance; à la scie qui s'use une autre scie s'ajoute, puis une troisième, une quatrième, et ainsi de suite jusqu'à quarante, que M. Caillaud a comptées, et avec lesquelles le petit animal, à force de tourner et retourner sa frêle enveloppe, cette coquille que la pression d'un doigt d'enfant suffirait à briser, perce à jour le granit sur lequel s'émousse un ciseau de fer! phénomène admirable qui confond la sagesse humaine,
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Anonymous
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L'anorexie ne se résume pas à la volonté qu'ont certaines jeunes filles de ressembler aux mannequins, de plus en plus maigres il est vrai, qui envahissent les pages des magazines féminins. Le jeûne est une drogue puissante et peu onéreuse, on oublie souvent de le dire. L'état de dénutrition anesthésie la douleur, les émotions, les sentiments, et fonctionne, dans un premier temps comme une protection. L'anorexie restrictive est une addiction qui fait croire au contrôle alors qu'elle conduit le corps à sa destruction. J'ai eu la chance de rencontrer un médecin qui avait pris conscience de ça, à une époque où la plupart des anorexiques étaient enfermées entre quatre murs dans une pièce vide, avec pour seul horizon un contrat de poids.
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Delphine de Vigan (Rien ne s'oppose Ă la nuit)
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« J’imagine que vous avez déjà appris, par les journaux ou la radio, la nouvelle douloureuse de la mort de René Guénon, survenue dans la nuit du 7 au 8 janvier. J’ai reçu votre lettre le 8 janvier en même temps que la nouvelle de son agonie.
Le jour suivant j’apprenais qu’il était décédé. Il souffrait depuis plusieurs mois et avait cessé toutes ses correspondances vers la fin novembre. Il souffrait d’un œdème à une jambe, causé par des rhumatismes. En décembre le danger semblait complètement écarté, mais l’empoisonnement de son sang lui causa un abcès à la gorge et il semble que cela ait accéléré sa fin, si cela n’en fut pas la cause. Il y a eu des moments durant ses derniers mois où, comme je vous le disais, il était clair que je le dérangeais et que je le fatiguais ; sa résistance avait bien diminué. Mais il était lucide jusqu’à ses derniers instants.
« Voici quelques détails bien touchants : durant ses derniers jours, il semble qu’il savait qu’il allait mourir, et dans l’après-midi du 7 janvier il performa un dhikr très intense, soutenu de chaque côté par son épouse et un membre de sa famille. Les femmes étaient fatiguées et s’épuisèrent avant lui. Elles racontent que ce jour là , sa sueur avait l’odeur du parfum de fleurs. Finalement, il leur demanda avec insistance la permission de mourir, ce qui montre bien qu’il pouvait choisir le moment de sa mort. Les femmes le supplièrent de rester en vie plus longtemps. Finalement, il demanda à son épouse : « Ne puis-je mourir maintenant ? J’ai tellement souffert ! » Elle lui répondit en acquiesçant : « Avec la protection de Dieu ! » Il mourut alors presque immédiatement, après qu’il fit une ou deux invocations de plus !
« Quelques détails de plus : son chat, qui semblait en parfaite santé, a commencé à gémir et mourut quelques heures plus tard. Le jour de sa mort, René Guénon avait rendu son épouse perplexe en lui disant qu’après son décès elle devait laisser sa chambre inchangée. Personne ne devait toucher ses livres ou ses papiers. Il souligna qu’autrement il ne serait pas capable de la voir, elle et leurs enfants, mais dans cette chambre non perturbée il demeurerait assis à son bureau et il pourrait continuer à les voir, même si eux ne pourraient le voir ! »
– Michel Vâlsan, lettre à Vasile Lovinescu, 18 juin 1951.
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Michel Vâlsan
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Elle était là pourtant, mapuche depuis la nuit des temps, et les monstres qu'elle croyait bannir par sa seule volonté était revenus par la porte des Morts. Ils n'avaient jamais quitté terre : ils rampaient au plus juste, s'enfonçaient dans les plaies les plus fraîches, jouissant du mal ou en s'arrangeant, empreinte de l'âme humaine foulée par des dieux sans tête.
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Caryl FĂ©rey (Mapuche)
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Mon père suppliait du regard; il demandait encore une heur, encore quelques minutes, il avait encore quelque chose à me dire
-je demande que ton pardon me soit accordé... Après celui qui possède mon ame pourra l'emporter ou il veut, dans ses jardin fleuris, dans ses rivières paisibles, ou la jeter dans le cratère d'un volcan. mais avant, accorde-moi la grâce de l'oublie. c'est cela le pardon, tu es libre à présent.
va-t'en, quitte cette maison maudite, fais des voyages, vis!... vis! ... et ne retourne pas pour voir le désastre que je laisse. oublie et prends le temps de vivre...
oublie cette ville... en cette nuit j'ai su que ton déstin serais meilleurs que celui de toutes les femmes de ce pays.
je suis lucide, je n'invente rien. je vois ton visage auréollé d'une lumière extraordinaire. tu viens de naitre, cette nuit... tu es une femme... laisse ta beauté te guider. il n'y a plus rien à craindre. la nuit du destin te nome Zahra, enfant de l'éternité tu ees le temps qui se maintient dans le versant du silence... sur le sommet du feu ...parmi les arbres... c'est toi que je vois ma fille c'est toi qui me tend la main
Mon père suppliait du regard; il demandait encore une heur, encore quelques minutes, il avait encore quelque chose à me dire
-je demande que ton pardon me soit accordé... Après celui qui possède mon ame pourra l'emporter ou il veut, dans ses jardin fleuris, dans ses rivières paisibles, ou la jeter dans le cratère d'un volcan. mais avant, accorde-moi la grâce de l'oublie. c'est cela le pardon, tu es libre à présent.
