Jour Du Souvenir Quotes

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La mémoire est aussi paresseuse qu’hypocrite, elle ne retient que les meilleurs et les pires souvenirs, les temps forts, jamais la mesure du quotidien, qu’elle efface.
Marc Levy (Le premier jour)
Á l’endroit où les fleuves se jettent dans la mer, il se forme une barre difficile á franchir, et de grands remous écumeux où dansent les épaves. Entre la nuit du dehors et la lumière de la lampe, les souvenirs refluaient de l’obscurité, se heurtaient a la clarté et, tantôt immergés, tantôt apparents, montraient leurs ventres blancs et leurs dos argentés.
Boris Vian (L'Écume des jours)
Tant bien que mal, avant j’aimais la vie, parce qu’on l’avait en commun. Avant, j’aimais la vie, même sachant tout ce que je savais, car dans l’immensité du vide, il était là qui souriait. Aujourd’hui, je chéris un fantôme, un souvenir. Je pense encore à lui chaque jour, chaque minute, chaque seconde…
Lolita Pille (Hell)
Oh! je voudrais tant que tu te souviennes Des jours heureux où nous étions amis En ce temps-là la vie était plus belle Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle Tu vois, je n'ai pas oublié Les feuilles mortes se ramassent à la pelle Les souvenirs et les regrets aussi. Et le vent du Nord les emporte, Dans la nuit froide de l'oubli. Tu vois je n'ai pas oublié, La chanson que tu me chantais... Les feuilles mortes se ramassent à la pelle Les souvenirs et les regrets aussi, Mais mon amour silencieux et fidèle Sourit toujours et remercie la vie. Je t'aimais tant, tu étais si jolie, Comment veux-tu que je t'oublie? En ce temps-là la vie était plus belle Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Tu étais ma plus douce amie Mais je n'ai que faire des regrets. Et la chanson que tu chantais, Toujours, toujours je l'entendrai. C'est une chanson qui nous ressemble, Toi tu m'aimais, moi je t'aimais Et nous vivions, tous deux ensemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, Tout doucement, sans faire de bruit Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis. C'est une chanson qui nous ressemble, Toi tu m'aimais et je t'aimais Et nous vivions tous deux ensemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, Tout doucement, sans faire de bruit Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis.
Jacques Prévert
C’était un de ces jours froids et tristes où les cœurs se serrent, où les esprits s’irritent, où l’âme est sombre, où la main ne s’ouvre ni pour donner ni pour secourir.
Guy de Maupassant (Contes du jour et de la nuit : Le crime au père Boniface - Rose - Le père - L'aveu - La parure - Le bonheur - Le vieux - Un lâche - L'ivrogne - Une vendetta ... - Souvenir - La confession)
On m’a dit un jour : « C’est si difficile de vivre. » Et je me souviens du ton. Une autre fois, quelqu’un a murmuré : « La pire erreur, c’est encore de faire souffrir. » Quand tout est fini, la soif de vie est éteinte. Est-ce là ce qu’on appelle le bonheur ? En longeant ces souvenirs, nous revêtons tout du même vêtement discret et la mort nous apparaît comme une toile de fond aux tons vieillis. Nous revenons sur nous-mêmes. Nous sentons notre détresse et nous en aimons mieux. Oui, c’est peut-être cela le bonheur, le sentiment apitoyé de notre malheur.
Albert Camus (L'envers et l'endroit)
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes — et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot — s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
Marcel Proust (Du côté de chez Swann (À la recherche du temps perdu, #1))
Un peu comme lorsque je rentre d'un voyage quelque part et que tout le monde me demande comment c'était : peu à peu mes différentes réponses n'en font plus qu'une, mes impressions se resserrent sur elles-mêmes, ouais, c'est cool, là-bas, et tiens, une anecdote marrante... puis ce discours unique se substitue à la réalité du souvenir. Du coup, j'ai franchement eu peur. J'ai ressenti cette crainte familière, soudainement intense et sincère, qu'une fois toute sensation échappée de ma vie, il ne reste plus de celle-ci qu'un cliché. Et le jour de ma mort, saint Pierre me demanderait : - C'était comment ? - Vraiment super, en bas. J'aimais bien la bouffe. m'enfin, avec la tourista... Bon, les gens sont tous très sympas quand même. Et ça serait tout. (...) Et j'ai décidé de raconter quelque chose de nouveau sur mon séjour à chaque personne qui voudrait que je lui en parle, sans me répéter une seule fois.
Benjamin Kunkel (Indecision)
Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flèche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes... Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Ça et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout, les éboulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'écoulement d'une rivière souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un présage, une suite définie d'événements, je crois reconnaître une fatalité, mais trop de routes ne mènent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversité, dans ce désordre, la présence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracée par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflétée sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mémoire des hommes, ou même dans la mienne propre ; puisque c'est peut-être l'impossibilité de continuer à s'exprimer et à se modifier par l'action que constitue la différence entre l'état de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indéfinissable. Et la preuve, c'est que j'éprouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte à moi-même. Certains travaux qui durèrent peu sont assurément négligeables, mais des occupations qui s'étendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble à peine essentiel, au moment où j'écris ceci, d'avoir été empereur..." (p.214)
Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
D'autres deuils assombrirent mon existence, rendant chaque fois un peu plus fausse la résonance de mes plaisirs, avant le jour où je pus entendre sa voix. Tiré trop tôt du sommeil pour vaquer à mes habitudes, je m'étais enfermé dans le débarras minuscule où s'entassent mille témoins extravagants de mon passé : objets divers auxquels seul le souvenir qu'ils évoquent saurait donner un nom.
