â
Un jour, j'ai vu le soleil se coucher quarante-trois fois!»
Et un peu plus tard tu ajoutais:
«Tu sais... quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil...
- Le jour des quarante-trois fois tu Ă©tais donc tellement triste?
Mais le petit prince ne répondit pas.
â
â
Antoine de Saint-Exupéry (Le Petit Prince)
â
Fuir, toujours, et courir sans relĂąche. Et puis, un jour, s'arrĂȘter pour dire Ă quelqu'un, en le regardant droit dans les yeux : c'est toi dont j'ai besoin, vraiment. Et le croire.
â
â
FrĂ©dĂ©ric Beigbeder (L'ĂgoĂŻste romantique)
â
- Quâest-ce que vous faites dans la vie, vous? â Jâapprends des choses, dit Colin. Et jâaime ChloĂ©.
â
â
Boris Vian (L'Ăcume des jours)
â
Devant cette nuit chargĂ©e de signes et dâĂ©toiles, je mâouvrais pour la premiĂšre fois Ă la tendre indiffĂ©rence du monde. De lâĂ©prouver si pareil Ă moi, si fraternel enfin, jâai senti que jâavais Ă©tĂ© heureux, et que je lâĂ©tais encore. Pour que tout soit consommĂ©, pour que je me sente moins seul, il me restait Ă souhaiter quâil y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exĂ©cution et quâils mâaccueillent avec des cris de haine
â
â
Albert Camus (The Stranger)
â
Quant Ă moi, maintenant, j'ai fermĂ© mon Ăąme. Je ne dis plus Ă personne ce que je crois, ce que je pense et ce que j'aime. Me sachant condamnĂ© Ă l'horrible solitude, je regarde les choses, sans jamais Ă©mettre mon avis. Que m'importent les opinions, les querelles, les plaisirs, les croyances ! Ne pouvant rien partager avec personne, je me suis dĂ©sintĂ©ressĂ© de tout. Ma pensĂ©e, invisible, demeure inexplorĂ©e. J'ai des phrases banales pour rĂ©pondre aux interrogations de chaque jour, et un sourire qui dit "oui", quand je ne veux mĂȘme pas prendre la peine de parler.
â
â
Guy de Maupassant (Le Horla et autres nouvelles fantastiques)
â
Longtemps, mon seul but dans la vie Ă©tait de m'autodĂ©truire. Puis, une fois, j'ai eu envie de bonheur. C'est terrible, j'ai honte, pardonnez-moi : un jour, j'ai eu cette vulgaire tentation d'ĂȘtre heureux. Ce que j'ai appris depuis, c'est que c'Ă©tait la meilleure maniĂšre de me dĂ©truire.
â
â
Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
â
Je crois que c'est moi qui ai changé: c'est la solution la plus simple. La plus désagréable aussi. Mais einfin je dois reconnaßtre que je suis sujet à ces transformations soudaines. Ce qu'il y a, c'est que je pense trÚs rarement; alors une foule depetites métamorphoses s'accumulent en moi sans que j'y prenne garde et puis, un beau jour, il se produit une véritable révolution. C'est ce qui a donné à ma vie cet aspect huerté, incohérent.
â
â
Jean-Paul Sartre (Nausea)
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Dans le fond des forĂȘts votre image me suit.
La lumiĂšre du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace Ă mes yeux les charmes que j'Ă©vite.
Tout vous livre Ă l'envi le rebelle Hippolyte.
â
â
Jean Racine (PhĂšdre)
â
(...), j'étais animée d'une faim nouvelle, et certains jours, j'étais véritablement vorace. Le besoin de lire s'emparait de moi et exerçait sa délicieuse et grisante emprise. Plus je lisais, plus j'avais faim. Chaque ouvrage était riche de promesses, chaque page que je tournais était une équipée, l'attrait d'un autre monde.
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â
Tatiana de Rosnay (The House I Loved)
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...tout compte fait, je crois que mon tort était de ne pas avoir eu le courage de mes convictions. Je pouvais me trouver toutes les excuses du monde, aucune d'elles ne me donnerait raison. En réalité maintenant que j'avais perdu la face , je me cherchais un masque. Pareil à un défiguré, je me cachais derriÚre mes pansements qui me servaient aussi de moucharabiehs. Je regardais en cachette la vérité des autres, en abusais pour distancer la mienne
â
â
Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă la nuit)
â
Je passe mes jours et mes nuits à tenter d'oublier Claire. C'est un travail à plein temps. Le matin, en me réveillant, je sais que telle sera ma seule occupation jusqu'au soir. J'ai un nouveau métier: oublieur de Claire. L'autre jour, à déjeuner, Jean Marie Périer m'a asséné :
-Quand tu sais pourquoi tu aimes quelqu'un , c'est que tu ne l'aimes pas.
â
â
FrĂ©dĂ©ric Beigbeder (L'ĂgoĂŻste romantique)
â
J'ai tant rĂȘvĂ© de toi que tu perds ta rĂ©alitĂ©.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui
m'est chĂšre?
J'ai tant rĂȘvĂ© de toi que mes bras habituĂ©s en Ă©treignant ton ombre Ă se croiser sur ma poitrine ne se
plieraient pas au contour de ton corps, peut-ĂȘtre.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je
deviendrais une ombre sans doute. O balances sentimentales.
â
â
Robert Desnos (The Voice of Robert Desnos: Selected Poems)
â
Demain, dĂšs l'aube, Ă l'heure oĂč blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forĂȘt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyĂšre en fleur.
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Victor Hugo (Les Contemplations)
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Les mois passÚrent. Chaque jour, le temps perdait de sa consistance. J'étais incapable de déterminer s'il s'écoulait vite ou lentement.
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Amélie Nothomb (Stupeur et tremblements)
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Un petit nuage rose descendait de l'air et s'approchait d'eux.
"J'y vais! proposa-t-il.
-vas-y", dit Colin.
Et le nuage les enveloppa. A l'intérieur, il faisait chaud et ça sentait le sucre à la cannelle.
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Boris Vian (L'Ăcume des jours)
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En effet: je mourais dĂ©jĂ . Je venais d'apprendre cette nouvelle horrible que tout humain apprend un jour ou l'autre: ce que tu aimes, tu vas le perdre. "Ce qui t'a Ă©tĂ© donnĂ© te sera repris." Face Ă la dĂ©couverte de cette spoliation future, il y a deux attitudes possibles: soit on dĂ©cide de ne pas s'attacher aux ĂȘtres et aux choses, afin de rendre l'amputation moins douloureuse; soit on dĂ©cide, au contraire, d'aimer d'autant plus les ĂȘtres et les choses, d'y mettre le paquet - "puisque nous n'aurons pas beaucoup de temps ensemble, je vais te donner en un an tout l'amour que j'aurais pu te donner en une vie.
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Amélie Nothomb (Métaphysique des tubes)
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L'amour comme moi part en voyage
Un jour je le rencontrerai
A peine j'aurai vu son visage
Tout de suite je le reconnaĂźtrai...
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Ădith Piaf
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Et moi aussi, je me suis senti prĂȘt Ă tout revivre. Comme si cette grande colĂšre m'avait purgĂ© du mal, vidĂ© d'espoir, devant cette nuit chargĂ©e de signes et d'Ă©toiles, je m'ouvrais pour la premiĂšre fois Ă la tendre indiffĂ©rence du monde. De l'Ă©prouver si pareil Ă moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais Ă©tĂ© heureux, et que je l'Ă©tais encore. Pour que tout soit consommĂ©, pour que je me sente moins seul, il me restait Ă souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exĂ©cution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.
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Albert Camus (The Stranger)
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Je n'ai envie de rien, je ne sais pas quoi faire, je ne veux pas dormir, je ne veux pas rester Ă©veillĂ©e. Je n'ai pas faim. Je ne veux pas ĂȘtre seule, je ne veux voir personne. J'ai l'impression d'ĂȘtre en sursis. Je suis juste complĂštement dĂ©foncĂ©e.
La vĂ©ritĂ© se fait jour avec lenteur et me laisse vide... A... mĂȘme A... ce que je m'en fiche.
â
â
Lolita Pille
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J'exige un vrai bonheur, un vrai amour, une vraie contrĂ©e oĂč le soleil alterne avec la lune, oĂč les saisons se dĂ©roulent en ordre, oĂč de vrais arbres portent de vrais fruits, oĂč de vrais poissons habitent les riviĂšres, et de vrais oiseaux le ciel, oĂč la vrai neige dĂ©couvre de vraies fleurs, oĂč tout sort est vrai, vrai, vĂ©ritable. Jâen ai assez de cette lumiĂšre morne, de ces campagnes stĂ©riles, sans jour, sans nuit, oĂč ne survivent que les bĂȘtes fĂ©roces et rapaces, oĂč les lois de la nature ne fonctionnent pas.
â
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Jean Cocteau
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J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer.
â
â
Albert Camus (The Stranger)
â
Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lĂšvres,
Nos silences, nos paroles,
La lumiĂšre qui sâen va, la lumiĂšre qui revient,
Un seul sourire pour nous deux,
Par besoin de savoir, jâai vu la nuit crĂ©er le jour sans que nous changions dâapparence,
Ă bien-aimĂ© de tous et bien-aimĂ© dâun seul,
En silence ta bouche a promis dâĂȘtre heureuse,
De loin en loin, ni la haine,
De proche en proche, ni lâamour,
Par la caresse nous sortons de notre enfance,
Je vois de mieux en mieux la forme humaine,
Comme un dialogue amoureux, le cĆur ne fait quâune seule bouche
Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser,
Les sentiments à la dérive, les hommes tournent dans la ville,
Le regard, la parole et le fait que je tâaime,
Tout est en mouvement, il suffit dâavancer pour vivre,
Dâaller droit devant soi vers tout ce que lâon aime,
Jâallais vers toi, jâallais sans fin vers la lumiĂšre,
Si tu souris, câest pour mieux mâenvahir,
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard.
â
â
Paul Ăluard
â
InsensĂ©, dit-il, le jour oĂč j'avais rĂ©solu de me venger, de ne pas m'ĂȘtre arrachĂ© le cĆur !
