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Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais reveille au sein des hommes le desir de la mer grande et large.
If you want to build a ship, don't drum up people together to collect wood and don't assign them tasks and work, but rather teach them to long for the endless immensity of the sea.
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Antoine de Saint-Exupéry
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Le plus grand faible des hommes, c'est l'amour qu'ils ont de la vie.
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MoliĂšre
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Presque tous les malheurs de la vie viennent des fausses idées que nous avons sur ce qui nous arrive. Connaßtre à fond les hommes, juger sainement des événements, est donc un grand pas vers le bonheur."
("Almost all our misfortunes in life come from the wrong notions we have about the things that happen to us. To know men thoroughly, to judge events sanely, is, therefore, a great step towards happiness.")
[Journal entry, 10 December 1801]
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Stendhal (The Private Diaries of Stendhal)
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Soyons fermes, purs et fidÚles ; au bout de nos peines, il y a la plus grande gloire du monde, celle des hommes qui n'ont pas cédé. [Let us be firm, pure and faithful; at the end of our sorrow, there is the greatest glory of the world, that of the men who did not give in.]
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Charles de Gaulle
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Ă partir de lĂ , le dialogue de la journĂ©e suivait une pente uniformĂ©ment descendante, mais avec des lĂšvres et des mains chaleureuses et languides flottant sur les surface les plus sensibles du corps, le monde Ă©tait aussi prĂšs que possible de la perfection. Freud appelait cela un Ă©tat de perversitĂ© polymorphe impersonnel et le regardait d'un mauvais oeil, mais je doute fort qu'il ait jamais eu les mains de Lil lui frĂŽlant le corps. Ou mĂȘme celles de sa propre femme dans le mĂȘme rĂŽle. Freud Ă©tait un bien grand homme, mais je n'arrive pas Ă me faire Ă l'idĂ©e que quelqu'un lui ait jamais efficacement flattĂ© le pĂ©nis.
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Luke Rhinehart (The Dice Man)
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Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes: Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.
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Pierre Corneille (Le Cid)
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« La grande question dans la vie, c'est la douleur que l'on cause, et la métaphysique la plus ingénieuse ne justifie pas l'homme qui a déchiré le coeur qui l'aimait. »
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Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
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Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indifférence n'apprend rien: c'était un leurre, une illusion fascinante et piégée. Tu étais seul et voilà tout et tu voulais te protéger: qu'entre le monde et toi les ponts soient à jamais coupés. Mais tu es si peu de chose et le monde est un si grand mot: tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomÚtres des façades, des devantures, des parcs et des quais.
L'indiffĂ©rence est inutile. Tu peux vouloir ou ne pas vouloir, qu'importe! Faire ou ne pas faire une partie de billard Ă©lectrique, quelqu'un, de toute façon, glissera une piĂšce de vingt centimes dans la fente de l'appareil. Tu peux croire qu'Ă manger chaque jour le mĂȘme repas tu accomplis un geste dĂ©cisif. Mais ton refus est inutile. Ta neutralitĂ© ne veut rien dire. Ton inertie est aussi vaine que ta colĂšre.
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Georges Perec (Un Homme qui dort)
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Si quelques heures font une grande diffĂ©rence dans le cĆur de lâhomme, faut-il sâen Ă©tonner ? Il nây a quâune minute de la vie Ă la mort.
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François-René de Chateaubriand
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Il existe je ne sais quoi de grand et dâĂ©pouvantable dans le suicide. Les chutes dâune multitude de gens sont sans danger, comme celles des enfants qui tombent de trop bas pour se blesser; mais quand un grand homme se brise, il doit venir de bien haut, sâĂȘtre Ă©levĂ© jusquâaux cieux, avoir entrevu quelque paradis inaccessible. Implacables doivent ĂȘtre les ouragans qui le forcent Ă demander la paix de lâĂąme Ă la bouche dâun pistolet⊠Chaque suicide est un poĂšme sublime de mĂ©lancolie.
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Honoré de Balzac (La Peau De Chagrin)
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Dans la vie on n'a qu'un seul grand amour et tous ceux qui précÚdent sont des amours de rodage et tous ceux qui suivent sont des amours de rattrapage ; c'est maintenant ou jamais.
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Frédéric Beigbeder (Mémoires d'un jeune homme dérangé (Marc Marronnier, #1))
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J'ignore si les grandes Ă©poques font les grands hommes, mais je sais qu'elles les tuent.
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Max Brooks (World War Z)
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Zadig dirigeait sa route sur les étoiles... Il admirait ces vastes globes de lumiÚre qui ne paraissent que de faibles étincelles à nos yeux, tandis que la terre, qui n'est en effet qu'un point imperceptible dans la nature, paraßt à notre cupidité quelque chose de si grand et de si noble. Il se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue.
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Voltaire (Zadig et autres contes)
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C'est la grande faiblesse des hommes de projeter ce qu'ils ont refoulé en eux - sur les autres.
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Jean Anouilh (Oedipe ou Le roi boiteux)
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Il nây a de grand parmi les hommes que le poĂšte, le prĂȘtre et le soldat; l'homme qui chante, l'homme qui bĂ©nit, l'homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est fait pour le fouet.
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Charles Baudelaire
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Dans la plaine rase, sous la nuit sans Ă©toiles, d'une obscuritĂ© et d'une Ă©paisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes Ă Montsou, dix kilomĂštres de pavĂ© coupant tout droit, Ă travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait mĂȘme pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacĂ©es d'avoir balayĂ© des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavĂ© se dĂ©roulait avec la rectitude d'une jetĂ©e, au milieu de l'embrun aveuglant des tĂ©nĂšbres.
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Ămile Zola (Germinal)
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Celui qui vous maĂźtrise tant nâa que deux yeux, nâa que deux mains, nâa quâun corps, et nâa autre chose que ce quâa le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon que lâavantage que vous lui faites pour vous dĂ©truire.
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Ătienne de La BoĂ©tie (Discours de la servitude volontaire: RĂ©quisitoire contre l'Absolutisme (French Edition))
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Rien n'est jamais acquis Ă l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un Ă©trange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble Ă ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-lĂ sans savoir nous regardent passer
Répétant aprÚs moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitĂŽt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs Ă l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux
Il n'y a pas d'amour qui ne soit Ă douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour Ă tous les deux
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Louis Aragon (La Diane française: En Ătrange Pays dans mon pays lui-mĂȘme)
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Je t'ai vu en companie de cet homme, et le regard que tu lui portais Ă©tait celui que j'aurais rĂȘvĂ© voir dans tes yeux alors que tu me regardais. Il avait l'air si grand Ă tes cĂŽtĂ©s, et moi si petit dans cette allĂ©e. Si j'avais pu ĂȘtre cet homme, je t'aurais tout donnĂ©, mais je n'Ă©tais que moi, l'ombre de celui que tu avais aimĂ© alors que nous Ă©tions enfants, l'ombre de l'adulte que j'Ă©tais devenu.
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Marc Levy (Le Voleur d'ombres)
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Est-ce que nous voyons la cent milliĂšme partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les Ă©difices, dĂ©racine les arbres, soulĂšve la mer en montagnes dâeau, dĂ©truit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gĂ©mit, qui mugit, â lâavez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant.
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Guy de Maupassant (Le Horla et autres nouvelles fantastiques)
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« Vous voulez l'égalité ? Commencez par cesser de faire des enfants. » [Corinne Maier, No Kid] Une grÚve des ventres : c'était là la grande crainte exprimée lors des débats (entre hommes) qui ont précédé l'autorisation de la contraception, ce qui constitue un singulier aveu - car enfin, si la maternité dans notre société est une expérience si uniformément merveilleuse, pourquoi les femmes s'en détourneraient-elles ? (p. 87)
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Mona Chollet (SorciÚres : La puissance invaincue des femmes)
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C'est une chose admirable, que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mĂȘlĂ© Ă leur science.
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MoliÚre (Le Médecin Malgré Lui)
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Ce n'Ă©tait ni le Diable ni le bon Dieu, c'Ă©tait Arthur Rimbaud, c'est-Ă -dire un trĂšs grand poĂšte.
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Paul Verlaine
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Le journalisme est un enfer, un abĂźme d'iniquitĂ©s, de mensonges, de trahisons, que l'on ne peut traverser et d'oĂč l'on ne peut sortir pur, que protĂ©gĂ© comme Dante par le divin laurier de Virgile.
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Honoré de Balzac (Etudes de moeurs. 2e livre. ScÚnes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris (French Edition))
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[...] cette annĂ©e, l'anecdote amusante, il y a eu ce lecteur Ă©merveillĂ© qui est venu me couvrir d'Ă©loges parce qu'il me confondait avec mon oncle! L'illustre historien et penseur. Je n'ai pas eu le cĆur de lui dire qu'il se trompait de bonhomme. Il est reparti Ă©bloui d'avoir pu bavarder quelque instants avec le grand homme [...]
- Chronique Medi1 Radio - "Le Maghreb des Livres" 09/02/2015
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Fouad Laroui
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Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'Ă©lever par force ?
Non, merci ! DĂ©dier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lĂšvres d'un ministre,
NaĂźtre un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci ! DĂ©jeuner, chaque jour, d'un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, Ă l'endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...
Non, merci ! D'une main flatter la chĂšvre au cou
Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon Ă©diteur de Sercy
Faire Ă©diter ses vers en payant ? Non, merci !
S'aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler Ă se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?
Ătre terrorisĂ© par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François" ?...
Non, merci ! Calculer, avoir peur, ĂȘtre blĂȘme,
Préférer faire une visite qu'un poÚme,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter,
RĂȘver, rire, passer, ĂȘtre seul, ĂȘtre libre,
Avoir l'Ćil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaĂźt, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
Ă tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N'Ă©crire jamais rien qui de soi ne sortĂźt,
Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, mĂȘme des feuilles,
Si c'est dans ton jardin Ă toi que tu les cueilles !
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas ĂȘtre obligĂ© d'en rien rendre Ă CĂ©sar,
Vis-Ă -vis de soi-mĂȘme en garder le mĂ©rite,
Bref, dĂ©daignant d'ĂȘtre le lierre parasite,
Lors mĂȘme qu'on n'est pas le chĂȘne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-ĂȘtre, mais tout seul !
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Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
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Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la mĂȘme chose, ceux qui font prĂ©cisĂ©ment le contraire et surtout la grande armĂ©e des gens, d'autant plus sĂ©vĂšres, qu'ils ne font rien du tout.
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Jules Clarétie
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Temperee, riante, (comme le sont celles d'automne dans la tres gracieuse ville de Buenos Aires) resplendissait la matinee de ce 28 avril: dix heures venait de sonner aux horloges et, a cet instant, eveillee, gesticulant sous le soleil matinal, la Grande Capitale du Sud etait un epi d'hommes qui se disputaient a grands cris la possession du jour et de la terre.
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Leopoldo Marechal (AdĂĄn Buenosayres)
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Mais surtout, surtout Jonathan, un matin oĂč passait le facteur, un petit matin gros et froid, un matin oĂč il ouvrait sa grande sacoche jaune et pleine; soufflant de la buĂ©e en cherchant le courrier, j'ai ressenti un frisson qui a couru tout mon corps et m'a effarĂ©e. Un frisson qui m'a gelĂ©e sur place, un frisson qui s'est transformĂ© en Ă©clair et m'a foudroyĂ© la nuque : j'ai compris que j'attendais vos lettres, j'attendais vos mots, j'attendais vos descriptions d'auberges, de routes, de famille française, de soupe au chou...
J'Ă©tais en train de vous attendre.
J'allais donc souffrir de vous.
Et je ne veux plus souffrir Jonathan.
En ce mois de décembre, j'ai couru à Paris, j'ai couru dans Fécamps, j'ai couru dans ma maison, j'ai couru dans la librairie pour me sauver de vous, vous abandonner sur vos petites routes aux arbres secs et noirs.
J'avais peur
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Katherine Pancol (Un homme Ă distance)
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Il y a pas une grande sagesse a dire un mot de reproche ; mais il y a une plus grande sagesse a dire un mot qui, sans se moquer du malheur de l'homme, le ranime, lui rende du courage, comme les Ă©perons rendent du courage Ă un cheval que l'abreuvoir a rafraĂźchi.
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Nikolai Gogol
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J'avais deux raisons de respecter mon instituteur : il me voulait du bien, il avait l'haleine forte.
