Grand Homme Quotes

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Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais reveille au sein des hommes le desir de la mer grande et large. If you want to build a ship, don't drum up people together to collect wood and don't assign them tasks and work, but rather teach them to long for the endless immensity of the sea.
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Antoine de Saint-Exupéry
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Le plus grand faible des hommes, c'est l'amour qu'ils ont de la vie.
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MoliĂšre
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Presque tous les malheurs de la vie viennent des fausses idées que nous avons sur ce qui nous arrive. Connaßtre à fond les hommes, juger sainement des événements, est donc un grand pas vers le bonheur." ("Almost all our misfortunes in life come from the wrong notions we have about the things that happen to us. To know men thoroughly, to judge events sanely, is, therefore, a great step towards happiness.") [Journal entry, 10 December 1801]
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Stendhal (The Private Diaries of Stendhal)
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Soyons fermes, purs et fidÚles ; au bout de nos peines, il y a la plus grande gloire du monde, celle des hommes qui n'ont pas cédé. [Let us be firm, pure and faithful; at the end of our sorrow, there is the greatest glory of the world, that of the men who did not give in.]
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Charles de Gaulle
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À partir de lĂ , le dialogue de la journĂ©e suivait une pente uniformĂ©ment descendante, mais avec des lĂšvres et des mains chaleureuses et languides flottant sur les surface les plus sensibles du corps, le monde Ă©tait aussi prĂšs que possible de la perfection. Freud appelait cela un Ă©tat de perversitĂ© polymorphe impersonnel et le regardait d'un mauvais oeil, mais je doute fort qu'il ait jamais eu les mains de Lil lui frĂŽlant le corps. Ou mĂȘme celles de sa propre femme dans le mĂȘme rĂŽle. Freud Ă©tait un bien grand homme, mais je n'arrive pas Ă  me faire Ă  l'idĂ©e que quelqu'un lui ait jamais efficacement flattĂ© le pĂ©nis.
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Luke Rhinehart (The Dice Man)
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Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes: Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.
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Pierre Corneille (Le Cid)
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« La grande question dans la vie, c'est la douleur que l'on cause, et la métaphysique la plus ingénieuse ne justifie pas l'homme qui a déchiré le coeur qui l'aimait. »
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
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Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indiffĂ©rence n'apprend rien: c'Ă©tait un leurre, une illusion fascinante et piĂ©gĂ©e. Tu Ă©tais seul et voilĂ  tout et tu voulais te protĂ©ger: qu'entre le monde et toi les ponts soient Ă  jamais coupĂ©s. Mais tu es si peu de chose et le monde est un si grand mot: tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomĂštres des façades, des devantures, des parcs et des quais. L'indiffĂ©rence est inutile. Tu peux vouloir ou ne pas vouloir, qu'importe! Faire ou ne pas faire une partie de billard Ă©lectrique, quelqu'un, de toute façon, glissera une piĂšce de vingt centimes dans la fente de l'appareil. Tu peux croire qu'Ă  manger chaque jour le mĂȘme repas tu accomplis un geste dĂ©cisif. Mais ton refus est inutile. Ta neutralitĂ© ne veut rien dire. Ton inertie est aussi vaine que ta colĂšre.
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Georges Perec (Un Homme qui dort)
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Si quelques heures font une grande diffĂ©rence dans le cƓur de l’homme, faut-il s’en Ă©tonner ? Il n’y a qu’une minute de la vie Ă  la mort.
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François-René de Chateaubriand
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Il existe je ne sais quoi de grand et d’épouvantable dans le suicide. Les chutes d’une multitude de gens sont sans danger, comme celles des enfants qui tombent de trop bas pour se blesser; mais quand un grand homme se brise, il doit venir de bien haut, s’ĂȘtre Ă©levĂ© jusqu’aux cieux, avoir entrevu quelque paradis inaccessible. Implacables doivent ĂȘtre les ouragans qui le forcent Ă  demander la paix de l’ñme Ă  la bouche d’un pistolet
 Chaque suicide est un poĂšme sublime de mĂ©lancolie.
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Honoré de Balzac (La Peau De Chagrin)
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Dans la vie on n'a qu'un seul grand amour et tous ceux qui précÚdent sont des amours de rodage et tous ceux qui suivent sont des amours de rattrapage ; c'est maintenant ou jamais.
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Frédéric Beigbeder (Mémoires d'un jeune homme dérangé (Marc Marronnier, #1))
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J'ignore si les grandes époques font les grands hommes, mais je sais qu'elles les tuent.
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Max Brooks (World War Z)
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Zadig dirigeait sa route sur les étoiles... Il admirait ces vastes globes de lumiÚre qui ne paraissent que de faibles étincelles à nos yeux, tandis que la terre, qui n'est en effet qu'un point imperceptible dans la nature, paraßt à notre cupidité quelque chose de si grand et de si noble. Il se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue.
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Voltaire (Zadig et autres contes)
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C'est la grande faiblesse des hommes de projeter ce qu'ils ont refoulé en eux - sur les autres.
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Jean Anouilh (Oedipe ou Le roi boiteux)
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Il n’y a de grand parmi les hommes que le poĂšte, le prĂȘtre et le soldat; l'homme qui chante, l'homme qui bĂ©nit, l'homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est fait pour le fouet.
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Charles Baudelaire
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Dans la plaine rase, sous la nuit sans Ă©toiles, d'une obscuritĂ© et d'une Ă©paisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes Ă  Montsou, dix kilomĂštres de pavĂ© coupant tout droit, Ă  travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait mĂȘme pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacĂ©es d'avoir balayĂ© des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavĂ© se dĂ©roulait avec la rectitude d'une jetĂ©e, au milieu de l'embrun aveuglant des tĂ©nĂšbres.
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Émile Zola (Germinal)
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Est-ce que nous voyons la cent milliĂšme partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les Ă©difices, dĂ©racine les arbres, soulĂšve la mer en montagnes d’eau, dĂ©truit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gĂ©mit, qui mugit, – l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant.
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Guy de Maupassant (Le Horla et autres nouvelles fantastiques)
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« Vous voulez l'égalité ? Commencez par cesser de faire des enfants. » [Corinne Maier, No Kid] Une grÚve des ventres : c'était là la grande crainte exprimée lors des débats (entre hommes) qui ont précédé l'autorisation de la contraception, ce qui constitue un singulier aveu - car enfin, si la maternité dans notre société est une expérience si uniformément merveilleuse, pourquoi les femmes s'en détourneraient-elles ? (p. 87)
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Mona Chollet (SorciÚres : La puissance invaincue des femmes)
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Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant aprÚs moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitÎt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Étrange Pays dans mon pays lui-mĂȘme)
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Je t'ai vu en companie de cet homme, et le regard que tu lui portais Ă©tait celui que j'aurais rĂȘvĂ© voir dans tes yeux alors que tu me regardais. Il avait l'air si grand Ă  tes cĂŽtĂ©s, et moi si petit dans cette allĂ©e. Si j'avais pu ĂȘtre cet homme, je t'aurais tout donnĂ©, mais je n'Ă©tais que moi, l'ombre de celui que tu avais aimĂ© alors que nous Ă©tions enfants, l'ombre de l'adulte que j'Ă©tais devenu.
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Marc Levy (Le Voleur d'ombres)
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C'est une chose admirable, que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mĂȘlĂ© Ă  leur science.
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MoliÚre (Le Médecin Malgré Lui)
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Ce n'était ni le Diable ni le bon Dieu, c'était Arthur Rimbaud, c'est-à-dire un trÚs grand poÚte.
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Paul Verlaine
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Le journalisme est un enfer, un abĂźme d'iniquitĂ©s, de mensonges, de trahisons, que l'on ne peut traverser et d'oĂč l'on ne peut sortir pur, que protĂ©gĂ© comme Dante par le divin laurier de Virgile.
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Honoré de Balzac (Etudes de moeurs. 2e livre. ScÚnes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris (French Edition))
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[...] cette annĂ©e, l'anecdote amusante, il y a eu ce lecteur Ă©merveillĂ© qui est venu me couvrir d'Ă©loges parce qu'il me confondait avec mon oncle! L'illustre historien et penseur. Je n'ai pas eu le cƓur de lui dire qu'il se trompait de bonhomme. Il est reparti Ă©bloui d'avoir pu bavarder quelque instants avec le grand homme [...] - Chronique Medi1 Radio - "Le Maghreb des Livres" 09/02/2015
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Fouad Laroui
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Et que faudrait-il faire ? Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc Et s'en fait un tuteur en lui lĂ©chant l'Ă©corce, Grimper par ruse au lieu de s'Ă©lever par force ? Non, merci ! DĂ©dier, comme tous ils le font, Des vers aux financiers ? se changer en bouffon Dans l'espoir vil de voir, aux lĂšvres d'un ministre, NaĂźtre un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? Non, merci ! DĂ©jeuner, chaque jour, d'un crapaud ? Avoir un ventre usĂ© par la marche ? une peau Qui plus vite, Ă  l'endroit des genoux, devient sale ? ExĂ©cuter des tours de souplesse dorsale ?... Non, merci ! D'une main flatter la chĂšvre au cou Cependant que, de l'autre, on arrose le chou, Et donneur de sĂ©nĂ© par dĂ©sir de rhubarbe, Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci ! Se pousser de giron en giron, Devenir un petit grand homme dans un rond, Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? Non, merci ! Chez le bon Ă©diteur de Sercy Faire Ă©diter ses vers en payant ? Non, merci ! S'aller faire nommer pape par les conciles Que dans des cabarets tiennent des imbĂ©ciles ? Non, merci ! Travailler Ă  se construire un nom Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non, Merci ! Ne dĂ©couvrir du talent qu'aux mazettes ? Être terrorisĂ© par de vagues gazettes, Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je sois Dans les petits papiers du Mercure François" ?... Non, merci ! Calculer, avoir peur, ĂȘtre blĂȘme, PrĂ©fĂ©rer faire une visite qu'un poĂšme, RĂ©diger des placets, se faire prĂ©senter ? Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter, RĂȘver, rire, passer, ĂȘtre seul, ĂȘtre libre, Avoir l'Ɠil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il vous plaĂźt, son feutre de travers, Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers ! Travailler sans souci de gloire ou de fortune, À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! N'Ă©crire jamais rien qui de soi ne sortĂźt, Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit, Sois satisfait des fleurs, des fruits, mĂȘme des feuilles, Si c'est dans ton jardin Ă  toi que tu les cueilles ! Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, Ne pas ĂȘtre obligĂ© d'en rien rendre Ă  CĂ©sar, Vis-Ă -vis de soi-mĂȘme en garder le mĂ©rite, Bref, dĂ©daignant d'ĂȘtre le lierre parasite, Lors mĂȘme qu'on n'est pas le chĂȘne ou le tilleul, Ne pas monter bien haut, peut-ĂȘtre, mais tout seul !
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la mĂȘme chose, ceux qui font prĂ©cisĂ©ment le contraire et surtout la grande armĂ©e des gens, d'autant plus sĂ©vĂšres, qu'ils ne font rien du tout.
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Jules Clarétie
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Celui qui vous maĂźtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon que l’avantage que vous lui faites pour vous dĂ©truire.
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Étienne de La BoĂ©tie (Discours de la servitude volontaire: RĂ©quisitoire contre l'Absolutisme (French Edition))
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Temperee, riante, (comme le sont celles d'automne dans la tres gracieuse ville de Buenos Aires) resplendissait la matinee de ce 28 avril: dix heures venait de sonner aux horloges et, a cet instant, eveillee, gesticulant sous le soleil matinal, la Grande Capitale du Sud etait un epi d'hommes qui se disputaient a grands cris la possession du jour et de la terre.
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Leopoldo Marechal (AdĂĄn Buenosayres)
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Mais surtout, surtout Jonathan, un matin oĂč passait le facteur, un petit matin gros et froid, un matin oĂč il ouvrait sa grande sacoche jaune et pleine; soufflant de la buĂ©e en cherchant le courrier, j'ai ressenti un frisson qui a couru tout mon corps et m'a effarĂ©e. Un frisson qui m'a gelĂ©e sur place, un frisson qui s'est transformĂ© en Ă©clair et m'a foudroyĂ© la nuque : j'ai compris que j'attendais vos lettres, j'attendais vos mots, j'attendais vos descriptions d'auberges, de routes, de famille française, de soupe au chou... J'Ă©tais en train de vous attendre. J'allais donc souffrir de vous. Et je ne veux plus souffrir Jonathan. En ce mois de dĂ©cembre, j'ai couru Ă  Paris, j'ai couru dans FĂ©camps, j'ai couru dans ma maison, j'ai couru dans la librairie pour me sauver de vous, vous abandonner sur vos petites routes aux arbres secs et noirs. J'avais peur
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Katherine Pancol (Un homme Ă  distance)
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Il y a pas une grande sagesse a dire un mot de reproche ; mais il y a une plus grande sagesse a dire un mot qui, sans se moquer du malheur de l'homme, le ranime, lui rende du courage, comme les éperons rendent du courage à un cheval que l'abreuvoir a rafraßchi.