â
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Alexandre Dumas (Le Comte de Monte Cristo Tome 2 : la vengeance)
â
Tant bien que mal, avant jâaimais la vie, parce quâon lâavait en commun. Avant, jâaimais la vie, mĂȘme sachant tout ce que je savais, car dans lâimmensitĂ© du vide, il Ă©tait lĂ qui souriait. Aujourdâhui, je chĂ©ris un fantĂŽme, un souvenir. Je pense encore Ă lui chaque jour, chaque minute, chaque secondeâŠ
â
â
Lolita Pille (Hell)
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« Courir aprĂšs un rĂȘve, cela a un prix. Cela peut exiger que nous abandonnions nos habitudes, cela peut nous faire traverser des difficultĂ©s, cela peut nous conduire Ă des dĂ©ceptions, etc. Mais aussi Ă©levĂ© que soit le prix, ce n'est jamais aussi cher que le prix payĂ© par celui qui n'a pas vĂ©cu. Parce que cette personne va un jour regarder en arriĂšre et elle entendra son propre cĆur dire : âJ'ai gaspillĂ© ma vie.â »
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Paulo Coelho (AdultĂšre (French Edition))
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Mais Colin ne savait pas, il courait, il avait peur, pourquoi ça ne suffit pas de toujours rester ensemble, il faut encore quâon ait peur, peut-ĂȘtre est-ce un accident, une auto lâa Ă©crasĂ©e, elle serait sur son lit, je ne pourrais la voir, ils mâempĂȘcheraient dâentrer, mais vous croyez donc peut-ĂȘtre que jâai peur de ma ChloĂ©, je la verrai malgrĂ© vous, mais non, Colin, nâentre pas. Elle est peut-ĂȘtre blessĂ©e, seulement, alors, il nây aura rien du tout, demain, nous irons ensemble au Bois, pour revoir le banc, jâavais sa main dans la mienne et ses cheveux prĂšs des miens, son parfum sur lâoreiller. Je prends toujours son oreiller, nous nous battrons encore le soir, le mien, elle le trouve trop bourrĂ©, il reste tout rond sous sa tĂȘte, et moi, je le reprends aprĂšs, il sent lâodeur de ses cheveux.
â
â
Boris Vian (L'Ăcume des jours)
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Aujourd'hui, je suis fou de mort, partout la mort, et ces roses sur ma table qui me parfument tandis que j'Ă©cris, affreusement vivant, ces roses sont des bouts de cadavres qu'on force Ă faire semblant de vivre trois jours de plus dans de l'eau et les gens achĂštent ces cadavres de fleurs et les jeunes filles s'en repaissent.
â
â
Albert Cohen (Le Livre de ma mĂšre)
â
Et comme jâessayais de lui expliquer ce que câĂ©tait que ces mariages, je sentis quelque chose de frais et de fin peser lĂ©gĂšrement sur mon Ă©paule. CâĂ©tait sa tĂȘte alourdie de sommeil qui sâappuyait contre moi avec un joli froissement de rubans, de dentelles et de cheveux ondĂ©s. Elle resta ainsi sans bouger jusquâau moment oĂč les astres du ciel pĂąlirent, effacĂ©s par le jour qui montait. Moi, je la regardais dormir, un peu troublĂ© au fond de mon ĂȘtre, mais saintement protĂ©gĂ© par cette claire nuit qui ne mâa jamais donnĂ© que de belles pensĂ©es. Autour de nous, les Ă©toiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau ; et par moments je me figurais quâune de ces Ă©toiles, la plus fine, la plus brillante ayant perdu sa route, Ă©tait venue se poser sur mon Ă©paule pour dormir..
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â
Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin)
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La Courbe de tes yeux
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumiĂšre,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gĂźt toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
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Paul Ăluard (Capital of Pain)
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J'eus des jours meilleurs et je les laissai.
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Alexis Jenni (L'Art français de la guerre)
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J'ai tant désiré le jour et voici qu'il me brûle les yeux!
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Seneca (Phaedra)
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Un jour elle ne contrÎlera pas ses pouvoirs et elle me bouffera l'ùme. J'espÚre que j'aurai bon goût.
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Olivier Gay (La Riposte (Le noir est ma couleur, #3))
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Terre en vacance d'oeuvres d'art. Je méprise ceux qui ne savent reconnaßtre la beauté que transcrite déjà et toute interprétée. Le peuple arabe a ceci d'admirable que, son art, il le vit, il le chante et le dissipe au jour le jour; il ne le fixe point et ne l'embaume en aucune oeuvre. C'est la cause et l'effet de l'absence de grands artistes. J'ai toujours cru les grands artistes ceux qui osent donner droit de beauté à des choses si naturelles qu'elles font dire aprÚs à qui les voit : 'Comment n'avais-je pas compris jusqu'alors que cela était aussi beau?...
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André Gide (The Immoralist)
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Allan supporta la privation pendant exactement cinq ans et trois semaines. Et puis un jour il annonça: maintenant j'ai envie de boire un coup. Et ici il n'y a rien à boire. Alors on s'en va.
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Jonas Jonasson (The Hundred-Year-Old Man Who Climbed Out of the Window and Disappeared (The Hundred-Year-Old Man, #1))
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Tu n'es pas venue. Je t'ai attendue des heures ou des jours, je ne sais. Je ne le sais pas parce que j'ai cessĂ© d'ĂȘtre moi-mĂȘme pour devenir une masse uniquement sensible Ă ton absence, comme si dans le vide pouvait se former un monceau de douleur, d'angoisses, comme si le nĂ©ant avait un ĂȘtre.
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â
Baltasar Porcel (Horses into the night)
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Ici, je me cache quand je veux. Je puis me cacher des jours et des jours, sans quâon sache si jâexiste ou non, et, sans que je le sache bien moi-mĂȘme. Je mâenferme lĂ -haut. Je lis, je dors, je rĂȘve. Je ne bouge plus.
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Anne Hébert (Le Temps Sauvage ; Suivi De La MerciÚre Assassinée ; Et Les Invités Au ProcÚs)
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Des marchands de sang humain criaient a tue-tĂȘte : "Qui veut des places ?". Une rage m'a pris contre ce peuple. J'ai eu envie de leur crier : "Qui veut la mienne ?
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Victor Hugo (Le Dernier Jour d'un Condamné (French Edition))
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- Qu'est-ce que vous faites dans la vie, vous? demanda le professeur.
- J'apprends des choses (...)
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Boris Vian (L'Ăcume des jours)
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Il y a cet entassement des corps dans le wagon cette lancinante douleur dans le genou droit. Les jours les nuits. Je fais un effort et j'essaye de compter les jours de compter les nuits. Ca m'aidera peut-ĂȘtre Ă y voir clair. Quatre jours cinq nuits. Mais j'ai dĂ» mal compter ou alors il y a des jours qui se sont changĂ©s en nuits. J'ai des nuits en trop des nuits Ă revendre.
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â
Jorge SemprĂșn (The Long Voyage)
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Chacun se présentait : nom, ùge, diagnostic et humeur du jour. Je m'appelle Hazel, avais-je dit quand mon tour était arrivé. J'ai seize ans. Cancer de la thyroïde à l'origine, mais mes poumons sont truffés de métastases depuis longtemps. Sinon ça va.
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John Green (The Fault in Our Stars)
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A 21 h 15, j'arrive enfin chez moi et je m'affale littĂ©ralement sur le canapĂ©. Et lĂ , je sais que je vais vous dĂ©cevoir mais non, il n'y a pas de chat qui vient se frotter contre mes jambes (avouez que vous l'attendiez). Je n'ai pas plus de chat que de petit ami, de chien, de poisson rouge et mĂȘme de plantes. De toute façon, elles crĂšvent au bout de deux jours en ma compagnie.
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CĂ©cile Chomin (Hot Love Challenge (Hot Love, #1))
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PremiĂšre catastrophe inĂ©luctable : la Terre va mourir. DeuxiĂšme certitude absolue : je vais mourir aussi. La question du jour est : qui disparaĂźtra le premier ? La Terre ou moi ? Je prĂ©fĂšrerais la Terre, car cela reviendrait au mĂȘme pour moi. Quitte Ă crever, autant que ce soit en mĂȘme temps que les autres. J'espĂšre la fin du monde, par narcissisme. Peut ĂȘtre tous les hommes sont-ils comme moi cela expliquerait pourquoi ils cherchent par tous les moyens Ă dĂ©clencher l'Apocalypse : pour ne pas mourir seuls.
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FrĂ©dĂ©ric Beigbeder (L'ĂgoĂŻste romantique)
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AprĂšs le dĂ©cĂšs de cette vieille dame, tous les dimanches, j'allais au bord d'un Ă©tang Ă lotus en banlieu de Hanoi, oĂč il y avait toujours deux ou trois femmes au dos arquĂ©, aux mains tremblantes, qui, assises dans le fond d'une barque ronde, se dĂ©plaçaient sur l'eau Ă l'aide d'une perche pour placer des feuilles de thĂ© Ă l'intĂ©rieur des fleurs de lotus ouvertes. Elles y retournaient le jour suivant pour les recueillir, unes Ă unes, avant que les pĂ©tales se fanent, aprĂšs que les feuilles emprisonnĂ©es avaient absorbĂ© le parfum des pistils pendant la nuit. Elles me disaient que chaque feuille de thĂ© conservait ainsi l'Ăąme de ces fleurs Ă©phĂ©mĂšres.
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Kim ThĂșy (RU (French Edition))
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Pour moi l'automne n'a jamais Ă©tĂ© une saison triste. Les feuilles mortes et les jours de plus en plus courts ne m'ont jamais Ă©voquĂ© la fin de quelque chose mais plutĂŽt une attente de l'avenir. Il y a de l'electricitĂ© dans l'air, Ă Paris, les soires d'Octobre Ă l'heure oĂč la nuit tombe. MĂȘme quand il pleut. Je n'ai pas le cafard Ă cette heure-lĂ , ni le sentiment de la fuite du temps. J'ai l'impression que tout est possible. L'annĂ©e commence au mois d'octobre. C'est la rentrĂ©e des classes et je crois que c'est la saisons des projets.
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Patrick Modiano
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Les choses se seraient arrĂȘtĂ©es lĂ s'il n'y avait pas eu ce coup de vent. Si on m'avait dit qu'un simple coup de vent pouvait changer le cours d'une vie, j'aurais peut-ĂȘtre pris les devant. Mais Ă dix-sept ans, on se sent en mesure de retomber sur ses pattes quoi qu'il arrive.
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Yasmina Khadra (Ce que le jour doit Ă la nuit)
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Je me souviens qu'à un moment, m'étend appuyée à la machine, j'avais regardé le disque se lever, lentement, pour aller se poser de biais contre le saphir, presque tendrement, comme une joue. Et, je ne sais pourquoi, j'avais été envahie d'un violent sentiment de bonheur; de l'intuition physique, débordante, que j'allais mourir un jour, qu'il n'y aurait plus ma main sur ce rebord de chrome, ni ce soleil dans mes yeux.
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Françoise Sagan (A Certain Smile)
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Cependant mon pÚre fut atteint d'une maladie qui le conduisit en peu de jours au tombeau. II expira dans mes bras. J'appris à connaßtre la mort sur les lÚvres de celui qui m'avait donné la vie. Cette impression fut grande; elle dure encore. C'est la premiÚre fois que l'immortalité de l'ùme s'est présentée clairement à mes yeux. Je ne pus croire que ce corps inanimé était en moi l'auteur de la pensée: je sentis qu'elle me devait venir d'une autre source; et dans une sainte douleur qui approchait de la joie, j'espérai me rejoindre un jour à l'esprit de mon pÚre.
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François-René de Chateaubriand
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J'ai compris que j'avais dĂ©truit l'Ă©quilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage oĂč j'avais Ă©tĂ© heureux. Alors, j'ai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles s'enfonçaient sans qu'il y parĂ»t. Et c'Ă©tait comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.
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Albert Camus (The Stranger)
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Un jour c'Ă©tait Huit Mai!......