Les grandes personnes doivent ĂȘtre laides, ridĂ©es, incommodes; quand elles me prenaient dans leurs bras, il ne me dĂ©plaisait pas d'avoir un lĂ©ger dĂ©goĂ»t Ă surmonter : c'Ă©tait la preuve que la vertu n'Ă©tait pas facile. Il y avait des joies simples, triviales : courir, sauter, manger des gĂąteaux, embrasser la peau douce et parfumĂ©e de ma mĂšre; mais j'attachais plus de prix aux plaisirs studieux et mĂȘlĂ©s que j'Ă©prouvais dans la compagnie des hommes mĂ»rs : la rĂ©pulsion qu'ils m'inspiraient faisait partie de leur prestige ; je confondais le dĂ©goĂ»t avec l'esprit de sĂ©rieux. J'Ă©tais snob.
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Jean-Paul Sartre (The Words: The Autobiography of Jean-Paul Sartre)
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La masse (...) hait l'image de l'homme car la masse est incohérente, pousse dans tous les sens à la fois et annule l'effort créateur. Il est certes mauvais que l'homme écrase le troupeau. Mais ne cherche point là le grand esclavage: il se montre quand le troupeau écrase l'homme.
(chapitre XI)
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Antoine de Saint-Exupéry (Citadelle)
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En mĂȘme temps, c'est quoi ĂȘtre comme tout le monde? Si on croit les professeurs, c'est faire toute une sĂ©rie d'actions dans le bon ordre. Etre soit un homme, soit une femme, et se marier. Faire les courses. Avoir deux ou trois enfants. Les inscrire Ă l'Ă©cole et leur acheter des livres. Travailler en mĂȘme temps pour faire tout ça. Prendre un prĂȘt bancaire pour avoir un appartement plus grand. Travailler plus, pour rembourser son prĂȘt bancaire. Acheter une petite voiture. Voter. Marier ses enfants. S'occuper des petits-enfants. Mourir. Ne pas laisser de dettes en hĂ©ritage aux enfants.
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Kaouther Adimi (L'envers des autres)
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Le garçon qui mâavait souri, et qui, une seconde plus tĂŽt, nâĂ©tait quâune fonction, un outil, une sorte dâinsecte monstrueux, voici quâil se rĂ©vĂ©lait un peu gauche, presque timide, dâune timiditĂ© merveilleuse. Non quâil fĂ»t moins brutal quâun autre, ce terroriste ! mais lâavĂšnement de lâhomme en lui Ă©clairait si bien sa part vulnĂ©rable ! On prend de grands airs, nous les hommes, mais on connaĂźt, dans le secret du coeur, lâhĂ©sitation, le doute, le chagrinâŠ
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Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
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JâĂ©cris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisĂ©es, les imbaisables, les hystĂ©riques, les tarĂ©es, toutes les exclues du grand marchĂ© Ă la bonne meuf. Et je commence par lĂ pour que les choses soient claires : je ne mâexcuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je nâĂ©changerais ma place contre aucune autre parce quâĂȘtre Virginie Despentes me semble ĂȘtre une affaire plus intĂ©ressante Ă mener que nâimporte quelle autre affaire.
Je trouve ça formidable quâil y ait aussi des femmes qui aiment sĂ©duire, qui sachent sĂ©duire, dâautres se faire Ă©pouser, des qui sentent le sexe et dâautres le gĂąteau du goĂ»ter des enfants qui sortent de lâĂ©cole. Formidable quâil y en ait de trĂšs douces, dâautres Ă©panouies dans leur fĂ©minitĂ©, quâil y en ait de jeunes, trĂšs belles, dâautres coquettes et rayonnantes. Franchement, je suis bien contente pour toutes celles Ă qui les choses telles quâelles sont conviennent. Câest dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-lĂ . Bien sĂ»r que je nâĂ©crirais pas ce que jâĂ©cris si jâĂ©tais belle, belle Ă changer lâattitude de tous les hommes que je croise.
Câest en tant que prolotte de la fĂ©minitĂ© que je parle, que jâai parlĂ© hier et que je recommence aujourdâhui (p. 9-10).
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Virginie Despentes (King Kong théorie)
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Mes amis, j'Ă©cris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fiertĂ© de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir Ă©tĂ© choisi et apprĂ©ciĂ© par vous, et que notre amitiĂ© fut sans doute la plus belle Ćuvre de ma vie. C'est Ă©trange, l'amitiĂ©. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitiĂ©. L'amitiĂ©, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en dĂ©clarations, en poĂšmes, en lettres. Elle doit ĂȘtre beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les dĂ©mangeaisons de peau. En mourant, c'est Ă ce grand mystĂšre silencieux que je songe et je lui rends hommage.
Mes amis, je vous ai vus mal rasĂ©s, crottĂ©s, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de pĂ©ter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessĂ© de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu Ă une femme de m'imposer toutes ses misĂšres, je l'aurais quittĂ©e, insultĂ©e, rĂ©pudiĂ©e. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnĂ©rables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la sĂ©duction. Ils jouent un rĂŽle. Pire, ils cherchent chacun le beau rĂŽle. ThĂ©Ăątre. ComĂ©die. Mensonge. Il n'y a pas de sĂ©curitĂ© en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut ĂȘtre aimĂ© tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge rĂ©ussi et constamment renouvelĂ©. Une amitiĂ©, c'est une vĂ©ritĂ© qui s'impose. L'amitiĂ© est nue, l'amour fardĂ©.
Mes amis, je vous aime donc tels que vous ĂȘtes.
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Ăric-Emmanuel Schmitt (La Part de l'autre)
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Nous avons aussi appris que la plus grande mutilation que l'on puisse faire Ă l'homme, c'est de le priver de toute insĂ©curitĂ©. L'insĂ©curitĂ© nous a forcĂ©s Ă tirer de nous-mĂȘmes des richesses que nous ne soupçonnions pas : imagination, crĂ©ativitĂ©, rĂ©sistance physique et psychique, victoire sur les privations de toutes sortes, les inconforts. (p.231)
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Pierre Rabhi (Du Sahara aux Cévennes : Itinéraire d'un homme au service de la Terre-MÚre)
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Car l'homme ne vit que durant un clignement de paupiĂšres et ensuite c'est la pourriture Ă jamais, et chaque jour tu fais un pas de plus vers le trou en terre oĂč tu moisiras en grande stupiditĂ© et silence en la seule compagnie de vers blancs et gras comme ceux de la farine et du fromage, et ils s'introduiront dans tous tes orifices pour s'y nourrir.
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Albert Cohen (Belle du Seigneur)
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Je condamne l'ignorance qui rĂšgne en ce moment dans les dĂ©mocraties aussi bien que dans les rĂ©gimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le systĂšme, sinon par le rĂ©gime. J'ai souvent rĂ©flĂ©chi Ă ce que pourrait ĂȘtre l'Ă©ducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des Ă©tudes de base, trĂšs simples, oĂč l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planĂšte dont il devra plus tard mĂ©nager les ressources, qu'il dĂ©pend de l'air, de l'eau, de tous les ĂȘtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout dĂ©truire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tuĂ©s dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongĂšrement, de façon Ă flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passĂ© pour qu'il se sente reliĂ© aux hommes qui l'ont prĂ©cĂ©dĂ©, pour qu'il les admire lĂ oĂč ils mĂ©ritent de l'ĂȘtre, sans s'en faire des idoles, non plus que du prĂ©sent ou d'un hypothĂ©tique avenir. On essaierait de le familiariser Ă la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaĂźtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposĂ©es aux enfants et aux trĂšs jeunes adolescents sous prĂ©texte de biologie ; il apprendrait Ă donner les premiers soins aux blessĂ©s ; son Ă©ducation sexuelle comprendrait la prĂ©sence Ă un accouchement, son Ă©ducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en sociĂ©tĂ© est impossible, instruction que les Ă©coles Ă©lĂ©mentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matiĂšre de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays oĂč il se trouve, pour Ă©veiller en lui le respect et dĂ©truire d'avance certains odieux prĂ©jugĂ©s. On lui apprendrait Ă aimer le travail quand le travail est utile, et Ă ne pas se laisser prendre Ă l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatĂ©es, en lui prĂ©parant des caries et des diabĂštes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses vĂ©ritablement importantes plus tĂŽt qu'on ne le fait. (p. 255)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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Quand nous avons de grands trésors sous les yeux,
nous ne nous en apercevons jamais.
...Et sais tu pourquoi ?
Parce que les hommes ne croient pas aux trésors...
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Paulo Coelho (The Alchemist)
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Oh, quel homme supérieur ! disait encore Candide entre ses dents, quel grand génie que ce Pococuranté ! rien ne peut lui plaire.
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Voltaire (Candide)
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Avec monsieur Ibrahim, je me rendais compte que les juifs, les musulmans et mĂȘme les chrĂ©tiens, ils avaient eu plein de grands hommes en commun avant de se taper sur la gueule.
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Ăric-Emmanuel Schmitt (Ăric-Emmanuel Schmitt, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran)
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Le courage est une des plus grandes séductions de l'homme sur la femme.
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Alexandre Dumas (Pauline)
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Des hommes qui ont vécu longtemps d'un grand amour, puis en furent privés, se lassent parfois de leur noblesse solitaire. Ils se rapprochent humblement de la vie, et, d'un amour médiocre, font leur bonheur. Ils ont trouvé doux d'abdiquer, de se faire serviles, et d'entrer dans la paix des choses. L'esclave fait son orgueil de la braise du maßtre.
(Terre des Hommes, ch. VI)
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Antoine de Saint-Exupéry
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Vivre d'un troupeau, c'est en grande partie le parasiter quelle que soit la prĂ©ocupation qu'on ait de son bien-ĂȘtre. Nous sommes Ă la fois le lĂ©gislatif et l'exĂ©cutif. On ne peut enfermer des animaux dans une Ă©treinte intĂ©ressĂ©e sans aller Ă l'encontre de leur nature. La dĂ©marche soucieuse de vivre avec et non de peut dĂ©jĂ attĂ©nuer l'arbitraire. Il s'agit alors de vivre des rĂ©ciprocitĂ©s. (p.238)
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Pierre Rabhi (Du Sahara aux Cévennes : Itinéraire d'un homme au service de la Terre-MÚre)
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Drogo sâaperçut Ă quel point les hommes restent toujours sĂ©parĂ©s l'un de l'autre, malgrĂ© l'affection qu'ils peuvent se porter ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en dĂ©charger si lĂ©gĂšrement que ce soit ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, mĂȘme si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie.
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Dino Buzzati (The Tartar Steppe)
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Aussi, prĂ©fĂ©rant mille fois la mort Ă une arrestation, j'accomplissais des choses Ă©tonnantes, et qui, plus d'une fois, me donnĂšrent cette preuve que le trop grand soin que nous prenons de notre corps est Ă peu prĂšs le seul obstacle Ă la rĂ©ussite de ceux de nos projets qui ont besoin d'une dĂ©cision rapide et d'une exĂ©cution vigoureuse et dĂ©terminĂ©e. En effet, une fois qu'on a fait le sacrifice de sa vie, on n'est plus l'Ă©gal des autres hommes, ou plutĂŽt les autres hommes ne sont plus vos Ă©gaux, et quiconque a pris cette rĂ©solution sent, Ă l'instant mĂȘme, dĂ©cupler ses forces et s'agrandir son horizon. (p. 556)
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Alexandre Dumas (The Count of Monte Cristo, V1 (The Count of Monte Cristo, part 1 of 2))
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En fait, au XVÚme siÚcle, en Transylvanie, pendant la guerre contre les Ottomans, j'ai vraiment rencontré Vlad l'Empaleur, qui a inspiré le personnage mythique de Dracula, et qui n'a jamais eu les terribles canines que la légende lui attribue. Au contraire, une visite chez le dentiste lui aurait fait le plus grand bien : il avait les dents pourries, et une haleine des plus fétides. Et ce n'était pas un vampire, tout juste un catholique fanatique, doté d'un penchant fétichiste pour la décapitation, qui m'avait proposé une promenade dans sa calÚche. J'ai le chic pour attirer les hommes qui sortent de l'ordinaire.
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Christopher Pike
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- Vous ĂȘtes plus pessimiste qu'autrefois ?