Marcel Béalu (Les messagers clandestins)
Un jour viendra, ai-je dit, où nous serons tous morts. Tous. Un jour viendra où il ne restera plus aucun être humain pour se rappeler l'existence des hommes. Un jour viendra où il ne restera plus personne pour se souvenir d'Aristote ou de Cléopâtre, encore moins de toi. Tout ce qui a été fait, construit, écrit, pensé ou découvert sera oublié, et tout ça, ai-je ajouté avec un geste large, n'aura servi à rien. Ce jour viendra bientôt ou dans des millions d'années. Quoi qu'il arrive, même si nous survivons à la fin du soleil, nous ne survivrons pas toujours. Du temps s'est écoulé avant que les organismes acquièrent une conscience et il s'en écoulera après. Alors si l'oubli inéluctable de l'humanité t'inquiète, je te conseille de ne pas y penser. C'est ce que tout le monde fait.
John Green (The Fault in Our Stars)
J’ai arpenté les galeries sans fin des grandes bibliothèque, les rues de cette ville qui fût la nôtre, celle où nous partagions presque tous nos souvenirs depuis l’enfance. Hier, j’ai marché le long des quais, sur les pavés du marché à ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrêté par-ci par-là, il me semblait que tu m’accompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar près du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ? Je ne sais pas où tu es. Je ne sais pas si tout ce que nous avons vécu avait un sens, si la vérité existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que j’ai tenu ma promesse, celle que je t’ai faite. A mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens d’écrire, en amitié on ne doit rien. Mais voici néanmoins ma requête : Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, j’ai arpenté les mêmes rues, ri avec toi autour des mêmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles où nous avons posé nos mais et nos regards contient à jamais une part de notre histoire. Dis-lui, que j’étais ton ami, que tu étais mon frère, peut-être mieux encore puisque nous nous étions choisis, dis-lui que rien n’a jamais pu nous séparer, même votre départ si soudain.
Marc Levy (La prochaine fois)
Les passantes : Je veux dédier ce poème A toutes les femmes qu'on aime Pendant quelques instants secrets A celles qu'on connait à peine Qu'un destin différent entraine Et qu'on ne retrouve jamais ...... A la compagne de voyage Dont les yeux, charmant paysage Font apparaitre court le chemin Qu'on est seul, peut-être à comprendre Et qu'on laisse pourtant descendre Sans avoir effleuré sa main. .... Chères images aperçues Espérances d'un jour deçues Vous serez dans l'oubli demain Pour peu que le bonheur survienne Il est rare qu'on se souvienne Des épisodes du chemin. Mais si lon a manqué sa vie On songe avec un peu d'envie A tous ces bonheurs entrevus Aux baisers qu'on n'osa pas prendre Aux coeurs qui doivent vous attendre Aux yeux qu'on n'a jamais revus. Alors aux soirs de lassitude Tout en peuplant sa solitude Des fantômes du souvenir On pleure les lèvres absentes De toutes ces belles passantes Que l'on n'a pas su retenir.
Antoine Polin
Le pape exerce donc deux pouvoirs fort différents ; il peut faire, comme prêtre, le bonheur éternel de l’homme qu’il fait assommer comme roi. La peur que Luther fit aux papes du seizième siècle a été si forte, que si les états de l’Église formaient une île éloignée de tout continent, nous y verrions le peuple réduit à cet état de vasselage moral dont l’antique Égypte et l’Étrurie ont laissé le souvenir, et que de nos jours on peut observer en Autriche. Les guerres du dix-huitième siècle ont empêché l’abrutissement du paysan italien.
Stendhal (Voyages en Italie : édition intégrale, revue et corrigée d’après le manuscrit original de chez Delaunay paru en 1829 contenant « Promenades dans Rome » ... et Florence » (2 tomes). (French Edition))
Je ris, Caesonia, quand je pense que, pendant des années, Rome tout entière a évité de prononcer le nom de Drusilla. Car Rome s'est trompée pendant des années. L'amour ne m'est pas suffisant, c'est cela que j'ai compris alors. C'est cela que je comprends aujourd'hui encore, en te regardant. Aimer un être, c'est accepter de vieillir avec lui. Je ne suis pas capable de cet amour. Drusilla vieille, c'était bien pis que Drusilla morte. On croit qu'un homme souffre parce que l'être qu'il aime meurt en un jour. Mais sa vraie souffrance est moins futile : c'est de s'apercevoir que le chagrin non plus ne dure pas. Même la douleur est privée de sens. Tu vois, je n'avais pas d'excuses, pas même l'ombre d'un amour, ni l'amertume de la mélancolie. Je suis sans alibi. Mais aujourd'hui, me voilà encore plus libre qu'il y a des an-nées, libéré que je suis du souvenir et de l'illusion. (Il rit d'une façon passionnée.) Je sais que rien ne dure ! Savoir cela ! Nous sommes deux ou trois dans l'histoire à en avoir fait vraiment l'expérience, accompli ce bonheur dément. Ceasonia, tu as suivi jusqu'au bout une bien curieuse tragédie. Il est temps que pour toi le rideau se baisse.
