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J'etais arrete a regarder, dans une exposition d'oeuvres de Rodin, une enorme main de bronze, la ,,Main de Dieu''.La paume en etait a moitie fermee et dans cette paume, extatiques, enlaces, luttaient et se melaient un homme et une femme.
Une jeune fille s'approcha et s'arreta a cote de moi.Troublee elle aussi, elle regardait l'inquietant et eternel enlacement de l'homme et de la femme.Elle etait mince, bien habillee, avec d'epais cheveux blonds, un menton fort, des levres etroites.Elle avait quelque chose de decide et de viril.Et moi qui deteste engager des conversations faciles, je ne sais ce qui me poussa.Je me retournai:
-A quoi pensez-vous?
-Si on pouvait s'echapper! murmura-t-elle avec depit.
-Pour aller ou?La main de Dieu est partout.Pas de salut.Vous le regrettez?
-Non.Il se peut que l'amour soit la joie la plus intense sur cette terre.C'est possible.Mais maintenant que je vois cette main de bronze, je voudrais m'echapper.
-Vous preferez la liberte?
-Oui.
-Mais si ce n'est que lorsqu'on obeit a la main de bronze qu'on est libres?Si le mot "Dieu" n'avait pas le sens commode que lui donne la masse?
Elle me regarda,inquiete.Ses yeux etaient d'un gris metallique, ses levres seches et ameres.
-Je ne comprends pas, dit-elle, et elle s'eloigna, comme effrayee.
Elle disparut.[...]Oui , je m'etais mal conduit, Zorba avait raison.C'etait un bon pretexte que cette main de bronze, la premiere prise de contact etait reussie, les premieres douces paroles amorcees, et nous aurions pu, sans en prendre conscience ni l'un ni l'autre, noue etreindre et nous unir en toute tranquillite dans la paume de Dieu.Mais moi je m'etais elance brusquement de la terre vers le ciel et la femme effarouchee s'etait enfuie.
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