Alors tourne la terre
Et grondez les tonnerres
Mes erreurs j'ai laissé
Au fond de mes tombeaux
Un jour c'Ă©tait huit Mai
Mais quel prix pour comprendre
Et que de professeurs pour pareille leçon
Et que de musiciens pour aimer la musique!
Un jour c'Ă©tait Huit Mai!....
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Malek Haddad (ۧÙŰŽÙۧۥ ÙÙ ŰźŰ·Ű±)
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Ma Solitude
Pour avoir si souvent dormi
Avec ma solitude
Je m'en suis fait presqu'une amie
Une douce habitude
Ell' ne me quitte pas d'un pas
FidĂšle comme une ombre
Elle m'a suivi çà et lĂ
Aux quatre coins du monde
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Quand elle est au creux de mon lit
Elle prend toute la place
Et nous passons de longues nuits
Tous les deux face Ă face
Je ne sais pas vraiment jusqu'oĂč
Ira cette complice
Faudra-t-il que j'y prenne goût
Ou que je réagisse?
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
Par elle, j'ai autant appris
Que j'ai versé de larmes
Si parfois je la répudie
Jamais elle ne désarme
Et si je préfÚre l'amour
D'une autre courtisane
Elle sera Ă mon dernier jour
Ma derniĂšre compagne
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude
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Georges Moustaki
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Il fallait absolument se secouer, retrouver mon pĂšre et notre vie d'antan. De quels charmes ne se paraient pas pour moi subitement les deux annĂ©es joyeuses et incohĂ©rentes que je venais d'achever, ces deux annĂ©es que j'avais si vite reniĂ©es l'autre jour ?... La libertĂ© de penser, et de mal penser et de penser peu, la libertĂ© de choisir moi-mĂȘme ma vie. Je ne peux dire "d'ĂȘtre moi-mĂȘme" puisque je n'Ă©tais rien qu'une pĂąte modelable, mais celle de refuser les moules.
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Françoise Sagan (Bonjour tristesse)
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_ (Omar ibn el Khattab) lorsque j'ai entendu le ProphĂšte, que la grĂące de Dieu lui soit assurĂ©e, nous dire: "Aujourd'hui j'ai parachevĂ© mon bienfait Ă votre Ă©gard", certe oui, j'ai pleurĂ©. Ce mĂȘme jour d'Arafat, le ProphĂšte m'a demandĂ© la raison de mes pleurs, j'ai rĂ©pondu: " Ce qui me fait pleurer, c'est que, jusqu'Ă prĂ©sent, nous Ă©tions dans un accroissement constant dans notre religion, mais si, Ă prĂ©sent, elle est achevĂ©e, il faut dire qu'il n' y a pas de choses qui atteignent leur plĂ©nitude sans que, par la suite, elles ne s'amoindrissent!" Et le ProphĂšte m'ayant Ă©coutĂ© a rĂ©pondu aprĂšs un long moment: "Certes, Omar, tu as dis vrai!
â
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Assia Djebar (Loin de MĂ©dine)
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Parce que c'est ma mĂšre, elle qui a sacrifiĂ© chacun de ses jours et plusieurs de ses nuits pour me voir libĂ©rĂ©e des servilitĂ©s et soumissions qui Ă©taient les siennes, qui a souahaitĂ© le plus ma rĂ©ussite. Parce qu'elle a priĂ© la vierge Marie Ă genoux dans toutes les chapelles pour que j'Ă©chappe aux fatalitĂ©s du destin social. Parce que mĂȘme si je me contruisais contre elle en embrassant les codes qui l'excluent, j'ai produit sa fiertĂ©. Parce que la trahison que l'ascension suppose Ă©tait non seulement attendue mais espĂ©rĂ©e.
â
â
Caroline Dawson (LĂ oĂč je me terre)
â
- Offre ton identité au Conseil, jeune apprentie.
La voix Ă©tait douce, lâordre sans appel.
- Je mâappelle Ellana Caldin.
- Ton Ăąge.
Ellana hĂ©sita une fraction de seconde. Elle ignorait son Ăąge exact, se demandait si elle nâavait pas intĂ©rĂȘt Ă se vieillir. Les apprentis quâelle avait discernĂ©s dans lâassemblĂ©e Ă©taient tous plus ĂągĂ©s quâelle, le Conseil ne risquait-il pas de la considĂ©rer comme une enfant ? Les yeux noirs dâEhrlime fixĂ©s sur elle la dissuadĂšrent de chercher Ă la tromper.
- Jâai quinze ans.
Des murmures Ă©tonnĂ©s sâĂ©levĂšrent dans son dos.
Imperturbable, Ehrlime poursuivit son interrogatoire.
- Offre-nous le nom de ton maĂźtre.
- Jilano AlhuĂŻn.
Les murmures, qui sâĂ©taient tus, reprirent. Plus marquĂ©s, Ehrlime leva une main pour exiger un silence quâelle obtint immĂ©diatement.
- Jeune Ellana, je vais te poser une sĂ©rie de questions. A ces questions, tu devras rĂ©pondre dans lâinstant, sans rĂ©flĂ©chir, en laissant les mots jaillir de toi comme une cascade vive. Les mots sont un cours dâeau, la source est ton Ăąme. Câest en remontant tes mots jusquâĂ ton Ăąme que je saurai discerner si tu peux avancer sur la voie des marchombres. Es-tu prĂȘte ?
- Oui.
Une esquisse de sourire traversa le visage ridĂ© dâEhrlime.
- Quây a-t-il au sommet de la montagne ?
- Le ciel.
- Que dit le loup quand il hurle ?
- Joie, force et solitude.
- Ă qui sâadresse-t-il ?
- Ă la lune.
- OĂč va la riviĂšre ?
LâanxiĂ©tĂ© dâEllana sâĂ©tait dissipĂ©e. Les questions dâEhrlime Ă©taient trop imprĂ©vues, se succĂ©daient trop rapidement pour quâelle ait dâautre solution quây rĂ©pondre ainsi quâon le lui avait demandĂ©. Impossible de tricher. Cette Ă©vidence se transforma en une onde paisible dans laquelle elle sâimmergea, laissant Ehrlime remonter le cours de ses mots jusquâĂ son Ăąme, puisque câĂ©tait ce quâelle dĂ©sirait.
- Remplir la mer.
- Ă qui la nuit fait-elle peur ?
- Ă ceux qui attendent le jour pour voir.
- Combien dâhommes as-tu dĂ©jĂ tuĂ©s ?
- Deux.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Je suis moi.
- Es-tu vent ou nuage ?
- Vent.
- MĂ©ritaient-ils la mort ?
- Je lâignore.
- Es-tu ombre ou lumiĂšre ?
- Je suis moi.
- Es-tu ombre ou lumiĂšre ?
- Les deux.
- OĂč se trouve la voie du marchombre ?
- En moi.
Ellana sâexprimait avec aisance, chaque rĂ©ponse jaillissant dâelle naturellement, comme une expiration aprĂšs une inspiration. FluiditĂ©. Le sourire sur le visage dâEhrlime Ă©tait revenu, plus marquĂ©, et une pointe de jubilation perçait dans sa voix ferme.
- Que devient une larme qui se brise ?
- Une poussiĂšre dâĂ©toiles.
- Que fais-tu devant une riviĂšre que tu ne peux pas traverser ?
- Je la traverse.
- Que devient une Ă©toile qui meurt ?
- Un rĂȘve qui vit.
- Offre-moi un mot.
- Silence.
- Un autre.
- Harmonie.
- Un dernier.
- Fluidité.
- Lâours et lâhomme se disputent un territoire. Qui a raison ?
- Le chat qui les observe.
- Marie tes trois mots.
- Marchombre.
â
â
Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
â
j'avais le paradis dans le coeur.
â
â
Victor Hugo (Le Dernier jour d'un Condamné (précédé de) Bug-Jargal)
â
On peut ĂȘtre sincĂšre et nĂ©anmoins se tromper, ĂȘtre dans l'erreur tout en Ă©tant sĂ»r de soi.
â
â
Laurent Gounelle (Le jour oĂč j'ai appris Ă vivre)
â
Le monde est la résultante de nos actes individuels.
â
â
Laurent Gounelle (Le jour oĂč j'ai appris Ă vivre)
â
J'entends
Des mots
Rapides, uniques,
Sans lĂšvres, sans son, sans sens,
Tels que ceux formĂ©s par l'esprit qui rĂȘve.
Ce lieu n'est point vide, mais il est plein d'Ăąmes.
â
â
Paul Claudel (Le repos du septiĂšme jour)
â
- Qui aimes-tu le mieux, homme Ă©nigmatique, dis? ton pĂšre, ta mĂšre, ta soeur ou ton frĂšre?
- Je n'ai ni pĂšre, ni mĂšre, ni soeur, ni frĂšre.
- Tes amis?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle?
- L'or?
- Je le hais comme vous haĂŻssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire Ă©tranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... lĂ -bas... lĂ -bas... les merveilleux nuages!
â
â
Charles Baudelaire
â
Depuis, le Paris oĂč j'ai tentĂ© de retrouver sa trace est demeurĂ© aussi dĂ©sert et silencieux que ce jour-lĂ . Je marche Ă travers les rues vides. Pour moi, elles le restent, mĂȘme le soir, Ă l'heure des embouteillages, quand les gens se pressent vers les bouches de mĂ©tro. Je ne peux pas m'empĂȘcher de penser Ă elle et de sentir un Ă©cho de sa prĂ©sence dans certains quartiers.
â
â
Patrick Modiano (Dora Bruder)
â
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai compris qu'en toutes circonstances,
JâĂ©tais Ă la bonne place, au bon moment.
Et alors, j'ai pu me relaxer.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle...
l'Estime de soi.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai pu percevoir que mon anxiĂ©tĂ© et ma souffrance Ă©motionnelle
NâĂ©taient rien d'autre qu'un signal
Lorsque je vais Ă l'encontre de mes convictions.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle... l'Authenticité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
J'ai cessé de vouloir une vie différente
Et j'ai commencé à voir que tout ce qui m'arrive
Contribue Ă ma croissance personnelle.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la Maturité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai commencĂ© Ă percevoir l'abus
Dans le fait de forcer une situation ou une personne,
Dans le seul but d'obtenir ce que je veux,
Sachant trĂšs bien que ni la personne ni moi-mĂȘme
Ne sommes prĂȘts et que ce n'est pas le moment...
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... le Respect.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai commencĂ© Ă me libĂ©rer de tout ce qui n'Ă©tait pas salutaire, personnes,
situations, tout ce qui baissait mon Ă©nergie.
Au début, ma raison appelait cela de l'égoïsme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... l'Amour propre.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© d'avoir peur du temps libre
Et j'ai arrĂȘtĂ© de faire de grands plans,
Jâai abandonnĂ© les mĂ©ga-projets du futur.
Aujourd'hui, je fais ce qui est correct, ce que j'aime
Quand cela me plait et Ă mon rythme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle... la Simplicité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© de chercher Ă avoir toujours raison,
Et je me suis rendu compte de toutes les fois oĂč je me suis trompĂ©.
Aujourd'hui, j'ai découvert ... l'Humilité.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai cessĂ© de revivre le passĂ©
Et de me préoccuper de l'avenir.
