Grand Homme Quotes

We've searched our database for all the quotes and captions related to Grand Homme. Here they are! All 100 of them:

“
Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais reveille au sein des hommes le desir de la mer grande et large. If you want to build a ship, don't drum up people together to collect wood and don't assign them tasks and work, but rather teach them to long for the endless immensity of the sea.
”
”
Antoine de Saint-Exupéry
“
Le plus grand faible des hommes, c'est l'amour qu'ils ont de la vie.
”
”
Molière
“
Presque tous les malheurs de la vie viennent des fausses idées que nous avons sur ce qui nous arrive. Connaître à fond les hommes, juger sainement des événements, est donc un grand pas vers le bonheur." ("Almost all our misfortunes in life come from the wrong notions we have about the things that happen to us. To know men thoroughly, to judge events sanely, is, therefore, a great step towards happiness.") [Journal entry, 10 December 1801]
”
”
Stendhal (The Private Diaries of Stendhal)
“
Soyons fermes, purs et fidèles ; au bout de nos peines, il y a la plus grande gloire du monde, celle des hommes qui n'ont pas cédé. [Let us be firm, pure and faithful; at the end of our sorrow, there is the greatest glory of the world, that of the men who did not give in.]
”
”
Charles de Gaulle
“
À partir de là, le dialogue de la journée suivait une pente uniformément descendante, mais avec des lèvres et des mains chaleureuses et languides flottant sur les surface les plus sensibles du corps, le monde était aussi près que possible de la perfection. Freud appelait cela un état de perversité polymorphe impersonnel et le regardait d'un mauvais oeil, mais je doute fort qu'il ait jamais eu les mains de Lil lui frôlant le corps. Ou même celles de sa propre femme dans le même rôle. Freud était un bien grand homme, mais je n'arrive pas à me faire à l'idée que quelqu'un lui ait jamais efficacement flatté le pénis.
”
”
Luke Rhinehart (The Dice Man)
“
Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes: Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.
”
”
Pierre Corneille (Le Cid)
“
Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indifférence n'apprend rien: c'était un leurre, une illusion fascinante et piégée. Tu étais seul et voilà tout et tu voulais te protéger: qu'entre le monde et toi les ponts soient à jamais coupés. Mais tu es si peu de chose et le monde est un si grand mot: tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomètres des façades, des devantures, des parcs et des quais. L'indifférence est inutile. Tu peux vouloir ou ne pas vouloir, qu'importe! Faire ou ne pas faire une partie de billard électrique, quelqu'un, de toute façon, glissera une pièce de vingt centimes dans la fente de l'appareil. Tu peux croire qu'à manger chaque jour le même repas tu accomplis un geste décisif. Mais ton refus est inutile. Ta neutralité ne veut rien dire. Ton inertie est aussi vaine que ta colère.
”
”
Georges Perec (Un Homme qui dort)
“
« La grande question dans la vie, c'est la douleur que l'on cause, et la métaphysique la plus ingénieuse ne justifie pas l'homme qui a déchiré le coeur qui l'aimait. »
”
”
Frédéric Beigbeder (L'amour dure trois ans (Marc Marronnier, #3))
“
Si quelques heures font une grande différence dans le cœur de l’homme, faut-il s’en étonner ? Il n’y a qu’une minute de la vie à la mort.
”
”
François-René de Chateaubriand
“
Il existe je ne sais quoi de grand et d’épouvantable dans le suicide. Les chutes d’une multitude de gens sont sans danger, comme celles des enfants qui tombent de trop bas pour se blesser; mais quand un grand homme se brise, il doit venir de bien haut, s’être élevé jusqu’aux cieux, avoir entrevu quelque paradis inaccessible. Implacables doivent être les ouragans qui le forcent à demander la paix de l’âme à la bouche d’un pistolet… Chaque suicide est un poème sublime de mélancolie.
”
”
Honoré de Balzac (La Peau De Chagrin)
“
Dans la vie on n'a qu'un seul grand amour et tous ceux qui précèdent sont des amours de rodage et tous ceux qui suivent sont des amours de rattrapage ; c'est maintenant ou jamais.
”
”
Frédéric Beigbeder (Mémoires d'un jeune homme dérangé (Marc Marronnier, #1))
“
Zadig dirigeait sa route sur les étoiles... Il admirait ces vastes globes de lumière qui ne paraissent que de faibles étincelles à nos yeux, tandis que la terre, qui n'est en effet qu'un point imperceptible dans la nature, paraît à notre cupidité quelque chose de si grand et de si noble. Il se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue.
”
”
Voltaire (Zadig et autres contes)
“
C'est la grande faiblesse des hommes de projeter ce qu'ils ont refoulé en eux - sur les autres.
”
”
Jean Anouilh (Oedipe ou Le roi boiteux)
“
Il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat; l'homme qui chante, l'homme qui bénit, l'homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est fait pour le fouet.
”
”
Charles Baudelaire
“
Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon que l’avantage que vous lui faites pour vous détruire.
”
”
Étienne de La Boétie (Discours de la servitude volontaire: Réquisitoire contre l'Absolutisme (French Edition))
“
Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux
”
”
Louis Aragon (La Diane française: En Étrange Pays dans mon pays lui-même)
“
Je t'ai vu en companie de cet homme, et le regard que tu lui portais était celui que j'aurais rêvé voir dans tes yeux alors que tu me regardais. Il avait l'air si grand à tes côtés, et moi si petit dans cette allée. Si j'avais pu être cet homme, je t'aurais tout donné, mais je n'étais que moi, l'ombre de celui que tu avais aimé alors que nous étions enfants, l'ombre de l'adulte que j'étais devenu.
”
”
Marc Levy (Le Voleur d'ombres)
“
Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d’eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, – l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant.
”
”
Guy de Maupassant (Le Horla et autres nouvelles fantastiques)
“
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.
”
”
Émile Zola (Germinal)
“
C'est une chose admirable, que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mêlé à leur science.
”
”
Molière (Le Médecin Malgré Lui)
“
Ce n'était ni le Diable ni le bon Dieu, c'était Arthur Rimbaud, c'est-à-dire un très grand poète.
”
”
Paul Verlaine
“
J'ignore si les grandes Ă©poques font les grands hommes, mais je sais qu'elles les tuent.
”
”
Max Brooks (World War Z (Ldp Litt.Fantas) (French Edition))
“
[...] cette année, l'anecdote amusante, il y a eu ce lecteur émerveillé qui est venu me couvrir d'éloges parce qu'il me confondait avec mon oncle! L'illustre historien et penseur. Je n'ai pas eu le cœur de lui dire qu'il se trompait de bonhomme. Il est reparti ébloui d'avoir pu bavarder quelque instants avec le grand homme [...] - Chronique Medi1 Radio - "Le Maghreb des Livres" 09/02/2015
”
”
Fouad Laroui
“
« Vous voulez l'égalité ? Commencez par cesser de faire des enfants. » [Corinne Maier, No Kid] Une grève des ventres : c'était là la grande crainte exprimée lors des débats (entre hommes) qui ont précédé l'autorisation de la contraception, ce qui constitue un singulier aveu - car enfin, si la maternité dans notre société est une expérience si uniformément merveilleuse, pourquoi les femmes s'en détourneraient-elles ? (p. 87)
”
”
Mona Chollet (Sorcières : La puissance invaincue des femmes)
“
Et que faudrait-il faire ? Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce, Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ? Non, merci ! Dédier, comme tous ils le font, Des vers aux financiers ? se changer en bouffon Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre, Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? Non, merci ! Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ? Avoir un ventre usé par la marche ? une peau Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ? Exécuter des tours de souplesse dorsale ?... Non, merci ! D'une main flatter la chèvre au cou Cependant que, de l'autre, on arrose le chou, Et donneur de séné par désir de rhubarbe, Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci ! Se pousser de giron en giron, Devenir un petit grand homme dans un rond, Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci ! S'aller faire nommer pape par les conciles Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ? Non, merci ! Travailler à se construire un nom Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non, Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ? Être terrorisé par de vagues gazettes, Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je sois Dans les petits papiers du Mercure François" ?... Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême, Préférer faire une visite qu'un poème, Rédiger des placets, se faire présenter ? Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter, Rêver, rire, passer, être seul, être libre, Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers, Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers ! Travailler sans souci de gloire ou de fortune, À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît, Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit, Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, Ne pas être obligé d'en rien rendre à César, Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite, Bref, dédaignant d'être le lierre parasite, Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul, Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
”
”
Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)
“
Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire et surtout la grande armée des gens, d'autant plus sévères, qu'ils ne font rien du tout.
”
”
Jules Clarétie
“
En même temps, c'est quoi être comme tout le monde? Si on croit les professeurs, c'est faire toute une série d'actions dans le bon ordre. Etre soit un homme, soit une femme, et se marier. Faire les courses. Avoir deux ou trois enfants. Les inscrire à l'école et leur acheter des livres. Travailler en même temps pour faire tout ça. Prendre un prêt bancaire pour avoir un appartement plus grand. Travailler plus, pour rembourser son prêt bancaire. Acheter une petite voiture. Voter. Marier ses enfants. S'occuper des petits-enfants. Mourir. Ne pas laisser de dettes en héritage aux enfants.
”
”
Kaouther Adimi (L'envers des autres)
“
Temperee, riante, (comme le sont celles d'automne dans la tres gracieuse ville de Buenos Aires) resplendissait la matinee de ce 28 avril: dix heures venait de sonner aux horloges et, a cet instant, eveillee, gesticulant sous le soleil matinal, la Grande Capitale du Sud etait un epi d'hommes qui se disputaient a grands cris la possession du jour et de la terre.