Albert Camus (Caligula)
C’est de là que je vous écris, ma porte grande ouverte, au bon soleil. Un joli bois de pins tout étincelant de lumière dégringole devant moi jusqu’au bas de la côte. À l’horizon, les Alpilles découpent leurs crêtes fines… Pas de bruit… À peine, de loin en loin, un son de fifre, un courlis dans les lavandes, un grelot de mules sur la route… Tout ce beau paysage provençal ne vit que par la lumière. Et maintenant, comment voulez-vous que je le regrette, votre Paris bruyant et noir ? Je suis si bien dans mon moulin ! C’est si bien le coin que je cherchais, un petit coin parfumé et chaud, à mille lieues des journaux, des fiacres, du brouillard !… Et que de jolies choses autour de moi ! Il y a à peine huit jours que je suis installé, j’ai déjà la tête bourrée d’impressions et de souvenirs…
Alphonse Daudet
Moi qui ai eu la chance, malgré quelques grosses séquelles, de me relever et de retrouver une autonomie totale, je pense souvent à cette incroyable période de ma vie et surtout à tous mes compagnons d’infortune. À part Samia, peut-être, je sais pertinemment que les autres sont toujours dans leurfauteuil, qu’ils sont contraints à une assistance permanente, qu’ils ont toujours droit aux sondages urinaires, aux transferts, aux fauteuils-douches, aux séances de verticalisation… Ils sont pour toujours confrontés à ces mots qui ont été mon quotidien, cette année-là J’ai fait trois autres centres de rééducation par la suite, mais jamais je n’ai autant ressenti la violence de cette immersion dans le monde du handicap que lors de ces quelques mois. Jamais je n’ai retrouvé autant de malheur et autant d’envie de vivre réunis en un même lieu, jamais je n’ai croisé autant de souffrance et d’énergie, autant d’horreur et d’humour. Et jamais plus je n’ai ressenti autant d’intensité dans le rapport des êtres humains à l’incertitude de leur avenir .. Je ne connaissais rien de ce monde-là avant mon accident. Je me demande même si j’y avais déjà vraiment pensé. Bien sûr, cette expérience aussi difficile pour moi que pour mon entourage proche m’a beaucoup appris sur moi-même, sur la fragilité de l’existence (et celle des vertèbres cervicales). Personne d’autre ne sait mieux que moi aujourd’hui qu’une catastrophe n’arrive pas qu’aux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mérite le plus . Mais, au-delà de ces lourds enseignements et de ces grandes considérations, ce qui me reste surtout de cette période, ce sont les visages et les regards que j’ai croisés dans ce centre. Ce sont les souvenirs de ces êtres qui, à l’heure où j’écris ces lignes, continuent chaque jour de mener un combat qu’ils n’ont jamais l’impression de gagner.Si cette épreuve m’a fait grandir et progresser, c’est surtout grâce aux rencontres qu’elle m’aura offertes.
Grand corps malade (Patients)
Et puis, le manque est arrivé, dans le moment où je m’y attendais le moins, il est arrivé alors que j’avais presque fini par croire à mon amnésie. C’est terrible, la morsure du manque. Ça frappe sans prévenir, l’attaque est sournoise tout d’abord, on ressent juste une vive douleur qui disparaît presque dans la foulée, c’est bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitôt, on considère que l’attaque est passée, on n’est même pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on n’a pas eu le temps de s’inquiéter, c’est parti si vite, on se sent déjà beaucoup mieux, on se sent même parfaitement bien, tout de même on garde un souvenir désagréable de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y réussit, la vie continue, le monde nous appelle, l’urgence commande. Et puis, ça revient, le jour d’après, l’attaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un méchant rictus, on se dit : quelque chose est à l'œuvre à l’intérieur, on pense à ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers généralisés jusque-là insoupçonnables, on éprouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment. Et puis, le mal devient lancinant, il s’installe comme un intrus qu’on n’est pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend qu’on ne s’en débarrassera pas, qu’on est foutu. Oui, un jour, le manque est arrivé. Le manque de lui. Au début, j’ai fait comme si je ne m’en rendais pas compte, le traitant par l’indifférence, par le mépris, je me savais plus fort que lui, j’étais en mesure de le dominer, de l’éliminer, c’était juste une question de volonté ou de temps, je n’étais pas le genre à me laisser abattre par quelque chose d’aussi ténu, d’aussi risible. Et puis, il m’a fallu me rendre à l’évidence : ce match, je n’étais pas en train de le gagner, j’allais peut-être même le perdre, et je ne possédais pas le moyen d’échapper à cette déroute et plus je luttais, plus je cédais du terrain ; plus je niais la réalité, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaître : j’étais dévoré par ça, le manque de lui.
Philippe Besson (Un homme accidentel)
Assurément, si mon mal pouvait se guérir, ces gens le guériraient. C’est aujourd’hui mon jour de naissance ; et, de grand matin, je reçois d’Albert un petit paquet. En l’ouvrant, ce qui frappe d’abord mes yeux, c’est un des nœuds de rubans rosés que Charlotte portait, le premier jour où je la vis, et que depuis lors je l’avais quelquefois priée de me donner ; puis deux petits volumes in-douze, le petit Homère de Wetstein, édition que j’avais souvent désirée, pour.ne pas traîner à la promenade celle d’Ernesti. Voilà comme ils préviennent mes désirs, comme ils cherchent à me témoigner toutes les petites complaisances de l’amitié, mille fois plus précieuses que ces présents magnifiques, par lesquels la vanité du donateur nous humilie. Je baise ce nœud mille fois le jour, et, à chaque aspiration, je savoure le souvenir des félicités dont me comblèrent ce peu de jours heureux, passés pour jamais. Wilhelm, c’est comme cela, et je ne murmure point : les fleurs de la terre ne sont que des apparitions. Combien se flétrissent sans laisser aucune trace. Combien peu fructifient, et combien peu de ces fruits mûrissent ! Et pourtant il en est assez encore ; et pourtant…. ô mon frère…. pouvons-nous négliger les fruits mûrs, les mépriser, et, sans en jouir, les abandonner à la pourriture ?