- Pessimisme et optimisme, encore deux mots que je récuse. Il s'agit d'avoir les yeux ouverts. Le médecin qui analyse le sang et les selles d'un malade, mesure sa fiÚvre et prend sa tension, n'est ni optimiste ni pessimiste : il fait de son mieux à partir de ce qui est. Mais, si l'on peut employer ce misérable mot, je me sens pessimiste quand je constate combien la masse humaine a peu changé depuis des millénaires. Les plus grands réformateurs se sont généralement heurtés à cette quasi-impossibilité de changer l'homme, et leur leçon s'est généralement perdue aprÚs eux. (p.240)
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Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
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La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute liberté et en toute pureté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau tel qu'il s'échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci; les animaux. Et c'est ici que s'est produite la plus grande déroute de l'homme, débùcle fondamentale dont toutes les autres découlent.
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Milan Kundera (The Unbearable Lightness of Being)
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Les cinq degrés de l'amour******
Les Sufis sont les grands maßtres de l'art d'aimer de la civilisation musulmane. Selon Ad-Daylami, l'amour est une fulgurante source de lumiÚre et " celui qui aime est éclairé dans son génie et illuminé dans sa nature". Cependant, tot amour n'est pas équivalent:
" L'amour dont s'aiment entre eux les humains est de cinq espÚces pour cinq catégories différentes [ d'hommes]:
- Un amour divin pour ceux qui sont parvenus à l'unité.
- Un amour intellectuel pour ceux qui possĂšdent la connaissance.
- Un amour spirituel pour l'Ă©lite des hommes.
- Un amour naturel pour la masse des humains.
- Un amour bestial pour les natures abjectes".
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Fatema Mernissi (L'Amour dans les pays musulmans : A travers le miroir des textes anciens)
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CâĂ©tait un de ces hommes politiques Ă plusieurs faces, sans convictions, sans grands moyens, sans audace et sans connaissance sĂ©rieuse, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un Ă©quilibre de finaud entre tous les partis extrĂȘmes, sorte de jĂ©suite rĂ©publicain et de champignon libĂ©ral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel.
Son machiavĂ©lisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collĂšgues, parmi tous les dĂ©classĂ©s et les avortĂ©s dont on fait les dĂ©putĂ©s. Il Ă©tait assez soignĂ©, assez correct, assez familier, assez aimable pour rĂ©ussir. (âŠ) On disait partout de lui « Laroche sera ministre », et il pensait aussi plus fermement que tous les autres que Laroche serait ministre.
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Guy de Maupassant
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« Un homme trĂšs croyant priait chaque jour son Dieu, puis un jour il perdit beaucoup dâargent et se mit Ă prier Dieu pour gagner au loto⊠Au bout de nombreuses annĂ©es, lâhomme mourut et comme il Ă©tait un croyant rempli de ferveur, il rencontra Dieu. Il lui dit alors : âDieu, pourquoi ne mâas-tu pas aidĂ© pour gagner au loto au moment oĂč jâen avais le plus besoin alors que je tâai toujours servi avec ferveur ?â Et Dieu lui rĂ©pondit : âMon fils je nâaurais pas demandĂ© mieux que de tâaider mais encore eut-il fallu que tu achĂštes un billet du loto.â »
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Anne Meurois-Givaudan (Petit manuel pour un grand passage)
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Nous nâavons point de Pygmalion comme les Grecs, par consĂ©quent point de GalatĂ©e. Il faudrait donc, mes trĂšs chĂšres sĆurs, ĂȘtre plus indulgentes entre nous pour nos dĂ©fauts, nous les cacher mutuellement, et tĂącher de devenir plus consĂ©quentes en faveur de notre sexe. Est-il Ă©tonnant que les hommes lâoppriment, et nâest-ce pas notre faute ? Peu de femmes sont hommes par la façon de penser, mais il y en a quelques-unes, et malheureusement le plus grand nombre se joint impitoyablement au parti le plus fort, sans prĂ©voir quâil dĂ©truit lui-mĂȘme les charmes de son empire.
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Olympe de Gouges (DĂ©claration des droits de la femme et de la citoyenne (La Petite Collection) (French Edition))
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Il y a toujours chez les hommes de guerre quelque chose de direct quâils tiennent peut-ĂȘtre de leur habitude de donner la mort. Il faut, pour frapper quelquâun, mĂȘme au combat, se libĂ©rer dâun poids de civilisation qui enferme la plupart dâentre nous dans la faussetĂ© et une douceur forcĂ©e.
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Jean-Christophe Rufin (Le Grand CĆur)
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Un homme vraiment profond s'enfonce, il ne monte pas. Longtemps aprĂšs sa mort, on dĂ©couvre sa colonne enfouie, d'un seul bloc ou, peu Ă peu, par morceaux. Tandis que ces grandes intelligences mĂ©diocres, faites de coup d'Ćil et d'ironie, montent sans encombres jusqu'Ă la petite corniche du pouvoir.
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Jean Cocteau (Thomas l'imposteur)
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La Voie à l'horizon et la voix intérieure
A lâOrient comme Ă lâOccident, notre Ă©poque donne naissance Ă la plus grande famine jamais constatĂ©e sur la terre. La torture des corps fait Ă©cho Ă la souffrance des Ăąmes: les corps et les cĆurs ont faim dâhumanitĂ©. La pauvretĂ©, lâerrance, les dictatures, les guerres bafouent chaque jour la dignitĂ© de plusieurs milliards de femmes et dâhommes. La solitude, lâindividualisme, la misĂšre morale, le manque dâamour rongent lâĂȘtre de tous ceux que le confort devait contenter. OĂč est la voie? OĂč allons-nous? Comment ĂȘtre une femme, comment ĂȘtre un homme aujourdâhui?
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Tariq Ramadan
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Il paraĂźt qu'Ă soixante-dix ans, c'est le meilleur souvenir qu'il vous reste. Le sexe. C'est ma grand-mĂšre qui m'a dit ça. Elle m'a dit, tu sais quand on a mon Ăąge, les plus beaux souvenirs qu'il vous reste ce sont les nuits d'amour. C'est ses mots Ă elle, mais je sais bien ce que ça veut dire. Ăa veut dire qu'il n'y a rien de tel, aprĂšs avoir bien pris son pied, que de se coller contre un homme en lui tenant la bite encore toute chaude comme un petit Ă©cureuil endormi. Tricote-toi des souvenirs, elle me dit, ma grand-mĂšre, alors moi, je fais comme elle me dit et je me tricote des souvenirs pour me faire des pulls et des pulls pour quand je serai vieille et que j'aurai toujours froid. Parce que les vieux, ils ont toujours froid. Ils ont froid de ne plus pouvoir vivre les choses. C'est ça, qui donne froid, c'est de plus pouvoir s'assouvir, de plus pouvoir se donner Ă fond Ă ce qu'on a envie de vivre.
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David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
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Vieux bureaucrate, mon camarade ici prĂ©sent, nul jamais ne t'a fait Ă©vader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix Ă force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les Ă©chappĂ©es vers la lumiĂšre. Tu t'es roulĂ© en boule dans ta sĂ©curitĂ© bourgeoise, tes routines, les rites Ă©touffants de ta vie provinciale, tu as Ă©levĂ© cet humble rempart contre les vents et les marĂ©es et les Ă©toiles. Tu ne veux point t'inquiĂ©ter des grands problĂšmes, tu as eu bien assez de mal Ă oublier ta condition d'homme. Tu n'es point l'habitant d'une planĂšte errante, tu ne te poses point de questions sans rĂ©ponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse. Nul ne t'a saisi par les Ă©paules quand il Ă©tait temps encore. Maintenant, la glaise dont tu es formĂ© a sĂ©chĂ©, et s'est durcie, et nul en toi ne saurait dĂ©sormais rĂ©veiller le musicien endormi ou le poĂšte, ou l'astronome qui peut-ĂȘtre t'habitait d'abord.
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Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
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Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, Ă©tait mon Contesseur. AussitĂŽt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes. Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vĂ©ritĂ© quelle idĂ©e j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout Ă fait trompĂ©, ni entiĂšrement rempli; la crainte de me trahir m'empĂȘchait de m'Ă©clairer : mais le bon PĂšre me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait ĂȘtre extrĂȘme; et au dĂ©sir de le connaitre succĂ©da celui de le goĂ»ter.
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Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses)
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Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, lâodeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altĂ©rĂ© dans lâeau dâune source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans lâair.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que jâentends dans tes cheveux ! Mon Ăąme voyage sur le parfum comme lâĂąme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rĂȘve, plein de voilures et de mĂątures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, oĂč lâespace est plus bleu et plus profond, oĂč lâatmosphĂšre est parfumĂ©e par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
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Charles Baudelaire
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victor hugo, Les Contemplations, Mors
Je vis cette faucheuse. Elle Ă©tait dans son champ.
Elle allait Ă grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Dans l'ombre oĂč l'on dirait que tout tremble et recule,
L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient ; elle changeait en désert Babylone,
Le trĂŽne en Ă©chafaud et l'Ă©chafaud en trĂŽne,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L'or en cendre, et les yeux des mĂšres en ruisseaux.
Et les femmes criaient : - Rends-nous ce petit ĂȘtre.
Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naĂźtre ? -
Ce n'Ă©tait qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas ;
Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats ;
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre ;
Les peuples Ă©perdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit ;
Tout Ă©tait sous ses pieds deuil, Ă©pouvante et nuit.
DerriÚre elle, le front baigné de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d'Ăąmes.
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Victor Hugo
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Souvent, pour s'amuser, les hommes d'Ă©quipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traßner à cÎté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguĂšre si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le PoÚte est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempĂȘte et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de gĂ©ant l'empĂȘchent de marcher.
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Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
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Chaque Ăąge a ses plaisirs, son esprit et ses mĆurs.
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt Ă recevoir l'impression des vices ;
Est vain dans ses discours, volage en ses désirs,
RĂ©tif Ă la censure et fou dans les plaisirs.
L'ùge viril, plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprÚs des grands, s'intrigue, se ménage,
Contre les coups du sort songe Ă se maintenir,
Et loin dans le présent regarde l'avenir.
La vieillesse chagrine incessamment amasse ;
Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse ;
Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé ;
Toujours plaint le présent et vante le passé ;
Inhabile aux plaisirs, dont la jeunesse abuse,
BlĂąme en eux les douceurs que l'Ăąge lui refuse.
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Nicolas Boileau
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AmputĂ©e!⊠O soleil, si câest vrai que je viens de toi, pourquoi mâas-tu faite amputĂ©e? Pourquoi mâas-tu faite une fille? Pourquoi ces seins, cette faiblesse, cette plaie ouverte au milieu de moi? Nâaurait-il pas Ă©tĂ© beau le garçon MĂ©dĂ©e? Nâaurait-il pas Ă©tĂ© fort? Le corps dur comme la pierre, fait pour prendre et partir aprĂšs, ferme, intact, entier, lui! Ah! il aurait pu venir, alors, Jason, avec ses grandes mains redoutables, il aurait pu tenter de les poser sur moi! Un couteau, chacun dans la sienne -oui!- et le plus fort tue lâautre et sâen va dĂ©livrĂ©. Pas cette lutte oĂč je ne voulais que toucher les Ă©paules, cette blessure que jâimplorais. Femme! Femme! Chienne! Chair faite dâun peu de boue de dâune cĂŽte dâhomme! Morceau dâhomme! Putain!