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Nikolai Gogol
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J'avais deux raisons de respecter mon instituteur : il me voulait du bien, il avait l'haleine forte. Les grandes personnes doivent ĂȘtre laides, ridĂ©es, incommodes; quand elles me prenaient dans leurs bras, il ne me dĂ©plaisait pas d'avoir un lĂ©ger dĂ©goĂ»t Ă  surmonter : c'Ă©tait la preuve que la vertu n'Ă©tait pas facile. Il y avait des joies simples, triviales : courir, sauter, manger des gĂąteaux, embrasser la peau douce et parfumĂ©e de ma mĂšre; mais j'attachais plus de prix aux plaisirs studieux et mĂȘlĂ©s que j'Ă©prouvais dans la compagnie des hommes mĂ»rs : la rĂ©pulsion qu'ils m'inspiraient faisait partie de leur prestige ; je confondais le dĂ©goĂ»t avec l'esprit de sĂ©rieux. J'Ă©tais snob.
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Jean-Paul Sartre (The Words: The Autobiography of Jean-Paul Sartre)
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J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisĂ©es, les imbaisables, les hystĂ©riques, les tarĂ©es, toutes les exclues du grand marchĂ© Ă  la bonne meuf. Et je commence par lĂ  pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais ma place contre aucune autre parce qu’ĂȘtre Virginie Despentes me semble ĂȘtre une affaire plus intĂ©ressante Ă  mener que n’importe quelle autre affaire. Je trouve ça formidable qu’il y ait aussi des femmes qui aiment sĂ©duire, qui sachent sĂ©duire, d’autres se faire Ă©pouser, des qui sentent le sexe et d’autres le gĂąteau du goĂ»ter des enfants qui sortent de l’école. Formidable qu’il y en ait de trĂšs douces, d’autres Ă©panouies dans leur fĂ©minitĂ©, qu’il y en ait de jeunes, trĂšs belles, d’autres coquettes et rayonnantes. Franchement, je suis bien contente pour toutes celles Ă  qui les choses telles qu’elles sont conviennent. C’est dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-lĂ . Bien sĂ»r que je n’écrirais pas ce que j’écris si j’étais belle, belle Ă  changer l’attitude de tous les hommes que je croise. C’est en tant que prolotte de la fĂ©minitĂ© que je parle, que j’ai parlĂ© hier et que je recommence aujourd’hui (p. 9-10).
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Virginie Despentes (King Kong théorie)
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La masse (...) hait l'image de l'homme car la masse est incohérente, pousse dans tous les sens à la fois et annule l'effort créateur. Il est certes mauvais que l'homme écrase le troupeau. Mais ne cherche point là le grand esclavage: il se montre quand le troupeau écrase l'homme. (chapitre XI)
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Antoine de Saint-Exupéry (Citadelle)
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En mĂȘme temps, c'est quoi ĂȘtre comme tout le monde? Si on croit les professeurs, c'est faire toute une sĂ©rie d'actions dans le bon ordre. Etre soit un homme, soit une femme, et se marier. Faire les courses. Avoir deux ou trois enfants. Les inscrire Ă  l'Ă©cole et leur acheter des livres. Travailler en mĂȘme temps pour faire tout ça. Prendre un prĂȘt bancaire pour avoir un appartement plus grand. Travailler plus, pour rembourser son prĂȘt bancaire. Acheter une petite voiture. Voter. Marier ses enfants. S'occuper des petits-enfants. Mourir. Ne pas laisser de dettes en hĂ©ritage aux enfants.
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Kaouther Adimi (L'envers des autres)
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Mes amis, j'Ă©cris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fiertĂ© de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir Ă©tĂ© choisi et apprĂ©ciĂ© par vous, et que notre amitiĂ© fut sans doute la plus belle Ɠuvre de ma vie. C'est Ă©trange, l'amitiĂ©. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitiĂ©. L'amitiĂ©, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en dĂ©clarations, en poĂšmes, en lettres. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les dĂ©mangeaisons de peau. En mourant, c'est Ă  ce grand mystĂšre silencieux que je songe et je lui rends hommage. Mes amis, je vous ai vus mal rasĂ©s, crottĂ©s, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de pĂ©ter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessĂ© de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu Ă  une femme de m'imposer toutes ses misĂšres, je l'aurais quittĂ©e, insultĂ©e, rĂ©pudiĂ©e. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnĂ©rables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la sĂ©duction. Ils jouent un rĂŽle. Pire, ils cherchent chacun le beau rĂŽle. Théùtre. ComĂ©die. Mensonge. Il n'y a pas de sĂ©curitĂ© en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut ĂȘtre aimĂ© tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge rĂ©ussi et constamment renouvelĂ©. Une amitiĂ©, c'est une vĂ©ritĂ© qui s'impose. L'amitiĂ© est nue, l'amour fardĂ©. Mes amis, je vous aime donc tels que vous ĂȘtes.
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Éric-Emmanuel Schmitt (La Part de l'autre)
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Le garçon qui m’avait souri, et qui, une seconde plus tĂŽt, n’était qu’une fonction, un outil, une sorte d’insecte monstrueux, voici qu’il se rĂ©vĂ©lait un peu gauche, presque timide, d’une timiditĂ© merveilleuse. Non qu’il fĂ»t moins brutal qu’un autre, ce terroriste ! mais l’avĂšnement de l’homme en lui Ă©clairait si bien sa part vulnĂ©rable ! On prend de grands airs, nous les hommes, mais on connaĂźt, dans le secret du coeur, l’hĂ©sitation, le doute, le chagrin

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Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
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Nous avons aussi appris que la plus grande mutilation que l'on puisse faire Ă  l'homme, c'est de le priver de toute insĂ©curitĂ©. L'insĂ©curitĂ© nous a forcĂ©s Ă  tirer de nous-mĂȘmes des richesses que nous ne soupçonnions pas : imagination, crĂ©ativitĂ©, rĂ©sistance physique et psychique, victoire sur les privations de toutes sortes, les inconforts. (p.231)
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Pierre Rabhi (Du Sahara aux Cévennes : Itinéraire d'un homme au service de la Terre-MÚre)
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Car l'homme ne vit que durant un clignement de paupiĂšres et ensuite c'est la pourriture Ă  jamais, et chaque jour tu fais un pas de plus vers le trou en terre oĂč tu moisiras en grande stupiditĂ© et silence en la seule compagnie de vers blancs et gras comme ceux de la farine et du fromage, et ils s'introduiront dans tous tes orifices pour s'y nourrir.
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Albert Cohen (Belle du Seigneur)
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Je condamne l'ignorance qui rĂšgne en ce moment dans les dĂ©mocraties aussi bien que dans les rĂ©gimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le systĂšme, sinon par le rĂ©gime. J'ai souvent rĂ©flĂ©chi Ă  ce que pourrait ĂȘtre l'Ă©ducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des Ă©tudes de base, trĂšs simples, oĂč l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planĂšte dont il devra plus tard mĂ©nager les ressources, qu'il dĂ©pend de l'air, de l'eau, de tous les ĂȘtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout dĂ©truire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tuĂ©s dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongĂšrement, de façon Ă  flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passĂ© pour qu'il se sente reliĂ© aux hommes qui l'ont prĂ©cĂ©dĂ©, pour qu'il les admire lĂ  oĂč ils mĂ©ritent de l'ĂȘtre, sans s'en faire des idoles, non plus que du prĂ©sent ou d'un hypothĂ©tique avenir. On essaierait de le familiariser Ă  la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaĂźtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposĂ©es aux enfants et aux trĂšs jeunes adolescents sous prĂ©texte de biologie ; il apprendrait Ă  donner les premiers soins aux blessĂ©s ; son Ă©ducation sexuelle comprendrait la prĂ©sence Ă  un accouchement, son Ă©ducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en sociĂ©tĂ© est impossible, instruction que les Ă©coles Ă©lĂ©mentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matiĂšre de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays oĂč il se trouve, pour Ă©veiller en lui le respect et dĂ©truire d'avance certains odieux prĂ©jugĂ©s. On lui apprendrait Ă  aimer le travail quand le travail est utile, et Ă  ne pas se laisser prendre Ă  l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatĂ©es, en lui prĂ©parant des caries et des diabĂštes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses vĂ©ritablement importantes plus tĂŽt qu'on ne le fait. (p. 255)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Il faut vouloir vivre les grands problùmes, par le corps et par l’esprit
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Georges Bataille
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La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaßt misérable
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Blaise Pascal (Pensées)
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Des hommes qui ont vécu longtemps d'un grand amour, puis en furent privés, se lassent parfois de leur noblesse solitaire. Ils se rapprochent humblement de la vie, et, d'un amour médiocre, font leur bonheur. Ils ont trouvé doux d'abdiquer, de se faire serviles, et d'entrer dans la paix des choses. L'esclave fait son orgueil de la braise du maßtre. (Terre des Hommes, ch. VI)
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Antoine de Saint-Exupéry
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Nous n’avons point de Pygmalion comme les Grecs, par consĂ©quent point de GalatĂ©e. Il faudrait donc, mes trĂšs chĂšres sƓurs, ĂȘtre plus indulgentes entre nous pour nos dĂ©fauts, nous les cacher mutuellement, et tĂącher de devenir plus consĂ©quentes en faveur de notre sexe. Est-il Ă©tonnant que les hommes l’oppriment, et n’est-ce pas notre faute ? Peu de femmes sont hommes par la façon de penser, mais il y en a quelques-unes, et malheureusement le plus grand nombre se joint impitoyablement au parti le plus fort, sans prĂ©voir qu’il dĂ©truit lui-mĂȘme les charmes de son empire.
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Olympe de Gouges (Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (La Petite Collection) (French Edition))
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Vivre d'un troupeau, c'est en grande partie le parasiter quelle que soit la prĂ©ocupation qu'on ait de son bien-ĂȘtre. Nous sommes Ă  la fois le lĂ©gislatif et l'exĂ©cutif. On ne peut enfermer des animaux dans une Ă©treinte intĂ©ressĂ©e sans aller Ă  l'encontre de leur nature. La dĂ©marche soucieuse de vivre avec et non de peut dĂ©jĂ  attĂ©nuer l'arbitraire. Il s'agit alors de vivre des rĂ©ciprocitĂ©s. (p.238)
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Pierre Rabhi (Du Sahara aux Cévennes : Itinéraire d'un homme au service de la Terre-MÚre)
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Je ris quand nous enflons notre colĂšre d'homme Pour empĂȘcher l'enfant de cueillir une pomme, Et quand nous permettons un faux serment aux rois. DĂ©fends moins tes pommiers et dĂ©fends mieux tes droits,
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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Les mÚres, des créatures indolentes et dépendantes qui se contentent de barboter dans le grand mystÚre de la vie, et laissent la politique aux hommes : vous avez demandé le XIXe siÚcle, ne quittez pas.
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Mona Chollet (SorciÚres : La puissance invaincue des femmes)
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Drogo s’aperçut Ă  quel point les hommes restent toujours sĂ©parĂ©s l'un de l'autre, malgrĂ© l'affection qu'ils peuvent se porter ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en dĂ©charger si lĂ©gĂšrement que ce soit ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, mĂȘme si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie.
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Dino Buzzati (The Tartar Steppe)
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Aussi, prĂ©fĂ©rant mille fois la mort Ă  une arrestation, j'accomplissais des choses Ă©tonnantes, et qui, plus d'une fois, me donnĂšrent cette preuve que le trop grand soin que nous prenons de notre corps est Ă  peu prĂšs le seul obstacle Ă  la rĂ©ussite de ceux de nos projets qui ont besoin d'une dĂ©cision rapide et d'une exĂ©cution vigoureuse et dĂ©terminĂ©e. En effet, une fois qu'on a fait le sacrifice de sa vie, on n'est plus l'Ă©gal des autres hommes, ou plutĂŽt les autres hommes ne sont plus vos Ă©gaux, et quiconque a pris cette rĂ©solution sent, Ă  l'instant mĂȘme, dĂ©cupler ses forces et s'agrandir son horizon. (p. 556)
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Alexandre Dumas (The Count of Monte Cristo, V1 (The Count of Monte Cristo, part 1 of 2))
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En fait, au XVÚme siÚcle, en Transylvanie, pendant la guerre contre les Ottomans, j'ai vraiment rencontré Vlad l'Empaleur, qui a inspiré le personnage mythique de Dracula, et qui n'a jamais eu les terribles canines que la légende lui attribue. Au contraire, une visite chez le dentiste lui aurait fait le plus grand bien : il avait les dents pourries, et une haleine des plus fétides. Et ce n'était pas un vampire, tout juste un catholique fanatique, doté d'un penchant fétichiste pour la décapitation, qui m'avait proposé une promenade dans sa calÚche. J'ai le chic pour attirer les hommes qui sortent de l'ordinaire.