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous décidez un beau jour à en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s’y mettre. On en a bien marre de s’écouter toujours cau-ser… On abrège… On renonce… Ça dure depuis trente ans qu’on cause… On ne tient plus à avoir raison. L’envie vous lâche de garder même la petite place qu’on s’était réservée parmi les plaisirs… On se dégoûte… Il suffit désormais de bouffer un peu, de se faire un peu de chaleur et de dormir le plus qu’on peut sur – 520 – le chemin de rien du tout. Il faudrait pour reprendre de l’intérêt trouver de nouvelles grimaces à exécuter devant les autres… Mais on n’a plus la force de changer son répertoire. On bre-douille. On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester là avec eux les copains, mais la mort est là aussi elle, puante, à côté de vous, tout le temps à présent et moins mysté-rieuse qu’une belote. Vous demeurent seulement précieux les menus chagrins, celui de n’avoir pas trouvé le temps pendant qu’il vivait encore d’aller voir le vieil oncle à Bois-Colombes, dont la petite chanson s’est éteinte à jamais un soir de février. C’est tout ce qu’on a conservé de la vie. Ce petit regret bien atroce, le reste on l’a plus ou moins bien vomi au cours de la route, avec bien des efforts et de la peine. On n’est plus qu’un vieux réverbère à souvenirs au coin d’une rue où il ne passe déjà presque plus personne.
Louis-Ferdinand Céline (Journey to the End of the Night)
Wilhelm, on deviendrait furieux de voir qu’il y ait des hommes incapables de goûter et de sentir le peu de biens qui ont encore quelque valeur sur la terre. Tu connais les noyers sous lesquels je me .suis assis avec Charlotte, à St…, chez le bon pasteur, ces magnifiques noyers, qui, Dieu le sait, me remplissaient toujours d’une joie calme et profonde. Quelle paix, quelle fraîcheur ils répandaient sur le presbytère ! Que les rameaux étaient majestueux ! Et le souvenir enfin des vénérables pasteurs qui les avaient plantés, tant d’années auparavant !… Le maître d’école nous a dit souvent le nom de l’un d’eux, qu’il avait appris de son grand-père. Ce fut sans doute un homme vertueux, et, sous ces arbres, sa mémoire me fut toujours sacrée. Eh bien, le maître d’école avait hier les larmes aux yeux, comme nous parlions ensemble de ce qu’on les avait abattus. Abattus ! j’en suis furieux, je pourrais tuer le chien qui a porté le premier coup de hache. Moi, qui serais capable de prendre le deuil, si, d’une couple d’arbres tels que ceux-là, qui auraient existé dans ma cour, l’un venait à mourir de vieillesse, il faut que je voie une chose pareille !… Cher Wilhelm, il y a cependant une compensation. Chose admirable que l’humanité ! Tout le village murmure, et j’espère que la femme du pasteur s’apercevra au beurre, aux œufs et autres marques d’amitié, de la blessure qu’elle a faite à sa paroisse. Car c’est elle, la femme du nouveau pasteur (notre vieux est mort), une personne sèche, maladive, qui fait bien de ne prendre au monde aucun intérêt, attendu que personne n’en prend à elle. Une folle, qui se pique d’être savante ; qui se mêle de l’étude du canon ; qui travaille énormément à la nouvelle réformation morale et critique du christianisme ; à qui les rêveries de Lavater font lever les épaules ; dont la santé est tout à fait délabrée, et qui ne goûte, par conséquent, aucune joie sur la terre de Dieu ! Une pareille créature était seule capable de faire abattre mes noyers. Vois-tu, je n’en reviens pas. Figure-toi que les feuilles tombées lui rendent la cour humide et malpropre ; les arbres interceptent le jour à madame, et, quand les noix sont mûres, les enfants y jettent des pierres, et cela lui donne sur les nerfs, la trouble dans ses profondes méditations, lorsqu’elle pèse et met en parallèle Kennikot, Semler et Michaëlis. Quand j’ai vu les gens du village, surtout les vieux, si mécontents, je leur ai dit : « Pourquoi l’avez-vous souffert ?— A la campagne, m’ontils répondu, quand le maire veut quelque chose, que peut-on /aire ? * Mais voici une bonne aventure. : le- pasteur espérait aussi tirer quelque avantage des caprices de sa femme, qui d’ordinaire ne rendent pas sa soupe plus grasse, et il croyait partager le produit avec le maire ; la chambre des domaines en fut avertie et dit : « A moi, s’il vous plaît ! » car elle avait d’anciennes prétentions sur la partie du presbytère où les arbres étaient plantés, et elle les a vendus aux enchères. Ils sont à bas ! Oh ! si j’étais prince, la femme du pasteur, le maire, la chambre des domaines, apprendraient…. Prince !… Eh ! si j’étais prince, que m’importeraient les arbres de mon pays ?