”
”
Leopoldo Marechal (Adán Buenosayres)
“
Mais surtout, surtout Jonathan, un matin où passait le facteur, un petit matin gros et froid, un matin où il ouvrait sa grande sacoche jaune et pleine; soufflant de la buée en cherchant le courrier, j'ai ressenti un frisson qui a couru tout mon corps et m'a effarée. Un frisson qui m'a gelée sur place, un frisson qui s'est transformé en éclair et m'a foudroyé la nuque : j'ai compris que j'attendais vos lettres, j'attendais vos mots, j'attendais vos descriptions d'auberges, de routes, de famille française, de soupe au chou... J'étais en train de vous attendre. J'allais donc souffrir de vous. Et je ne veux plus souffrir Jonathan. En ce mois de décembre, j'ai couru à Paris, j'ai couru dans Fécamps, j'ai couru dans ma maison, j'ai couru dans la librairie pour me sauver de vous, vous abandonner sur vos petites routes aux arbres secs et noirs. J'avais peur
”
”
Katherine Pancol (Un homme Ă  distance)
“
Il y a pas une grande sagesse a dire un mot de reproche ; mais il y a une plus grande sagesse a dire un mot qui, sans se moquer du malheur de l'homme, le ranime, lui rende du courage, comme les éperons rendent du courage à un cheval que l'abreuvoir a rafraîchi.
”
”
Nikolai Gogol
“
J'avais deux raisons de respecter mon instituteur : il me voulait du bien, il avait l'haleine forte. Les grandes personnes doivent être laides, ridées, incommodes; quand elles me prenaient dans leurs bras, il ne me déplaisait pas d'avoir un léger dégoût à surmonter : c'était la preuve que la vertu n'était pas facile. Il y avait des joies simples, triviales : courir, sauter, manger des gâteaux, embrasser la peau douce et parfumée de ma mère; mais j'attachais plus de prix aux plaisirs studieux et mêlés que j'éprouvais dans la compagnie des hommes mûrs : la répulsion qu'ils m'inspiraient faisait partie de leur prestige ; je confondais le dégoût avec l'esprit de sérieux. J'étais snob.
”
”
Jean-Paul Sartre (The Words: The Autobiography of Jean-Paul Sartre)
“
La masse (...) hait l'image de l'homme car la masse est incohérente, pousse dans tous les sens à la fois et annule l'effort créateur. Il est certes mauvais que l'homme écrase le troupeau. Mais ne cherche point là le grand esclavage: il se montre quand le troupeau écrase l'homme. (chapitre XI)
”
”
Antoine de Saint-Exupéry (Citadelle)
“
Le garçon qui m’avait souri, et qui, une seconde plus tôt, n’était qu’une fonction, un outil, une sorte d’insecte monstrueux, voici qu’il se révélait un peu gauche, presque timide, d’une timidité merveilleuse. Non qu’il fût moins brutal qu’un autre, ce terroriste ! mais l’avènement de l’homme en lui éclairait si bien sa part vulnérable ! On prend de grands airs, nous les hommes, mais on connaît, dans le secret du coeur, l’hésitation, le doute, le chagrin…
”
”
Antoine de Saint-Exupéry (Lettre à un otage)
“
J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais ma place contre aucune autre parce qu’être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n’importe quelle autre affaire. Je trouve ça formidable qu’il y ait aussi des femmes qui aiment séduire, qui sachent séduire, d’autres se faire épouser, des qui sentent le sexe et d’autres le gâteau du goûter des enfants qui sortent de l’école. Formidable qu’il y en ait de très douces, d’autres épanouies dans leur féminité, qu’il y en ait de jeunes, très belles, d’autres coquettes et rayonnantes. Franchement, je suis bien contente pour toutes celles à qui les choses telles qu’elles sont conviennent. C’est dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là. Bien sûr que je n’écrirais pas ce que j’écris si j’étais belle, belle à changer l’attitude de tous les hommes que je croise. C’est en tant que prolotte de la féminité que je parle, que j’ai parlé hier et que je recommence aujourd’hui (p. 9-10).
”
”
Virginie Despentes (King Kong théorie)
“
Mes amis, j'écris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fierté de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir été choisi et apprécié par vous, et que notre amitié fut sans doute la plus belle œuvre de ma vie. C'est étrange, l'amitié. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitié. L'amitié, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit être beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en déclarations, en poèmes, en lettres. Elle doit être beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les démangeaisons de peau. En mourant, c'est à ce grand mystère silencieux que je songe et je lui rends hommage. Mes amis, je vous ai vus mal rasés, crottés, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de péter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessé de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu à une femme de m'imposer toutes ses misères, je l'aurais quittée, insultée, répudiée. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnérables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la séduction. Ils jouent un rôle. Pire, ils cherchent chacun le beau rôle. Théâtre. Comédie. Mensonge. Il n'y a pas de sécurité en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut être aimé tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge réussi et constamment renouvelé. Une amitié, c'est une vérité qui s'impose. L'amitié est nue, l'amour fardé. Mes amis, je vous aime donc tels que vous êtes.
”
”
Éric-Emmanuel Schmitt (La Part de l'autre)
“
Nous avons aussi appris que la plus grande mutilation que l'on puisse faire à l'homme, c'est de le priver de toute insécurité. L'insécurité nous a forcés à tirer de nous-mêmes des richesses que nous ne soupçonnions pas : imagination, créativité, résistance physique et psychique, victoire sur les privations de toutes sortes, les inconforts. (p.231)
”
”
Pierre Rabhi (Du Sahara aux Cévennes : Itinéraire d'un homme au service de la Terre-Mère)
“
Car l'homme ne vit que durant un clignement de paupières et ensuite c'est la pourriture à jamais, et chaque jour tu fais un pas de plus vers le trou en terre où tu moisiras en grande stupidité et silence en la seule compagnie de vers blancs et gras comme ceux de la farine et du fromage, et ils s'introduiront dans tous tes orifices pour s'y nourrir.
”
”
Albert Cohen (Belle du Seigneur)
“
Je condamne l'ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J'ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l'éducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des études de base, très simples, où l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu'il dépend de l'air, de l'eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu'il se sente relié aux hommes qui l'ont précédé, pour qu'il les admire là où ils méritent de l'être, sans s'en faire des idoles, non plus que du présent ou d'un hypothétique avenir. On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d'avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu'on ne le fait. (p. 255)
”
”
Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
“
La religion n'est pas un pont entre Dieu et l'homme, c'est une Grande Muraille de Chine entre eux!
”
”
Mehmet Murat ildan
“
Des hommes qui ont vécu longtemps d'un grand amour, puis en furent privés, se lassent parfois de leur noblesse solitaire. Ils se rapprochent humblement de la vie, et, d'un amour médiocre, font leur bonheur. Ils ont trouvé doux d'abdiquer, de se faire serviles, et d'entrer dans la paix des choses. L'esclave fait son orgueil de la braise du maître. (Terre des Hommes, ch. VI)
”
”
Antoine de Saint-Exupéry
“
[...] car j'ai appris que tous les hommes extraordinaires qui ont fait quelque chose de grand, quelque chose qui semblait impossible, ont de tout temps été qualifiés d'ivres et d'insensés.
”
”
Johann Wolfgang von Goethe (The Sorrows of Young Werther and Selected Writings)
“
Vivre d'un troupeau, c'est en grande partie le parasiter quelle que soit la préocupation qu'on ait de son bien-être. Nous sommes à la fois le législatif et l'exécutif. On ne peut enfermer des animaux dans une étreinte intéressée sans aller à l'encontre de leur nature. La démarche soucieuse de vivre avec et non de peut déjà atténuer l'arbitraire. Il s'agit alors de vivre des réciprocités. (p.238)
”
”
Pierre Rabhi (Du Sahara aux Cévennes : Itinéraire d'un homme au service de la Terre-Mère)
“
Drogo s’aperçut à quel point les hommes restent toujours séparés l'un de l'autre, malgré l'affection qu'ils peuvent se porter ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en décharger si légèrement que ce soit ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie.
”
”
Dino Buzzati (The Tartar Steppe)
“
Aussi, préférant mille fois la mort à une arrestation, j'accomplissais des choses étonnantes, et qui, plus d'une fois, me donnèrent cette preuve que le trop grand soin que nous prenons de notre corps est à peu près le seul obstacle à la réussite de ceux de nos projets qui ont besoin d'une décision rapide et d'une exécution vigoureuse et déterminée. En effet, une fois qu'on a fait le sacrifice de sa vie, on n'est plus l'égal des autres hommes, ou plutôt les autres hommes ne sont plus vos égaux, et quiconque a pris cette résolution sent, à l'instant même, décupler ses forces et s'agrandir son horizon. (p. 556)
”
”
Alexandre Dumas (The Count of Monte Cristo, V1 (The Count of Monte Cristo, part 1 of 2))
“
En fait, au XVème siècle, en Transylvanie, pendant la guerre contre les Ottomans, j'ai vraiment rencontré Vlad l'Empaleur, qui a inspiré le personnage mythique de Dracula, et qui n'a jamais eu les terribles canines que la légende lui attribue. Au contraire, une visite chez le dentiste lui aurait fait le plus grand bien : il avait les dents pourries, et une haleine des plus fétides. Et ce n'était pas un vampire, tout juste un catholique fanatique, doté d'un penchant fétichiste pour la décapitation, qui m'avait proposé une promenade dans sa calèche. J'ai le chic pour attirer les hommes qui sortent de l'ordinaire.