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Christopher Pike
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- Vous ĂȘtes plus pessimiste qu'autrefois ? - Pessimisme et optimisme, encore deux mots que je rĂ©cuse. Il s'agit d'avoir les yeux ouverts. Le mĂ©decin qui analyse le sang et les selles d'un malade, mesure sa fiĂšvre et prend sa tension, n'est ni optimiste ni pessimiste : il fait de son mieux Ă  partir de ce qui est. Mais, si l'on peut employer ce misĂ©rable mot, je me sens pessimiste quand je constate combien la masse humaine a peu changĂ© depuis des millĂ©naires. Les plus grands rĂ©formateurs se sont gĂ©nĂ©ralement heurtĂ©s Ă  cette quasi-impossibilitĂ© de changer l'homme, et leur leçon s'est gĂ©nĂ©ralement perdue aprĂšs eux. (p.240)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute liberté et en toute pureté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau tel qu'il s'échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci; les animaux. Et c'est ici que s'est produite la plus grande déroute de l'homme, débùcle fondamentale dont toutes les autres découlent.
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Milan Kundera (The Unbearable Lightness of Being)
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Les cinq degrés de l'amour****** Les Sufis sont les grands maßtres de l'art d'aimer de la civilisation musulmane. Selon Ad-Daylami, l'amour est une fulgurante source de lumiÚre et " celui qui aime est éclairé dans son génie et illuminé dans sa nature". Cependant, tot amour n'est pas équivalent: " L'amour dont s'aiment entre eux les humains est de cinq espÚces pour cinq catégories différentes [ d'hommes]: - Un amour divin pour ceux qui sont parvenus à l'unité. - Un amour intellectuel pour ceux qui possÚdent la connaissance. - Un amour spirituel pour l'élite des hommes. - Un amour naturel pour la masse des humains. - Un amour bestial pour les natures abjectes".
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Fatema Mernissi (L'Amour dans les pays musulmans : A travers le miroir des textes anciens)
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C’était un de ces hommes politiques Ă  plusieurs faces, sans convictions, sans grands moyens, sans audace et sans connaissance sĂ©rieuse, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un Ă©quilibre de finaud entre tous les partis extrĂȘmes, sorte de jĂ©suite rĂ©publicain et de champignon libĂ©ral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel. Son machiavĂ©lisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collĂšgues, parmi tous les dĂ©classĂ©s et les avortĂ©s dont on fait les dĂ©putĂ©s. Il Ă©tait assez soignĂ©, assez correct, assez familier, assez aimable pour rĂ©ussir. (
) On disait partout de lui « Laroche sera ministre », et il pensait aussi plus fermement que tous les autres que Laroche serait ministre.
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Guy de Maupassant
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« Un homme trĂšs croyant priait chaque jour son Dieu, puis un jour il perdit beaucoup d’argent et se mit Ă  prier Dieu pour gagner au loto
 Au bout de nombreuses annĂ©es, l’homme mourut et comme il Ă©tait un croyant rempli de ferveur, il rencontra Dieu. Il lui dit alors : “Dieu, pourquoi ne m’as-tu pas aidĂ© pour gagner au loto au moment oĂč j’en avais le plus besoin alors que je t’ai toujours servi avec ferveur ?” Et Dieu lui rĂ©pondit : “Mon fils je n’aurais pas demandĂ© mieux que de t’aider mais encore eut-il fallu que tu achĂštes un billet du loto.” »
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Anne Meurois-Givaudan (Petit manuel pour un grand passage)
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Moi, j'ai déjà prévenu Ronsard de venir me rejoindre; et là, tous les deux loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, aux bords de la riviÚre, au murmure des ruisseaux, nous parlerons des choses de Dieu, seule compensation qu'il y ait en ce monde aux choses des hommes.
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Alexandre Dumas (Queen Margot)
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Un homme vraiment profond s'enfonce, il ne monte pas. Longtemps aprĂšs sa mort, on dĂ©couvre sa colonne enfouie, d'un seul bloc ou, peu Ă  peu, par morceaux. Tandis que ces grandes intelligences mĂ©diocres, faites de coup d'Ɠil et d'ironie, montent sans encombres jusqu'Ă  la petite corniche du pouvoir.
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Jean Cocteau (Thomas l'imposteur)
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La Voie Ă  l'horizon et la voix intĂ©rieure A l’Orient comme Ă  l’Occident, notre Ă©poque donne naissance Ă  la plus grande famine jamais constatĂ©e sur la terre. La torture des corps fait Ă©cho Ă  la souffrance des Ăąmes: les corps et les cƓurs ont faim d’humanitĂ©. La pauvretĂ©, l’errance, les dictatures, les guerres bafouent chaque jour la dignitĂ© de plusieurs milliards de femmes et d’hommes. La solitude, l’individualisme, la misĂšre morale, le manque d’amour rongent l’ĂȘtre de tous ceux que le confort devait contenter. OĂč est la voie? OĂč allons-nous? Comment ĂȘtre une femme, comment ĂȘtre un homme aujourd’hui?
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Tariq Ramadan
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Il paraĂźt qu'Ă  soixante-dix ans, c'est le meilleur souvenir qu'il vous reste. Le sexe. C'est ma grand-mĂšre qui m'a dit ça. Elle m'a dit, tu sais quand on a mon Ăąge, les plus beaux souvenirs qu'il vous reste ce sont les nuits d'amour. C'est ses mots Ă  elle, mais je sais bien ce que ça veut dire. Ça veut dire qu'il n'y a rien de tel, aprĂšs avoir bien pris son pied, que de se coller contre un homme en lui tenant la bite encore toute chaude comme un petit Ă©cureuil endormi. Tricote-toi des souvenirs, elle me dit, ma grand-mĂšre, alors moi, je fais comme elle me dit et je me tricote des souvenirs pour me faire des pulls et des pulls pour quand je serai vieille et que j'aurai toujours froid. Parce que les vieux, ils ont toujours froid. Ils ont froid de ne plus pouvoir vivre les choses. C'est ça, qui donne froid, c'est de plus pouvoir s'assouvir, de plus pouvoir se donner Ă  fond Ă  ce qu'on a envie de vivre.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Nous nous regardions, dit La PĂ©rouse, comme les plus heureux des navigateurs, d'ĂȘtre arrivĂ©s Ă  une si grande distance de l'Europe, sans avoir eu un seul malade ni un seul homme atteint du scorbut. Mais le plus grand des malheurs, celui qu'il Ă©tait le plus impossible de prĂ©voir, nous attendait Ă  ce terme
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Jules Verne
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Vieux bureaucrate, mon camarade ici prĂ©sent, nul jamais ne t'a fait Ă©vader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix Ă  force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les Ă©chappĂ©es vers la lumiĂšre. Tu t'es roulĂ© en boule dans ta sĂ©curitĂ© bourgeoise, tes routines, les rites Ă©touffants de ta vie provinciale, tu as Ă©levĂ© cet humble rempart contre les vents et les marĂ©es et les Ă©toiles. Tu ne veux point t'inquiĂ©ter des grands problĂšmes, tu as eu bien assez de mal Ă  oublier ta condition d'homme. Tu n'es point l'habitant d'une planĂšte errante, tu ne te poses point de questions sans rĂ©ponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse. Nul ne t'a saisi par les Ă©paules quand il Ă©tait temps encore. Maintenant, la glaise dont tu es formĂ© a sĂ©chĂ©, et s'est durcie, et nul en toi ne saurait dĂ©sormais rĂ©veiller le musicien endormi ou le poĂšte, ou l'astronome qui peut-ĂȘtre t'habitait d'abord.
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, Ă©tait mon Contesseur. AussitĂŽt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes. Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vĂ©ritĂ© quelle idĂ©e j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout Ă  fait trompĂ©, ni entiĂšrement rempli; la crainte de me trahir m'empĂȘchait de m'Ă©clairer : mais le bon PĂšre me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait ĂȘtre extrĂȘme; et au dĂ©sir de le connaitre succĂ©da celui de le goĂ»ter.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses)
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L’homme avait Ă©tĂ© Ă  la fois agrandi et amoindri par NapolĂ©on. L’idĂ©al, sous ce rĂšgne de la matiĂšre splendide, avait reçu le nom Ă©trange d’idĂ©ologie. Grave imprudence d’un grand homme, tourner en dĂ©rision l’avenir. Les peuples cependant, cette chair Ă  canon si amoureuse du canonnier, le cherchaient des yeux. OĂč est-il ? Que fait-il ? NapolĂ©on est mort, disait un passant Ă  un invalide de Marengo et de Waterloo. — Lui mort ! s’écria ce soldat, vous le connaissez bien ! Les imaginations dĂ©ifiaient cet homme terrassĂ©. Le fond de l’Europe, aprĂšs Waterloo, fut tĂ©nĂ©breux. Quelque chose d’énorme resta longtemps vide par l’évanouissement de NapolĂ©on.
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Victor Hugo (Les Misérables: Roman (French Edition))
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victor hugo, Les Contemplations, Mors Je vis cette faucheuse. Elle Ă©tait dans son champ. Elle allait Ă  grands pas moissonnant et fauchant, Noir squelette laissant passer le crĂ©puscule. Dans l'ombre oĂč l'on dirait que tout tremble et recule, L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx. Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux Tombaient ; elle changeait en dĂ©sert Babylone, Le trĂŽne en Ă©chafaud et l'Ă©chafaud en trĂŽne, Les roses en fumier, les enfants en oiseaux, L'or en cendre, et les yeux des mĂšres en ruisseaux. Et les femmes criaient : - Rends-nous ce petit ĂȘtre. Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naĂźtre ? - Ce n'Ă©tait qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas ; Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats ; Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre ; Les peuples Ă©perdus semblaient sous la faulx sombre Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit ; Tout Ă©tait sous ses pieds deuil, Ă©pouvante et nuit. DerriĂšre elle, le front baignĂ© de douces flammes, Un ange souriant portait la gerbe d'Ăąmes.
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Victor Hugo
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Souvent, pour s'amuser, les hommes d'Ă©quipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils dĂ©posĂ©s sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traĂźner Ă  cĂŽtĂ© d'eux. Ce voyageur ailĂ©, comme il est gauche et veule ! Lui, naguĂšre si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brĂ»le-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! Le PoĂšte est semblable au prince des nuĂ©es Qui hante la tempĂȘte et se rit de l'archer ; ExilĂ© sur le sol au milieu des huĂ©es, Ses ailes de gĂ©ant l'empĂȘchent de marcher.
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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Chaque Ăąge a ses plaisirs, son esprit et ses mƓurs. Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices, Est prompt Ă  recevoir l'impression des vices ; Est vain dans ses discours, volage en ses dĂ©sirs, RĂ©tif Ă  la censure et fou dans les plaisirs. L'Ăąge viril, plus mĂ»r, inspire un air plus sage, Se pousse auprĂšs des grands, s'intrigue, se mĂ©nage, Contre les coups du sort songe Ă  se maintenir, Et loin dans le prĂ©sent regarde l'avenir. La vieillesse chagrine incessamment amasse ; Garde, non pas pour soi, les trĂ©sors qu'elle entasse ; Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacĂ© ; Toujours plaint le prĂ©sent et vante le passĂ© ; Inhabile aux plaisirs, dont la jeunesse abuse, BlĂąme en eux les douceurs que l'Ăąge lui refuse.
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Nicolas Boileau-Despréaux
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AmputĂ©e!
 O soleil, si c’est vrai que je viens de toi, pourquoi m’as-tu faite amputĂ©e? Pourquoi m’as-tu faite une fille? Pourquoi ces seins, cette faiblesse, cette plaie ouverte au milieu de moi? N’aurait-il pas Ă©tĂ© beau le garçon MĂ©dĂ©e? N’aurait-il pas Ă©tĂ© fort? Le corps dur comme la pierre, fait pour prendre et partir aprĂšs, ferme, intact, entier, lui! Ah! il aurait pu venir, alors, Jason, avec ses grandes mains redoutables, il aurait pu tenter de les poser sur moi! Un couteau, chacun dans la sienne -oui!- et le plus fort tue l’autre et s’en va dĂ©livrĂ©. Pas cette lutte oĂč je ne voulais que toucher les Ă©paules, cette blessure que j’implorais. Femme! Femme! Chienne! Chair faite d’un peu de boue de d’une cĂŽte d’homme! Morceau d’homme! Putain!