Aujourd'hui, je vis au présent,
LĂ oĂč toute la vie se passe.
Aujourd'hui, je vis une seule journée à la fois.
Et cela s'appelle... la Plénitude.
Le jour oĂč je me suis aimĂ© pour de vrai,
Jâai compris que ma tĂȘte pouvait me tromper et me dĂ©cevoir.
Mais si je la mets au service de mon coeur,
Elle devient une alliée trÚs précieuse !
Tout ceci, c'est... le Savoir vivre.
Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter.
Du chaos naissent les Ă©toiles.
â
â
Charlie Chaplin
â
Je te rencontre.
Je me souviens de toi.
Cette ville Ă©tait faite Ă la taille de l'amour.
Tu Ă©tais fait Ă la taille de mon corps mĂȘme.
Qui es-tu ?
Tu me tues.
J'avais faim. Faim d'infidélités, d'adultÚres, de mensonges et de mourir.
Depuis toujours.
Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, aprÚs toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
Nous allons rester seuls, mon amour.
La nuit ne va pas finir.
Le jour ne se lĂšvera plus sur personne.
Jamais. Jamais plus. Enfin.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
Nous n'aurons plus rien d'autre à faire, plus rien que pleurer le jour défunt.
Du temps passera. Du temps seulement.
Et du temps va venir.
Du temps viendra. OĂč nous ne saurons plus du tout nommer ce qui nous unira. Le nom s'en effacera peu Ă peu de notre mĂ©moire.
Puis, il disparaĂźtra, tout Ă fait.
â
â
Marguerite Duras (Hiroshima mon amour)
â
Lorsque jâai commencĂ© Ă voyager en Gwendalavir aux cĂŽtĂ©s d'EwĂŹlan et de Salim, je savais que, au fil de mon Ă©criture, ma route croiserait celle d'une multitude de personnages. Personnages attachants ou irritants, discrets ou hauts en couleurs, pertinents ou impertinents, sympathiques ou malĂ©fiques... Je savais cela et je m'en rĂ©jouissais.
Rien, en revanche, ne m'avait préparé à une rencontre qui allait bouleverser ma vie.
Rien ne m'avait préparé à Ellana.
Elle est arrivĂ©e dans la QuĂȘte Ă sa maniĂšre, tout en finesse tonitruante, en dĂ©licatesse remarquable, en discrĂ©tion Ă©tincelante. Elle est arrivĂ©e Ă un moment clef, elle qui se moque des serrures, Ă un moment charniĂšre, elle qui se rit des portes, au sein dâun groupe constituĂ©, elle pourtant pĂ©trie dâindĂ©pendance, son caractĂšre forgĂ© au feu de la solitude.
Elle est arrivĂ©e, s'est glissĂ©e dans la confiance d'Ewilan avec l'aisance d'un songe, a captĂ© le regard dâEdwin et son respect, a sĂ©duit Salim, conquis maĂźtre Duom... Je lâai regardĂ©e agir, admiratif ; sans me douter un instant de la toile que sa prĂ©sence, son charisme, sa beautĂ© tissaient autour de moi.
Aucun calcul de sa part. Ellana vit, elle ne calcule pas. Elle s'est contentĂ©e d'ĂȘtre et, ce faisant, elle a tranquillement troquĂ© son statut de personnage secondaire pour celui de figure emblĂ©matique d'une double trilogie qui ne portait pourtant pas son nom. Convaincue du pouvoir de l'ombre, elle n'a pas cherchĂ© la lumiĂšre, a Ă©paulĂ© Ewilan dans sa quĂȘte d'identitĂ© puis dans sa recherche d'une parade au danger qui menaçait l'Empire.
Sans elle, Ewilan n'aurait pas retrouvĂ© ses parents, sans elle, l'Empire aurait succombĂ© Ă la soif de pouvoir des Valinguites, mais elle nâen a tirĂ© aucune gloire, trop Ă©quilibrĂ©e pour ignorer que la victoire s'appuyait sur les Ă©paules d'un groupe de compagnons soudĂ©s par une indĂ©fectible amitiĂ©.
Lorsque j'ai posé le dernier mot du dernier tome de la saga d'Ewilan, je pensais que chacun de ses compagnons avait mérité le repos. Que chacun d'eux allait suivre son chemin, chercher son bonheur, vivre sa vie de personnage libéré par l'auteur aprÚs une éprouvante aventure littéraire.
Chacun ?
Pas Ellana.
Impossible de la quitter. Elle hante mes rĂȘves, se promĂšne dans mon quotidien, fluide et insaisissable, transforme ma vision des choses et ma perception des autres, crochĂšte mes pensĂ©es intimes, escalade mes dĂ©sirs secrets...
Un auteur peut-il tomber amoureux de l'un de ses personnages ?
Est-ce moi qui ai crĂ©Ă© Ellana ou n'ai-je vraiment commencĂ© Ă exister que le jour oĂč elle est apparue ? Nos routes sont-elles liĂ©es Ă jamais ?
â Il y a deux rĂ©ponses Ă ces questions, souffle le vent Ă mon oreille. Comme Ă toutes les questions. Celle du savant et celle du poĂšte.
â Celle du savant ? Celle du poĂšte ? Qu'est-ce que...
â Chut... Ăcris.
â
â
Pierre Bottero (Ellana (Le Pacte des MarchOmbres, #1))
â
Câest alors que tout a vacillĂ©. La mer a charriĂ©
un souffle Ă©pais et ardent. Il mâa semblĂ© que le ciel sâouvrait sur
toute son Ă©tendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon ĂȘtre
sâest tendu et jâai crispĂ© ma main sur le revolver. La gĂąchette a
cĂ©dĂ©, jâai touchĂ© le ventre poli de la crosse et câest lĂ , dans le
bruit Ă la fois sec et assourdissant, que tout a commencĂ©. Jâai
secouĂ© la sueur et le soleil. Jâai compris que jâavais dĂ©truit
lâĂ©quilibre du jour, le silence exceptionnel dâune plage oĂč jâavais
Ă©tĂ© heureux. Alors, jâai tirĂ© encore quatre fois sur un corps inerte oĂč les balles sâenfonçaient sans quâil y parĂ»t. Et câĂ©tait comme
quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur
â
â
Albert Camus (The Stranger)
â
Tous ceux, tous ceux, tous ceux
Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe
Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j'Ă©touffe
Je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop ;
Ton nom est dans mon cĆur comme dans un grelot,
Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne !
De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé :
Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai,
Pour sortir le matin tu changeas de coiffure !
J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil,
On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Surtout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes,
Mon regard Ă©bloui pose des taches blondes !
â
â
Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
â
Lasse de ma lassitude, blanche lune derniĂšre, seul regret, mĂȘme pas. Ătre mort, avant elle, sur elle, avec elle, et tourner, mort sur morte, autour des pauvres hommes, et nâavoir plus jamais Ă mourir, dâentre les mourants. MĂȘme pas, mĂȘme pas ça. Ma lune fut ici-bas, ici bien bas, le peu que jâaie su dĂ©sirer. Et un jour, bientĂŽt, une nuit de terre, bientĂŽt, sous la terre, un mourant dira, comme moi, au clair de terre, MĂȘme pas, mĂȘme pas ça, et mourra, sans avoir pu trouver un regret.
â
â
Samuel Beckett (Malone Dies)
â
Vous me dĂ©goutez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coĂ»te que coĂ»te. On dirait des chiens qui lĂšchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier ou alors je refuse ! Je ne veux pas ĂȘtre modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai Ă©tĂ© bien sage. Je veux ĂȘtre sĂ»re de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que quand j'Ă©tais petite ou mourir !
â
â
Jean Anouilh (Antigone)
â
Je le vis, je rougis, je pĂąlis Ă sa vue ;
Un trouble sâĂ©leva dans mon Ăąme Ă©perdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus VĂ©nus et ses feux redoutables,
Dâun sang quâelle poursuit tourments inĂ©vitables !
Par des vĆux assidus je crus les dĂ©tourner :
Je lui bĂątis un temple, et pris soin de lâorner ;
De victimes moi-mĂȘme Ă toute heure entourĂ©e,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
Dâun incurable amour remĂšdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brĂ»lait lâencens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
Jâadorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
MĂȘme au pied des autels que je faisais fumer,
Jâoffrais tout Ă ce dieu que je nâosais nommer.
Je lâĂ©vitais partout. Ă comble de misĂšre !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pĂšre.
Contre moi-mĂȘme enfin jâosai me rĂ©volter :
Jâexcitai mon courage Ă le persĂ©cuter.
Pour bannir lâennemi dont jâĂ©tais idolĂątre,
Jâaffectai les chagrins dâune injuste marĂątre ;
Je pressai son exil ; et mes cris Ă©ternels
LâarrachĂšrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, ĆNONE ; et, depuis son absence,
Mes jours moins agitĂ©s coulaient dans lâinnocence :
Soumise Ă mon Ă©poux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon Ă©poux lui-mĂȘme Ă TrĂ©zĂšne amenĂ©e,
Jâai revu lâennemi que jâavais Ă©loignĂ© :
Ma blessure trop vive aussitÎt a saigné.
Ce nâest plus une ardeur dans mes veines cachĂ©e :
Câest VĂ©nus tout entiĂšre Ă sa proie attachĂ©e.
Jâai conçu pour mon crime une juste terreur ;
Jâai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ;
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je nâai pu soutenir tes larmes, tes combats :
Je tâai tout avouĂ© ; je ne mâen repens pas.
Pourvu que, de ma mort respectant les approches,
Tu ne mâaffliges plus par dâinjustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prĂȘt Ă sâexhaler.
â
â
Jean Racine (PhĂšdre)
â
« Un homme trĂšs croyant priait chaque jour son Dieu, puis un jour il perdit beaucoup dâargent et se mit Ă prier Dieu pour gagner au loto⊠Au bout de nombreuses annĂ©es, lâhomme mourut et comme il Ă©tait un croyant rempli de ferveur, il rencontra Dieu. Il lui dit alors : âDieu, pourquoi ne mâas-tu pas aidĂ© pour gagner au loto au moment oĂč jâen avais le plus besoin alors que je tâai toujours servi avec ferveur ?â Et Dieu lui rĂ©pondit : âMon fils je nâaurais pas demandĂ© mieux que de tâaider mais encore eut-il fallu que tu achĂštes un billet du loto.â »
â
â
Anne Meurois-Givaudan (Petit manuel pour un grand passage)
â
Et tout dâun coup le souvenir mâest apparu. Ce goĂ»t, câĂ©tait celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin Ă Combray (parce que ce jour-lĂ je ne sortais pas avant lâheure de la messe), quand jâallais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante LĂ©onie mâoffrait aprĂšs lâavoir trempĂ© dans son infusion de thĂ© ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne mâavait rien rappelĂ© avant que je nây eusse goĂ»tĂ© ; peut-ĂȘtre parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pĂątissiers, leur image avait quittĂ© ces jours de Combray pour se lier Ă dâautres plus rĂ©cents ; peut-ĂȘtre parce que, de ces souvenirs abandonnĂ©s si longtemps hors de la mĂ©moire, rien ne survivait, tout sâĂ©tait dĂ©sagrĂ©gĂ© ; les formes â et celle aussi du petit coquillage de pĂątisserie, si grassement sensuel sous son plissage sĂ©vĂšre et dĂ©vot â sâĂ©taient abolies, ou, ensommeillĂ©es, avaient perdu la force dâexpansion qui leur eĂ»t permis de rejoindre la conscience. Mais, quand dâun passĂ© ancien rien ne subsiste, aprĂšs la mort des ĂȘtres, aprĂšs la destruction des choses, seules, plus frĂȘles mais plus vivaces, plus immatĂ©rielles, plus persistantes, plus fidĂšles, lâodeur et la saveur restent encore longtemps, comme des Ăąmes, Ă se rappeler, Ă attendre, Ă espĂ©rer, sur la ruine de tout le reste, Ă porter sans flĂ©chir, sur leur gouttelette presque impalpable, lâĂ©difice immense du souvenir.