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther)
J’ai d’ailleurs un ami qui, ces jours-ci, m’a affirmé que nous ne savons même pas être paresseux. Il prétend que nous paressons lourdement, sans plaisir, ni béatitude, que notre repos est fiévreux, inquiet, mécontent ; qu’en même temps que la paresse, nous gardons notre faculté d’analyse, notre opinion sceptique, une arrière-pensée, et toujours sur les bras une affaire courante, éternelle, sans fin. Il dit encore que nous nous préparons à être paresseux et à nous reposer comme à une affaire dure et sérieuse et que, par exemple, si nous voulons jouir de la nature, nous avons l’air d’avoir marqué sur notre calendrier, encore la semaine dernière, que tel et tel jour, à telle et telle heure, nous jouirons de la nature. Cela me rappelle beaucoup cet Allemand ponctuel qui, en quittant Berlin, nota tranquillement sur son carnet. « En passant à Nuremberg ne pas oublier de me marier. » Il est certain que l’Allemand avait, avant tout, dans sa tête, un système, et il ne sentait pas l’horreur du fait, par reconnaissance pour ce système. Mais il faut bien avouer que dans nos actes à nous, il n’y a même aucun système. Tout se fait ainsi comme par une fatalité orientale. Mon ami a raison en partie. Nous semblons traîner notre fardeau de la vie par force, par devoir, mais nous avons honte d’avouer qu’il est au-dessus de nos forces, et que nous sommes fatigués. Nous avons l’air, en effet, d’aller à la campagne pour nous reposer et jouir de la nature. Regardez avant tout les bagages rien laissé de ce qui est usé, de ce qui a servi l’hiver, au contraire, nous y avons ajouté des choses nouvelles. Nous vivons de souvenirs et l’ancien potin et la vieille affaire passent pour neufs. Autrement c’est ennuyeux ; autrement il faudra jouer au whist avec l’accompagnement du rossignol et à ciel ouvert. D’ailleurs, c’est ce qui se fait. En outre, nous ne sommes pas bâtis pour jouir de la nature ; et, en plus, notre nature, comme si elle connaissait notre caractère, a oublié de se parer au mieux. Pourquoi, par exemple, est-elle si développée chez nous l’habitude très désagréable de toujours contrôler, éplucher nos impressions – souvent sans aucun besoin – et, parfois même, d’évaluer le plaisir futur, qui n’est pas encore réalisé, de le soupeser, d’en être satisfait d’avance en rêve, de se contenter de la fantaisie et, naturellement, après, de n’être bon à rien pour une affaire réelle ? Toujours nous froisserons et déchirerons la fleur pour sentir mieux son parfum, et ensuite nous nous révolterons quand, au lieu de parfum, il ne restera plus qu’une fumée. Et cependant, il est difficile de dire ce que nous deviendrions si nous n’avions pas au moins ces quelques jours dans toute l’année et si nous ne pouvions satisfaire par la diversité des phénomènes de la nature notre soif éternelle, inextinguible de la vie naturelle, solitaire. Et enfin, comment ne pas tomber dans l’impuissance en cherchant éternellement des impressions, comme la rime pour un mauvais vers, en se tourmentant de la soif d’activité extérieure, en s’effrayant enfin, jusqu’à en être malade, de ses propres illusions, de ses propres chimères, de sa propre rêverie et de tous ces moyens auxiliaires par lesquels, en notre temps, on tâche, n’importe comment, de remplir le vide de la vie courante incolore. Et la soif d’activité arrive chez nous jusqu’à l’impatience fébrile. Tous désirent des occupations sérieuses, beaucoup avec un ardent désir de faire du bien, d’être utiles, et, peu à peu, ils commencent déjà à comprendre que le bonheur n’est pas dans la possibilité sociale de ne rien faire, mais dans l’activité infatigable, dans le développement et l’exercice de toutes nos facultés.
Fyodor Dostoevsky
Elle voulait s’évader, fuir toujours plus loin, rompre de manière brutale avec la vie courante, pour respirer à l’air libre. Et puis il y avait aussi cette peur panique, de temps en temps, à la perspective que les comparses que vous avez laissés derrière vous puissent vous retrouver et vous demander des comptes. Il fallait se cacher pour échapper à ces maîtres chanteurs en espérant qu’un jour vous seriez définitivement hors de leur portée. Là-haut, dans l’air des cimes. Ou l’air du large. Je comprenais bien ça. Moi aussi, je traînais encore les mauvais souvenirs et les figures de cauchemar de mon enfance auxquels je comptais faire une fois pour toutes un bras d’honneur.
Patrick Modiano