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Jean Anouilh (Médée)
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Ce supplice que lui infligeait ma grand'tante, le spectacle des vaines priĂšres de ma grand'mĂšre et de sa faiblesse, vaincue d'avance, essayant inutilement d'ĂŽter Ă  mon grand-pĂšre le verre Ă  liqueur, c'Ă©tait de ces choses Ă  la vue desquelles on s'habitue plus tard jusqu'Ă  les considĂ©rer en riant et Ă  prendre le parti du persĂ©cuteur assez rĂ©solument et gaiement pour se persuader Ă  soi-mĂȘme qu'il ne s'agit pas de persĂ©cution; elles me causaient alors une telle horreur que j'aurais aimĂ© battre ma grand'tante. Mais dĂšs que j'entendais: "Bathilde, viens donc empĂȘcher ton mari de boire du cognac!" dĂ©jĂ  homme par la lĂąchetĂ©, je faisais ce que nous faisons tous, une fois que nous sommes grands, quand il y a devant nous des souffrances et des injustices: je ne voulais pas les voir; (
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Marcel Proust
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Huit heures de sommeil ! Nous perdons le tiers de notre vie humaine dans cet Ă©tat d’impuissance et de demi-mort. VoilĂ  ce qui me rĂ©voltait. Il faut libĂ©rer l’humanitĂ© de la charge du sommeil. Quelles extraordinaires perspectives, quelles possibilitĂ©s !... Combien de grandes Ɠuvres les grands penseurs nous auraient encore donnĂ©es, si toutes leurs nuits avaient pu ĂȘtre consacrĂ©es Ă  la crĂ©ation ! Combien de grandes Ɠuvres inachevĂ©es ne le seraient pas ! Comme le progrĂšs avancerait ! ! L’ouvrier ayant travaillĂ© aux heures fixĂ©es Ă  sa machine-outil consacrerait la nuit aux livres ou au travail social. Nous n’aurions pas d’illettrĂ©s. Mieux encore, tous recevraient la possibilitĂ© de devenir parfaitement instruits. De quels pas gigantesques avancerait le progrĂšs ! C’était Ă  cela que je pensais...
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Alexandre BeliaĂŻev (L'homme qui ne dormait pas)
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Je ne vous en veux pas, dit-il. Rodolphe Ă©tait restĂ© muet. Et Charles, la tĂȘte dans ses deux mains, reprit d’une voix Ă©teinte et avec l’accent rĂ©signĂ© des douleurs infinies : – Non, je ne vous en veux plus ! Il ajouta mĂȘme un grand mot, le seul qu’il ait jamais dit : – C’est la faute de la fatalité ! Rodolphe, qui avait conduit cette fatalitĂ©, le trouva bien dĂ©bonnaire pour un homme dans sa situation, comique mĂȘme, et un peu vil.
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Gustave Flaubert (Madame Bovary)
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Une autre soif lui Ă©tait venue, celle des femmes, du luxe et de tout ce que comporte l’existence parisienne. Il se sentait quelque peu Ă©tourdi, comme un homme qui descend d’un vaisseau; et, dans l’hallucination du premier sommeil, il voyait passer et repasser continuellement les Ă©paules de la Poissarde, les reins de la DĂ©bardeuse, les mollets de la Polonaise, la chevelure de la Sauvagesse. Puis deux grands yeux noirs, qui n’étaient pas dans le bal, parurent; et lĂ©gers comme des papillons, ardents comme des torches, ils allaient, venaient, vibraient, montaient dans la corniche, descendaient jusqu’à sa bouche. FrĂ©dĂ©ric s’acharnait Ă  reconnaĂźtre ces yeux sans y parvenir. Mais dĂ©jĂ  le rĂȘve l’avait pris; il lui semblait qu’il Ă©tait attelĂ© prĂšs d’Arnoux, au timon d’un fiacre, et que la MarĂ©chale, Ă  califourchon sur lui, l’éventrait avec ses Ă©perons d’or. (©BeQ)
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Gustave Flaubert (Sentimental Education)
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Il est un cĂŽtĂ© de la « culture bourgeoise » qui en dĂ©voile toute la petitesse, c'est son aspect de « roulement » conventionnel, de manque d'imagination, bref d'inconscience et de vanitĂ© : on ne se demande pas un instant « Ă  quoi bon tout cela » ; aucun auteur ne se demande s'il vaut la peine d'Ă©crire une nouvelle histoire aprĂšs tant d'autres histoires ; on semble en Ă©crire simplement parce que d'autres en ont Ă©crit, et parce qu'on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas et pourquoi on ne gagnerait pas une gloire que d'autres ont gagnĂ©e. C'est un perpetuum mobile que rien ne peut arrĂȘter, sauf une catastrophe ou, moins tragiquement, la disparition progressive des lecteurs ; sans public point de cĂ©lĂ©britĂ©, nous l'avons dit plus haut. Et ceci est arrivĂ© dans une certaine mesure : on ne lit plus d'anciens auteurs dont le prestige paraissait assurĂ© ; le grand public a d'autres besoins, d'autres ressources et d'autres distractions, fussent-elle des plus basses. La culture c'est, de plus en plus, l'absence de culture : la manie de se couper de ses racines et d'oublier d'oĂč l'on vient. Une des raisons subjectives de ce que nous pouvons appeler le « roulement culturel » est que l'homme n'aime pas se perdre tout seul, qu'il aime par consĂ©quent trouver des complices pour une perdition commune ; c'est ce que fait la culture profane, inconsciemment ou consciemment, mais non innocemment car l'homme porte au fond de lui-mĂȘme l'instinct de sa raison d'ĂȘtre et de sa vocation. On a souvent reprochĂ© aux civilisations orientales leur stĂ©rilitĂ© culturelle, c'est-Ă -dire le fait qu'elles ne comportent pas un fleuve habituel de production littĂ©raire, artistique et philosophique ; nous croyons pouvoir nous dispenser Ă  prĂ©sent de la peine d'en expliquer les raisons.
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Frithjof Schuon (To Have a Center (Library of Traditional Wisdom))
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Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais Ă©tonnĂ© l’histoire, est-ce que cela est sans cause ? Non. L’ombre d’une droite Ă©norme se projette sur Waterloo. C’est la journĂ©e du destin. La force au-dessus de l’homme a donnĂ© ce jour-lĂ . De lĂ  le pli Ă©pouvantĂ© des tĂȘtes ; de lĂ  toutes ces grandes Ăąmes rendant leur Ă©pĂ©e. Ceux qui avaient vaincu l’Europe sont tombĂ©s terrassĂ©s, n’ayant plus rien Ă  dire ni Ă  faire, sentant dans l’ombre une prĂ©sence terrible. Hoc erat in fatis. Ce jour-lĂ , la perspective du genre humain a changĂ©. Waterloo, c’est le gond du dix-neuviĂšme siĂšcle. La disparition du grand homme Ă©tait nĂ©cessaire Ă  l’avĂšnement du grand siĂšcle. Quelqu’un Ă  qui on ne rĂ©plique pas s’en est chargĂ©. La panique des hĂ©ros s’explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus que du nuage, il y a du mĂ©tĂ©ore. Dieu a passĂ©. A la nuit tombante, dans un champ
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Victor Hugo (Les Misérables: Roman (French Edition))
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Ne devrait-on pas essayer une bonne fois, pour voir, de remplacer dans les grands modÚles de la littérature universelle les hommes par les femmes? Achille, Hercule, Ulysse, Oedipe, Agamemnon, Jésus, le roi Lear, Faust, Julien Sorel, Wilhelm Meister. Des femmes agissantes, violentes, clairvoyantes? Elles passent à travers cette grille de la littérature. C'est ce qu'on appelle "réalisme". Toute l'existence de la femme jusqu'à nos jours était irréaliste.
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Christa Wolf (Cassandra)
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Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs : cet assassin joue proprement de la flĂ»te ; ce contremaĂźtre dĂ©chirant Ă  coups de fouet le dos des esclaves est peut-ĂȘtre un bon fils ; cet idiot partagerait avec moi son dernier morceau de pain. Et il y en a peu auxquels on ne puisse apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de nĂ©gliger de cultiver celles qu'il possĂšde.
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Marguerite Yourcenar (Memoirs of Hadrian)
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Quand j’en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l’expĂ©rience sur elle de mon dessin numĂ©ro 1 que j’ai toujours conservĂ©. Je voulais savoir si elle Ă©tait vraiment comprĂ©hensive. Mais toujours elle me rĂ©pondait : « C’est un chapeau. » Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forĂȘts vierges, ni d’étoiles. Je me mettais Ă  sa portĂ©e. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne Ă©tait bien contente de connaĂźtre un homme aussi raisonnable.
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Antoine de Saint-Exupéry
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Tu viens d'incendier la BibliothĂšque ? - Oui. J'ai mis le feu lĂ . - Mais c'est un crime inouĂŻ ! Crime commis par toi contre toi-mĂȘme, infĂąme ! Mais tu viens de tuer le rayon de ton Ăąme ! C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler ! Ce que ta rage impie et folle ose brĂ»ler, C'est ton bien, ton trĂ©sor, ta dot, ton hĂ©ritage Le livre, hostile au maĂźtre, est Ă  ton avantage. Le livre a toujours pris fait et cause pour toi. Une bibliothĂšque est un acte de foi Des gĂ©nĂ©rations tĂ©nĂ©breuses encore Qui rendent dans la nuit tĂ©moignage Ă  l'aurore. Quoi! dans ce vĂ©nĂ©rable amas des vĂ©ritĂ©s, Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartĂ©s, Dans ce tombeau des temps devenu rĂ©pertoire, Dans les siĂšcles, dans l'homme antique, dans l'histoire, Dans le passĂ©, leçon qu'Ă©pelle l'avenir, Dans ce qui commença pour ne jamais finir, Dans les poĂštes! quoi, dans ce gouffre des bibles, Dans le divin monceau des Eschyles terribles, Des HomĂšres, des jobs, debout sur l'horizon, Dans MoliĂšre, Voltaire et Kant, dans la raison, Tu jettes, misĂ©rable, une torche enflammĂ©e ! De tout l'esprit humain tu fais de la fumĂ©e ! As-tu donc oubliĂ© que ton libĂ©rateur, C'est le livre ? Le livre est lĂ  sur la hauteur; Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine, Il dĂ©truit l'Ă©chafaud, la guerre, la famine Il parle, plus d'esclave et plus de paria. Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria. Lis ces prophĂštes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille L'Ăąme immense qu'ils ont en eux, en toi s'Ă©veille ; Ébloui, tu te sens le mĂȘme homme qu'eux tous ; Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ; Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croĂźtre, Ils t'enseignent ainsi que l'aube Ă©claire un cloĂźtre À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant, Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ; Ton Ăąme interrogĂ©e est prĂȘte Ă  leur rĂ©pondre ; Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre, Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs, Le mal, les prĂ©jugĂ©s, les rois, les empereurs ! Car la science en l'homme arrive la premiĂšre. Puis vient la libertĂ©. Toute cette lumiĂšre, C'est Ă  toi comprends donc, et c'est toi qui l'Ă©teins ! Les buts rĂȘvĂ©s par toi sont par le livre atteints. Le livre en ta pensĂ©e entre, il dĂ©fait en elle Les liens que l'erreur Ă  la vĂ©ritĂ© mĂȘle, Car toute conscience est un noeud gordien. Il est ton mĂ©decin, ton guide, ton gardien. Ta haine, il la guĂ©rit ; ta dĂ©mence, il te l'ĂŽte. VoilĂ  ce que tu perds, hĂ©las, et par ta faute ! Le livre est ta richesse Ă  toi ! c'est le savoir, Le droit, la vĂ©ritĂ©, la vertu, le devoir, Le progrĂšs, la raison dissipant tout dĂ©lire. Et tu dĂ©truis cela, toi ! - Je ne sais pas lire.