va-t'en, quitte cette maison maudite, fais des voyages, vis!... vis! ... et ne retourne pas pour voir le désastre que je laisse. oublie et prends le temps de vivre...
oublie cette ville... en cette nuit j'ai su que ton déstin serais meilleurs que celui de toutes les femmes de ce pays.
je suis lucide, je n'invente rien. je vois ton visage auréollé d'une lumière extraordinaire. tu viens de naitre, cette nuit... tu es une femme... laisse ta beauté te guider. il n'y a plus rien à craindre. la nuit du destin te nome Zahra, enfant de l'éternité tu ees le temps qui se maintient dans le versant du silence... sur le sommet du feu ...parmi les arbres... c'est toi que je vois ma fille c'est toi qui me tend la main
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Tahar Ben Jelloun
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Mon père suppliait du regard; il demandait encore une heur, encore quelques minutes, il avait encore quelque chose à me dire
-je demande que ton pardon me soit accordé... Après celui qui possède mon ame pourra l'emporter ou il veut, dans ses jardin fleuris, dans ses rivières paisibles, ou la jeter dans le cratère d'un volcan. mais avant, accorde-moi la grâce de l'oublie. c'est cela le pardon, tu es libre à présent.
va-t'en, quitte cette maison maudite, fais des voyages, vis!... vis! ... et ne retourne pas pour voir le désastre que je laisse. oublie et prends le temps de vivre...
oublie cette ville... en cette nuit j'ai su que ton déstin serais meilleurs que celui de toutes les femmes de ce pays.
je suis lucide, je n'invente rien. je vois ton visage auréollé d'une lumière extraordinaire. tu viens de naitre, cette nuit... tu es une femme... laisse ta beauté te guider. il n'y a plus rien à craindre. la nuit du destin te nome Zahra, enfant de l'éternité tu ees le temps qui se maintient dans le versant du silence... sur le sommet du feu ...parmi les arbres... c'est toi que je vois ma fille c'est toi qui me tend la main
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Tahar Ben Jelloun (L'enfant de sable / La nuit sacrée)
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Il se laissait assoupir dans des odeurs de camphre et d'amandiers. Parfois, dans le calme de la nuit, il éprouvait la nostalgie du passé. Quand on évoquait devant lui l'adolescent rêvant à de fabuleux trésors, croyant à un destin extraordinaire, il ne se reconnaissait pas dans ce portrait. Il lui fallut beaucoup de temps avant de prêter à ces moments d'égarement les audaces délicieuses de la jeunesse.
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Miguel Bonnefoy (Black Sugar)
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Cette nuit-là , il est seul sans l’être vraiment, car les fantômes de son passé font sentir leur présence. Et le temps passe, comme il sait si bien le faire. Louis a perdu toute notion des heures. La nuit distend et tord le réel. Quand les premières lueurs de l’aube apparaissent, il est épuisé.
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Julie Turconi (Les Marches)
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Mais ils dormaient déjà , en vérité, et tout ce temps ne fut qu'un long sommeil. La ville était peuplée de dormeurs éveillés qui n'échappaient réellement à leur sort que ces rares fois où, dans la nuit, leur blessure apparemment fermée se rouvrait brusquement. Et réveillés en sursaut, ils en tâtaient alors, avec une sorte de distraction, les lèvres irritées, retrouvant en un éclair leur souffrance, soudain rajeunie, et, avec elle, le visage bouleversé de leur amour. Au matin, ils revenaient au fléau, c'est-à -dire à la routine.
Mais de quoi, dira-t-on, ces séparés avaient-ils l'air ? Eh bien, cela est simple, ils n'avaient l'air de rien. Ou, si on préfère, ils avaient l'air de tout le monde, un air tout à fait général. Ils partageaient la placidité, et les agitations puériles de la cité. Ils perdaient les apparences du sens critique, tout en gagnant les apparences du sang-froid. On pouvait voir, par exemple, les plus intelligents d'entre eux faire mine de chercher comme tout le monde dans les journaux, ou bien dans les émissions radiophoniques, des raisons de croire à une fin rapide de la peste, et concevoir apparemment des espoirs chimériques, ou éprouver des craintes sans fondement, à la lecture de considérations qu'un journaliste avait écrites un peu au hasard, en bâillant d'ennui. Pour le reste, ils buvaient leur bière ou soignaient leurs malades, paressaient ou s'épuisaient, classaient des fiches ou faisaient tourner des disques sans se distinguer autrement les uns des autres. Autrement dit, ils ne choisissaient plus rien. La peste avait supprimé les jugements de valeur. Et cela se voyait à la façon dont personne ne s'occupait plus de la qualité des vêtements ou des aliments qu'on achetait. On acceptait tout en bloc.
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Albert Camus (The Plague)
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C'était une vie sans but et faite avec des jours ajoutés. Plus rien n'était mauvais, à cause de l'habitude, mais surtout plus rien n'était bon. Autrefois, il connaissait le repos de chaque soir, après avoir battu le fer, et s'asseoir, dormir, se reformer pour le lendemain, cela même était un but, cela séparait la nuit du jour et semblait illustrer la vie. Mais les longs repos, la paresse entrant dans la chair, la décomposition de la chair par la paresse! Le temps coule comme dans les conques marines, monotone et bête, en souvenir de la mer et des galets et l'on entend dans sa tête comme une fuite sans cause. Le temps s'en va son train et ressemble aux chiens errants qui trottinent en baissant l'oreille.