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Jean Anouilh (Médée)
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Ce supplice que lui infligeait ma grand'tante, le spectacle des vaines priĂšres de ma grand'mĂšre et de sa faiblesse, vaincue d'avance, essayant inutilement d'ĂŽter Ă mon grand-pĂšre le verre Ă liqueur, c'Ă©tait de ces choses Ă la vue desquelles on s'habitue plus tard jusqu'Ă les considĂ©rer en riant et Ă prendre le parti du persĂ©cuteur assez rĂ©solument et gaiement pour se persuader Ă soi-mĂȘme qu'il ne s'agit pas de persĂ©cution; elles me causaient alors une telle horreur que j'aurais aimĂ© battre ma grand'tante. Mais dĂšs que j'entendais: "Bathilde, viens donc empĂȘcher ton mari de boire du cognac!" dĂ©jĂ homme par la lĂąchetĂ©, je faisais ce que nous faisons tous, une fois que nous sommes grands, quand il y a devant nous des souffrances et des injustices: je ne voulais pas les voir; (âŠ)
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Marcel Proust
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Huit heures de sommeil ! Nous perdons le tiers de notre vie humaine dans cet Ă©tat dâimpuissance et de demi-mort. VoilĂ ce qui me rĂ©voltait. Il faut libĂ©rer lâhumanitĂ© de la charge du sommeil. Quelles extraordinaires perspectives, quelles possibilitĂ©s !... Combien de grandes Ćuvres les grands penseurs nous auraient encore donnĂ©es, si toutes leurs nuits avaient pu ĂȘtre consacrĂ©es Ă la crĂ©ation ! Combien de grandes Ćuvres inachevĂ©es ne le seraient pas ! Comme le progrĂšs avancerait ! ! Lâouvrier ayant travaillĂ© aux heures fixĂ©es Ă sa machine-outil consacrerait la nuit aux livres ou au travail social. Nous nâaurions pas dâillettrĂ©s. Mieux encore, tous recevraient la possibilitĂ© de devenir parfaitement instruits. De quels pas gigantesques avancerait le progrĂšs ! CâĂ©tait Ă cela que je pensais...
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Alexandre BeliaĂŻev (L'homme qui ne dormait pas)
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Une autre soif lui Ă©tait venue, celle des femmes, du luxe et de tout ce que comporte lâexistence parisienne. Il se sentait quelque peu Ă©tourdi, comme un homme qui descend dâun vaisseau; et, dans lâhallucination du premier sommeil, il voyait passer et repasser continuellement les Ă©paules de la Poissarde, les reins de la DĂ©bardeuse, les mollets de la Polonaise, la chevelure de la Sauvagesse. Puis deux grands yeux noirs, qui nâĂ©taient pas dans le bal, parurent; et lĂ©gers comme des papillons, ardents comme des torches, ils allaient, venaient, vibraient, montaient dans la corniche, descendaient jusquâĂ sa bouche.
FrĂ©dĂ©ric sâacharnait Ă reconnaĂźtre ces yeux sans y parvenir. Mais dĂ©jĂ le rĂȘve lâavait pris; il lui semblait quâil Ă©tait attelĂ© prĂšs dâArnoux, au timon dâun fiacre, et que la MarĂ©chale, Ă califourchon sur lui, lâĂ©ventrait avec ses Ă©perons dâor. (©BeQ)
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Gustave Flaubert (Sentimental Education)
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Il est un cĂŽtĂ© de la « culture bourgeoise » qui en dĂ©voile toute la petitesse, c'est son aspect de « roulement » conventionnel, de manque d'imagination, bref d'inconscience et de vanitĂ© : on ne se demande pas un instant « Ă quoi bon tout cela » ; aucun auteur ne se demande s'il vaut la peine d'Ă©crire une nouvelle histoire aprĂšs tant d'autres histoires ; on semble en Ă©crire simplement parce que d'autres en ont Ă©crit, et parce qu'on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas et pourquoi on ne gagnerait pas une gloire que d'autres ont gagnĂ©e. C'est un perpetuum mobile que rien ne peut arrĂȘter, sauf une catastrophe ou, moins tragiquement, la disparition progressive des lecteurs ; sans public point de cĂ©lĂ©britĂ©, nous l'avons dit plus haut. Et ceci est arrivĂ© dans une certaine mesure : on ne lit plus d'anciens auteurs dont le prestige paraissait assurĂ© ; le grand public a d'autres besoins, d'autres ressources et d'autres distractions, fussent-elle des plus basses. La culture c'est, de plus en plus, l'absence de culture : la manie de se couper de ses racines et d'oublier d'oĂč l'on vient.
Une des raisons subjectives de ce que nous pouvons appeler le « roulement culturel » est que l'homme n'aime pas se perdre tout seul, qu'il aime par consĂ©quent trouver des complices pour une perdition commune ; c'est ce que fait la culture profane, inconsciemment ou consciemment, mais non innocemment car l'homme porte au fond de lui-mĂȘme l'instinct de sa raison d'ĂȘtre et de sa vocation. On a souvent reprochĂ© aux civilisations orientales leur stĂ©rilitĂ© culturelle, c'est-Ă -dire le fait qu'elles ne comportent pas un fleuve habituel de production littĂ©raire, artistique et philosophique ; nous croyons pouvoir nous dispenser Ă prĂ©sent de la peine d'en expliquer les raisons.
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Frithjof Schuon (To Have a Center (Library of Traditional Wisdom))
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Je suis un de ces ĂȘtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'Ă ce jour, aucun homme ne s'est trouvĂ© dans une position semblable Ă la mienne. Les royaumes des rois sont limitĂ©s, soit par des montagnes, soit par des riviĂšres, soit par un changement de mĆurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, Ă moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni Italien, ni Français, ni Indou, ni AmĂ©ricain, ni Espagnol: je suis cosmopolite.
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Alexandre Dumas (The Son of Monte-Cristo; Volume I)
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Depuis que je suis née je n'ai pas vu d'hommes qui se donnassent entiÚrement à la femme qu'ils aimaient. Et je n'ai jamais vu d'hommes qui ne cherchent dans leur compagnie quelque chose de soumis, d'agréable, d'odorant, de nourricier, d'approbateur, une enveloppe tiÚde et douce, une part de sa reproduction, un souvenir de mÚre. Les absentes sont toujours là . Les grandes absentes sont de jour en jour plus hautes et l'ombre qu'elles portent plus opaque. Ce qui a été perdu a toujours raison.
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Pascal Quignard
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Tu viens d'incendier la BibliothĂšque ?
- Oui.
J'ai mis le feu lĂ .
- Mais c'est un crime inouĂŻ !
Crime commis par toi contre toi-mĂȘme, infĂąme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton Ăąme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maĂźtre, est Ă ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothĂšque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siĂšcles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poĂštes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des HomĂšres, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans MoliĂšre, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est lĂ sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophĂštes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'Ăąme immense qu'ils ont en eux, en toi s'Ă©veille ;
Ăbloui, tu te sens le mĂȘme homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croĂźtre,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube Ă©claire un cloĂźtre
Ă mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton Ăąme interrogĂ©e est prĂȘte Ă leur rĂ©pondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la premiĂšre.
Puis vient la liberté. Toute cette lumiÚre,
C'est Ă toi comprends donc, et c'est toi qui l'Ă©teins !
Les buts rĂȘvĂ©s par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur Ă la vĂ©ritĂ© mĂȘle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'Îte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse Ă toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrÚs, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
- Je ne sais pas lire.
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Victor Hugo
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Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe Ă ma vie, câest comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus quâelle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je nĂ© dans une Ă©poque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes dâun grand jeu de hasard ?
Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimĂ© ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos riviĂšres, tout cela mâaurait suffi. Jâaurais aimĂ© ĂȘtre tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretuĂ©s. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres dâHistoire. Certains en ont dĂ©vorĂ© dâautres, les ont Ă©ventrĂ©s, violĂ©s, souillĂ©s. Et ce qui est juste nâa pas toujours triomphĂ© de ce qui est sale.
Pourquoi ai-je dĂ», comme des milliers dâautres hommes, porter une croix que je nâavais pas choisie, endurer un calvaire qui nâĂ©tait pas fait pour mes Ă©paules et qui ne me concernait pas? Qui a donc dĂ©cidĂ© de venir fouiller mon obscure existence, de dĂ©terrer ma maigre tranquillitĂ©, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, sâIl existe, sâIl existe vraiment, quâIl se cache. QuâIl pose Ses deux mains sur Sa tĂȘte, et quâIl la courbe. Peut-ĂȘtre, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup dâhommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourdâhui je sais aussi quâIl n'est pas digne de la plupart dâentre nous, et que si la crĂ©ature a pu engendrer lâhorreur câest uniquement parce que son CrĂ©ateur lui en a soufflĂ© la recette.
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Philippe Claudel (Brodeck)
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Jâallais ouvrir la bouche et aborder cette fille , quand quelquâun me toucha lâĂ©paule. Je me retournai, surpris, et jâaperçus un homme dâaspect ordinaire, ni jeune ni vieux, qui me regardait dâun air triste.
â Je voudrais vous parler, dit-il.
Je fis une grimace quâil vit sans doute, car il ajouta :
â « Câest important. »
Je me levai et le suivis Ă lâautre bout du bateau :
â « Monsieur, reprit-il, quand lâhiver approche avec les froids, la pluie et la neige, votre mĂ©decin vous dit chaque jour : « Tenez-vous les pieds bien chauds, gardez-vous des refroidissements, des rhumes, des bronchites, des pleurĂ©sies. » Alors vous prenez mille prĂ©cautions, vous portez de la flanelle, des pardessus Ă©pais, des gros souliers, ce qui ne vous empĂȘche pas toujours de passer deux mois au lit. Mais quand revient le printemps avec ses feuilles et ses fleurs, ses brises chaudes et amollissantes, ses exhalaisons des champs qui vous apportent des troubles vagues, des attendrissements sans cause, il nâest personne qui vienne vous dire : « Monsieur, prenez garde Ă lâamour ! Il est embusquĂ© partout ; il vous guette Ă tous les coins ; toutes ses ruses sont tendues, toutes ses armes aiguisĂ©es, toutes ses perfidies prĂ©parĂ©es ! Prenez garde Ă lâamour !⊠Prenez garde Ă lâamour ! Il est plus dangereux que le rhume, la bronchite et la pleurĂ©sie ! Il ne pardonne pas, et fait commettre Ă tout le monde des bĂȘtises irrĂ©parables. » Oui, monsieur, je dis que, chaque annĂ©e, le gouvernement devrait faire mettre sur les murs de grandes affiches avec ces mots : « Retour du printemps. Citoyens français, prenez garde Ă lâamour ; » de mĂȘme quâon Ă©crit sur la porte des maisons : « Prenez garde Ă la peinture ! » â Eh bien, puisque le gouvernement ne le fait pas, moi je le remplace, et je vous dis : « Prenez garde Ă lâamour ; il est en train de vous pincer, et jâai le devoir de vous prĂ©venir comme on prĂ©vient, en Russie, un passant dont le nez gĂšle. »
Je demeurai stupéfait devant cet étrange particulier, et, prenant un air digne :
â « Enfin, monsieur, vous me paraissez vous mĂȘler de ce qui ne vous regarde guĂšre. »
Il fit un mouvement brusque, et répondit :
â « Oh ! monsieur ! monsieur ! si je mâaperçois quâun homme va se noyer dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser pĂ©rir ?
â
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Guy de Maupassant
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Le mal.
Examinez la vie des hommes et des peuples, les meilleurs et les plus fĂ©conds, et demandez-vous si un arbre qui doit s'Ă©lever fiĂšrement dans les airs peut se passer du mauvais temps et des tempĂȘtes : si la dĂ©faveur et la rĂ©sistance du dehors, si toutes espĂšces de haine, d'envie, d'entĂȘtement, de mĂ©fiance, de duretĂ©, d'aviditĂ©, de violence ne font pas partie des circonstances favorisantes, sans lesquelles une grande croissance, mĂȘme dans la vertu, serait Ă peine possible?
Le poison qui fait périr la nature plus faible est un fortifiant pour le fort - aussi ne l'appelle-t-il pas poison.
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Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
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Les Poets de Sept ans
Et la MĂšre, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et trĂšs fiĂšre sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'Ă©minences,
L'ùme de son enfant livrée aux répugnances.
Tout le jour, il suait d'obéissance ; trÚs
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'Ăącres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : Ă la lampe
On le voyait, lĂ -haut, qui rĂąlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il Ă©tait entĂȘtĂ©
A se renfermer dans la fraĂźcheur des latrines:
Il pensait lĂ , tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
DerriĂšre la maison, en hiver, s'illunait ,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions Ă©crasant son oeil darne,
Il Ă©coutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mĂšre s'effrayait, les tendresses profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet Ă©tonnement.
C'Ă©tait bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment!
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand dĂ©sert oĂč luit la LibertĂ© ravie,
ForĂȘts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrĂ©s oĂč, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'Oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
-Huit ans -la fille des ouvriers d'à cÎté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il Ă©tait sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de décembre,
OĂč, pommadĂ©, sur un guĂ©ridon d'acajou,
Il lisait une Bible Ă la tranche vert-chou;
Des rĂȘves l'oppressaient, chaque nuit, dans l'alcĂŽve.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
OĂč les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des Ă©dits rire et gronder les foules.