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Victor Hugo
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Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe Ă  ma vie, c’est comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus qu’elle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je nĂ© dans une Ă©poque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes d’un grand jeu de hasard ? Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimĂ© ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos riviĂšres, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimĂ© ĂȘtre tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretuĂ©s. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dĂ©vorĂ© d’autres, les ont Ă©ventrĂ©s, violĂ©s, souillĂ©s. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphĂ© de ce qui est sale. Pourquoi ai-je dĂ», comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes Ă©paules et qui ne me concernait pas? Qui a donc dĂ©cidĂ© de venir fouiller mon obscure existence, de dĂ©terrer ma maigre tranquillitĂ©, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, s’Il existe, s’Il existe vraiment, qu’Il se cache. Qu’Il pose Ses deux mains sur Sa tĂȘte, et qu’Il la courbe. Peut-ĂȘtre, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d’hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd’hui je sais aussi qu’Il n'est pas digne de la plupart d’entre nous, et que si la crĂ©ature a pu engendrer l’horreur c’est uniquement parce que son CrĂ©ateur lui en a soufflĂ© la recette.
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Philippe Claudel (Brodeck)
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J’allais ouvrir la bouche et aborder cette fille , quand quelqu’un me toucha l’épaule. Je me retournai, surpris, et j’aperçus un homme d’aspect ordinaire, ni jeune ni vieux, qui me regardait d’un air triste. — Je voudrais vous parler, dit-il. Je fis une grimace qu’il vit sans doute, car il ajouta : — « C’est important. » Je me levai et le suivis Ă  l’autre bout du bateau : — « Monsieur, reprit-il, quand l’hiver approche avec les froids, la pluie et la neige, votre mĂ©decin vous dit chaque jour : « Tenez-vous les pieds bien chauds, gardez-vous des refroidissements, des rhumes, des bronchites, des pleurĂ©sies. » Alors vous prenez mille prĂ©cautions, vous portez de la flanelle, des pardessus Ă©pais, des gros souliers, ce qui ne vous empĂȘche pas toujours de passer deux mois au lit. Mais quand revient le printemps avec ses feuilles et ses fleurs, ses brises chaudes et amollissantes, ses exhalaisons des champs qui vous apportent des troubles vagues, des attendrissements sans cause, il n’est personne qui vienne vous dire : « Monsieur, prenez garde Ă  l’amour ! Il est embusquĂ© partout ; il vous guette Ă  tous les coins ; toutes ses ruses sont tendues, toutes ses armes aiguisĂ©es, toutes ses perfidies prĂ©parĂ©es ! Prenez garde Ă  l’amour !
 Prenez garde Ă  l’amour ! Il est plus dangereux que le rhume, la bronchite et la pleurĂ©sie ! Il ne pardonne pas, et fait commettre Ă  tout le monde des bĂȘtises irrĂ©parables. » Oui, monsieur, je dis que, chaque annĂ©e, le gouvernement devrait faire mettre sur les murs de grandes affiches avec ces mots : « Retour du printemps. Citoyens français, prenez garde Ă  l’amour ; » de mĂȘme qu’on Ă©crit sur la porte des maisons : « Prenez garde Ă  la peinture ! » — Eh bien, puisque le gouvernement ne le fait pas, moi je le remplace, et je vous dis : « Prenez garde Ă  l’amour ; il est en train de vous pincer, et j’ai le devoir de vous prĂ©venir comme on prĂ©vient, en Russie, un passant dont le nez gĂšle. » Je demeurai stupĂ©fait devant cet Ă©trange particulier, et, prenant un air digne : — « Enfin, monsieur, vous me paraissez vous mĂȘler de ce qui ne vous regarde guĂšre. » Il fit un mouvement brusque, et rĂ©pondit : — « Oh ! monsieur ! monsieur ! si je m’aperçois qu’un homme va se noyer dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser pĂ©rir ?
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Guy de Maupassant
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AprĂšs avoir poussĂ© dans leurs dĂ©buts des maĂźtres contemporains, le marchand de tableaux, homme de progrĂšs, avait tĂąchĂ©, tout en conservant des allures artistiques, d’étendre ses profits pĂ©cuniaires. Il recherchait l’émancipation des arts, le sublime Ă  bon marchĂ©. Toutes les industries du luxe parisien subirent son influence, qui fut bonne pour les petites choses, et funeste pour les grandes. Avec sa rage de flatter l’opinion, il dĂ©tourna de leur voie les artistes habiles, corrompit les forts, Ă©puisa les faibles et illustra les mĂ©diocres ; il en disposait par ses relations et par sa revue.
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Gustave Flaubert (Sentimental Education)
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Les Poets de Sept ans Et la MĂšre, fermant le livre du devoir, S'en allait satisfaite et trĂšs fiĂšre sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d'Ă©minences, L'Ăąme de son enfant livrĂ©e aux rĂ©pugnances. Tout le jour, il suait d'obĂ©issance ; trĂšs Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits Semblaient prouver en lui d'Ăącres hypocrisies. Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings A l'aine, et dans ses yeux fermĂ©s voyait des points. Une porte s'ouvrait sur le soir : Ă  la lampe On le voyait, lĂ -haut, qui rĂąlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L'Ă©tĂ© Surtout, vaincu, stupide, il Ă©tait entĂȘtĂ© A se renfermer dans la fraĂźcheur des latrines: Il pensait lĂ , tranquille et livrant ses narines. Quand, lavĂ© des odeurs du jour, le jardinet DerriĂšre la maison, en hiver, s'illunait , Gisant au pied d'un mur, enterrĂ© dans la marne Et pour des visions Ă©crasant son oeil darne, Il Ă©coutait grouiller les galeux espaliers. PitiĂ© ! Ces enfants seuls Ă©taient ses familiers Qui, chĂ©tifs, fronts nus, oeil dĂ©teignant sur la joue, Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots, Conversaient avec la douceur des idiots ! Et si, l'ayant surpris Ă  des pitiĂ©s immondes, Sa mĂšre s'effrayait, les tendresses profondes, De l'enfant se jetaient sur cet Ă©tonnement. C'Ă©tait bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment! A sept ans, il faisait des romans, sur la vie Du grand dĂ©sert oĂč luit la LibertĂ© ravie, ForĂȘts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait De journaux illustrĂ©s oĂč, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l'Oeil brun, folle, en robes d'indiennes, -Huit ans -la fille des ouvriers d'Ă  cĂŽtĂ©, La petite brutale, et qu'elle avait sautĂ©, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, Et qu'il Ă©tait sous elle, il lui mordait les fesses, Car elle ne portait jamais de pantalons; - Et, par elle meurtri des poings et des talons, Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de dĂ©cembre, OĂč, pommadĂ©, sur un guĂ©ridon d'acajou, Il lisait une Bible Ă  la tranche vert-chou; Des rĂȘves l'oppressaient, chaque nuit, dans l'alcĂŽve. Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes qu'au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg OĂč les crieurs, en trois roulements de tambour, Font autour des Ă©dits rire et gronder les foules. - Il rĂȘvait la prairie amoureuse, oĂč des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or, Font leur remuement calme et prennent leur essor ! Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, Haute et bleue, Ăącrement prise d'humiditĂ©, Il lisait son roman sans cesse mĂ©ditĂ©, Plein de lourds ciels ocreux et de forĂȘts noyĂ©es, De fleurs de chair aux bois sidĂ©rals dĂ©ployĂ©es, Vertige, Ă©croulement, dĂ©routes et pitiĂ© ! - Tandis que se faisait la rumeur du quartier, En bas, - seul et couchĂ© sur des piĂšces de toile Écrue et pressentant violemment la voile!
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Arthur Rimbaud
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Hommes et femmes de Londres, me voici. Je vous fĂ©licite cordialement d'ĂȘtre anglais. Vous ĂȘtes un grand peuple. Je dis plus, vous ĂȘtes une grande populace. Vos coups de poing sont encore plus beaux que vos coups d'Ă©pĂ©e. Vous avez de l'appĂ©tit. Vous ĂȘtes la nation qui mange les autres. Fonction magnifique. Cette succion du monde classe Ă  part l'Angleterre. Comme politique et philosophie, et maniement des colonies, populations, et industries, et comme volontĂ© de faire aux autres du mal qui est pour soi du bien, vous ĂȘtes particuliers et surprenants. Le moment approche oĂč il y aura sur la terre deux Ă©criteaux; sur l'un on lira: CĂŽtĂ© des hommes; sur l'autre on lira: CĂŽtĂ© des anglais. Je constate ceci Ă  votre gloire, moi qui ne suis ni anglais, ni homme, ayant l'honneur d'ĂȘtre un docteur. Cela va ensemble. Gentlemen, j'enseigne. Quoi? Deux espĂšces de choses, celles que je sais et celles que j'ignore. Je vends des drogues et je donne des idĂ©es. Approchez, et Ă©coutez. La science vous y convie. Ouvrez votre oreille. Si elle est petite, elle tiendra peu de vĂ©ritĂ©; si elle est grande, beaucoup de stupiditĂ© y entrera. Donc, attention. J'enseigne la Pseudodoxia Epidemica. J'ai un camarade qui fait rire, moi je fais penser.
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Victor Hugo (The Man Who Laughs)
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finalement, Ă©perdu d'amour et au comble de la frĂ©nĂ©sie Ă©rotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc. — Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sĂ»r qu'elle le voulait, voyons! C'Ă©tait une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire. — Tu vas le manger cru ? — Oui. J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondĂ©ment, soufflant un peu, entre les bouchĂ©es, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'Ă  ce qu'une sueur froide me montĂąt au front. Je continuai mĂȘme un peu au-delĂ , serrant les dents, luttant contre la nausĂ©e, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon mĂ©tier d'homme. Je fus trĂšs malade, on me transporta Ă  l'hĂŽpital, ma mĂšre sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'Ă©tais trĂšs fier de moi. Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Éducation europĂ©enne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire. Pendant longtemps, Ă  travers mes pĂ©rĂ©grinations, j'ai transportĂ© avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamĂ© au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier Ă©tait toujours lĂ , Ă  portĂ©e de la main. J'Ă©tais toujours prĂȘt Ă  m'y attabler, Ă  donner, une fois de plus, le meilleur de moi-mĂȘme. Ça ne s'est pas trouvĂ©. Finalement, j'ai abandonnĂ© le soulier quelque part derriĂšre moi. On ne vit pas deux fois. (La promesse de l'aube, ch. XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Cette sociĂ©tĂ©, que j'ai remarquĂ©e la premiĂšre dans ma vie, est aussi la premiĂšre qui ait disparu Ă  mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bĂ©nĂ©diction, le rendre peu Ă  peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mĂšre forcĂ©e de renoncer Ă  son quadrille, faute des partners accoutumĂ©s; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour oĂč mon aĂŻeule tomba la derniĂšre. Elle et sa sƓur s'Ă©taient promis de s'entre-appeler aussitĂŽt que l'une aurait devancĂ© l'autre; elles se tinrent parole, et madame de BedĂ©e ne survĂ©cut que peu de mois Ă  mademoiselle de Boisteilleul. Je suis peut-ĂȘtre le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existĂ©. Vingt fois, depuis cette Ă©poque, j'ai fait la mĂȘme observation; vingt fois des sociĂ©tĂ©s se sont formĂ©es et dissoutes autour de moi. Cette impossibilitĂ© de durĂ©e et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'Ă©tend de lĂ  sur notre maison, me ramĂšnent sans cesse Ă  la nĂ©cessitĂ© de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fiĂšvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chĂšre! car comment abandonner sans dĂ©sespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir Ă©ternellement sur son cƓur?
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François-René de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)
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Le Puits mystĂ©rieux À travers la forĂȘt de folles arabesques Que le doigt du sommeil trace au mur de mes nuits, Je vis, comme l’on voit les Fortunes des fresques, Un jeune homme penchĂ© sur la bouche d’un puits. Il jetait, par grands tas, dans cette gueule noire Perles et diamants, rubis et sequins d’or, Pour faire arriver l’eau jusqu’à sa lĂšvre, et boire ; Mais le flot flagellĂ© ne montait pas encor. HĂ©las ! que d’imprudents s’en vont aux puits, sans corde, Sans urne pour puiser le cristal souterrain, Enfouir leur trĂ©sor afin que l’eau dĂ©borde, Comme fit le corbeau dans le vase d’airain ! HĂ©las ! et qui n’a pas, Ă©pris de quelque femme, Pour faire monter l’eau du divin sentiment, JetĂ© l’or de son cƓur au puits sans fond d’une Ăąme, Sur l’abĂźme muet penchĂ© stupidement !