”
”
Christopher Pike
“
- Vous êtes plus pessimiste qu'autrefois ? - Pessimisme et optimisme, encore deux mots que je récuse. Il s'agit d'avoir les yeux ouverts. Le médecin qui analyse le sang et les selles d'un malade, mesure sa fièvre et prend sa tension, n'est ni optimiste ni pessimiste : il fait de son mieux à partir de ce qui est. Mais, si l'on peut employer ce misérable mot, je me sens pessimiste quand je constate combien la masse humaine a peu changé depuis des millénaires. Les plus grands réformateurs se sont généralement heurtés à cette quasi-impossibilité de changer l'homme, et leur leçon s'est généralement perdue après eux. (p.240)
”
”
Marguerite Yourcenar (Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey)
“
La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute liberté et en toute pureté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau tel qu'il s'échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci; les animaux. Et c'est ici que s'est produite la plus grande déroute de l'homme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent.
”
”
Milan Kundera (The Unbearable Lightness of Being)
“
C’était un de ces hommes politiques à plusieurs faces, sans convictions, sans grands moyens, sans audace et sans connaissance sérieuse, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un équilibre de finaud entre tous les partis extrêmes, sorte de jésuite républicain et de champignon libéral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel. Son machiavélisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collègues, parmi tous les déclassés et les avortés dont on fait les députés. Il était assez soigné, assez correct, assez familier, assez aimable pour réussir. (…) On disait partout de lui « Laroche sera ministre », et il pensait aussi plus fermement que tous les autres que Laroche serait ministre.
”
”
Guy de Maupassant
“
Et si tu penses avoir fait le bon choix, sache au moins qu'il y a, quelque part dans le monde, un homme qui t'aime et qui comprend à quel point tu es précieuse, intelligente et douce. Un homme qui t'a toujours aimé et qui, pour son plus grand malheur, t'aimera toujours.
”
”
Jojo Moyes (The Last Letter from Your Lover)
“
« Un homme très croyant priait chaque jour son Dieu, puis un jour il perdit beaucoup d’argent et se mit à prier Dieu pour gagner au loto… Au bout de nombreuses années, l’homme mourut et comme il était un croyant rempli de ferveur, il rencontra Dieu. Il lui dit alors : “Dieu, pourquoi ne m’as-tu pas aidé pour gagner au loto au moment où j’en avais le plus besoin alors que je t’ai toujours servi avec ferveur ?” Et Dieu lui répondit : “Mon fils je n’aurais pas demandé mieux que de t’aider mais encore eut-il fallu que tu achètes un billet du loto.” »
”
”
Anne Meurois-Givaudan (Petit manuel pour un grand passage)
“
Nous n’avons point de Pygmalion comme les Grecs, par conséquent point de Galatée. Il faudrait donc, mes très chères sœurs, être plus indulgentes entre nous pour nos défauts, nous les cacher mutuellement, et tâcher de devenir plus conséquentes en faveur de notre sexe. Est-il étonnant que les hommes l’oppriment, et n’est-ce pas notre faute ? Peu de femmes sont hommes par la façon de penser, mais il y en a quelques-unes, et malheureusement le plus grand nombre se joint impitoyablement au parti le plus fort, sans prévoir qu’il détruit lui-même les charmes de son empire.
”
”
Olympe de Gouges (DĂ©claration des droits de la femme et de la citoyenne (La Petite Collection) (French Edition))
“
Dans notre société, Marcus, les hommes que l'on admire le plus sont ceux qui bâtissent des ponts, des gratte-ciels et des empires. Mais en réalité, les plus fiers et les plus admirables sont ceux qui arrivent à bâtir l'amour. Car il n'est pas de plus grande et de plus difficile entreprise.
”
”
Joël Dicker (La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (Marcus Goldman, #1))
“
Fatalisme: Systême affreux qui soumet tout à la nécessité, dans un monde réglé par les décrets immuables de la divinité, sans la volonté de laquelle rien ne peut arriver. Si tout était nécessaire, adieu le libre arbitre de l’homme, dont les prêtres ont si grand besoin pour pouvoir le damner.
”
”
Paul-Henri Thiry (La Théologie portative ou Dictionnaire abrégé de la religion chrétienne)
“
Moi, j'ai déjà prévenu Ronsard de venir me rejoindre; et là, tous les deux loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, aux bords de la rivière, au murmure des ruisseaux, nous parlerons des choses de Dieu, seule compensation qu'il y ait en ce monde aux choses des hommes.
”
”
Alexandre Dumas (Queen Margot)
“
La Voie à l'horizon et la voix intérieure A l’Orient comme à l’Occident, notre époque donne naissance à la plus grande famine jamais constatée sur la terre. La torture des corps fait écho à la souffrance des âmes: les corps et les cœurs ont faim d’humanité. La pauvreté, l’errance, les dictatures, les guerres bafouent chaque jour la dignité de plusieurs milliards de femmes et d’hommes. La solitude, l’individualisme, la misère morale, le manque d’amour rongent l’être de tous ceux que le confort devait contenter. Où est la voie? Où allons-nous? Comment être une femme, comment être un homme aujourd’hui?
”
”
Tariq Ramadan
“
Il paraît qu'à soixante-dix ans, c'est le meilleur souvenir qu'il vous reste. Le sexe. C'est ma grand-mère qui m'a dit ça. Elle m'a dit, tu sais quand on a mon âge, les plus beaux souvenirs qu'il vous reste ce sont les nuits d'amour. C'est ses mots à elle, mais je sais bien ce que ça veut dire. Ça veut dire qu'il n'y a rien de tel, après avoir bien pris son pied, que de se coller contre un homme en lui tenant la bite encore toute chaude comme un petit écureuil endormi. Tricote-toi des souvenirs, elle me dit, ma grand-mère, alors moi, je fais comme elle me dit et je me tricote des souvenirs pour me faire des pulls et des pulls pour quand je serai vieille et que j'aurai toujours froid. Parce que les vieux, ils ont toujours froid. Ils ont froid de ne plus pouvoir vivre les choses. C'est ça, qui donne froid, c'est de plus pouvoir s'assouvir, de plus pouvoir se donner à fond à ce qu'on a envie de vivre.
”
”
David Thomas (La Patience des buffles sous la pluie)
“
Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, était mon Contesseur. Aussitôt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes. Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vérité quelle idée j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entièrement rempli; la crainte de me trahir m'empêchait de m'éclairer : mais le bon Père me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait être extrême; et au désir de le connaitre succéda celui de le goûter.
”
”
Pierre Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses)
“
Les cinq degrés de l'amour****** Les Sufis sont les grands maîtres de l'art d'aimer de la civilisation musulmane. Selon Ad-Daylami, l'amour est une fulgurante source de lumière et " celui qui aime est éclairé dans son génie et illuminé dans sa nature". Cependant, tot amour n'est pas équivalent: " L'amour dont s'aiment entre eux les humains est de cinq espèces pour cinq catégories différentes [ d'hommes]: - Un amour divin pour ceux qui sont parvenus à l'unité. - Un amour intellectuel pour ceux qui possèdent la connaissance. - Un amour spirituel pour l'élite des hommes. - Un amour naturel pour la masse des humains. - Un amour bestial pour les natures abjectes".
”
”
Fatema Mernissi (L'Amour dans les pays musulmans : A travers le miroir des textes anciens)
“
victor hugo, Les Contemplations, Mors Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ. Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant, Noir squelette laissant passer le crépuscule. Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule, L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx. Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux Tombaient ; elle changeait en désert Babylone, Le trône en échafaud et l'échafaud en trône, Les roses en fumier, les enfants en oiseaux, L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux. Et les femmes criaient : - Rends-nous ce petit être. Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître ? - Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas ; Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats ; Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre ; Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit ; Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit. Derrière elle, le front baigné de douces flammes, Un ange souriant portait la gerbe d'âmes.
”
”
Victor Hugo
“
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
”
”
Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)
“
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs. Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices, Est prompt à recevoir l'impression des vices ; Est vain dans ses discours, volage en ses désirs, Rétif à la censure et fou dans les plaisirs. L'âge viril, plus mûr, inspire un air plus sage, Se pousse auprès des grands, s'intrigue, se ménage, Contre les coups du sort songe à se maintenir, Et loin dans le présent regarde l'avenir. La vieillesse chagrine incessamment amasse ; Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse ; Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé ; Toujours plaint le présent et vante le passé ; Inhabile aux plaisirs, dont la jeunesse abuse, Blâme en eux les douceurs que l'âge lui refuse.
”
”
Nicolas Boileau
“
Amputée!… O soleil, si c’est vrai que je viens de toi, pourquoi m’as-tu faite amputée? Pourquoi m’as-tu faite une fille? Pourquoi ces seins, cette faiblesse, cette plaie ouverte au milieu de moi? N’aurait-il pas été beau le garçon Médée? N’aurait-il pas été fort? Le corps dur comme la pierre, fait pour prendre et partir après, ferme, intact, entier, lui! Ah! il aurait pu venir, alors, Jason, avec ses grandes mains redoutables, il aurait pu tenter de les poser sur moi! Un couteau, chacun dans la sienne -oui!- et le plus fort tue l’autre et s’en va délivré. Pas cette lutte où je ne voulais que toucher les épaules, cette blessure que j’implorais. Femme! Femme! Chienne! Chair faite d’un peu de boue de d’une côte d’homme! Morceau d’homme! Putain!
”
”
Jean Anouilh (Médée)
“
Ce supplice que lui infligeait ma grand'tante, le spectacle des vaines prières de ma grand'mère et de sa faiblesse, vaincue d'avance, essayant inutilement d'ôter à mon grand-père le verre à liqueur, c'était de ces choses à la vue desquelles on s'habitue plus tard jusqu'à les considérer en riant et à prendre le parti du persécuteur assez résolument et gaiement pour se persuader à soi-même qu'il ne s'agit pas de persécution; elles me causaient alors une telle horreur que j'aurais aimé battre ma grand'tante. Mais dès que j'entendais: "Bathilde, viens donc empêcher ton mari de boire du cognac!" déjà homme par la lâcheté, je faisais ce que nous faisons tous, une fois que nous sommes grands, quand il y a devant nous des souffrances et des injustices: je ne voulais pas les voir; (…)
”
”
Marcel Proust
“
J’aurais voulu être un très grand écrivain, un ascète et en même temps un bandit; j’aurais voulu être un savant qui se sacrifie pour la science et en même temps un aventurier déchaîné, bref tous ces désirs, tout ce qu’on veut obtenir de la vie et qui se contrecarre, s’entretue, font d’un homme quelqu’un qui n’est pas satisfait, qui court après trop de choses, qui n’arrive à rien de véritable.