Alors que le grand U canalisait les eaux pour assécher les terres, il s’égara, contourna la mer du nord, et arriva, très loin, tout au septentrion, dans un pays sans vent ni pluie, sans animaux ni végétaux d’aucune sorte, un haut plateau bordé de falaises abruptes, avec une montagne conique au centre. D’un trou sans fond, au sommet du cône, jaillit une eau d’une odeur épicée et d’un goût vineux, qui coule en quatre ruisseaux jusqu’au bas de la montagne, et arrose tout le pays. La région est très salubre, ses habitants sont doux et simples. Tous habitent en commun, sans distinction d’âge ni de sexe, sans chefs, sans familles. Ils ne cultivent pas la terre, et ne s’habillent pas. Très nombreux, ces hommes ne connaissent pas les joies de la jeunesse, ni les tristesses de la vieillesse. Ils aiment la musique, et chantent ensemble tout le long du jour. Ils apaisent leur faim en buvant de l’eau du geyser merveilleux, et réparent leurs forces par un bain dans ces mêmes eaux. Ils vivent ainsi tous exactement cent ans, et meurent sans avoir jamais été malades. Jadis, dans sa randonnée vers le Nord, l’empereur Mou des Tcheou visita ce pays, et y resta trois ans. Quand il en fut revenu, le souvenir qu’il en conservait, lui fit trouver insipides son empire, son palais, ses festins, ses femmes, et le reste. Au bout de peu de mois, il quitta tout pour y retourner. Koan-tchoung étant ministre du duc Hoan de Ts’i, l’avait presque décidé à conquérir ce pays. Mais Hien-p’eng ayant blâmé le duc de ce qu’il abandonnait Ts’i, si vaste, si peuplé, si civilisé, si beau, si riche, pour exposer ses soldats à la mort et ses feuda¬taires à la tentation de déserter, et tout cela pour une lubie d’un vieillard, le duc Hoan renonça à l’entreprise, et redit à Koan-tchoung les paroles de Hien-p’eng. Koan-tchoung dit : Hien p’eng n’est pas à la hauteur de mes conceptions. Il est si entiché de Ts’i, qu’il ne voit rien au delà. (Lieh-Zi, 5.5) 湯問,5: 禹之治水上也,迷而失塗,謬之一國。濱北海之北,不知距齊州幾千萬里,其國名曰終北,不知際畔之所齊限。无風雨霜露,不生鳥、獸、蟲、魚、草、木之類。四方悉平,周以喬陟。當國之中有山,山名壺領,狀若甔甄。頂有口,狀若員環,名曰滋穴。有水湧出,名曰神瀵,臭過蘭椒,味過醪醴。一源分為四埒,注於山下;經營一國,亡不悉徧。土氣和,亡札厲。人性婉而從,物不競不爭。柔心而弱骨,不驕不忌;長幼儕居,不君不臣;男女雜游,不媒不聘;緣水而居,不耕不稼;土氣溫適,不織不衣;百年而死,不夭不病。其民孳阜亡數,有喜樂,亡衰老哀苦。其俗好聲,相攜而迭謠,終日不輟音。饑惓則飲神瀵,力志和平。過則醉經旬乃醒。沐浴神瀵,膚色脂澤,香氣經旬乃歇。周穆王北遊,過其國,三年忘歸。既反周室,慕其國,惝然自失。不進酒肉,不召嬪御者數月,乃復。管仲勉齊桓公,因遊遼口,俱之其國。幾剋舉,隰朋諫曰:「君舍齊國之廣,人民之眾,山川之觀,殖物之阜,禮義之盛,章服之美,妖靡盈庭,忠良滿朝,肆咤則徒卒百萬,視撝則諸侯從命,亦奚羨於彼,而棄齊國之社稷,從戎夷之國乎?此仲父之耄,柰何從之?」桓公乃止,以隰朋之言告管仲,仲曰:「此固非朋之所及也。臣恐彼國之不可知之也。齊國之富奚戀?隰朋之言奚顧?」
Liezi (Lieh-tzu: A Taoist Guide to Practical Living (Shambhala Dragon Editions))
Si tu as été aimé, si tu as donné du bonheur ou de l'espérance, il se trouvera forcément quelqu'un, au jour de ta mort, pour te fermer les yeux, quelqu'un pour rassembler tes amis, organiser une veillée et t'entourer de tes souvenirs les plus chers.
Jacques Attali (Le premier jour après moi)
Les légendes sur le Palais sont innombrables: on dit que l'ensemble obéit à des principes ésotériques, qu'un coiffeur y tint secrètement salon des années durant, que les rares plans qui avaient survécu brûlèrent à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qu'Orson Welles voulut y tourner Le Procès. Certains faits sont avérés: Léon Foucault y renouvela l'expérience du pendule et Adolf Hitler, grand admirateur de l'édifice, demanda à Speer d'en faire de minutieux croquis, au lendemain de l'invasion de la Belgique. De Poelaert, les habitants de Marolles gardèrent un souvenir qui s'est transmis jusqu'à nos jours. 'Architecte!' demeure l'une des insultes les plus graves dont on puisse se faire traiter.
Benoît Peeters (Les Cités obscures : Livre 2)
La mort entraîne peu de chose dans le néant, très peu. Me suis patiemment appliqué à repêcher des souvenirs. Fautes commises, aventures secrètes, petites hontes etc. Pour chacune, je me demandais : « Et ceci, est-ce que ça disparaîtra entièrement avec moi ? Est-ce qu’il n’en reste vraiment aucune trace, ailleurs qu’en moi ? » Me suis acharné, près d’une heure durant, à retrouver dans mon passé quelque chose, un acte un peu particulier, dont je sois sûr qu’il ne subsiste rien, rien, nulle part ailleurs que dans ma conscience ; pas le moindre prolongement, pas la moindre conséquence matérielle ou morale, aucun germe de pensée qui puisse, après moi, lever dans la mémoire d’un autre être. Mais, pour chacun de mes souvenirs, je finissais par trouver quelque témoin possible, quelqu’un qui avait su la chose ou qui avait été à même de la deviner, - quelqu’un qui vivait peut-être encore, et qui, moi disparu, pourrait un jour, au hasard d’une réminiscence... Je me tournais et me retournais sur mes oreillers, torturé par un inexplicable sentiment de regret, de mortification, à l’idée que si je ne parvenais pas à trouver quelque chose, ma mort serait un dérision, je n’aurais même pas cette consolation pour l’orgueil d’emporter dans le néant quelque chose m’appartenant en exclusivité.
Roger Martin du Gard (Les Thibault III: l'été 1914)
C'était une vie sans but et faite avec des jours ajoutés. Plus rien n'était mauvais, à cause de l'habitude, mais surtout plus rien n'était bon. Autrefois, il connaissait le repos de chaque soir, après avoir battu le fer, et s'asseoir, dormir, se reformer pour le lendemain, cela même était un but, cela séparait la nuit du jour et semblait illustrer la vie. Mais les longs repos, la paresse entrant dans la chair, la décomposition de la chair par la paresse! Le temps coule comme dans les conques marines, monotone et bête, en souvenir de la mer et des galets et l'on entend dans sa tête comme une fuite sans cause. Le temps s'en va son train et ressemble aux chiens errants qui trottinent en baissant l'oreille.