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Théophile Gautier (Poésies ComplÚtes De Théophile Gautier (French Edition))
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Êtes-vous ce qu’on appelle un heureux ? Eh bien, vous ĂȘtes triste tous les jours. Chaque jour a son grand chagrin ou son petit souci. Hier, vous trembliez pour une santĂ© qui vous est chĂšre, aujourd’hui vous craignez pour la vĂŽtre, demain ce sera une inquiĂ©tude d’argent, aprĂšs-demain la diatribe d’un calomniateur, l’autre aprĂšs-demain le malheur d’un ami ; puis le temps qu’il fait, puis quelque chose de cassĂ© ou de perdu, puis un plaisir que la conscience et la colonne vertĂ©brale vous reprochent ; une autre fois, la marche des affaires publiques. Sans compter les peines de cƓur. Et ainsi de suite. Un nuage se dissipe, un autre se reforme. À peine un jour sur cent de pleine joie et de plein soleil. Et vous ĂȘtes de ce petit nombre qui a le bonheur ! Quant aux autres hommes, la nuit stagnante est sur eux.
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Victor Hugo (Les Misérables)
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Qu’est-ce qui peut seul ĂȘtre notre doctrine ? — Que personne ne donne Ă  l’homme ses qualitĂ©s, ni Dieu, ni la sociĂ©tĂ©, ni ses parents et ses ancĂȘtres, ni lui-mĂȘme (— le non-sens de l’« idĂ©e », rĂ©futĂ© en dernier lieu, a Ă©tĂ© enseignĂ©, sous le nom de « libertĂ© intelligible par Kant et peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  par Platon).Personne n’est responsable du fait que l’homme existe, qu’il est conformĂ© de telle ou telle façon, qu’il se trouve dans telles conditions, dans tel milieu. La fatalitĂ© de son ĂȘtre n’est pas Ă  sĂ©parer de la fatalitĂ© de tout ce qui fut et de tout ce qui sera. L’homme n’est pas la consĂ©quence d’une intention propre, d’une volontĂ©, d’un but ; avec lui on ne fait pas d’essai pour atteindre un « idĂ©al d’humanitĂ© », un « idĂ©al de bonheur », ou bien un « idĂ©al de moralitĂ© », — il est absurde de vouloir faire dĂ©vier son ĂȘtre vers un but quelconque. Nous avons inventĂ© l’idĂ©e de « but » : dans la rĂ©alitĂ© le « but » manque
 On est nĂ©cessaire, on est un morceau de destinĂ©e, on fait partie du tout, on est dans le tout, — il n’y a rien qui pourrait juger, mesurer, comparer, condamner notre existence, car ce serait lĂ  juger, mesurer, comparer et condamner le tout
Mais il n’y a rien en dehors du tout ! — Personne ne peut plus ĂȘtre rendu responsable, les catĂ©gories de l’ĂȘtre ne peuvent plus ĂȘtre ramenĂ©es Ă  une cause premiĂšre, le monde n’est plus une unitĂ©, ni comme monde sensible, ni comme « esprit » : cela seul est la grande dĂ©livrance, — par lĂ  l’innocence du devenir est rĂ©tablie
 L’idĂ©e de « Dieu » fut jusqu’à prĂ©sent la plus grande objection contre l’existence
 Nous nions Dieu, nous nions la responsabilitĂ© en Dieu : par lĂ  seulement nous sauvons le monde.
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Friedrich Nietzsche (Twilight of the Idols)
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Les bĂȘtes, cela parle; et Dupont de Nemours Les comprend, chants et cris, gaĂźtĂ©, colĂšre, amours. C'est dans Perrault un fait, dans HomĂšre un prodige; PhĂšdre prend leur parole au vol et la rĂ©dige; La Fontaine, dans l'herbe Ă©paisse et le genĂȘt RĂŽdait, guettant, rĂȘvant, et les espionnait; Ésope, ce songeur bossu comme le Pinde, Les entendait en GrĂšce, et PilpaĂŻ dans l'Inde; Les clairs Ă©tangs le soir offraient leurs noirs jargons A monsieur Florian, officier de dragons; Et l'Ăąpre ÉzĂ©chiel, l'affreux prophĂšte chauve, Homme fauve, Ă©coutait parler la bĂȘte fauve. Les animaux naĂŻfs dialoguent entr'eux. Et toujours, que ce soit le hibou tĂ©nĂ©breux, L'ours qu'on entend gronder, l'Ăąne qu'on entend braire, Ou l'oie apostrophant le dindon, son grand frĂšre, Ou la guĂȘpe insultant l'abeille sur l'Hybla, Leur bĂȘtise Ă  l'esprit de l'homme ressembla.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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GRAND AGE ET BAS AGE MÊLÉS I Mon Ăąme est faite ainsi que jamais ni l'idĂ©e, Ni l'homme, quels qu'ils soient, ne l'ont intimidĂ©e; Toujours mon coeur, qui n'a ni bible ni koran, DĂ©daigna le sophiste et brava le tyran; Je suis sans Ă©pouvante Ă©tant sans convoitise; La peur ne m'Ă©teint pas et l'honneur seul m'attise; J'ai l'ankylose altiĂšre et lourde du rocher; Il est fort malaisĂ© de me faire marcher Par dĂ©sir en avant ou par crainte en arriĂšre; Je rĂ©siste Ă  la force et cĂšde Ă  la priĂšre, Mais les biens d'ici-bas font sur moi peu d'effet; Et je dĂ©clare, amis, que je suis satisfait, Que mon ambition suprĂȘme est assouvie, Que je me reconnais payĂ© dans cette vie, Et que les dieux clĂ©ments ont comblĂ© tous mes veux. Tant que sur cette terre, oĂč vraiment je ne veux Ni socle olympien, ni colonne trajane, On ne m'ĂŽtera pas le sourire de Jeanne.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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L'homme ne vit pas seulement sa vie personnelle comme individu, mais consciemment ou inconsciemment il participe aussi Ă  celle de son Ă©poque et de ses contemporains, et mĂȘme s'il devait considĂ©rer les bases gĂ©nĂ©rales et impersonnelles de son existence comme des donnĂ©es immĂ©diates, les tenir pour naturelles et ĂȘtre aussi Ă©loignĂ© de l'idĂ©e d'exercer contre elles une critique que le bon Hans Castorp l'Ă©tait rĂ©ellement, il est nĂ©anmoins possible qu'il sente son bien-ĂȘtre moral vaguement affectĂ© par leurs dĂ©fauts. L'individu peut envisager toute sorte de buts personnels, de fins, d'espĂ©rances, de perspectives oĂč il puise une impulsion Ă  de grands efforts et Ă  son activitĂ©, mais lorsque l'impersonnel autour de lui, l'Ă©poque elle-mĂȘme, en dĂ©pit de son agitation, manque de buts et d'espĂ©rances, lorsqu'elle se rĂ©vĂšle en secret dĂ©sespĂ©rĂ©e, dĂ©sorientĂ©e et sans issue, lorsqu'Ă  la question, posĂ©e consciemment ou inconsciemment, mais finalement posĂ©e en quelque maniĂšre, sur le sens suprĂȘme, plus que personnel et inconditionnĂ©, de tout effort et de toute activitĂ©, elle oppose le silence du vide, cet Ă©tat de choses paralysera justement les efforts d'un caractĂšre droit, et cette influence, par-delĂ  l'Ăąme et la morale, s'Ă©tendra jusqu'Ă  la partie physique et organique de l'individu. Pour ĂȘtre disposĂ© Ă  fournir un effort considĂ©rable qui dĂ©passe la mesure de ce qui est communĂ©ment pratiquĂ©, sans que l'Ă©poque puisse donner une rĂ©ponse satisfaisante Ă  la question " Ă  quoi bon? ", il faut une solitude et une puretĂ© morales qui sont rares et d'une nature hĂ©roĂŻque, ou une vitalitĂ© particuliĂšrement robuste. Hans Castorp ne possĂ©dait ni l'une ni l'autre, et il n'Ă©tait ainsi donc qu'un homme malgrĂ© tout moyen, encore que dans un sens des plus honorables. (ch. II)
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Thomas Mann (The Magic Mountain)
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« Écoute, Egor PĂ©trovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton dĂ©sespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accĂšs de tristesse, tu dis que tu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as racontĂ© ta vie d’autrefois. À cette Ă©poque aussi le dĂ©sespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette Ă©poque aussi, ton premier maĂźtre, cet homme Ă©trange, dont tu m’as tant parlĂ©, a Ă©veillĂ© en toi, pour la premiĂšre fois, l’amour de l’art et a devinĂ© ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriĂ©taire, et tu ne savais toi-mĂȘme ce que tu dĂ©sirais. Ton maĂźtre est mort trop tĂŽt. Il t’a laissĂ© seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliquĂ© toimĂȘme. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinĂ©s, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haĂŻ tout ce qui t’entourait alors. Tes six annĂ©es de misĂšre ne sont pas perdues. Tu as travaillĂ©, pensĂ©, tu as reconnu et toi-mĂȘme et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus enviĂ© que le mien t’est rĂ©servĂ©. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne mĂȘme la dixiĂšme partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriĂ©taire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvretĂ©, la misĂšre ? Mais la pauvretĂ© et la misĂšre forment l’artiste. Elles sont insĂ©parables des dĂ©buts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaĂźtre. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignitĂ©, et surtout la bĂȘtise t’opprimeront plus fortement que la misĂšre. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tĂącheront de regarder avec mĂ©pris ce qui s’est Ă©laborĂ© en toi au prix d’un pĂ©nible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relĂšveront chacune de tes fautes. Ils te montreront prĂ©cisĂ©ment ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et mĂ©prisant ils fĂȘteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent Ă  tort. Il t’arrivera d’offenser une nullitĂ© qui a de l’amour-propre, et alors malheur Ă  toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront Ă  coups d’épingles. Moi mĂȘme, je commence Ă  Ă©prouver tout cela. Prends donc des forces dĂšs maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne nĂ©glige pas les besognes grossiĂšres, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicitĂ© ; tu ruses trop, tu rĂ©flĂ©chis trop, tu fais trop travailler ta tĂȘte. Tu es audacieux en paroles et lĂąche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-ĂȘtre arriveras-tu au but. Sinon, va quand mĂȘme au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Ma Jeanne, dont je suis doucement insensĂ©, Étant femme, se sent reine; tout l'A B C Des femmes, c'est d'avoir des bras blancs, d'ĂȘtre belles, De courber d'un regard les fronts les plus rebelles, De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons, Un sourire, Ă©blouir les coeurs les plus profonds, D'ĂȘtre, Ă  cĂŽtĂ© de l'homme ingrat, triste et morose, Douces plus que l'azur, roses plus que la rose; Jeanne le sait; elle a trois ans, c'est l'Ăąge mĂ»r; Rien ne lui manque; elle est la fleur de mon vieux mur, Ma contemplation, mon parfum, mon ivresse; Ma strophe, qui prĂšs d'elle a l'air d'une pauvresse, L'implore, et reçoit d'elle un rayon; et l'enfant Sait dĂ©jĂ  se parer d'un chapeau triomphant, De beaux souliers vermeils, d'une robe Ă©tonnante; Elle a des mouvements de mouche frissonnante; Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts, Et sa fraĂźche toilette, et son Ăąme au travers; Elle est de droit cĂ©leste et par devoir jolie; Et son commencement de rĂšgne est ma folie.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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des Habsburg, avec les Bourbons. Waterloo porte en croupe le droit divin. Il est vrai que, l’empire ayant Ă©tĂ© despotique, la royautĂ©, par la rĂ©action naturelle des choses, devait forcĂ©ment ĂȘtre libĂ©rale, et qu’un ordre constitutionnel Ă  contre-cƓur est sorti de Waterloo, au grand regret des vainqueurs. C’est que la rĂ©volution ne peut ĂȘtre vraiment vaincue, et qu’étant providentielle et absolument fatale, elle reparaĂźt toujours, avant Waterloo, dans Bonaparte jetant bas les vieux trĂŽnes, aprĂšs Waterloo, dans Louis XVIII octroyant et subissant la charte. Bonaparte met un postillon sur le trĂŽne de Naples et un sergent sur le trĂŽne de SuĂšde, employant l’inĂ©galitĂ© Ă  dĂ©montrer l’égalité ; Louis XVIII Ă  Saint-Ouen contresigne la dĂ©claration des droits de l’homme. Voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que la rĂ©volution, appelez-la ProgrĂšs ; et voulez-vous vous rendre compte de ce que c’est que le progrĂšs, appelez-le Demain. Demain fait irrĂ©sistiblement son Ɠuvre, et il la fait dĂšs aujourd’hui
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Victor Hugo (Les Misérables: Roman (French Edition))
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Je me trouvais en quelque lieu vague et trouble... Je dis « lieu » par habitude, car maintenant toute conception de distance et de durĂ©e Ă©tait abolie pour moi, et je ne puis dĂ©terminer combien de temps je restai en cet Ă©tat. Je n’entendais rien, ne voyais rien, je pensais seulement et avec force et persistance. Le grand problĂšme qui m’avait tourmentĂ© toute ma vie Ă©tait rĂ©solu : la mort n’existe pas, la vie est infinie. J’en Ă©tais convaincu bien avant ; mais jadis je ne pouvais formuler clairement ma conviction : elle se basait sur cette seule considĂ©ration que, astreinte Ă  des limites, la vie n’est qu’une formidable absurditĂ©. L’homme pense ; il perçoit ce qui l’entoure, il souffre, jouit et disparaĂźt ; son corps se dĂ©compose et fournit ses Ă©lĂ©ments Ă  des corps en formation : cela, chacun le peut constater journellement, mais que devient cette force apte Ă  se connaĂźtre soi-mĂȘme et Ă  connaĂźtre le monde qui l’entoure ? Si la matiĂšre est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipĂąt sans traces, et, si elle disparaĂźt, d’oĂč venait-elle et quel est le but de cette apparition Ă©phĂ©mĂšre ? Il y avait lĂ  des contradictions que je ne pouvais admettre. Maintenant je sais, par ma propre expĂ©rience, que la conscience persiste, que je n’ai pas cessĂ© et probablement ne cesserai jamais de vivre. Voici que derechef m’obsĂšdent ces terribles questions : si je ne meurs pas, si je reviens toujours sur la terre, quel est le but de ces existences successives, Ă  quelles lois obĂ©issent-elles et quelle fin leur est assignĂ©e ? Il est probable que je pourrais discerner cette loi et la comprendre si je me rappelais mes existences passĂ©es, toutes, ou du moins quelques-unes ; mais pourquoi l’homme est-il justement privĂ© de ce souvenir ? pourquoi est-il condamnĂ© Ă  une ignorance Ă©ternelle, si bien que la conception de l’immortalitĂ© ne se prĂ©sente Ă  lui que comme une hypothĂšse, et si cette loi inconnue exige l’oubli et les tĂ©nĂšbres, pourquoi dans ces tĂ©nĂšbres, d’étranges lumiĂšres apparaissent-elles parfois, comme il m’est arrivĂ© quand je suis entrĂ© au chĂąteau de La Roche-Maudin ? De toute ma volontĂ©, je me cramponnais Ă  ce souvenir comme le noyĂ© Ă  une Ă©pave ; il me semblait que si je me rappelais clairement et exactement ma vie dans ce chĂąteau je comprendrais tout le reste. Maintenant qu’aucune sensation du dehors ne me distrayait, je m’abandonnais aux houles du souvenir, inerte et sans pensĂ©e pour ne pas gĂȘner leur mouvement, et tout Ă  coup, du fond de mon Ăąme comme des brumes d’un fleuve, commençaient Ă  s’élever de fugaces figures humaines ; des mots au sens effacĂ© rĂ©sonnaient, et dans tous ces souvenirs Ă©taient des lacunes... Les visages Ă©taient vaporeux, les paroles Ă©taient sans lien, tout Ă©tait dĂ©cousu......