- Il rĂȘvait la prairie amoureuse, oĂč des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, ùcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forĂȘts noyĂ©es,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulement, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul et couché sur des piÚces de toile
Ăcrue et pressentant violemment la voile!
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Arthur Rimbaud
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Pour ce quâil avait pu en observer lâexistence des hommes sâorganisait autour du travail, qui occupait la plus grande partie de la vie, et sâaccomplissait dans des organisations de dimension variable. A lâissue des annĂ©es de travail sâouvrait une pĂ©riode plus brĂšve, marquĂ©e par le dĂ©veloppement de diffĂ©rentes pathologies. Certains ĂȘtres humains, pendant la pĂ©riode la plus active de leur vie, tentaient en outre de sâassocier dans des micro-regroupements, qualifies de familles, ayant pour but la reproduction de lâespĂšce ; mais ces tentatives, le plus souvent, tournaient court, pour des raisons liĂ©es a la <>.
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Michel Houellebecq
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Hommes et femmes de Londres, me voici. Je vous fĂ©licite cordialement d'ĂȘtre anglais. Vous ĂȘtes un grand peuple. Je dis plus, vous ĂȘtes une grande populace. Vos coups de poing sont encore plus beaux que vos coups d'Ă©pĂ©e. Vous avez de l'appĂ©tit. Vous ĂȘtes la nation qui mange les autres. Fonction magnifique. Cette succion du monde classe Ă part l'Angleterre. Comme politique et philosophie, et maniement des colonies, populations, et industries, et comme volontĂ© de faire aux autres du mal qui est pour soi du bien, vous ĂȘtes particuliers et surprenants. Le moment approche oĂč il y aura sur la terre deux Ă©criteaux; sur l'un on lira: CĂŽtĂ© des hommes; sur l'autre on lira: CĂŽtĂ© des anglais. Je constate ceci Ă votre gloire, moi qui ne suis ni anglais, ni homme, ayant l'honneur d'ĂȘtre un docteur. Cela va ensemble. Gentlemen, j'enseigne. Quoi? Deux espĂšces de choses, celles que je sais et celles que j'ignore. Je vends des drogues et je donne des idĂ©es. Approchez, et Ă©coutez. La science vous y convie. Ouvrez votre oreille. Si elle est petite, elle tiendra peu de vĂ©ritĂ©; si elle est grande, beaucoup de stupiditĂ© y entrera. Donc, attention. J'enseigne la Pseudodoxia Epidemica. J'ai un
camarade qui fait rire, moi je fais penser.
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Victor Hugo (The Man Who Laughs)
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Quelle organisation sociale pourra rĂ©sister Ă un choc dâune telle violence ? Une simple rallonge de vingt ans, si elle est soudaine, fera courir un trĂšs grand danger Ă lâhumanitĂ© toute entiĂšre. Vingt ans de plus pourraient nous plonger dans le chaos. Pour lâĂ©viter, il faudra tout changer. Il sera nĂ©cessaire de rĂ©organiser la sociĂ©tĂ© de fond en comble. Toutes nos conceptions deviendront caduques, notre perception du monde obsolĂšte. A quoi pourra bien ressemble la sociĂ©tĂ© des hommes vivant deux siĂšcles ? A quoi pourra bien ressembler la civilisation des « immortels » ? A quoi ressembleront ces ĂȘtres eux-mĂȘmes ?
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Antoine Buéno (Le triptyque de l'asphyxie : Ou chronique de la mort des macchabées)
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finalement, éperdu d'amour et au comble de la frénésie érotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc.
â Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sĂ»r qu'elle le voulait, voyons! C'Ă©tait une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire.
â Tu vas le manger cru ?
â Oui.
J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondĂ©ment, soufflant un peu, entre les bouchĂ©es, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'Ă ce qu'une sueur froide me montĂąt au front. Je continuai mĂȘme un peu au-delĂ , serrant les dents, luttant contre la nausĂ©e, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon mĂ©tier d'homme.
Je fus trĂšs malade, on me transporta Ă l'hĂŽpital, ma mĂšre sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'Ă©tais trĂšs fier de moi.
Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Ăducation europĂ©enne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire.
Pendant longtemps, Ă travers mes pĂ©rĂ©grinations, j'ai transportĂ© avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamĂ© au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier Ă©tait toujours lĂ , Ă portĂ©e de la main. J'Ă©tais toujours prĂȘt Ă m'y attabler, Ă donner, une fois de plus, le meilleur de moi-mĂȘme. Ăa ne s'est pas trouvĂ©. Finalement, j'ai abandonnĂ© le soulier quelque part derriĂšre moi. On ne vit pas deux fois.
(La promesse de l'aube, ch. XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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J'ai souvent vu que les hommes deviennent nĂ©vrosĂ©s quand ils se contente de rĂ©ponses insuffisantes ou fausses aux questions de la vie. Ils cherchent situation, mariage, rĂ©putation, rĂ©ussite extĂ©rieure et argent ; mais ils restent nĂ©vrosĂ©s et malheureux, mĂȘme quand ils ont atteint ce qu'ils cherchaient. Ces hommes le plus souvent souffrent d'une trop grande Ă©troitesse d'esprit. Leur vie n'a point de contenu suffisant, point de sens. Quand ils peuvent se dĂ©velopper en une personnalitĂ© plus vaste, la nĂ©vrose, d'ordinaire, cesse. C'est pourquoi l'idĂ©e de dĂ©veloppement, d'Ă©volution a eu chez moi, dĂšs le dĂ©but, la plus haute importance. (p. 229)
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C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
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Tu as une classe entiĂšre de jeunes hommes et femmes forts et solides, et ils veulent donner leur vie pour quelque chose. La publicitĂ© les fait tous courir aprĂšs des voitures et des vĂȘtements dont ils n'ont pas besoin. Ils travaillent dans des mĂ©tiers qu'ils haĂŻssent, par gĂ©nĂ©rations entiĂšres, uniquement pour pouvoir acheter ce dont ils n'ont pas
vraiment besoin.Nous n'avons pas de grande guerre dans notre génération, ni de grande dépression, mais si, pourtant,
nous avons bien une grande guerre de l'esprit. Nous avons une grande révolution contre la culture. La grande dépression, c'est nos existences.
Nous avons une grande dépression spirituelle.
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Chuck Palahniuk (Fight Club)
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Je demande pardon aux enfants dâavoir dĂ©diĂ© ce livre Ă une grande personne. Jâai une excuse sĂ©rieuse : cette grande personne est le meilleur ami que jâai au monde. Jâai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, mĂȘme les livres pour enfants. Jâai une troisiĂšme excuse : cette grande personne habite la France oĂč elle a faim et froid. Elle a besoin dâĂȘtre consolĂ©e. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dĂ©dier ce livre Ă lâenfant quâa Ă©tĂ© autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont dâabord Ă©tĂ© des enfants. (Mais peu dâentre elles sâen souviennent.) Je corrige donc ma dĂ©dicace : A LĂ©on Werth quand il Ă©tait petit garçon
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Antoine de Saint-Exupéry (Livres de Antoine de Saint-Exupéry (Illustré): Le Petit Prince, Vol de nuit, Terre des hommes, Courrier sud, Citadelle (French Edition))
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Cette sociĂ©tĂ©, que j'ai remarquĂ©e la premiĂšre dans ma vie, est aussi la premiĂšre qui ait disparu Ă mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bĂ©nĂ©diction, le rendre peu Ă peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mĂšre forcĂ©e de renoncer Ă son quadrille, faute des partners accoutumĂ©s; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour oĂč mon aĂŻeule tomba la derniĂšre. Elle et sa sĆur s'Ă©taient promis de s'entre-appeler aussitĂŽt que l'une aurait devancĂ© l'autre; elles se tinrent parole, et madame de BedĂ©e ne survĂ©cut que peu de mois Ă mademoiselle de Boisteilleul.
Je suis peut-ĂȘtre le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existĂ©. Vingt fois, depuis cette Ă©poque, j'ai fait la mĂȘme observation; vingt fois des sociĂ©tĂ©s se sont formĂ©es et dissoutes autour de moi. Cette impossibilitĂ© de durĂ©e et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'Ă©tend de lĂ sur notre maison, me ramĂšnent sans cesse Ă la nĂ©cessitĂ© de l'isolement.
Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fiĂšvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chĂšre! car comment abandonner sans dĂ©sespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir Ă©ternellement sur son cĆur?
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François-René de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)
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Comprenez-moi. Le misogyne ne mĂ©prise pas les femmes. Le misogyne n'aime pas la fĂ©minitĂ©. Les hommes se rĂ©partissent depuis toujours en deux grandes catĂ©gories. Les adorateurs des femmes, autrement dit les poĂštes, et les misogynes ou, pour mieux dire, les gynophobes. Les adorateurs ou poĂštes vĂ©nĂšrent les valeurs fĂ©minines traditionelles comme le sentiment, le foyer, la maternitĂ©, la fĂ©conditĂ©, les Ă©clairs sacrĂ©s de l'hysterie, et la voix divine de la nature en nous, tandis qu'aux misogynes ou gynophobes ces valeurs inspirent un lĂ©ger effroi. Chez la femme, l'adorateur vĂ©nĂšre la fĂ©minitĂ©, alors que le misogyne donne toujours la prĂ©fĂ©rence Ă la femme sur la fĂ©minitĂ©. N'oubliez pas une chose: une femme ne peut ĂȘtre vraiment heureuse qu'avec un misogyne.
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Milan Kundera (The Book of Laughter and Forgetting)
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Wafa a peur, parfois, de vieillir dans un de ce parcs. De sentir ce genoux craquer sur ce vieux bancs gelĂ©s, de n'avoir mĂȘme plus la force de soulever un enfant. Alphonse va grandir. Il ne remettra plus les pieds dans un square, un aprĂšs-midi d'hiver. Il ira au soleil. Il prendra des vacances. Peut-ĂȘtre mĂȘme qu'un jouril dormira dans une des chambres du Grand HĂŽtel, oĂč elle massait les hommes. Lui, qu'elle a Ă©levĂ©, il se fera servir par une de ses soeurs ou un de ses cousins, sur la terrasse pavĂ©e de carreaux jaunes et bleus.
"Tu vois, tout se retourne et tout s'inverse. Son enfance et ma vieillesse. Ma jeunesse et sa vie d'homme. Le destin est vicieux comme un reptile, il s'arrange toujours pour nous pousser du mauvais cÎté de la rampe."
La pluie tombe. Il faut rentrer.
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LeĂŻla Slimani (The Perfect Nanny)
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Quâest-ce qui peut seul ĂȘtre notre doctrine ? â Que personne ne donne Ă lâhomme ses qualitĂ©s, ni Dieu, ni la sociĂ©tĂ©, ni ses parents et ses ancĂȘtres, ni lui-mĂȘme (â le non-sens de lâ« idĂ©e », rĂ©futĂ© en dernier lieu, a Ă©tĂ© enseignĂ©, sous le nom de « libertĂ© intelligible par Kant et peut-ĂȘtre dĂ©jĂ par Platon).Personne nâest responsable du fait que lâhomme existe, quâil est conformĂ© de telle ou telle façon, quâil se trouve dans telles conditions, dans tel milieu. La fatalitĂ© de son ĂȘtre nâest pas Ă sĂ©parer de la fatalitĂ© de tout ce qui fut et de tout ce qui sera. Lâhomme nâest pas la consĂ©quence dâune intention propre, dâune volontĂ©, dâun but ; avec lui on ne fait pas dâessai pour atteindre un « idĂ©al dâhumanitĂ© », un « idĂ©al de bonheur », ou bien un « idĂ©al de moralitĂ© », â il est absurde de vouloir faire dĂ©vier son ĂȘtre vers un but quelconque. Nous avons inventĂ© lâidĂ©e de « but » : dans la rĂ©alitĂ© le « but » manque⊠On est nĂ©cessaire, on est un morceau de destinĂ©e, on fait partie du tout, on est dans le tout, â il nây a rien qui pourrait juger, mesurer, comparer, condamner notre existence, car ce serait lĂ juger, mesurer, comparer et condamner le toutâŠMais il nây a rien en dehors du tout ! â Personne ne peut plus ĂȘtre rendu responsable, les catĂ©gories de lâĂȘtre ne peuvent plus ĂȘtre ramenĂ©es Ă une cause premiĂšre, le monde nâest plus une unitĂ©, ni comme monde sensible, ni comme « esprit » : cela seul est la grande dĂ©livrance, â par lĂ lâinnocence du devenir est rĂ©tablie⊠LâidĂ©e de « Dieu » fut jusquâĂ prĂ©sent la plus grande objection contre lâexistence⊠Nous nions Dieu, nous nions la responsabilitĂ© en Dieu : par lĂ seulement nous sauvons le monde.