”
”
Joseph Kessel
“
Huit heures de sommeil ! Nous perdons le tiers de notre vie humaine dans cet état d’impuissance et de demi-mort. Voilà ce qui me révoltait. Il faut libérer l’humanité de la charge du sommeil. Quelles extraordinaires perspectives, quelles possibilités !... Combien de grandes œuvres les grands penseurs nous auraient encore données, si toutes leurs nuits avaient pu être consacrées à la création ! Combien de grandes œuvres inachevées ne le seraient pas ! Comme le progrès avancerait ! ! L’ouvrier ayant travaillé aux heures fixées à sa machine-outil consacrerait la nuit aux livres ou au travail social. Nous n’aurions pas d’illettrés. Mieux encore, tous recevraient la possibilité de devenir parfaitement instruits. De quels pas gigantesques avancerait le progrès ! C’était à cela que je pensais...
”
”
Alexandre BeliaĂŻev (L'homme qui ne dormait pas)
“
La loi judaïque toujours subsistante, celle de l'enfant d'Ismaël qui depuis dix siècles régit la moitié du monde, annoncent encore aujourd'hui les grands hommes qui les ont dictées; et tandis que l'orgueilleuse philosophie ou l'aveugle esprit de parti ne voit en eux que d'heureux imposteurs, le vrai politique admire dans leurs institutions ce grand et puissant génie qui préside aux établissements durables.
”
”
Jean-Jacques Rousseau (The Social Contract)
“
Une autre soif lui était venue, celle des femmes, du luxe et de tout ce que comporte l’existence parisienne. Il se sentait quelque peu étourdi, comme un homme qui descend d’un vaisseau; et, dans l’hallucination du premier sommeil, il voyait passer et repasser continuellement les épaules de la Poissarde, les reins de la Débardeuse, les mollets de la Polonaise, la chevelure de la Sauvagesse. Puis deux grands yeux noirs, qui n’étaient pas dans le bal, parurent; et légers comme des papillons, ardents comme des torches, ils allaient, venaient, vibraient, montaient dans la corniche, descendaient jusqu’à sa bouche. Frédéric s’acharnait à reconnaître ces yeux sans y parvenir. Mais déjà le rêve l’avait pris; il lui semblait qu’il était attelé près d’Arnoux, au timon d’un fiacre, et que la Maréchale, à califourchon sur lui, l’éventrait avec ses éperons d’or. (©BeQ)
”
”
Gustave Flaubert (Sentimental Education)
“
Il est un côté de la « culture bourgeoise » qui en dévoile toute la petitesse, c'est son aspect de « roulement » conventionnel, de manque d'imagination, bref d'inconscience et de vanité : on ne se demande pas un instant « à quoi bon tout cela » ; aucun auteur ne se demande s'il vaut la peine d'écrire une nouvelle histoire après tant d'autres histoires ; on semble en écrire simplement parce que d'autres en ont écrit, et parce qu'on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas et pourquoi on ne gagnerait pas une gloire que d'autres ont gagnée. C'est un perpetuum mobile que rien ne peut arrêter, sauf une catastrophe ou, moins tragiquement, la disparition progressive des lecteurs ; sans public point de célébrité, nous l'avons dit plus haut. Et ceci est arrivé dans une certaine mesure : on ne lit plus d'anciens auteurs dont le prestige paraissait assuré ; le grand public a d'autres besoins, d'autres ressources et d'autres distractions, fussent-elle des plus basses. La culture c'est, de plus en plus, l'absence de culture : la manie de se couper de ses racines et d'oublier d'où l'on vient. Une des raisons subjectives de ce que nous pouvons appeler le « roulement culturel » est que l'homme n'aime pas se perdre tout seul, qu'il aime par conséquent trouver des complices pour une perdition commune ; c'est ce que fait la culture profane, inconsciemment ou consciemment, mais non innocemment car l'homme porte au fond de lui-même l'instinct de sa raison d'être et de sa vocation. On a souvent reproché aux civilisations orientales leur stérilité culturelle, c'est-à-dire le fait qu'elles ne comportent pas un fleuve habituel de production littéraire, artistique et philosophique ; nous croyons pouvoir nous dispenser à présent de la peine d'en expliquer les raisons.
”
”
Frithjof Schuon (To Have a Center (Library of Traditional Wisdom))
“
Vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t'a fait évader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t'es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t'inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d'homme. Tu n'es point l'habitant d'une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse. Nul ne t'a saisi par les épaules quand il était temps encore. Maintenant, la glaise dont tu es formé a séché, et s'est durcie, et nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi ou le poète, ou l'astronome qui peut-être t'habitait d'abord.
”
”
Antoine de Saint-Exupéry (Wind, Sand and Stars)
“
- Lorsque tu mourras, grand chef, il faudra abattre une forêt entière pour dresser le tien. - Je crains que tu te leurres. Un chef thül qui laisse mourir la totalité des hommes qu'il était censé protéger ne mérite pas d'entrer dans le livre des légendes. - Et un héros thül capable de courir pendant des jours, d'affronter une bande d'impitoyables mercenaires puis de les vaincre au péril de sa vie pour remplir la mission qui lui avait été confiée ? - C'est juste un thül qui a fait son devoir.
”
”
Pierre Bottero (Ellana, l'Envol (Le Pacte des MarchOmbres, #2))
“
Ces femmes acceptent de se faire battre avec une simplicité digne des plus grands éloges. Loin de se sentir insultées, elles admirent la force et l'énergie d'hommes capables de leur administrer des corrections aussi sonores. En Russie, les hommes ne sont pas seulement autorisés à battre leurs femmes, ils ont appris dès le catéchisme - et on le leur a rappelé lors de la confirmation -, qu'il est nécessaire de les battre au moins une fois la semaine si l'on est vraiment soucieux de leur santé et de leur bien être.
”
”
Elizabeth von Arnim (Elizabeth and Her German Garden)
“
Tu viens d'incendier la Bibliothèque ? - Oui. J'ai mis le feu là. - Mais c'est un crime inouï ! Crime commis par toi contre toi-même, infâme ! Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme ! C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler ! Ce que ta rage impie et folle ose brûler, C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. Le livre a toujours pris fait et cause pour toi. Une bibliothèque est un acte de foi Des générations ténébreuses encore Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore. Quoi! dans ce vénérable amas des vérités, Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés, Dans ce tombeau des temps devenu répertoire, Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire, Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir, Dans ce qui commença pour ne jamais finir, Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles, Dans le divin monceau des Eschyles terribles, Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon, Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison, Tu jettes, misérable, une torche enflammée ! De tout l'esprit humain tu fais de la fumée ! As-tu donc oublié que ton libérateur, C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur; Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine, Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine Il parle, plus d'esclave et plus de paria. Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria. Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ; Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ; Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ; Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître, Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant, Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ; Ton âme interrogée est prête à leur répondre ; Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre, Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs, Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs ! Car la science en l'homme arrive la première. Puis vient la liberté. Toute cette lumière, C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins ! Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints. Le livre en ta pensée entre, il défait en elle Les liens que l'erreur à la vérité mêle, Car toute conscience est un noeud gordien. Il est ton médecin, ton guide, ton gardien. Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte. Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute ! Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir, Le droit, la vérité, la vertu, le devoir, Le progrès, la raison dissipant tout délire. Et tu détruis cela, toi ! - Je ne sais pas lire.
”
”
Victor Hugo
“
Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe à ma vie, c’est comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus qu’elle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je né dans une époque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes d’un grand jeu de hasard ? Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimé ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos rivières, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimé être tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretués. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dévoré d’autres, les ont éventrés, violés, souillés. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphé de ce qui est sale. Pourquoi ai-je dû, comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes épaules et qui ne me concernait pas? Qui a donc décidé de venir fouiller mon obscure existence, de déterrer ma maigre tranquillité, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, s’Il existe, s’Il existe vraiment, qu’Il se cache. Qu’Il pose Ses deux mains sur Sa tête, et qu’Il la courbe. Peut-être, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d’hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd’hui je sais aussi qu’Il n'est pas digne de la plupart d’entre nous, et que si la créature a pu engendrer l’horreur c’est uniquement parce que son Créateur lui en a soufflé la recette.