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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L’homme d’aujourd’hui, on le fait tenir tranquille, selon le milieu, avec la belote ou avec le bridge. Nous sommes Ă©tonnamment bien chĂątrĂ©s. Ainsi sommes-nous enfin libres. On nous a coupĂ© les bras et les jambes, puis on nous a laissĂ©s libres de marcher. Mais je hais cette Ă©poque oĂč l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bĂ©tail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrĂšs moral ! Ce que je hais dans le marxisme, c’est le totalitarisme Ă  quoi il conduit. L’homme y est dĂ©fini comme producteur et consommateur, le problĂšme essentiel est celui de distribution. Ainsi dans les fermes modĂšles. Ce que je hais dans le nazisme, c’est le totalitarisme Ă  quoi il prĂ©tend par son essence mĂȘme. On fait dĂ©filer les ouvriers de la Ruhr devant un Van Gogh, un CĂ©zanne et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. VoilĂ  la vĂ©ritĂ© du peuple ! On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats CĂ©zanne, les candidats Van Gogh, tous les grands non-conformistes, et l’on alimente en chromos un bĂ©tail soumis. Mais oĂč vont les États-Unis et oĂč allons-nous, nous aussi, Ă  cette Ă©poque de fonctionnariat universel ? L’homme robot, l’homme termite, l’homme oscillant du travail Ă  la chaĂźne : systĂšme Bedeau, Ă  la belote. L’homme chĂątrĂ© de tout son pouvoir crĂ©ateur et qui ne sait mĂȘme plus, du fond de son village, crĂ©er une danse ni une chanson. L’homme que l’on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les bƓufs en foin. C’est cela, l’homme d’aujourd’hui. Et moi, je pense que, il n’y a pas trois cents ans, on pouvait Ă©crire La Princesse de ClĂšves ou s’enfermer dans un couvent pour la vie Ă  cause d’un amour perdu, tant Ă©tait brĂ»lant l’amour. Lettre au gĂ©nĂ©ral « X »
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Antoine de Saint-Exupéry
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JEANNE ENDORMIE. -- I LA SIESTE Elle fait au milieu du jour son petit somme; Car l'enfant a besoin du rĂȘve plus que l'homme, Cette terre est si laide alors qu'on vient du ciel ! L'enfant cherche Ă  revoir ChĂ©rubin, Ariel, Ses camarades, Puck, Titania, les fĂ©es, Et ses mains quand il dort sont par Dieu rĂ©chauffĂ©es. Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions, Au fond de ce sommeil sacrĂ©, plein de rayons, Ces paradis ouverts dans l'ombre, et ces passages D'Ă©toiles qui font signe aux enfants d'ĂȘtre sages, Ces apparitions, ces Ă©blouissements ! Donc, Ă  l'heure oĂč les feux du soleil sont calmants, Quand toute la nature Ă©coute et se recueille, Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille La plus tremblante oublie un instant de frĂ©mir, Jeanne a cette habitude aimable de dormir; Et la mĂšre un moment respire et se repose, Car on se lasse, mĂȘme Ă  servir une rose. Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sĂ»r Dorment; et son berceau, qu'entoure un vague azur Ainsi qu'une aurĂ©ole entoure une immortelle, Semble un nuage fait avec de la dentelle; On croit, en la voyant dans ce frais berceau-lĂ , Voir une lueur rose au fond d'un falbala; On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse, Et c'est un astre, ayant de plus la petitesse; L'ombre, amoureuse d'elle, a l'air de l'adorer; Le vent retient son souffle et n'ose respirer. Soudain, dans l'humble et chaste alcĂŽve maternelle, Versant tout le matin qu'elle a dans sa prunelle, Elle ouvre la paupiĂšre, Ă©tend un bras charmant, Agite un pied, puis l'autre, et, si divinement Que des fronts dans l'azur se penchent pour l'entendre, Elle gazouille...-Alors, de sa voix la plus tendre, Couvrant des yeux l'enfant que Dieu fait rayonner, Cherchant le plus doux nom qu'elle puisse donner À sa joie, Ă  son ange en fleur, Ă  sa chimĂšre: -Te voilĂ  rĂ©veillĂ©e, horreur ! lui dit sa mĂšre.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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La plupart du temps, d'ailleurs, les femmes qui ont un compagnon fermĂ© sur le plan Ă©motionnel expriment un profond dĂ©sespoir. Quand Shere Hite a menĂ© son enquĂȘte auprĂšs de 4 500 femmes dans les annĂ©es 1970, 98 % de celles qui Ă©taient dans une relation avec un homme auraient souhait un « dialogue plus intime » avec lui ; elles auraient voulu qu'il leur parle davantage « de ses pensĂ©es, sentiments, projets, prĂ©occupations, et qu'il les interroge sur les leurs ». Certaines disaient ne s'ĂȘtre jamais senties aussi seules qu'au cours de leur mariage ; d'autres en pleuraient, la nuit, aux cĂŽtĂ©s de leur Ă©poux endormi. Il n'est pas certain que les choses aient radicalement changĂ© en cinquante ans (ni qu'elles soient trĂšs diffĂ©rentes de ce cĂŽtĂ©-ci de l'Atlantique). En fĂ©vrier 2021, dans le courrier du cƓur du site amĂ©ricain The Cut, baptistĂ© « Ask Polly », une trentenaire britannique partageait les dispositions dans lesquelles elle se sentait aprĂšs une rupture. Dans leur entourage, disait-elle, tout le monde les considĂ©rĂ©s, son ex-compagnon et elle, comme le couple idĂ©al. Et pourtant, son dĂ©sir d'intimitĂ© avait toujours Ă©tĂ© frustrĂ©. « Je pense qu'entretenir une relation profonde, intensĂ©ment nourrie, avec une autre personne fait partie des plus grandes joies que l'existence puisse vous apporter », Ă©crivait-elle. Elle estimait aussi que faire son propre « travail de l'ombre », essayer de se comprendre soi-mĂȘme, Ă©tait un des aspects « les plus fascinants et les plus urgents » du fait d'ĂȘtre en vie. Lui, en revanche ne comprenait pas ce qu'elle voulait de lui et trouvait qu'elle compliquait les choses inutilement. Autour d'elle, elle voyait un grand nombre d'autres couples dans lesquels la femme espĂ©rait elle aussi de son partenaire le mĂȘme investissement Ă©motionnel et rĂ©flexif que le sien - en vain. Elle en venait Ă  ne plus jamais vouloir ĂȘtre en couple avec un homme « qui n'aurait pas suivi une thĂ©rapie », clamait-elle. (p. 204-205)
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Mona Chollet (Réinventer l'amour: Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles)
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LE SYLLABUS Tout en mangeant d'un air effarĂ© vos oranges, Vous semblez aujourd'hui, mes tremblants petits anges, Me redouter un peu; Pourquoi ? c'est ma bontĂ© qu'il faut toujours attendre, Jeanne, et c'est le devoir de l'aĂŻeul d'ĂȘtre tendre Et du ciel d'ĂȘtre bleu. N'ayez pas peur. C'est vrai, j'ai l'air fĂąchĂ©, je gronde, Non contre vous. HĂ©las, enfants, dans ce vil monde, Le prĂȘtre hait et ment; Et, voyez-vous, j'entends jusqu'en nos verts asiles Un sombre brouhaha de choses imbĂ©ciles Qui passe en ce moment. Les prĂȘtres font de l'ombre. Ah ! je veux m'y soustraire. La plaine resplendit; viens, Jeanne, avec ton frĂšre, Viens, George, avec ta soeur; Un rayon sort du lac, l'aube est dans la chaumiĂšre; Ce qui monte de tout vers Dieu, c'est la lumiĂšre; Et d'eux, c'est la noirceur. J'aime une petitesse et je dĂ©teste l'autre; Je hais leur bĂ©gaiement et j'adore le vĂŽtre; Enfants, quand vous parlez, Je me penche, Ă©coutant ce que dit l'Ăąme pure, Et je crois entrevoir une vague ouverture Des grands cieux Ă©toilĂ©s. Car vous Ă©tiez hier, ĂŽ doux parleurs Ă©tranges, Les interlocuteurs des astres et des anges; En vous rien n'est mauvais; Vous m'apportez, Ă  moi sur qui gronde la nue, On ne sait quel rayon de l'aurore inconnue; Vous en venez, j'y vais. Ce que vous dites sort du firmament austĂšre; Quelque chose de plus que l'homme et que la terre Est dans vos jeunes yeux; Et votre voix oĂč rien n'insulte, oĂč rien ne blĂąme, OĂč rien ne mord, s'ajoute au vaste Ă©pithalame Des bois mystĂ©rieux. Ce doux balbutiement me plaĂźt, je le prĂ©fĂšre; Car j'y sens l'idĂ©al; j'ai l'air de ne rien faire Dans les fauves forĂȘts. Et pourtant Dieu sait bien que tout le jour j'Ă©coute L'eau tomber d'un plafond de rochers goutte Ă  goutte Au fond des antres frais. Ce qu'on appelle mort et ce qu'on nomme vie Parle la mĂȘme langue Ă  l'Ăąme inassouvie; En bas nous Ă©touffons; Mais rĂȘver, c'est planer dans les apothĂ©oses, C'est comprendre; et les nids disent les mĂȘmes choses Que les tombeaux profonds. Les prĂȘtres vont criant: AnathĂšme ! anathĂšme ! Mais la nature dit de toutes parts: Je t'aime ! Venez, enfants; le jour Est partout, et partout on voit la joie Ă©clore; Et l'infini n'a pas plus d'azur et d'aurore Que l'Ăąme n'a d'amour. J'ai fait la grosse voix contre ces noirs pygmĂ©es; Mais ne me craignez pas; les fleurs sont embaumĂ©es, Les bois sont triomphants; Le printemps est la fĂȘte immense, et nous en sommes; Venez, j'ai quelquefois fait peur aux petits hommes, Non aux petits enfants.