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Charles-Louis Philippe (Le Père Perdrix (Littérature Française) (French Edition))
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Oniria était le monde où se déroulaient les rêves et les cauchemars des humains. Un monde immense où les êtres, les objets et les lieux nés de l'imagination des dormeurs continuaient d'exister après que leurs créateurs s'étaient réveillés. Un monde fantastique où les elfes et les princesses de contes de fées côtoyaient les monstres les plus féroces dans un joyeux désordre. Un monde où l'on pouvait boire de la bonne humeur ou cueillir un tabouret. Un monde où l'on pouvait partir à la recherche d'authentiques trésors gardés par des dragons, ou encore remonter le temps pour rencontrer les Incas. Les seules limites étaient celles de l'imagination des dormeurs qui créaient Oniria, nuit après nuit, grâce à la poudre étincelante que le Marchand de Sable leur distribuait pour les faire rêver.
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B.F. Parry (Le Royaume des rĂŞves (Oniria,#1))
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le corps est une fulgurance, un advenu qui devrait être pressenti, narré, aimé par celle ou celui qui l'habite, avant que les autres ne s'y intéressent, l'extorquent, l'écrasent, puis le traînent dans un ravin où d'autres pourrissent depuis la nuit des temps…
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Makenzy Orcel (Une somme humaine)
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Le temps est caoutchouteux quand on a peur, il ressemble au tableau de Dali, il fond, il se déforme, il dégouline et on ne sait si c'est le jour ou la nuit, si ce sont des minutes qui s'écoulent ou des heures entières.
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Nathacha Appanah (Rien ne t'appartient)
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Voilà ce à quoi il aspire : épouser la sérénité de la forêt. Être présent au monde, imprégné de ses odeurs, de l'essence entêtante du pin et des embruns remontant de l'océan - rien ne compte plus que cette osmose-là . Hors du temps. Si loin des villes, des enjeux de pouvoir et d'argent, où les citadins sans racines se laissent bercer par l'illusion que tout s'achète, même le temps.
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Marie Charrel (Les Mangeurs de nuit)
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Car une femme et un homme qui, jusqu'à la fin des temps, doivent être toi et moi, glisseront à leur tour sans se retourner jamais jusqu'à perte de sentier, dans la lueur oblique, aux confins de la vie et de l'oubli de la vie, dans l'herbe fine qui court devant nous à l'arborescence. Elle est, cette herbe dentelée, faite de mil liens invisibles, intranchables, qui se sont trouvés unir ton système nerveux au mien dans la nuit profonde de la connaissance.
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André Breton
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Il regarde autour de lui la ville dans la nuit, les silhouettes tranquilles des passants, ses bâtiments, ses éclairages, les voitures qu'il croise, les feux aux carrefours, égrenant, imperturbables, leur code de couleurs, tout cet ordonnancement, ce décorum nocturne, opérationnel de la civilisation industrielle, et il se demande comment tout ça tient encore debout, tous ces réseaux, cette énergie, cet assemblage complexe, tant cela lui semble relever d'un château de cartes auquel on en rajoute sans cesse une autre puis une autre en pariant sur la stabilité de l'ensemble. Il est persuadé, Jourdan, que ça va se casser la gueule, que les lumières s'éteindront, que les images saturant les écrans, les voix surgies du lointain n'arriveront plus nulle part, perdues dans d'infranchissables distances comme ces oueds absorbés par le désert. Il ne sait pas quand ni comment mais il est sûr que ça se produira, chaos climatique, incendies géants, épidémies, les conjugaisons du pire sont déjà imprimées, leurs règles implacables connues de tous, au futur exclusivement. Temps barbare vers quoi on apprend encore des enfants à marcher.
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Hervé Le Corre (Traverser la nuit)
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Mais il serait peut-être bon, il serait peut-être temps de se demander si la perfection n'est pas dans l'enfance, si l'adulte n'est pas qu'un enfant qui a déjà commencé à pourrir
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René Barjavel (La nuit des temps)
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Nous ne sommes pas paresseux.
Nous prenons seulement le temps de vivre. Ce qui n'est pas le cas des Occidentaux. Pour eux, le temps, c'est de l'argent. Pour nous, le temps, ça n'a pas de prix. Un verre de thé suffit à notre bonheur, alors qu'aucun bonheur ne leur suffit.
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Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă la nuit)
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Je tourne en rond autour d'un abîme, funambule sur le fil du rasoir, volcanologue halluciné au bord d'un cratère en ébullition ; je suis aux portes de la mémoire, ces infinies bobines de rushes qui nous archivent, ces grands tiroirs obscurs où sont stockés les héros ordinaires que nous avons été, les mythes camusiens que nous n'avons pas su incarner, enfin les acteurs et les figurants que nous fûmes tour à tour, géniaux et grotesques, beaux et monstrueux, ployés sous le fardeau de nos petites lâchetés, de nos faits d'armes, de nos mensonges, de nos aveux, de nos serments et nos abjurations, de nos bravoures et nos défections, de nos certitudes et nos doutes ; bref, de nos indomptables illusions... Que garder de ces rushes en vrac ? Que rejeter ? S'il n'y avait qu'un seul instant de notre vie à emporter pour le grand voyage, lequel choisir ? Au détriment de quoi et de qui ? Et surtout, comment se reconnaître au milieu de tant d'ombres, tant de spectres, de tant de titans ?... Qui sommes nous au juste ? Ce que nous avons été ou bien ce que nous aurions aimé être ? Le tord que nous avons causé ou bien celui que nous avons subi ? Les rendez-vous que nous avons ratés ou les rencontres fortuites qui ont dévié le cours de notre destin ? Les coulisses qui nous ont préservés de la vanité ou bien les feux de la rampe qui nous ont servi de bûchers ? Nous sommes tout cela et en même temps, toute la vie qui a été la nôtre, avec ses hauts et ses bas, ses prouesses et ses vicissitudes ; nous sommes aussi l'ensemble des fantômes qui nous hantent... nous sommes plusieurs personnages en un, si convaincants dans les différents rôles que nous avons assumés qu'il nous est impossible de savoir lequel nous avons été vraiment, lequel nous sommes devenus, lequel nous survivra.