â
â
Marcel Proust (Du cÎté de chez Swann (à la recherche du temps perdu, #1))
â
Il ajoute cette phrase, pour moi inoubliable  : parce que tu partiras et que nous resterons.
J'ai les larmes aux yeux en recopiant les mots. Je demeure fascinĂ© que cette phrase ait Ă©tĂ© prononcĂ©e un jour, qu'elle m'ait Ă©tĂ© adressĂ©e. Qu'on me comprenne  : ce n'est pas l'Ă©ventuelle prĂ©monition qu'elle contient qui me fascine, ni mĂȘme qu'elle ait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. Ce n'est pas non plus la maturitĂ© ou la fulgurance qu'elle suppose. Ce n'est pas davantage l'agencement des mots, mĂȘme si je prendrai conscience que je n'aurais sans doute pas pu les trouver alors, ni plus tard les Ă©crire. C'est la violence de ce qu'ils signifient, de ce qu'ils charrient  : l'infĂ©rioritĂ© qu'ils racontent en mĂȘme temps que l'amour sous-jacent dont ils tĂ©moignent, l'amour rendu nĂ©cessaire par la disparition prochaine, inĂ©vitable, l'amour rendu possible par elle aussi.
â
â
Philippe Besson (" ArrĂȘte avec tes mensonges ")
â
- Je m'en vais, me susurra Swann. Et, ce soir, demain et les jours d'aprĂšs peut-ĂȘtre, quand tu mettras un homme ou deux dans ton lit pour essayer de te convaincre que ce qu'on a partagĂ© n'est pas si diffĂ©rent, dis-toi qu'ils n'auront jamais aucune importance. Alors que moi... Ă©coute bien ça, Dorian, oĂč que tu croies t'ĂȘtre rĂ©fugiĂ©... moi, j'en ai. Que tu le veuilles ou non et quoique tu me caches encore, quoique tu refuses d'avouer, quels que soient les tourments dans lesquels tu plonges trop souvent, je compte et tu le sais.. Alors mens-toi encore un peu si tu en as besoin. Mens-toi, mon cĆur.
â
â
Lily Haime (Ainsi battent les cĆurs amoureux)
â
Gamberge
Tu gamberges. Tu regardes ta vie. Ăa ne colle pas. Alors tu dĂ©primes. Combien de vies ratĂ©es pour une vie rĂ©ussie ? C'est quoi, les proportions ? Qu'est-ce que j'ai mal fait pour en arriver lĂ ? C'est quand, que j'ai merdĂ© ? J'ai encore le temps de me rattraper ? Combien de chances il me reste pour m'en sortir pas trop mal ? Elle peut encore changer, ma vie ? Je ne suis pas fait pour cette vie-lĂ ? Ăa se change, une vie ? Je veux dire, ça se change vraiment ? C'est quoi, le problĂšme ? C'est ma nĂ©vrose ? Comment on fait pour tordre une nĂ©vrose ? J'ai mangĂ© mon pain blanc, alors ? JE l'ai mangĂ© sans m'en rendre compte, c'est ça ? Je vais encore ramer longtemps comme ça ? C'est encore loin, l'AmĂ©rique ? Est-ce qu'un jour moi aussi je mĂąchouillerai un brin d'herbe sous un saule en me disant que la vie est belle ? Qu'elle est sacrement belle ? Faut que j'arrĂȘte de gamberger, c'est pas bon.
â
â
David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
â
Un peu comme lorsque je rentre d'un voyage quelque part et que tout le monde me demande comment c'Ă©tait : peu Ă peu mes diffĂ©rentes rĂ©ponses n'en font plus qu'une, mes impressions se resserrent sur elles-mĂȘmes, ouais, c'est cool, lĂ -bas, et tiens, une anecdote marrante... puis ce discours unique se substitue Ă la rĂ©alitĂ© du souvenir.
Du coup, j'ai franchement eu peur. J'ai ressenti cette crainte familiÚre, soudainement intense et sincÚre, qu'une fois toute sensation échappée de ma vie, il ne reste plus de celle-ci qu'un cliché. Et le jour de ma mort, saint Pierre me demanderait :
- C'Ă©tait comment ?
- Vraiment super, en bas. J'aimais bien la bouffe. m'enfin, avec la tourista... Bon, les gens sont tous trĂšs sympas quand mĂȘme.
Et ça serait tout. (...)
Et j'ai décidé de raconter quelque chose de nouveau sur mon séjour à chaque personne qui voudrait que je lui en parle, sans me répéter une seule fois.
â
â
Benjamin Kunkel (Indecision)
â
La Cigale, ayant chanté
Tout l'ĂtĂ©,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prĂȘter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'Ă la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oût, foi d'animal,
IntĂ©rĂȘt et principal.
La Fourmi n'est pas prĂȘteuse ;
C'est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle Ă cette emprunteuse.
- Nuit et jour Ă tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »
â
â
Jean de la Fontaine
â
J'essayais de me raisonner : je me sentais la volontĂ© bien ferme de ne point avoir peur, mais il y avait en moi autre chose que ma volontĂ©, et cette autre chose avait peur. Je me demandai ce que je pouvais redouter ; mon moi brave railla mon moi poltron , et jamais aussi bien que ce jour-lĂ je ne saisis l'opposition des deux ĂȘtres qui sont en nous, l'un voulant, l'autre rĂ©sistant, et chacun l'emportant tour Ă tour.
Cet effroi bĂȘte et inexplicable grandissait toujours et devenait de la terreur. Je demeurais immobile, les yeux ouverts, l'oreille tendue et attendant. Quoi ? Je n'en savais rien, mais ce devait ĂȘtre terrible.
â
â
Guy de Maupassant
â
Mais Ă cette heure, oĂč suis-je ? Et comment sĂ©parer ce cafĂ© dĂ©sert de cette chambre du passĂ©. Je ne sais plus si je vis ou si je me souviens. Les lumiĂšres des phares sont lĂ . Et lâArabe qui se dresse devant moi me dit quâil va fermer. Il faut sortir. Je ne veux plus descendre cette pente si dangereuse. Il est vrai que je regarde une derniĂšre fois la baie et ses lumiĂšres, que ce qui monte alors vers moi nâest pas lâespoir de jours meilleurs, mais une indiffĂ©rence sereine et primitive Ă tout et Ă moi-mĂȘme. Mais il faut briser cette courbe trop molle et trop facile. Et jâai besoin de ma luciditĂ©. Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui compliquent les choses. Quâon ne nous raconte pas dâhistoires. Quâon ne nous dise pas du condamnĂ© Ă mort : « Il va payer sa dette Ă la sociĂ©tĂ© », mais : « On va lui couper le cou. » Ăa nâa lâair de rien. Mais ça fait une petite diffĂ©rence. Et puis, il y a des gens qui prĂ©fĂšrent regarder leur destin dans les yeux.
â
â
Albert Camus (L'envers et l'endroit)
â
Sagesse (I,X)
Non. Il fut gallican, ce siÚcle, et janséniste !
C'est vers le Moyen Age énorme et délicat
Qu'il faudrait que mon cĆur en panne naviguĂąt,
Loin de nos jours d'esprit charnel et de chair triste.
Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,
Architecte, soldat, médecin, avocat,
Quel temps ! Oui, que mon cĆur naufragĂ© rembarquĂąt
Pour toute cette force ardente, souple, artiste !
Et lĂ que j'eusse part - quelconque, chez les rois
Ou bien ailleurs, n'importe, - Ă la chose vitale,
Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,
Haute théologie et solide morale,
Guidé par la folie unique de la Croix
Sur tes ailes de pierre, Î folle Cathédrale !
â
â
Paul Verlaine (Sagesse / Amour / Bonheur)
â
L'Amour qui n'est pas un mot
Mon Dieu jusqu'au dernier moment
Avec ce coeur dĂ©bile et blĂȘme
Quand on est l'ombre de soi-mĂȘme
Comment se pourrait-il comment
Comment se pourrait-il qu'on aime
Ou comment nommer ce tourment
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse
O forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenĂȘtres
Tu me rends la caresse d'ĂȘtre
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaĂźtre
Notre histoire jusqu'Ă la fin
C'est miracle que d'ĂȘtre ensemble
Que la lumiĂšre sur ta joue
Qu'autour de toi le vent se joue
Toujours si je te vois je tremble
Comme Ă son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble
M'habituer m'habituer
Si je ne le puis qu'on m'en blĂąme
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué
Ah crevez-moi les yeux de l'Ăąme
S'ils s'habituaient aux nuées
Pour la premiĂšre fois ta bouche
Pour la premiĂšre fois ta voix
D'une aile Ă la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche
C'est toujours la premiĂšre fois
Quand ta robe en passant me touche
Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la tends
Ma vie en vérité commence
Le jour que je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'as montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fiĂšvres
Et j'ai flambé comme un geniÚvre
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lÚvre
Ma vie est Ă partir de toi
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Louis Aragon
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Quand je considÚre ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flÚche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes...
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les rĂ©gions de montagne, de matĂ©riaux divers entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle. J'y rencontre ma nature, dĂ©jĂ composite, formĂ©e en parties Ă©gales d'instinct et de culture. Ăa et lĂ , affleurent les granits de l'inĂ©vitable ; partout, les Ă©boulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'Ă©coulement d'une riviĂšre souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un prĂ©sage, une suite dĂ©finie d'Ă©vĂ©nements, je crois reconnaĂźtre une fatalitĂ©, mais trop de routes ne mĂšnent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mĂ©moire des hommes, ou mĂȘme dans la mienne propre ; puisque c'est peut-ĂȘtre l'impossibilitĂ© de continuer Ă s'exprimer et Ă se modifier par l'action que constitue la diffĂ©rence entre l'Ă©tat de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indĂ©finissable. Et la preuve, c'est que j'Ă©prouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte Ă moi-mĂȘme. Certains travaux qui durĂšrent peu sont assurĂ©ment nĂ©gligeables, mais des occupations qui s'Ă©tendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble Ă peine essentiel, au moment oĂč j'Ă©cris ceci, d'avoir Ă©tĂ© empereur..." (p.214)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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A un moment jâai mĂȘme laissĂ© Ă©chapper un son qui sâest prolongĂ© malgrĂ© moi en prenant de plus en plus de force, un son qui avait attendu ce jour prĂ©cis pour partir du fond de mes annĂ©es de tĂ©nĂšbres Ă mal aimer des hommes qui mâont mal aimĂ©e en retour et recouvrir ta poitrine comme une brĂ»lure ; câĂ©tait dâabord un son rauque et traĂźnant, une plainte animale qui nâavait rien du sanglot et qui en un vĂ©ritable appel Ă la mort. A ce moment tout sâest arrĂȘtĂ©, je me suis soudain rappelĂ© cette mĂȘme scĂšne vĂ©cu avec toi alors quâon venait de se rencontrer ; ce hurlement avait dĂ©jĂ eu lieu et sa rĂ©pĂ©tition implacable mâa fait taire une fois pour toute. A ce moment aussi tu tâes Ă©cartĂ© de moi, sans doute pour la mĂȘme raison, tu tâes levĂ© dans une brusquerie qui a dĂ©logĂ© OrĂ©o de la chaise de ton bureau. Ne voulant pas te regarder dans les yeux, jâai regardĂ© tes pieds. Mon hurlement avait tracĂ© une ligne infranchissable entre nous, en hurlant je venais de sonner le glas de notre histoire. Tu as dit des paroles que tu avais dĂ©jĂ prononcĂ©es en dâautres circonstances et je suis partie, je savais que plus jamais on ne se reparlerait.