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Friedrich Nietzsche (Twilight of the Idols)
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L'homme ne vit pas seulement sa vie personnelle comme individu, mais consciemment ou inconsciemment il participe aussi Ă celle de son Ă©poque et de ses contemporains, et mĂȘme s'il devait considĂ©rer les bases gĂ©nĂ©rales et impersonnelles de son existence comme des donnĂ©es immĂ©diates, les tenir pour naturelles et ĂȘtre aussi Ă©loignĂ© de l'idĂ©e d'exercer contre elles une critique que le bon Hans Castorp l'Ă©tait rĂ©ellement, il est nĂ©anmoins possible qu'il sente son bien-ĂȘtre moral vaguement affectĂ© par leurs dĂ©fauts. L'individu peut envisager toute sorte de buts personnels, de fins, d'espĂ©rances, de perspectives oĂč il puise une impulsion Ă de grands efforts et Ă son activitĂ©, mais lorsque l'impersonnel autour de lui, l'Ă©poque elle-mĂȘme, en dĂ©pit de son agitation, manque de buts et d'espĂ©rances, lorsqu'elle se rĂ©vĂšle en secret dĂ©sespĂ©rĂ©e, dĂ©sorientĂ©e et sans issue, lorsqu'Ă la question, posĂ©e consciemment ou inconsciemment, mais finalement posĂ©e en quelque maniĂšre, sur le sens suprĂȘme, plus que personnel et inconditionnĂ©, de tout effort et de toute activitĂ©, elle oppose le silence du vide, cet Ă©tat de choses paralysera justement les efforts d'un caractĂšre droit, et cette influence, par-delĂ l'Ăąme et la morale, s'Ă©tendra jusqu'Ă la partie physique et organique de l'individu. Pour ĂȘtre disposĂ© Ă fournir un effort considĂ©rable qui dĂ©passe la mesure de ce qui est communĂ©ment pratiquĂ©, sans que l'Ă©poque puisse donner une rĂ©ponse satisfaisante Ă la question " Ă quoi bon? ", il faut une solitude et une puretĂ© morales qui sont rares et d'une nature hĂ©roĂŻque, ou une vitalitĂ© particuliĂšrement robuste. Hans Castorp ne possĂ©dait ni l'une ni l'autre, et il n'Ă©tait ainsi donc qu'un homme malgrĂ© tout moyen, encore que dans un sens des plus honorables.
(ch. II)
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Thomas Mann (The Magic Mountain)
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Quâil nâen ait pas toujours Ă©tĂ© ainsi, le mot mĂȘme de « clergĂ© » en fournit la preuve, car, originairement, « clerc » ne signifie pas autre chose que « savant », et il sâoppose à « laĂŻque », qui dĂ©signe lâhomme du peuple, câest-Ă -dire du « vulgaire », assimilĂ© Ă lâignorant ou au « profane », Ă qui on ne peut demander que de croire ce quâil nâest pas capable de comprendre, parce que câest lĂ le seul moyen de le faire participer Ă la tradition dans la mesure de ses possibilitĂ©s. Il est mĂȘme curieux de noter que les gens qui, Ă notre Ă©poque, se font gloire de se dire « laĂŻques », tout aussi bien que ceux qui se plaisent Ă sâintituler « agnostiques », et dâailleurs ce sont souvent les mĂȘmes, ne font en cela que se vanter de leur propre ignorance ; et pour quâils ne se rendent pas compte que tel est le sens des Ă©tiquettes dont ils se parent, il faut que cette ignorance soit en effet bien grande et vraiment irrĂ©mĂ©diable.
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René Guénon (Spiritual Authority & Temporal Power)
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« Ăcoute, Egor PĂ©trovitch, lui dit-il. Quâest ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton dĂ©sespoir. Tu nâas ni patience ni courage. Maintenant, dans un accĂšs de tristesse, tu dis que
tu nâas pas de talent. Ce nâest pas vrai. Tu as du talent ; je tâassure que tu en as. Je le vois rien quâĂ la façon dont tu sens et comprends lâart. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu mâas racontĂ© ta vie dâautrefois. Ă cette Ă©poque aussi le dĂ©sespoirte visitait sans que tu tâen rendisses compte. Ă cette Ă©poque aussi, ton premier maĂźtre, cet homme Ă©trange, dont tu mâas tant parlĂ©, a Ă©veillĂ© en toi, pour la premiĂšre fois, lâamour de lâart et a devinĂ© ton talent. Tu lâas senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriĂ©taire, et tu ne savais toi-mĂȘme ce que tu dĂ©sirais. Ton maĂźtre est mort trop tĂŽt. Il tâa laissĂ© seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne tâa pas expliquĂ© toimĂȘme. Tu sentais le besoin dâune autre route plus large, tu pressentais que dâautres buts tâĂ©taient destinĂ©s, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haĂŻ tout ce qui tâentourait alors. Tes six annĂ©es de misĂšre ne sont pas perdues. Tu as travaillĂ©, pensĂ©, tu as reconnu et toi-mĂȘme et tes forces ; tu comprends maintenant lâart et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus enviĂ© que le mien tâest rĂ©servĂ©. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne mĂȘme la dixiĂšme partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriĂ©taire, et, principalement, commence par lâa, b, c.
« Quâest-ce qui te tourmente ? La pauvretĂ©, la misĂšre ? Mais la pauvretĂ© et la misĂšre forment lâartiste. Elles sont insĂ©parables des dĂ©buts. Maintenant personne nâa encore besoin de toi ; personne ne veut te connaĂźtre. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. Lâenvie, la malignitĂ©, et surtout la bĂȘtise tâopprimeront plus fortement que la misĂšre. Le talent a besoin de sympathie ; il faut quâon le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens tâentoureront quand tu approcheras du but. Ils tĂącheront de regarder avec mĂ©pris ce qui sâest Ă©laborĂ© en toi au prix dâun pĂ©nible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne tâencourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne tâindiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relĂšveront chacune de tes fautes. Ils te montreront prĂ©cisĂ©ment ce quâil y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et dâun air calme et mĂ©prisant ils fĂȘteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent Ă tort. Il tâarrivera dâoffenser une nullitĂ© qui a de lâamour-propre, et alors malheur Ă toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront Ă coups dâĂ©pingles. Moi mĂȘme, je commence Ă Ă©prouver tout cela. Prends donc des forces dĂšs maintenant. Tu nâes pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne nĂ©glige pas les besognes grossiĂšres, fends du bois, comme je lâai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; lâimpatience est ta maladie. Tu nâas pas assez de simplicitĂ© ; tu ruses trop, tu rĂ©flĂ©chis trop, tu fais trop travailler ta tĂȘte. Tu es audacieux en paroles et lĂąche quand il faut prendra lâarchet en main. Tu as beaucoup dâamour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-ĂȘtre arriveras-tu au but. Sinon, va quand mĂȘme au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
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Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
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Lâagonie de notre temps gĂźt lĂ .
Le siĂšcle ne sâeffondre pas faute de soutien matĂ©riel. Jamais lâunivers ne fut si riche, comblĂ© de tant de confort, aidĂ© par une industrialisation Ă ce point productrice.
Jamais il nây eut tant de ressources ni de biens offerts.
Câest le cĆur de lâhomme, et lui seul, qui est en Ă©tat de faillite.
Câest faute dâaimer, câest faute de croire et de se donner, que le monde sâaccable lui-mĂȘme des coups qui lâassassinent.
Le siĂšcle a voulu nâĂȘtre plus que le siĂšcle des appĂ©tits. Son orgueil lâa perdu. Il a cru aux machines, aux stocks, aux lingots, sur lesquels il rĂ©gnerait en maĂźtre. Il a cru, tout autant, Ă la victoire des passions charnelles projetĂ©es au delĂ de toutes les limites, Ă la libĂ©ration des formes les plus diverses des jouissances, sans cesse multipliĂ©es, toujours plus avilies et plus avilissantes, dotĂ©es dâune « technique » qui nâest, en somme, gĂ©nĂ©ralement, quâune accumulation, sans grande imagination, dâassez pauvres vices, dâĂȘtres vidĂ©s.
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Leon Degrelle (Almas ardiendo: notas de paz, de guerra y de exilio)
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Papa-bobo prĂ©cipitĂ© avec inquiĂ©tude sur mon genou saignant, qui va chercher les mĂ©dicaments et s'installera des heures au chevet de mes varicelle, rougeole et coqueluche pour me lire Les Quatre Filles du docteur March ou jouer au pendu. Papa-enfant, "tu es plus bĂȘte qu'elle", dit-elle. Toujours prĂȘt Ă m'emmener Ă la foire, aux films de Fernandel, Ă me fabriquer une paire d'Ă©chasses et Ă m'initier Ă l'argot d'avant la guerre, pĂ©pĂ©dĂ©ristal et autres cezigue pĂąteux qui me ravissent. Papa indispensable pour me conduire Ă l'Ă©cole et m'attendre midi et soir, le vĂ©lo Ă la main, un peu Ă l'Ă©cart de la cohue des mĂšres, les jambes de son pantalon resserrĂ©es en bas par des pinces en fer. AffolĂ© par le moindre retard. AprĂšs, quand je serai assez grande pour aller seule dans les rues, il guettera mon retour. Un pĂšre dĂ©jĂ vieux Ă©merveillĂ© d'avoir une fille. LumiĂšre jaune fixe des souvenirs, il traverse la cour, tĂȘte baissĂ©e Ă cause du soleil, une corbeille sous le bras. J'ai quatre ans, il m'apprend Ă enfiler mon manteau en retenant les manches de mon pull-over entre mes poings pour qu'elles ne boulichonnent pas en haut des bras. Rien que des images de douceur et de sollicitude. Chefs de famille sans rĂ©plique, grandes gueules domestiques, hĂ©ros de la guerre ou du travail, je vous ignore, j'ai Ă©tĂ© la fille de cet homme-lĂ .
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Annie Ernaux (A Frozen Woman)
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Je me trouvais en quelque lieu vague et trouble... Je dis « lieu » par habitude, car maintenant toute conception de distance et de durĂ©e Ă©tait abolie pour moi, et je ne puis dĂ©terminer combien de temps je restai en cet Ă©tat. Je nâentendais rien, ne voyais rien, je pensais seulement et avec force et persistance.
Le grand problĂšme qui mâavait tourmentĂ© toute ma vie Ă©tait rĂ©solu : la mort nâexiste pas, la vie est infinie. Jâen Ă©tais convaincu bien avant ; mais jadis je ne pouvais formuler clairement ma conviction : elle se basait sur cette seule considĂ©ration que, astreinte Ă des limites, la vie nâest quâune formidable absurditĂ©. Lâhomme pense ; il perçoit ce qui lâentoure, il souffre, jouit et disparaĂźt ; son corps se dĂ©compose et fournit ses Ă©lĂ©ments Ă des corps en formation : cela, chacun le peut constater journellement, mais que devient cette force apte Ă se connaĂźtre soi-mĂȘme et Ă connaĂźtre le monde qui lâentoure ? Si la matiĂšre est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipĂąt sans traces, et, si elle disparaĂźt, dâoĂč venait-elle et quel est le but de cette apparition Ă©phĂ©mĂšre ? Il y avait lĂ des contradictions que je ne pouvais admettre.