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Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă la nuit)
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Journal de Kitty Winthrop
Samedi 30 mars 1940
Cette guerre dure depuis beaucoup trop longtemps – bien plus de six mois maintenant. La vie est devenue insupportable. Tout le monde s’active, il n’y a rien à manger, pas de nouveaux vêtements, pas de domestiques, pas de lumière après la tombée de a nuit et pas d'hommes. Il faut traîner partout son masque à gaz et filer aux abris antiaériens chaque fois qu’on entend les sirènes (bien qu’elles ne se soient pas déclenchées souvent jusqu’ici). Tous les soirs, on est obligés de tirer d’épais rideaux noirs pour occulter toutes les fenêtres afin qu’il ne filtre aucune lumière susceptible d’attirer l’œil des nazis sur l’endroit où nous habitons. On entend les nouvelles à la radio sur fond d’interminable friture, et tout le monde passe son temps à dire « chut » et à m’empêcher de jouer du piano.
Journal de Mrs. Tilling
Samedi 3 août 1940
Nous venons de vivre deux jours atroces. J’ai vraiment un mauvais pressentiment à propos de cette guerre, celui que nous allons être vaincus et perdre notre pays, notre culture, notre liberté. Que nous allons tout donner, toute notre énergie au combat, tous nos espoirs, nos rêves, tout donner de nous-mêmes. Et que les nazis arriveront et qu’il ne restera rien. Nous ne serons que des squelettes sans substance, nous les laisserons nous piétiner, diriger nos vies, notre quotidien, nos enfants – si tant est qu’il nous en reste.
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Jennifer Ryan (The Chilbury Ladies' Choir)
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Vivre les malheurs d'avance, c'est les subir deux fois.
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René Barjavel (La Nuit des temps)
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Cette nuit-là , l'otage s'était fort amusé de voir un enfant aux yeux d'antilope et un grand adolescent borgne monter la garde à sa porte, kalachnikov sous le coude. Il demanda au plus petit s'il aimait la guerre et, désignant un rossignol en pleine sérénade quelque part à l'ombre des branches, si l'on devait accorder la même valeur à la vie humaine qu'à ce chant au clair de lune. Les doigts noués sur les bambous de sa prison, l'otage évoqua la grâce d'un temps sans servitude. Alam le Borgne qui l'écoutait bouche bée manifesta une perplexité railleuse. De quelle grâce parlait-il? Y avait-il eu seulement un temps avant la guerre? "Les habitants de cette planète devraient changer leurs méthodes, répondit calmement le Bengali. Toutes les créatures de Dieu sont faites pour l'amour, les humains et les moutons, les poissons de la mer, les chacals et les rossignols. Le bonheur appartient à celui qui s'abstient de blesser ce qui vit, même le papillon. C'est la seule prière utile. Celui qui s'abstient de tuer, même une mouche, ne connaît pas la peur. Il ne provoque aucune détresse chez les autres créatures. À peine coupables sont ceux qui commettent des atrocités sans fin, car l'ignorance est la première des violences..." Terriblement amusé, Alam brandit son pistolet-mitrailleur contre la gorge de l'otage: "Et si je t'abattais comme un chien, le monde en sera-t-il changé d'un cheveu?" Le prisonnier hocha la tête avec bonhomie. "Sûrement, dit-il. Dans les yeux de ton jeune collègue, par exemple!" Alam le Borgne rabattit le canon de son arme en pouffant. "Mon collègue? dit-il. Ah! Ce diable de petit frère! À onze ans, il est plus terrible que le commandant Muhib en personne!
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Hubert Haddad (Opium Poppy)
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C’est l’instant où le malade qui a été obligé de partir en voyage et a dû coucher dans un hôtel inconnu, réveillé par une crise, se réjouit en apercevant sous la porte une raie de jour. Quel bonheur ! c’est déjà le matin ! Dans un moment les domestiques seront levés, il pourra sonner, on viendra lui porter secours. L’espérance d’être soulagé lui donne du courage pour souffrir. Justement il a cru entendre des pas ; les pas se rapprochent, puis s’éloignent. Et la raie de jour qui était sous sa porte a disparu. C’est minuit ; on vient d’éteindre le gaz ; le dernier domestique est parti et il faudra rester toute la nuit à souffrir sans remède.
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Marcel Proust (Du côté de chez Swann : Édition intégrale (À la recherche du temps perdu, #1&4-6))
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Les longues nuits semblaient ne s'écarter qu'à regret de la ville, pour quelques heures. Une grise lumière d'aube ou de crépuscule filtrant à travers le plafond de nuées d'un blanc sale se répandait alors sur les choses comme le reflet appauvri d'un lointain glacier. La neige même, qui continuait à tomber, était sans lumière. Cet ensevelissement blanc, léger et silencieux s'étendait à l'infini dans l'espace et le temps. Il fallait déjà allumer les veilleuses vers trois heures. Le soir épaississait sur la neige des tons de cendre, des bleus opaques, des gris tenaces de vieilles pierres. La nuit s'imposait, inexorable et calmante : irréelle. Le delta reprenait dans ces ténèbres sa configuration géographique. De noires falaises de pierre, cassées en angles droits, bordaient les canaux figés. Une sorte de phosphorescence sombre émanait du large fleuve de glace.