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Nelly Arcan (Folle)
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Je me mis dĂšs lors Ă lire avec aviditĂ© et bientĂŽt la lecture fut ma passion. Tous mes nouveaux besoins, toutes mes aspirations rĂ©centes, tous les Ă©lans encore vagues de mon adolescence qui sâĂ©levaient dans mon Ăąme dâune façon si troublante et qui Ă©taient provoquĂ©s par mon dĂ©veloppement si prĂ©coce, tout cela, soudainement, se prĂ©cipita dans une direction, parut se satisfaire complĂštement de ce nouvel aliment et trouver lĂ son cours rĂ©gulier. BientĂŽt mon cĆur et ma tĂȘte se trouvĂšrent si charmĂ©s, bientĂŽt ma fantaisie se dĂ©veloppa si largement, que jâavais lâair dâoublier tout ce qui mâavait entourĂ©e jusquâalors. Il semblait que le sort lui mĂȘme mâarrĂȘtĂąt sur le seuil de la nouvelle vie dans laquelle je me jetais, Ă laquelle je pensais jour et nuit, et, avant de mâabandonner sur la route immense, me faisait gravir une hauteur dâoĂč je pouvais contempler lâavenir dans un merveilleux panorama, sous une perspective brillante, ensorcelante. Je me voyais destinĂ©e Ă vivre tout cet avenir en lâapprenant dâabord par les livres ; de vivre dans les rĂȘves, les espoirs, la douce Ă©motion de mon esprit juvĂ©nile. Je commençai mes lectures sans aucun choix, par le premier livre qui me tomba sous la main. Mais, le destin veillait sur moi. Ce que jâavais appris et vĂ©cu jusquâĂ ce jour Ă©tait si noble, si austĂšre, quâune page impure ou mauvaise nâeĂ»t pu dĂ©sormais me sĂ©duire. Mon instinct dâenfant, ma prĂ©cocitĂ©, tout mon passĂ© veillaient sur moi ; et maintenant ma conscience mâĂ©clairait toute ma vie passĂ©e.
En effet, presque chacune des pages que je lisais mâĂ©tait dĂ©jĂ connue, semblait dĂ©jĂ vĂ©cue, comme si toutes ces passions, toute cette vie qui se dressaient devant moi sous des formes inattendues, en des tableaux merveilleux, je les avais dĂ©jĂ Ă©prouvĂ©es.
Et comment pouvais-je ne pas ĂȘtre entraĂźnĂ©e jusquâĂ lâoubli du prĂ©sent, jusquâĂ lâoubli de la rĂ©alitĂ©, quand, devant moi dans chaque livre que je lisais, se dressaient les lois dâune mĂȘme destinĂ©e, le mĂȘme esprit dâaventure qui rĂšgnent sur la vie de lâhomme, mais qui dĂ©coulent de la loi fondamentale de la vie humaine et sont la condition de son salut et de son bonheur ! Câest cette loi que je soupçonnais, que je tĂąchais de deviner par toutes mes forces, par tous mes instincts, puis presque par un sentiment de sauvegarde. On avait lâair de me prĂ©venir, comme sâil y avait en mon Ăąme quelque chose de prophĂ©tique, et chaque jour lâespoir grandissait, tandis quâen mĂȘme temps croissait de plus en plus mon dĂ©sir de me jeter dans cet avenir, dans cette vie. Mais, comme je lâai dĂ©jĂ dit, ma fantaisie lâemportait sur mon impatience, et, en vĂ©ritĂ©, je nâĂ©tais trĂšs hardie quâen rĂȘve ; dans la rĂ©alitĂ©, je demeurais instinctivement timide devant lâavenir.
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Mais comment? Comment fais-tu pour surmonter ça, mon chéri? lui avait-elle demandé. Tu as enduré tellement d'épreuves, mais tu es toujours content. Comment fais-tu?
-J'ai choisi de l'ĂȘtre, avait-il rĂ©pondu. Je peux laisser ruiner mon passĂ©, consacrer mon temps Ă haĂŻr les gens pourc e qu'ils m'ont fait, comme mon pĂšre l'a fait, ou je peux pardonner et oublier.
-Mais ce n'est pas si facile."
Il avait sourit, de son sourire de Franck.
"Oui, mais, Trésor, c'est tellement moins fatigant; Il suffit de pardonner une fois. Tandis que la rancune, il faut l'entretenir à longueur de journée, et recommencer tous les jours. Il faudrait que je fasse une liste pour m'assurer que je hais bien tous ceux qui m'ont causé du tort. Non, avait-il ajouté, on a tous la possibilité de pardonner.
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M.L. Stedman (The Light Between Oceans)
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Les jours qui suivent sont un vĂ©ritable cauchemar. Je me doute bien que l'amant ne va pas venir vers moi, puisqu'il a exigĂ© le silence, imposĂ© une chape de plomb. Les autres Ă©lĂšves ne manqueraient pas de relever cette bizarrerie si, d'aventure, il me saluait, s'il se contentait de me saluer, mĂȘme de loin. Car, je l'ai dit, nous appartenons Ă deux cercles distincts, sans intersection possible  : une conjonction, mĂȘme furtive, mĂȘme accidentelle n'est tout bonnement pas envisageable. Pas question de prendre le moindre risque, j'ai bien compris.
J'ai bien compris et, pourtant, je ne peux pas m'empĂȘcher d'espĂ©rer un signe qui ne serait dĂ©tectable que par nous, un frĂŽlement qui paraĂźtrait le produit du hasard, un clin d'Ćil que nul ne pourrait repĂ©rer, un sourire bref. Je rĂȘve d'un sourire bref.
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Philippe Besson (" ArrĂȘte avec tes mensonges ")
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Jâai arpentĂ© les galeries sans fin des grandes bibliothĂšque, les rues de cette ville qui fĂ»t la nĂŽtre, celle oĂč nous partagions presque tous nos souvenirs depuis lâenfance. Hier, jâai marchĂ© le long des quais, sur les pavĂ©s du marchĂ© Ă ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrĂȘtĂ© par-ci par-lĂ , il me semblait que tu mâaccompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar prĂšs du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ?
Je ne sais pas oĂč tu es. Je ne sais pas si tout ce que nous avons vĂ©cu avait un sens, si la vĂ©ritĂ© existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que jâai tenu ma promesse, celle que je tâai faite.
A mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens dâĂ©crire, en amitiĂ© on ne doit rien. Mais voici nĂ©anmoins ma requĂȘte : Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, jâai arpentĂ© les mĂȘmes rues, ri avec toi autour des mĂȘmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles oĂč nous avons posĂ© nos mais et nos regards contient Ă jamais une part de notre histoire. Dis-lui, que jâĂ©tais ton ami, que tu Ă©tais mon frĂšre, peut-ĂȘtre mieux encore puisque nous nous Ă©tions choisis, dis-lui que rien nâa jamais pu nous sĂ©parer, mĂȘme votre dĂ©part si soudain.
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Marc Levy (La prochaine fois)
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Jei kiekvienas mĆ«sĆł suvoktĆł, kokia didelÄ jo vertÄ, pasikeistĆł visas pasaulis. TaÄiau gyvename
visuomenÄje, kurioje nepriimtina ĆŸmonÄms sakyti, kÄ
gero apie juos galvojame. Labai varĆŸomÄs ir
nedrÄŻstame tos atskleisti: kiekvienas teigiamÄ
nuomonÄ tyliai pasilaiko sau - tarsi sÄklas, kurios
sudĆŸiĆ«va pamirĆĄtos kiĆĄenÄje, nors buvo galima jas pasÄti ir patikÄti vÄjui, ĆŸemei ir lietui.
GalbĆ«t kaip tik dÄl to ĆŸmonÄs neÄŻpratÄ girdÄti ĆĄiltĆł ĆŸodĆŸiĆł, ir sunku kam nors pasakyti nuoĆĄirdĆł
komplimentÄ
: bƫsite neteisingai suprastas arba apkaltintas neteisingais ketinimais. O jeigu jums
netikÄtai pasiseks ir ĆŸmogus jĆ«sĆł nuoĆĄirdumu nesuabejos, tuomet jis visomis iĆĄgalÄmis stengsis
sumenkinti giriamÄ
savybÄ: po jo kuklumu slypi drovÄjimasis priimti tokiÄ
neÄŻprastÄ
dovanÄ
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Laurent Gounelle (Le jour oĂč j'ai appris Ă vivre)
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Accordons-lui une plus grande capacitĂ© Ă comprendre et Ă parler le patois jamaĂŻquain, une tolĂ©rance accrue pour la flamme vive du rhum blanc, et davantage de respect pour les difficultĂ©s qu'on rencontre lorsqu'on veut comprendre quelqu'un d'une autre culture, d'une autre race, d'une autre gĂ©ographie, d'une autre Ă©conomie et d'une autre langue - et cela mĂȘme alors que je me familiarisais tous les jours davantage avec les subtilitĂ©s de cette culture, de cette race, de cette gĂ©ographie, de cette Ă©conomie et de cette langue. J'ai appris le nom des arbres, des fleurs et des aliments qui m'entouraient ; j'ai appris Ă jouer aux dominos avec autant de fĂ©rocitĂ© qu'un JamaĂŻquain, et j'ai mĂȘme appris Ă parler assez bien avec des JamaĂŻquaines pour qu'elles puissent oublier pendant de longs moments l'extraordinaire avantage financier que je reprĂ©sentais pour elles, et qu'il leur arrive briĂšvement d'arrĂȘter de me raconter uniquement ce qu'elles croyaient que je voulais entendre. Ce qui ne veut pas dire que je comprenais alors ce qu'elles me disaient. (p.47)
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Russell Banks (Book of Jamaica)
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Jâallais ouvrir la bouche et aborder cette fille , quand quelquâun me toucha lâĂ©paule. Je me retournai, surpris, et jâaperçus un homme dâaspect ordinaire, ni jeune ni vieux, qui me regardait dâun air triste.