”
”
Philippe Claudel (Brodeck)
“
J’allais ouvrir la bouche et aborder cette fille , quand quelqu’un me toucha l’épaule. Je me retournai, surpris, et j’aperçus un homme d’aspect ordinaire, ni jeune ni vieux, qui me regardait d’un air triste. — Je voudrais vous parler, dit-il. Je fis une grimace qu’il vit sans doute, car il ajouta : — « C’est important. » Je me levai et le suivis à l’autre bout du bateau : — « Monsieur, reprit-il, quand l’hiver approche avec les froids, la pluie et la neige, votre médecin vous dit chaque jour : « Tenez-vous les pieds bien chauds, gardez-vous des refroidissements, des rhumes, des bronchites, des pleurésies. » Alors vous prenez mille précautions, vous portez de la flanelle, des pardessus épais, des gros souliers, ce qui ne vous empêche pas toujours de passer deux mois au lit. Mais quand revient le printemps avec ses feuilles et ses fleurs, ses brises chaudes et amollissantes, ses exhalaisons des champs qui vous apportent des troubles vagues, des attendrissements sans cause, il n’est personne qui vienne vous dire : « Monsieur, prenez garde à l’amour ! Il est embusqué partout ; il vous guette à tous les coins ; toutes ses ruses sont tendues, toutes ses armes aiguisées, toutes ses perfidies préparées ! Prenez garde à l’amour !… Prenez garde à l’amour ! Il est plus dangereux que le rhume, la bronchite et la pleurésie ! Il ne pardonne pas, et fait commettre à tout le monde des bêtises irréparables. » Oui, monsieur, je dis que, chaque année, le gouvernement devrait faire mettre sur les murs de grandes affiches avec ces mots : « Retour du printemps. Citoyens français, prenez garde à l’amour ; » de même qu’on écrit sur la porte des maisons : « Prenez garde à la peinture ! » — Eh bien, puisque le gouvernement ne le fait pas, moi je le remplace, et je vous dis : « Prenez garde à l’amour ; il est en train de vous pincer, et j’ai le devoir de vous prévenir comme on prévient, en Russie, un passant dont le nez gèle. » Je demeurai stupéfait devant cet étrange particulier, et, prenant un air digne : — « Enfin, monsieur, vous me paraissez vous mêler de ce qui ne vous regarde guère. » Il fit un mouvement brusque, et répondit : — « Oh ! monsieur ! monsieur ! si je m’aperçois qu’un homme va se noyer dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser périr ?
”
”
Guy de Maupassant
“
Les Poets de Sept ans Et la Mère, fermant le livre du devoir, S'en allait satisfaite et très fière sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences, L'âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour, il suait d'obéissance ; très Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies. Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté A se renfermer dans la fraîcheur des latrines: Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s'illunait , Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne Et pour des visions écrasant son oeil darne, Il écoutait grouiller les galeux espaliers. Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue, Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots, Conversaient avec la douceur des idiots ! Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes, Sa mère s'effrayait, les tendresses profondes, De l'enfant se jetaient sur cet étonnement. C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment! A sept ans, il faisait des romans, sur la vie Du grand désert où luit la Liberté ravie, Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait De journaux illustrés où, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l'Oeil brun, folle, en robes d'indiennes, -Huit ans -la fille des ouvriers d'à côté, La petite brutale, et qu'elle avait sauté, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses, Car elle ne portait jamais de pantalons; - Et, par elle meurtri des poings et des talons, Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre, Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou, Il lisait une Bible à la tranche vert-chou; Des rêves l'oppressaient, chaque nuit, dans l'alcôve. Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes qu'au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour, Font autour des édits rire et gronder les foules. - Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or, Font leur remuement calme et prennent leur essor ! Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, Haute et bleue, âcrement prise d'humidité, Il lisait son roman sans cesse médité, Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, Vertige, écroulement, déroutes et pitié ! - Tandis que se faisait la rumeur du quartier, En bas, - seul et couché sur des pièces de toile Écrue et pressentant violemment la voile!
”
”
Arthur Rimbaud
“
Hommes et femmes de Londres, me voici. Je vous félicite cordialement d'être anglais. Vous êtes un grand peuple. Je dis plus, vous êtes une grande populace. Vos coups de poing sont encore plus beaux que vos coups d'épée. Vous avez de l'appétit. Vous êtes la nation qui mange les autres. Fonction magnifique. Cette succion du monde classe à part l'Angleterre. Comme politique et philosophie, et maniement des colonies, populations, et industries, et comme volonté de faire aux autres du mal qui est pour soi du bien, vous êtes particuliers et surprenants. Le moment approche où il y aura sur la terre deux écriteaux; sur l'un on lira: Côté des hommes; sur l'autre on lira: Côté des anglais. Je constate ceci à votre gloire, moi qui ne suis ni anglais, ni homme, ayant l'honneur d'être un docteur. Cela va ensemble. Gentlemen, j'enseigne. Quoi? Deux espèces de choses, celles que je sais et celles que j'ignore. Je vends des drogues et je donne des idées. Approchez, et écoutez. La science vous y convie. Ouvrez votre oreille. Si elle est petite, elle tiendra peu de vérité; si elle est grande, beaucoup de stupidité y entrera. Donc, attention. J'enseigne la Pseudodoxia Epidemica. J'ai un camarade qui fait rire, moi je fais penser.
”
”
Victor Hugo (The Man Who Laughs)
“
Quelle organisation sociale pourra résister à un choc d’une telle violence ? Une simple rallonge de vingt ans, si elle est soudaine, fera courir un très grand danger à l’humanité toute entière. Vingt ans de plus pourraient nous plonger dans le chaos. Pour l’éviter, il faudra tout changer. Il sera nécessaire de réorganiser la société de fond en comble. Toutes nos conceptions deviendront caduques, notre perception du monde obsolète. A quoi pourra bien ressemble la société des hommes vivant deux siècles ? A quoi pourra bien ressembler la civilisation des « immortels » ? A quoi ressembleront ces êtres eux-mêmes ?
”
”
Antoine Buéno (Le triptyque de l'asphyxie : Ou chronique de la mort des macchabées)
“
finalement, éperdu d'amour et au comble de la frénésie érotique, je m'assis dans l'herbe et j'enlevai un de mes souliers en caoutchouc. — Je vais le manger pour toi, si tu veux. Si elle le voulait I Ha! Mais bien sûr qu'elle le voulait, voyons! C'était une vraie petite femme. --- Elle posa son cerceau par terre et s'assit sur ses ta-lons. Je crus voir dans ses yeux une lueur d'estime. Je n'en demandais pas plus. Je pris mon canif et enta-mai le caoutchouc. Elle me regardait faire. — Tu vas le manger cru ? — Oui. J'avalai un morceau, puis un autre. Sous son regard enfin admiratif, je me sentais devenir vraiment un homme. Et j'avais raison. Je venais de faire mon apprentissage. J'entamai le caoutchouc encore plus profondément, soufflant un peu, entre les bouchées, et je continuai ainsi un bon moment, jusqu'à ce qu'une sueur froide me montât au front. Je continuai même un peu au-delà, serrant les dents, luttant contre la nausée, ramassant toutes mes forces pour demeurer sur le terrain, comme il me fallut le faire tant de fois, depuis, dans mon métier d'homme. Je fus très malade, on me transporta à l'hôpital, ma mère sanglotait, Aniela hurlait, les filles de l'atelier geignaient, pendant qu'on me mettait sur un brancard dans l'ambulance. J'étais très fier de moi. Mon amour d'enfant m'inspira vingt ans plus tard mon premier roman Éducation européenne, et aussi certains passages du Grand Vestiaire. Pendant longtemps, à travers mes pérégrinations, j'ai transporté avec moi un soulier d'enfant en caoutchouc, entamé au couteau. J'avais vingt-cinq ans, puis trente, puis quarante, mais le soulier était toujours là, à portée de la main. J'étais toujours prêt à m'y attabler, à donner, une fois de plus, le meilleur de moi-même. Ça ne s'est pas trouvé. Finalement, j'ai abandonné le soulier quelque part derrière moi. On ne vit pas deux fois. (La promesse de l'aube, ch. XI)
”
”
Romain Gary (Promise at Dawn)
“
J'ai souvent vu que les hommes deviennent névrosés quand ils se contente de réponses insuffisantes ou fausses aux questions de la vie. Ils cherchent situation, mariage, réputation, réussite extérieure et argent ; mais ils restent névrosés et malheureux, même quand ils ont atteint ce qu'ils cherchaient. Ces hommes le plus souvent souffrent d'une trop grande étroitesse d'esprit. Leur vie n'a point de contenu suffisant, point de sens. Quand ils peuvent se développer en une personnalité plus vaste, la névrose, d'ordinaire, cesse. C'est pourquoi l'idée de développement, d'évolution a eu chez moi, dès le début, la plus haute importance. (p. 229)
”
”
C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
“
Tu as une classe entière de jeunes hommes et femmes forts et solides, et ils veulent donner leur vie pour quelque chose. La publicité les fait tous courir après des voitures et des vêtements dont ils n'ont pas besoin. Ils travaillent dans des métiers qu'ils haïssent, par générations entières, uniquement pour pouvoir acheter ce dont ils n'ont pas vraiment besoin.Nous n'avons pas de grande guerre dans notre génération, ni de grande dépression, mais si, pourtant, nous avons bien une grande guerre de l'esprit. Nous avons une grande révolution contre la culture. La grande dépression, c'est nos existences. Nous avons une grande dépression spirituelle.
”
”
Chuck Palahniuk (Fight Club)
“
Cette société, que j'ai remarquée la première dans ma vie, est aussi la première qui ait disparu à mes yeux. J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bénédiction, le rendre peu à peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus. J'ai vu ma grand'mère forcée de renoncer à son quadrille, faute des partners accoutumés; j'ai vu diminuer le nombre de ces constantes amies, jusqu'au jour où mon aïeule tomba la dernière. Elle et sa sœur s'étaient promis de s'entre-appeler aussitôt que l'une aurait devancé l'autre; elles se tinrent parole, et madame de Bedée ne survécut que peu de mois à mademoiselle de Boisteilleul. Je suis peut-être le seul homme au monde qui sache que ces personnes ont existé. Vingt fois, depuis cette époque, j'ai fait la même observation; vingt fois des sociétés se sont formées et dissoutes autour de moi. Cette impossibilité de durée et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s'empare de notre tombe et s'étend de là sur notre maison, me ramènent sans cesse à la nécessité de l'isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fièvre de la mort. Ah! qu'elle ne nous soit pas trop chère! car comment abandonner sans désespoir la main que l'on a couverte de baisers et que l'on voudrait tenir éternellement sur son cœur?