Parfois les vents du nord, venus du Spitzberg et de plus loin encore, du Groenland peut-être, peut-être du pôle par l'Océan arctique, la Norvège, la mer Blanche, poussaient leurs rafales sur l'estuaire morne de la Neva. Le froid mordait
tout à coup le granit, les lourdes brumes venues du sud par la Baltique s'évanouissaient tout à coup et les pierres, la terre, les arbres dénudés se couvraient instantanément de cristaux de givre dont chacun était une merveille à peine visible, faite de nombres, de lignes de force et de blancheur. La nuit changeait de face, dépouillant ses voiles d'irréalité. L'étoile polaire apparaissait, les constellations ouvraient l'immensité du monde. Le lendemain, les cavaliers de bronze sur leurs socles de pierre, couverts d'une poudre d'argent, semblaient sortir d'une étrange fête ; les hautes colonnes de granit de la cathédrale Saint-Isaac, son fronton peuplé de saints et jusqu'à sa massive coupole dorée, tout était givré. Les façades et les quais de granit rouge prenaient, sous ce revêtement magnifique, des teintes de cendre rose et blanche. Les jardins, avec les filigranes purs de leurs ■branchages, paraissaient enchantés. Cette fantasmagorie ravissait les yeux des gens sortis de leurs demeures étouffantes ainsi qu'il y a des millénaires, les hommes vêtus de fourrures sortaient peureusement l'hiver des chaudes cavernes pleines d'une bonne puanteur animale.
Pas une lumière dans des quartiers entiers. Des ténèbres préhistoriques.
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Victor Serge
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Devant l'Opéra, la foule s'était dispersée, il ne restait qu'une dizaine de passants et un petit groupe de viveurs qui buvaient bruyamment dans un coin de la Grand-Place. Je me postai près de la fontaine, restant en selle tandis que les chiens se dispersaient pour chercher la trace olfactive de ma femme. Le temps sembla se suspendre tandis que les bêtes entraient dans les ruelles et en sortaient, flairant des milliers de pistes sans détecter la bonne. La nuit avançait sans qu'ils la repèrent, une rage sourde me tenait droit malgré des relents d'ivresse, l'agressivité des chiens m'enflammait et je me surpris à désirer la mort de Phélie comme j'aurais souhaité celle d'un animal mystique – un éléphant blanc ou un cerf à trois bois –, non seulement pour le plaisir du meurtre, mais en me figurant ce sacrifice comme la métaphore d'un geste plus grand. L'horloge du campanile sonna une heure. Il se mit à tomber une neige pâteuse qui collait aux vêtements, mais fondait sur le pelage ras des mâtins, et la température chuta. Les chiens écumaient, une buée blanchâtre s'exhalait de leur robe rendue moite par l'effort et quand, enfin, le braque halena Phélie et rappela à son côté les quatre autres bêtes, il poussa un hurlement terrible qui effraya les derniers passants. Les pharaons se précipitèrent au devant du grand chien gris, lui ouvrant le chemin comme à un empereur, et l'escadron s'engouffra dans une ruelle étroite où je le suivis avec peine.
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Audrée Wilhelmy (Les sangs)
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Je retrouve ma ville et je reste bouche bee. J'avais oublie sa beaute lascive, brunie par le soleil. Rome, ville superbe ou les hommes se deplacent avec la suavite des chats. Rome, aux murs ochre et aux statues d'eternite ou les bougainvilliers mangent avec harmonie les facades des palais. Rome, ou tout est patine par le temps et la douceur du ciel. Rome, ou cent mille esclaves s'echangent, jour et nuit, les odeurs de l'Empire. Rome, ville crasseuse de la puanteur de ses marches et luxueuse de l'or de ses conquetes.
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”
Laurent Gaudé (Les Oliviers du Négus)
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Et il regrettait de ne pas avoir plus de mains, plus de lèvres pour lui faire partout plus de joies à la fois.
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René Barjavel (La Nuit des temps)
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—Vous êtes bien? demanda Coban.
Elle ne le regarda mĂŞme pas. Elle savait qu'il savait.
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René Barjavel (La Nuit des temps)
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Les formes paraissaient Ă©tranges parce qu'elles Ă©taient inconnues.
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René Barjavel (La Nuit des temps)
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—Écoutez, Coban, c'est terminé.
—C'est commencé...
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René Barjavel (La Nuit des temps)
“
Ils et elles, poussés par leur instinct vers une nouvelle naissance, s'enfermaient, avant l'expulsion, dans des matrices chaudes et demi-obscures où, secoués par des pulsations sonores, ils perdaient les derniers fragments de préjugés et de conventions qui leur collaient encore par-ici et par-là aux articulations, au sexe ou à la cervelle.
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”
René Barjavel (La Nuit des temps)
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Notre seule défense contre eux était de leur faire peur. Mais nous leur avoins fait TROP PEUR!...
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René Barjavel (La Nuit des temps)
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La loyauté de chacun d'eux —dont personne ne doutait— serait garantie par la présence des autres.
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René Barjavel (La Nuit des temps)
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Je crois que c'est ça que je reproche aux livres, en général, c'est qu'ils ne sont pas libres. On le voit à travers l'écriture : ils sont fabriqués, ils sont organisés, réglementés, conformes on dirait. Une fonction de révision que l'écrivain a très souvent envers lui-même. L'écrivain, alors il devient son propre flic. J'entends par là la recherche de la bonne forme, c'est-à -dire de la forme la plus courante, la plus claire et la plus inoffensive. Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes : des livres "charmants", sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit : sans véritable auteur. Des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des livres qui s'incrustent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute vie, le lieu commun de toute pensée.