Charles-Louis Philippe (Le Pere Perdrix)
C’est cette histoire que, moi aussi, j’ai obéi au désir de te conter, alors que je te connaissais à peine, toi qui ne peux plus te souvenir, mais qui ayant, comme par hasard, eu connaissance du début de ce livre, es intervenue si opportunément, si violemment et si efficacement auprès de moi sans doute pour me rappeler que je le voulais « battant comme une porte » et que par cette porte je ne verrais sans doute jamais entrer que toi. Entrer et sortir que toi. Toi qui de tout ce qu’ici j’ai dit n’auras reçu qu’un peu de pluie sur ta main levée vers « LES AUBES ». Toi qui me fais tant regretter d’avoir écrit cette phrase absurde et irrétractable sur l’amour, le seul amour, tel qu’il ne peut être qu’à toute épreuve. Toi qui, pour tous ceux qui m’écoutent, ne dois pas être une entité mais une femme, toi qui n’es rien tant qu’une femme, malgré tout ce qui m’en a imposé et m’en impose en toi pour que tu sois la Chimère. Toi qui fais admirablement tout ce que tu fais et dont les raisons splendides, sans confiner pour moi à la déraison, rayonnent et tombent mortellement comme le tonnerre. Toi la créature la plus vivante, qui ne parais avoir été mise sur mon chemin que pour que j’éprouve dans toute sa rigueur la force de ce qui n’est pas éprouvé en toi. Toi qui ne connais le mal que par ouï-dire. Toi, bien sûr, idéalement belle. Toi que tout ramène au point du jour et que par cela même je ne reverrai peut-être plus…
André Breton
Le moment de la journée que je préférais, c'était à Paris l'hiver entre six heures et huit heures et demie du matin, quand il faisait encore nuit. Un répit avant le lever du jour. Le temps était en suspens et l'on se sentait plus léger que d'habitude.
Patrick Modiano (Souvenirs dormants)
La peur d'être déplacé, d'avoir honte. Un jour, il est monté par erreur en première avec un billet de seconde. Le contrôleur lui a fait payer le supplément. Autre souvenir de honte : chez le notaire, il a dû écrire le premier « lu et approuvé », il ne savait pas comment orthographier, il a choisi « à prouver ». Gêne, obsession de cette faute, sur la route du retour. L'ombre de l'indignité.
Annie Ernaux (La Place)
Et c'est comme ça que mes rêves de bonheur conjugal bourgeois se sont évanouis. Je n'avais plus la moindre raison de vouloir devenir médecin rural et je me suis retrouvé ici. Mais je n'ai jamais pu effacer Madalina de mon souvenir. J'entendais dire qu'elle avait eu de la chance, qu'elle avait du succès dans le monde, mais je n'ai jamais essayé de la revoir. Je vivais dans l'illusion qu'au plus profond de son cœur elle n'aimait toujours que moi et j'avoue que j'avais peur de perdre cette dernière illusion. Le hasard m'a mis un jour, bien malgré moi, en face de Mme Faranga.
Liviu Rebreanu (Mădălina)
L'apparition du pantalon dans les Principautés [roumaines], comme toute chose destinée à changer les sociétés, fut d'abord honteuse, décriée, huée et raillée. Le tout premier Roumain qui a changé ses habits pour un frac et un chapeau haut de forme est longtemps passé, auprès des cours de Iași et de Bucarest pour un excentrique ou pour ce qu'on appelle maintenant un « clown ». Les intendants des domaines rigolaient, les valets et les Tziganes étaient gênés de retirer leur chapeau devant une queue de pie et les boyards en caressant leurs grandes barbes touffues selon rang et fonction criaient avec beaucoup d'humour : « Hé, l'Allemand… ! » En hivers les chenapans accostaient les porteurs de vestons dans la rue par des remarques du genre : « Chaud, chaud messieurs ? », et par d'autres mots d'esprit très en vogue à l'époque. Les boyards et les dames se tordaient de rire. […] Personne ne se doutait en ce jour-là qu'une grande bourrasque traversait la Moldavie, bouleversant ses vieilles habitudes… Aujourd'hui des anciens habits ne reste qu'un souvenir, dont on s'étonne quand on les aperçoit parfois au théâtre. (traduit du roumain par Mălina Sgondea Vuillet)
Alecu Russo (Opere complete)
Il avait eu du mal aussi à rassembler les anciens jeunes mariés, devenus pères et mères, déjà lassés de la vie conjugale, et désireux d'oublier jusqu'au souvenir du jour où ils avaient lié leurs vies devant l'autel. Mais plus dur encore avait été de retrouver la trace de ceux qui étaient partis pour leur dernier voyage ; chacun les avait oubliés et personne ne voulait perdre son temps à s'en souvenir. Les gens en avaient bien assez de leurs querelles de vivants sans s’embarrasser de celles qu'ils avaient eues avec les morts, du temps où ces derniers n'avaient pas encore rendu l'âme.
Ștefan Bănulescu (Yasmina)
Nous connaissions par cœur l'histoire de l'ours Fram [« Fram l'ours polaire » de Cezar Petrescu], Les Souvenirs d'enfance d'Ion Creangă et les merveilleux contes des Mille et Une Nuits. Parfois, le soir, malgré le prix du pétrole, Bunica [grand-mère] nous laissait la lampe quelques précieuses minutes pour que nous continuions notre Tour du monde en quatre-vingts jours. (p. 131)
Florentina Postaru (Heureux qui comme mon aspirateur, a fait un beau voyage)
Mânes de Wolfe et de Montcalm, tombés tous deux le même jour au champ d'honneur, mânes de Lévis, dont le dernier combat sur les bords du Saint-Laurent fut une suprême victoire ; mânes de Montmorency-Laval, qui fut le fondateur de ce vigoureux système d'éducation dont nous récoltons aujourd'hui les résultats ; mânes des martyres de 1837-38, victimes patriotiques dont le sang a fait germer nos libertés politiques ; mânes de Lafontaine et de Baldwin, champions de nos droits constitutionnels ; mânes de Cartier ; mânes de Chapleau ; mânes de Mercier, vous planez en ce moment sur nos têtes ; vous êtes les témoins du spectacle de tout un peuple réuni ici pour se souvenir. Quand vous repartirez ce soir, pour retourner vers ces régions de l'au-delà qu'on appelle le ciel, emportez avec vous l'hymne de reconnaissance, la prière de ce peuple qui est venu s'agenouiller ce matin devant l'autel du Tout-Puissant, pour le remercier et lui demander sa protection pour l'avenir.