â Je voudrais vous parler, dit-il.
Je fis une grimace quâil vit sans doute, car il ajouta :
â « Câest important. »
Je me levai et le suivis Ă lâautre bout du bateau :
â « Monsieur, reprit-il, quand lâhiver approche avec les froids, la pluie et la neige, votre mĂ©decin vous dit chaque jour : « Tenez-vous les pieds bien chauds, gardez-vous des refroidissements, des rhumes, des bronchites, des pleurĂ©sies. » Alors vous prenez mille prĂ©cautions, vous portez de la flanelle, des pardessus Ă©pais, des gros souliers, ce qui ne vous empĂȘche pas toujours de passer deux mois au lit. Mais quand revient le printemps avec ses feuilles et ses fleurs, ses brises chaudes et amollissantes, ses exhalaisons des champs qui vous apportent des troubles vagues, des attendrissements sans cause, il nâest personne qui vienne vous dire : « Monsieur, prenez garde Ă lâamour ! Il est embusquĂ© partout ; il vous guette Ă tous les coins ; toutes ses ruses sont tendues, toutes ses armes aiguisĂ©es, toutes ses perfidies prĂ©parĂ©es ! Prenez garde Ă lâamour !⊠Prenez garde Ă lâamour ! Il est plus dangereux que le rhume, la bronchite et la pleurĂ©sie ! Il ne pardonne pas, et fait commettre Ă tout le monde des bĂȘtises irrĂ©parables. » Oui, monsieur, je dis que, chaque annĂ©e, le gouvernement devrait faire mettre sur les murs de grandes affiches avec ces mots : « Retour du printemps. Citoyens français, prenez garde Ă lâamour ; » de mĂȘme quâon Ă©crit sur la porte des maisons : « Prenez garde Ă la peinture ! » â Eh bien, puisque le gouvernement ne le fait pas, moi je le remplace, et je vous dis : « Prenez garde Ă lâamour ; il est en train de vous pincer, et jâai le devoir de vous prĂ©venir comme on prĂ©vient, en Russie, un passant dont le nez gĂšle. »
Je demeurai stupéfait devant cet étrange particulier, et, prenant un air digne :
â « Enfin, monsieur, vous me paraissez vous mĂȘler de ce qui ne vous regarde guĂšre. »
Il fit un mouvement brusque, et répondit :
â « Oh ! monsieur ! monsieur ! si je mâaperçois quâun homme va se noyer dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser pĂ©rir ?
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Guy de Maupassant
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L'Horloge
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientĂŽt comme dans une cible;
Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi, prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folĂątre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lĂącher sans en extraire l'or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, Ă tout coup! c'est la loi.
Le jour décroßt; la nuit augmente; souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
TantĂŽt sonnera l'heure oĂč le divin Hasard,
OĂč l'auguste Vertu, ton Ă©pouse encor vierge,
OĂč le repentir mĂȘme (oh! la derniĂšre auberge!),
OĂč tout te dira: Meurs, vieux lĂąche! il est trop tard!
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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Je ris, Caesonia, quand je pense que, pendant des annĂ©es, Rome tout entiĂšre a Ă©vitĂ© de prononcer le nom de Drusilla. Car Rome s'est trompĂ©e pendant des annĂ©es. L'amour ne m'est pas suffisant, c'est cela que j'ai compris alors. C'est cela que je comprends aujourd'hui encore, en te regardant. Aimer un ĂȘtre, c'est accepter de vieillir avec lui. Je ne suis pas capable de cet amour. Drusilla vieille, c'Ă©tait bien pis que Drusilla morte. On croit qu'un homme souffre parce que l'ĂȘtre qu'il aime meurt en un jour. Mais sa vraie souffrance est moins futile : c'est de s'apercevoir que le chagrin non plus ne dure pas. MĂȘme la douleur est privĂ©e de sens.
Tu vois, je n'avais pas d'excuses, pas mĂȘme l'ombre d'un amour, ni l'amertume de la mĂ©lancolie. Je suis sans alibi. Mais aujourd'hui, me voilĂ encore plus libre qu'il y a des an-nĂ©es, libĂ©rĂ© que je suis du souvenir et de l'illusion. (Il rit d'une façon passionnĂ©e.) Je sais que rien ne dure ! Savoir cela ! Nous sommes deux ou trois dans l'histoire Ă en avoir fait vraiment l'expĂ©rience, accompli ce bonheur dĂ©ment. Ceasonia, tu as suivi jusqu'au bout une bien curieuse tragĂ©die. Il est temps que pour toi le rideau se baisse.
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Albert Camus (Caligula)
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« Dans nos Ă©coles on nous enseigne le doute et lâart dâoublier. Avant tout lâoubli de ce qui est personnel et localisĂ©. »
« â Personne ne peut lire deux mille livres. Depuis quatre siĂšcles que je vis je nâai pas dĂ» en lire plus dâune demi-douzaine. Dâailleurs ce qui importe ce nâest pas de lire mais de relire. Lâimprimerie, maintenant abolie, a Ă©tĂ© lâun des pires flĂ©aux de lâhumanitĂ©, car elle a tendu Ă multiplier jusquâau vertige des textes inutiles.
â De mon temps Ă moi, hier encore, rĂ©pondis-je, triomphait la superstition que du jour au lendemain il se passait des Ă©vĂ©nements quâon aurait eu honte dâignorer. »
« â Ă cent ans, lâĂȘtre humain peut se passer de lâamour et de lâamitiĂ©. Les maux et la mort involontaire ne sont plus une menace pour lui. Il pratique un art quelconque, il sâadonne Ă la philosophie, aux mathĂ©matiques ou bien il joue aux Ă©checs en solitaire. Quand il le veut, il se tue. MaĂźtre de sa vie, lâhomme lâest aussi de sa mort[30].
â Il sâagit dâune citation ? lui demandai-je.
â Certainement. Il ne nous reste plus que des citations. Le langage est un systĂšme de citations. »
Extrait de: Borges,J.L. « Le livre de sable. » / Utopie dâun homme qui est fatiguĂ©
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Jorge Luis Borges (The Book of Sand and Shakespeare's Memory)
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Demain, dĂšs lâaube
Demain, dĂšs lâaube, Ă lâheure oĂč blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu mâattends.
Jâirai par la forĂȘt, jâirai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni lâor du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand jâarriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyĂšre en fleur.
Tomorrow, At Dawn
Tomorrow, at dawn, at the hour when the countryside whitens,
I will set out. You see, I know that you wait for me.
I will go by the forest, I will go by the mountain.
I can no longer remain far from you.
I will walk with my eyes fixed on my thoughts,
Seeing nothing of outdoors, hearing no noise
Alone, unknown, my back curved, my hands crossed,
Sorrowed, and the day for me will be as the night.
I will not look at the gold of evening which falls,
Nor the distant sails going down towards Harfleur,
And when I arrive, I will place on your tomb
A bouquet of green holly and of flowering heather
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Victor Hugo
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En ce qui me concerne, je suis vĂ©gĂ©tarienne Ă quatre-vingt-quinze pour cent. L'exception principale serait le poisson, que je mange peut-ĂȘtre deux fois par semaine pour varier un peu mon rĂ©gime et en n'ignorant pas, d'ailleurs, que dans la mer telle que nous l'avons faite le poisson est lui aussi contaminĂ©. Mais je n'oublie surtout pas l'agonie du poisson tirĂ© par la ligne ou tressautant sur le pont d'une barque. Tout comme ZĂ©non, il me dĂ©plaĂźt de "digĂ©rer des agonies". En tout cas, le moins de volaille possible, et presque uniquement les jours oĂč l'on offre un repas Ă quelqu'un ; pas de veau, pas d'agneau, pas de porc, sauf en de rares occasions un sandwich au jambon mangĂ© au bord d'une route ; et naturellement pas de gibier, ni de bĆuf, bien entendu.
- Pourquoi, bien entendu ?
- Parce que j'ai un profond sentiment d'attachement et de respect pour l'animal dont la femelle nous donne le lait et reprĂ©sente la fertilitĂ© de la terre. Curieusement, dĂšs ma petite enfance, j'ai refusĂ© de manger de la viande et on a eu la grande sagesse de ne pas m'obliger Ă le faire. Plus tard, vers la quinziĂšme annĂ©e, Ă l'Ăąge oĂč l'on veut "ĂȘtre comme tout le monde", j'ai changĂ© d'avis ; puis, vers quarante ans, je suis revenue Ă mon point de vue de la sixiĂšme annĂ©e.(p. 288)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Cette sociĂ©tĂ©, que j'ai remarquĂ©e la premiĂšre dans ma vie, est aussi la premiĂšre qui ait disparu Ă mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bĂ©nĂ©diction, le rendre peu Ă peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mĂšre forcĂ©e de renoncer Ă son quadrille, faute des partners accoutumĂ©s; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour oĂč mon aĂŻeule tomba la derniĂšre. Elle et sa sĆur s'Ă©taient promis de s'entre-appeler aussitĂŽt que l'une aurait devancĂ© l'autre; elles se tinrent parole, et madame de BedĂ©e ne survĂ©cut que peu de mois Ă mademoiselle de Boisteilleul.
Je suis peut-ĂȘtre le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existĂ©. Vingt fois, depuis cette Ă©poque, j'ai fait la mĂȘme observation; vingt fois des sociĂ©tĂ©s se sont formĂ©es et dissoutes autour de moi. Cette impossibilitĂ© de durĂ©e et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'Ă©tend de lĂ sur notre maison, me ramĂšnent sans cesse Ă la nĂ©cessitĂ© de l'isolement.
Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fiĂšvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chĂšre! car comment abandonner sans dĂ©sespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir Ă©ternellement sur son cĆur?
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François-René de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)
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L'isolement
Souvent sur la montagne, Ă l'ombre du vieux chĂȘne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promĂšne au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues Ă©cumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
LĂ le lac immobile Ă©tend ses eaux dormantes
OĂč l'Ă©toile du soir se lĂšve dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flÚche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrĂȘte, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mĂȘle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon ùme indifférente
N'Ă©prouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'Ă©chauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud Ă l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense Ă©tendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumiĂšres,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forĂȘts, solitudes si chĂšres,
Un seul ĂȘtre vous manque, et tout est dĂ©peuplĂ© !
Que le tour du soleil ou commence ou s'achĂšve,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lĂšve,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriĂšre,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien Ă l'immense univers.
Mais peut-ĂȘtre au-delĂ des bornes de sa sphĂšre,
Lieux oĂč le vrai soleil Ă©claire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rĂȘvĂ© paraĂźtrait Ă mes yeux !
LĂ , je m'enivrerais Ă la source oĂč j'aspire ;
LĂ , je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute ùme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne pußs-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'Ă©lancer jusqu'Ă toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand lĂ feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'Ă©lĂšve et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Alphonse de Lamartine (Antologija francuskog pjesniĆĄtva)
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Revenons donc Ă nos poncifs, ou plutĂŽt Ă quelques-uns dâentre eux :
1° Le XIXe siÚcle est le siÚcle de la science.
2° Le XIXe siÚcle est le siÚcle du progrÚs.