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Marguerite Duras
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Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face Ă face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des Ă©ternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
”
”
Guillaume Apollinaire
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L'idée qu'on puisse enseigner sans difficulté tient à une représentation éthérée de l'élève. La sagesse pédagogique devrait nous représente le cancre comme l'élève le plus normal qui soit : celui qui justifie pleinement la fonction de professeur puisque nous avons tout à lui apprendre, à commencer par la nécessité même d'apprendre ! Or, il n'en est rien. Depuis la nuit des temps scolaires l'élève considéré comme normal est l'élève qui oppose le moins de résistance à l'enseignement, celui qui ne douterait pas de notre savoir et ne mettrait pas notre compétence à l'épreuve, un élève acquis d'avance, doué d'une compréhension immédiate, qui nous épargnerait la recherche des voies d'accès à sa comprenette, un élève naturellement habité par la nécessité d'apprendre, qui cesserait d'être un gosse turbulent ou un adolescent à problèmes pendant notre heure de cours, un élève convainc dès le berceau qu'il faut juguler ses appétits et ses émotions par l'exercice de sa raison si on ne veut pas vivre dans une jungle de prédateurs, un élève assuré que la vie intellectuelle est une source de plaisirs qu'on peut varier à l'infini, raffiner à l'extrême, quand la plupart de nos autres plaisirs sont voués à la monotonie de la répétition ou à l'usure du corps, bref un élève qui aurait compris que le savoir est la seule solution : solution à l'esclavage où nous maintiendrait l'ignorance et consolation unique à notre ontologique solitude. (p. 268-269)
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”
Daniel Pennac (Chagrin d'Ă©cole)
“
Autrement, à la distance où je suis de vous, de même qu'à celle où vous êtes les uns des autres, toute existence apparaît sans aucune espèce de signification, sans aucune raison d'être d'aucune espèce. Chaque existence est un problème insoluble. Les voisins de palier rangés verticalement dans les immeubles, on se demande comment c'est possible et on fait partie des rangées.
Ce qui remplit le temps c'est vraiment de le perdre.
Tous ces jeunes qui sont plantés devant les églises, les places publiques, Darty, le Forum des Halles, et qui attendent, finalement ça fait moins de mal à voir que les rangements de travailleurs dans les HLM des portes de Paris, que les sonneries des réveille-matin dans la nuit de l'hiver afin d'aller travailler pour continuer à être vivant.
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Marguerite Duras (Practicalities)
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Nous avons déjà parlé de la notion temporelle propre à chaque saison, l'été étant l'époque où il ne faut plus attendre, quand la récolte est mûre, pour la recueillir. J'ai ainsi connu des étés bretons où les pluies risquaient de gâcher le travail de toute une année; les Recteurs, en chaire, autorisaient exceptionnellement le travail le dimanche. Cette période de récolte n'est pas une phase tranquille où il suffit de contempler les champs de blé mûr, mais une période de travail impératif pour mettre la récolte à l'abri à temps. Les cultivateurs de l'époque -- comme maintenant -- n'avaient pas toujours leur temps normal de sommeil; l'été, quand il fallait suivre les battages de ferme en ferme, les paysans finissaient à la nuit pour reprendre à l'aube dans la ferme suivante, ce qui ne les empêchait pas, d'ailleurs, d'aller au bal le samedi et d'y gagner une nouvelle nuit blanche.
La récolte n'attends pas, « quand le vin est tiré, il faut le boire » ; si le fruit du travail psychologique n'est pas engrangé en temps voulu, il risque d'être perdu. Psychologiquement, on peut dire que si le sujet ne prends pas conscience de certains progrès, de certains évolutions, aux moments où ceux-ci se présentent, ils risquent d'être perdus et de repartir dans l'inconscient. Il faudra un nouveau cycle pour retrouver à nouveau les solutions négligées. Il est nécessaire de reconnaître que les choses ont changé. Ainsi, en faisant avec quelqu'un le bilan d'une année d'entretiens et en se reportant aux problèmes qui se posaient un an plus tôt, il est possible de mesurer le chemin parcouru, de s'apercevoir que des problèmes, cruciaux alors, sont pasés au second plan et ont été résolus. Il est permis d'espérer que les nouvelles questions qui se posent trouveront elles aussi leurs réponses. Ainsi, le sujet n'a pas l'impression de nager continuellement dans la même problématique, comme s'il tournait en rond, et pourra même découvrir que si certains questions reviennent à l'ordre du jour, elles le font selon un mouvement spirale qui ne pose plus de problèmes de la même façon que l'année précédente. C'est la prise de conscience du chemin parcouru hier qui peut donner le courage d'en entreprendre un nouveau demain.
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Marie-Claire Dolghin-Loyer
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Bien qu’ils aient joué un rôle capital pendant le siège, on n’a pas sans doute assez insisté sur l’aide précieuse que les chiens de guet ont apportée aux défenseurs du Mont. On le comprendra mieux si l’on observe que, en plus des remparts couvrant la partie est et sud-est du Mont, il fallait aussi surveiller, de nuit surtout pour éviter toute surprise, les escarpements rocheux de l’ouest, et la pente nord, de part et d’autre de l’escalier fortifié de la fontaine Saint-Aubert (le petit bois qui la couvre n’existait pas alors) ; et que, pour la surveillance d’un aussi vaste périmètre, les hommes astreints au guet étaient peu nombreux. C’est pourquoi de tout temps, des chiens de garde, que l’on lâchait la nuit autour du Mont, complétaient les rondes et surveillaient les grèves sur tout le pourtour de l’île. Ces chiens étaient vraisemblablement des dogues. Le document le plus détaillé que nous ayons sur eux est de quelques années postérieur au siège. C’est le mandement que signa Louis XI, après son troisième pèlerinage au Mont en 1473 : « (Le sire du Bouchage) nous a dit et remontré que, pour la garde et sûreté de notre place du Mont-Saint-Michel, on a de tout temps accoutumé avoir et nourrir audit lieu certain nombre de grands chiens, lesquels sont par jour attachés et liés, et de nuit sont menés tous détachés hors de ladite place et à l’entour d’icelle pour, au long de la nuit, servir au guet et garde d’icelle place ; nous avons veu à l’ueil et congneu que la nourriture et entretien desdits chiens est très fort utile et profittable à la garde de la place dudit Mont-Saint-Michel, pour ces causes… avons voulu et octroyé par ces présentes… que le lieutenant dudit seigneur… ayt et praigne dorénavant par chacun an de la somme de 25 livres tournois des deniers de la revenue de notre vicomté d’Avranches… ».
