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Et cependant, je me découvris plein de songes.
Ils me vinrent sans bruit, comme des eaux de source, et je ne compris pas, tout d'abord, la douceur qui m'envahissait. Il n'y eut point de voix, ni d'images, mais le sentiment d'une présence, d'une amitié très proche et déjà à demi devinée. Puis, je compris et m'abandonnai, les yeux fermés, aux enchantements de ma mémoire.
Il était, quelque part, un parc chargé de sapins noirs et de tilleuls, et une vieille maison que j'aimais. Peu importait qu'elle fût éloignée ou proche, qu'elle ne pût ni me réchauffer dans ma chair ni m'abriter, réduite ici au rôle de songe il suffisait qu'elle existât pour remplir ma nuit de sa présence. Je n'étais plus ce corps échoué sur une grève, je m'orientais, j'étais l'enfant de cette maison, plein du souvenir de ses odeurs, plein de la fraîcheur de ses vestibules, plein des voix qui l'avaient animée. Et jusqu'au chant des grenouilles dans les mares qui venait ici me rejoindre.
[...]
Non, je ne logeais plus entre le sable et les étoiles. Je ne recevais plus du décor qu'un message froid. Et ce goût même d'éternité que j'avais cru tenir de lui, j'en découvrais maintenant l'origine. Je revoyais les grandes armoires solennelles de la maison. Elles s'entrouvraient sur des piles de draps blancs comme neige. Elles s'entrouvraient sur des provisions glacées de neige. La vieille gouvernante trottait comme un rat de l'une à l'autre, toujours vérifiant, dépliant, repliant, recomptant le linge blanchi, s'écriant : « Ah ! mon Dieu, quel malheur » à chaque signe d'une usure qui menaçait l'éternité de la maison, aussitôt courant se brûler les yeux sous quelque lampe, à réparer la trame de ces nappes d'autel, à ravauder ces voiles de trois-mâts, à servir je ne sais quoi de plus grand qu'elle, un Dieu ou un navire.
Ah ! je te dois bien une page. Quand je rentrais de mes premiers voyages, mademoiselle, je te retrouvais l'aiguille à la main, noyée jusqu'aux genoux dans tes surplis blancs, et chaque année un peu plus ridée, un peu plus blanchie, préparant toujours de tes mains ces draps sans plis pour nos sommeils, ces nappes sans coutures pour nos dîners, ces fêtes de cristaux et de lumière. Je te visitais dans ta lingerie, je m'asseyais en face de toi, je te racontais mes périls de mort pour t'émouvoir, pour t'ouvrir les yeux sur le monde, pour te corrompre. Je n'avais guère changé, disais-tu. Enfant, je trouais déjà mes chemises. - Ah ! quel malheur ! - et je m'écorchais aux genoux ; puis je revenais à la maison pour me faire panser, comme ce soir. Mais non, mais non, mademoiselle ! ce n'était plus du fond du parc que je rentrais, mais du bout du monde, et je ramenais avec moi l'odeur âcre des solitudes, le tourbillon des vents de sable, les lunes éclatantes des tropiques ! Bien sûr, me disais-tu, les garçons courent, se rompent les os, et se croient très forts. Mais non, mais non, mademoiselle, j'ai vu plus loin que ce parc ! Si tu savais comme ces ombrages sont peu de chose ! Qu'ils semblent bien perdus parmi les sables, les granits, les forêts vierges, les marais de la terre. Sais-tu seulement qu'il est des territoires où les hommes, s'ils vous rencontrent, épaulent aussitôt leur carabine ? Sais-tu même qu'il est des déserts où l'on dort, dans la nuit glacée, sans toit, mademoiselle, sans lit, sans draps.
« Ah ! barbare », disais-tu.
Je n'entamais pas mieux sa foi que je n'eusse entamé la foi d'une servante d'église. Et je plaignais son humble destinée qui la faisait aveugle et sourde.
[...]
Mes songes sont plus réels que ces dunes, que cette lune, que ces présences. Ah ! le merveilleux d'une maison n'est point qu'elle vous abrite ou vous réchauffe, ni qu'on en possède les murs. Mais bien qu'elle ait lentement déposé en nous ces provisions de douceur. Qu'elle forme, dans le fond du cœur, ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes.
Mon Sahara, mon Sahara, te voilà tout entier enchanté par une fileuse de laine !
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