”
”
François-René de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)
“
Au temps de La Barbarie à visage humain, je disais, comme Camus : l'idéologie est un multiplicateur de massacres ; on tue d'autant plus, et en d'autant plus grand nombre, qu'on le fait dans la bonne conscience de hâter, ce faisant, l'avènement du Bien - communisme, fascisme, angélismes exterminateurs de toutes sortes, ivresse logique des assassins. (...) non ; c'est le contraire ; le pire ce sont les massacres aveugles ; le plus redoutable ce sont les exterminations que rien ne déclenche mais que rien, du coup, n'est capable d'arrêter ; gare à ceux pour qui le fait de tuer un homme n'a pas plus de sens ni d'importance que de trancher une tête de chou ! gare au démon, non de l'Absolu, mais du Néant ! (ch. 10 De l'insensé, encore)
”
”
Bernard-Henri LĂ©vy (War, Evil, and the End of History)
“
Comprenez-moi. Le misogyne ne méprise pas les femmes. Le misogyne n'aime pas la féminité. Les hommes se répartissent depuis toujours en deux grandes catégories. Les adorateurs des femmes, autrement dit les poètes, et les misogynes ou, pour mieux dire, les gynophobes. Les adorateurs ou poètes vénèrent les valeurs féminines traditionelles comme le sentiment, le foyer, la maternité, la fécondité, les éclairs sacrés de l'hysterie, et la voix divine de la nature en nous, tandis qu'aux misogynes ou gynophobes ces valeurs inspirent un léger effroi. Chez la femme, l'adorateur vénère la féminité, alors que le misogyne donne toujours la préférence à la femme sur la féminité. N'oubliez pas une chose: une femme ne peut être vraiment heureuse qu'avec un misogyne.
”
”
Milan Kundera (The Book of Laughter and Forgetting)
“
de demander l’aumône. Les vrais pauvres méritant assistance et compassion étaient uniquement ceux qui, trop âgés ou malades, ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins en travaillant de leurs propres mains. Tous les autres devaient travailler et s’ils souffraient de la faim parce qu’ils ne faisaient rien, tant pis pour eux. A ce moment-là passa dans la rue un homme transpirant et haletant qui tirait à grand peine deux charrettes de charbon. Pinocchio, jugeant sa physionomie avenante, l’accosta et lui demanda d’une petite voix tout en baissant les yeux : – Me feriez-vous la charité d’un petit sou, car je meurs de faim ? – Ce n’est pas un mais quatre sous que je te donnerai – répondit le charbonnier – si tu m’aides à tirer ces charrettes jusque chez moi.
”
”
Carlo Collodi (Les aventures de Pinocchio (French Edition))
“
Pour qu'un produit majeur de l'esprit soit capable d'avoir aussitôt un effet vaste et profond, il faut qu'une affinité secrète, qu'un accord même existe entre le destin personnel de son auteur et celui, général, de ses contemporains. Les hommes ne savent pas pourquoi ils célèbrent une oeuvre d'art. A mille lieues d'être des connaisseurs, ils croient y découvrir cent qualités qui justifient d'autant leur intérêt; mais la véritable cause de leur approbation est un impondérable, c'est la sympathie. Aschenbach avait une fois déclaré sans ambages au détour d'une phrase que presque tout ce qui existait de grand existait comme un "malgré", et s'était accompli malgré le chagrin et la souffrance, malgré la pauvreté, l'abandon, la faiblesse corporelle, le vice, malgré la passion et mille autres entraves.
”
”
Thomas Mann (Death in Venice)
“
Qu’est-ce qui peut seul être notre doctrine ? — Que personne ne donne à l’homme ses qualités, ni Dieu, ni la société, ni ses parents et ses ancêtres, ni lui-même (— le non-sens de l’« idée », réfuté en dernier lieu, a été enseigné, sous le nom de « liberté intelligible par Kant et peut-être déjà par Platon).Personne n’est responsable du fait que l’homme existe, qu’il est conformé de telle ou telle façon, qu’il se trouve dans telles conditions, dans tel milieu. La fatalité de son être n’est pas à séparer de la fatalité de tout ce qui fut et de tout ce qui sera. L’homme n’est pas la conséquence d’une intention propre, d’une volonté, d’un but ; avec lui on ne fait pas d’essai pour atteindre un « idéal d’humanité », un « idéal de bonheur », ou bien un « idéal de moralité », — il est absurde de vouloir faire dévier son être vers un but quelconque. Nous avons inventé l’idée de « but » : dans la réalité le « but » manque… On est nécessaire, on est un morceau de destinée, on fait partie du tout, on est dans le tout, — il n’y a rien qui pourrait juger, mesurer, comparer, condamner notre existence, car ce serait là juger, mesurer, comparer et condamner le tout…Mais il n’y a rien en dehors du tout ! — Personne ne peut plus être rendu responsable, les catégories de l’être ne peuvent plus être ramenées à une cause première, le monde n’est plus une unité, ni comme monde sensible, ni comme « esprit » : cela seul est la grande délivrance, — par là l’innocence du devenir est rétablie… L’idée de « Dieu » fut jusqu’à présent la plus grande objection contre l’existence… Nous nions Dieu, nous nions la responsabilité en Dieu : par là seulement nous sauvons le monde.
”
”
Friedrich Nietzsche (Twilight of the Idols)
“
Le génie créateur surtout a besoin, de temps en temps, d’une telle solitude forcée, afin de mesurer, de la profondeur du désespoir, des lointains de l’exil, l’horizon et l’étendue de sa véritable mission. Les messages les plus importants de l’humanité sont venus de l’exil ; les créateurs des grandes religions, Moïse, le Christ, Mahomet, Bouddha, tous ont été obligés de pénétrer d’abord dans le silence du désert, loin des hommes, avant de pouvoir faire entendre une parole décisive. La cécité de Milton, la surdité de Beethoven, la geôle de Dostoïevsky, le cachot de Cervantès, le séjour forcé de Luther à la Wartbourg, l’exil de Dante et le bannissement volontaire de Nietzsche au milieu des zones glacées de l’Engadine, tout cela ne fut qu’une exigence secrète de leur propre génie, opposée au désir superficiel de l’être humain.
”
”
Stefan Zweig
“
L'homme ne vit pas seulement sa vie personnelle comme individu, mais consciemment ou inconsciemment il participe aussi à celle de son époque et de ses contemporains, et même s'il devait considérer les bases générales et impersonnelles de son existence comme des données immédiates, les tenir pour naturelles et être aussi éloigné de l'idée d'exercer contre elles une critique que le bon Hans Castorp l'était réellement, il est néanmoins possible qu'il sente son bien-être moral vaguement affecté par leurs défauts. L'individu peut envisager toute sorte de buts personnels, de fins, d'espérances, de perspectives où il puise une impulsion à de grands efforts et à son activité, mais lorsque l'impersonnel autour de lui, l'époque elle-même, en dépit de son agitation, manque de buts et d'espérances, lorsqu'elle se révèle en secret désespérée, désorientée et sans issue, lorsqu'à la question, posée consciemment ou inconsciemment, mais finalement posée en quelque manière, sur le sens suprême, plus que personnel et inconditionné, de tout effort et de toute activité, elle oppose le silence du vide, cet état de choses paralysera justement les efforts d'un caractère droit, et cette influence, par-delà l'âme et la morale, s'étendra jusqu'à la partie physique et organique de l'individu. Pour être disposé à fournir un effort considérable qui dépasse la mesure de ce qui est communément pratiqué, sans que l'époque puisse donner une réponse satisfaisante à la question " à quoi bon? ", il faut une solitude et une pureté morales qui sont rares et d'une nature héroïque, ou une vitalité particulièrement robuste. Hans Castorp ne possédait ni l'une ni l'autre, et il n'était ainsi donc qu'un homme malgré tout moyen, encore que dans un sens des plus honorables. (ch. II)
”
”
Thomas Mann (The Magic Mountain)
“
« Écoute, Egor Pétrovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton désespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accès de tristesse, tu dis que tu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as raconté ta vie d’autrefois. À cette époque aussi le désespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette époque aussi, ton premier maître, cet homme étrange, dont tu m’as tant parlé, a éveillé en toi, pour la première fois, l’amour de l’art et a deviné ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriétaire, et tu ne savais toi-même ce que tu désirais. Ton maître est mort trop tôt. Il t’a laissé seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliqué toimême. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinés, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haï tout ce qui t’entourait alors. Tes six années de misère ne sont pas perdues. Tu as travaillé, pensé, tu as reconnu et toi-même et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus envié que le mien t’est réservé. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne même la dixième partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriétaire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvreté, la misère ? Mais la pauvreté et la misère forment l’artiste. Elles sont inséparables des débuts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaître. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignité, et surtout la bêtise t’opprimeront plus fortement que la misère. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tâcheront de regarder avec mépris ce qui s’est élaboré en toi au prix d’un pénible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relèveront chacune de tes fautes. Ils te montreront précisément ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et méprisant ils fêteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent à tort. Il t’arrivera d’offenser une nullité qui a de l’amour-propre, et alors malheur à toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront à coups d’épingles. Moi même, je commence à éprouver tout cela. Prends donc des forces dès maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne néglige pas les besognes grossières, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicité ; tu ruses trop, tu réfléchis trop, tu fais trop travailler ta tête. Tu es audacieux en paroles et lâche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-être arriveras-tu au but. Sinon, va quand même au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »
”
”
Fyodor Dostoevsky (Netochka Nezvanova)
“
les hommes doivent être dressés en vue des besoins de notre temps, afin qu'ils soient en mesure de mettre la main à la pâte ; qu'ils doivent travailler à la grande usine des "utilités" communes avant d'être mûrs, et même afin qu'ils ne deviennent jamais mûrs, — car ce serait là un luxe qui soustrairait au "marché du travail" une quantité de force. On aveugle certains oiseaux pour qu'ils chantent mieux : je ne crois pas que les hommes d'aujourd'hui chantent mieux que leurs grands-parents, mais ce que je sais, c'est qu'on les aveugle tout jeunes. Et le moyen, le moyen scélérat qu'on emploie pour les aveugler, c'est une lumière trop intense, trop soudaine et trop variable. Le jeune homme est promené, à grands coups de fouet, à travers les siècles : des adolescents qui n'entendent rien à la guerre, aux négociations diplomatiques, à la politique commerciale, sont jugés dignes d'être initiés à l'Histoire politique. Deuxième Considération intempestive, ch. 7
”
”
Friedrich Nietzsche
“
Bien sûr l'homme se transforme en ce qu'il fait, bien sûr. Mais cette ˝vie de substitution˝ constitue-t-elle, dans l'énigme de la vie, ce grand malheur que nous sommes tentés d'y voir ? Ne serait-ce pas l'Ange de Dieu ou Dieu lui-même qui nous guette au coin de la rue, qui nous a abordés un jour sans que nous le reconnaissions ? Et cette vie ne serait-elle pas apres tout la seule vraie ? / ■ Kdybych byl někdy v životě měl ctižádost překladatele, mohl bych být – možná, možná, kdo ví – spokojen. Kdybych byl býval někdy v životě měl ctižádost překladatele… Ale takhle… Samozřejmě že se člověk promění v to, co dělá, samozřejmě. Ale je „náhradní život“ v té nevysvětlitelné záhadě života vůbec vždycky tak velké neštěstí, za jaké je člověk považuje? Není to anděl boží nebo Bůh čekající za rohem, který k nám přistoupil a kterého jsme nepoznali, vlastně on ten pravý? Absolutní odvaha a absolutní pokora nejsou v rozloze jediného života tak neslučitelné věci. (konec sešitu 34)
”
”
Jan Zábrana (Celý život (1))
“
Les habitants, dans leurs chambres assombries, avaient l’affolement que donnent les cataclysmes, les grands bouleversements meurtriers de la terre, contre lesquels toute sagesse et toute force sont inutiles. Car la même sensation reparaît chaque fois que l’ordre établi des choses est renversé, que la sécurité n’existe plus, que tout ce que protégeaient les lois des hommes ou celles de la nature se trouve à la merci d’une brutalité inconsciente et féroce. Le tremblement de terre écrasant sous les maisons croulantes un peuple entier ; le fleuve débordé qui roule les paysans noyés avec les cadavres des bœufs et les poutres arrachées aux toits, ou l’armée glorieuse massacrant ceux qui se défendent, emmenant les autres prisonniers, pillant au nom du Sabre et remerciant un Dieu au son du canon, sont autant de fléaux effrayants qui déconcertent toute croyance à la Justice Éternelle, toute la confiance qu’on nous enseigne en la protection du Ciel et en la raison de l’Homme.