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Nicolas Goujon (Le Mont Saint-Michel : Mille Ans d'Histoire et de Ferveur)
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Les livres sont comme un voyage dans le temps. Tous les vrais lecteurs savent cela. Mais ils ne vous ramènent pas seulement à l’époque où ils ont été écrits, ils peuvent aussi vous ramener à d’autres versions de vous-même. La dernière fois que j’avais ouvert le livre que je tenais entre les mains, je devais avoir onze ou douze ans. J’aime à penser que c’était l’été et que je veillais à une heure tardive, dans ma chambre exiguë, sous un simple drap, un moustique bourdonnant sûrement dans un coin de la pièce. Mon père écoutait ses disques dans le salon, trop fort, en fonction de son degré d’ébriété. La plupart des nuits se terminaient de la même façon, ma mère lui baissant sa musique - généralement du jazz, même s’il lui arrivait d’écouter des groupes de fusion, comme Frank Zappa ou Weather Report - et mon père râlant qu’elle ne le comprenait pas. Mais tout cela n’était qu’un bruit de fond, car je n’étais plus vraiment là , dans ma chambre. J’étais en Floride, en 1963, traînant parmi les promoteurs immobiliers véreux, les divorcées sexy, à boire de grands verres de bourbon. Et voilà qu’aujourd’hui, à bientôt quarante ans, mes yeux lisaient les mêmes mots, mes mains tournaient les mêmes pages que près de trente ans plus tôt, ces pages qu’un homme d’affaires ou une ménagère avaient tournées il y avait cinquante ans. Un voyage dans le temps.
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Peter Swanson
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Depuis la révolution numérique, et peut-être même depuis la révolution industrielle, nous sommes des papillons de nuit fonçant vers une flamme. L’accélération civilisationnelle par la technologie est un progrès sans retour d’expérience du temps. Directement de l’iPad à l’Ehpad.
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Fabien Maréchal, L'Attendeur (de Première classe)
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Le photographe Hessling, ancien étudiant du Bauhaus, faisait la guerre, en 1943, dans les armées de son pays. La nuit de Noël, au village de Novimgorod, tous les habitants reçurent l'ordre de sortir dans la neige et de chanter leurs cantiques à la lueur des flambeaux tandis que les SS crucifiaient une jeune femme sur la porte de l'église. Son agonie dura la nuit entière. Au lever du jour, la beauté surnaturelle de son visage était inondée de sourire et de larmes. Hessling s'approcha, s'agenouilla et, comme elle semblait dire oui, il la photographia. Peu après, il était exécuté à Kiev comme anti-nazi, traître à l'Allemagne. Il avait eu le temps de remettre son négatif à Wolfgang Borchert. Hessling savait qu'aucune photographie dans le monde ne pouvait être comparée à celle-ci. Il fit promettre à Borchert de la développer au retour de la guerre, de la regarder, puis de la jeter dans l'Elbe, afin que jamais, dans aucun musée, on ne pût s'arrêter et contempler cette crucifixion. Même avec des larmes. C'est peut-être en pensant à cela que Maurice Blanchot, beaucoup plus tard, note dans L'écriture du désastre : "Il y a une limite où l'exercice d'un art, quel qu'il soit, devient une insulte au malheur.
Autoportrait en lecteur (page 60)
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Marcel Cohen
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Dans cet espace, où les masses de pierre semblent écraser tout, la source se montre si frêle, qu’il ne serait pas étonnant que sa vie s’éteignît un instant après. Étonnante est, au contraire, la témérité avec laquelle elle affirme son existence face aux pics altiers. Dans la nuit saisie d’étonnement, l’Olt commence son histoire, digne d’être écoutée, dans un recueillement absolu, par les montagnes, par les hommes, par l’univers entier.
À l’éternité des montagnes, il oppose une autre éternité : celle de l’eau qui jaillit du rocher et qui, par ce dont elle est composée, est plus vieille que toutes les montagnes réunies. Des centaines et des milliers de siècles sont condensés dans le chuchotement de la source, l’un sous l’autre, remontant de plus en plus loin, jusque dans la nuit et avant la nuit des temps. Dans ce lit d’ères, l’eau coule sur son passé, comme sur une roche gigantesque, dont la couche la plus profonde remonte à l’instant où la terre s’est détachée du soleil.
C’est alors qu’elle a commencé à exister, et, depuis lors, dans chaque molécule et dans son énorme totalité, elle est restée la même. Le mince filet de l’Olt provient directement des masses liquides géantes qui ont recouvert la planète, à l’époque où les continents étaient encore loin de naître. Depuis, dans les ruisseaux, dans les fleuves, dans les mers, l’eau est restée la même : élémentaire, unique.
(traduction Dolores Toma)
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Geo Bogza (Cartea Oltului)
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Le directeur du "Musée des monstres végétaux", M. Valeriu Pop-Poenari, se réveilla de très bon matin, après une nuit agitée et pleine de cauchemars. Il avait discuté à la veille, à une agape avec des amis de politique, la situation du gouvernement et il avait été de l'avis de tout le monde, c'est-à -dire qu'un remaniement ministériel était non seulement rapidement exigé par les circonstances, mais aussi salutaire pour le parti. La discussion avait continué, mais le directeur du "Musée des monstres végétaux" était discrètement sorti de ses méandres et, en faisant semblant de parler dans une chambre à côté avec un collègue de l'université, il avait laissé à trois chaleureux amis le soin de soutenir qu'un remaniement ministériel sans Valeriu Pop-Poenari serait une trompeuse tentative de redressement. Les trois amis avaient parlé éloquemment et le milieu politique avait gardé, paraît-il, la conviction qu'il fallait que Valeriu Pop-Poenari devînt ministre. C'est pourquoi l'illustre homme de science, directeur du musée et professeur universitaire avait mal dormi.