3° Le XIXe siÚcle est le siÚcle de la démocratie, qui est progrÚs et progrÚs continu.
4° Les ténÚbres du moyen ùge.
5° La Révolution est sainte, et elle a émancipé le peuple français.
6° La dĂ©mocratie, câest la paix. Si tu veux la paix, prĂ©pare la paix.
7° Lâavenir est Ă la science. La Science est toujours bienfaisante.
8° Lâinstruction laĂŻque, câest lâĂ©mancipation du peuple.
9° La religion est la fille de la peur.
10° Ce sont les Ătats qui se battent. Les peuples sont toujours prĂȘts Ă sâaccorder.
11° Il faut remplacer lâĂ©tude du latin et du grec, qui est devenue inutile, par celle des langues vivantes, qui est utile.
12° Les relations de peuple Ă peuple vont sans cesse en sâamĂ©liorant. Nous courons aux Ătats-Unis dâEurope.
13° La science nâa ni frontiĂšres, ni patrie.
14° Le peuple a soif dâĂ©galitĂ©.
15° Nous sommes Ă lâaube dâune Ăšre nouvelle de fraternitĂ© et de justice.
16° La propriĂ©tĂ©, câest le vol. Le capital, câest la guerre.
17° Toutes les religions se valent, du moment quâon admet le divin.
18° Dieu nâexiste que dans et par la conscience humaine. Cette conscience crĂ©e Dieu un peu plus chaque jour.
19° LâĂ©volution est la loi de lâunivers.
20° Les hommes naissent naturellement bons. Câest la sociĂ©tĂ© qui les pervertit.
21° Il nây a que des vĂ©ritĂ©s relatives, la vĂ©ritĂ© absolue nâexiste pas.
22° Toutes les opinions sont bonnes et valables, du moment que lâon est sincĂšre.
Je mâarrĂȘte Ă ces vingt-deux Ăąneries, auxquelles il serait aisĂ© de donner une suite, mais qui tiennent un rang majeur par les innombrables calembredaines du XIXe siĂšcle, parmi ce que jâappellerai ses idoles. Idoles sur chacune desquelles on pourrait mettre un ou plusieurs noms.
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LĂ©on Daudet (Le Stupide XIXe siĂšcle (French Edition))
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Moi qui ai eu la chance, malgrĂ© quelques grosses sĂ©quelles, de me relever et de retrouver une autonomie totale, je pense souvent Ă cette incroyable pĂ©riode de ma vie et surtout Ă tous mes compagnons dâinfortune. Ă part Samia, peut-ĂȘtre, je sais pertinemment que les autres sont toujours dans leurfauteuil, quâils sont contraints Ă une assistance permanente, quâils ont toujours droit aux sondages urinaires, aux transferts, aux fauteuils-douches, aux sĂ©ances de verticalisation⊠Ils sont pour toujours confrontĂ©s Ă ces mots qui ont Ă©tĂ© mon quotidien, cette annĂ©e-lĂ
Jâai fait trois autres centres de rĂ©Ă©ducation par la suite, mais jamais je nâai autant ressenti la violence de cette immersion dans le monde du handicap que lors de ces quelques mois. Jamais je nâai retrouvĂ© autant de malheur et autant dâenvie de vivre rĂ©unis en un mĂȘme lieu, jamais je nâai croisĂ© autant de souffrance et dâĂ©nergie, autant dâhorreur et dâhumour. Et jamais plus je nâai ressenti autant dâintensitĂ© dans le rapport des ĂȘtres humains Ă lâincertitude de leur avenir ..
Je ne connaissais rien de ce monde-lĂ avant mon accident. Je me demande mĂȘme si jây avais dĂ©jĂ vraiment pensĂ©. Bien sĂ»r, cette expĂ©rience aussi difficile pour moi que pour mon entourage proche mâa beaucoup appris sur moi-mĂȘme, sur la fragilitĂ© de lâexistence (et celle des vertĂšbres cervicales). Personne dâautre ne sait mieux que moi aujourdâhui quâune catastrophe nâarrive pas quâaux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mĂ©rite le plus .
Mais, au-delĂ de ces lourds enseignements et de ces grandes considĂ©rations, ce qui me reste surtout de cette pĂ©riode, ce sont les visages et les regards que jâai croisĂ©s dans ce centre. Ce sont les souvenirs de ces ĂȘtres qui, Ă lâheure oĂč jâĂ©cris ces lignes, continuent chaque jour de mener un combat quâils nâont jamais lâimpression de gagner.Si cette Ă©preuve mâa fait grandir et progresser, câest surtout grĂące aux rencontres quâelle mâaura offertes.
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Grand corps malade (Patients)
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Et puis, le manque est arrivĂ©, dans le moment oĂč je mây attendais le moins, il est arrivĂ© alors que jâavais presque fini par croire Ă mon amnĂ©sie.
Câest terrible, la morsure du manque. Ăa frappe sans prĂ©venir, lâattaque est sournoise tout dâabord, on ressent juste une vive douleur qui disparaĂźt presque dans la foulĂ©e, câest bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitĂŽt, on considĂšre que lâattaque est passĂ©e, on nâest mĂȘme pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on nâa pas eu le temps de sâinquiĂ©ter, câest parti si vite, on se sent dĂ©jĂ beaucoup mieux, on se sent mĂȘme parfaitement bien, tout de mĂȘme on garde un souvenir dĂ©sagrĂ©able de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y rĂ©ussit, la vie continue, le monde nous appelle, lâurgence commande.
Et puis, ça revient, le jour dâaprĂšs, lâattaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un mĂ©chant rictus, on se dit : quelque chose est Ă l'Ćuvre Ă lâintĂ©rieur, on pense Ă ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers gĂ©nĂ©ralisĂ©s jusque-lĂ insoupçonnables, on Ă©prouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment.
Et puis, le mal devient lancinant, il sâinstalle comme un intrus quâon nâest pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend quâon ne sâen dĂ©barrassera pas, quâon est foutu.
Oui, un jour, le manque est arrivé. Le manque de lui.
Au dĂ©but, jâai fait comme si je ne mâen rendais pas compte, le traitant par lâindiffĂ©rence, par le mĂ©pris, je me savais plus fort que lui, jâĂ©tais en mesure de le dominer, de lâĂ©liminer, câĂ©tait juste une question de volontĂ© ou de temps, je nâĂ©tais pas le genre Ă me laisser abattre par quelque chose dâaussi tĂ©nu, dâaussi risible.
Et puis, il mâa fallu me rendre Ă lâĂ©vidence : ce match, je nâĂ©tais pas en train de le gagner, jâallais peut-ĂȘtre mĂȘme le perdre, et je ne possĂ©dais pas le moyen dâĂ©chapper Ă cette dĂ©route et plus je luttais, plus je cĂ©dais du terrain ; plus je niais la rĂ©alitĂ©, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaĂźtre : jâĂ©tais dĂ©vorĂ© par ça, le manque de lui.
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Philippe Besson (Un homme accidentel)
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« Norbert de Varenne parlait dâune voix claire, mais retenue, qui aurait sonnĂ© dans le silence de la nuit sâil lâavait laissĂ©e sâĂ©chapper. Il semblait surexcitĂ© et triste, dâune de ces tristesses qui tombent parfois sur les Ăąmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelĂ©e. Il reprit : « Quâimporte, dâailleurs, un peu plus ou un peu moins de gĂ©nie, puisque tout doit finir ! » Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cĆur gai, ce soir-lĂ , dit, en souriant : « Vous avez du noir, aujourdâhui, cher
maĂźtre. » Le poĂšte rĂ©pondit. « Jâen ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques annĂ©es. La vie est une cĂŽte. Tant quâon monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsquâon arrive en haut, on aperçoit tout dâun coup la descente, et la fin qui est la mort. Ăa va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. Ă votre Ăąge, on est joyeux. On espĂšre tant de choses, qui nâarrivent jamais dâailleurs. Au mien, on nâattend plus rien... que la mort. » Duroy se mit Ă rire : « Bigre, vous me donnez froid dans le dos. » Norbert de Varenne reprit : « Non, vous ne me comprenez pas aujourdâhui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. » « Il arrive un jour, voyez- vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, oĂč câest fini de rire, comme on dit, parce que derriĂšre tout ce quâon regarde, câest la mort quâon aperçoit. » « Oh ! vous ne comprenez mĂȘme pas ce mot-lĂ , vous, la mort. Ă votre Ăąge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. » « Oui, on le comprend tout dâun coup, on ne sait pas pourquoi ni Ă propos de quoi, et alors tout change dâaspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bĂȘte rongeuse. Je lâai sentie peu Ă peu, mois par mois, heure par heure, me dĂ©grader ainsi quâune maison qui sâĂ©croule. Elle mâa dĂ©figurĂ© si complĂštement que je ne me reconnais pas. Je nâai plus rien de moi, de moi lâhomme radieux, frais et fort que jâĂ©tais Ă trente ans. Je lâai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et mĂ©chante ! Elle mâa pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant quâune Ăąme dĂ©sespĂ©rĂ©e quâelle enlĂšvera bientĂŽt aussi. » « Oui, elle mâa Ă©miettĂ©, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon ĂȘtre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas mâapproche dâelle, chaque mouvement, chaque souffle hĂąte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rĂȘver, tout ce que nous faisons, câest mourir. Vivre enfin, câest mourir ! » » (de « Bel-Ami » par Guy de Maupassant)
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Guy de Maupassant
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Mais les signes de ce qui m'attendait rĂ©ellement, je les ai tous nĂ©gligĂ©s. Je travaille mon diplĂŽme sur le surrĂ©alisme Ă la bibliothĂšque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-ĂȘtre mes derniĂšres semaines de fille seule, libre d'aller oĂč je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans ĂȘtre dĂ©rangĂ©e. Je vais perdre dĂ©finitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublĂ©, Ă deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drĂŽle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idĂ©es de fille unique, Ă©gocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal Ă©levĂ©e au fond. Un jour, il a du travail, il est fatiguĂ©, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se prĂ©cipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hĂ©sitation, comme si elles avaient dans la tĂȘte toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-ĂȘtre, pour quatre personnes ou plus aux goĂ»ts diffĂ©rents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmĂ©e par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarchĂ©. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il Ă©tait en train d'Ă©couter de la musique. Il a tout dĂ©ballĂ© avec un plaisir de gamin. Les poires Ă©taient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournĂ©s au restau universitaire, j'ai oubliĂ©. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai Ă©touffĂ©s. SublimĂ©s. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de libertĂ©, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du mĂ©nage, un peu. Et alors, tu renĂącles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles rĂ©ussissent Ă tout "concilier", sourire aux lĂšvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libĂ©rĂ©e de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'Ă©quilibre. L'homme, l'Ă©paule solide, anti-mĂ©taphysique, dissipateur d'idĂ©es tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons mĂȘme disparaĂźtront, je ris forcĂ©ment, obscurĂ©ment j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est Ă©goĂŻste et qu'il ne s'intĂ©resse guĂšre Ă ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient Ă mon secours : "Tous les hommes sont Ă©goĂŻstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altĂ©ritĂ©", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)