”
”
Guy de Maupassant (Œuvres complètes)
“
S’il est quelquefois logique de s’en rapporter à l’apparence des phénomènes, ce premier chant finit ici. Ne soyez pas sévère pour celui qui ne fait encore qu’essayer sa lyre : elle rend un son si étrange ! Cependant, si vous voulez être impartial, vous reconnaîtrez déjà une empreinte forte, au milieu des imperfections. Quant à moi, je vais me remettre au travail, pour faire paraître un deuxième chant, dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardé. La fin du dix-neuvième siècle verra son poète (cependant, au début, il ne doit pas commencer par un chef d’œuvre, mais suivre la loi de la nature) ; il est né sur les rives américaines, à l’embouchure de la Plata, là où deux peuples, jadis rivaux, s’efforcent actuellement de se surpasser par le progrès matériel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, à travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre éternelle a placé son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses. Adieu, vieillard, et pense à moi, si tu m’as lu. Toi, jeune homme, ne désespère point ; car, tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion contraire. En comptant l’acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis !
”
”
Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
“
Je me trouvais en quelque lieu vague et trouble... Je dis « lieu » par habitude, car maintenant toute conception de distance et de durée était abolie pour moi, et je ne puis déterminer combien de temps je restai en cet état. Je n’entendais rien, ne voyais rien, je pensais seulement et avec force et persistance. Le grand problème qui m’avait tourmenté toute ma vie était résolu : la mort n’existe pas, la vie est infinie. J’en étais convaincu bien avant ; mais jadis je ne pouvais formuler clairement ma conviction : elle se basait sur cette seule considération que, astreinte à des limites, la vie n’est qu’une formidable absurdité. L’homme pense ; il perçoit ce qui l’entoure, il souffre, jouit et disparaît ; son corps se décompose et fournit ses éléments à des corps en formation : cela, chacun le peut constater journellement, mais que devient cette force apte à se connaître soi-même et à connaître le monde qui l’entoure ? Si la matière est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipât sans traces, et, si elle disparaît, d’où venait-elle et quel est le but de cette apparition éphémère ? Il y avait là des contradictions que je ne pouvais admettre. Maintenant je sais, par ma propre expérience, que la conscience persiste, que je n’ai pas cessé et probablement ne cesserai jamais de vivre. Voici que derechef m’obsèdent ces terribles questions : si je ne meurs pas, si je reviens toujours sur la terre, quel est le but de ces existences successives, à quelles lois obéissent-elles et quelle fin leur est assignée ? Il est probable que je pourrais discerner cette loi et la comprendre si je me rappelais mes existences passées, toutes, ou du moins quelques-unes ; mais pourquoi l’homme est-il justement privé de ce souvenir ? pourquoi est-il condamné à une ignorance éternelle, si bien que la conception de l’immortalité ne se présente à lui que comme une hypothèse, et si cette loi inconnue exige l’oubli et les ténèbres, pourquoi dans ces ténèbres, d’étranges lumières apparaissent-elles parfois, comme il m’est arrivé quand je suis entré au château de La Roche-Maudin ? De toute ma volonté, je me cramponnais à ce souvenir comme le noyé à une épave ; il me semblait que si je me rappelais clairement et exactement ma vie dans ce château je comprendrais tout le reste. Maintenant qu’aucune sensation du dehors ne me distrayait, je m’abandonnais aux houles du souvenir, inerte et sans pensée pour ne pas gêner leur mouvement, et tout à coup, du fond de mon âme comme des brumes d’un fleuve, commençaient à s’élever de fugaces figures humaines ; des mots au sens effacé résonnaient, et dans tous ces souvenirs étaient des lacunes... Les visages étaient vaporeux, les paroles étaient sans lien, tout était décousu......
”
”
Aleksey Apukhtin (Entre la mort et la vie : suivi de Les Archives de la comtesse D*** & Le Journal de Pavlik Dolsky)
“
Un jour, avec des yeux vitreux, ma mère me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dérision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, à la figure pâle et longue. Même, je te permets de te mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'éprouve le besoin de l'infini... Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'après ce qu'on m'a dit. Ça m'étonne... je croyais être davantage! Au reste, que m'importe d'où je viens? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j'aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue: je ne serais pas si méchant. Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intérieur des cheminées : il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l'Etre suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
”
”
Comte de Lautréamont (Les Chants de Maldoror)
“
Faut-il regretter le temps des guerres "à sens" ? souhaiter que les guerres d'aujourd'hui "retrouvent" leur sens perdu ? le monde irait-il mieux, moins bien, indifféremment, si les guerres avaient, comme jadis, ce sens qui les justifiait ? Une part de moi, celle qui a la nostalgie des guerres de résistance et des guerres antifascistes, a tendance à dire : oui, bien sûr ; rien n'est plus navrant que la guerre aveugle et insensée ; la civilisation c'est quand les hommes, tant qu'à faire, savent à peu près pourquoi ils se combattent ; d'autant que, dans une guerre qui a du sens, quand les gens savent à peu près quel est leur but de guerre et quel est celui de leur adversaire, le temps de la raison, de la négociation, de la transaction finit toujours par succéder à celui de la violence ; et d'autant (autre argument) que les guerres sensées sont aussi celles qui, par principe, sont les plus accessibles à la médiation, à l'intervention - ce sont les seules sur lesquelles des tiers, des arbitres, des observateurs engagés, peuvent espérer avoir quelque prise...Une autre part hésite. L'autre part de moi, celle qui soupçonne les guerres à sens d'être les plus sanglantes, celle qui tient la "machine à sens" pour une machine de servitude et le fait de donner un sens à ce qui n'en a pas, c'est-à-dire à la souffrance des hommes, pour un des tours les plus sournois par quoi le Diabolique nous tient, celle qui sait, en un mot, qu'on n'envoie jamais mieux les pauvres gens au casse-pipe qu'en leur racontant qu'ils participent d'une grande aventure ou travaillent à se sauver, cette part-là, donc, répond : "non ; le pire c'était le sens"; le pire c'est, comme disait Blanchot, "que le désastre prenne sens au lieu de prendre corps" ; le pire, le plus terrible, c'est d'habiller de sens le pur insensé de la guerre ; pas question de regretter, non, le "temps maudit du sens". (ch. 10 De l'insensé, encore)
”
”
Bernard-Henri LĂ©vy (War, Evil, and the End of History)
“
L'objectivité, vécue dans ce rêve et dans ces visions, relève de l'individuation accomplie. Elle est détachement des jugements de valeur et de ce que nous désignons par attachement affectif. En général, l'homme attribue une grande importance à cet attachement affectif. Or, celui-ci renferme toujours des projections et ce sont celles-ci qu'il s'agit de retirer et de récupérer, pour parvenir à soi-même et à l'objectivité. Les relations affectives sont des relations de désir et d'exigences, alourdies par des contraintes et des servitudes : on attend quelque chose de l'autre, ce par quoi cet autre et soi-même perdent leur liberté. La connaissance objective se situe au-delà des intrications affectives, elle semble être le mystère central. Elle seule rend possible la véritable conjuctio*. * Ces pensée de Jung soulèvent beaucoup de problèmes et il faut éviter les malentendus, surtout de la part des lecteurs jeunes. La vie affective est d'importance ! Le fin du fin de la sagesse n'est pas du tout une manière d'indifférence, indifférence qui, à des phases plus juvéniles de la vie, caractérise au contraire certaines maladies mentales. C'est à force d'indifférence et d'inaffectivité que le malade schizophrène, par exemple, se trouve coupé de la vie et du monde. Ce que Jung veut dire, c'est qu'il s'agit, après avoir vécu les liens affectifs dans leur plénitude, de les laisser évoluer vers une sérénité, voire un détachement. Car les liens affectifs ayant rempli leurs bons offices d'insertion au monde, et ayant fait leurs temps, comportent pour tous les partenaires, par leur maturité même, d'être dépassés. Jung parle ici en tant qu'homme de grand âge, d'expérience, de sagesse humaine, qui, en tant que tel, s'est détaché de ce que l'affectivité comporte nécessairement de subjectif et de contraignant. Sand doute avait-il atteint, lorsqu'il écrivit ces pages, à travers son individuation à ce que nous appelons pour notre compte la "simplicité de retour". (Dr Roland Cahen) p. 467
”
”
C.G. Jung (Memories, Dreams, Reflections)
“