Bien qu'il fût très habitué aux succès et aux honneurs, bien qu'il fût un enfant chanceux de sa patrie, le directeur du "Musée des monstres végétaux" attendait depuis assez longtemps ce dernier honneur que la patrie reconnaissante pouvait encore lui accorder. (Il n'était pas membre de l'Académie jusqu'à présent, mais l'immortalité académique le tentait peu.) Ministre ! il voulait être ministre et depuis dix ans il attendait toujours. Jamais il n'avait attendu si longtemps jusqu'à présent. Tous les souhaits, les ambitions et les aspirations de sa vie avaient été couronnées à temps et pleinement : la bourse au lycée, la bourse à la faculté, la bourse à l'étranger, la chaire universitaire, le "Musée des monstres végétaux" et –ce n'est ici qu'ici qu'un petit embarras avait surgi– le mariage, avec la dot d'un million environ.
(En route pour le portefeuille)
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Gala Galaction (Nouvelles et récits)
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Sinaia
(II)
Les montagnes font un tourbillon d'eau contre ta joue ;
tu en détaches le bouquet mouillé sur les sapins
aux genoux ployés, à la crinière de nuit,
chevaux rétifs, hennissants et captifs.
Sur les bords de l'Ă©tang aux longs cils,
je sais des rires de femmes engloutis
et des regards limpides verdis comme la terrine.
Une flamme annonce l'imminence du vide,
et le chemin cerne l'Ă©tang, comme un couteau.
Que de sang ! Le temps, le temps Ă©clate sur le couchant ;
la forĂŞt a ce soir la folle effervescence de la bonde.
Les cerfs ne savent rien de l'automne roux,
et dans leur sommeil, âmes de feuille aux pieds nus,
ils rêvent limiers, cors et chasseurs redoutés,
venus s'emparaient du bocage, de ses bois, de ses sabots –
et la forĂŞt, abattue, pleure, les narines palpitantes.
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Benjamin Fondane (Privelisti -si inedite-)
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« Jamais plus je ne m'isolerai des humains, quoi qu'il arrive. Je souffrirai avec eux, en même temps qu'eux, par compassion pour eux », pensa-t-elle, comprenant qu'elle n'était pas exceptionnelle et qu'à toute créature humaine qui, malgré les échecs, trouve en elle la force de chercher et de comprendre, il était donné de connaître la joie.
Ana sut qu'elle était libre enfin, prête à accepter la vie, et elle se sentit envahie par un sentiment de gratitude à l'égard de Zoé qui, elle aussi, tout en détruisant sa propre existence, avait pu la guider entre le jour et la nuit.
(p. 286)
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Henriette Yvonne Stahl (ĂŽntre zi Ĺźi noapte)
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On ne saurait taxer d'irréalité ce qui m'arrive la nuit. Ce n'est pas des rêves : mon emploi du temps m'interdit tout sommeil, ma charge est de veiller sur les choses endormies. Sitôt enfuie la débandade écervelée du personnel diurne, et closes les portes, et tirés les lourds vantaux du soir, rien ne se meut dans l'ombre que n'enregistre immédiatement mon œil aux aguets.
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Marcel BĂ©alu (Les messagers clandestins)
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Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait établi son camp et élevé des retranchements à Kai-hia : ses soldats étaient mal nourris et épuisés. L’armée de Han et les troupes des seigneurs renfermèrent dans un cercle de plusieurs rangs d'épaisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans l’armée de Han, on chantait des chants de Tch’ou ; il en fut fort effrayé et dit : « Han a-t-il gagné à lui toute la population de Tch’ou ? Comment va-t-il tant de gens de Tch’ou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommée Yu qui toujours l’accompagnait, et un excellent cheval nommé Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses généreux regrets; il fit sur lui-même ces vers :
« Ma force déracinait les montagnes ; mon énergie dominait le monde ;
Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ;
Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ?
Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? »
Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait d’abondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun d’eux ne pouvait lever la tête pour le regarder.
Puis le roi Hiang monta à cheval, et, avec une escorte d’environ huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, à la tombée de la nuit, le cercle qui l’enserrait, sortit du côté du sud, et galopa jusqu’au jour…
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China, Sima Qian, Xiang Yu
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Le roi Hiang (Xiang Yu n.n.) avait établi son camp et élevé des retranchements à Kai-hia : ses soldats étaient mal nourris et épuisés. L’armée de Han et les troupes des seigneurs renfermèrent dans un cercle de plusieurs rangs d'épaisseur. De nuit, le roi Hiang entendit que de toutes parts, dans l’armée de Han, on chantait des chants de Tch’ou ; il en fut fort effrayé et dit : « Han a-t-il gagné à lui toute la population de Tch’ou ? Comment va-t-il tant de gens de Tch’ou ? » Le roi Hiang se leva alors pendant la nuit pour boire dans sa tente ; il avait une belle femme, nommée Yu qui toujours l’accompagnait, et un excellent cheval nommé Tchoei, que toujours il montait ; le roi Hiang chanta donc tristement ses généreux regrets; il fit sur lui-même ces vers :
« Ma force déracinait les montagnes ; mon énergie dominait le monde ;
Les temps ne me sont plus favorables ; Tchoei ne court plus ;
Si Tchoei ne court plus, que puis-je faire ?
Yu ! Yu ! Qu'allez-vous devenir ? »
Il chanta plusieurs stances et sa belle femme chantait avec lui. Le roi Hiang versait d’abondantes larmes ; tous les assistants pleuraient et aucun d’eux ne pouvait lever la tête pour le regarder.
Puis le roi Hiang monta à cheval, et, avec une escorte d’environ huit cents cavaliers excellents de sa garde, il rompit, à la tombée de la nuit, le cercle qui l’enserrait, sortit du côté du sud, et galopa jusqu’au jour…
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Sima Qian (Mémoires historiques - Deuxième Section (French Edition))