Israël Tarte, 24 juin 1901
Pour résumer : chaque jour, je ressemblais davantage à la vieille paysanne russe attendant le train. Peu après la révolution, ou après une guerre ou une autre, la confusion règne au point que personne n'a idée de quand va pointer la nouvelle aube, et encore moins de quand va arriver le prochain train, mais la campagnarde chenue a entendu dire que celui-ci est prévu pour tantôt. Vu la taille du pays, et le désordre de ces temps, c'est une information aussi précise que toute personne douée de raison est en droit d'exiger, et puisque la vieille n'est pas moins raisonnable que quiconque, elle rassemble ses baluchons de nourriture, ainsi que tout l’attirail nécessaire au voyage, avant de se oser à côté de la voie ferrée. Quel autre moyen d'être sûre d'attraper le train que de se trouver déjà sur place lorsqu'il se présentera ? Et le seul moyen d'être là à l'instant voulu, c'est de rester là sans arrêt. Évidemment, il se peut que ce convoi n'arrive jamais, ni un autre. Cependant, sa stratégie a pris en compte jusqu'à cette éventualité : le seul moyen de savoir s'il y aura un train ou pas, c'est d'attendre suffisamment longtemps ! Combien de temps ? Qui peut le dire ? Après tout, il se peut que le train surgisse immédiatement après qu'elle a renoncé et s'en est allée, et dans ce cas, toute cette attente, si longue eût-elle été, aurait été en vain. Mouais, pas très fiable, ce plan, ricaneront certains. Mais le fait est qu'en ce monde personne ne peut être complètement sûr de rien, n'est-ce pas ? La seule certitude, c'est que pour attendre plus longtemps qu'une vieille paysanne russe, il faut savoir patienter sans fin. Au début, elle se blottit au milieu de ses baluchons, le regard en alerte afin de ne pas manquer la première volute de fumée à l'horizon. Les jours forment des semaines, les semaines des mois, les mois des années. Maintenant, la vieille femme se sent chez elle : elle sème et récolte ses modestes moissons, accomplit les tâches de chaque saison et empêche les broussailles d'envahir la voie ferrée pour que le cheminot voie bien où il devra passer. Elle n'est pas plus heureuse qu'avant, ni plus malheureuse. Chaque journée apporte son lot de petites joies et de menus chagrins. Elle conjure les souvenirs du village qu'elle a laissé derrière elle, récite les noms de ses parents proches ou éloignés. Quand vous lui demandez si le train va enfin arriver, elle se contente de sourire, de hausser les épaules et de se remettre à arracher les mauvaises herbes entre les rails. Et aux dernières nouvelles, elle est toujours là-bas, à attendre. Comme moi, elle n'est allée nulle part, finalement ; comme elle, j'ai cessé de m'énerver pour ça. Pour sûr, tout aurait été différent si elle avait pu compter sur un horaire de chemins de fer fiable, et moi sur un procès en bonne et due forme. Le plus important, c'est que, l'un comme l'autre, nous avons arrêté de nous torturer la cervelle avec des questions qui nous dépassaient, et nous nous sommes contentés de veiller sur ces mauvaises herbes. Au lieu de rêver de justice, j'espérais simplement quelques bons moments entre amis ; au lieu de réunir des preuves et de concocter des arguments, je me contentais de me régaler des bribes de juteuses nouvelles venues du monde extérieur ; au lieu de soupirer après de vastes paysages depuis longtemps hors de portée, je m'émerveillais des moindres détails, des plus intimes changements survenus dans ma cellule. Bref, j'ai conclus que je n'avais aucun pouvoir sur ce qui se passait en dehors de ma tête. Tout le reste résidait dans le giron énigmatique des dieux présentement en charge. Et lorsque j'ai enfin appris à cesser de m'en inquiéter, l'absolution ainsi conférée est arrivée avec une étonnante abondance de réconfort et de soulagement.
Andrew Szepessy (Epitaphs for Underdogs)
Il était de ces hommes, rares dans notre ville comme ailleurs, qui ont toujours le courage de leurs bons sentiments. Le peu qu’il confiait de lui témoignait en effet de bontés et d’attachements qu’on n’ose pas avouer de nos jours. Il ne rougissait pas de convenir qu’il aimait ses neveux et sa sœur, seule parente qu’il eût gardée et qu’il allait, tous les deux ans, visiter en France. Il reconnaissait que le souvenir de ses parents, morts alors qu’il était encore jeune, lui donnait du chagrin. Il ne refusait pas d’admettre qu’il aimait par-dessus tout une certaine cloche de son quartier qui résonnait doucement vers cinq heures du soir. Mais, pour évoquer des émotions si simples cependant, le moindre mot lui coûtait mille peines. Finalement, cette difficulté avait fait son plus grand souci. « Ah ! docteur, disait-il, je voudrais bien apprendre à m’exprimer. » Il en parlait à Rieux chaque fois qu’il le rencontrait.
Albert Camus (The Plague)
Le bonheur est comme l'été : il n'irradie pas. Rien à attendre de son souvenir pour les jours où nous aurons froid. - Il y a des sensations qui écrivent en lettres ineffaçables. Le bonheur écrit blanc.
Henry de Montherlant (Le Démon du bien)
A-t-on conscience, lorsqu’on vit quelque chose, que ce moment se transformera en un souvenir qu’on chérira de toutes nos forces plus tard ? La plupart du temps, non. Mais parfois, tout au fond de soi, on sent que quelques instants de joie sont en train de se graver dans notre mémoire au moment même où ils se produisent, on est capables de ressentir ce processus d’enregistrement, de se dire qu’on ne les oubliera pas. Qu’un jour, c’est à ces bribes de vie qu’on se raccrochera à tout prix.
Amélie Antoine (Sans elle (French Edition))