C'est de là-haut qu'il les aperçoit, au fond de la combe Nerre, écrasés par la perspective : deux insectes minuscules, l'un portant l'autre à travers l'un des endroits les plus inhospitaliers des Causses. Il en oublie la chevrette et, retrouvant l'agilité de ses vingt ans, se laisse glisser d'éboulis en barres rocheuses jusqu'à les surplomber d'une vingtaine de mètres. Deux enfants. Un garçon épuisé, couvert d'écorchures, qui continue à avancer bien qu'à bout de forces, ses jambes menaçant à tout moment de flancher sous lui, tremblant de fatigue et de froid. Une fille, ce doit être une fille même si elle n'a plus un cheveu sur le crâne, immobile dans les bras du garçon. Inanimée. Ces deux-là ont souffert, souffrent encore. Maximilien le sent, il sent ces choses-là. Alors, quand le garçon dépose la fille à l'abri d'un rocher, quand il quitte son tee-shirt déchiré pour l'en envelopper, quand il se penche pour lui murmurer une prière à l'oreille, alors Maximilien oublie sa promesse de se tenir loin des hommes. Il descend vers eux. Le garçon esquisse un geste de défense, mais Maximilien le rassure en lui montrant ses mains vides. Des mains calleuses, puissantes malgré l'âge. Il se baisse, prend la fille dans ses bras. Un frisson de colère le parcourt. Elle est dans un état effroyable, le corps décharné, la peau diaphane, une cicatrice récente zigzague sur son flanc. Dans une imprécation silencieuse, Maximilien maudit la folie des hommes, leur cruauté et leur ignorance. Il se met en route, suivi par le garçon qui n'a pas prononcé un mot. Il ne sait pas encore ce qu'il va faire d'eux. Faire d'elle. La soigner, certes, mais ensuite ? Tout en pensant, il marche à grands pas. Tout en marchant, il réfléchit à grands traits. Il atteint Ombre Blanche au moment où le soleil bascule derrière l'horizon, teintant les Causses d'une somptueuse lumière orangée. Un frémissement dans ses bras lui fait baisser la tête. La fille a bougé. Elle ouvre les yeux. Échange fugace. Échange parfait. Maximilien se noie dans le violet de son regard et en ressort grandi. Le dernier des Caussenards a trouvé son destin.
”
”
Pierre Bottero (La ForĂŞt des captifs (Les Mondes d'Ewilan, #1))
“
Comme l'impôt est obligatoire pour tous, qu'ils votent ou non, une large proportion de ceux qui votent le font sans aucun doute pour éviter que leur propre argent ne soit utilisé contre eux; alors que, en fait, ils se fussent volontiers abstenus de voter, si par là ils avaient pu échapper ne serait-ce qu'à l'impôt, sans parler de toutes les autres usurpations et tyrannies du gouvernement. Prendre le bien d'un homme sans son accord, puis conclure à son consentement parce qu'il tente, en votant, d'empêcher que son bien ne soit utilisé pour lui faire tort, voilà une preuve bien insuffisante de son consentement à soutenir la Constitution. Ce n'est en réalité aucunement une preuve. Puisque tous les hommes qui soutiennent la Constitution en votant (pour autant qu'il existe de tels hommes) le font secrètement (par scrutin secret), et de manière à éviter toute responsabilité personnelle pour l'action de leurs agents ou représentants, on ne saurait dire en droit ou en raison qu'il existe un seul homme qui soutienne la Constitution en votant. Puisque tout vote est secret (par scrutin secret), et puisque tout gouvernement secret est par nécessité une association secrète de voleurs, tyrans et assassins, le fait général que notre gouvernement, dans la pratique, opère par le moyen d'un tel vote prouve seulement qu'il y a parmi nous une association secrète de voleurs, tyrans et assassins, dont le but est de voler, asservir et -- s'il le faut pour accomplir leurs desseins -- assassiner le reste de la population. Le simple fait qu'une telle association existe ne prouve en rien que "le peuple des Etats-Unis", ni aucun individu parmi ce peuple, soutienne volontairement la Constitution. Les partisans visibles de la Constitution, comme les partisans visibles de la plupart des autres gouvernements, se rangent dans trois catégories, à savoir: 1. Les scélérats, classe nombreuse et active; le gouvernement est pour eux un instrument qu'ils utiliseront pour s'agrandir ou s'enrichir; 2. Les dupes -- vaste catégorie, sans nul doute, dont chaque membre, parce qu'on lui attribue une voix sur des millions pour décider ce qu'il peut faire de sa personne et de ses biens, et parce qu'on l'autorise à avoir, pour voler, asservir et assassiner autrui, cette même voix que d'autres ont pour le voler, l'asservir et l'assassiner, est assez sot pour imaginer qu'il est "un homme libre", un "souverain"; assez sot pour imaginer que ce gouvernement est "un gouvernement libre", "un gouvernement de l'égalité des droits", "le meilleur gouvernement qu'il y ait sur terre", et autres absurdités de ce genre; 3. Une catégorie qui a quelque intelligence des vices du gouvernement, mais qui ou bien ne sait comment s'en débarrasser, ou bien ne choisit pas de sacrifier ses intérêts privés au point de se dévouer sérieusement et gravement à la tâche de promouvoir un changement. Le fait est que le gouvernement, comme un bandit de grand chemin, dit à un individu: "La bourse ou la vie." Quantité de taxes, ou même la plupart, sont payées sous la contrainte d'une telle menace.
”
”
Lysander Spooner (Outrage À Chefs D'état ;Suivi De Le Droit Naturel)
“
Les deux femmes, vêtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sœur, elles jetèrent dessus des fleurs et de l’eau bénite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeâtre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumèrent deux petites bougies qui étaient sur la table de nuit, s’agenouillèrent et me dirent de prier comme elles. Je priai, oh ! bien fort, le plus qu’il m’était possible ! mais rien… Lélia ne remuait pas ! Je fus longtemps ainsi agenouillé, la tête sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me déchirant l’âme avec des prières et des vœux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indécises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, à une place, une forme ronde qui devait être La tête, et plus bas une autre qui semblait être les pieds. Je croyais, moi, pauvre naïf enfant, je croyais que la prière pouvait rendre la vie à un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur ! Oh ! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passée à prier sur un cadavre, à pleurer, à vouloir faire renaître le néant ! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, à la lueur de deux cierges mortuaires, entouré de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vénales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scène de désespoir et de deuil vous remplit le cœur : enfant, de tristesse et d’amertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de désespoir ! Le jour arriva. Mais quand le jour commença à paraître, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient à mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissèrent seul. Je courus après elles, et me traînant à leurs pieds, m’attachant à leurs vêtements : — Ma sœur ! leur dis-je, eh bien, ma sœur ! oui, Lélia ! où est-elle ? Elles me regardèrent étonnées. — Ma sœur ! vous m’avez dit de prier, j’ai prié pour qu’elle revienne, vous m’avez trompé ! — Mais c’était pour son âme ! Son âme ? Qu’est-ce que cela signifiait ? On m’avait souvent parlé de Dieu, jamais de l’âme. Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eût demandé ce qu’il était, eh bien, j’aurais pris La linotte de Lélia, et, lui brisant la tête entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu ! » Mais l’âme ? l’âme ? qu’est-ce cela ? J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allèrent sans me répondre. Son âme ! eh bien, elles m’ont trompé, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était Lélia, Lélia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent ; c’était Lelia, ma belle petite sœur aux grands yeux bleus, Lélia qui m’embrassait le soir après sa poupée, après son mouton chéri, après sa linotte. Pauvre sœur ! c’était toi que je demandais à grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me répondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as prié non pour elle, mais tu as prié pour son âme ! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue étrangère ; tu as prié pour un souffle, pour un mot, pour le néant, pour son âme enfin ! » Son âme, son âme, je la méprise, son âme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait à moi, son âme ? savez-vous ce que c’est que son âme ? Mais c’est son corps que je veux ! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin ! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela. Ces femmes m’ont trompé, eh bien, je les ai maudites. Cette malédiction est retombée sur moi, philosophe imbécile qui ne sais pas comprendre un mot sans L’épeler, croire à une âme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au Prométhée d’Eschyle, je brave les coups et que je méprise trop pour blasphémer.
”
”
Gustave Flaubert (La dernière heure : Conte philosophique inachevé)