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Victor Hugo (L'Art d'ĂȘtre grand-pĂšre)
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FRÈRE LAURENCE.—Un arrĂȘt moins rigoureux s’est Ă©chappĂ© de sa bouche: ce n’est pas la mort de ton corps, mais son bannissement. ROMÉO.—Ah! le bannissement! aie pitiĂ© de moi; dis la mort. L’aspect de l’exil porte avec lui plus de terreur, beaucoup plus que la mort. Ah! ne me dis pas que c’est le bannissement. FRÈRE LAURENCE.—Tu es banni de VĂ©rone. Prends patience; le monde est grand et vaste. ROMÉO.—Le monde n’existe pas hors des murs de VĂ©rone; ce n’est plus qu’un purgatoire, une torture, un vĂ©ritable enfer. Banni de ce lieu, je le suis du monde, c’est la mort. Oui, le bannissement, c’est la mort sous un faux nom; et ainsi, en nommant la mort un bannissement, tu me tranches la tĂȘte avec une hache d’or, et souris au coup qui m’assassine. FRÈRE LAURENCE.—O mortel pĂ©chĂ©! ĂŽ farouche ingratitude! Pour ta faute, notre loi demandait la mort; mais le prince indulgent, prenant ta dĂ©fense, a repoussĂ© de cĂŽtĂ© la loi, et a changĂ© ce mot funeste de mort en celui de bannissement: c’est une rare clĂ©mence, et tu ne veux pas la reconnaĂźtre. ROMÉO.—C’est un supplice et non une grĂące. Le ciel est ici, oĂč vit Juliette: les chats, les chiens, la moindre petite souris, tout ce qu’il y a de plus misĂ©rable vivra ici dans le ciel, pourra la voir; et RomĂ©o ne le peut plus! La mouche qui vit de charogne jouira d’une condition plus digne d’envie, plus honorable, plus relevĂ©e que RomĂ©o; elle pourra s’ébattre sur les blanches merveilles de la chĂšre main de Juliette, et dĂ©rober le bonheur des immortels sur ces lĂšvres oĂč la pure et virginale modestie entretient une perpĂ©tuelle rougeur, comme si les baisers qu’elles se donnent Ă©taient pour elles un pĂ©chĂ©; mais RomĂ©o ne le peut pas, il est banni! Ce que l’insecte peut librement voler, il faut que je vole pour le fuir; il est libre et je suis banni; et tu me diras encore que l’exil n’est pas la mort!
 N’as-tu pas quelque poison tout prĂ©parĂ©, quelque poignard affilĂ©, quelque moyen de mort soudaine, fĂ»t-ce la plus ignoble? Mais banni! me tuer ainsi! banni! O moine, quand ce mot se prononce en enfer, les hurlements l’accompagnent.—Comment as-tu le coeur, toi un prĂȘtre, un saint confesseur, toi qui absous les fautes, toi mon ami dĂ©clarĂ©, de me mettre en piĂšces par ce mot bannissement? FRÈRE LAURENCE.—Amant insensĂ©, Ă©coute seulement une parole. ROMÉO.—Oh! tu vas me parler encore de bannissement. FRÈRE LAURENCE.—Je veux te donner une arme pour te dĂ©fendre de ce mot: c’est la philosophie, ce doux baume de l’adversitĂ©; elle te consolera, quoique tu sois exilĂ©. ROMÉO.—Encore l’exil! Que la philosophie aille se faire pendre: Ă  moins que la philosophie n’ait le pouvoir de crĂ©er une Juliette, de dĂ©placer une ville, ou de changer l’arrĂȘt d’un prince, elle n’est bonne Ă  rien, elle n’a nulle vertu; ne m’en parle plus. FRÈRE LAURENCE.—Oh! je vois maintenant que les insensĂ©s n’ont point d’oreilles. ROMÉO.—Comment en auraient-ils, lorsque les hommes sages n’ont pas d’yeux? FRÈRE LAURENCE.—Laisse-moi discuter avec toi ta situation. ROMÉO.—Tu ne peux parler de ce que tu ne sens pas. Si tu Ă©tais aussi jeune que moi, amant de Juliette, mariĂ© seulement depuis une heure, meurtrier de Tybalt, Ă©perdu d’amour comme moi, et comme moi banni, alors tu pourrais parler; alors tu pourrais t’arracher les cheveux et te jeter sur la terre comme je fais, pour prendre la mesure d’un tombeau qui n’est pas encore ouvert.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)
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J’ai Ă©tĂ© obligĂ© de remonter, pour vous montrer le lien des idĂ©es et des choses, Ă  une sorte d’origine de ces rĂ©serves en vous disant que si l’humanitĂ© avait fait ce qu’elle a fait, et qui en somme a fait l’humanitĂ© rĂ©ciproquement, c’est parce que depuis une Ă©poque immĂ©moriale elle avait su se constituer des rĂ©serves matĂ©rielles, que ces rĂ©serves matĂ©rielles avaient créé des loisirs, et que seul le loisir est fĂ©cond ; car c’est dans le loisir que l’esprit peut, Ă©loignĂ© des conditions strictes et pressantes de la vie, se donner carriĂšre, s’éloigner de la considĂ©ration immĂ©diate des besoins et par consĂ©quent entamer, soit sous forme de rĂȘverie, soit sous forme d’observation, soit sous forme de raisonnement, la constitution d’autres rĂ©serves, qui sont les rĂ©serves spirituelles ou intellectuelles. J’avais ajoutĂ©, pour me rapprocher des circonstances prĂ©sentes, que ces rĂ©serves spirituelles n’ont pas les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s que les rĂ©serves matĂ©rielles. Les rĂ©serves intellectuelles, sans doute, ont d’abord les mĂȘmes conditions Ă  remplir que les rĂ©serves matĂ©rielles, elles sont constituĂ©es par un matĂ©riel, elles sont constituĂ©es par des documents, des livres, et aussi par des hommes qui peuvent se servir de ces documents, de ces livres, de ces instruments, et qui aussi sont capables de les transmettre Ă  d’autres. Et je vous ai expliquĂ© que cela ne suffisait point, que les rĂ©serves spirituelles ou intellectuelles ne pouvaient passer, Ă  peine de dĂ©pĂ©rir tout en Ă©tant conservĂ©es en apparence, en l’absence d’hommes qui soient capables non seulement de les comprendre, non seulement de s’en servir, mais de les accroĂźtre. Il y a une question : l’accroissement perpĂ©tuel de ces rĂ©serves, qui se pose, et je vous ai dit, l’expĂ©rience l’a souvent vĂ©rifiĂ© dans l’histoire, que si tout un matĂ©riel se conservait Ă  l’écart de ceux qui sont capables non seulement de s’en servir mais encore de l’augmenter, et non seulement de l’accroĂźtre, mais d’en renverser, quelquefois d’en dĂ©truire quelques-uns des principes, de changer les thĂ©ories, ces rĂ©serves alors commencent Ă  dĂ©pĂ©rir. Il n’y a plus, le crĂ©ateur absent, que celui qui s’en sert, s’en sert encore, puis les gĂ©nĂ©rations se succĂšdent et les“choses qu’on avait trouvĂ©es, les idĂ©es qu’on avait mises en Ɠuvre commencent Ă  devenir des choses mortes, se rĂ©duisent Ă  des routines, Ă  des pratiques, et peu Ă  peu disparaissent mĂȘme d’une civilisation avec cette civilisation elle-mĂȘme. Et je terminais en disant que, dans l’état actuel des choses tel que nous pouvons le constater autour de nous, il y a toute une partie de l’Europe qui s’est privĂ©e dĂ©jĂ  de ses crĂ©ateurs et a rĂ©duit au minimum l’emploi de l’esprit, elle en a supprimĂ© les libertĂ©s, et par consĂ©quent il faut attendre que dans une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e on se trouvera en prĂ©sence d’une grande partie de l’Europe profondĂ©ment appauvrie, dans laquelle, comme je vous le disais, il n’y aura plus de pensĂ©e libre, il n’y aura plus de philosophie, plus de science pure, car toute la science aura Ă©tĂ© tournĂ©e Ă  ses applications pratiques, et particuliĂšrement Ă  des applications Ă©conomiques et militaires ; que mĂȘme la littĂ©rature, que mĂȘme l’art, et mĂȘme que l’esprit religieux dans ses pratiques diverses et dans ses recherches diverses auront Ă©tĂ© complĂštement diminuĂ©s sinon abolis, dans cette grande partie de l’Europe qui se trouvera parfaitement appauvrie. Et si la France et l’Angleterre savent conserver ce qu’il leur faut de vie — de vie vivante, de vie active, de vie crĂ©atrice — en matiĂšre d’intellect, il y aura lĂ  un rĂŽle immense Ă  jouer, et un rĂŽle naturellement de premiĂšre importance pour que la civilisation europĂ©enne ne disparaisse pas complĂštement.
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Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
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JULIETTE.—Oh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la libertĂ©. Terre vile, rends-toi Ă  la terre; que tout mouvement s’arrĂȘte, et qu’une mĂȘme biĂšre presse de son poids et RomĂ©o et toi. LA NOURRICE.—O Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que j’eusse! O aimable Tybalt, honnĂȘte cavalier, faut-il que j’aie vĂ©cu pour te voir mort! JULIETTE.—Quelle est donc cette tempĂȘte qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? RomĂ©o est-il tuĂ©, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chĂ©ri et mon Ă©poux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-lĂ  sont morts? LA NOURRICE.—Tybalt est mort, et RomĂ©o est banni: RomĂ©o, qui l’a tuĂ©, est banni. JULIETTE.—O Dieu! la main de RomĂ©o a-t-elle versĂ© le sang de Tybalt? LA NOURRICE.—Il l’a fait, il l’a fait! O jour de malheur! il l’a fait! JULIETTE.—O coeur de serpent cachĂ© sous un visage semblable Ă  une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angĂ©lique dĂ©mon, corbeau couvert des plumes d’une colombe, agneau transportĂ© de la rage du loup, mĂ©prisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais Ă  juste titre, damnable saint, traĂźtre plein d’honneur! O nature, qu’allais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de l’ñme d’un dĂ©mon? Jamais livre contenant une aussi infĂąme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais? LA NOURRICE.—Il n’y a plus ni sincĂ©ritĂ©, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! oĂč est mon valet? Donnez-moi un peu d’aqua vité
.. Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit Ă  RomĂ©o! JULIETTE.—Maudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il n’est pas nĂ© pour la honte: la honte rougirait de s’asseoir sur son front; c’est un trĂŽne oĂč on peut couronner l’honneur, unique souverain de la terre entiĂšre. Oh! quelle brutalitĂ© me l’a fait maltraiter ainsi? LA NOURRICE.—Quoi! vous direz du bien de celui qui a tuĂ© votre cousin? JULIETTE.—Eh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre Ă©poux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je l’ai ainsi dĂ©chirĂ©? Mais pourquoi, traĂźtre, as-tu tuĂ© mon cousin? Ah! ce traĂźtre de cousin a voulu tuer mon Ă©poux.—Rentrez, larmes insensĂ©es, rentrez dans votre source; c’est au malheur qu’appartient ce tribut que par mĂ©prise vous offrez Ă  la joie. Mon Ă©poux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon Ă©poux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleurĂ©-je? Ah! c’est qu’il y a lĂ  un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui m’a assassinĂ©e.—Je voudrais bien l’oublier; mais, ĂŽ ciel! il pĂšse sur ma mĂ©moire comme une offense digne de la damnation sur l’ñme du pĂ©cheur. Tybalt est mort, et RomĂ©o est
.. banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tuĂ© pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt Ă©tait un assez grand malheur, tout eĂ»t-il fini lĂ ; ou si les cruelles douleurs se plaisent Ă  marcher ensemble, et qu’il faille nĂ©cessairement que d’autres peines les accompagnent, pourquoi, aprĂšs m’avoir dit: «Tybalt est mort,» n’a-t-elle pas continuĂ©: «ton pĂšre aussi, ou ta mĂšre, ou tous les deux?» cela eĂ»t excitĂ© en moi les douleurs ordinaires. Mais par cette arriĂšre-garde qui a suivi la mort de Tybalt, RomĂ©o est banni; par ce seul mot, pĂšre, mĂšre, Tybalt, RomĂ©o, Juliette, tous sont assassinĂ©s, tous morts. RomĂ©o banni! Il n’y a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort qu’apporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.
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William Shakespeare (Romeo and Juliet)