Maintenant je sais, par ma propre expĂ©rience, que la conscience persiste, que je nâai pas cessĂ© et probablement ne cesserai jamais de vivre. Voici que derechef mâobsĂšdent ces terribles questions : si je ne meurs pas, si je reviens toujours sur la terre, quel est le but de ces existences successives, Ă quelles lois obĂ©issent-elles et quelle fin leur est assignĂ©e ? Il est probable que je pourrais discerner cette loi et la comprendre si je me rappelais mes existences passĂ©es, toutes, ou du moins quelques-unes ; mais pourquoi lâhomme est-il justement privĂ© de ce souvenir ? pourquoi est-il condamnĂ© Ă une ignorance Ă©ternelle, si bien que la conception de lâimmortalitĂ© ne se prĂ©sente Ă lui que comme une hypothĂšse, et si cette loi inconnue exige lâoubli et les tĂ©nĂšbres, pourquoi dans ces tĂ©nĂšbres, dâĂ©tranges lumiĂšres apparaissent-elles parfois, comme il mâest arrivĂ© quand je suis entrĂ© au chĂąteau de La Roche-Maudin ?
De toute ma volontĂ©, je me cramponnais Ă ce souvenir comme le noyĂ© Ă une Ă©pave ; il me semblait que si je me rappelais clairement et exactement ma vie dans ce chĂąteau je comprendrais tout le reste. Maintenant quâaucune sensation du dehors ne me distrayait, je mâabandonnais aux houles du souvenir, inerte et sans pensĂ©e pour ne pas gĂȘner leur mouvement, et tout Ă coup, du fond de mon Ăąme comme des brumes dâun fleuve, commençaient Ă sâĂ©lever de fugaces figures humaines ; des mots au sens effacĂ© rĂ©sonnaient, et dans tous ces souvenirs Ă©taient des lacunes... Les visages Ă©taient vaporeux, les paroles Ă©taient sans lien, tout Ă©tait dĂ©cousu......
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Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
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Cette sociĂ©tĂ©, que j'ai remarquĂ©e la premiĂšre dans ma vie, est aussi la premiĂšre qui ait disparu Ă mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bĂ©nĂ©diction, le rendre peu Ă peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mĂšre forcĂ©e de renoncer Ă son quadrille, faute des partners accoutumĂ©s; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour oĂč mon aĂŻeule tomba la derniĂšre. Elle et sa sĆur s'Ă©taient promis de s'entre-appeler aussitĂŽt que l'une aurait devancĂ© l'autre; elles se tinrent parole, et madame de BedĂ©e ne survĂ©cut que peu de mois Ă mademoiselle de Boisteilleul. Je suis peut-ĂȘtre le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existĂ©. Vingt fois, depuis cette Ă©poque, j'ai fait la mĂȘme observation; vingt fois des sociĂ©tĂ©s se sont formĂ©es et dissoutes autour de moi. Cette impossibilitĂ© de durĂ©e et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'Ă©tend de lĂ sur notre maison, me ramĂšnent sans cesse Ă la nĂ©cessitĂ© de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fiĂšvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chĂšre! car comment abandonner sans dĂ©sespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir Ă©ternellement sur son cĆur?Â
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François-René de Chateaubriand (Memoires D'Outre Tombe Lu Par Daniel Mesguich)
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La sociĂ©tĂ© moderne a commis la sĂ©rieuse faute de substituer, dĂšs le plus bas Ăąge, lâĂ©cole Ă lâenseignement familial. Elle y a Ă©tĂ© obligĂ©e par la trahison des femmes. Celles-ci abandonnent leurs enfants au kindergarten pour sâoccuper de leur carriĂšre, de leurs ambitions mondaines, de leurs plaisirs sexuels, de leurs fantaisies littĂ©raires ou artistiques, ou simplement pour jouer au bridge, aller au cinĂ©ma, perdre leur temps dans une paresse affairĂ©e. Elles ont causĂ© ainsi lâextinction du groupe familial, oĂč lâenfant grandissait en compagnie dâadultes et apprenait beaucoup dâeux. Les jeunes chiens Ă©levĂ©s dans des chenils avec des animaux du mĂȘme Ăąge sont moins dĂ©veloppĂ©s que ceux qui courent en libertĂ© avec leurs parents. Il en est de mĂȘme des enfants perdus dans la foule des autres enfants et de ceux qui vivent avec des adultes intelligents. Lâenfant modĂšle facilement ses activitĂ©s physiologiques, affectives et mentales sur celles de son milieu. Aussi reçoit-il peu des enfants de son Ăąge. Quand il est rĂ©duit Ă nâĂȘtre quâune unitĂ© dans une Ă©cole, il se dĂ©veloppe mal. Pour progresser, lâindividu demande la solitude relative, et lâattention du petit groupe familial.
Câest Ă©galement grĂące Ă son ignorance de lâindividu que la sociĂ©tĂ© moderne atrophie les adultes. Lâhomme ne supporte pas impunĂ©ment le mode dâexistence et le travail uniforme et stupide imposĂ© aux ouvriers dâusine, aux employĂ©s de bureau, Ă ceux qui doivent assurer la production en masse. Dans lâimmensitĂ© des villes modernes, il est isolĂ© et perdu. Il est une abstraction Ă©conomique, une tĂȘte du troupeau. Il perd sa qualitĂ© dâindividu. Il nâa ni responsabilitĂ©, ni dignitĂ©. Au milieu de la foule Ă©mergent les riches, les politiciens puissants, les bandits de grande envergure. Les autres ne sont quâune poussiĂšre anonyme. Au contraire, lâindividu garde sa personnalitĂ© quand il fait partie dâun groupe oĂč il est connu, dâun village, dâune petite ville, oĂč son importance relative est plus grande, dont il peut espĂ©rer devenir, Ă son tour, un citoyen influent. La mĂ©connaissance thĂ©orique de lâindividualitĂ© a amenĂ© sa disparition rĂ©elle.
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Alexis Carrel (ۧÙŰ„ÙŰłŰ§Ù Ű°ÙÙ Ű§ÙÙ
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Ă huit heures et demie du soir, deux tables Ă©taient dressĂ©es. La jolie madame des Grassins avait rĂ©ussi Ă mettre son fils Ă cĂŽtĂ© dâEugĂ©nie. Les acteurs de cette scĂšne pleine dâintĂ©rĂȘt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolĂ©s, chiffrĂ©s, et de jetons en verre bleu, semblaient Ă©couter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numĂ©ro sans faire une remarque ; mais tous pensaient aux millions de monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraĂźche de madame des Grassins, la tĂȘte martiale du banquier, celle dâAdolphe, le prĂ©sident, lâabbĂ©, le notaire, et se disait intĂ©rieurement :
â Ils sont lĂ pour mes Ă©cus. Ils viennent sâennuyer ici pour ma fille. HĂ© ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-lĂ me servent de harpons pour pĂȘcher !
Cette gaietĂ© de famille, dans ce vieux salon gris, mal Ă©clairĂ© par deux chandelles ; ces rires, accompagnĂ©s par le bruit du rouet de la grande Nanon, et qui nâĂ©taient sincĂšres que sur les lĂšvres dâEugĂ©nie ou de sa mĂšre ; cette petitesse jointe Ă de si grands intĂ©rĂȘts ; cette jeune fille qui, semblable Ă ces oiseaux victimes du haut prix auquel on les met et quâils ignorent, se trouvait traquĂ©e, serrĂ©e par des preuves dâamitiĂ© dont elle Ă©tait la dupe ; tout contribuait Ă rendre cette scĂšne tristement comique. Nâest-ce pas dâailleurs une scĂšne de tous les temps et de tous les lieux, mais ramenĂ©e Ă sa plus simple expression ? La figure de Grandet exploitant le faux attachement des deux familles, en tirant dâĂ©normes profits, dominait ce drame et lâĂ©clairait. NâĂ©tait-ce pas le seul dieu moderne auquel on ait foi, lâArgent dans toute sa puissance, exprimĂ© par une seule physionomie ? Les doux sentiments de la vie nâoccupaient lĂ quâune place secondaire, ils animaient trois cĆurs purs, ceux de Nanon, dâEugĂ©nie et sa mĂšre. Encore, combien dâignorance dans leur naĂŻvetĂ© ! EugĂ©nie et sa mĂšre ne savaient rien de la fortune de Grandet, elles nâestimaient les choses de la vie quâĂ la lueur de leurs pĂąles idĂ©es, et ne prisaient ni ne mĂ©prisaient lâargent, accoutumĂ©es quâelles Ă©taient Ă sâen passer. Leurs sentiments, froissĂ©s Ă leur insu mais vivaces, le secret de leur existence, en faisaient des exceptions curieuses dans cette rĂ©union de gens dont la vie Ă©tait purement matĂ©rielle. Affreuse condition de lâhomme ! il nây a pas un de ses bonheurs qui ne vienne dâune ignorance quelconque. Au moment oĂč madame Grandet gagnait un lot de seize sous, le plus considĂ©rable qui eĂ»t jamais Ă©tĂ© pontĂ© dans cette salle, et que la grande Nanon riait dâaise en voyant madame empochant cette riche somme, un coup de marteau retentit Ă la porte de la maison, et y fit un si grand tapage que les femmes sautĂšrent sur leurs chaises.
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Honoré de Balzac (Eugénie Grandet)
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je lui tendis les trois pommes vertes que je venais de voler dans le verger. Elle les accepta et m'annonça, comme en passant :
â Janek a mangĂ© pour moi toute sa collection de timbres-poste.
C'est ainsi que mon martyre commença. Au cours des jours qui suivirent, je mangeai pour Valentine plusieurs poignées de vers de terre, un grand nombre de papillons, un kilo de cerises avec les noyaux, une souris, et, pour finir, je peux dire qu'à neuf ans, c'est-à -dire bien plus jeune que Casanova, je pris place parmi les plus grands amants de tous les temps, en accomplissant une prouesse amoureuse que personne, à ma connaissance, n'est jamais venu égaler. Je mangeai pour ma bien-aimée un soulier en caoutchouc.
Ici, je dois ouvrir une parenthĂšse.
Je sais bien que, lorsqu'il s'agit de leurs exploits amoureux, les hommes ne sont que trop portés à la vantardise. A les entendre, leurs prouesses viriles ne connaissent pas de limite, et ils ne vous font grùce d'aucun détail.
Je ne demande donc Ă personne de me croire lorsque j'affirme que, pour ma bien-aimĂ©e, je consommai encore un Ă©ventail japonais, dix mĂštres de fil de coton, un kilo de noyaux de cerises â Valentine me mĂąchait, pour ainsi dire, la besogne, en mangeant la chair et en me tendant les noyaux â et trois poissons rouges, que nous Ă©tions allĂ©s pĂȘcher dans l'aquarium de son professeur de musique.
Dieu sait ce que les femmes m'ont fait avaler dans ma vie, mais je n'ai jamais connu une nature aussi insatiable. C'était une Messaline doublée d'une Théodora de Byzance. AprÚs cette expérience, on peut dire que je connaissais tout de l'amour. Mon éducation était faite. Je n'ai fait, depuis, que continuer sur ma lancée.
Mon adorable Messaline n'avait que huit ans, mais son exigence physique dĂ©passait tout ce qu'il me fut donnĂ© de connaĂźtre au cours de mon existence. Elle courait devant moi, dans la cour, me dĂ©signait du doigt tantĂŽt un tas de feuilles, tantĂŽt du sable, ou un vieux bouchon, et je m'exĂ©cutais sans murmurer. Encore bougrement heureux d'avoir pu ĂȘtre utile. A un moment, elle s'Ă©tait mise Ă cueillir un bouquet de marguerites, que je voyais grandir dans sa main avec apprĂ©hension â mais je mangeai les marguerites aussi, sous son oeil attentif â elle savait dĂ©jĂ que les hommes essayent toujours de tricher, dans ces jeux-lĂ â oĂč je cherchais en vain une lueur d'admiration. Sans une marque d'estime ou de gratitude, elle repartit en sautillant, pour revenir, au bout d'un moment, avec quelques escargots qu'elle me tendit dans le creux de la main. Je mangeai humblement les escargots, coquille et tout.
A cette époque, on n'apprenait encore rien aux enfants sur le mystÚre des sexes et j'étais convaincu que c'était ainsi qu'on faisait l'amour. J'avais probablement raison. Le plus triste était que je n'arrivais pas à l'impressionner. J'avais à peine fini les escargots qu'elle m'annonçait négligemment :
â Josek a mangĂ© dix araignĂ©es pour moi et il s'est arrĂȘtĂ© seulement parce que maman nous a appelĂ©s pour le thĂ©.
Je frémis. Pendant que j'avais le dos tourné, elle me trompait avec mon meilleur ami. Mais j'avalai cela aussi. Je commençais à avoir l'habitude.
(La promesse de l'aube, ch.XI)
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Romain Gary (Promise at Dawn)
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Le dément
- N'avez-vous pas entendu parler de ce dément qui, dans la clarté de midi alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! »
âĂtant donnĂ© qu'il y avait justement lĂ beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, il dĂ©chaĂźna un Ă©norme Ă©clat de rire. S'est-il donc perdu ? disait l'un. S'est-il Ă©garĂ© comme un enfant ? disait l'autre. Ou bien s'est-il cachĂ© ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarquĂ© ? A-t-il Ă©migrĂ© ?âainsi criaient-ils en riant dans une grande pagaille. Le dĂ©ment se prĂ©cipita au milieu d'eux et les transperça du regard.
« OĂč est passĂ© Dieu ? lança-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tuĂ©,âvous et moi ! Nous sommes tous ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment pĂ»mes-nous boire la mer jusqu'Ă la derniĂšre goutte ? Qui nous donna l'Ă©ponge pour faire disparaĂźtre tout l'horizon ? Que fĂźmes-nous en dĂ©tachant cette terre de son soleil ? OĂč l'emporte sa course dĂ©sormais ? OĂč nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abĂźmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arriĂšre, de cĂŽtĂ©, en avant, de tous les cĂŽtĂ©s ? Est-il encore un haut et un bas ? N'errons-nous pas comme Ă travers un nĂ©ant infini ? L'espace vide ne rĂ©pand-il pas son souffle sur nous ? Ne s'est-il pas mis Ă faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes Ă midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la dĂ©composition divine ?âles dieux aussi se dĂ©composent ! Dieu est mort ! Dieu demeure mort ! Et nous l'avons tuĂ© ! Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins ? Ce que le monde possĂ©dait jusqu'alors de plus saint et de plus puissant, nos couteaux l'ont vidĂ© de son sang,âqui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles cĂ©rĂ©monies expiatoires, quels jeux sacrĂ©s nous faudra-t-il inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne nous faut-il pas devenir nous-mĂȘmes des dieux pour apparaĂźtre seulement dignes de lui ? Jamais il n'y eut acte plus grand,âet quiconque naĂźt aprĂšs nous appartient du fait de cet acte Ă une histoire supĂ©rieure Ă ce que fut jusqu'alors toute histoire ! »
Le dément se tut alors et considéra de nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient déconcertés. Il jeta enfin sa lanterne à terre : elle se brisa et s'éteignit.
« Je viens trop tĂŽt, dit-il alors, ce n'est pas encore mon heure. Cet Ă©vĂ©nement formidable est encore en route et voyage,âil n'est pas encore arrivĂ© jusqu'aux oreilles des hommes. La foudre et le tonnerre ont besoin de temps, la lumiĂšre des astres a besoin de temps, les actes ont besoin de temps, mĂȘme aprĂšs qu'ils ont Ă©tĂ© accomplis, pour ĂȘtre vus et entendus. Cet acte est encore plus Ă©loignĂ© d'eux que les plus Ă©loignĂ©s des astres,âet pourtant ce sont eux qui l'ont accompli. »
On raconte encore que ce mĂȘme jour, le dĂ©ment aurait fait irruption dans diffĂ©rentes Ă©glises et y aurait entonnĂ© son Requiem aeternam deo. ExpulsĂ© et interrogĂ©, il se serait contentĂ© de rĂ©torquer constamment ceci :
« Que sont donc encore ces églises si ce ne sont pas les caveaux et les tombeaux de Dieu ? »
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Friedrich Nietzsche (The Gay Science: With a Prelude in Rhymes and an Appendix of Songs)
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Jâai Ă©tĂ© obligĂ© de remonter, pour vous montrer le lien des idĂ©es et des choses, Ă une sorte dâorigine de ces rĂ©serves en vous disant que si lâhumanitĂ© avait fait ce quâelle a fait, et qui en somme a fait lâhumanitĂ© rĂ©ciproquement, câest parce que depuis une Ă©poque immĂ©moriale elle avait su se constituer des rĂ©serves matĂ©rielles, que ces rĂ©serves matĂ©rielles avaient crĂ©Ă© des loisirs, et que seul le loisir est fĂ©cond ; car câest dans le loisir que lâesprit peut, Ă©loignĂ© des conditions strictes et pressantes de la vie, se donner carriĂšre, sâĂ©loigner de la considĂ©ration immĂ©diate des besoins et par consĂ©quent entamer, soit sous forme de rĂȘverie, soit sous forme dâobservation, soit sous forme de raisonnement, la constitution dâautres rĂ©serves, qui sont les rĂ©serves spirituelles ou intellectuelles.
Jâavais ajoutĂ©, pour me rapprocher des circonstances prĂ©sentes, que ces rĂ©serves spirituelles nâont pas les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s que les rĂ©serves matĂ©rielles. Les rĂ©serves intellectuelles, sans doute, ont dâabord les mĂȘmes conditions Ă remplir que les rĂ©serves matĂ©rielles, elles sont constituĂ©es par un matĂ©riel, elles sont constituĂ©es par des documents, des livres, et aussi par des hommes qui peuvent se servir de ces documents, de ces livres, de ces instruments, et qui aussi sont capables de les transmettre Ă dâautres. Et je vous ai expliquĂ© que cela ne suffisait point, que les rĂ©serves spirituelles ou intellectuelles ne pouvaient passer, Ă peine de dĂ©pĂ©rir tout en Ă©tant conservĂ©es en apparence, en lâabsence dâhommes qui soient capables non seulement de les comprendre, non seulement de sâen servir, mais de les accroĂźtre. Il y a une question : lâaccroissement perpĂ©tuel de ces rĂ©serves, qui se pose, et je vous ai dit, lâexpĂ©rience lâa souvent vĂ©rifiĂ© dans lâhistoire, que si tout un matĂ©riel se conservait Ă lâĂ©cart de ceux qui sont capables non seulement de sâen servir mais encore de lâaugmenter, et non seulement de lâaccroĂźtre, mais dâen renverser, quelquefois dâen dĂ©truire quelques-uns des principes, de changer les thĂ©ories, ces rĂ©serves alors commencent Ă dĂ©pĂ©rir. Il nây a plus, le crĂ©ateur absent, que celui qui sâen sert, sâen sert encore, puis les gĂ©nĂ©rations se succĂšdent et lesâchoses quâon avait trouvĂ©es, les idĂ©es quâon avait mises en Ćuvre commencent Ă devenir des choses mortes, se rĂ©duisent Ă des routines, Ă des pratiques, et peu Ă peu disparaissent mĂȘme dâune civilisation avec cette civilisation elle-mĂȘme.
Et je terminais en disant que, dans lâĂ©tat actuel des choses tel que nous pouvons le constater autour de nous, il y a toute une partie de lâEurope qui sâest privĂ©e dĂ©jĂ de ses crĂ©ateurs et a rĂ©duit au minimum lâemploi de lâesprit, elle en a supprimĂ© les libertĂ©s, et par consĂ©quent il faut attendre que dans une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e on se trouvera en prĂ©sence dâune grande partie de lâEurope profondĂ©ment appauvrie, dans laquelle, comme je vous le disais, il nây aura plus de pensĂ©e libre, il nây aura plus de philosophie, plus de science pure, car toute la science aura Ă©tĂ© tournĂ©e Ă ses applications pratiques, et particuliĂšrement Ă des applications Ă©conomiques et militaires ; que mĂȘme la littĂ©rature, que mĂȘme lâart, et mĂȘme que lâesprit religieux dans ses pratiques diverses et dans ses recherches diverses auront Ă©tĂ© complĂštement diminuĂ©s sinon abolis, dans cette grande partie de lâEurope qui se trouvera parfaitement appauvrie. Et si la France et lâAngleterre savent conserver ce quâil leur faut de vie â de vie vivante, de vie active, de vie crĂ©atrice â en matiĂšre dâintellect, il y aura lĂ un rĂŽle immense Ă jouer, et un rĂŽle naturellement de premiĂšre importance pour que la civilisation europĂ©enne ne disparaisse pas complĂštement.
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Paul Valéry (Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) (French Edition))
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Les deux femmes, vĂȘtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sĆur, elles jetĂšrent dessus des fleurs et de lâeau bĂ©nite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans lâappartement sa lueur rougeĂątre et terne comme le regard dâun cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumĂšrent deux petites bougies qui Ă©taient sur la table de nuit, sâagenouillĂšrent et me dirent de prier comme elles.
Je priai, oh ! bien fort, le plus quâil mâĂ©tait possible ! mais rien⊠LĂ©lia ne remuait pas !
Je fus longtemps ainsi agenouillĂ©, la tĂȘte sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait quâen pensant, en pleurant, en me dĂ©chirant lâĂąme avec des priĂšres et des vĆux, jâobtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indĂ©cises et dont on ne distinguait rien si ce nâest, Ă une place, une forme ronde qui devait ĂȘtre La tĂȘte, et plus bas une autre qui semblait ĂȘtre les pieds. Je croyais, moi, pauvre naĂŻf enfant, je croyais que la priĂšre pouvait rendre la vie Ă un cadavre, tant jâavais de foi et de candeur !
Oh ! on ne sait ce quâa dâamer et de sombre une nuit ainsi passĂ©e Ă prier sur un cadavre, Ă pleurer, Ă vouloir faire renaĂźtre le nĂ©ant ! On ne sait tout ce quâil y a de hideux et dâhorrible dans une nuit de larmes et de sanglots, Ă la lueur de deux cierges mortuaires, entourĂ© de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vĂ©nales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scĂšne de dĂ©sespoir et de deuil vous remplit le cĆur : enfant, de tristesse et dâamertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de dĂ©sespoir !
Le jour arriva.
Mais quand le jour commença Ă paraĂźtre, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient Ă mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissĂšrent seul. Je courus aprĂšs elles, et me traĂźnant Ă leurs pieds, mâattachant Ă leurs vĂȘtements :
â Ma sĆur ! leur dis-je, eh bien, ma sĆur ! oui, LĂ©lia ! oĂč est-elle ?
Elles me regardÚrent étonnées.
â Ma sĆur ! vous mâavez dit de prier, jâai priĂ© pour quâelle revienne, vous mâavez trompĂ© !
â Mais câĂ©tait pour son Ăąme !
Son Ăąme ? Quâest-ce que cela signifiait ? On mâavait souvent parlĂ© de Dieu, jamais de lâĂąme.
Dieu, je comprenais cela au moins, car si lâon mâeĂ»t demandĂ© ce quâil Ă©tait, eh bien, jâaurais pris La linotte de LĂ©lia, et, lui brisant la tĂȘte entre mes mains, jâaurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais lâĂąme ? lâĂąme ? quâest-ce cela ?
Jâeus la hardiesse de le leur demander, mais elles sâen allĂšrent sans me rĂ©pondre.
Son Ăąme ! eh bien, elles mâont trompĂ©, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, câĂ©tait LĂ©lia, LĂ©lia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; câĂ©tait Lelia, ma belle petite sĆur aux grands yeux bleus, LĂ©lia qui mâembrassait le soir aprĂšs sa poupĂ©e, aprĂšs son mouton chĂ©ri, aprĂšs sa linotte. Pauvre sĆur ! câĂ©tait toi que je demandais Ă grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me rĂ©pondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as priĂ© non pour elle, mais tu as priĂ© pour son Ăąme ! quelque chose dâinconnu, de vague comme un mot dâune langue Ă©trangĂšre ; tu as priĂ© pour un souffle, pour un mot, pour le nĂ©ant, pour son Ăąme enfin ! »
Son Ăąme, son Ăąme, je la mĂ©prise, son Ăąme, je la regrette, je nây pense plus. Quâest-ce que ça me fait Ă moi, son Ăąme ? savez-vous ce que câest que son Ăąme ? Mais câest son corps que je veux ! câest son regard, sa vie, câest elle enfin ! et vous ne mâavez rien rendu de tout cela.
Ces femmes mâont trompĂ©, eh bien, je les ai maudites.
Cette malĂ©diction est retombĂ©e sur moi, philosophe imbĂ©cile qui ne sais pas comprendre un mot sans LâĂ©peler, croire Ă une Ăąme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au PromĂ©thĂ©e dâEschyle, je brave les coups et que je mĂ©prise trop pour blasphĂ©mer.
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Gustave Flaubert (La derniÚre heure : Conte philosophique inachevé)